Laurent-Pichat Léon 1823-1886
p. 380-382
Texte intégral
1La vie privée de Léon Laurent-Pichat tient d’une fiction romanesque. Né le 12 juillet 1823, il fut enregistré sous le nom de Laurent, "matronyme" avancé par sa mère. On retrouve trace de Léon Laurent en 1832, alors qu’il était élève de l’Institut Chevreau à Saint-Mandé. Le 28 janvier, il fut baptisé dans l’église paroissiale de cette commune, ayant pour parrain un riche propriétaire, Étienne Pichat. Le 5 septembre 1832, celui-ci en fit son légataire universel. Le 20 novembre 1837, Étienne Pichat adopta son filleul, qui devint Léon Laurent-Pichat. Il mourut le 20 avril 1838 laissant à l’adolescent un capital de 535 436 francs et des sources de revenus annuels avoisinant les 27 000 francs. Un nouveau coup de théâtre se produisit en 1851 : le 5 septembre une dame Geneviève Élisabeth Rose Leroi, veuve de Louis Achille Deslandes, se présenta devant un notaire et déclara reconnaître pour son fils naturel M. Léon Laurent qui a été "déclaré à tort comme étant né de Rosine Laurent". Par sa mère, il avait une demi-sœur, Rosine Caroline Deslandes ; celle-ci épousa en 1851 un professeur agrégé de grammaire, Emile Ambroise Amédée Beaujan, qui sera nommé inspecteur d’Académie hors classe en 1879.
2Adulte, Léon Laurent-Pichat reproduisit les mystères de son enfance. Le 29 juin 1861, il reconnut pour sa fille une enfant née à Paris le 2 août 1856, déclarée sans patronyme ni "matronyme", sous le double prénom de Marie-Geneviève, comme étant née "de père et mère inconnus". L’acte de reconnaissance par le père ne contient aucun élément susceptible d’aider à l’identification de la mère. Une tradition familiale veut que Laurent-Pichat ait été l’amant de la princesse de Beauvau. En 1877, Marie-Geneviève Laurent-Pichat épousa Charles Risler, futur maire du VIIème arrondissement. Cette union créa des liens familiaux entre Laurent-Pichat et la nébuleuse des Ferry-Kestner-Floquet-Risler. En effet, Charles Risler, fils de Camille Risler et d’Eugénie Kestner, était le frère d’Eugénie Risler, la jeune femme de Jules Ferry. Par son mariage Marie-Geneviève Laurent-Pichat devint donc la nièce de Charles Floquet et d’Auguste Scheurer-Kestner et la belle-sœur de Jules Ferry. D’autres liens familiaux doivent être signalés. La fille d’Émile Beaujan et de Rosine Deslandes se maria avec Abel Hovelacque, anthropologue et linguiste, disciple de Paul Broca, fondateur de la Bibliothèque des Sciences contemporaines et de la Revue de Linguistique, qui fut conseiller municipal puis député de Paris.
3Grâce à la fortune que lui avait laissée son père adoptif, Léon Laurent-Pichat n’avait pas eu à se soucier de l’exercice d’une profession. En 1842, il entreprit avec son ami Henri Chevreau, le fils du directeur de l’Institut de Saint-Mandé, le classique voyage d’Italie, de Grèce et d’Orient (Égypte et Syrie). A leur retour, ils publièrent en commun un recueil de poésie, Les voyageuses. En 1847, Laurent-Pichat publia, sous son seul nom, Libres Paroles, recueil de vers dans lesquels pointe le libre penseur.
