1Émile Deshayes de Marcère est né à Domfront (Orne) le 16 mars 1828. Il est issu d’une famille de la noblesse normande peu fortunée qui dut consentir des sacrifices pour son éducation, d’autant que son père, Louis Deshayes de Marcère, est décédé avant sa naissance. Il était officier et ancien garde de corps de Louis XVIII et avait été maire de la commune de Banvon. Après des études de droit à la Faculté de Caen dont il fut lauréat, Émile Deshayes de Marcère fut d’abord attaché au ministère de la Justice (1851-1853) puis fit carrière dans la magistrature en étant successivement substitut à Soissons (1853), à Arras (1853-1861), procureur à Saint-Pol (Pas-de-Calais) de 1861 à 1863, président du tribunal d’Avesnes (1863-1866) et enfin conseiller à la Cour de Douai (1866-1876). Le 4 janvier 1858, il épousa Marie Charlotte Simmonneau, fille d’un médecin et chirurgien militaire, dont il eut deux filles et un fils qui fit une brillante carrière dans l’administration préfectorale et financière.

2Marcère paraît avoir été tenté assez tôt par la politique. En 1859, puis en 1861, il sollicite en vain de ses supérieurs le droit de se présenter aux élections départementales dans l’Orne, puis dans le Pas-de-Calais. Le préfet du Nord le soupçonnait de collaboration occulte au journal Le Courrier Douaisien, organe des monarchistes de tendance légitimiste, et d’avoir dirigé la campagne du monarchiste Lambrecht aux élections de 1869. Son dossier de magistrat comporte des recommandations des évêques de Soissons (1853), du cardinal de Bonnechose (1866). Le procureur général de Douai se portait garant de ses sentiments dynastiques, Marcère ayant provoqué l’ire du préfet Saint-Paul en publiant La politique d’un provincial : lettres d’un oncle à son neveu, réquisitoire contre l’omnipotence préfectorale et plaidoyer pour la décentralisation (1869). On peut dire qu’à la fin de l’Empire, Marcère appartient au Tiers-Parti et témoigne d’une sensibilité légitimiste.

3Le drame de 1870 le conduit à un ralliement précoce à une République qu’il veut conservatrice (Lettre aux électeurs à l’occasion de l’élection pour la Constituante, Douai, 1871). Ses appuis dans les rangs monarchistes lui ont permis alors de figurer sur la liste conservatrice du département du Nord. Il est élu dix-huitième sur vingt-huit. Marcère précède plutôt qu’il ne suit Thiers dont il est à l’Assemblée un ferme soutien ; il y est un des fondateurs du groupe du Centre gauche. Il combat résolument le ministère Broglie, fait imprimer et diffuser son rapport contre la prorogation des conseils municipaux. Membre de la seconde commission des Trente, il participe activement à l’élaboration des lois constitutionnelles de 1875 et donne des gages au camp laïc en refusant le projet de loi sur la liberté de l’enseignement supérieur. Aussi triomphe-t-il facilement en 1876, dans la seconde circonscription d’Avesnes, de son collègue Bottiaux de la Cour de Douai. Il est promu sous-secrétaire d’État à l’Intérieur dans le cabinet Dufaure, puis ministre de l’Intérieur après le décès du titulaire de ce portefeuille. Il procède à une épuration modérée de l’administration préfectorale et du personnel des mairies. Pendant le ministère Jules Simon, il accède à la présidence du Centre gauche et, lors de la crise du 16 mai, il participe en cette qualité à la rédaction du célèbre manifeste des 363 dont il est le premier signataire. Il est plus difficilement réélu en octobre 1877, les droites s’étant mobilisées contre lui. Selon le témoignage de Freycinet, Marcère serait le rédacteur avec Léon Say et Bardoux du message de capitulation de Mac-Mahon en décembre 1877. Il retrouve le ministère de l’Intérieur dans le second ministère Dufaure, remplace tous les préfets du 16 mai. Reconduit dans le cabinet Waddington, il démissionne le 3 mars 1879 à la suite d’une interpellation sur la police de la Chambre, il s’abstient sur l’article 7 du projet Ferry mais approuve le ministère après la publication des décrets contre les congrégations non autorisées. Marcère est réélu sans opposant dans le Nord en 1881. En 1882, il prend la direction du journal Le Soir. Chargé du rapport sur la proposition Naquet de rétablissement du divorce, il conclut à sa prise en considération. Il vote en 1883 contre l’expulsion des princes mais pour l’épuration de la magistrature. Le 28 février 1884, il succède au sénateur inamovible Gauthier de Rumilly. Il prend la présidence du Centre gauche du Sénat, participe activement à la discussion de la révision constitutionnelle de 1884 et prononce à cette occasion une apologie de l’institution sénatoriale, vote la loi sur le divorce. Il est en outre rapporteur de la loi municipale de 1884. Il approuve le 29 mars 1889 le projet de la loi instituant la Haute Cour de Justice et participe à la commission sénatoriale chargée d’instruire le procès du général Boulanger.

4Marcère fut déçu par l’instabilité gouvernementale de la Troisième République et, dans une lettre adressée au directeur de la Revue politique et parlementaire, publiée dans celle-ci en février 1899, il oppose l’esprit de la Constitution de 1875 à son application et demande un renforcement du pouvoir exécutif. Il multiplie les initiatives pendant l’année 1898 : fondation de la Ligue nationale républicaine de décentralisation dont le secrétaire est Paul Deschanel en riposte aux lenteurs de la commission de décentralisation, création de la Fédération des contribuables aux côtés du comte de Chambrun et du journaliste Kergall (elle fut supplantée par l’initiative concurrente de Jules Roche en 1899). Marcère s’engage par ailleurs dans le combat antidreyfusard. Nationaliste républicain, c’est un proche de Juliette Adam et il collabore à la Nouvelle Revue comme à La Revue Bleue. Il adhère à la Ligue de la Patrie française dont il devient le président le 17 avril 1905. Mais il s’était abstenu lors du vote de confiance au ministère Waldeck-Rousseau, en 1899, pour ne pas gêner la défense républicaine. Siégeant désormais au Centre droit, il vote contre la loi de 1901 sur la liberté d’association, contre la séparation de l’Église et de l’État, contre le rachat des chemins de fer de l’Ouest (1908), pour la représentation proportionnelle (18 mars 1913) et pour la loi militaire de trois ans.

5Le sénateur Marcère a publié ses souvenirs et des ouvrages sur les événements vécus : Entretiens et Souvenirs Politiques (1894), Le 16 mai et la fin du septennat (1900), L’Assemblée nationale de 1871 (1904), Histoire de la République de 1876 à 1879 (1908 et 1910), Souvenir d’un témoin, vision d’un siècle (1914).

6Marcère est mort en Normandie dans son château de Messec (Orne), le 26 avril 1918. Il était le dernier sénateur inamovible du Sénat.