Littré Maximilien Paul Émile 1801-1881
p. 399-402
Texte intégral
1Michel-François Littré, père de Maximilien Paul Émile, appartenait à une vieille famille normande d’Avranches qui avait compté sept générations d’orfèvres. Engagé à dix-huit ans dans les troupes de marine, il servit d’abord comme canonnier avant d’atteindre le grade de sergent-chef. Il accueillit la Révolution avec enthousiasme mais ne la connut que de loin puisqu’il combattit sur mer jusqu’aux approches du 18 Brumaire. Rentré dans le civil et installé à Paris, il trouva un emploi de contrôleur des Droits réunis. Il épousa Sophie Johannot, dont la famille, fixée à Annonay depuis 1634, était apparentée aux Boissy d’Anglas et amie des Montgolfier. Le père de Sophie, Jean-Baptiste Johannot, avait été maire de Saint-Étienne en 1793 ; élu député à la Convention, il avait appartenu à la Montagne et avait été assassiné par les compagnies royalistes de Jésus et du Soleil en 1796. Si les deux époux étaient séparés par la religion – Michel François, d’origine catholique était un incrédule notoire alors que Sophie garda toujours très vive sa foi protestante –, ils partageaient un commun amour pour la République et pour l’instruction. Michel-François possédait une culture étonnante pour un homme de sa condition ; il apprit seul le grec et le sanscrit et devint membre de la Société asiatique de Paris.
2Émile naquit à Paris, le 1er février 1801, mais sa petite enfance se déroula à Angoulême et à Cognac. Les époux Littré ne revinrent dans la capitale qu’en 1811, après la mort de leur petite fille, victime du croup. Cette disparition fut l’occasion de la première crise dépressive grave d’Émile Littré ; tout au long de sa vie, chaque deuil le plongea dans "une sorte de stupeur muette… comme mort à tout". La famille, qui comptait un second garçon, Barthélémy, s’installa dans l’actuelle rue Champollion et Émile fréquenta le lycée Louis-le-Grand où il eut comme condisciples Louis Hachette et Eugène Burnouf. Il fréquentait également Jules Barthélémy Saint-Hilaire, son cadet de quelques années. Bachelier, il pensa d’abord à l’École polytechnique ; un accident l’empêcha de se présenter au concours. Il fut alors engagé par le comte Pierre Daru, pair de France, membre de l’Académie française, cousin d’Henri Beyle, qui achevait son Histoire de la République de Venise et cherchait un collaborateur. C’est pendant cette période de deux ans qu’Émile Littré apprit l’anglais, l’allemand et l’italien. En novembre 1822, il s’inscrivit à la Faculté de médecine mais celle-ci ayant été fermée peu après pour cause de troubles estudiantins, il dut attendre 1823 pour commencer ses études médicales. Il fut reçu à l’externat en 1824, à l’internat en 1826. Michel-François Littré mourut en 1827 ; ce fut un grand choc pour le fils aîné, qui donna des leçons de grec et de latin pour aider à subvenir aux besoins de sa mère et de son jeune frère, tout en collaborant, première expérience du journalisme, au Journal hebdomadaire de médecine, fondé en 1828 par Andral et Bouillaud. La révolution de 1830 le vit, un fusil à la main, sur les barricades de la Cité, aux côtés de Louis Hachette et d’un autre ami, Georges Farcy, qui fut mortellement blessé. En 1830, alors qu’il n’avait plus que sa thèse à soutenir, il décida, à la stupéfaction de ses maîtres et de ses condisciples, de renoncer à la carrière médicale. Mais il n’abandonna jamais tout à fait la médecine ; pendant plusieurs années, il continua de fréquenter le service du Dr Rayer à La Charité ; il consacra une partie de son œuvre à des ouvrages médicaux. Il publia une étude sur le choléra, qui fut fort remarquée, en 1832 et un article sur les grandes épidémies dans La Revue des Deux Mondes du 15 janvier 1836. Il collabora à le seconde édition du Dictionnaire de médecine, couramment dit Dictionnaire des Trente, rédigé par Adelon, Béclard, Bérard et alii (1832-1846). Il assura la rédaction d’un journal médical, L’Expérience, fondé en 1837 avec M. Dezeiméris ainsi que la réédition du Dictionnaire de médecine de Nysten, menée en collaboration avec Charles Robin. Il s’intéressait à la physiologie, traduisit le célèbre manuel de Müller en 1846, et prônait l’expérimentation. Mais son grand œuvre en matière médicale fut la traduction et la publication des œuvres complètes d’Hippocrate qu’il poursuivit seul de 1839 à 1861. Il n’est donc pas étonnant que l’Académie de médecine l’ait élu membre associé le 2 février 1858. En outre, ayant acquis, en 1848, une maison sise à Mesnil-le-Roi, près Maisons-Laffitte, il exerça bénévolement la médecine auprès des paysans pendant une trentaine d’années.
