1Deux situations différentes ont motivé la création d’un corps gestionnaire pour réorganiser le marché charbonnier de l’Europe. Cependant, elles partent du même constat, qui est celui de la grave pénurie en charbon que connaît l’Europe de l’Ouest. Le premier de ces corps de gestion, la Solid Fuels Section sert « à faire la guerre », et le deuxième, l’European Coal Organisation, contribue à la reconstruction civile de l’Europe. Organisme international, quel est l’impact de ce dernier dans l’histoire d’après-guerre ? Les décisions de répartition des tonnages disponibles seront-elles motivées par une politique globale de l’Europe, ou exclusivement par la politique des Etats-Unis en tant que premier fournisseur et aussi en tant que puissance dominante ?

La Solid Fuels Section (6 juin 1944-8 mai 1945)

2En mars 1945, les Forces Alliées font face à un grave problème dont dépend l’issue des combats. L’approvisionnement en énergie fait défaut. « Dans le conflit actuel », déclare le colonel R. Koenig, « l’importance vitale du charbon pour l’avancée des troupes a été reconnue comme étant d’une importance militaire pour maintenir l’industrie en marche, pour fournir de l’électricité et du gaz à la consommation civile et industrielle et pour garder la mobilité des transports par mer et par terre. Dans une « guerre totale », toutes ces activités sont vitales au succès du combat.1 » Dans ce contexte d’urgence militaire, les Forces Alliées ne peuvent compter que sur une partie du potentiel énergétique de l’Europe Occidentale, c’est-à-dire la France, la Belgique et le Limbourg néerlandais, potentiel qui de surcroît se trouve dans un état déplorable. Il reste à conquérir l’ensemble du bassin houiller, comme la Ruhr. « Sur le Continent européen, le problème était unique du fait que toutes les mines de charbon étaient aux mains de l’ennemi et qu’elles devaient être capturées avant que le charbon du Continent puisse être disponible à l’effort de guerre allié. » Ce rapport du Colonel Koenig écrit le 10 mars 45 semble prévoir les besoins pour l’énorme effort de guerre (qualifié de « guerre totale ») que sera la traversée du Rhin le 23 mars. En ce début de 1945, le charbon en Europe de l’Ouest s’insère dans un contexte stratégique à caractère essentiellement militaire.

3Le marché charbonnier joue à nouveau un rôle de secours parce que cette source d’énergie occupe encore la première place dans l’alimentation de l’industrie. Par sa localisation et les structures industrielles existantes, et malgré l’état déplorable des mines de charbon dans la partie libérée du bassin houiller, l’industrie charbonnière est sollicitée grâce à cette disponibilité immédiate. Les armées doivent pouvoir compter sur un approvisionnement effectif en charbon afin d’assurer la marche des engins, la production d’électricité et la production d’armes. Pour illustrer ce souci constant de disposer de réserves énergétiques, lors du débarquement des Alliés, il a été prévu que : « pendant les premiers temps de l’invasion du Continent après le 6 juin 1944, les soldats transportent individuellement des sacs de charbon. »

4Dès septembre 1944, la réponse à la désorganisation du marché est la création par les militaires anglo-saxons des Forces Alliées d’un corps armé muni d’une fonction décisive pour l’avenir : la Solid Fuels Section, G-4 Division, Shaef2. Face à la presque cessation de la production charbonnière, à la désorganisation des courants d’échanges, la politique de ce corps militaire consiste donc à : « développer à son maximum les ressources du charbon indigène de cette partie du Continent européen aux mains des Alliés et à contrôler l’allocation et la distribution du charbon dans le cadre du Théâtre Européen de l’Opération. » Il est utile d’insister sur le caractère totalement nouveau d’une autorité franchement européenne qui a pour charge d’organiser purement et simplement la production et la distribution du charbon et qui répond à une situation de pénurie d’énergie. En effet, « un fait domine tous les autres, à savoir que le travail de production de charbon et de distribution de la Section dans cette première étape de l’action, est un élément entièrement nouveau au sein des armées britannique et américaine. »

5On assiste là à une certaine « révolution de mœurs » favorisée par la force des choses. L’urgence militaire dans un cadre économique prend le pas sur les considérations souveraines des gouvernements nationaux sur leurs productions de charbon pour gérer les besoins strictement militaires, tout comme cela s’est déjà produit après 1942 dans le domaine des transports qui constituait un goulot d’étranglement pour les pays européens.

6Quelle est la situation de la production charbonnière en Europe de l’Ouest à cette époque ? Le bilan n’est guère brillant comme on peut le voir. En septembre 1944, les pays de l’Europe de l’Ouest ne peuvent dégager qu’une très faible production : en France, elle est de l’ordre de 725 000 tonnes, en Belgique et aux Pays-Bas, la production est quasi insignifiante. Pourtant, quelques mois plus tard, en janvier 1945, la France produit 2 588 000 tonnes, la Belgique 1 029 900 tonnes et les Pays-Bas 314 000 tonnes. L’Allemagne affiche une production de 18 000 tonnes, ce qui paraît fort étonnant ! On aboutit à un total de 3 931 000 tonnes de charbon (en excluant l’Allemagne) qui doit être réparti entre les Forces Alliées. Les moyennes mensuelles de 1938 permettent de réaliser l’ampleur de l’effondrement de la production : la France produisait alors 3 652 900 tonnes de charbon, la Belgique 2 068 868 tonnes, les Pays-Bas 1 044 188 tonnes, soit un total mensuel de 6 764 188 tonnes, ce qui représente le double de ce qui a été produit en janvier 45.

7Pour combler ce déficit de la production, le seul recours est d’importer massivement du charbon. Pourtant, à ce niveau aussi, le réseau d’échanges ne parviendra que très difficilement à satisfaire la demande militaire. La Grande-Bretagne, premier fournisseur avant-guerre, ne retrouve que partiellement son rôle indispensable dans l’approvisionnement en Europe. De juin 1944 à février 1945, elle parvient à exporter en France 810 812 tonnes de charbon, alors que les besoins militaires des Forces Alliées sont estimés à 1 336 400 tonnes3, soit un manque de 39 % du total prévu. Les Etats-Unis interviennent aussi quoique d’une manière toute relative puisqu’ils livrent des faibles tonnages de charbon au port de Marseille. Cependant, les mesures prises par la Solid Fuels Section ne peuvent se consolider, car elles restent très fragiles : la Grande-Bretagne annonce bientôt qu’elle ne pourra plus assurer le gros des échanges après le mois d’août 1945 ; les Etats-Unis répondent difficilement à la demande ; l’Afrique du Sud voit ses livraisons détournées de l’Europe pour alimenter la Guerre du Pacifique encore en cours. Le cas de la Grande-Bretagne est délicat car ce pays éprouve de nombreuses difficultés à assurer correctement les exportations vers le Continent européen à cause de sa très faible disponibilité en charbon, et aussi à cause du nombre insuffisant de bateaux pour affréter ces tonnages. De plus, ces livraisons sont contrecarrées par la très mauvaise capacité offerte par les ports, en particulier les ports français, gravement endommagés par les bombardements.

