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Le marché du charbon, un enjeu entre l’Europe et les États-Unis de 1945 à 1958

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Régine Perron

Deuxième partie. Une énergie rare et dominante : le paradoxe du charbon de 1945 à 1947

Chapitre 5. L’Allemagne, la Pologne, les États-Unis : quels partenaires pour le marché charbonnier de l’Europe de l’Ouest ? (1945-1946)

Texte intégral

1Après avoir considéré l’élaboration politique et administrative du marché charbonnier européen, l’étude du travail quotidien au sein de l’eco permettra de discuter de son opportunité. Trois sources d’approvisionnement concourent à la restauration économique de l’Europe, mais selon des modes de gestion différents. Le charbon allemand est livré dans le cadre d’allocations distribuées par l’eco, et le charbon polonais dans le cadre des accords bilatéraux. Les enjeux énergétiques en présence déterminent pour une bonne part la reconstruction européenne. L’Allemagne, occupée militairement, fournit du charbon dans le cadre des réparations de guerre. Son atout réside dans l’excellente qualité de ses charbons produits, le charbon à coke et le coke qui sont essentiels pour la production d’acier, et aussi dans ses très bons prix. La Pologne, se trouvant sous tutelle russe, pratique une politique de troc de grande envergure pour permettre à sa propre économie de se rétablir rapidement. Son atout réside aussi dans l’excellente qualité de ses charbons en provenance du bassin de la Silésie, ainsi que dans la pratique de bas prix. Quant aux Etats-Unis, leur seul intérêt est de reconstruire les bases économiques de l’Europe afin d’éviter un chaos politique qui profiterait à l’Union Soviétique. En effet, leur charbon est de mauvaise qualité, ou plutôt ne correspond pas aux besoins des industries européennes, et surtout il est très cher à cause du prix du fret atlantique. Ce surcoût grève les finances des Etats, alors en proie à une pénurie en dollars. Face à ces trois sources, se trouvent tous les pays tributaires de l’aide charbonnière.

2On assiste à une situation paradoxale. Malgré les avantages nets pour l’exportation du charbon allemand, et surtout malgré le choix préférentiel des pays importateurs pour cette source d’approvisionnement, il n’occupe que le 1/3 des allocations de l’eco. Cela signifie-t-il un refus de tenir compte du choix des pays libérés, ou bien est-ce une impossibilité pour l’Allemagne de répondre à cette très forte demande ? L’attention portée à la source allemande évoluera dans le temps lorsqu’il sera compris que la production charbonnière allemande est loin de pouvoir satisfaire cette énorme responsabilité ; alors entrent en jeu les Etats-Unis, et plus tard la Pologne. Avec ces trois sources, sera-t-il désormais possible de combler le déficit charbonnier estimé à environ 31 millions de tonnes ?

3Etudier la situation charbonnière allemande amène inévitablement à s’interroger sur la question du niveau de sa production, et par extension sur le niveau de ses exportations vers les pays libérés. Les responsables de l’eco n’auront de cesse de soulever ce problème. Mais il est nécessaire de replacer ce débat dans le contexte de l’époque : les pays libérés ne supportent pas l’idée que l’Allemagne puisse se relever économiquement plus vite qu’eux, et qu’elle ne « paye » pas assez les réparations de guerre. On ne peut nier aussi la valeur symbolique, très présente dans les esprits en 1945, du complexe industriel de la Ruhr. Or la pénurie en charbon a pour résultat d’exacerber les susceptibilités.

4La Grande-Bretagne et les Etats-Unis occupent une position très originale sur le marché charbonnier mondial. Ils sont à la fois principaux fournisseurs de charbon en Europe (la Grande-Bretagne remplit ce rôle jusqu’en été 1945) et pays occupants en Allemagne. Ils détiennent ainsi les trois principales sources d’approvisionnement mondiales (Pologne exceptée), et compte tenu de ce fait, leurs pouvoirs sont considérables au niveau de la distribution. Quelle est donc leur attitude dans un pays qui maintient, malgré sa perte de statut politique, une place privilégiée de pays exportateur ?

  • 1 Voir en annexe les statistiques de l’eco pour la France, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne, (...)

5Grâce aux statistiques inédites de l’eco, il est possible d’avoir une image précise du marché des échanges en charbon de 1945 à 1947. A l’origine, ces statistiques se présentaient sous une forme hebdomadaire, mais pour une meilleure utilisation de ces données, j’ai préféré les présenter sous une forme mensuelle. Il est désormais possible de connaître le montant exact des envois de charbon allemand, et leur destination dans le cadre ou non des allocations de l’eco1. Cette étude tentera en dernier lieu de s’interroger sur le succès du système de distribution des allocations.

La faillite des directives de Truman (août-décembre 1945)

6Lorsqu’on considère le graphique n° 5, on distingue une première phase de croissance continue en Allemagne de la production et des exportations de juillet à décembre 1945. Cette période débute avec les accords de la Conférence de Potsdam. Au cours de ces premiers mois, la production a triplé de volume et les exportations sont multipliées par six.

Situation charbonnière en Allemagne de 1945 à 1947

Situation charbonnière en Allemagne de 1945 à 1947

Graphique n° 5

  • 2 eco : 4, GY 100-Germany, General informations. Lettre de Gridley à David Marley (North German Coal (...)
  • 3 N.A. : 840 6362/11-1645. Lettre de Byrnes à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 16 novembre 1945
  • 4 JM : AMF 4/3/30. Télégramme d’Alphand (Directeur général des affaires économiques au ministère des (...)

7Toutefois, la production stagne à partir du mois d’octobre jusqu’en décembre 1945, et par conséquent les exportations traduisent ce fléchissement. Mais la politique de stockage de charbon allemand ne réfléchit pas les fluctuations de la production dans le même ordre de grandeur que les exportations, ce qui peut amener à supposer que le shaef mène son programme indépendamment de toute directive. Le shaef prévoit de juin 1945 à décembre 1945 une production mensuelle de 10 758 000 tonnes ; or elle ne dépasse pas les 9 millions de tonnes... Les stocks permettent assurément de conserver un niveau de réserves suffisant - normalement elles doivent être de l’ordre de trois mois. En ces temps de pénurie, accumuler tant de stocks peut être considéré comme un luxe. C’est alors qu’on constate qu’ils servent à garantir les besoins intérieurs liés à la reconstruction allemande. Cette baisse soudaine de la production est peut-être due à une productivité vite défaillante, en raison des dures conditions de travail dans les mines et de la vétusté de l’équipement minier. Mais en décembre 1945, le Président de l’eco, J. C. Gridley, ne semble pas l’entendre ainsi : « Si les allocations pour les exportations n’ont pas augmenté pro rata, c’est parce que le Corps Quadripartite a considéré les demandes compétitives provenant à la fois de la zone britannique et des autres, et aussi de l’extérieur de l’Allemagne (c’est-à-dire l’Autriche), au même niveau, sinon à un niveau plus important que les besoins des zones libérées, même après avoir eu pris connaissance des directives du Premier Ministre et du Président.2 » Il est vrai qu’un mois auparavant les délégués américains, anglais et russes du Sous-comité Quadripartite du Charbon à Berlin avaient décidé de réduire le montant des allocations de charbon allemand pour les pays libérés de 1 200 000 tonnes à 900 000 tonnes. Cette mesure se trouvait justifiée par le fait qu’il fallait prévenir les mauvaises livraisons effectives depuis septembre 1945, liées à la désorganisation du réseau ferroviaire ainsi qu’à l’obstruction du réseau fluvial par les ponts écroulés3. Les Français avaient protesté, mais ils ont été obligés de s’incliner devant la menace du Directoire économique à Bruxelles de « se désintéresser de la question et de s’en remettre au seul Commandant en chef britannique des surplus exportables de Ruhr si la France refuse de s’associer aux décisions des trois autres pays.4 »

  • 5 N.A. : 840 6362/11-445. Lettre de Heath à Berlin au Secrétaire d’Etat à Washington, 4 novembre 194 (...)
  • 6 eco : 4, GY 100. Lettre de Marley à Gridley, 13 décembre 1945.

8En tenant compte de la remarque de J. C. Gridley et de l’analyse graphique donnée ci-dessus, on s’aperçoit que se concrétise en Allemagne la ligne politique des militaires, qui tend à se préoccuper davantage de la consommation intérieure. En novembre 1945, le Département d’Etat peut constater que : « On a mieux assuré en septembre les livraisons destinées à la consommation intérieure, car les besoins militaires et civils essentiels en Allemagne ont été réduits au minimum absolu et que l’impossibilité de livrer, en particulier dans la Ruhr, aurait paralysé la production de charbon et son transport. Par ailleurs, le mineur allemand a naturellement tendance de charger davantage pour la consommation allemande autant que possible et en dépit des contrôles sévères. Les priorités accordées à la consommation locale contre les exportations varient au jour le jour car elles dépendent des pénuries critiques en tout point.5 ». Cette longue citation met en valeur la sensibilité psychologique des mineurs dont il faut tenir compte afin d’assurer une bonne marche d’ensemble. Mais le North German Coal Control - qui a la responsabilité de gérer la politique charbonnière dans la zone britannique - critique ouvertement l’eco, en insistant sur ce point psychologique : « pendant des mois, l’Allemagne a vécu sur ses réserves industrielles. On n’a pas produit d’acier et l’industrie a vécu en général sur les maigres stocks disponibles. Ceci ne peut pas durer, car l’activité industrielle est nécessaire à l’intérieur de l’Allemagne.6 » Les critiques qui sont souvent formulées à rencontre des Britanniques sur leur incapacité à améliorer le rendement de la production charbonnière de la Ruhr devraient désormais tenir compte des options révélées du Corps Quadripartite.

  • 7 eco : 4, GY 100. Lettre de Marley à Gridley, 20 décembre 1945.
  • 8 eco : 4, G Y 100, 6/12/45, op. cit.

9Face à cela, l’eco prend définitivement le parti des pays importateurs de charbon allemand et insiste sans succès pour que les décisions du Corps Quadripartite soient diffusées. Cette baisse soudaine des exportations reste malgré tout étonnante pour les pays qui en dépendent. C’est pourquoi J. C. Gridley met les choses au point auprès des responsables du North German Coal Control en déclarant que : « ... les allocations décevantes pour les exportations NE sont PAS la conséquence d’un échec ou d’une incompétence des autorités britanniques pour produire assez de charbon ou pour assurer un transport suffisant, mais SONT le résultat des décisions du Corps Quadripartite que les exportations ne peuvent pas bénéficier plus que les pourcentages établis par mois en ce qui concerne la disponibilité croissante continue et le transport.7 » Cette orientation heurte en effet considérablement les représentants des pays membres de l’eco, qui eux se basent sur les réparations de guerre qui leur sont dues, et qui expriment leur colère tant est si bien que : « le North German Coal Control et le (Mouvement et ?) doivent supporter le plus gros des critiques françaises et autres alors que, à mon avis (J. C. Gridley), la décision du Comité Quadripartite à Berlin a provoqué cette situation qui a favorisé ces critiques.8 »

  • 9 Jean Monnet, Mémoires, Paris, Fayard, 1976.
  • 10 JM : AMF 4/3/8. Lettre de Monnet à Clayton, 24 septembre 1945.
  • 11 JM : AMF 4/3/3. Lettre de Robert Badoin à Monnet, 6 septembre 1945.
  • 12 JM : AMF 4/3/6. Résumé d’une conversation entre Monnet et Clayton, 24 septembre 45. (John Mac Cloy(...)
  • 13 JM : AMF 4/3/17. Production de charbon dans la Ruhr et la Sarre, suite à la proposition de Monnet (...)
  • 14 JM : AMF 4/3/23. Mémorandum de Monnet sur « Conseils pour accroître la production de charbon », de (...)