3Après avoir renoncé à la médecine, Émile Littré consacra une bonne partie de son activité au journalisme. Il entra au National en 1831, d’abord comme traducteur d’articles étrangers, avant d’en devenir, après la mort d’Armand Carrel, le principal rédacteur ; il cessa sa collaboration en 1851. Il donna des articles savants, scientifiques et littéraires, au Journal des Débats, à La Revue des Deux Mondes, au Journal des Savants, à La Revue Républicaine, à La Revue Germanique. Mais l’essentiel de sa production intellectuelle ne s’adressait pas aux journaux. Outre la traduction des manuscrits d’Hippocrate, grâce à laquelle il fut élu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres dès 1839, il traduisit La Vie de Jésus de Strauss (1839), fut responsable, à partir de 1844, de la publication de L’Histoire littéraire de la France, édita les œuvres d’Armand Carrel en 1857.
4Un autre volet de son activité consista en articles et en ouvrages sur la philosophie positive. En 1840, année fondamentale pour lui, il prit connaissance du positivisme, – dans lequel il trouvait outre l’explication du monde et de l’histoire qui lui manquait, le refus de toute métaphysique qui était déjà le sien depuis longtemps –, et se lia avec Auguste Comte dont il se fit le plus ardent disciple jusqu’à la brouille survenue en 1851- 1852. Toutefois, après celle-ci et jusque dans les dernières années de sa vie, il se montra fidèle envers la doctrine positive. Aussi, lorsqu’il se présenta pour la première fois à l’Académie française en 1863, Mgr Dupanloup fit une active campagne contre lui et parvint à empêcher son élection, faisant, dit Sainte-Beuve, du "nom estimé" de Littré un nom célèbre et "presque populaire". Lors de la seconde candidature, en 1871, l’évêque d’Orléans essaya des mêmes armes mais ne put, cette fois, empêcher l’élection de Littré. La cérémonie de réception se déroula seulement en 1873, après l’achèvement du dictionnaire, comme Littré lui-même le désirait.
5En effet, après la traduction des collections hippocratiques, l’autre grande aventure intellectuelle de sa vie fut celle du célèbre Dictionnaire de la langue française, à laquelle il songea dès 1841 mais qu’il ne mit réellement en chantier qu’en 1846 et dont les premiers fascicules sortirent en 1863. Il mena quasiment seul cette œuvre démesurée, s’adjoignant des collaborateurs officieux, notamment sa femme et de sa fille.
6Car, tout reclus et tout solitaire qu’il était, Émile Littré s’était marié le 26 octobre 1835 avec Pauline Lacoste, plus jeune que lui de quatorze années et dont tout semblait le séparer puisqu’elle appartenait à une famille catholique et monarchiste et qu’elle témoignait à l’origine de fort peu d’intérêt pour la vie intellectuelle. Les Littré eurent un seul enfant, Sophie, née le 18 février 1838. Contrairement à son propre père, qui avait refusé qu’il fût baptisé, Émile Littré ne s’opposa jamais à sa femme en matière religieuse et accepta le baptême de l’enfant, puis son éducation religieuse. Fragile et angoissé, Émile Littré put surmonter d’autres deuils douloureux, la mort de son frère en 1838, celle de sa mère en 1842, celle de Louis Hachette en 1863, grâce à sa vie familiale et à son intense activité intellectuelle.