4Tandis que le grand ami de jeunesse, Henri Chevreau, rallié à Louis-Napoléon se lançait dans une carrière politique, Laurent-Pichat, lui, se déclarait fervent républicain et persévérait dans les lettres. Dans les années 1850 et 1860, il publia divers romans, essais ou recueils de poésies. Vers la fin de l’année 1860, il devint un des conférenciers attitrés des Conférences de la rue de la Paix ; il entretenait des relations d’amitié avec les autres conférenciers : Eugène Pelletan, Émile Deschanel, Victor Borie. En 1862, il fit paraître, sous le titre Les poètes de combat, les conférences prononcées pendant l’année 1861. Parallèlement, il abordait une carrière de journaliste, collaborant à La Revue de Paris, au Propagateur de l’Aube – où il fit la connaissance de Louis Ulbach –, et, plus tard, au Phare de la Loire. Un article paru dans ce journal le 13 octobre 1865 lui valut des poursuites judiciaires pour avoir "outragé et tourné en dérision la religion catholique". Le procès se déroula le 20 novembre 1865 devant le tribunal correctionnel de Nantes ; Léon Laurent-Pichat fut condamné à trois mois de prison et dut payer 1000 francs d’amende. A partir de 1868, il donna des correspondances littéraires au Réveil de Charles Delescluze, dont il fut le principal bailleur de fonds.
5Les opinions de Léon Laurent-Pichat, ses alliances familiales, ses amitiés, ses relations – il fréquentait le salon de Juliette Lamber –, sa fortune aussi vraisemblablement, faisaient de lui un personnage influent dans le camp républicain. Candidat aux élections de février 1871, il fut élu représentant de la Seine et prit place dans les rangs de l’Union républicaine. Il fut élu sénateur inamovible le 17 décembre 1875 et siégea à l’extrême gauche.
6Il devint franc-maçon sur le tard puisqu’il fut reçu apprenti à la Loge "La Clémente Amitié" (Orient de Paris, Grand Orient de France) le 23 décembre 1876. Un peu plus tard, en juin 1882, il compta, ainsi que Charles Risler et Abel Hovelacque, parmi les membres fondateurs d’une autre Loge, "La Fédération maçonnique" (Orient de Paris, "Grande Loge Symbolique Écossaise").
7Léon Laurent-Pichat mourut le 12 juin 1886, âgé de 63 ans. Il était paralysé depuis environ un an et fut emporté par une fluxion de poitrine. Ses obsèques civiles eurent lieu au Père-Lachaise. Il laissait à son héritière unique, sa fille Marie-Geneviève, une importante fortune frisant les deux millions et un immeuble (39, rue de l’Université), d’une valeur de 470 000 francs et rapportant 23 500 francs de loyer par an.
Écrits de l’intéressé :
8Les Voyageuses, Paris, Dauvin et Fontaine, 1844, 348 p. ; Libres Paroles, Paris, Comptoir des imprimeurs unis, 1847, 260 p. ; Chroniques rimées, Paris, lib. nouvelle, 1856, 439 p. ; Les poètes de combat, Paris, E. Jung Treuttel, 1862, 381 p. ; Heures de fête-Album intime, Nancy, Berger-Levrault, 1893, 247 p.
Bibliographie
Sources et bibliographie :
Actes de naissance (microfilm 1009, A.D. Paris, communiqué par R. Lévêque), de décès (mairie du VIIè arrondissement) et de baptême (1 C 4, A.D. Val-de-Marne) de Laurent-Pichat ; Acte de naissance de sa fille (V 2 E 7010, A.D. Paris) et de sa sœur (V 2 E 2840, A.D. Paris) Sommier foncier et succession d’Étienne Pichat et de Laurent-Pichat (DQ 7 3564, DQ 18 (39) pour le premier, DQ 8 1694 et DQ 7 11882 pour le second ; Minutier central, études XXXIII (carton 1204), LXXXIV (cartons 892 et 1136) ; registre de La Clémente Amitié ; archives du Grand Orient de France ; archives de La Fédération maçonnique ; archives de La Grande Loge de France ; dossier professionnel du beau-frère (F 17 20117, A.N.) ; Le Phare de la Loire (année 1865, renseignements transmis par F. Naud) ; Le Réveil- La République française (10-24 décembre 1875 et juin 1886). Nous remercions Sylvie Aprile pour les informations relatives à Étienne Pichat et à la tradition familiale.
Auteur
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Jacqueline Lalouette
Chargée de recherche au CNRS
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