10Ce mouvement de protestation est l’occasion pour Jean Monnet, alors représentant spécial à l’eco du Gouvernement provisoire de la France, de proposer aux Américains de confier à une seule personne la responsabilité de coordonner les directives relatives à la production de charbon allemand des trois zones. Jean Monnet, curieusement, ne mentionne pas dans ses Mémoires son passage à l’eco, ainsi que ce projet soumis aux américains9. Ceci est tout à fait nouveau. Ce projet répond en quelque sorte au Président de l’eco, puisqu’il considère que la baisse de la production charbonnière allemande survenue en septembre 1945 provient non pas de facteurs strictement matériels mais plutôt d’une absence de coordination des politiques des trois zones, qui fonctionnent indépendamment10. Le directeur des Mines de Charbon de la Sarre, Robert Baboin, confirme ce point de vue en déclarant que : « cette baisse est due aux nombreuses erreurs économiques dont sont responsables les Alliés en Allemagne, la première erreur étant l’établissement de zones comme des compartiments hermétiquement séparés.11 » Cette coordination permettrait, selon J. Monnet, de réaliser les directives de Truman qui semblent bien compromises depuis le début. Mais Mac Cloy rejette cette idée car, selon lui, la personne qui aurait cette charge de « dictateur de charbon ne constituerait pas une aide à la production, parce que la nomination d’un dictateur ayant autorité sur les Anglais n’arrangerait pas les choses.12 » Le Général Eisenhower critique de même : « le président de la Commission ayant le pouvoir de directive sur les Généraux Commandants de zones, se trouverait en réalité le véritable chef des trois zones. La question de la production, des transports, de la répartition du charbon contrôle tellement toute l’économie allemande que ce serait en réalité remettre au Directeur du charbon la direction même de toute la zone occupée de l’Ouest. Je préfère un Comité de représentants de la France, de la Grande-Bretagne, et des Etats-Unis sous l’autorité des Commandants de la zone.13 » Le Département de la Guerre affirme son indépendance en rejettant catégoriquement ce projet car il n’est absolument pas question de concéder un tant soit peu d’autorité en la matière à une personne qui superviserait les responsables militaires. Mais le Département d’Etat retient l’idée en la transformant en « un Comité d’experts pour la production de charbon, choisis parmi les plus compétents aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, et en France, chacun opérant en premier ressort sous l’autorité de leurs Commandants respectifs des trois zones.14 »

  • 15 JM : AMF 4/3/24. Note sur la production de charbon de Monnet au Général De Gaulle, 3 novembre 1945

11Finalement, le projet aboutit à la création d’un Comité tripartite pour la production de charbon propre à chaque zone qui se tiendra en décembre 1945. Le résultat est une sorte de compromis qui ne peut réellement résoudre le problème de la non-coordination des trois zones. Comme le signale J. Monnet à De Gaulle, « il est certain que cette solution n’est pas l’idéal. Elle présente cependant un progrès considérable par rapport à la situation actuelle car elle permet enfin d’instituer un Comité qui dégagera une vue et un plan d’ensemble sur les besoins relatifs à la production du charbon et sur les problèmes généraux de transports.15 »

12En septembre 1945, le montant global des exportations vers les pays libérés révèle clairement que les directives de Truman n’ont pas été réalisées. Il se chiffre exactement à 1 280 328 tonnes de charbon allemand, alors qu’il a été prévu un montant de 10 millions de tonnes à la fin de l’année 1945. Il est clair qu’on peut très difficilement exporter en deux mois les 9 millions de tonnes restantes vers les pays libérés lorsque la production elle-même ne dépasse pas les 6 millions de tonnes. Le bilan à la fin du mois de décembre 1945 révèle la faillite totale de cette politique des exportations : de juillet à décembre, les trois zones d’occupation (britannique, américaine et russe) ont produit 36 610 127 tonnes ; les stocks atteignent 5 677 253 tonnes sur le carreau des mines soit 15,5 % du total de la production ; les exportations sont de 4 256 299 tonnes, pour 11,6 % du total de la production.

  • 16 JM : AMF 4/3/55. Note sur les livraisons de charbon allemand, 15 mars 1946.

13Les directives de Truman en 1945 n’ont été réalisées qu’à moins de la moitié. Par déduction statistique, on s’aperçoit que la consommation intérieure de l’Allemagne a pu bénéficier d’un volume de 27 millions de tonnes, soit 72,9 % du total de la production pour les consommations civile, militaire, minière et des transports dans les zones occupées comme pour celles de l’Autriche (l’Autriche est inséparable de l’Allemagne pour la gestion des besoins intérieurs des zones d’occupation). Les secteurs de consommation qui bénéficient de la plus grande part de charbon sont, dans le détail : les entreprises sidérurgiques, électriques, thermiques, les transports, comme les Chemins de fer, et la consommation domestique. Mais en ces temps d’occupation, il faut ajouter la consommation militaire qui n’est pas moindre. Là-dessus, J. Monnet, émet quelques réserves car : « les quantités de charbon échappant aux exportations se sont trouvées accrues très rapidement, ce qui signifie, eu égard à la réduction considérable des effectifs alliés en Allemagne, un développement de la consommation de charbon en Allemagne... Il est clair que la production d’acier en Allemagne est surabondante pour assurer la satisfaction des besoins prioritaires déterminés par les directives de Truman, c’est-à-dire les besoins des armées, les besoins d’acier indispensables pour assurer la production des mines et pour assurer le maintien de la sécurité et de la santé des forces d’occupation.16 »

  • 17 eco : 67, AA 100, General information. Section des statistiques du charbon. Division économique, C (...)
  • 18 JM : AMF 4/3/100b. Livraisons de charbon dans les zones occupées de l’Allemagne de l’Ouest pour la (...)

14Pour répondre à cette affirmation, il est intéressant de se pencher sur les prévisions établies en septembre par le Control Commission for Germany pour le mois d’octobre 1945. Sur un total de 2 354 681 tonnes de charbon destinées à la consommation intérieure de l’Allemagne, la part militaire est de 756 691 tonnes, soit 32 % du total. Les besoins civils essentiels (terme assez vague qui doit regrouper les entreprises et les foyers domestiques) sont de 882 490 tonnes, soit 37 % du total17. Enfin, les transports (chemins de fer, ports, fleuves) absorbent 715 500 tonnes, soit 30,4 %. Il ne semble pas qu’un secteur de consommation ait été privilégié aux dépens des autres. Examinons aussi le registre du Combined Coal Committee qui tient à jour le montant des livraisons effectives pour ce mois-ci : les besoins civils ont reçu 52,5 % du total des chargements effectués en octobre 1945, et les besoins militaires 20,7 % du total. Finalement, la part civile a augmenté de 15,5 % par rapport aux prévisions, au détriment de la part militaire qui a baissé de 11,3 %18. Mais il faut aussi comprendre dans les besoins civils une production nécessaire au maintien des troupes et à l’équipement militaire.

Tableau n° 3. Consommations effectives de charbon allemand dans les trois zones occidentales de l’Allemagne (en tonnes)

Tableau n° 3. Consommations effectives de charbon allemand dans les trois zones occidentales de l’Allemagne (en tonnes)

Sources : Statistiques de l’eco et du Combined Coal Committee de Washington.

15Le tableau n° 3 confirme en effet que la consommation civile dépasse la consommation militaire et qu’elle est en augmentation constante, tout comme la consommation des transports. D’une manière générale, la consommation totale des trois zones a augmenté au cours de cette période de 9,1 % et les exportations de 0,5 %, ce qui montre singulièrement le véritable choix prioritaire suivi par les responsables militaires. Cependant, faut-il en conclure que la politique militaire a été plus modeste que prévue, parce qu’elle a été motivée par la volonté des Britanniques principalement de se décharger le plus rapidement possible des coûts d’occupation ?

16Pour compléter l’analyse de la production charbonnière allemande, il faudrait tenir compte du problème des transports, qui est réel, et de la déficience de la main-d’œuvre minière, autre sujet de préoccupation constante de 1945 à 1947. Mais ces deux facteurs ne suffisent pas à expliquer la faillite de la politique des exportations de charbon allemand. Dès septembre 1945, l’orientation politique des Alliés anglo-américains, malgré l’assurance réitérée des Américains de suivre les directives de Truman, privilégie la consommation intérieure de l’Allemagne. Les Alliés britanniques ne veulent pas subir la pression des exportations urgentes et préfèrent manœuvrer avec une marge suffisante qui leur permet de garantir un minimum à l’exportation et de rétablir un niveau de vie suffisant dans leur zone.

17Comment cela s’est-il traduit sur la répartition des envois de charbon allemand vers les pays libérés ? Le montant des allocations a diminué comme prévu en novembre-décembre 1945 pour la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, la France est le seul pays à avoir bénéficié d’une augmentation sensible du montant des allocations en charbon allemand de 53,4 % de septembre à décembre. Les représentants français ont-ils donc fait pression efficacement pour ne pas subir la réduction programmée ? Ou alors les considérations d’une stabilité politique dans ce pays ont-elles davantage préoccupé le Département d’Etat ? Dans la même lignée, le Danemark a aussi bénéficié d’une augmentation importante de ses allocations en charbon allemand, contrairement à la Norvège.

18Ainsi, la réflexion de J. C. Gridley en décembre 1945 est fondée, tout comme celle de J. Monnet, formulée à la même époque, mais ce dernier oublie la consommation considérable accordée aux transports. On s’aperçoit que l’eco est alors considérée comme l’antichambre des revendications des pays importateurs. Véritable rempart, l’organisation offre la possibilité aux responsables britanniques et américains de maîtriser leur propre politique en Allemagne qu’ils n’auraient sans doute pas pu réaliser si les pays libérés avaient négocié directement.

  • 19 N.A. : 840 6362/10-345. Télégramme du Département d’Etat à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 3 (...)
  • 20 JM : 840 6362/10-545. Lettre de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au State Department, 5 octobr (...)

19Le résultat de cette politique est l’entrée en jeu des Etats-Unis en tant que premier pays fournisseur de charbon sur le marché européen. Leur entrée sur le marché ne deviendra effective qu’en 1946. En 1945, les livraisons de charbon américain sont incertaines. Les Etats-Unis éprouvent beaucoup de difficultés à établir des prévisions dans les délais prévus par l’eco pour des raisons d’infrastructure intérieure. Il faut aussi signaler qu’à cette époque, les envois de charbon américain se dirigent surtout vers le Pacifique où se déroulent les derniers combats contre le Japon. Mais les Etats-Unis doivent aussi faire face à des grèves qui ont lieu dans leurs mines de charbon au cours du mois d’octobre. La Solid Fuels Administration for War du gouvernement américain décide alors de suspendre les livraisons vers tous les pays concernés19. Cette décision inquiète sérieusement Clayton qui estime qu’il y a risque à court terme de ne pouvoir maintenir les gouvernements stables en Europe si leurs économies subissent les contre coups de l’arrêt de ces livraisons de charbon américain20.

  • 21 JM : 840 6362/10-1845. Lettre de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au Département d’Etat, 18 oc (...)

20Au cours de l’année 1945, les livraisons de charbon américain sont essentiellement destinées à l’arsenal militaire stationné en Europe. Cette priorité est largement contestée par les gouvernements des pays concernés car elle mobilise le réseau des transports pour approvisionner exclusivement les militaires, de même qu’elle ne permet pas de combler le déficit de la demande civile en charbon allemand. Cependant, en octobre 1945, le Département d’Etat peut se féliciter que : « les pays libérés adoptent à présent une attitude satisfaisante et coopérative en ce qui concerne les besoins militaires et nous croyons qu’il serait peu judicieux de soulever cette question dans l’eco en ce moment.21 »

La relève des Etats-Unis : une source d’appoint ? (janvier-avril 1946)

21Les exportations de charbon américain sont envisagées comme un moyen de suppléer au déficit de l’offre en Europe de l’Ouest. Leur caractère d’appoint sera toutefois ambigu à l’image de la politique des Etats-Unis. En effet, les envisagent-ils à très court terme alors que le marché charbonnier ne semble pas présenter une amélioration avant un long terme, conformément à ses structures lourdes ? Ici, sera apporté un nouvel éclairage important en ce qui concerne l’entrée des Etats-Unis sur la scène européenne grâce à leur charbon au lendemain de la guerre. Cet aspect n’a été jusque là que peu étudié, tout comme l’état de l’industrie charbonnière américaine.

  • 22 eco : 18, US 100-usa, General information. Rapport d’une réunion avec Fortas (Sous-secrétaire du D (...)

22Au début du mois de janvier 1946, les Etats-Unis dressent auprès des représentants des pays membres de l’eco le bilan de la situation des mines de charbon américaines pour justifier la faiblesse de leurs exportations en 1945. Ils doivent faire face eux-mêmes à une petite pénurie de quantité ou d’un certain type de qualité de charbon normalement transformé par l’industrie, qui se répercute sur les consommations domestiques, ce qui signifie implicitement que la sidérurgie est aussi en grève. De même, la main-d’œuvre minière est insuffisante car : « il y a une réticence parmi les anciens mineurs démobilisés ou libérés des industries directement au service de la guerre, à retourner aux mines.22 »

23L’industrie charbonnière des Etats-Unis est en butte à une difficile reconversion de la production de guerre à une production civile. Elle est d’autant plus difficile que le pétrole occupe désormais la première place dans l’approvisionnement énergétique de l’économie américaine. La menace de grève toujours pendante traduit cette mutation de source d’énergie douloureuse socialement, et qui contribue à offrir un excédent de charbon sur le marché. Or le marché européen déficitaire représente là une voie de secours précieuse. Les pays qui bénéficient d’un traitement de faveur en recevant une très grande part de charbon américain, comme l’Italie, la France, la Suède, le Danemark, etc., au nom de la stabilité politique, sont eux-mêmes des pays traditionnellement fort dépendants des importations de charbon.

  • 23 eco : 18, US 100-USA. Lettre de Jeffers (Représentant américain de la Mission of Economics Affairs (...)

24En tenant compte des moyens d’achat mis en place pour acheter le charbon américain, l’industrie minière est largement subventionnée par le gouvernement américain. Jusqu’à présent, deux systèmes de paiement de charbon américain coexistent depuis 1945 : le prêt-bail et le programme de la Trésorerie, qui tous deux doivent prendre fin après le 30 juin 1946. En plus de l’achat à crédit du charbon américain, la Trésorerie a mis au point une méthode de subvention directe des exportations de charbon. Elle achète le charbon américain pour la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Norvège et le Danemark, et les pays qui sont représentés par l’unrra23. Les exportateurs et producteurs américains bénéficient directement de cette procédure d’achat. Tous les autres pays, c’est-à-dire principalement les pays dits neutres, sont soumis aux procédures commerciales classiques. Malgré la situation difficile de l’industrie charbonnière américaine, le mois de janvier enregistre un record des livraisons effectuées partout dans le monde, dont 1 235 000 tonnes vers les pays libérés.