8Face à cela, les pays traditionnellement importateurs de charbons anglais ou allemand se trouvent dans une situation précaire, comme l’illustre l’exemple suivant. Un ordre provenant des Forces Alliées autorise les déviations de frets de charbon tout d’abord destinés à la France, vers les ports de Norvège et du Danemark, pays essentiellement importateurs, afin de temporiser leur pénurie de charbon. Cette initiative leur permet de supporter l’attente du rétablissement de leurs importations habituellement en provenance de l’Allemagne. En effet, l’Allemagne, alors second fournisseur de charbon de presque tout le continent européen avant-guerre, est encore en guerre. Il n’est donc pas possible d’envisager un recours à sa production, tant que les Forces Alliées n’auront pas atteint leur but de la faire capituler. L’urgence à approvisionner en charbon des pays anciennement occupés en ces temps de guerre vise à garantir une position de force aux armées alliées stationnées ici et là.

9Le retrait de la Grande-Bretagne et l’impossibilité de disposer de la production de l’Allemagne contribuent à démanteler le réseau traditionnel d’échanges charbonniers. Il est indéniable que la gravité de l’approvisionnement en charbon n’échappe pas aux Forces Alliées, qui l’expriment ainsi : « Il est évident que le problème de l’approvisionnement critique en charbon en Europe de l’Ouest prendra une signification militaire dans la poursuite de la guerre en Europe. » D’après leurs estimations générales en mars 1945, la France, la Belgique et les Pays-Bas connaîtront une production déficitaire de 54 % par rapport à 1938, et n’importeront que 8 % des importations de 1938, pour aboutir à un déficit total de 41 % pour 1945. La vie économique est réellement en jeu, et personne ne peut risquer de laisser cette déficience de la production empirer, à moins que le recours au pétrole déjà manifeste dans l’économie d’avant-guerre ne s’établisse... C’est à ce moment-là précisément que se décidera l’avenir du marché énergétique de l’Europe de l’Ouest.

10C’est pourquoi lorsque la capitulation de l’Allemagne est effective, les priorités sont rapidement définies. « Il est néanmoins clairement démontré », signale la Solid Fuels Section, « que le problème de l’approvisionnement en charbon en Europe de l’Ouest sera résolu seulement grâce à l’accroissement de la production des mines de charbon de la Sarre, de la Ruhr, d’Aix-la-Chapelle, et des gisements de lignite en Allemagne »4. Que les productions charbonnières retrouvent leur niveau habituel, et la demande parviendra peut-être à être satisfaite puisque les importations ne peuvent apporter la garantie nécessaire. Ce tableau bien pessimiste met en lumière l’urgence d’un accroissement rapide des autres productions, celles de la France, de la Belgique et des Pays-Bas.

11Après la capitulation de l’Allemagne en mai 1945, on observe un retour à la normale au niveau du marché charbonnier. Les autorités militaires qui s’étaient « appropriées » les pouvoirs politiques de la gestion charbonnière dans un contexte de « guerre totale », passent à présent en juillet 1945 le relais aux autorités gouvernementales, rétablies une fois les combats terminés. A nouveau, le marché charbonnier est représenté par le ministère compétent et par les Comptoirs de vente. De même, ce retour à la normale permet le rétablissement des paiements - en monnaie locale ou non -des livraisons de charbon effectuées aux Forces Alliées. La cessation de l’Aide Mutuelle décrétée pour le 8 novembre 1945 met fin à un système d’échanges basé sur l’assistance militaire totale des Etats-Unis contre la livraison de la production charbonnière nationale.

12En mai 1945, la situation des pays libérés s’est-elle nettement améliorée ? La France connaît une production de l’ordre de 60 % de la production d’avant-guerre, c’est-à-dire 225 000 tonnes par mois et importe autant des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Quant à la Belgique et aux Pays-Bas, leur production est respectivement 45 % et 30 % de leur production d’avant-guerre. A la différence de la France, ces pays doivent avant tout compter sur leur propre production au cours de ces mois, ce qui est proprement une décision des Forces Alliées. Il est clair que le faible tonnage de charbon disponible se répartit difficilement. Quant aux stocks de charbon, il est fort délicat de les évaluer correctement en raison de la difficulté d’obtenir des chiffres de cette époque désorganisée. Par exemple, la Belgique et les Pays-Bas semblent ne pas en avoir. Seule l’Allemagne parvient à dégager en avril 1945 à l’est de la Ruhr 1 009 000 tonnes de charbon et 258 000 tonnes de coke5, ce qui dément le chiffre cité de 18 000 tonnes produites en janvier 1945.

13La position de l’Allemagne suscite des prévisions bien optimistes en général car les militaires Alliés sont convaincus que sa production charbonnière retrouvera aisément un niveau capable d’assurer l’approvisionnement aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Ils définissent clairement les priorités : d’un côté, « quand tout effort devra être fourni pour approvisionner en charbon allemand les pays libérés, l’allocation de telles exportations devra être attribuée en fonction des besoins de tous les pays demandeurs », et de l’autre, ils recommandent de tenir compte du programme industriel allemand pour évaluer ces exportations6. Bien avant la Conférence de Potsdam, les militaires Alliés, au sein de la Solid Fuels Section, ont déjà dessiné les grandes lignes de la politique charbonnière européenne : produire le maximum dans tous les pays concernés, et fixer le niveau des besoins militaires en Allemagne avec un programme industriel intérieur (le pays est alors réparti en deux zones d’occupation, la zone britannique et la zone américaine).

14En juillet 1945, grâce au travail de la Solid Fuels Section, les Forces Alliées sont en mesure d’allouer des excédents de charbon de l’ordre de 679 125 tonnes. La France et la Norvège, qui sont les premiers pays à en bénéficier, représentent des priorités clairement établies. En général, le charbon américain leur est réservé, et dans une moindre mesure aussi au Danemark, alors que le charbon britannique est livré principalement aux ports de France pour être acheminé vers les autres pays ; quant au charbon de la Ruhr, il est dirigé vers la Belgique, la France et les Pays-Bas7.

15L’action de la Solid Fuels Section, jusqu’alors inconnue, éclaire d’une manière singulière les orientations européennes élaborées au cours de la Conférence de Potsdam. Un gros travail est fourni pour établir les prévisions sur la base de 1937-1938 en fonction de facteurs dits optimaux, comme la disponibilité de la main-d’œuvre et des transports. Il est prévu de cette manière que la production maximum de l’Allemagne serait portée à 25 % du niveau d’avant-guerre, avec un volume disponible pour la consommation minière de 30 %. Cela signifie que l’Allemagne doit produire exactement 10 758 000 tonnes. De juin à décembre 1945, la demande globale est estimée à environ 16 millions de tonnes : la part militaire (entretien des troupes et du gouvernement militaire) représente 14 % de la production disponible allemande, alors que la part civile (production d’électricité et de gaz, les chemins de fer et routes, l’industrie) atteint 8 %8. Avec une prévision de 10 millions de tonnes de charbon produites, la demande sera déficitaire d’environ 5 millions de tonnes. Comme il est difficile de mener en ces périodes troubles une politique d’approvisionnement sur deux fronts, les besoins civils ne sont pas jugés totalement prioritaires. Ainsi, « pendant la période des hostilités, les perspectives d’augmenter le niveau actuel des livraisons en charbon aux consommateurs civils, industriels, de 41 % à 75 % de la normale ne sont guère brillantes. » On peut noter que ces estimations ne semblent pas prendre en compte l’ampleur de la perturbation du marché charbonnier, amputé de son traditionnel réseau d’échanges.

