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Révolutions

 | 
Clara Filet
, 
Svenja Höltkemeier
, 
Capucine Perriot
, 
et al.

Conclusion

Capucine Perriot, Svenja Höltkemeier, Joëlle Rolland et Clara Filet

Texte intégral

1Les (R)évolutions ont constitué le fil rouge de la dixième journée doctorale de l’ED 112, tenue à l’Institut Michelet le 20 mai 2015. Nous remercions chaleureusement les onze communicants pour leurs présentations tout à fait stimulantes. Sur les neuf communications et trois posters proposés ensuite, dix sont publiés ici. Nous remercions à nouveau leurs auteurs pour leur travail de rédaction, pour leur disponibilité, et certains pour leur patience tout au long du processus éditorial. Ces travaux reflètent, comme chaque année, la variété des aires chrono-culturelles étudiées par les jeunes chercheurs de notre école doctorale. En s’efforçant d’épouser le thème de la journée dans la présentation de leurs résultats, ils ont permis d’apporter des éclairages complémentaires sur la double thématique mise en questionnement, de mettre en lumière la polysémie du terme de « révolution » et, en définitive, le bienfondé de son emploi en tant que modèle d’analyse au service de l’interprétation archéologique.

2Nous avons eu la chance d’accueillir comme modérateur Pascal Picq, paléoanthropologue dont les travaux, portés d’abord sur l’étude des premiers hommes, s’intéressent également de problématiques plus contemporaines. Interrogeant l’adaptabilité humaine à l’œuvre dans notre société comme dans le monde de l’entreprise, il mobilise les outils de la recherche anthropologique au service d’une réflexion sur la place des innovations à l’heure de la révolution numérique, et sur les stratégies des groupes pour s’y adapter. Nous lui adressons nos plus sincères remerciements pour son allocution introductive qui a offert une première approche épistémologique des (R)évolutions. Nous avons en outre le plaisir de débuter cet ouvrage par une contribution de Jean-Paul Demoule, protohistorien dont les travaux ont montré la complexité du phénomène de néolithisation de l'Europe et la « révolution » qu'elle constitua pour les sociétés. Nous le remercions chaleureusement pour ses lignes d'ouverture.

3Nous adressons toute notre reconnaissance à Amélie Le Bihan, secrétaire de l’ED 112, pour son aide assidue et précieuse au cours de la préparation et de la tenue de la journée. La publication a ensuite été grandement facilitée par son conseil, puis par l’accompagnement et la disponibilité de sa successeuse Hélène Criaud. Nous remercions aussi l’U.F.R. 03 de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour son appui dans l’organisation matérielle de la journée. Nous sommes enfin redevables à l’ED 112 ainsi qu’au Collège des Écoles doctorales de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour leur soutien financier à cet évènement.

4Le succès de cette dixième édition a été une nouvelle fois assuré grâce au public d’enseignants, chercheurs, doctorants et étudiants, venus écouter les présentations et prendre part aux discussions. Nous les remercions pour leur présence et leurs prises de parole qui ont contribué à rendre la journée enrichissante et conviviale.

(R)évolutions : polysémies et pesanteurs épistémologiques

  • 1 Le mot « évolution » n'apparaît que dans la sixième édition de L'origine des espèces, en 1872 (Stol (...)

5Le terme « évolution » est très souvent associé dans l’imaginaire collectif au nom de Charles Darwin et à son modèle interprétatif de la transformation arborescente des lignées biologiques résultant de la sélection à travers le temps (Darwin, 2009, p. 116). Il renvoie étymologiquement (evolvere) à l’idée d’un « déploiement » d’une réalité (individu ou objet) selon un schéma préétabli, à l’encontre, paradoxalement, de la pensée du biologiste qui a longtemps résisté à l’emploi de ce terme1. La pensée de l’évolution s’est ainsi trouvée assortie d’une pesanteur idéologique qui l’associe à l’idée de progrès, le foisonnement du présent améliorant par l’effet du hasard les lignées passées.