25Le Coal Operating Committee, dépendant du Département d’Etat, remplace en 1946 le Combined Coal Committee et définit lui-même le montant des allocations en charbon américain. Les Etats-Unis ont un réseau d’exportations à peu près identique à celui de l’Allemagne. La gestion du programme d’exportations vers les pays libérés de l’Europe est prise en charge par le Solid Fuels Administration for War, dirigé par Harold Ickes.

26Toujours d’après le graphique n° 5, une deuxième phase du marché charbonnier allemand s’esquisse de janvier à avril 1946, qui enregistre une hausse record de la production en janvier à plus de 9 millions de tonnes pour ensuite diminuer considérablement jusqu’en avril, de l’ordre de 27,6 % par rapport au mois de janvier. Les exportations deviennent extrêmement irrégulières, avec une pointe en janvier (de 29 % par rapport au mois dernier), et une baisse record deux mois plus tard (de 33 % par rapport à janvier). Doit-on à nouveau considérer le problème de la productivité comme principal facteur de la baisse de la production, alors qu’au dernier trimestre 1945, il a été démontré que la stagnation de la production était surtout liée à des politiques implicites de la Grande-Bretagne ?

  • 24 Werner Abelshauser, Der Ruhr Kohlenbergbau seit 1945, Munich, 1984.
  • 25 Mark Roseman, « The uncontrolled economy : Ruhr coal production, 1945-1948 », in Reconstruction in (...)

27Cette période est décisive pour l’avenir de la politique charbonnière allemande. En mars 1946, la Grande-Bretagne décide de réduire drastiquement les rations alimentaires des mineurs allemands dans sa zone d’occupation. Cette mesure a particulièrement affecté le rendement journalier : par exemple, du 3 au 9 mars 1946, la production de la Ruhr a chuté de 10 % par rapport à la semaine précédente. Comme l’explique W. Abelshauser, la vétusté du matériel minier et l’épuisement physique des mineurs jouent un grand rôle dans la baisse de la productivité24. De même, M. Roseman argumente sur le problème de la disponibilité et de la rentabilité de la main-d’œuvre minière, lié aux réticences de l’équipe dirigeante allemande de l’industrie charbonnière25. A l’heure où la pénurie alimentaire est réellement préoccupante, et dans la mesure où les mineurs doivent bénéficier d’une alimentation suffisante en calories afin de maintenir un rendement correct, réduire les rations alimentaires est une décision extrêmement grave par ses répercussions psychologiques et physiques sur le travail des mineurs.

Tableau n° 4. Production, exportations, stocks et consommation nationale apparente du charbon allemand dans la zone britannique (en tonnes)

Tableau n° 4. Production, exportations, stocks et consommation nationale apparente du charbon allemand dans la zone britannique (en tonnes)

Source : Statistiques de l’eco.

28On s’aperçoit d’après ce tableau que le mois de mars, mois des coupes dans les rations alimentaires, prend une autre signification. On a en effet beaucoup discuté de la chute catastrophique de la production qui en a résulté, sans s’apercevoir de son lien avec les chutes des exportations, des stocks, et de leur incidence sur la consommation. Pour une baisse de la production en février de 14 % par rapport en janvier, on enregistre une baisse des exportations de 19,3 %, et du niveau des stocks de 16,4 %. Pour le mois de mars, la production baisse de 4 %, avec une diminution des exportations de 16,4 % et des stocks de 18,8 %. Il est clair qu’un grignotage important des stocks s’effectue pour assurer la consommation intérieure allemande, mais qui se révèlera être dangereux car on va vers un non-renouvellement des stocks au cours des mois suivants. De juillet à décembre 1946, les stocks atteindront leur plus bas niveau alors que la production sera en hausse constante.

29L’étude statistique permet de mettre à jour une stratégie britannique fort délicate psychologiquement mais fort habile diplomatiquement. On comprend désormais que la politique de redressement économique de sa zone d’occupation a été compromise en janvier 1946 par la hausse record des exportations de 29 % par rapport en décembre, supérieure à la hausse de la production de 22,2 %. Les stocks ont heureusement comblé la différence avec une ponction de l’ordre de 15,7 % afin d’assurer et les exportations et la consommation allemande. Puis, la chute de la production en février à cause du problème manifeste de recrutement de la main-d’œuvre risque de compromettre à plus long terme l’augmentation de l’activité industrielle de l’Allemagne. On a de nouveau recours aux stocks, et les exportations sont réduites. Ceci se traduit d’une manière proportionnelle à la chute de la production de ce mois-ci, ce qui correspond à une logique d’une politique de prévention. C’est pourquoi on débouche sur mars qui rectifie l’erreur de janvier en réduisant drastiquement le niveau des exportations.

30Ici, on peut rectifier l’argumentation de M. Roseman, car il déclare en effet que la production a retrouvé le niveau de février seulement en octobre 1946, alors qu’en réalité elle retrouve ce niveau dès juin 1946 en le dépassant. De même, les conséquences de la restriction alimentaire se font surtout sentir au mois d’avril 1946 : la production chute de 6,9 % par rapport à mars. Le mois d’avril traduit ce choc conformément aux fluctuations typiques de l’industrie charbonnière, selon lesquelles tout événement se répercute encore dans les mois suivants à cause de la structure lourde de cette industrie.

  • 26 N.A. : 840 6362/2-646. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au Secrétaire d’Etat, 7 (...)

31Les Britanniques ont utilisé cette « arme alimentaire » pour se dégager de la pression exercée par les pays importateurs, probablement la France en tête, qui veulent une augmentation des exportations. Un mois auparavant, l’ambassadeur américain à Londres avait signalé cette tension dangereuse provoquée par le mois record de janvier, en décrivant ces pays : « très jaloux en ce qui concerne la distribution allemande et réclamant tous une augmentation du pourcentage de charbon allemand avec pour but d’obtenir le maximum quand les disponibilités en charbon allemand croissent.26 »

  • 27 Werner Abelshausere, Der Ruhr..., op. cit.
  • 28 JM : AMF 4/3/54. Télégramme de Massigli (ambassadeur de la France à Londres jusqu’en 1955) à Monne (...)

32Mais qu’en est-il du principe même des exportations qui consiste à obtenir le maximum de devises pour financer les importations, de nourriture par exemple ? Les prix du charbon allemand sont fixés autoritairement par les Alliés, pour la zone britannique par le North German Coal Control en-dessous du cours mondial des prix du charbon. Le bénéfice tiré de ces exportations semblerait ainsi confisqué d’avance et ne permettrait pas d’envisager une politique d’importations de grande envergure, comme l’a signalé W. Abelshauser27. La Grande-Bretagne choisit dès lors de se concentrer sur l’économie allemande puisque les exportations ne permettent pas d’un côté d’obtenir suffisamment de devises pour les importations, ni de l’autre de reconstruire l’industrie allemande dans son ensemble à cause de la prééminence accordée à l’industrie minière. J. Monnet avait noté cette évolution pour en avoir fait part à Massigli : « Votre télégramme précité marquait le rapport existant à votre avis entre le volume de charbon allemand disponible pour l’exportation et le niveau de la production industrielle à conserver en Allemagne.28 »

33L’insuffisance des ressources en devises alourdit les finances de la Grande-Bretagne, qui refuse de supporter davantage le poids financier de l’occupation. C’est pourquoi les vues française et anglaise ne peuvent s’accorder car les intérêts sont trop opposés, comme l’explique Massigli à son tour à Jean Monnet : « La divergence entre les deux conceptions est que nous estimons que ce niveau de production devrait être déterminé en fonction de nos conceptions d’avenir sur la sécurité européenne tandis que les Britanniques accordent toute leur attention à une considération immédiate, à savoir ne pas augmenter les charges financières de la Grande-Bretagne. » La question du niveau des exportations doit être aussi replacée dans son contexte, c’est-à-dire en tenant compte de son impact psychologique sur les pays allocataires.

34Seul son statut de puissance a permis à la Grande-Bretagne de prendre possession de la deuxième source d’approvisionnement en Europe de l’Ouest, le bassin houiller de la Ruhr. Indirectement, elle maintient son rang d’exportateur sur le marché charbonnier puisqu’elle a retiré son charbon anglais depuis l’été 1945. Les Britanniques opèrent aux postes-clés des agences de distribution de charbon allemand, comme la section du charbon dépendant du Conseil de Contrôle Allié. Par conséquent, ils possèdent un redoutable pouvoir de pression sur l’avenir de la politique charbonnière de l’Allemagne. Or ce rôle est extrêmement contesté par la France, qui ne cesse de critiquer la politique britannique dans la Ruhr. La France revendique toujours l’application des directives de Truman. Cette attitude n’a fait qu’exaspérer les responsables britanniques qui refusent dès lors tout compromis sur la politique des exportations. Dans ce contexte, Massigli conclut : « dans ces conditions, j’estime qu’il y a peu d’espoir d’obtenir une augmentation substantielle des livraisons de charbon allemand, si ce n’est comme conséquence de négociation générale au cours de laquelle seront examinés à la fois le problème politique de la Ruhr et de la Rhénanie et le problème économique allemand dans son ensemble. »

  • 29 N.A. : 840.6362/1-1746. Télégramme d’Acheson à Washington à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, (...)
  • 30 Ibid.
  • 31 Ν.Α. : 840.6362/3-746. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au Secrétaire d’Etat, 7 (...)
  • 32 N.A. : 840 6362/3-1346. Télégramme de Byrnes à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 13 mars 1946 (...)

35Concrètement, quelles sont les incidences de cette arme alimentaire sur les exportations ? La France, les Pays-Bas et le Danemark ont subi la chute spectaculaire des livraisons en charbon allemand (la France est le pays le plus durement touché). Quant à la Belgique, le Luxembourg, la Norvège et l’Autriche, ils bénéficient d’augmentations substantielles, les uns en mars, en pleine période de crise de rendement, les autres en avril. Pourquoi une telle mesure sélective ? La répartition des tonnages disponibles en charbon allemand et américain relève de la logique de possession ou non d’une production nationale, comme le définit le Département d’Etat : « Les coupes dans les importations pèsent plus lourdement sur un pays qui en dépend largement que sur un pays qui possède une production indigène.29 » On comprend mieux ainsi la répartition des coupes précédemment présentée, mais les cas du Danemark et de la Belgique se révèlent avoir été traités différemment. Pays non producteur, le Danemark a compensé la perte en charbon allemand par une augmentation des livraisons en charbon américain au cours de ces mois. Quant à la Belgique, pays producteur, elle a reçu un supplément de charbon américain comme de charbon allemand. Ce traitement de faveur correspond à la nécessité de produire de l’acier, élément indispensable pour l’ensemble de la reconstruction européenne. En outre, le Département d’Etat signale que : « les coupes dans les livraisons américaines pèsent plus lourdement sur un pays qui reçoit des allocations en plus grande partie constituées en charbon américain.30 » Cela concerne principalement les pays neutres ou associés auxquels les Etats-Unis portent toujours une extrême attention. L’Italie figure aussi au rang des priorités absolues car elle dépend très largement des approvisionnements en charbon américain. D’autant plus que jusqu’à présent, « à cause de la mauvaise qualité du charbon reçu des Etats-Unis depuis juillet, il a été impossible de restaurer l’industrie de charbon et d’acier.31 » Le Département d’Etat considère l’économie italienne comme un facteur important dans l’équilibre de la reconstruction de l’ensemble de l’économie européenne. Ce point de vue s’insère dans une stratégie d’ensemble qui consiste à considérer l’interdépendance économique des pays européens comme fondamentale et pour cela, les besoins en charbon de tout un chacun doivent être considérés sans exclusion, c’est-à-dire aussi bien pour la Finlande que l’Autriche, la Yougoslavie, le Portugal, la Suisse. Mais ces considérations heurtent l’eco qui refuse de considérer les demandes des pays associés au même titre que celles des pays membres à part entière, qui sont en général les pays anciennement occupés par l’Allemagne. Les représentants américains à l’eco n’auront alors de cesse de combattre ce point de vue afin de généraliser leur conception d’un traitement global à l’échelle européenne32.

  • 33 N.A. : 840 6362/3-2946. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au Secrétaire d’Etat, 2 (...)
  • 34 N.A. : 840 6362/3-2246. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 22 mars 1946.

36Cette susceptibilité représente un lourd obstacle qui pousse le représentant américain à l’eco, Gallman, à réclamer la suppression urgente de la distinction entre pays membres à part entière et pays associés. Il réclame aussi une nouvelle définition du rôle des pays fournisseurs, qui devrait : « utiliser leur influence afin d’assurer une répartition équitable. En particulier, ceci concerne les représentants américains pour déterminer les recommandations pour les allocations en charbon américain et en charbon allemand sur lesquelles nous avons une responsabilité en tant que force occupante.33 » Pour cela, il recherche le soutien des Britanniques, mais opte sur ordre du gouvernement américain pour une attitude plus conciliante. Il doit alors faire face à la colère des pays membres à part entière, comme la France par exemple, qui ne cachent pas leur amertume. Le représentant américain s’interroge alors sur l’utilité de cet organisme bien peu « obéissant », et pense que : « l’utilité de l’eco doit être jugée non pas sur le fait qu’on a manifesté les intérêts nationaux mais sur le fait que ces intérêts peuvent être réconciliés avec des accords.34 » Ceci illustre à merveille le travail sur le terrain qu’ont effectué les Etats-Unis après-guerre afin de réaliser un ensemble européen économiquement et politiquement homogène. Il faut remarquer aussi que le « monde libre » comprend encore en 1946 la Finlande. La politique américaine d’intégration européenne trouve assurément ses origines à cette époque, grâce à l’eco.

