Le Royer Philippe Élie 1816-1897
p. 394-397
Texte intégral
1Né à Genève le 27 juin 1816, Elie Le Royer appartient à une vieille famille protestante originaire de La Rochelle dont l’un des membres était au XVIème siècle imprimeur du roi à Paris ; elle a dû s’exiler en Suisse après la révocation de l’édit de Nantes. Ses ascendants, pharmaciens ou officiers, ont occupé dès le début du XVIIème siècle une place importante dans la société genevoise. Son grand-père, Augustin Le Royer (1729-1815) a été co-directeur de l’Hôpital ; son père, Charles (1770-1840), est capitaine de la garnison de la ville au moment où naît son fils Élie. Celui-ci, élevé dans le culte réformé, part étudier le droit à Paris : il est alors avocat successivement à Paris, puis à Chalon-sur-Saône (1843-1854) puis enfin à Lyon où il s’installe en 1855.
2C’est à Lyon qu’Élie Le Royer s’éveille à la politique par le biais du barreau et de la franc-maçonnerie : il est membre de la principale Loge lyonnaise, "le Parfait Silence", qui regroupe l’élite intellectuelle de la ville et la plupart des avocats républicains ; il y côtoie les futurs parlementaires Louis Andrieux et Édouard Millaud. Vénérable de cette Loge en 1860- 1862, il entretient alors des relations courtoises avec l’administration préfectorale. Lors des élections législatives de 1863, Le Royer soutient contre les vieux républicains radicaux et de concert avec le journal conservateur Le Salut Public les candidatures locales de l’opposition libérale : l’échec de celles-ci le condamne à une éphémère retraite politique dont il ne sort qu’en 1869, après une réconciliation avec les milieux radicaux.
3Les événements de septembre 1870 donnent un réel élan à la carrière politique d’Élie Le Royer, nommé par Crémieux procureur général à Lyon. Avec ses amis et collègues Andrieux (procureur de la République) et Millaud (avocat général), il maîtrise la situation insurrectionnelle locale et s’attache à éviter les détentions arbitraires de personnalités du Second Empire : il obtient ainsi l’élargissement du préfet Sencier. Ce défenseur de l’ordre, à la fois soutenu par les républicains et les conservateurs, est élu représentant du Rhône à l’Assemblée nationale le 8 février 1871 et démissionne alors de son poste de procureur. A Versailles, Le Royer se veut d’abord l’élu des Lyonnais. Il défend les opinions libre-échangistes et les intérêts des soyeux en dénonçant le projet d’impôt sur les matières premières indigènes. Il soutient activement la revendication des franchises municipales lyonnaises supprimées par le décret du 25 mars 1852 ; il coordonne ainsi, en compagnie des députés Lucien Mangini et Nicolas Ducarre (du Centre gauche), de son ami légitimiste Lucien-Brun ou de personnalités lyonnaises éminentes (dont le banquier Édouard Aynard), une campagne d’envergure qui culmine avec son intervention du 2 avril 1873. Cette lutte contre l’administration centrale prend un tour plus politique lorsqu’il condamne, le 23 juin 1873, les arrêtés du préfet du Rhône Ducros interdisant les enterrements civils après sept heures du matin : il en profite alors pour demander le respect de la liberté de conscience, "conquête inaliénable de la Révolution française héritée", selon lui, de la Réforme.
4Ce républicain spiritualiste et modéré acquiert donc une place de premier ordre à l’Assemblée et au groupe de la Gauche républicaine dont il est l’un des présidents dès 1871. Vice-président de la deuxième commission des Trente en mai 1875, il prend une part importante à l’élaboration des lois constitutionnelles : il est notamment l’auteur de l’amendement supprimant le mandat impératif. Son élection comme sénateur inamovible en décembre 1875 couronne son ascension politique. Ce spécialiste des questions juridiques, qui écrit peu mais travaille beaucoup en commission, refuse pourtant d’être nommé procureur général à la cour des comptes (1878) ou à la cour de cassation (janvier 1879). Il accepte cependant, le 4 février 1879, d’être ministre de la Justice dans le cabinet Waddington. Il doit alors régler deux problèmes politiques et judiciaires majeurs : l’amnistie des communards et la républicanisation de la magistrature.