6Ce modèle biologique a été rapidement et amplement investi par les nouvelles sciences humaines en formation – anthropologie, puis archéologie, sociologie –, qui y ont trouvé un cadre théorique de référence pour mieux comprendre les faits sociaux, et un gage de leur ambition scientifique. L’ambiguïté inhérente à l’emploi du terme évolution s’est toutefois glissée dans ces nouveaux champs de recherche, d’autant qu’elle correspondait à un « air du temps » associant les arts et techniques de la modernité (européenne) à un triomphe de la civilisation sur la barbarie (Spencer, 1864 ; Morgan, 1877). L’histoire de toutes les sociétés humaines a ainsi été organisée par un petit nombre de pionniers en quelques étapes majeures d’un « développement » qui permettait aux sociétés d’« avancer » à travers leur histoire, à l’échelle mondiale mais à des moments variables.

7Si ces discours sont depuis des décennies considérés comme dépassés, l’évolution elle-même reste pensée comme une construction par rapport à un « avant » dont on ne s’affranchit pas. L’évolution permet donc de penser la transformation, dans notre cas des objets, des traditions techniques et des modes de vie des populations à travers le temps. Sur le modèle de ce qui caractérise la vie biologique, la variété est l’une des caractéristiques principales des assemblages archéologiques, mais elle est restreinte par les choix adaptatifs opérés par les groupes humains (Testart, 2011).

8L’archéologie est donc une science de l’évolution : nous étudions des séries de vestiges et d’objets qui mettent en lumière d’abord les compromis que les sociétés réalisent par rapport à leur propre passé. Mais c’est le regard de l’observateur qui confère aux produits protéiformes des activités humaines une identité transformée par les années ou les siècles qui passent. L’interprétation peut être le fait des populations passées elles-mêmes ou le fruit de nos analyses. Dans son article, Marius Dumas observe ainsi des évolutions dans les traditions architecturales du Proche-Orient proto-byzantin : si l'architecture y est une forme traditionnelle de démonstration du pouvoir, son évolution reflète les transformations des modes d’expression des élites politiques et culturelles des cités locales qui réinterprètent les espaces traditionnels pour se mettre en scène.

9Plus précisément, le matériel archéologique est le reflet d’évolutions qui sont autant de synthèses marquant à un instant t un compromis réalisé vis-à-vis des traditions. La dynamique des transformations à l’œuvre dans les sociétés humaines relève alors d’une parenté avec le concept voisin de « révolution », lui-même bardé d’une confusion sémantique – au premier abord.

10Revolvere, c’est d’abord « revenir à un point initial », par une action ou une pensée. L’usage s’est maintenu en astronomie pour désigner un grand nombre de mouvements célestes. L’idée d’un « retour » s’est toutefois muée en celle d’un « retournement » qui, par métaphore, en est venu à désigner, dans le langage courant, la transformation brutale et profonde des sociétés humaines. Les « révolutions » se sont par conséquent invitées dans les discours archéologiques pour désigner ces périodes de l’histoire humaine où les transformations constatées par les vestiges matériels s’accélèrent.

11Ce succès a été nourri par l’influence considérable du marxisme sur de nombreux courants épistémologiques de l’archéologie jusqu’à la fin des années 1970 (Trigger, 2006, p. 260 et 339). L’étude du matériel s’est concentrée sur la recherche de témoins des transformations des relations sociales dans les groupes humains, et de leurs façons de produire. L’intérêt d’une telle approche a été de mettre l’accent sur le rôle des sociétés anciennes comme « actrices » dans l’invention et l’adoption de techniques et d’objets nouveaux. Elle a conduit cependant à délaisser les questions politiques, jugées trop interprétatives, au profit d’un examen mettant en exergue l’adéquation (ou non) des données observables aux grands modèles de compréhension des « progrès » humains. Les révolutions « agricole » puis « urbaine » identifiées par Vere Gordon Childe au Moyen-Orient dès les années 1930 (Childe, 1936), puis l’âge d’or des théories diffusionnistes dans l’après-guerre, reposent sur l’identification d’« inventions » techniques qui semblaient s’affranchir du passé et auraient « révolutionné » les modes de vie.