16Quant aux estimations concernant la France, la Belgique, et les Pays-Bas, elles ont été considérablement modifiées depuis le mois de mars dernier. Tout d’abord, leurs productions étaient estimées à environ 50 millions de tonnes pour l’année 1945 ; en mai 1945, elles tombent à moins de 10 millions de tonnes, alors qu’en 1938, leurs productions atteignaient presque 90 millions de tonnes. Quelle est la raison de cette révision à la baisse ? Peut-être l’état défectueux de l’industrie charbonnière a-t-il été mieux évalué une fois les combats terminés ? Dans ce cas, on peut augurer une difficile reprise économique, que pensent résoudre les militaires Alliés par une priorité absolue à l’augmentation de la production.

17Le travail de la Solid Fuels Section n’a guère été innovateur au niveau des structures du marché charbonnier puisqu’elle s’est contentée de reconstituer en partie le puzzle du marché d’avant-guerre. Il serait intéressant de développer l’étude portant sur ce corps militaire, la Solid Fuels Section, si des archives plus complètes existent encore et mentionnent plus précisément son travail sur le terrain. Cependant, son originalité tient davantage dans sa dimension franchement européenne. Pendant quelques mois, une autorité à l’échelle européenne sur l’ensemble de la production charbonnière a fonctionné, ce qui ne s’est jamais produit auparavant. Certes, cette expérience n’est pas comparable à celle que sera par la suite la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, mais elle est intéressante en ce qui concerne sa création dans un contexte de guerre, de pénurie de charbon, et en l’absence de représentants civils des gouvernements.

18Pour conclure sur la nécessité de produire davantage de charbon, le colonel R.P Koening déclare notamment : « La plus grande partie du succès (de cette entreprise) est immanquablement liée à tous les problèmes économiques, sociaux, et politiques des grands secteurs industriels du monde. La production, puis le transport d’un volume adéquat de charbon de tel type, de telle taille, et de telle qualité vers de centaines de lieux de consommation, représentent le fondement même sur lequel est construite toute économie. »

L’outil diplomatique de la Reconstruction européenne : l’European Coal Organisation (mai 1945-décembre 1947)

19A cet instant précis, le marché charbonnier de l’Europe de l’Ouest se voit conférer un deuxième rôle : relancer de toute urgence l’activité économique européenne. Il sera désormais l’élément moteur de tout programme de reconstruction nationale des pays libérés.

20Les années de la Libération sont décisives pour l’avenir du marché énergétique datant des années 1920-1930. Ce marché a été considérablement affaibli par les nombreuses secousses économiques et les errements politiques qui ont tenté de les résorber. On pouvait espérer que cette expérience apporterait une nouvelle configuration au marché en tenant compte des nouvelles perspectives dans le domaine de la politique économique. Or l’évolution perceptible de la mutation de source d’énergie avant-guerre, avec l’émergence du pétrole, ne sera effectivement pas prise en compte. Les politiques nationales ne feront que consolider les structures existantes du marché charbonnier, par le moyen des nationalisations par exemple. Cette attitude correspond à un impératif du moment, qui pousse les pays concernés à mener une politique énergétique à courte vue en donnant comme seule directive : extraire du charbon à tout prix. Dans ces conditions, l’obsession de la disponibilité suffisante en charbon, qui s’était manifestée au cours de l’entre-deux-guerres, redevient d’actualité au cours des années 1945-1947. C’est ainsi que le marché charbonnier présentera des cycle économiques de plus en plus « chaotiques », illustrés par les graphiques n^os 1 et 2 précédents.

21L’enjeu actuel peut se résumer dans la devise : « consolider une démocratie en consolidant d’abord son économie. » La réorganisation primordiale du marché du charbon se justifie en effet par le souci d’éviter les déstabilisations politiques dans les pays de l’Europe de l’Ouest. Or la pénurie en charbon risque d’être plus longue que prévue, puisqu’en juin 1945, le Foreign Economic Administration à Washington tire le signal d’alarme en faisant ce constat : « Des rapports alarmants en provenance de sources sûres en Europe indiquent que la pénurie en charbon devient plus critique. Le renouveau économique et la stabilité politique de l’Europe libérée ont de fortes chances d’être compromis à moins qu’une action rapide et efficace soit prise pour répondre à cette situation. Tout échec à y répondre pourrait contrecarrer le redéploiement de nos forces et autrement affecter défavorablement nos intérêts nationaux.9 » Face à de telles perspectives, tous les moyens de livrer des tonnes de charbon, même minimes, doivent être mis en œuvre afin d’éviter un « chaos économique et politique en Europe. »

22La situation charbonnière n’est en effet guère brillante en juin 1945, malgré le formidable travail de réorganisation de la Solid Fuels. Le problème fondamental reste la persistance de la désorganisation des échanges, particulièrement depuis le retrait de la Grande-Bretagne. Son retrait prévu à partir du mois d’août 1945 pourrait-il être interprété comme une volonté de fournir surtout au continent les charbons allemands en provenance de sa propre zone d’occupation ? Mais il s’agit aussi pour elle de réorganiser sa propre industrie charbonnière, probablement en vue de la nationaliser quelques mois plus tard en 1946. Le deuxième fournisseur habituel, l’Allemagne, n’a plus le contrôle de son industrie charbonnière, et, il est soumis à des obligations relevant de la politique des réparations, d’après les conditions suivantes : « ... les Allemands ne peuvent pas négocier les importations ou les exportations sauf par l’intermédiaire de l’armée Alliée des zones nationales respectives, c’est-à-dire britannique, américaine, française.10 »

23L’autre fournisseur traditionnel d’avant-guerre venant après l’Allemagne et la Belgique, la Pologne, est isolé politiquement et ne peut fournir de renseignements sur sa capacité à assurer de nouveau les exportations. Toutefois, certaines informations circulent sur l’état des mines polonaises, qui sont complètement endommagées comme on peut le constater : « Les Allemands ont extrait le charbon des mines avec des méthodes d’urgence en temps de guerre, en creusant les veines les plus riches au plus profond et en perturbant le rendement conséquent à cause du danger d’un effondrement des couches supérieures.11 » La productivité subit aussi le contre-coup de la dispersion des responsables administratifs12. Cependant, la restitution de certains centres charbonniers à la Pologne après les combats, comme le Hindenburg, Gleiwitz, qui avaient été confisqués par l’Allemagne en 1939, renforce son potentiel houiller si bien que : « la Pologne est incomparablement plus riche maintenant en charbon et en industrie métallurgique qu’en 1939.13 » Le bassin de la Silésie est justement considéré comme un enjeu important dans la reconstruction du marché charbonnier par les Etats-Unis grâce à son vaste potentiel et aux bonnes qualités nécessaires à la production d’acier. Autre fournisseur potentiel de l’Europe, l’Afrique du Sud se voit dans l’obligation de livrer des tonnages pour la guerre du Pacifique. La Turquie est aussi sollicitée par les Américains pour apporter sa contribution en charbon à l’Europe de l’Ouest. Mais sa situation géographique trop éloignée des centres de consommation de l’Europe de l’Ouest constitue un frein à la bonne marche des livraisons. En effet, les bateaux ne sont pas préparés à affréter des tonnages considérables et en dehors du bassin méditerranéen14.