  • 35 N.A. : 840 6362/3-2046. Télégramme de Murphy Robert (Conseiller politique de Clay en Allemagne de (...)
  • 36 eco : 4, GY 100. Lettre de Griffith à Sir Percy Mills (Représentant britannique à la Sous-commissi (...)

37Cette chute de la productivité du premier trimestre remet en cause les prévisions des allocations de l’eco pour le second. Alors qu’elles sont prévues à 1 100 000 tonnes pour le mois d’avril, elles ne sont plus que 900 000 tonnes. Les Britanniques, les Soviétiques et les Américains approuvent cette révision à la baisse des allocations au grand dam des Français qui mènent alors une offensive. Ces derniers estiment que : « l’allocation du deuxième trimestre attribuée aux zones doit être réduite au niveau de février-mars et la différence transférée à l’exportation.35 » Suggérer de réduire les allocations destinées aux zones en période de crise de sous-production afin de garder un niveau convenable pour les exportations sera un leitmotiv soutenu par l’eco. En effet, son Président soutient fermement ce point de vue auprès du Control Commission for Germany : « je pense que je dois bientôt proposer un plan au Comité du charbon pour prendre des mesures d’urgence en ce qui concerne les allocations en charbon à l’eco des mois de mai et juin, comme une mesure concernant des coupes temporaires des allocations en charbon pour l’Allemagne et l’Autriche.36 » Cet argument ne peut que heurter les Britanniques, puisque cela supposerait un ralentissement du redressement de la capacité industrielle de l’Allemagne et donc reporterait à un avenir plus lointain leur désengagement financier dans leur zone. Ce problème de la proportionnalité des exportations à la hausse de la production restera permanent tout au long des activités de l’eco. Ce n’est qu’en juillet 1947 que ce principe sera reconnu par les accords de Moscou.

  • 37 eco : 4, GY 100. Lettre de Griffith à Sir Percy Mills, 30 avril 1946.
  • 38 Ibid.

38L’eco prend une deuxième fois position pour les pays libérés, et va se démarquer de plus en plus de la politique anglo-américaine. Finalement, elle admet le point de vue britannique, tout en maintenant le principe qu’en période de crise conjoncturelle les pays importateurs ne doivent pas subir les contre coups. Les pays importateurs-membres réagissent contre ce changement d’orientation qui ne manque pas de jeter un certain discrédit sur les Britanniques eux-mêmes : « Mon (E. Griffith) souhait et conseil (en tant que président et sujet britannique) est que vous m’envoyez si possible un télégramme mentionnant, à la lumière des critiques des représentations faites par les pays de l’eco, qu’il a été décidé etc, etc... Par ailleurs, il faudra un long moment pour restaurer le prestige britannique parmi les pays qui, depuis quelque temps, sont mécontents et méfiants du Contrôle britannique en Allemagne.37 » La position de l’eco devient délicate puisqu’elle prend partie pour les pays importateurs et qu’en même temps elle doit contenir leurs revendications face aux pays exportateurs. Le dirigeant ne peut s’empêcher alors d’exprimer cette réflexion amère : « Jusqu’à maintenant, je peux soutenir avoir eu les pays de l’eco plus ou moins sous contrôle - pour le grand bénéfice, je crois, des pays fournisseurs.38 » Entre temps, les accords officiels du 26 mars 1946 dans le cadre du Protocole de Berlin fixent le niveau de l’économie allemande à 55 % de 1938.

  • 39 eco : 840 6362/2-2846. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 28 février 1946.

39La menace de grève qui plane dans les mines américaines le mois suivant, c’est-à-dire en avril, accentue davantage les priorités accordées implicitement à certains pays par les Etats-Unis. Ainsi, la Suède et la Finlande bénéficient d’augmentations substantielles pour le deuxième trimestre, c’est-à-dire pour avril et mai, mois annoncés comme difficiles pour assurer les livraisons américaines, ainsi que le Portugal et la Suisse. Le programme d’acheminement par bateau est avancé pour l’Italie, le Danemark, la Grèce, qui ont en commun de ne pas posséder de production nationale, et d’être largement dépendants de ces allocations. Les représentants américains à l’eco ont l’habileté de ne pas encore signaler les coupes probables des allocations de charbon américain. Ils tiennent à ne pas compromettre la hausse de la part attribuée aux neutres, d’autant plus que la disponibilité en charbon allemand est déjà un sujet délicat39.

  • 40 eco : 4, GY 100, 30 avril 1946, op. cit.

40C’est ce contexte-là qui justifie la position polémique de la France et de l’eco. La situation est réellement tendue pour les pays importateurs qui doivent faire face à une diminution importante des livraisons en charbon allemand et à l’éventualité de recevoir beaucoup moins de charbon américain que prévu. Réclamer une baisse des allocations en charbon aux zones occupées allemande et autrichienne répond à cette conjoncture plutôt explosive. L’eco insiste pour voir se concrétiser une décision en ce sens, comme le déclare le Président : « ... j’ai précisé clairement que, dans le cas d’une grève sérieuse dans les mines de charbon américaines, la position des pays européens qui obtiennent la moitié de leurs approvisionnements des Etats-Unis deviendra si critique que, à mon avis, une décision d’importance serait nécessaire à présent pour diminuer la consommation en charbon de l’Allemagne pendant une période limitée. Pendant ce temps-là, le charbon allemand pourrait être disponible pour épauler l’Europe jusqu’au moment où le pire de la crise est passé.40 »

  • 41 JM : AMF 4/3/88a. Rapport du Quai d’Orsay sur la Conférence d’Essen les 12-14 avril 1946, 15 avril (...)
  • 42 N.A. : 840 6362/4-1546. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 15 avril 1946.

41Les vues française et britannique semblent désormais inconciliables après une conférence tenue à Essen du 12 au 14 avril 1946 entre les deux protagonistes. Cette rencontre devait leur permettre : « l’examen en commun de la situation de la production charbonnière de la Ruhr et la répartition du charbon allemand entre les zones d’occupation occidentales et les exportations.41 » Les Britanniques s’opposent à toute modification de leur ligne de conduite dans leur zone, et signalent que : « Si on ne maintient pas, ni même n’augmente pas les allocations à l’Allemagne, il ne faut pas compter sur une augmentation future de la production de charbon dans la Ruhr. Si on baisse la part de charbon faite à l’Allemagne, celle-ci sera obligée pour vivre d’importer des quantités plus larges de nourriture, que le contribuable britannique serait amené à payer. Or la Grande-Bretagne ne veut pas payer de réparations à l’Allemagne. » Ce à quoi les Français répliquent : « il faut que l’Allemagne importe en payant avec des dollars, qui serait la seule solution pour soulager les charges qui seraient imposées au Trésor britannique par le ravitaillement de l’Allemagne. » Mais il semble que cette solution n’ait pas été retenue. Le divorce entre les deux pays est total. Les Britanniques expriment désormais leur volonté de ne plus tenir compte du niveau des exportations en dépit des accords conclus, en décourageant à l’avance toute prétention à les accroître par divers moyens : « A moins qu’il n’y ait une amélioration significative dans les rations alimentaires allemandes, les exportations auront toujours moins de charbon disponible. Si maintenant l’accent est trop mis sur les exportations en charbon, il est probable qu’au lieu d’améliorer la situation, nous pourrions nous trouver nous-mêmes pour un temps délimité dans l’impossibilité de maintenir le niveau actuel de la production.42 »

  • 43 Ibid.

42En avril 1946, le Corps Quadripartite traduit en son sein l’impasse illustrant l’antagonisme des objectifs entre la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Face à l’obstruction des Français par le moyen du vote et face à l’intransigeance des Britanniques sur les exportations, les Américains sont amenés à négocier un compromis souhaité par les Français après l’échec de la conférence d’Essen et avant même l’expiration des directives de Truman après le 1er avril 1946. La question se pose toutefois quant à l’utilité d’une nouvelle directive, qui aurait l’avantage de résoudre les difficultés présentes, comme le souhaite Gallman : « Si d’autres directives devaient être élaborées, nous espérons que tout sera fait pour que la priorité de maximiser la production en charbon et les exportations soit clairement donnée sur le démantèlement du capital industriel dans le cadre des réparations.43 »

  • 44 N.A. : 840 6362/4-2046. Télégramme du Département d’Etat à Berlin, 20 avril 1946.
  • 45 N.A. : 840 6362/4-2846. Télégramme de Murphy au Secrétaire d’Etat, 28 avril 1946.

43Quelques jours plus tard, le Département d’Etat propose une nouvelle directive charbonnière, qui peut se résumer de la manière suivante : « La politique américaine sur le charbon allemand doit être un compromis entre (1) la politique de relèvement économique de l’Allemagne aussi rapide que possible au niveau des décisions prises pour l’année 1949 et, de cette façon, vers un soulagement des divers fardeaux et risques que représente l’occupation et (2) la politique de consolidation des nations non-allemandes de l’Europe par le moyen des indemnités des réparations, des prêts américains et de l’aide allemande comme les exportations en charbon. Il est clair que ces deux types d’objectifs ont besoin d’être associés à la production charbonnière allemande qui dépend des approvisionnements des autres industries, au soin d’éviter les troubles et à un apport d’une nourriture adaptée aux mineurs de charbon ; tout ce qui a représenté une priorité depuis le début.44 », Le Général Clay, alors Commandant en chef de la zone américaine en Allemagne, est sollicité pour donner son avis sur la question. Le moment est alors choisi pour rappeler au Département d’Etat l’erreur de n’avoir pas suivi auparavant les conseils des militaires sur la politique à mener en Allemagne au moment de la mise au point des directives de Truman. Comme le déclare aussi Murphy, « je crois qu’on avait déjà souligné que le gouvernement militaire n’avait pas été consulté sur la directive en question avant que le Président n’appose sa signature.45 »

44Cette nouvelle orientation américaine se rapproche sensiblement de la position des Britanniques. Les Etats-Unis n’ont eu jusqu’à présent que peu de contrôle sur le charbon allemand, puisqu’il relevait principalement de l’autorité britannique. Ils sont jusqu’à présent surtout intervenus sur les grandes lignes politiques du marché charbonnier allemand exprimées par le rapport Potter/Hyndley, les directives de Truman. De même, ils se sont plutôt préoccupés de la distribution des charbons allemand et américain, conformément à leur ligne de restauration de la stabilité économique pour atteindre la stabilité politique. Les Britanniques, de leur côté, ont été les véritables tenants de la production charbonnière, et sont donc responsables du succès de toute directive américaine.

  • 46 N.A. : 840 6362/4-1846. Télégramme de Byrnes à l’ambasssade américaine de Londres, 18 avril 1946.
  • 47 N.A. : 840 6362/2046, op. cit.
  • 48 N.A. : 840 6362/4-346. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au Secrétaire d’Etat, 3 (...)
  • 49 N.A. : 840 6362/4-2446. Télégramme d’Acheson à certains diplomates américains et bureaux consulair (...)

45Parallèlement à la mise au point d’une clarification politique sur la production charbonnière allemande, le Département d’Etat doit gérer les conséquences de la grève dans les mines américaines. C’est pourquoi l’Italie constitue une priorité absolue, afin d’éviter que : « Une Italie paupérisée et chaotique (ne) gêne sérieusement la reconstruction économique européenne.46 » L’objectif est de parvenir à augmenter les livraisons de charbon américain, d’autant plus que l’enjeu politique très proche rend urgente la mise en pratique de la stabilisation politique : « A cause de l’approche des élections de juin et de leur signification politique, il est souhaitable que tout soit fait pour soutenir l’emploi dans l’industrie où une augmentation des allocations est essentielle pour compenser les coupes dans les livraisons américaines.47 » La même stratégie s’applique à la France, où des élections vont aussi avoir lieu, et où tout doit être mis en œuvre pour réduire le déficit en charbon américain, car : « l’industrie française est complètement dépendante des importations en charbon, principalement des Etats-Unis, et un échec dans ces livraisons aurait un impact politique influençant les élections à venir.48 » Finalement, les conséquences de la grève ont pu dans l’ensemble être minimisées. En effet, les Etats-Unis ont livré sans trop de difficultés le charbon prévu car les tonnages demandés ont été prélevés sur les stocks des mines et du matériel roulant, et rien n’a été détourné de la demande intérieure. Mais le risque persiste toujours de voir cette grève durer plus longtemps que prévu et d’aboutir à une paralysie complète des transports par bateaux49.

46Pour conclure l’étude de ce trimestre, qui voit l’expiration des directives de Truman, le bilan des exportations est nécessaire. De janvier à avril 1946, l’Allemagne a exporté 4 400 000 tonnes sur les 15 millions de tonnes prévues par Truman. On aboutit à un total de juillet 1945 à avril 1946 de 8 700 000 tonnes, soit une réalisation de 34,7 % des prévisions de Truman. Il faut relativiser l’échec de cette directive en fonction de l’échec de la maximisation de la production charbonnière elle-même, et aussi en tenant compte de la latitude implicite donnée par le Département d’Etat aux militaires pour sa réalisation après Potsdam. Les Britanniques, détenant le contrôle de la plus grande partie du bassin houiller de l’Allemagne, ont mené une politique qui refusait de considérer les exportations comme prioritaires.

Tableau n° 5. Total des importations en charbons allemand et américain de janvier à avril 1946 (en tonnes)

Tableau n° 5. Total des importations en charbons allemand et américain de janvier à avril 1946 (en tonnes)

Source : Statistiques de l’eco.