12La poursuite des recherches a montré toutefois que, dans bien des cas, les temporalités et stratégies d’adoption de ces innovations avaient été, en réalité, bien plus complexes, comme le rappellent bien dans leurs articles Caroline Douché et Hugo Naccaro. Seuls quelques groupes humains ont, à l’échelle mondiale mais à des moments variables, choisi de passer d’un mode de prédation à un mode de production grâce à l’invention de l’agriculture et de l’élevage. De plus, les origines de ce changement fondamental dans l’alimentation des hommes sont multiples et à chercher non seulement dans les conditions environnementales, mais aussi et surtout dans l’idéologie (Demoule, 2009, p. 9-16). Ainsi, la « révolution » elle-même est bien une synthèse créatrice vis-à-vis du passé : c’est ainsi la profondeur des transformations connues par les sociétés dans leurs techniques et modes de vie qui confère, ou non, à leur évolution inéluctable leur aspect « révolutionnaire ».

(R)évolutions : des synthèses créatrices

13Les sociétés humaines se transforment en permanence : les facteurs d’évolution sont toujours les plus actifs et nombreux à l’intérieur des groupes humains (Schumpeter, 1951, p. 128). L’analyse archéologique constate donc toujours des changements évolutifs propres aux séries d’objets et de techniques utilisés dans un contexte local ou interrégional. Julien Ripoche rappelle que les différents groupes humains de l’âge du Bronze atlantique (IIIe millénaire avant notre ère) manifestent à leur propre rythme l’adoption progressive de vases et de pratiques funéraires rattachés au « phénomène campaniforme ». En matière funéraire, la Bretagne semble ignorer ces nouvelles pratiques jusqu’à une époque tardive, alors qu’elles sont amplement adoptées aux Pays-Bas sous la variante régionale que constitue la Culture Cordée. Le Sud de l’Angleterre présente une situation intermédiaire où des pratiques funéraires néolithiques se maintiennent tout en cédant la place, localement, à de nouvelles tombes à inhumation individuelle caractéristiques. Ainsi, c’est en procédant à un changement d’échelle et à une analyse comparative entre les trois régions qu’un sens nouveau est donné à l’histoire évolutive propre à chaque tradition.

14D’autre part, l’évolution des sociétés et leurs techniques est marquée de transformations cumulatives, qui suivent chacune leur propre rythme, de sorte que l’ensemble des données archéologiques n’est pas uniformément affecté par des transformations. Le vocabulaire (« phénomène campaniforme ») trahit bien la difficulté à saisir avec précision ce qui est au cœur des évolutions à l’œuvre dans ces différentes sociétés, et l’absence de modèle consensuel dans la communauté archéologique. Dans une autre aire culturelle mais à la même période, Hugo Naccaro relève la même difficulté face à l’emprise du « phénomène Proto-Élamite » sur le plateau iranien, qualifié récemment par un spécialiste du terrain de « vernis » masquant la diversité des trajectoires locales d’évolution (Petrie, 2013). L’existence de séries de matériel nouveau, l’adoption d’une écriture singulière et le constat de ruptures stratigraphiques majeures sur les principaux sites du plateau laissent mesurer l’ampleur des transformations à l’œuvre dans la vie quotidienne des populations locales au tournant des IVe et IIIe millénaires avant notre ère. Toutefois, l’hétérogénéité des formes d’architecture et de céramiques locales renvoie l’archéologue aux limites de son interprétation, surtout en l’absence de traces manifestes de liens entretenus par ces réalités nouvelles avec ce qui précède. Le travail des chercheurs se concentre alors sur la recherche de facteurs et de modèles explicatifs des évolutions constatées. Ici encore, changer d’échelle de travail, du site à la macro-région, permet d’interroger différemment les transformations qu’ont connues les sociétés.

15Ces deux exemples ont en commun leur emprise temporelle : en Protohistoire, comme en Préhistoire, le travail s’impose à des échelles de temps long. La temporalité des transformations vécues par les groupes humains, leur aspect « brutal » associé à l’idée de révolution, peut ainsi difficilement entrer en ligne de compte dans l’analyse archéologique, souvent contrainte par la représentativité problématique des artefacts mis au jour. L’échelle quotidienne des populations ou toute échelle de temps court restant hors d’atteinte, le travail comparatif met en lumière la « profondeur des changements » qui s’opèrent et c’est dans cette optique que le concept de « révolution » s’est invité dans les modèles de compréhension du passé ancien : ainsi en est-il de la « révolution néolithique » interrogée dans l’article de Caroline Douché sur la base de nouvelles données carpologiques.