24Il reste donc les Etats-Unis qui pourraient prendre la relève des exportations défaillantes. Mais ils se trouvent aussi confrontés à la difficulté d’assurer les exportations vers l’Europe à cause d’une infrastructure intérieure qui n’est pas à la mesure de l’importance des exportations lointaines et urgentes, comme il est signalé au Département d’Etat : « Les facteurs limitant le mouvement de charbon ne proviennent pas de la disponibilité en bateaux, mais plutôt de la capacité de transport intérieur américain et des aménagements aux ports pour livrer le charbon aux bateaux.15 » Cette situation d’ensemble rend difficile le rétablissement du réseau des échanges, et ne permet pas d’envisager de combler rapidement le déficit de l’offre que connaît l’Europe de l’Ouest.

25Parallèlement à ce problème, les productions charbonnières de l’Europe de l’Ouest répondent encore difficilement à la demande, même si la France particulièrement surprend par son rendement déjà élevé dans les mines de charbon. Deux problèmes majeurs entravent la course à l’augmentation de la productivité : l’absentéisme général des mineurs et les réseaux de transports défectueux.

26Des grèves, des troubles sociaux éclatent dans chaque pays à partir du mois d’avril 1945 pour ensuite prendre une plus grande ampleur. Ils résultent des conditions de travail extrêmement dures que connaissent les mineurs. Une revendication domine toutes les autres : obtenir des rations alimentaires suffisantes ! De vastes programmes nationaux mettent alors au point une amélioration des conditions de vie des mineurs et de leurs familles, comme l’augmentation des rations, la construction de logements et la fourniture en vêtements. Ils permettent d’enrayer au fur et à mesure l’absentéisme des mineurs qui sévit aussi bien dans les mines des pays libérés que dans les mines de l’Allemagne occupée. Cette situation critique a eu une influence déterminante et directe sur la croissance de la production de charbon. C’est ainsi qu’à cette époque, les questions sociales dans l’industrie lourde ont eu droit à plus de considérations qu’avant-guerre, étant donné l’intérêt stratégique de la hausse de production en charbon.

27Dans le domaine des transports, le mauvais état des rails et des routes perturbe considérablement la livraison régulière et suffisante des tonnages de charbon, principalement en provenance de l’Allemagne, qui manque aussi cruellement de wagons pour les acheminer. Par ailleurs, les Pays-Bas connaissent une véritable situation de pénurie à cause de l’état défectueux de leur propre réseau (notamment en raison des ponts détruits), qui ne permet plus l’acheminement correct de leur propre production aux centres de consommation16. Dans l’ensemble, la condition première du succès de la réorganisation du marché charbonnier est liée à l’amélioration des transports. C’est pourquoi les militaires alliés insistent sur le fait que : « ... la possibilité de mettre à la disposition de la consommation militaire et des exportations vers les pays libérés des quantités appréciables de briquettes de lignite dépendra entièrement du degré de priorité accordé au mouvement du charbon.17 »

28Les Etats-Unis décident alors de prendre des mesures plus radicales afin de répondre à cette urgence de maintenir une stabilité économique, sociale et politique en Europe de l’Ouest en analysant les moyens possibles de réduire le déséquilibre entre la demande et l’offre. L’exemple de la France illustre ce souci, comme l’exprime clairement Caffery, l’ambassadeur américain à Paris : « Si, comme je le crois, une France forte et saine est un des piliers de notre politique, il est de notre plus haut intérêt national de prendre toute initiative nécessaire pour assurer au moins un approvisionnement minimum vital en charbon à la France.18 »

29C’est pourquoi la mise en œuvre d’une politique globale nécessite en premier lieu un rappel à l’ordre des services militaires, le Département de la Guerre qui a la responsabilité d’organiser l’ensemble du marché charbonnier en Europe de l’Ouest, et le shaef qui est responsable de la gestion des besoins militaires. Un rapport signale le 2 juin 1945 à Clayton, alors adjoint du Secrétaire d’Etat Byrnes, un certain laxisme des services du Département de la Guerre. Ce ministère néglige quelque peu l’enjeu des importations en charbon américain qui devraient s’accroître afin de compenser l’arrêt des livraisons en charbon britannique le 1^er août 1945. « Néanmoins, il apparaît que le Département de la Guerre », signale-t-on, « qui a maintenant la pleine responsabilité en matière de charbon pour toute l’Europe du Nord-Ouest, n’a pas encore décidé d’établir le programme des livraisons par bateaux du charbon des Etats-Unis vers cette zone exceptée un petit volume pour le Sud de la France.19 » Ensuite, les critiques se focalisent sur le shaef, en particulier sur son plan de reconstruction de l’industrie allemande, déjà mis au point en mai 1945, qui par ses orientations, semble-t-il, met en danger le redéploiement des troupes et les relations diplomatiques avec les Alliés. Le shaef continue son travail de gestion sans se soucier des directives concernant le niveau de la production de charbon de l’Allemagne et du niveau des exportations. De plus, son travail inquiète sérieusement car : « Les autorités militaires discutent actuellement de la consommation du charbon à l’intérieur de l’Allemagne à un niveau disproportionné par rapport au niveau de la consommation des pays alliés de l’Europe de l’Ouest. » On rejoint là l’étonnante estimation, constatée auparavant, des programmes industriels de la France, la Belgique et des Pays-Bas20. Un tel plan comporte le risque de voir s’interrompre toute livraison vers les pays libérés pour l’année 1945. « C’est une situation qui ne peut pas être tolérée...21 » Ordre est donné pour que : « la production industrielle des pays alliés reçoive la priorité sur celle de l’Allemagne. » Le succès d’une telle entreprise dépend visiblement de la volonté du Département de la Guerre et du shaef de considérer les vues du Département d’Etat, qui n’a en effet pas beaucoup d’emprise sur les militaires, pour qu’un rappel à l’ordre soit énoncé aussi clairement : « Les recommandations ci-dessus établissent la politique des Etats-Unis en ce qui concerne la production de charbon et son utilisation en Allemagne et doivent être suivies. »

30Peu après, le 7 juin 1945, le rapport Potter-Hyndley met en forme la politique du Département d’Etat en quantifiant les besoins des pays libérés. En tenant compte à l’échelle minimale de leurs besoins essentiels et des besoins militaires (qui s’élèvent pour ces derniers à 15 % du total disponible), il prévoit un déficit en Europe de l’Ouest de presque 31 millions de tonnes de juin 1945 à avril 1946. Le calcul de ce déficit est basé sur l’hypothèse que la production des pays libérés n’atteindra en décembre 1945 que 70 % de sa capacité normale22, comme le shaef l’avait auparavant signalé. La répartition du déficit entre les pays libérés se présente de la manière suivante : la France de l’ordre de 10 800 000 tonnes, la Belgique de 2 700 000 tonnes, les Pays-Bas de 1 700 000 tonnes (soit 15 200 000 tonnes pour ces trois pays), la Norvège de 2 400 000 tonnes, le Danemark de 1 900 000 tonnes, le bassin méditerranéen de 5 700 000 tonnes, puis la Suisse de 1 600 000 tonnes et la Suède de 3 7000 000 tonnes23. Compte tenu de la faiblesse du réseau des échanges et de l’effondrement des productions, ce déficit sera difficile à combler. C’est dans cet ordre de considérations qu’il doit être obligatoirement comblé par l’Allemagne, rejoignant en cela les premières vues des militaires. Cette possibilité est envisageable d’autant plus que les mines de charbon ne semblent pas être trop endommagées d’après une visite effectuée dans la Ruhr24. Il est nécessaire de ne pas perdre de vue aussi que l’Allemagne ne doit pas détenir elle-même un pouvoir économique qui serait dangereux en ces temps de pénurie et qui contrarierait les plans de reconstruction des pays libérés disposant quasiment pas ou peu de réserves en charbon. Le rapport Potter/Hyndley répond à la volonté du Département d’Etat de clarifier la politique charbonnière en Europe par rapport à celle déjà élaborée par les militaires américains en Allemagne, tout en reprenant leurs idées de base mais en rejetant la priorité du relèvement économique de l’Allemagne.

