1 Jean François Macé naît à Paris le 22 août 1815 dans une famille très modeste. Son père, ancien soldat de la Révolution et de l’Empire, devenu "camionneur" au service d’une messagerie, meurt en 1833 dans un accident de diligence. Le futur fondateur de la Ligue de l’Enseignement reçoit une éducation catholique (et sa sœur deviendra religieuse). Sa mère, une humble ouvrière, le confie au curé de Saint-Eustache, qui lui apprend à lire et à écrire, en fait un enfant de chœur, avant de lui obtenir une bourse au collège Stanislas (1825). Macé y a notamment pour condisciples Hetzel et Sainte Claire Deville, se montre un élève brillant – il remporte six prix ou accessits au concours général – et en sort bachelier en 1835. Nommé régent de collège à Évreux, il n’occupera jamais son poste, supprimé avant son arrivée !

2Une période agitée s’ouvre, faite de menus travaux littéraires, d’activités de professeur "libre", et de fréquentation des lieux de plaisir. Un seul point fixe dans cette existence de "bohème romantique" : l’amitié de Théodose Burette, l’ancien professeur d’histoire de Stanislas que Macé aide à rédiger une Histoire ancienne et une Histoire de France et avec qui il signe son premier livre La Physiologie du fumeur (1842). En 1845, Burette arrache son disciple à l’armée, où celui-ci s’était engagé trois ans plus tôt, peut-être pour éponger une dette de jeu. La vie personnelle de Macé ne se stabilise qu’en 1850, par son mariage avec une ouvrière quasiment illettrée, de treize ans son aînée, Marie Louise Antoinette Sollier à qui il voua un véritable culte. Elle décédera en 1876. Le couple n’eut pas d’enfants.

3 A la fin de la Monarchie de Juillet, Jean Macé sympathise avec les doctrines saint-simoniennes, puis fouriéristes. Après février 1848, il y ajoute la ferveur républicaine. Journaliste politique, il milite dans les rangs "démoc-soc". Ses idées fondamentales s’expriment déjà dans de petites brochures de l’année 1848, qui furent peu lues : Lettres d’un garde national à son voisin (publiées en janvier sous le pseudonyme de Jean Moreau), Profession de foi d’un communiste, Discours d’un vrai républicain, Les Vertus du républicain, Les Entretiens du Père Moreau, Petit Catéchisme républicain. Hardi dans la critique sociale, il exclut le recours à la violence et préconise la coopération des classes et la fraternité des peuples. Son socialisme, à base associative, est un humanitarisme. Il croit en "une loi d’amour et d’attraction universelle”, loi d’origine divine qui interdit "la haine" autant que "l’oppression". Profondément déiste, il répudie le catholicisme, doctrine "triste " qui "a menti à la loi de Dieu en sanctifiant la douleur". La République est avant tout une exigence éthique, mais le suffrage universel, "enfant arrivé avant terme" appelle à titre de complément indispensable l’éducation des citoyens.

4De novembre 1848 à juin 1849, Jean Macé dirige avec Martin-Bernard le bureau de La Propagande Socialiste, une officine qui expédie en province des journaux et de la littérature avancée. Compromis avec Ledru-Rollin dans la manifestation du 13 juin 1849 contre le bombardement de Rome, il fait l’objet de poursuites judiciaires et se réfugie en Normandie pour échapper à une arrestation. Mais il bénéficie bientôt d’un non-lieu et à son retour organise la correspondance dans les départements du journal La République. Féministe convaincu, il collabore en 1850 à L’Opinion des Femmes de Jeanne Deroin et écrit des contes politiques (comme Les aventures du bonhomme Suffrage) pour L’Almanach, organe des associations ouvrières de Paris (de tendance phalanstérienne). Au cours d’un déplacement en province pour le compte de son journal (mars 1851), il fait connaissance à Beblenheim en Alsace de Coraly Vérenet, fondatrice en 1841 du Petit-Château, une maison d’éducation libre pour jeunes filles, marquée par l’esprit protestant. Macé et sa femme y trouvent refuge peu après le coup d’État du 2 décembre.

5Au-delà de l’expérience du "professeur de demoiselles", passionné d’innovations pédagogiques, se découvre pendant le séjour à Beblenheim un réel talent dans un genre nouveau : la vulgarisation scientifique à l’usage de la jeunesse. Macé atteint la célébrité avec L’Histoire d’une bouchée de pain (1861) publiée par Hetzel, suivie par Les Contes du Petit-Château (1862), L’Arithmétique du grand-papa (1863), Les Serviteurs de l’estomac (1866), L’Anniversaire de Waterloo (1869). Les deux anciens condisciples avaient fondé en 1864 Le Magasin d’Éducation et de Récréation, périodique à l’intention des enfants et de leurs familles, qui connaîtra un vif succès.