47En avril 1946, la part du charbon allemand et la part du charbon américain dans les allocations attribuées aux pays concernés commencent à devenir identique, contrairement au trimestre précédent (tableau n° 5).

48Le charbon allemand glisse progressivement du rôle vital à un rôle d’appoint, alors que le charbon américain évolue dans le sens inverse. Existerait-il une relation de cause à effet entre l’orientation politique des Alliés vers le rétablissement économique de l’Allemagne occupée, à l’aide de son propre charbon, et un accroissement soudain des livraisons américaines aux pays libérés ? Mais la difficulté de restaurer une structure charbonnière amène à une participation croissante une troisième source d’approvisionnement : la Pologne.

Le retour de la Pologne : un danger ? (mai-décembre 1946)

49Le déficit de l’offre en charbon persiste plus que jamais en Europe au printemps 46. La régularité des exportations américaines est en effet menacée par les grèves incessantes dans les mines. Simultanément, le changement d’orientation de l’utilisation du charbon allemand se traduit par une réduction des exportations vers les pays concernés. Cette situation risque de contrarier à plus long terme les plans de reconstruction en retardant le relèvement économique de l’Europe de l’Ouest. Quels seront les moyens mis en œuvre pour réduire la pénurie en charbon sur le marché européen ?

  • 50 N.A. : 840 6362/5-946. Télégramme de Harriman (Industriel et financier, Conseiller du président Ro (...)

50L’étude du marché charbonnier après-guerre permet de révéler le rôle, jusqu’ici peu étudié, de la Pologne dans le concert européen. La Pologne se voit ainsi sollicitée en ces temps de désordre du marché des échanges d’une manière plus insistante par les Etats-Unis, qui se posent désormais comme le véritable chef d’orchestre du marché charbonnier. Dès le début du mois de mai, le proche conseiller du Secrétaire au Commerce des Etats-Unis, Harriman, a la charge de se renseigner si : « la Pologne peut faire en sorte qu’elle puisse exporter du charbon supplémentaire afin de résoudre la situation d’urgence provoquée par les grèves américaines et par la réduction de la production allemande.50 »

  • 51 N.A. : 840 6362/5-746. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Paris au Secrétaire d’Etat, 7 ma (...)
  • 52 eco : 4, IT 100-General information. Lettre de G. O. Hosking (Chef de la Division I de l’approvisi (...)
  • 53 N.A. : 840 6362/5-2646. Télégramme de Murphy au Secrétaire d’Etat, 29 mai 1946.
  • 54 N.A. : 840 6362/4-2846. Télégramme de Byrnes à Berlin, 23 mai 1946.
  • 55 eco : 16, PD 100. Message du Président de l’eco au Ministre Mine, transmis à l’ambassade de la Gra (...)

51La situation des sources d’approvisionnement américaine et allemande au mois de mai 1946 amène le Département d’Etat à faire certaines concessions. Par exemple, il exprime sa volonté d’éviter les conséquences politiques des grèves en France en accordant toute satisfaction aux demandes expresses de supplément de charbon formulées par la France, malgré l’opposition de Clay51. Cette concession est à mettre sur le même plan que la démarche de Blum à Washington en mars 1946. De même, le Département d’Etat accorde enfin toute satisfaction aux représentants de l’unrra en Italie sur la possibilité que cette dernière soit approvisionnée en charbon allemand. Ces derniers signalaient depuis le mois de mars le danger de la mauvaise qualité du charbon américain livré qui hypothéquait le redémarrage de la sidérurgie : « Le résultat est qu’il est impossible de restaurer les industries de charbon et d’acier qui sont essentielles à la reconstruction économique de l’Italie et que la difficulté de produire des stocks exigés tels que les wagons ne doit pas être indéfiniment prolongé.52 » L’approvisionnement en charbon allemand sera maintenu par la suite en Italie et ira même en croissant. Les Etats-Unis se plient aussi à la volonté britannique de programmer la réduction des exportations quand le Coal Committee fixe le niveau de la consommation en charbon en Allemagne à 3 millions de tonnes par mois53. Dans ce contexte, un approvisionnement plus important en charbon polonais permettra d’augmenter la disponibilité en charbon en Europe et aussi de rétablir plus sûrement le réseau d’échanges d’avant-guerre, comme le souhaitent les Etats-Unis. La Scandinavie sera la première à bénéficier de ce supplément puisqu’elle constitue le débouché traditionnel de la Pologne54. Face à cette priorité, l’eco plaide pour que le charbon polonais joue aussi le rôle de substitut en Allemagne de l’Ouest et en Autriche afin d’augmenter la disponibilité en charbon allemand pour les pays libérés55. Malgré l’approbation théorique de Byrnes, il ne semble pas, au vu des sources, que cette position adoptée par l’eco depuis mars 1946 ait été suivie d’effet. On verra plus loin que le charbon polonais a effectivement remplacé le charbon allemand mais non dans le sens souhaité par l’eco.

  • 56 eco : 16, PD 100, 13 février 1946, op. cit.

52Etant membre à part entière de l’eco, la Pologne négocie l’augmentation des exportations avec les Etats-Unis dans le strict cadre de l’organisme, qui se voit confier le rôle de coordinateur entre les deux pays exportateurs. La Pologne, favorisée par les Etats-Unis, bénéficie d’une situation exceptionnelle au sein de l’eco. Les clauses de l’admission de la Pologne dans l’eco en février 1946 lui donnent la possibilité d’exporter son charbon dans le cadre des accords commerciaux bilatéraux et de ne pas être soumise à une uniformisation du prix sur tous les marchés56.

  • 57 eco : 16, PD 100. Rapport sur la production charbonnière polonaise de Gueronik Sacha (Représentant (...)

53La situation de l’industrie charbonnière polonaise peut-elle répondre à cette urgence ? La production dans les mines de charbon polonaises à la fin de 1945 atteint 52 % de la production d’avant-guerre, soit 36 millions de tonnes. Pour répondre à l’urgence de la situation, le gouvernement polonais planifie une augmentation de la production, pour qu’elle atteigne 45 à 50 millions de tonnes par an, dans le but d’accroître les livraisons vers l’Europe de l’Ouest. Toutefois, la plus grande part des tonnages destinés à l’exportation est réservée à l’urss, soit 12 millions de tonnes ; le reste (5 à 10 millions de tonnes) ira à l’Europe de l’Ouest, principalement vers les pays Scandinaves57. Le succès de ces exportations vers l’Ouest dépend grandement du goulot d’étranglement que représentent les transports.

54Le charbon polonais est distribué dans un cadre bien précis, qui constitue le deuxième volet du travail de l’eco : les accords bilatéraux. Le système commercial bilatéral s’avère être un grand succès de l’époque. En ces temps de pénurie de dollars et de graves problèmes d’inflation, le bilatéralisme permet de ne pas alourdir davantage les balances commerciales et de réserver les dollars pour l’achat des charbons américain et allemand. Il n’oblige pas à recourir à une monnaie internationale puisque dans la plupart des cas le troc remplace les liquidités. Il est en effet moins coûteux pour les pays importateurs de recevoir le charbon polonais en échange de biens industriels, agricoles, de matériel minier, tous produits indispensables à la rénovation de l’économie polonaise. Le principe du bilatéralisme est régi par des règles simples : les deux partenaires commerciaux ont leur balance commerciale en équilibre, ce qui signifie que les importations doivent être couvertes par les exportations. Quand le seuil d’équilibre est rompu, l’accord bilatéral cesse immédiatement à moins que le partenaire commercial « fautif » assure la suite des paiements en or ou en devise forte.

  • 58 eco : 16, PD 100. Lettre de Mark Turner (Représentant américain au Control Office for Germany and (...)
  • 59 Exemples des accords bilatéraux : en 1945 avec la Pologne 
    Pologne/Danemark : échange de charbon co (...)

55Le bilatéralisme soulève habituellement des controverses. Il peut être soit considéré comme rigide et instaurant une précarité des échanges, soit être vu comme la meilleure solution au bouleversement des échanges intra-européens grâce à ses règles simples et fixes. Or la situation du marché charbonnier à cette époque donne à penser que les conditions étaient propices à l’établissement d’un tel système. Le bilatéralisme est habituellement une caractéristique des échanges en Europe de l’Est. La possibilité du libre échange entre un pays du bloc soviétique et l’Europe de l’Ouest est tolérée dans la mesure où elle permet au pays concerné d’importer des produits essentiels à son économie en exportant à des prix bon marché des produits bruts, comme ici le charbon58. Déjà pratiqué en 1945, on assistera alors à un intense marché de troc entre la Pologne et les pays importateurs au cours des années suivantes59. La Pologne n’introduit pas elle-même ce système commercial mais l’officialise par son entrée au sein de l’eco.

  • 60 Charles Maier, In search of..., op. cit.

56Mais le contexte politique et économique en été 1946 ne permet plus une officialisation permanente du bilatéralisme aux yeux du Département d’Etat. Une véritable offensive s’organise contre ce système commercial, considéré comme contraire à la politique économique américaine. Ce revirement des Etats-Unis est le reflet d’un réajustement des stratégies au sein de l’Administration américaine et du contexte international, qui tous deux influencent grandement la configuration du marché charbonnier. Après s’être surtout préoccupée de stabilité politique, l’administration de Truman se soucie à présent d’établir un nouvel ordre économique international. Charles Maier a très bien étudié les motivations de la politique économique des Etats-Unis60. Le marché charbonnier fournit l’occasion d’étudier plus précisément les inextricables motifs politiques et économiques.

57L’offensive du Département d’Etat contre le bilatéralisme coïncide avec le durcissement de la Trésorerie américaine et probablement aussi du Département du Commerce, dont Harriman est un adepte du Business Community, et aussi responsable du marché polonais. La Trésorerie plaide alors pour une application plus vigoureuse des accords de Bretton Woods, c’est-à-dire pour une concrétisation réelle du multilatéralisme. Le multilatéralisme consiste à promouvoir la trop fameuse « porte ouverte » en insistant sur la baisse des tarifs douaniers et sur une nouvelle réorganisation monétaire permettant la libre-convertibilité, sous-entendu avec le dollar alors en passe de ravir le rôle de monnaie internationale à la livre sterling.

  • 61 N.A. : 840 6362/7-946. Télégramme d’ACHESON à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 9 juillet 1946
  • 62 Ibid.
  • 63 eco 69, MC 100. Lettre de F.J. Reed à Gridley, 3 janvier 1946.

58Le Département d’Etat justifie son combat pour le respect d’une distribution équitable en charbon polonais, en déclarant vouloir éviter que les pays disposant de crédits importants, essentiels à la Pologne afin de reconstruire son économie le plus rapidement possible, soient en position de force pour enlever la plus grande part, au détriment des autres pays61. Seules la Suède et la Suisse sont concernées par cet argument car elles seules sont capables d’octroyer des crédits. L’autre raison est que le succès du bilatéralisme risque de remettre en cause l’utilité de l’eco tout comme les organismes liés à la distribution commerciale, dans la mesure où il instaure un équilibre des échanges assez précaire. De même, le mode du très court terme des contrats n’instaure pas une structure de marché solide, comme l’explique lui-même Acheson : « cette réticence n’est pas seulement due à la politique commerciale que plaident les Etats-Unis et suivent, mais aussi à la conviction que l’adoption de cette procédure à courte vue ferait échouer le principal but de l’eco.62 » Le succès grandissant des accords bilatéraux depuis le début de 1946 contribue à allonger paradoxalement les contrats jusqu’à trois mois. Le surplus disponible à l’exportation est ainsi confisqué d’avance par les échanges bilatéraux et n’est plus comptabilisé pour les allocations de l’eco alors toujours prévues mensuellement63.

  • 64 N.A. : 840 6362/6-2046. Télégramme d’Acheson à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 20 juin 1946.
  • 65 N.A. : 840 6362/8-246. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 2 août 1946.
  • 66 N.A. : 840 6362/6-2646. Télégramme de Grew à l’ambassade des Etats-Unis à Bruxelles, 26 juin 1946.

59On ne peut toutefois se contenter de ces deux motifs avancés par le Département d’Etat. Ils ne représentent pas réellement un enjeu sur le marché charbonnier, mais seulement une question de principe. Or dès le mois de juin, le Département d’Etat signale le danger d’une concurrence entre le charbon américain et le charbon polonais due à la réputation de l’excellente qualité du charbon de Silésie qui est semblable au charbon de la Ruhr. Les pays importateurs ont alors tendance à réclamer une plus large part du charbon silésien conjointement à une réduction des allocations en charbon américain, qui a définitivement acquis une réputation de mauvaise qualité64. Alors que le charbon polonais ne doit jouer qu’un rôle palliatif sur le marché des échanges au moment des grèves américaines, il s’impose par la suite, au cours de l’été 1946, comme concurrent naturel du charbon américain au grand dam des Etats-Unis. « La réalité est que la qualité actuelle et le prix du charbon américain conduisent inévitablement toutes les nations à se débrouiller pour assurer que leur allocation contienne autant que possible d’autres charbons.65 » La concurrence entre ces deux charbons au sein de l’eco est aussi largement aidée par l’aspect financier des échanges, c’est-à-dire par les avantages d’un système commercial bilatéral basé sur le troc. De plus, les prix de vente du charbon polonais se situent en-dessous de sa valeur réelle. Face à cette situation, le charbon américain peut difficilement rivaliser sauf en volume. Or la conjoncture charbonnière reste toujours préoccupante en Europe, alors qu’aux Etats-Unis, la production charbonnière est excédentaire66.