31Pour donner plus de poids à cette politique, le Président Truman envoie des directives aux Commandants en Chef américains en Europe le 20 juin 1945. Elles sont fidèles en cela aux conclusions du rapport Potter/Hyndley, en fixant comme principal objectif que l’Allemagne doit exporter vers les pays libérés un minimum de 10 millions de tonnes fin 1945, et 15 millions de tonnes fin avril 1946. De même, elles prennent en compte l’hypothèse qu’une telle politique retardera le relèvement économique de l’Allemagne : « Il devra être clair que ce montant doit être disponible indépendamment des conséquences sur l’Allemagne, et des plans établis pour d’autres industries ou pour l’économie intérieure de l’Allemagne.25 » Ces directives tentent aussi de préciser la nature des besoins militaires, qui se révèleront être assez vagues et critiquables : « A cette priorité (les exportations), doivent être seulement subordonnés les besoins nécessaires pour assurer la sécurité, la santé, la maintenance et les opérations des forces occupantes et la rapidité de redéploiement des Forces Alliées à partir de l’Allemagne... Dans le but de répondre à l’urgence prévalant en Europe de l’Ouest, vous êtes priés d’assister dans une proportion d’efforts raisonnables à maximiser la production de charbon dans les zones de la Sarre et de la Ruhr.26 »

32Ces directives de Truman ne manquent pas de soulever de vives critiques de la part du Marshal Montgomery, qui estime dangereux de négliger la reconstruction industrielle de l’Allemagne. Il réclame en particulier des précisions sur la nature des besoins militaires, qui sont assurément le point faible27. Les Britanniques, de leur côté, soutiennent la même position, en se déclarant favorables pour : « accorder aux commandants des zones la latitude dans l’application des directives sur le charbon selon le souhait de Montgomery.28 » Pendant quelques semaines, cette question est débattue au niveau diplomatique entre les Britanniques et les Américains pour s’accorder sur les priorités, car l’enjeu concerne de près le coût de l’occupation qui est difficilement supporté par la Grande-Bretagne. Mais sa chance est de posséder dans sa zone la plus grande partie du bassin de la Ruhr, ce qui représente un atout non négligeable dans la décision finale de cette affaire. L’ambassade des Etats-Unis à Londres réaffirme alors le premier principe que : « Montgomery devrait être informé qu’il n’y aura pas de changement dans le principe que les zones libérées doivent avoir une préférence sur l’Allemagne dans la distribution du charbon allemand.29 » Une faille apparaît dans l’application unilatérale des directives de Truman, puisque celui-ci rapporte aussi que : « la réponse ne confirme pas la nécessité d’atteindre le but de 25 millions de tonnes le 30 avril et ne présente pas d’autre alternative. La réponse indiquée n’insiste pas sur l’importance d’une action rapide pour coordonner les différents facteurs essentiels pour une croissance marquée de la production.30 »

33Ainsi, les Américains rejoignent sensiblement la position britannique mais le problème demeure quant à la définition des besoins minima civils nécessaires au maintien des Forces Alliées31. Finalement, cette affaire diplomatique se termine par une concession majeure des Etats-Unis comme on peut le voir : « Seul le critère qui est maintenant soutenu pour déterminer le volume d’exportations est que le niveau général de la consommation en charbon en Allemagne devra être en-dessous de celui des pays libérés. La responsabilité est apparemment incombée à Montgomery pour déterminer si oui ou non ce niveau, qui est sujet à une interprétation plus large, a été atteint. Sinon cela rendrait la directive du Président adressée au Commandant en Chef de la zone américaine sans signification, depuis que les exportations en charbon doivent principalement provenir de la zone britannique.32 » La position britannique l’a emporté sur celle des Etats-Unis car en automne 1945 la politique charbonnière est étroitement liée à la zone d’occupation sous commandement britannique. Les choses évolueront lorsque la Bizone anglo-américaine sera créée.

34De mars à juillet 1945, les Etats-Unis n’ont eu de cesse d’élaborer une politique du marché charbonnier en Europe de l’Ouest. Le rapport du shaef en mars 1945 définit les options militaires qui se préoccupent essentiellement de la restauration économique de l’Allemagne, en négligeant les pays libérés. En juin 1945, le rapport Potter/Hyndley se présente comme une offensive contre de telles options, en insistant sur la priorité accordée unilatéralement au relèvement économique des pays libérés grâce au charbon allemand. Les directives de Truman envoyées aux militaires en Allemagne au cours du même mois officialisent la politique du Département d’Etat en reprenant les conclusions du rapport Potter/Hyndley, mais elles restent ambiguës sur la nature des besoins militaires. Enfin, la politique américaine amorce un tournant au cours de la Conférence de Potsdam en été 1945. Tout d’abord, elle prend en compte les options unilatérales du gouvernement américain sur la priorité à accorder aux pays libérés, en spécifiant que toutes les mesures doivent être prises pour « accroître la production en charbon. » Mais paradoxalement, cette conférence est aussi l’occasion d’aplanir l’intransigeance américaine comme l’a noté John Gimbel33. Concrètement, cela signifie que la politique de Montgomery est mieux tolérée à partir de septembre 1945, date à laquelle le Département d’Etat accorde implicitement la non-obligation d’exporter à tout prix les 25 millions de tonnes de charbon allemand de juin 1945 à avril 1946.

35Parallèlement à l’élaboration des politiques du marché charbonnier, se met en place une structure administrative civile appelée l’European Coal Organisation (eco), qui répond au besoin de superviser un tel marché et qui permet d’appliquer la politique anglo-américaine. Grâce à la consultation de ses archives enfin retrouvées, il est désormais possible de connaître l’origine et la fonction de cet organisme. L’eco, créée sous une forme provisoire en mai 1945, au moment de la capitulation allemande, acquiert un statut officiel le 1^er janvier 1946. « Organisme international à autonomie financière », l’eco exerce ses activités jusqu’au 31 décembre 1947, alors qu’elle était initialement prévue pour une année. Prenant la relève de la Solid Fuels Section, l’organisation hérite de ses méthodes administratives militaires, ainsi que de la majorité du personnel militaire, comprenant des officiers britanniques, américains, français et belges.

