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Les immortels du Sénat, 1875-1918

 | 
Alain Corbin
, 
Jean-Marie Mayeur

Les cent seize inamovibles de la Troisième République

Magnin Pierre Joseph 1824-1910

Annie Bleton-Ruget

Texte intégral

1Originaire de la Côte-d’Or où il est né à Dijon le 1er janvier 1824, Joseph Magnin appartient aux "pères fondateurs" de la Troisième République. Il est le fils d’un jurassien de Salins, Jean-Hugues Magnin, orphelin dès l’âge de deux ans, élevé à Paris par un oncle maternel, Pierre-Joseph Besson, juge au tribunal de commerce de Paris. Enrichi aux côtés de son oncle dans le commerce des vins, Jean-Hugues Magnin s’installe en Côte-d’Or, comme maître de forges, à la suite de son mariage avec Julie Philippon dont le père, Denis Philippon, et le frère, Hugues, étaient propriétaires d’un fourneau à Brazey-en-Plaine. La famille Magnin était acquise de longue date aux idées de la Révolution. Le père de Magnin-Philippon, qui exerçait le métier de maître-chapelier, avait été volontaire en 1791 dans un bataillon jurassien. Lui-même affichait à Dijon sous la Monarchie de Juillet des idées libérales. Juge au tribunal de commerce, administrateur du bureau de bienfaisance, du Mont-de-piété et de la caisse d’épargne de la ville, il représente le canton de Dijon-Ouest au conseil général de Côte-d’Or de 1842 à 1848. Candidat malheureux aux élections législatives de 1846 dans le 1er collège de Dijon, il est élu député de la Côte-d’Or en 1848 et siège à la Constituante parmi les républicains modérés. Après son échec en 1849 aux élections à l’Assemblée législative, il exerce les fonctions de président du tribunal de commerce de Dijon, fonctions qu’il abandonne en 1852 pour ne pas avoir à prêter serment de fidélité à l’Empire.

2Joseph Magnin, son fils, a reçu une éducation bourgeoise d’abord dans une pension dijonnaise, puis à Genève chez le pasteur Rémond où il passe six années de 1835 à 1841. De retour à Dijon, Joseph Magnin, qui réside alors dans l’hôtel particulier du XVIIème siècle que la famille possède rue des Bons-Enfants, suit quelques cours de chimie à la Faculté des sciences et commence son apprentissage dans l’entreprise familiale de Brazey. En mai 1852 il épouse à Bolbec, près du Havre, Pauline Belloncle-Delahays qui appartient très vraisemblablement à une famille protestante. Il en eut deux enfants, élevés dans la religion protestante, une fille, Jeanne, et un fils, Maurice, plus tard conseiller à la Cour des comptes et dont la collection de peintures léguée à l’État a constitué à Dijon le Musée Magnin.

3En 1853 Joseph Magnin succède à son père à la direction de l’entreprise métallurgique, il lui succède aussi dans ses fonctions officielles. Membre de la Chambre de commerce de Dijon et du tribunal de commerce, Joseph Magnin est élu conseiller général du canton de Saint-Jean-de-Losne en 1861 et conseiller municipal de Dijon en 1865. Battu une première fois aux élections législatives en 1857, puis une seconde fois en 1863, il est élu cette même année en décembre dans la 1ère circonscription de Dijon à la faveur d’une élection partielle, après le départ pour le Conseil d’État du candidat officiel Théodore Vernier, auquel le liaient d’ailleurs des liens personnels. Élu membre du Corps législatif par 18 650 voix sur 33 988 votants, il siège dans les rangs de l’opposition à l’Empire et devient secrétaire du groupe d’opposition. C’est aussi le moment où il transforme son entreprise métallurgique, qui fonctionne toujours selon la technique de la fonte au bois et connaît un déclin certain, en une sucrerie traitant la betterave industrielle cultivée dans la plaine de la Saône. Riche de revenus fonciers et immobiliers que lui procurent notamment la propriété de bois et de terres situés aux alentours de l’entreprise de Brazey ainsi que de l’imposante dot immobilière de son épouse normande, Joseph Magnin se désengage progressivement de ses activités économiques pour se consacrer à la politique. En 1869 il est réélu au Corps législatif et est élu secrétaire de la Chambre, il s’y affirme comme un spécialiste des questions financières. En 1870 il vote contre le plébiscite et contre la guerre.