  • 67 N.A. : 840 6362/2846. Télégramme de Harriman de Londres au Secrétaire d’Etat, 28 juin 1946.
  • 68 Alan Milward, The reconstruction of Western Europe 1945-51, Londres,1987.
  • 69 eco : 69, MC 100- Trade agreements between the European countries. Lettre de Buyse à B. Aicard 11 (...)

60Au cours du mois de juin 1946, une grave crise quasi politique se déroule au sein de l’eco, exprimant une limite à l’hégémonie américaine. En effet, la France, l’Italie, la Belgique, la Suède, la Finlande, la Suisse, le Portugal constituent un front de soutien des pays importateurs à la Pologne, faisant fi de leur obligation politique tacite envers les Etats-Unis67. C’est ici l’occasion d’évoquer un point de détail. Contrairement à ce que soutient Alan Milward68, le haut degré d’ouverture internationale de l’économie belge n’implique pas que les dirigeants politiques belges aient défendu le multilatéralisme en matière du marché charbonnier. Déjà en avril 1946, le délégué belge à l’eco plaide pour le maintien du bilatéralisme, en spécifiant que : « l’importance de ces accords bilatéraux dans le renouveau économique des pays membres doit être soulignée. Dans les conditions actuelles de pénurie européenne, ils constituent pour eux le seul moyen d’obtenir les matières premières nécessaires et les produits essentiels à leur vie économique. Ils contribuent aussi à la restauration des échanges normaux entre les différents pays européens.69 » Cette contradiction est d’autant plus digne d’attention qu’en général, le marché charbonnier reflète la politique économique des pays concernés. L’économie belge serait-elle moins impliquée dans le multilatéralisme qu’on ne le voudrait croire ?

61Quant aux pays anciennement neutres, ils ont pu, jusqu’à leur adhésion définitive à l’eco en avril 1946, obtenir des tonnages supplémentaires à leurs maigres allocations grâce aux accords bilatéraux. On se souvient combien leurs demandes étaient peu considérées par les responsables de l’eco. Ceci pourrait expliquer en partie l’insistance de Gallman en mars 1946 sur leur adhésion définitive pour limiter la profusion de ces accords et pour mieux contrôler la répartition des tonnages disponibles. Le bilatéralisme a été leur « chance de salut ». A présent, il représente le maintien d’un réseau d’échanges traditionnel.

  • 70 N.A. : 840 6362/7-946, op. cit.

62Le Département d’Etat, par la voix d’Acheson alors furieux, rappelle à l’ordre les pays anciennement neutres, en spécifiant que : « les Etats-Unis sont probablement en meilleure position pour établir des vigoureux marchés de troc, mais ils ont rejeté beaucoup d’opportunités intéressantes pour le faire. Ces problèmes peuvent ne pas être très bien perçus par les membres qui se sont unis récemment avec des bénéfices immédiats, et qui ont constitué les principaux soutiens à la proposition polonaise.70 » Ce front de soutien risque particulièrement de mettre en cause la structure administrative de l’eco. L’ampleur du succès du bilatéralisme semble n’avoir pas été prévue puisqu’il avait été admis explicitement lors de l’entrée de la Pologne au sein de l’eco. Ou bien, au contraire, les Etats-Unis ont cherché à « l’institutionnaliser », croyant ainsi mieux contrôler les échanges et intégrer la Pologne dans le camp occidental.

  • 71 John Gimbel, The American occupation..., op. cit.

63Juin 1946 correspond aussi à un contexte international bien précis. La deuxième session du Conseil des ministres des Affaires étrangères se tient à Paris. Elle est le théâtre d’une incompatibilité totale des points de vue russe et américain principalement sur la question allemande. La tension croissante entre ces deux puissances à ce tournant de l’Histoire, puisque la guerre froide sera officialisée dans les mois à venir, jette une autre lumière sur le revirement du Département d’Etat, qui signifie un refus de soutenir plus longtemps encore le bilatéralisme à la polonaise. L’offensive américaine contre le bilatéralisme relève, à mon avis, du même ordre de stratégie que le rapport de Clay du 26 mai 1946. Il est considéré par John Gimbel comme une première manifestation de la guerre froide, survenant après de nombreuses frictions entre les deux puissances au sujet du démantèlement de l’industrie allemande et après le discours de Churchill en mars 194671. En effet, comment ne pas reconnaître la volonté de l’administration américaine de concrétiser le plus tôt possible le nouvel ordre économique international, c’est-à-dire le multilatéralisme, pour garantir le camp occidental face au bloc soviétique en voie de formation ? La mésentente grandissante entre les deux puissances a contribué à précipiter les objectifs politiques américains dans une conjoncture économique européenne qui n’était peut-être pas capable d’assimiler un tel système libéral. L’Europe de l’Ouest peut en effet difficilement appliquer les accords de Bretton Woods alors qu’elle connaît l’inflation et une pénurie en dollars, qui constituent de sérieux obstacles à l’établissement du multilatéralisme. Ainsi, le marché charbonnier aura été le champ expérimental des positions américaines tant politiques qu’économiques et aura offert l’occasion de se préparer à la guerre froide.

  • 72 N.A. : 840 6362/8-946. Télégramme d’Acheson à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 9 août 1946.

64Dès le début du mois de juillet 1946, il s’agit pour le Département d’Etat de consolider la position des Etats-Unis aussi bien au sein de l’eco qu’au niveau du marché des échanges, et les moyens utilisés révèlent une politique ambiguë à l’égard de la Pologne. Le Département d’Etat redéfinit tout d’abord son rôle de puissance au sein de l’eco en précisant à nouveau les conditions des allocations : « Bien que chaque pays soit libre d’accepter ou de rejeter son allocation en charbon américain, les allocations en provenance d’autres sources ne devront pas augmenter si le charbon américain est rejeté... Nous restons totalement en accord avec le souhait de coopérer entre le US Operating Committee et l’eco.72 » Ce dernier aspect est assez amusant car on se rend compte du peu de considération habituellement accordée aux recommandations de l’eco après presqu’un an d’existence. Désormais, les pays importateurs ne peuvent plus faire pression pour obtenir une réduction des allocations américaines contre une augmentation des livraisons polonaises.

  • 73 eco : 16, PD 100. Lettre de Jennings (Trésorerie des Etats-Unis) à Mark Turner, 20 juin 1946.
  • 74 eco : 3, ES 100/4. « Statut final de la représentation polonaise à la réunion du Comité des Alloca (...)

65Ensuite, le maintien à l’écart des accords commerciaux dans le calcul de la disponibilité en charbon pour les allocations de l’eco traduit la nécessité de préserver les structures administratives de l’organisme alors menacées. Mais il s’agit aussi pour les Etats-Unis de ne pas payer le prix fort de son adhésion à l’eco, de même que les militaires alliés refusaient de s’en occuper. En effet, une implication plus directe dans la distribution du charbon polonais aurait cautionné un système commercial honni. Mais cet aspect administratif est quelque peu ambigu car il évite surtout de résoudre le problème monétaire, si on tient compte des vues de la Trésorerie américaine sur le sujet73. Si le multilatéralisme avait été de rigueur, les pays importateurs auraient été obligés d’acheter le charbon polonais selon les règles de Bretton Woods. Cela aurait accentué les sorties de dollars vers le bloc soviétique, et aggravé l’équilibre des balances commerciales des pays importateurs, alors déjà en butte au problème de la rareté des dollars. Le Département d’Etat veut de cette manière éviter ce déséquilibre en tolérant implicitement le troc. Néanmoins, il le soumet à une condition qui est l’obligation faite à la Pologne d’utiliser les crédits accordés dans le but d’augmenter la production charbonnière, c’est-à-dire en achetant principalement du matériel minier74. Cette solution expliquerait la persistance du bilatéralisme en 1947.

  • 75 N.A. : 840 6362/8-946. Télégramme de Thomas C. Blaisdell (Représentant américain à l’eco) à Clayto (...)

66L’eco se contente alors d’enregistrer les contrats conclus entre la Pologne et les pays européens sans avoir un pouvoir de décision ou la possibilité d’émettre des recommandations75. Il s’avère que l’exclusion du commerce bilatéral des allocations a convenu aux deux parties, sauf à l’eco qui vers la fin de l’année souhaite une révision de cette modalité. Les représentants polonais ont eux-mêmes défendu la nécessité de concevoir un autre cadre administratif au sein de l’eco pour les accords bilatéraux. Ce cadre particulier leur permettait d’isoler leurs échanges et par conséquent d’obtenir davantage de crédits de la part des pays importateurs. Alors que si le charbon polonais avait été inclus dans les allocations, la Pologne aurait dû se limiter aux seules livraisons en charbon.

67D’après le tableau n° 6, l’approvisionnement en charbon sur le marché européen effectué par les Etats-Unis et la Pologne reflète une répartition géographique fort délimitée lorsqu’on étudie leurs parts respectives. A la Pologne : la Scandinavie, c’est-à-dire la Suède, la Finlande, et dans une moindre mesure la Norvège, le Danemark, et enfin la Suisse, pour un total de 76,6 % des livraisons. Aux Etats-Unis : l’Ouest de l’Europe, c’est-à-dire la France, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas. Un partage du marché charbonnier en Europe septentrionale a eu lieu à raison d’un tiers pour les Etats-Unis et de deux tiers pour la Pologne. La crainte exprimée plus tôt par le Département d’Etat de voir la Suède et la Suisse occuper le premier rang des exportations polonaises à cause de leurs devises a été bien relativisée. En effet, la part du charbon américain dans les importations totales de ces deux pays a diminué progressivement, surtout à partir du mois d’octobre.

Tableau n° 6. Total des importations en charbons polonais et américain de juin à décembre 1946 (en tonnes, sauf septembre)

Tableau n° 6. Total des importations en charbons polonais et américain de juin à décembre 1946 (en tonnes, sauf septembre)

Source : Statistiques de l’eco.

  • 76 N.A. : 840 6362/8-946, op. cit.

68Parallèlement, les livraisons en charbon américain s’accroissent en direction des pays de l’Ouest de l’Europe. Cette concession s’inscrit dans une stratégie politique définie en août 1946, comme le signale Thomas Blaisdell : « Dans les deux cas (Suède et Suisse), nous avons limité les volumes en charbon à vendre pour certaines raisons. La première implique des considérations politiques dans les négociations appelées Safehaven, la seconde implique notre politique d’encouragement à la reconstruction des économies disloquées et détruites à cause de la guerre dans les pays libérés. Nous avons plus à gagner dans un rétablissement rapide de l’Europe en général que de faire des stocks limités disponibles dans le premier cas à ceux qui ont plein de fonds, c’est-à-dire la Suède et la Suisse.76 »

69Cette répartition géographique relève aussi d’une logique bien définie. Le charbon polonais est essentiellement livré aux pays nouvellement adhérents à l’eco en avril 1946 en tant que membres associés et anciennement neutres (la Suède, la Finlande, la Suisse). Les Etats-Unis reportent le poids de l’adhésion de ces pays sur la Pologne qui, elle, de son côté est ravie de privilégier ses relations avec les deux seuls pays capables de lui octroyer des crédits, la Suède et la Suisse. Néanmoins, la part relative du charbon polonais dans l’approvisionnement du Danemark et de la Norvège, plus fournis par les Etats-Unis, nous rappelle que ces deux pays font partie du programme du financement de la Reconstruction établi par la Trésorerie américaine, tout comme la France, la Belgique, les Pays-Bas.

70Le partage géographique du marché reflète une réelle garantie de zones d’influence économique. Les Etats-Unis peuvent avoir toléré le bilatéralisme polonais contre la garantie des parts de marché de l’Europe de l’Ouest. Le marché charbonnier est de cette manière un résumé à lui seul des politiques économiques diamétralement opposées en 1946. Mais elles sont finalement tolérées par la force des choses, c’est-à-dire à cause de la concurrence entre les sources d’approvisionnement en charbon. Cette solution minimise ce qu’on considère habituellement comme l’échec du gouvernement américain dans la croisade pour un système commercial conforme à ses idées. Mais elle illustre toute l’ambiguïté de l’administration américaine à l’égard de « la porte ouverte » dès lors que leurs propres intérêts commerciaux sont en jeu.

71Les modalités de paiement du charbon américain vont évoluer dans les mois à venir conformément à l’établissement du nouvel ordre économique international. Les Etats-Unis veulent que le marché charbonnier retrouve ses propres règles commerciales après le 30 juin 1946. Mais en mai 1946, Clayton considère que le retour à un strict système commercial représente une perte sèche de 40 % des exportations totales en charbon américain. De plus, les grèves ont contrarié l’assurance de livraisons régulières puisque les pays importateurs se détournent volontiers de cette source d’approvisionnement. Or la conservation du marché européen est d’une importance vitale pour le Département d’Etat, qui trouve là un moyen de juguler les troubles sociaux dans les mines de charbon américaines et de permettre à des Etats fédéraux de conserver leur tissu industriel charbonnier. Ainsi, le marché européen représente pour l’industrie charbonnière américaine un débouché opportun « pour absorber sa capacité de production excédentaire » et une manne financière grâce au programme de subventions de la Trésorerie américaine.

  • 77 N.A. : 840 6362/5-2946, op. cit.