36L’idée d’une telle organisation naquit au sein des corps chargés de gérer la disponibilité en charbon, comme le Combined Coal Committee, divisé alors en deux, l’un britannique et l’autre américain. L’expérience alors en cours de la Solid Fuels Section permet de démontrer l’importance d’une supervision du marché charbonnier européen, comme souhaite le Combined Coal Committee à direction américaine : « d’aller plus loin avec l’établissement d’une organisation qui traite des problèmes du charbon du Continent pendant la période de transition.34 » Le 2 décembre 1944, les Britanniques proposent officiellement l’eco aux Américains où prendraient part les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’urss, et les Alliés européens, en liaison avec les responsables militaires opérant sur le Continent et avec les experts industriels35.

37D’après le bilan des activités de l’eco, ce sont les membres britanniques du London Coal Committee faisant partie du United Kingdom and United States Combined Production and Resources Board, qui ont souhaité voir se poursuivre l’expérience de la Solid Fuels. Toujours est-il que ces membres « avaient soumis à leurs gouvernements respectifs l’idée qu’il convenait d’instituer une organisation où se rencontreraient les pays importateurs et les pays exportateurs de charbon, et qui aiderait ceux-ci à régler leurs difficultés communes dans un esprit de concession réciproque... De même, une telle organisation permettrait de prendre en main cette situation dangereuse d’une façon rationnelle, afin d’éviter que divers pays se disputent les disponibilités existantes qui feraient l’objet de marchandages et de surenchères, alors que les pays ayant moins souffert de la guerre et disposant de plus grandes facilités de négociations en obtiendraient plus que leur part équitable.36 »

38L’eco est créée dans le but d’assurer le contrôle nécessaire et la protection de la seule source décrétée disponible en Europe de l’Ouest d’après les rapports américains étudiés auparavant, le bassin houiller de l’Allemagne. Son principal travail consiste à distribuer les charbons allemand et américain, qui constituent l’enjeu énergétique de 1945.

39La mise au point juridique de l’eco a suscité de nombreuses discussions au sein du Département d’Etat au cours des premiers mois de 1945. Les Etats-Unis sont tout d’abord réticents à octroyer des pouvoirs décisionnels à un tel organisme, et préfèrent le cantonner dans une fonction de corps consultatif, comme un sous-comité de l’Emergency Economic Committee for Europe (eece)37. Son rôle se définirait strictement de la façon suivante : « contribuer le plus efficacement possible à la distribution de la production continentale, à la fois en utilisant le réseau intérieur des transports et en réduisant par ce moyen les demandes en souffrance des importations ; contribuer le plus efficacement possible à la distribution de l’équipement minier et des approvisionnements pour la maintenance et le matériel afin d’assurer une productivité la plus élevée ; aider à une solide coopération entre les nations membres pour produire le plus possible les qualités nécessaires de charbon.38 » Finalement, les Etats-Unis se rangent à l’idée d’un organisme indépendant de tout autre. Cependant, ils opposent un refus catégorique à la participation pleine et entière des Britanniques au sein de l’eco, soutenant ainsi le point de vue du U.S. Combined Coal Committee, qui craint que cela ne porte préjudice à son travail39. Doit-on penser à une rivalité de fonctions au sein du Combined Coal Committee entre les Américains et les Britanniques ? Le Département d’Etat sera bien obligé de céder et de travailler à égalité avec les Britanniques au sein de cette organisation afin d’éviter un certain antagonisme entre les deux principaux acteurs du marché charbonnier.

40L’eco fonctionnera sans la participation russe, alors que l’urss avait été officiellement invitée aux négociations lors de sa création. Un antagonisme sérieux surgit entre les Américains et les Russes au sujet de la prise en charge de la politique des réparations par l’eco. L’urss soutient le point de vue que le charbon allemand doit être distribué en fonction des réparations au sein de l’eco. Ceci est jugé inacceptable par les Etats-Unis qui estiment que cet organisme n’est pas habilité à discuter de la politique des réparations, ainsi que des priorités concernant le charbon allemand. Cet organisme doit seulement recueillir les informations sur les besoins des Alliés et formuler des recommandations en ce qui concerne la distribution du charbon allemand par exemple40. L’urss refuse alors de participer à l’eco. Ce détail éclaire singulièrement l’application des accords de Potsdam par les Américains, application qui a souvent été discutée41. On peut donc s’interroger sur leur sincérité quant à la participation russe au sein de l’eco. Il est certain que même les Britanniques ne l’envisageaient pas.

41Le 18 mai 1945 se tient la première réunion de l’European Coal Organisation consacrée à enregistrer l’adhésion des pays invités à intégrer l’organisme, c’est-à-dire la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, la France, la Belgique, le Danemark, la Grèce, le Luxembourg, les Pays-Bas. La Tchécoslovaquie n’a pas encore reçu l’autorisation gouvernementale pour participer, puis la Norvège, la Turquie et la Yougoslavie42.

42La Pologne entre en jeu après cette réunion par des offres de vente de charbon de Silésie tout d’abord formulées par les Russes et ensuite par les Polonais eux-mêmes en août 1945. Le Département d’Etat prend alors très au sérieux cette proposition car le charbon de la Silésie permettrait de compléter les livraisons américaines et allemandes. Mais comme le réseau des échanges doit être obligatoirement supervisé par l’eco, il est nécessaire que la Pologne y adhère. En effet, du point de vue administratif, aucun courant d’échanges en charbon ne peut être conclu individuellement et en dehors de l’eco. Les livraisons en charbon polonais relèveront du cadre des accords bilatéraux puisque les militaires alliés refusent de les prendre en charge. D’une part, leurs responsabilités en la matière prennent fin en août 1945 et, d’autre part, les Etats-Unis refusent de payer le prix fort de cette adhésion43. Les contrats se feront directement au niveau des gouvernements qui les transmettront à l’eco. Après plusieurs négociations, la Pologne entre officiellement dans l’eco en février 1946, dans les conditions suivantes : « l’importance de la position de la Pologne en tant que producteur et exportateur de charbon pour l’économie du pays devra être reconnue par sa participation appropriée dans l’administration de l’eco ; l’adhésion en tant que membre n’interférera pas dans les contrats polonais existants ou dans les obligations ou dans la liberté à conclure des accords bilatéraux ; il n’y aura pas d’engagement à recommander une uniformité des prix à l’exportation de charbon polonais sur tous les marchés, toute assistance sera offerte à la Pologne par l’eco pour lui obtenir un approvisionnement en matériel et en équipement minier.44 » Avec la Pologne, le réseau des échanges en charbon finit par retrouver un de ses principaux fournisseurs d’avant-guerre mais dans un cadre économique différent et délimité, qui est le bilatéralisme. Cet aspect sera étudié ultérieurement Peut-on alors espérer une amélioration dans l’équilibre du marché charbonnier ?

43Un autre chapitre de la politique des Etats-Unis en Europe doit être considéré à cause de l’importance qu’ils lui accordent. Les pays non-membres de l’eco, c’est-à-dire l’Italie, le Portugal, la Suisse et la Suède, font l’objet d’une politique très suivie en raison de leur position soit géopolitique comme la Suède qui sert de « rempart » à la finlandisation, soit strictement politique comme l’Italie en tant que pays semi-vaincu et totalement pris en charge par les Etats-Unis, et comme la Suisse qui a pour tâche d’ouvrir les comptes de dépôts de guerre des Allemands. Les Etats-Unis pressent les responsables de l’eco de faciliter leur entrée dans leur organisation afin de pouvoir accueillir tous les pays de l’Europe dans une même instance45. Leur moyen de pression consiste à menacer de livrer du charbon américain à ces pays sans passer par l’eco46, ce qui porterait gravement préjudice à son utilité internationale.