16Néanmoins, chaque dimension de la vie en société (politique, économie, « culture » dans toute sa polysémie), mais aussi chaque lignée d’objets produits et de processus techniques, évolue à un rythme différent, selon un processus cumulatif qui connaît ses propres accélérations et ralentissements. Ainsi, l’article de Charly Poliakoff montre que la révolution induite par l’introduction des armes à feu dans la vie quotidienne des populations arabiques est minorée dans les représentations rupestres de la région. Au contraire, les cavaliers armés de lances et de lames sont surreprésentés à partir de l’époque islamique alors même que l’infanterie et les archers restent très longtemps les bases de l’art de la guerre en pays musulman : ici, les aspects symboliques liés à la figuration des chevaux, ressource rare et stratégique, semblent avoir joué un rôle plus important qu’une volonté de documentation pure et simple de la réalité par les graveurs. Les évolutions observées sont ici en décalage avec la réalité pour des raisons symboliques.

17D’autres évolutions peuvent apparaître en décalage parce qu’elles ne sont pas entièrement comprises dans leur instant t, ou au contraire dans leur pesanteur temporelle. C’est ce que montre Nikita Dmitriev dans son étude comparée du parcellaire du territoire de Mugnano, des modes de gouvernement et des relations économiques entretenues par la paysannerie avec le pouvoir local. Ces séries documentaires de même époque entrent en dissonance car elles renvoient à des rythmes de transformation très différents : le parcellaire moderne est ainsi mis en place dès la fin du xe siècle ; l’asservissement des paysans ne progresse qu’au siècle suivant, tandis que la mainmise urbaine de Viterbe sur la région n’est actée qu’au début du xiie siècle seulement. Le paysage, la politique et les relations sociales évoluent de manière hétérogène. Les trois aspects de la transformation régionale au Moyen Âge s’avèrent donc complémentaires pour retracer les grandes lignes d’une évolution complexe des modes de vie des communautés locales.

18Puisqu’un seul type de données archéologiques (ici, le parcellaire ; là, les pétroglyphes) n’est pas à même de refléter fidèlement les évolutions connues par les sociétés étudiées, il est donc nécessaire de confronter ces séries à d’autres données afin d’acquérir un discours interprétatif plus réaliste. C’est aussi par ce biais qu’on en vient à parler de « révolution » en archéologie : le terme trahit alors qu’un seuil de changements cumulés a été atteint, qui constitue un point de « non-retour » à ce qui se faisait avant. Pourtant, l’ensemble des données archéologiques n’est jamais homogène en tant que marqueur de cette (r)évolution.

19Certaines ruptures sont en revanche bien documentées par les sources textuelles. Celles-ci apparaissent comme des outils complémentaires à l’analyse archéologique pour apporter un éclairage à plus court terme, notamment pour expliquer le rôle décisif de facteurs environnementaux ou géopolitiques dans l’évolution des sociétés. Ces facteurs « externes » entraînent l’adoption de nouvelles manières de faire et de vivre qui nous apparaissent comme « importées » d’ailleurs. Clélia Paladre le rappelle lorsqu’elle étudie les sceaux-cylindres d’Iran du Sud-Ouest à l’époque de l’Empire d’Akkad ou celle d’Ur III (fin du IIIe millénaire) : la glyptique ne montre aucune différence avec celle de la Mésopotamie voisine, en contraste saisissant avec les périodes suivantes où les graveurs, tout en imitant certains motifs mésopotamiens, ne semblent plus attachés à en perpétuer le sens. Les inscriptions sont par conséquent copiées sans manifestement être comprises, induisant des erreurs. Dans le Proche-Orient protobyzantin, Marius Dumas souligne que l’émergence d’élites nouvelles à compter du ive siècle de notre ère se traduit par l’abandon de l’évergétisme et la réémergence des palais. Les individus influents (re)trouvent alors dans l’architecture de leurs demeures monumentalisées des moyens de mettre en scène leur pouvoir. Dans une autre aire culturelle, au Cameroun, Mathilde Buratti note l’adoption massive des perles fabriquées en série sur le continent européen à partir du xvie siècle, reflétant l’adoption rapide d’artefacts étrangers auxquels les populations locales ont conféré des usages et un sens hérités de leurs traditions.

