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Les immortels du Sénat, 1875-1918

 | 
Alain Corbin
, 
Jean-Marie Mayeur

Les cent seize inamovibles de la Troisième République

Letellier-Valazé Charles Romain 1812-1876

Jean-Pierre Chaline

Texte intégral

1Avec le général Letellier-Valazé, ce sont les vertus militaires jointes à une adhésion loyale à la République que venait consacrer l’élection comme sénateur inamovible ; choix d’autant plus apprécié que la Seine-Inférieure, son département d’adoption, manquait un peu de gloires de ce genre.

2Né le 18 avril 1812 à Argentan, Charles Letellier, qu’une ordonnance du 2 mai 1839 autorisa à ajouter officiellement à son patronyme le nom de Valazé, éteint après la mort d’un oncle maternel, le baron Dufriche de Valazé (qui lui-même s’était illustré sous les armes avant d’être élu député de l’Oise), appartenait à une famille de notables de l’Orne. Son grand-père maternel, avocat, avait siégé à la Convention où, accusé de fédéralisme, il se donna la mort très théâtralement en 1793, se poignardant en pleine séance. Son père était receveur des finances et c’est dans ce milieu qu’il allait marier ses deux filles. Le fils, Charles, opta pour l’armée. Il devait y connaître une carrière brillante.

3Admis à Saint-Cyr, il sort dans un bon rang en 1833 et passe à l’École de l’état-major. Lieutenant en 1836, capitaine en 1840, sa promotion se fait sur le terrain et il n’est guère d’opérations dont il soit absent. Longtemps en Algérie où il est blessé devant Constantine, on le retrouve aide de camp du général Cavaignac en 1848, puis lieutenant-colonel en Crimée. Colonel pendant la campagne d’Italie où il combat à Palestro et Turbigo, général de brigade au Mexique, il sera blessé devant Metz en 1870 et fait prisonnier. Promu enfin général de division, il est nommé par Thiers sous-secrétaire d’État à la Guerre, fonction qu’il avait brièvement occupée déjà, en 1840 auprès de Thiers, et qu’il gardera du 24 mars au 4 juin 1871. Un moment décisif où il contribue fortement à organiser l’armée de Versailles face à la Commune.

4Mis ensuite à la tête de la 2ème division militaire, à Rouen, il retrouve une ville où tant ses fonctions que ses loisirs l’avaient fait souvent séjourner et qui était ainsi devenue sa cité d’adoption, notamment du fait de son mariage, en 1847, avec une demoiselle de Verton, fille d’un baron d’Empire et originaire de la région. La dot de celle-ci – plus de 400 000 francs en biens fonciers – devait apporter une large aisance à ce soldat jusqu’alors estimé "sans fortune personnelle". Considéré comme "un de nos meilleurs officiers généraux" dont "les talents militaires, l’indépendance et la loyauté" font alors l’unanimité, Letellier-Valazé, appelé au commandement d’une division active de l’armée à Paris, est promu en 1873 grand officier de la Légion d’honneur. Couronnement d’une belle carrière entièrement consacrée au métier des armes ? C’est alors, à 61 ans, qu’il entre en politique.

5L’occasion lui en est fournie par l’élection partielle d’un représentant de la Seine-Inférieure, en novembre 1873, après le décès de Ludovic Vitet. Sollicité par les républicains rouennais dont la modération était connue, il accepte, malgré d’anciennes sympathies orléanistes, d’être leur candidat, affirmant sans ambiguïté son refus de la "fusion" et son ferme soutien à une République conservatrice, celle de Thiers dont il avait toujours été un des fidèles et qu’il avait aidé naguère à rédiger certains chapitres militaires de son Histoire du Consulat et de l’Empire. Brillamment élu, il va siéger au Centre gauche, ce qui lui vaut d’être relevé de son commandement, puis mis en disponibilité. A l’Assemblée, il se prononce pour la proposition de Casimir-Perier proclamant la République, pour la dissolution de 1874, pour l’amendement Wallon, les lois constitutionnelles, contre le ministère Broglie et la loi sur l’enseignement supérieur.

6La mise en place du Sénat lui permet d’être élu parmi les inamovibles le 15 décembre 1875 ; il incarne au sein de la Haute Assemblée une armée ralliée à la République. Mais le temps lui sera refusé d’y avoir quelque rôle, Letellier-Valazé, tout comme l’ex-empereur, n’ayant pas surmonté une opération de la maladie de la pierre. Mort sans postérité le 11 octobre 1876 à son domicile parisien, rue de l’Arcade, le général devait être honoré de funérailles grandioses à l’église de la Madeleine, puis inhumé au cimetière Montmartre.

Bibliographie

Sources et bibliographie :

S.H.A.T. 9 D 1494 dossier personnel du général ;

Pascal Milès, Les parlementaires de Seine-Inférieure, 1871-1885, Université de Rouen, maîtrise, 1988, dir. J.P. Chaline ; William Serman, Les officiers français dans la nation, 1848-1914, Paris, Aubier-Montaigne, 1982, 281 p. ; Almanach de Rouen et de la Seine-Inférieure (annuel) ; Journal de Rouen les 12 (par Léon Brière), 13 ("Lettres de Paris", par P. Gravier) et 14 octobre 1876 (compte rendu détaillé des funérailles avec honneurs militaires).

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