44De 1945 à 1947, l’eco permet de réunir autour de la même table tous les régimes politiques que connaît l’Europe, du Nord Scandinave au Sud méditerranéen et de l’Ouest à l’Est de l’Europe. Ces pays sont en 1945, du côté importateur, la Belgique, le Danemark, la France, le Luxembourg, la Grèce, la Norvège, les Pays-Bas. En 1946, l’eco accueille dans ses locaux les représentants des pays membres associés, à la différence des premiers qui sont membres à part entière. Ce sont la Suisse, la Suède, la Finlande, le Portugal. Ce statut d’associé s’explique par leur position de neutralité, toutefois à l’exception de la Finlande. Puis, en 1947, l’eco s’élargira avec l’entrée de la Tchécoslovaquie, en tant que membre à part entière, de l’Italie représentée par l’unrra (United Nations Relief and Rehabilitation Administration) et de l’Irlande. Quant au camp des pays exportateurs, ce sont principalement en 1945 la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, avec l’Afrique du Sud. En 1946, la Pologne et la Turquie viennent s’ajouter à cette liste. Ces adhésions sont très représentatives de la stratégie américaine qui vise à organiser le « monde libre » avec les pays de l’Europe.

45Afin de mieux saisir les pays prioritaires dans l’approvisionnement charbonnier, considérons la moyenne totale des livraisons effectuées dans chaque pays de 1945 à 1947 (graphique n° 4). L’Europe septentrionale (Norvège, Suède, Finlande) bénéficie d’une priorité absolue de la part des Etats-Unis, ce qui se traduira par des livraisons de charbon conséquentes. Il s’agit là de préserver la neutralité de la Suède, d’opposer un rempart au monde soviétique avec la Norvège, et d’offrir la diversité des sources à la Finlande, qui l’a réclamée47. Quant à l’Europe occidentale (la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg), ce sont des pays anciennement occupés. Il s’agit de contribuer à leurs dommages de guerre, mais aussi de minimiser les risques politiques auxquels sont sujets la France et la Belgique. L’Europe méditerranéenne (la Grèce, la Yougoslavie, le Portugal) contient un risque politique en ce qui concerne la Grèce particulièrement. Tous ces pays étaient auparavant normalement approvisionnés par la Grande-Bretagne, l’Allemagne, et la Pologne. Quant à l’Italie, pays semi-vaincu, et l’Autriche, pays vaincu, ils représentent un cas à part dans l’organisation et ne manqueront pas de susciter quelques animosités quant à leur approvisionnement prioritaire.

Moyenne des exportations en charbon allemand de 1945 à 1947

46L’Allemagne ne peut être représentée administrativement puisque ce pays a perdu son statut politique au moment de sa capitulation. Seul le contrôle militaire allié mis en place lui confère une certaine armature de gestion politique courante. Mais grâce à l’eco qui a la charge de gérer la distribution du charbon allemand, l’Allemagne charbonnière bénéficie en quelque sorte d’une structure administrative civile. De cette manière, la politique anglo-américaine protège cette source d’approvisionnement essentielle pour tous, c’est-à-dire aussi bien pour les pays libérés que pour les forces militaires occupantes en Allemagne.

Les pouvoirs de l’ECO

47L’eco remplit le rôle de médiateur entre les pays exportateurs et les pays importateurs. Une étude sommaire de ses structures administratives permettra de mieux saisir ses pouvoirs.

48Tout d’abord, les structures administratives sont simples et restreintes. Se trouvent à la tête de cette organisation un Président, de nationalité britannique (J. C. Gridley de mai 1945 à décembre 1945, puis E. Griffith de janvier 1946 à décembre 1947 ; tous deux viennent du Ministère de l’Energie de la Grande-Bretagne). Ce Président est assisté d’un Secrétaire général, français, Basile Aicard, de mai 1945 à décembre 1947. Un Conseil d’Administration réunit les représentants des pays membres devant lequel le Président et le Secrétaire Général et les Divisions de l’eco sont responsables. Ce Conseil détient le pouvoir de décision en matière de politique générale, où le principe de l’unanimité est observé. En plus de ce Conseil, de nombreuses Divisions ont la charge d’étudier un aspect spécifique, comme la Division des Allocations et de la Distribution, la Division de la Production, etc. Tous ces travaux sont suivis régulièrement par le Conseil. Le gouvernement britannique a la responsabilité d’assurer les moyens matériels, comme les locaux, les fournitures de bureau pour l’eco. Le siège se trouve ainsi à Londres au cours des deux années et demie de fonction. Tous ces pays ont délégué un représentant permanent à Londres, possédant dans la majorité des cas une expérience directe dans l’industrie charbonnière. A défaut, le pays se fait assister par des experts techniques.

49Les pouvoirs de l’eco consistent « à formuler des recommandations aux gouvernements des pays fournisseurs avec l’objectif d’assurer une distribution équitable des stocks disponibles de charbon destinés aux pays importateurs »48, ceci dans le but de résoudre les situations d’urgence. La tâche de l’eco sera de faciliter le travail des courants d’échanges, en mettant à jour les demandes et offres en charbon en provenance des deux camps. La transition d’un contexte de guerre totale à un contexte de reconstruction pacifique ne semble pas s’être déroulée sans heurts. Alors que la création de la Solid Fuels Section symbolisait dans toute sa clarté l’effort de guerre, la création de l’eco symbolise, elle, toute l’ambiguïté d’un équilibre entre la priorité militaire qui demeure et la priorité civile qui est reconnue pour le relèvement économique de l’Europe. En effet, l’eco n’est pas véritablement l’expression d’une volonté d’instaurer une instance européenne indépendante préconisée avant-guerre par la s.d.n. afin de résoudre la crise du marché charbonnier. Cependant, l’utilité d’un tel organisme est remise en cause par les Britanniques en octobre 1945, qui estiment que : « On n’aura bientôt plus besoin de l’eco comme agence d’allocations.49 » Est-ce une tentative des Britanniques pour lui attribuer plus de pouvoirs avant son officialisation le 1er janvier 1946 ? Dès lors, les Etats-Unis organisent un soutien actif pour maintenir les structures de l’eco telles quelles, par divers moyens, comme une augmentation des livraisons de charbon américain et, une participation américaine croissante au sein de l’organisation50. Cette affaire oblige néanmoins à redéfinir le rôle de l’eco, qui existe en tant qu’« organisme d’urgence. » Cela signifie qu’il disparaîtra aussitôt que la situation charbonnière sera améliorée.

Tableau n° 2. Organisation des demandes de charbon allemand auprès de l’ECO

50L’eco organise la distribution du charbon disponible dans deux cadres, les allocations proprement dites qui relèvent de décisions administratives, les accords commerciaux bilatéraux qui dépendent des relations entre Etats. Tout d’abord, il faut distinguer les allocations destinées aux militaires alliés et les allocations attribuées aux pays libérés, comme l’illustre le tableau n° 2 qui schématise la procédure des demandes.