20Les données archéologiques sont de même susceptibles d’illustrer des répercussions locales de phénomènes qui se sont produits à large échelle. Émilie Badel explique comment l’étude des bitumes archéologiques du Moyen-Orient ancien permet de retracer des routes d’échanges à très longue distance, qui évoluent sensiblement au cours des millénaires, parfois au gré de renversements géopolitiques. Nikita Dmitriev souligne quant à lui que l’asservissement des paysans de Mugnano, caractéristique de ce qui a été appelé l’« incastellamento » (enchâtellement), intervient avec un certain retard par rapport au reste de l’Italie. L’évolution locale est donc visiblement le fruit d’un compromis unique entre la situation économique et sociale préexistante et les dynamiques géopolitiques à l’œuvre dans toute l’Italie centrale à cette époque.

21Certains artefacts ou apports techniques sont enfin de véritables acteurs de changements, qui bouleversent irrémédiablement les manières de faire et de vivre dans une société donnée. Mathilde Buratti montre que l’adoption par les populations camerounaises des perles vénitiennes a eu pour conséquence une démocratisation sans précédent de leur usage. La disponibilité croissante de perles colorées, leur faible coût et les choix des verriers européens cherchant à satisfaire les exigences de leur clientèle africaine ont conduit à une adoption en masse de perles synthétiques (en verre, laiton ou faïence) à compter du xvie siècle. Ceci a conduit en retour à une recomposition des réseaux d’échange, les comptoirs européens devenant les pôles de redistribution de ces nouvelles marchandises dans toute l’Afrique centrale, au bénéfice des royaumes disposant d’une façade atlantique. L’introduction de ces artefacts nouveaux a donc d’une part transformé les pratiques des populations et d’autre part eu un impact inattendu en révolutionnant l’organisation économique au cœur du continent africain.

Des révolutions comme modèles en archéologie

22En définitive, la révolution s’avère alors être un concept opératoire pour ordonner le matériel archéologique, lui donner un sens, c’est-à-dire comme un modèle. Elle donne de l’intelligence aux données disponibles, tout en permettant d’être testée à l’aune de celles qui s’ajoutent grâce à la poursuite des fouilles ou le perfectionnement des techniques d’analyse. Ainsi, l’étude carpologique conduite par Caroline Douché sur deux sites moyen-orientaux a permis d’appuyer le modèle historique de « révolution néolithique » proposé par Vere Gordon Childe, tout en précisant la place des innovations techniques et des temporalités de transformation par analogie avec une autre « révolution », celle de l’industrialisation européenne.

23Hugo Naccaro rappelle également que l’histoire des recherches conditionne souvent durablement la façon dont nous abordons le matériel archéologique. Évaluer l’intérêt du modèle de la « révolution proto-urbaine », forgé pour la Mésopotamie, dans la région voisine de l’Iran du Sud-Ouest nécessite alors une analyse fine des présupposés théoriques et des critères retenus par les chercheurs pour évaluer leur représentativité lorsqu’ils sont appliqués au cadre régional nouveau qu’est l’Iran. En définitive, le modèle mésopotamien semble appauvri et nécessite donc d’être amendé dans le cas iranien.

24Le terme de révolution garde par conséquent une valeur heuristique pour étudier le matériel relatif à des moments de transformations profondes dans l’histoire de l’humanité : de la domestication du feu au premier outil, de l’invention de l’agriculture à celle de l’écriture, notre histoire est parsemée de révolutions matérielles et symboliques auxquelles se rattachent, plus récemment, d’autres révolutions nationales bien documentées par les sources écrites, au premier chef la Révolution ouverte en 1789, qui reste le fondement de notre culture et tradition politiques. L’article de Rose-Marie Le Rouzic montre d’ailleurs que cet esprit empli de valeurs nouvelles et respectueux d’un passé à préserver s’est perpétué à travers tout le xixe siècle, au-delà des tumultes des bouleversements politiques.