72Le Département d’Etat poursuit l’objectif de sécuriser avant tout les exportations vers l’Europe en retardant pour cela le retour aux règles commerciales dites normales. Elles seront appliquées progressivement à partir du mois d’août 1946 seulement, date qui correspond surtout à un retour à la normale des livraisons. Le programme de la Trésorerie sera prolongé jusqu’à la fin de 1946, mais sera désormais géré par la Reconstruction Finance Corporation, qui dépend du Bureau de la Mobilisation pour la guerre et de la Reconstruction. Comme le déclare Clayton, « par cette méthode on a espéré que les difficultés de stockage seront progressivement résolues et de cette manière éviter une perte en matériel dans les tonnages exportés.77 » Cette solution traduit exemplairement toute l’ambiguïté des Etats-Unis qui veulent favoriser un système commercial basé sur le libre échange mais à une époque où les alliances étatiques ne sont pas encore clairement définies. Au cours de cette période décisive pour l’avenir de l’Allemagne, que devient la part occupée par son charbon sur le marché charbonnier avec l’appoint américain et polonais ?

  • 78 N.A. : 840.6362/5-646. Télégramme d’Acheson à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 6 mai 1946.
  • 79 N.A. : 840 6362/5-1746. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au Secrétaire d’Etat, 1 (...)

73Dans l’ensemble, la Pologne intervient en complément de la part insignifiante du charbon allemand attribuée aux pays scandinaves et à la Suisse, ce qui correspond à la directive politique donnée par le Département d’Etat au mois de mai78. Les Etats-Unis, de leur côté, permettent grâce à leurs livraisons massives de réduire les exportations en charbon allemand vers les pays libérés. Leur part atteint désormais dans le total des allocations de l’eco la proportion de 2/3 pour 1/3 de charbon allemand au cours de cette période. Les Etats-Unis et la Pologne libèrent du poids des exportations l’Allemagne qui peut ainsi utiliser son charbon pour sa propre consommation depuis que le Coal Committee a fixé le niveau de cette consommation. Cela s’est traduit de juin à décembre 1946 par une baisse constante des exportations, malgré la hausse de la production, qui atteint une moyenne de 9 500 000 tonnes (On peut le voir sur le graphique n° 5). Les stocks tombent à leur niveau le plus bas, qui est le résultat de la politique du trimestre précédent. Le niveau record des exportations en juin correspond seulement à une pression américaine sur la Grande-Bretagne et les responsables militaires en Allemagne un mois auparavant afin de compenser la réduction des livraisons en charbon américain79.

74En automne 46, les rapports de force instaurés au cours de l’été 46 se concrétisent en réponse au climat régnant. Le marché charbonnier allemand est alors le théâtre de la guerre froide non officielle. Après toute une procédure diplomatique qui a eu lieu au mois de juillet, les Américains et les Britanniques fusionnent leurs deux zones. La Bizone anglo-américaine prend alors forme lors d’un accord conclu entre Bevin et Byrnes en décembre 1946. Auparavant, le discours de ce dernier le 6 septembre 1946 à Stuttgart officialise en grande partie les thèses de Clay sur la réhabilitation économique de l’Allemagne. Il incite à une unification rapide de l’Allemagne. Le divorce entre l’urss et les Etats-Unis s’accentue alors.

  • 80 N.A. : 840 6362/11-1446. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Berlin au Secrétaire d’Etat, 1 (...)
  • 81 N.A. : 840 6362/7-1646. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 16 juillet 1946.

75Comme principale conséquence, les responsables américains et anglais annoncent le 14 novembre des coupes sévères dans les allocations en charbon allemand en provenance de la zone britannique jusqu’au mois de mars. Cette décision atteint plus durement les pays à production nationale, comme la France, la Belgique, les Pays-Bas, mais qui sont aussi les plus largement approvisionnés par les Etats-Unis80. Elle survient malheureusement à une période de nouvelles grèves dans les mines américaines en novembre et décembre. Le charbon polonais sera alors d’un grand secours. Il est donc assez étonnant que les Etats-Unis aient pu tolérer cette mesure sachant les risques diplomatiques qu’ils encouraient. En effet, depuis l’été 46, une campagne anti-américaine croît dans les pays importateurs. Afin de contrer cette tendance, le représentant Gallman recommande expressément que : « Depuis que leurs demandes en charbon de l’Allemagne ne peuvent plus être satisfaites, on devrait leur prêter une oreille attentive.81 »

  • 82 eco : 1, AA100/16. Lettre d’E. Ringvold (Représentant norvégien à l’eco) à B. Aicard, 30 septembre (...)
  • 83 JM : AMF 4/3/106. Télégramme de l’ambassade de France à Washington au Président Gouin (Chef du Gou (...)
  • 84 eco : 1,AA 100. Lettre de Gueronik à E. Griffith, 20 novembre 1946.

76La position des pays importateurs membres de l’eco est, au cours de ces derniers mois, principalement déterminée par le problème de la qualité du charbon livré. Au fur et à mesure que les économies européennes se redressent, les besoins en charbon deviennent plus précis en matière de qualité. Jamais les pays libérés n’ont autant réclamé au sein de l’eco un respect de leurs demandes. Ils manifestent ouvertement une exaspération croissante face à l’obstruction des Etats-Unis pour obtenir les meilleures qualités de charbon disponibles sur leur propre continent européen, c’est-à-dire les charbons de la Ruhr et de la Silésie. Cette exaspération est d’autant plus justifiée que tous les pays, comme l’Italie, la France, la Norvège, les Pays-Bas, se plaignent constamment de la mauvaise qualité du charbon américain reçu, et tendent tout simplement à refuser les chargements dans leurs ports. Comme le déclare le représentant norvégien, « les charbons américains, comme vous le savez, sont bien plus chers et la qualité se trouve bien en-dessous de la qualité des charbons allemands.82 » Les pays de l’Europe de l’Ouest voudraient-ils marquer leur volonté de considérer le marché charbonnier comme relevant de leurs affaires intérieures comme avant-guerre ? Cette attitude leur est impossible parce que les données ont changé après 1945 : leur lourde dépendance à la fois matérielle et financière à l’égard des Etats-Unis freinent leur liberté d’action. Je pense qu’il faut tenir compte de ce contexte pour comprendre les protestations des représentants français à l’égard de la politique anglo-américaine au cours de ces derniers mois de 194683. Les représentants français insistent particulièrement sur : « cette question du coke et des fines à coke (qui) domine notre problème d’alimentation en charbon, en raison de la dépendance étroite qui existe entre notre JM : AMF 4/3/106. Télégramme de l’ambassade de France à Washington au Président industrie sidérurgique et l’importance de ces qualités.84 » Or ces qualités proviennent principalement de la Ruhr.

  • 85 eco : co : 4, IT 100. Extrait de la 22e réunion du Comité des Allocations, 30 octobre 1946.
  • 86 N.A. : 840 6362/12-1046. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 10 décembre 1946.

77Quant à l’Italie, les représentants de l’unrra se plaignent « d’un mauvais traitement subi » car ils réclament principalement de l’anthracite et des fines à coke que ne peuvent satisfaire les exportations américaines. Mais il est difficile de satisfaire pleinement les demandes de l’Italie en raison de son passé de pays ennemi, face aux autres pays membres de l’eco85. A la fin de l’année 1946, le représentant américain estime que la seule manière de calmer les protestations des pays importateurs est de les « noyer » sous le charbon américain en « faisant le maximum pour exporter 2 millions de tonnes de charbon par mois au cours de l’année 1947.86 »

78Le bilan de la situation charbonnière dans les pays libérés n’est guère brillant. Le déficit persiste encore à la fin de 1946, mais il est davantage lié à la difficulté d’établir un réseau d’échanges régulier et abondant. Pour la France, la Belgique et les Pays-Bas, leurs importations se trouvent réduites de moitié par rapport à 1938. Les productions charbonnières respectives atteignent difficilement le niveau de 1938, sauf la France qui affiche une production de 74,3 % de 1938.

Tableau n° 7. Consommations nationales apparentes en charbon (production + importations-exportations-stocks) (en tonnes)

Tableau n° 7. Consommations nationales apparentes en charbon (production + importations-exportations-stocks) (en tonnes)

* houille seulement.
Source : Statistiques de l’eco.

79D’après le tableau précédent, le déficit de ces trois pays libérés s’élève en 1946 à un montant de 27 275 000 tonnes, soit un déficit de 20 % environ de la consommation de 38. Mais on peut considérer l’année 1938 comme assez exceptionnelle puisqu’elle a correspondu à un effort de guerre. Le déficit de la demande pourrait être relativisé mais il reste toujours considérable... Le remède à une telle situation se situe à la fois au niveau de l’organisation des échanges et au niveau de la production. Le problème des importations détermine véritablement l’avenir de l’Europe de l’Ouest, car il retarde toute perspective d’un relèvement économique. On se trouve là en présence d’un engrenage : les importations engloutissent le peu de réserves monétaires dont disposent les pays, réserves qui auraient pu servir à l’achat d’un matériel minier moderne dont l’absence pèse sur la productivité depuis la fin de la guerre. Cette attitude hypothèque gravement l’avenir de l’industrie charbonnière qui se voit condamnée à tourner avec un matériel minier datant encore des années 1920... On pourrait juste faire remarquer que la Pologne ne se trouve pas engagée dans un tel processus puisqu’elle a l’obligation d’utiliser les devises obtenues pour moderniser son industrie minière, à la différence des pays de l’Europe de l’Ouest qui sont poussés à acheter du charbon américain puisque toutes les facilités commerciales leur sont offertes. Le problème financier de l’Europe de l’Ouest est déjà d’une grande acuité en 1946, et non pas seulement en 1947 comme il a été souvent constaté.

  • 87 eco : 13, OA 109/3, Correspondance with UN on dollar costs of coal imports. Lettre de Griffith à T (...)
  • 88 N.A. : 840 6362/11-2946. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 29 novembre 1946.

80Dans un tel contexte économique et diplomatique, le président de l’eco lance une campagne de sensibilisation à différentes échelles, d’abord aux Nations Unies et ensuite au Département d’Etat, sur le problème du financement des importations de charbon en Europe. Cette campagne survient après les résolutions prises par le Conseil Economique et Social sur le financement des besoins des pays dévastés par la guerre. En tenant compte du poids financier que représente le règlement en dollars des importations de charbon américain, et de la grave dépendance de l’Europe de l’Ouest à l’égard de cette source d’approvisionnement, de l’ordre de 60 % du total des importations en Europe, l’eco exprime haut et fort son refus de voir s’établir dans le futur un lien de cause à effet entre la disponibilité en charbon pour les importations en Europe et celle en dollars dans chaque pays. « Je suis sûr », conclut le Président de l’eco, « que vous souhaiteriez que le Secrétariat des Nations Unies doive faire face à ce problème d’une telle importance primordiale comme le financement des importations européennes en charbon, et qu’il lui accorde une attention urgente et précise dans le cadre de ses études sur les problèmes généraux financiers à sa charge.87 » E. Griffith fait ensuite directement appel aux Etats-Unis quelques jours plus tard pour qu’ils prennent les mesures nécessaires afin de prévenir l’effondrement du marché charbonnier lui-même88.

  • 89 eco : 13, OA 109/3, 4 novembre 1946, op. cit.
  • 90 Alan Milward, The reconstruction..., op. cit.

81Mais quel est le coût de ces importations ? Le prix du charbon américain livré aux ports européens se situe dans une moyenne de 19 dollars par tonne dont les frais de transports représentent la moitié, ce qui signifie pour les pays européens une sortie de 35 à 40 millions de dollars par mois vers les Etats-Unis89. Or le déficit de la balance commerciale de l’Europe de l’Ouest avec les Etats-Unis atteint, en 1946, 2356.11 millions de dollars90. Il risque d’entraver à très court terme la reconstruction économique de l’Europe.

82L’Europe de l’Ouest de mai à décembre 1946 a accru sa dépendance à l’égard des Etats-Unis d’une manière très rapide pour la moitié de son approvisionnement tandis que la responsabilité allemande dans la reconstruction tend à décliner pour n’être plus que 34 % dans l’approvisionnement européen. Le tableau n° 8 illustre cet état de fait. Quant à la Pologne, son apport est finalement d’une relative importance puisqu’elle n’occupe que 16 % de l’approvisionnement total.

Tableau n° 8. Total des importations en charbons américain et allemand (en tonnes)

Tableau n° 8. Total des importations en charbons américain et allemand (en tonnes)

Source : Statistiques de l’eco.

83L’Europe de l’Ouest se trouve à un tournant, illustré par les vicissitudes du marché charbonnier. Elle s’achemine vers la guerre froide avec l’offensive contre le bilatéralisme et la création de la Bizone. Le redressement économique des pays libérés s’avère plus lent que prévu. L’impasse financière des importations en charbon américain est le point crucial de la garantie de la stabilité politique recherchée par le Département d’Etat. On aboutit à une vision d’une paralysie très prochaine du marché charbonnier. La fragilité de cet édifice est d’autant plus accentuée que le marché charbonnier n’offre pas les conditions requises à l’établissement du nouvel ordre économique international, le multilatéralisme par extension. La campagne menée par le Président de l’eco en novembre 1946 n’aurait-elle pas suscitée le Plan Marshall ?

Notes

1 Voir en annexe les statistiques de l’eco pour la France, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne, de 1945 à 1947.

2 eco : 4, GY 100-Germany, General informations. Lettre de Gridley à David Marley (North German Coal Control), 6 décembre 1945.