51Les premières constituent une condition sine qua non. L’organisation n’a aucun droit de regard sur la méthode utilisée par les militaires pour établir leurs prévisions, ce qui n’a pas empêché certaines frictions entre l’eco et les Autorités Alliées. Ces dernières se montrent en effet très susceptibles en ce qui concerne leurs prérogatives, et n’ont de cesse de ne permettre aucune ingérence dans leurs estimations. Au moment de la passation des pouvoirs, les Autorités Alliées ont craint pour leur approvisionnement prioritaire en charbon, d’autant plus que les gouvernements estiment cette priorité quelque peu abusive. C’est pourquoi les militaires s’emploient à obtenir des garanties de la part des gouvernements, même si elles restent assez vagues : « les représentants des gouvernements nationaux confirment leur souhait et leur intention de continuer à satisfaire autant que possible les besoins militaires mais restent naturellement réticents à donner des garanties inconditionnelles sur les limites de temps ou de quantités.51 » Quant aux prévisions, les militaires abusent parfois de leur position prioritaire, comme on peut le voir dans le cas des Britanniques. C’est la British Army of the Rhine (baor) qui a la responsabilité de prévoir les besoins en charbon dans les secteurs de la France, la Belgique, la Hollande, l’Allemagne, et le Danemark. Elle recommande précisément que : « des pressions devraient être exercées par le moyen des Missions militaires britanniques. S’il est nécessaire, l’armée britannique informera les gouvernements alliés que si les besoins militaires n’étaient pas satisfaits, la seule alternative serait que le charbon soit transporté directement de la Ruhr pour satisfaire les demandes militaires.52 »

52Quant aux allocations civiles, elle est directement responsable. Mais leur calcul a posé de nombreux problèmes à cause de la complexité des facteurs présents et de la situation très rapidement changeante53. L’attribution de ces allocations s’établit dans le cadre des dommages de guerre et de la reconstruction économique du pays, selon le degré d’austérité dans lequel il se trouve. La référence du calcul de base soulève de nombreuses polémiques, car l’eco considère les années 1935-1937 pour le calcul du niveau de consommation d’avant-guerre. Or cette période s’avère avoir correspondu à une consommation anormalement basse puisqu’elle a aussi correspondu à un état de crise d’avant-guerre, mais aussi à un effort de guerre, déséquilibrant ainsi la répartition entre la part civile et la part militaire. Cette période ne peut évidemment pas prendre en compte les dommages de guerre qui accentuent les besoins en charbon. L’eco procède alors à une révision en 1946, en tenant compte de tous ces éléments54. En ce qui concerne le calcul de la demande allemande, il est exclusivement réservé aux militaires alliés qui l’ont déjà estimé et reporté dans le rapport des Forces Alliées du 18 mai 1945. L’eco n’a aucun droit de regard là-dessus.

53Le deuxième volet de la politique de distribution de l’eco, les accords commerciaux bilatéraux, connaît un succès plus franc et immédiat. Mais l’eco ne possède aucun pouvoir dans ce domaine, se contentant de les enregistrer. On verra plus loin la raison d’une telle limitation. Ces accords permettent à juste titre de restaurer les échanges commerciaux entre les différents pays européens basés soit sur le troc, soit sur le paiement en devises. Leur but est d’obtenir les produits nécessaires à leur économie, parallèlement aux allocations. Les pays neutres en sont les premiers bénéficiaires, étant donné qu’ils peuvent recevoir davantage de charbon avec ces accords commerciaux qu’ils n’en auraient obtenu avec les allocations. « Les pays neutres (Suisse, Portugal, Suède) ont reçu jusqu’à présent des livraisons en charbon dans le cadre des accords bilatéraux récemment conclus avec certains membres de l’eco, et de tels développements ont été très utiles pour l’avancement de la réhabilitation économique européenne.55 » Toutefois, un tel succès peut nuire au système des allocations comme le signale l’eco : « On doit suivre avec attention la conclusion de ces négociations sur un plus long terme dans le cadre des accords bilatéraux, depuis que l’effet net se ressent bien sûr dans la diminution substantielle du surplus disponible à l’exportation qui est soumis aux allocations de l’eco... Les pays membres qui reçoivent ces livraisons dans le cadre de tels accords, bien qu’ils montrent leurs reçus, tendent à être moins liés à la formule des allocations de l’eco dans sa position d’approvisionnement d’ensemble.56 »

54La Belgique, la France, les Pays-Bas, la Suisse, et l’Italie ont signé des accords avec l’ensemble des pays de l’Europe de l’Ouest. En échange du charbon, ils fournissent du coke ou encore du minerai de fer, ou bien de l’électricité. Mais ils ont aussi conclu des contrats avec les pays Scandinaves. Ces derniers s’orientent surtout vers la Pologne, sauf le Danemark qui a aussi passé des commandes à l’urss. La Tchécoslovaquie et la Yougoslavie ont plutôt signé des contrats dans le territoire des Balkans. Le cas de la Pologne illustre l’intérêt de telles transactions. Ce pays qui fut un gros fournisseur de charbon avant-guerre trouve véritablement sa voie de salut dans la politique des accords commerciaux. L’eco a particulièrement insisté auprès de ses membres sur l’opportunité de lier des relations commerciales avec la Pologne, dans le but de l’aider concrètement à reconstruire son économie. La Pologne livre alors du charbon et du coke à l’Europe entière en échange de biens industriels et de denrées alimentaires57. L’adhésion de la Pologne à l’eco malgré le refus de l’urss pour ce qui la concerne est une chance aussi bien pour celle-ci que pour l’Europe de l’Ouest. Il est en effet moins coûteux à l’urss de rétablir l’économie polonaise grâce à l’eco, et les pays européens trouvent leur avantage dans la possibilité de vendre leur produits manufacturés contre du charbon livré à bas prix.

55Pour conclure sur la gestion de l’eco, les chiffres suivants permettent d’identifier la principale source d’approvisionnement aussi bien au niveau des allocations qu’au niveau des accords commerciaux de 1945 à 194758. Dans le domaine des allocations, l’eco doit son existence pour 96,1 % aux sources d’approvisionnements américaine et allemande, les Etats-Unis assurant les 2/3 des allocations. Il est clair que le sort économique et politique de l’Europe dépend largement des Etats-Unis, et non pas de l’Allemagne, comme on aurait pu le supposer. Quant aux accords commerciaux, 60 % proviennent des tonnages de charbon fournis par la Pologne. Ensuite, vient la Belgique dans une plus faible proportion.

56La reconstruction du marché charbonnier s’élabore au fur et à mesure grâce à cette politique. Elle permet l’introduction effective du charbon américain en Europe, et assure la pérennité des courants d’échanges traditionnels avec l’Allemagne et la Pologne alors soumises toutes deux à un isolement politique (la Pologne ne l’étant encore que partiellement). Toutefois, ce marché d’après-guerre voit la disparition momentanée de la Grande-Bretagne et de la Belgique, et plus durablement celle des Pays-Bas et de la France. L’enjeu énergétique en 1945 se traduit dans la création de l’eco : serait-elle le reflet de la politique européenne des Etats-Unis visant à stabiliser de toute urgence les régimes politiques des pays récemment libérés pour contenir l’avancée de ce qu’ils considèrent comme le danger communiste ? L’eco s’avère être aussi un outil diplomatique précieux pour contenir les appétits des pays libérés en matière d’approvisionnement en charbon. Sa présence évite tout contact direct entre les Etats-Unis, principal fournisseur et principale puissance politique, et les protagonistes si divers du continent européen.