4Sa carrière politique se confirme au lendemain du 4 septembre lorsqu’il est nommé membre du gouvernement de la Défense nationale comme ministre du Commerce avec la tâche délicate d’assurer l’approvisionnement de Paris bientôt assiégé. Lors des élections à l’Assemblée nationale, en février 1871, il est élu par le département de la Côte-d’Or, au second rang des huit députés républicains envoyés à l’Assemblée, députés républicains qui pour certains affichent des positions beaucoup plus avancées que les siennes. Ayant démissionné de ses fonctions ministérielles au lendemain de son élection, il rejoint à l’Assemblée les rangs de ceux qui vont constituer le groupe de la Gauche républicaine. Cette même année 1871, confirmant les succès républicains en Côte-d’Or, il est réélu conseiller général du canton de Saint-Jean-de-Losne et élu président du conseil général de Côte-d’Or ; fonctions qu’il a occupées sans discontinuer jusqu’en 1909 pour la présidence et jusqu’à sa mort en 1910 pour le mandat cantonal, soit près d’une quarantaine d’années passées à contrôler la représentation départementale.

5A l’Assemblée nationale Joseph Magnin est un des animateurs du courant républicain dont il a présidé le groupe de la Gauche républicaine à partir de 1872. Favorable en 1871 à la paix et à la loi départementale, à la discussion de laquelle il a activement participé, hostile au renversement de Thiers et au septennat, tout comme à la loi des maires, il vote l’amendement Wallon et les lois constitutionnelles. Il est élu sénateur inamovible en décembre 1875 par 334 voix sur 654 votants et préside au Sénat le groupe de la Gauche républicaine. En 1877 il se voit confier la direction politique du Siècle dont il était membre du conseil d’administration de longue date, en remplacement de Jules Simon.

6 Ces services rendus à la République lui valent une nouvelle fonction ministérielle en décembre 1879 comme ministre des Finances dans le cabinet Freycinet, fonction qu’il conserve dans le cabinet suivant en 1880 sous la présidence de Jules Ferry et ce jusqu’en novembre 1881. Quelques jours après la chute du ministère, le 18 novembre 1881, Gambetta le fait nommer gouverneur de la Banque de France. Il occupe cette fonction pendant seize années, constituant d’importantes réserves monétaires et prenant diverses mesures pour faire face aux effets des crises de 1882, 1889 et 1891.

7Depuis 1884 il cumule cette importante responsabilité avec la vice-présidence du Sénat. A Paris comme en Côte-d’Or où il règne sur la vie politique locale, notamment par l’intermédiaire du Progrès de la Côte d’Or le journal qu’il avait créé en 1869, et cultive sa notoriété en participant aux activités culturelles de diverses sociétés savantes, Joseph Magnin est alors une des personnalités très influentes de la République "opportuniste ",

8En 1897, il doit abandonner ses fonctions de gouverneur de la Banque de France pour cause de cumul et conserve son siège de sénateur ainsi que la vice-présidence du Sénat qu’il a assurée jusqu’en 1901. C’est le temps des mandats honorifiques et des présidences : gouverneur honoraire de la Banque de France en décembre 1897, président de la commission sénatoriale des Finances de 1899 à 1909, il est aussi membre de la commission supérieure de l’Exposition de 1900 et du conseil supérieur du Commerce et de l’Industrie : il n’aura manqué à Joseph Magnin que la présidence du Sénat à laquelle il échoue en 1901. Mais jamais lassé du combat politique, cette même année 1901 il est l’un des fondateurs de l’Alliance démocratique républicaine. Décédé le 22 novembre 1910, il est inhumé à Brazey-en-Plaine. La République reconnaissante lui fit ériger un monument inauguré en juin 1912 par le président du Conseil, Raymond Poincaré.

Bibliographie

Bibliographie :

Ph. Jobert (dir.), Les patrons du Second Empire, Côte d’Or, Le Mans, Picard-Cénomane, 1991, p. 57-62 ; J. Magnin, Joseph Magnin de 1824 à 1852. Son enfance et sa jeunesse, sa famille, son milieu, Dijon, sans ind. typo., 1913, 117 p. ; L. Delabrousse, Joseph Magnin et son temps (1824-1910), Paris, F. Alcan, 1916, 2 vol. ; "Discours nécrologique par le président Cornereau", Mémoires de la Société bourguignonne de géographie et d’histoire, t. XXVII, 1912, p. 3-5 ; Gabriel Ramon, Histoire de la Banque de France, Paris, Grasset, 1929, p. 309-416.

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