3 N.A. : 840 6362/11-1645. Lettre de Byrnes à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 16 novembre 1945.

4 JM : AMF 4/3/30. Télégramme d’Alphand (Directeur général des affaires économiques au ministère des Affaires étrangères de la France de 1945 à 1949), 16 novembre 1945.

5 N.A. : 840 6362/11-445. Lettre de Heath à Berlin au Secrétaire d’Etat à Washington, 4 novembre 1945.

6 eco : 4, GY 100. Lettre de Marley à Gridley, 13 décembre 1945.

7 eco : 4, GY 100. Lettre de Marley à Gridley, 20 décembre 1945.

8 eco : 4, G Y 100, 6/12/45, op. cit.

9 Jean Monnet, Mémoires, Paris, Fayard, 1976.

10 JM : AMF 4/3/8. Lettre de Monnet à Clayton, 24 septembre 1945.

11 JM : AMF 4/3/3. Lettre de Robert Badoin à Monnet, 6 septembre 1945.

12 JM : AMF 4/3/6. Résumé d’une conversation entre Monnet et Clayton, 24 septembre 45. (John Mac Cloy, Sous-secrétaire d’Etat de la Guerre des Etats-Unis, premier Haut-Commissaire américain de la République Fédérale de l’Allemagne de 1949 à 1952).

13 JM : AMF 4/3/17. Production de charbon dans la Ruhr et la Sarre, suite à la proposition de Monnet de constituer un comité, 11 octobre 1945.

14 JM : AMF 4/3/23. Mémorandum de Monnet sur « Conseils pour accroître la production de charbon », de B. Smith (Lieutenant Général), 2 novembre 1945.

15 JM : AMF 4/3/24. Note sur la production de charbon de Monnet au Général De Gaulle, 3 novembre 1945.

16 JM : AMF 4/3/55. Note sur les livraisons de charbon allemand, 15 mars 1946.

17 eco : 67, AA 100, General information. Section des statistiques du charbon. Division économique, Control commission for Germany, 17 septembre 1945.

18 JM : AMF 4/3/100b. Livraisons de charbon dans les zones occupées de l’Allemagne de l’Ouest pour la consommation de l’Allemagne, mensuelles, octobre 1945-janvier 1946, Combined Coal Committee Washington.

19 N.A. : 840 6362/10-345. Télégramme du Département d’Etat à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 3 octobre 1945.

20 JM : 840 6362/10-545. Lettre de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au State Department, 5 octobre 1945.

21 JM : 840 6362/10-1845. Lettre de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au Département d’Etat, 18 octobre 1945.

22 eco : 18, US 100-usa, General information. Rapport d’une réunion avec Fortas (Sous-secrétaire du Département de l’Intérieur du gouvernement Truman), 11 janvier 1946.

23 eco : 18, US 100-USA. Lettre de Jeffers (Représentant américain de la Mission of Economics Affairs-MEA) de l’ambassade des Etats-Unis à Londres à Griffith (Deuxième président britannique de l’eco), 24 juillet 1946.

24 Werner Abelshauser, Der Ruhr Kohlenbergbau seit 1945, Munich, 1984.

25 Mark Roseman, « The uncontrolled economy : Ruhr coal production, 1945-1948 », in Reconstruction in post-war Germany, 1989.

26 N.A. : 840 6362/2-646. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au Secrétaire d’Etat, 7 février 1946.

27 Werner Abelshausere, Der Ruhr..., op. cit.

28 JM : AMF 4/3/54. Télégramme de Massigli (ambassadeur de la France à Londres jusqu’en 1955) à Monnet, 2 mars 1946. Les citations suivantes proviennent du même document.

29 N.A. : 840.6362/1-1746. Télégramme d’Acheson à Washington à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 17 janvier 1946.

30 Ibid.

31 Ν.Α. : 840.6362/3-746. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au Secrétaire d’Etat, 7 mars 1946.

32 N.A. : 840 6362/3-1346. Télégramme de Byrnes à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 13 mars 1946 et 840.6362/3-1546. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 15 mars 1946.

33 N.A. : 840 6362/3-2946. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au Secrétaire d’Etat, 29 mars 1946.

34 N.A. : 840 6362/3-2246. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 22 mars 1946.

35 N.A. : 840 6362/3-2046. Télégramme de Murphy Robert (Conseiller politique de Clay en Allemagne de 1945 à 1949, ambassadeur des Etats-Unis en Belgique de 1949 à 1952) à Berlin au Secrétaire d’Etat, 20 mars 1946 et 840.6362/3-2946, op. cit

36 eco : 4, GY 100. Lettre de Griffith à Sir Percy Mills (Représentant britannique à la Sous-commission économique du Control Commission for Germany), 4 avril 1946.

37 eco : 4, GY 100. Lettre de Griffith à Sir Percy Mills, 30 avril 1946.

38 Ibid.

39 eco : 840 6362/2-2846. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 28 février 1946.

40 eco : 4, GY 100, 30 avril 1946, op. cit.

41 JM : AMF 4/3/88a. Rapport du Quai d’Orsay sur la Conférence d’Essen les 12-14 avril 1946, 15 avril 1946. Les citations suivantes sont extraites du même rapport.

42 N.A. : 840 6362/4-1546. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 15 avril 1946.

43 Ibid.

44 N.A. : 840 6362/4-2046. Télégramme du Département d’Etat à Berlin, 20 avril 1946.

45 N.A. : 840 6362/4-2846. Télégramme de Murphy au Secrétaire d’Etat, 28 avril 1946.

46 N.A. : 840 6362/4-1846. Télégramme de Byrnes à l’ambasssade américaine de Londres, 18 avril 1946.

47 N.A. : 840 6362/2046, op. cit.

48 N.A. : 840 6362/4-346. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au Secrétaire d’Etat, 3 avril 1946.

49 N.A. : 840 6362/4-2446. Télégramme d’Acheson à certains diplomates américains et bureaux consulaires, 24 avril 1946.

50 N.A. : 840 6362/5-946. Télégramme de Harriman (Industriel et financier, Conseiller du président Roosevelt lors des conférences de Téhéran, Yalta et Potsdam, ambassadeur des Etats-Unis à Moscou de 1943 à 1946, puis à Londres en 1946, Secrétaire au Commerce de 1946 à 1948, Représentant spécial en Europe de l’eca de 1948 à 1950), de Londres au Secrétaire d’Etat, 9 mai 1946.

51 N.A. : 840 6362/5-746. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Paris au Secrétaire d’Etat, 7 mai 1946 et 840 6362/5-2946. Télégramme de Byrnes à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 29 mai 1946 et JM : AMF 4/3/116. Conversation téléphonique avec Marjolin (Commissaire adjoint au Commissariat au Plan), 18 mai 1946, récit de la réunion avec Bevin, Byrnes, Bidault (Minsitre des Affaires étrangères des gouvernements de De Gaulle et Gouin de 1944 à 1946), Alphand, Clay.

52 eco : 4, IT 100-General information. Lettre de G. O. Hosking (Chef de la Division I de l’approvisionnement en matières premières de l’unrra), 4 mars 1946.

53 N.A. : 840 6362/5-2646. Télégramme de Murphy au Secrétaire d’Etat, 29 mai 1946.

54 N.A. : 840 6362/4-2846. Télégramme de Byrnes à Berlin, 23 mai 1946.

55 eco : 16, PD 100. Message du Président de l’eco au Ministre Mine, transmis à l’ambassade de la Grande-Bretagne à Varsovie, 10 mai 1946.

56 eco : 16, PD 100, 13 février 1946, op. cit.

57 eco : 16, PD 100. Rapport sur la production charbonnière polonaise de Gueronik Sacha (Représentant français à l’eco, de la direction de la coordination industrielle du Ministère de la Production industrielle) à B. Aicard, 15 février 1946.

58 eco : 16, PD 100. Lettre de Mark Turner (Représentant américain au Control Office for Germany and Austria) à Griffith, 14 juin 1946.

59 Exemples des accords bilatéraux : en 1945 avec la Pologne 
Pologne/Danemark : échange de charbon contre des produits alimentaires.
Pologne/Suède : échange de charbon contre des wagons.
Pologne/Belgique : échange de charbon contre du bois de mine...
en 1945-1946, entre les pays de l’Europe de l’Ouest :
Belgique/Pays-Bas : échange de charbon.
Belgique/France : échange de coke contre du minerai de fer.
France/Suisse : échanges de fine anthracite à gaz contre du bois de mine et de l’électricité.
Pays-Bas/Suède : échange de coke contre du bois de mine.
Belgique/Suède : échange de coke contre du bois de mine…
Belgique/Suède et Finlande : échange de charbon contre du bois de mine...

60 Charles Maier, In search of..., op. cit.

61 N.A. : 840 6362/7-946. Télégramme d’ACHESON à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 9 juillet 1946.

62 Ibid.

63 eco 69, MC 100. Lettre de F.J. Reed à Gridley, 3 janvier 1946.

64 N.A. : 840 6362/6-2046. Télégramme d’Acheson à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 20 juin 1946.

65 N.A. : 840 6362/8-246. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 2 août 1946.

66 N.A. : 840 6362/6-2646. Télégramme de Grew à l’ambassade des Etats-Unis à Bruxelles, 26 juin 1946.

67 N.A. : 840 6362/2846. Télégramme de Harriman de Londres au Secrétaire d’Etat, 28 juin 1946.

68 Alan Milward, The reconstruction of Western Europe 1945-51, Londres,1987.

69 eco : 69, MC 100- Trade agreements between the European countries. Lettre de Buyse à B. Aicard 11 avril 1946.

70 N.A. : 840 6362/7-946, op. cit.

71 John Gimbel, The American occupation..., op. cit.

72 N.A. : 840 6362/8-946. Télégramme d’Acheson à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 9 août 1946.

73 eco : 16, PD 100. Lettre de Jennings (Trésorerie des Etats-Unis) à Mark Turner, 20 juin 1946.

74 eco : 3, ES 100/4. « Statut final de la représentation polonaise à la réunion du Comité des Allocations », 11 décembre 1946.

75 N.A. : 840 6362/8-946. Télégramme de Thomas C. Blaisdell (Représentant américain à l’eco) à Clayton, 28 juin 1946.

76 N.A. : 840 6362/8-946, op. cit.

77 N.A. : 840 6362/5-2946, op. cit.

78 N.A. : 840.6362/5-646. Télégramme d’Acheson à l’ambassade des Etats-Unis à Londres, 6 mai 1946.

79 N.A. : 840 6362/5-1746. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Londres au Secrétaire d’Etat, 17 mai 1946.

80 N.A. : 840 6362/11-1446. Télégramme de l’ambassade des Etats-Unis à Berlin au Secrétaire d’Etat, 14 novembre 1946.

81 N.A. : 840 6362/7-1646. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 16 juillet 1946.

82 eco : 1, AA100/16. Lettre d’E. Ringvold (Représentant norvégien à l’eco) à B. Aicard, 30 septembre 1946.

83 JM : AMF 4/3/106. Télégramme de l’ambassade de France à Washington au Président Gouin (Chef du Gouvernemant Provisoire de la République Française en 1946), 3 mai 1946. et JM : AMF 4/3/110. Note sur la situation charbonnière, 15 mai 1946.

84 eco : 1,AA 100. Lettre de Gueronik à E. Griffith, 20 novembre 1946.

85 eco : co : 4, IT 100. Extrait de la 22e réunion du Comité des Allocations, 30 octobre 1946.

86 N.A. : 840 6362/12-1046. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 10 décembre 1946.

87 eco : 13, OA 109/3, Correspondance with UN on dollar costs of coal imports. Lettre de Griffith à Trygve Lie (Ministre des Affaires Étrangères de la Norvège de 1940 à 1945, Secrétaire Général des Nations Unies de 1946 à 1953), 4 novembre 1946.

88 N.A. : 840 6362/11-2946. Télégramme de Gallman au Secrétaire d’Etat, 29 novembre 1946.

89 eco : 13, OA 109/3, 4 novembre 1946, op. cit.

90 Alan Milward, The reconstruction..., op. cit.

Table des illustrations

Titre Situation charbonnière en Allemagne de 1945 à 1947
Légende Graphique n° 5
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/687/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 71k
Titre Tableau n° 3. Consommations effectives de charbon allemand dans les trois zones occidentales de l’Allemagne (en tonnes)
Légende Sources : Statistiques de l’eco et du Combined Coal Committee de Washington.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/687/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 60k
Titre Tableau n° 4. Production, exportations, stocks et consommation nationale apparente du charbon allemand dans la zone britannique (en tonnes)
Légende Source : Statistiques de l’eco.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/687/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 84k
Titre Tableau n° 5. Total des importations en charbons allemand et américain de janvier à avril 1946 (en tonnes)
Légende Source : Statistiques de l’eco.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/687/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 49k
Titre Tableau n° 6. Total des importations en charbons polonais et américain de juin à décembre 1946 (en tonnes, sauf septembre)
Légende Source : Statistiques de l’eco.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/687/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 82k
Titre Tableau n° 7. Consommations nationales apparentes en charbon (production + importations-exportations-stocks) (en tonnes)
Légende * houille seulement.Source : Statistiques de l’eco.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/687/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 50k
Titre Tableau n° 8. Total des importations en charbons américain et allemand (en tonnes)
Légende Source : Statistiques de l’eco.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/687/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 54k

© Éditions de la Sorbonne, 1996

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