7La vie intellectuelle de Littré se doubla d’une participation à la vie politique du pays. 1830 : les barricades ; 1848 : un mandat de conseiller municipal de Paris auquel il mit fin en 1849 après avoir, par ailleurs, refusé le poste de ministre de l’Instruction publique qu’on le pressait d’accepter. Il resta ferme républicain durant l’Empire. Il se mit à la disposition de Gambetta dès le 16 septembre 1870 ; le 11 janvier 1871, celui-ci le fit nommer professeur à l’École polytechnique, alors transférée à Bordeaux mais Littré n’y fit qu’un cours car tous les élèves s’engagèrent. Le 8 février 1871 il fut élu à l’Assemblée nationale par les électeurs de la Seine. La Commune n’eut pas sa sympathie. La ville de Saint-Denis l’envoya siéger au conseil général de la Seine le 15 octobre 1871 et celui-ci le choisit comme vice-président. Il accorda son appui à Thiers et soutint Charles de Rémusat contre Barodet. L’année 1875 vit à la fois sa réception au Grand Orient de France, – lors de la célèbre cérémonie du 8 juillet à la Loge " La Clémente Amitié" aux côtés de Jules Ferry et de Joseph-Honoré Chavée –, et son élection comme sénateur inamovible. Il siégea à la Gauche républicaine et s’opposa au Seize Mai.
8Il mourut le 2 juin 1881. S’il avait sévèrement critiqué son positivisme dans la réédition de Conservation, révolution et positivisme en 1879, il semblait toujours, dans Pour la dernière fois (1880), étranger à toute métaphysique et à toute religion révélée. Cependant, malade et affaibli, il fut assez souvent visité, durant les derniers mois de sa vie, par l’abbé Huvelin. Il fut baptisé, juste avant sa mort, non par ce prêtre, mais par sa propre femme. Littré emporta avec lui le secret de ce qui fut peut-être une authentique conversion. Ses obsèques religieuses furent un grand sujet de scandale pour les francs-maçons et les libres penseurs mais elles suscitèrent l’allégresse des catholiques ou plutôt du parti clérical.
Ecrits de l’intéressé :
9Ses publications représentent 13 pages au catalogue des imprimés de la B.N. " Pour la dernière fois", Philosophie positive, t. XXIV, 1880 (1), p. 321-342.
Bibliographie
Bibliographie :
Charles Sainte-Beuve, Notice sur M. Littré, sa vie et ses travaux, Paris, Louis Hachette, 1863, 57 p. ; Stanislas Aquarone, The life and Works of Émile Littré, Leyden, A-W. Sÿthoff, 1958, 217 p. ; Jean-François SIX, Littré devant Dieu, Paris, Le Seuil, 1962, 222 p. ; Alain REY, Littré. L’humaniste et les mots, Paris, Gallimard, 1970, 351 p.
Auteur
-
Jacqueline Lalouette
Chargée de recherche au CNRS
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Métro, dépôts, réseaux
Territoires et personnels des transports parisiens au XXe siècle
Noëlle Gérôme et Michel Margairaz (dir.)
2002
Policiers dans la ville
La construction d’un ordre public à Paris (1854-1914)
Quentin Deluermoz
2012
Maurice Agulhon
Aux carrefours de l’histoire vagabonde
Christophe Charle et Jacqueline Lalouette (dir.)
2017
Autonomie, autonomies
René Rémond et la politique universitaire en France aux lendemains de Mai 68
Charles Mercier
2015