25L’actualité contribue plus que jamais à mettre en abîme le thème de cette journée doctorale. Le xxie siècle est une période d’innovations technologiques démultipliées, qui transforment en profondeur nos usages individuels, nos modes de vie, nos façons de vivre ensemble, et, au-delà, nos façons mêmes de penser. Quelques mois avant cette journée doctorale, alors que débutait l’année 2015, l’attentat au siège de Charlie Hebdo et la prise d’otages à l’Hyper-Cacher du douzième arrondissement de Paris ont été vécus comme une profonde atteinte aux acquis libéraux et démocratiques de la Révolution. Ils ont conduit à un élan unanime de rejet de la haine et de la violence et de défense de la liberté de conscience et d’expression. Le crayon rouge des caricaturistes assassinés à leur bureau a été brandi comme un emblème, en France comme dans l’ensemble du monde occidental. Cet épisode douloureux a ouvert une nouvelle ère politique par l’adoption de mesures sécuritaires, mais aussi appelé à un réveil des esprits autour d’une volonté de partage et d’ouverture au monde. Dans ce contexte, le dynamisme des recherches scientifiques et la capacité des chercheurs à développer des approches interdisciplinaires voire transdisciplinaires sont des gageures du succès de ce pari « révolutionnaire » pour vivre ensemble dans un monde gouverné par la paix et le respect de l’autre.

Bibliographie

Childe V. G. (1936) – Man Makes Himself, Londres.

Darwin C. (2009) – L’origine des espèces, Paris.

Demoule J.-P. (2009) – La révolution néolithique dans le monde, Paris.

Morgan, L. H. (1877) – Ancient Society, New York.

Petrie C. (2013) – Ancient Iran and its Neighbours: Emerging Paradigms and Future Directions, dans C. Petrie (éd.), Ancient Iran & its Neighbours. Local Development and Long Range Interactions in the Fourth Millennium BC, Oxford, p. 387-411.

Schumpeter J. (1951) – Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris.

Spencer, H. (1864) – Principles of Biology, vol. 1, Londres.

Stoll, C. (2008) – Histoire des idées sur l’évolution de l’homme, vol. 2, thèse de doctorat, université Louis Pasteur Strasbourg I.

Testart A. (2011) – Les modèles biologiques sont-ils utiles pour penser l’évolution des sociétés ?, Préhistoires méditerranéennes, URL : http://pm.revues.org/599, consulté le 25 juin 2017.

Trigger B. (2006) – A History of Archaeological Thought, Cambridge.

Notes

1 Le mot « évolution » n'apparaît que dans la sixième édition de L'origine des espèces, en 1872 (Stoll, 2008, p. 521).

Auteurs

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ED112
Équipe Archéologie de l’Asie centrale et moyenne, UMR 7041 ArScAn Archéologie et Sciences de l'Antiquité
Thèse sous la direction de Henri-Paul Francfort, « La culture d’Afanas’evo face à l’Asie centrale énéolithique : une approche « depuis les steppes » des interactions à l’échelle régionale (milieu du IVe millénaire – tournant du IIe millénaire avant notre ère) ».

Docteur en archéologie, ethnologie et préhistoire de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ED 112,
UMR 8215 Trajectoires, UMR 6566 CReAAH Centre de Recherche en Archéologie Archéosciences Histoire.
Thèse soutenue le 26 octobre 2016 sous la direction de Jean-Paul Demoule et le tutorat de Lamys Hachem, « L’exploitation animale au IVe millénaire avant notre ère en Allemagne centrale : les sites de Wallendorf et Salzmünde dans leur contexte régional ».

Docteur en archéologie, ethnologie et préhistoire de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ED 112,
UMR 8215 Trajectoires, UMR 5060 IRAMaT.
Thèse soutenue le 08 novembre 2017 sous la direction de Jean-Paul Demoule et Bernard Gratuze, « L’artisanat du verre dans le monde celtique du second âge du Fer, approches archéométriques, technologiques et sociales ».

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ED112,
Équipe Archéologies Environnementales,
UMR 7041 ArScAn Archéologie et Sciences de l'Antiquité
Thèse sous la direction de Patrice Brun, « Processus d’urbanisation et réseaux d’interactions dans le monde Celtique transalpin entre le IVème et le Ier s. BCE ».

© Éditions de la Sorbonne, 2017

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