6Après 1860, Jean Macé mêle les engagements sociaux et éducatifs, grâce au climat favorable de l’Empire libéral. En Alsace, où il est un des promoteurs de la Société des bibliothèques communales du Haut-Rhin (1863) et de diverses œuvres coopératives, il fréquente les notables locaux et le patronat protestant mulhousien. En juin 1866, il devient franc-maçon, initié lors de la fête solsticiale de la Loge "La Parfaite Harmonie" de Mulhouse. Ses interventions nombreuses en font très vite un personnage de premier plan dans la Maçonnerie alsacienne. Toutes ces activités servent de tremplin au succès de la Ligue de l’Enseignement, dont Macé a lancé ouvertement l’idée dans deux articles de L’Opinion Nationale le 15 octobre et le 15 novembre 1866.

7La guerre de 1870 met à mal son humanitarisme. Macé participe à l’organisation des secours aux blessés lors du siège de Strasbourg et en octobre 1872 quitte l’Alsace annexée pour s’installer (avec tout le Petit-Château) à Monthiers dans l’Aisne, où il poursuivra presque jusqu’à la fin son activité d’éducateur. Son activité de propagandiste républicain s’étale au grand jour avec les Lettres d’un paysan d’Alsace à un sénateur sur l’instruction obligatoire (1870) et surtout la série Les Idées de Jean-François dont les sept premières brochures paraissent en 1872-1873 ; la huitième, A cercles catholiques, sociétés républicaines, date du second "Ordre moral" (1876), moment où Macé multiplie les conférences, l’engagement dans les campagnes électorales, et les articles de presse : il entre au Siècle, lance avec Charles-Louis Chassin La Semaine républicaine (1877-1878), puis collabore au supplément du dimanche de La Petite République Française (1878-1879).

8Avec la victoire définitive des Républicains vient le temps de la consécration. Macé est fait chevalier de la Légion d’honneur (février 1880) pour services rendus à la presse. Grâce à Gambetta qui y fera un discours remarqué, il peut réunir en avril 1881 le congrès constitutif de la Ligue française de l’Enseignement dont il restera le président et l’animateur jusqu’à son dernier souffle. Le 8 décembre 1883, il est élu sénateur inamovible par les groupes républicains de la Haute Assemblée, pour remplacer le comte de Lasteyrie et s’inscrit à l’Union républicaine. Son activité parlementaire se réduit à peu de choses : de rares discours perçus comme maladroits, quelques propositions relatives à l’école, à l’éducation militaire de la jeunesse, et au féminisme qui ne seront jamais adoptées (à l’exception de celle qui en 1892 confère l’électorat aux femmes dans les tribunaux de commerce).

9Au vrai, c’est surtout à travers la Ligue que Jean Macé conçoit son rôle politique. De celle-ci, il cautionne les tendances anticléricales (sans pourtant adhérer explicitement à la notion de "laïcité" à laquelle il préfère "neutralit" !) et les orientations patriotiques (tout en empêchant la fusion avec la Ligue des Patriotes). Toujours fidèle à l’inspiration "phalanstérienne " de sa jeunesse, le quarante-huitard est devenu un républicain modéré. En 1887, il participe à un "congrès national républicain”, d’où est issue l’Association nationale républicaine : toutefois il n’ira pas jusqu’à adhérer à cette structure politique ferryste fort opposée aux radicaux. En fait Jean Macé reste un inclassable : son dernier discours au Sénat, le 8 décembre 1894, est une diatribe contre l’expédition de Madagascar, dont la tonalité est à contre-courant du consensus colonialiste en train de prévaloir, y compris chez les radicaux.

10En dehors de la Ligue, Macé a appartenu au cours des années 1880 à l’État-major de nombreuses associations, comme la Société Franklin ou la Ligue nationale d’Éducation physique. Il a poursuivi ses activités maçonniques, notamment dans le cadre de la Loge "Alsace-Lorraine".

11Jean Macé est décédé à Monthiers, le 13 décembre 1894. Sans s’être converti au protestantisme, il eut conformément à sa volonté des obsèques protestantes (avec un pasteur libéral). Il était devenu un personnage légendaire. Un monument – aujourd’hui disparu – fut élevé à sa mémoire à Paris (place Armand-Carrel) à la suite d’une souscription du conseil municipal et de la Ligue de l’Enseignement et inauguré le 13 juillet 1900.

Écrits de l’intéressé :

12Morale en action, Mouvement de propagande intellectuelle en Alsace, Paris, J. Hetzel, 1865, 263 p. ; L’ennemi, Paris, tous les libraires, 1880, 144 p. ; La Ligue de l’Enseignement à Beblenheim, 1862-1870, Paris, G. Charpentier, 1889, 690 p. ; Philosophie de poche, Paris, J. Hetzel, 1893, 176 p.