5 Dès le 20 février 1879, il défend à la Chambre le projet gouvernemental adopté par le rapporteur de la commission, son ami Louis Andrieux. Refusant de voir dans la Commune une simple "explosion de douleurs et de souffrances endurées pendant cinq mois de siège", il insiste sur les risques politiques de l’amnistie plénière réclamée par l’extrême gauche radicale ; mais il estime, contre les représentants du Centre (dont le sénateur Bérenger), que la grâce ne suffit pas. Aussi propose-t-il l’"amnistie personnelle" de ceux "qui ont suffisamment expié leur faute". Il fait ainsi voter une procédure inédite visant à appliquer l’amnistie – acte législatif – aux condamnés préalablement graciés par le pouvoir exécutif. Il appliquera avec clémence cette loi restrictive puisque 850 individus (la plupart condamnés de droit commun) sur 14 000 n’en bénéficient finalement pas. Les radicaux condamnent pourtant cette solution, d’autant plus que Le Royer organise une ferme répression contre leur campagne de réhabilitation de la Commune. La républicanisation de la magistrature le place également dans une position inconfortable. S’il révoque, de février à juin 1879, 539 magistrats (notamment des juges de paix dont il déplore le rôle "d’agents électoraux") dont quatorze procureurs généraux (sur 26), il tente d’agir avec modération pour réorganiser le Conseil d’État. Le 3 juillet, il combat la position de la commission de la Chambre qui demandait de révoquer en bloc le Conseil existant ; il propose d’augmenter le nombre de ses membres (qui passe de 22 à 30) et de conserver parmi les conseillers titulaires ceux qu’il juge indispensable par leur expérience. L’hostilité de ceux-ci le pousse à épurer plus profondément le Conseil : il nomme finalement vingt conseillers nouveaux.
6Élie Le Royer a donc été le ministre le plus exposé d’un ministère combattu par la droite et contesté par la gauche. Suspecté par Waddington de vouloir donner des gages aux radicaux (en évoquant publiquement la possibilité de suspendre l’inamovibilité de la magistrature), il doit démissionner dix jours avant ses collègues, le 11 décembre 1879. La défiance conjuguée du Centre et de l’extrême gauche lui coûte une élection à la présidence du Sénat en mai 1880. Mais il est élu, en 1882, à ce poste dont il démissionnera en 1893 pour raisons de santé. Pendant cette période, il ne se départit de sa réserve que pour soutenir le régime républicain : face aux radicaux, il affirme lors des fêtes commémoratives du centenaire de la Révolution que "l’éducation de la France nouvelle" est une œuvre progressive et qu’il ne faut pas s’étonner que "la Révolution ne soit pas encore close" ; dans la tourmente boulangiste, il préside avec fermeté, du 8 au 14 août 1889, la Haute Cour de Justice chargée de juger Boulanger, Dillon et Rochefort. Ce grand notable parisien, fidèle soutien des Républicains de Gouvernement, meurt sans alliance et sans descendance le 22 février 1897 à Paris.
Bibliographie
Sources et bibliographie :
A.D. Rhône, 4M (police politique), notamment 4M263 (loges maçonniques, 1860- 1900) ;
Journal Officiel, 1873 et 1879 ; L’Année Politique, 1879 et 1889 ; Anonyme (docteur Crestin), Souvenirs d’un lyonnais. Écrits par un de nos compatriotes, témoin et souvent acteur des faits historiques qui se sont passés à Lyon depuis 1857 et jusqu’en 1871, Lyon, imp. Decleris père et fils, 1897, 370 p. ; Edouard Millaud, Le Journal d’un parlementaire, publié sous la dir. de L. Payen et J. de Bérys, Paris, G. Oudin, 1914-1925, 4 vol., t. 1 à 3 ; Louis Andrieux, A travers la République, Paris, Payot, 1926, 358 p.
Auteur
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Mathias Bernard
Allocataire moniteur normalien, doctorant
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