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Les immortels du Sénat, 1875-1918

 | 
Alain Corbin
, 
Jean-Marie Mayeur

Les cent seize inamovibles de la Troisième République

Jauréguiberry Bernard 1815-1887

Jacques-Olivier Boudon

Texte intégral

1Né le 26 août 1815 à Bayonne (Basses-Pyrénées), il appartient par ses ascendances paternelles à une famille de notables basques d’origine catholique, traditionnellement vouée au service des armes. Son grand-père, Jean Jauréguiberry, né à Ascain (Basses-Pyrénées) en 1749, fut capitaine au long cours. Marié en 1778 à Gracieuse Dichas, dite La Faye, il avait eu trois fils, tous devenus officiers. Le troisième, Bernard Jauréguiberry, né le 8 juin 1781 à Bayonne, fut second du corsaire l’"Austerlitz", avant d’être fait prisonnier par les Anglais sous le Premier Empire. Rentré en France en 1814, il devient en 1818 commandant du port de Bayonne. Auparavant il avait épousé, à Londres, Anne Chambers, née en 1783 à Basingstore en Angleterre, d’origine protestante, et fille de John Chambers, officier de marine, et de Jane Russel. Installés à Bayonne, les Jauréguiberry eurent trois enfants, dont l’aîné est le futur amiral. Le second, Lucie, née en 1817 à Bellocq (Basses-Pyrénées), meurt sans alliance. Le dernier, Pierre, né en 1820 à Bayonne, épouse à Mens dans l’Isère dont elle était originaire, Marie Julie Odzenne, fille d’Antoine Odzenne et de Jeanne Bernard ; ils eurent quatre enfants morts sans postérité. Pierre achève sa carrière comme administrateur des forges et chantiers de la Méditerranée à La Seyne (Var).

2Élevé dans le protestantisme par sa mère, Bernard Jauréguiberry poursuit la tradition familiale, en entrant en 1831 à l’École navale. Aspirant de seconde classe en octobre 1832, il participe à l’expédition contre la Hollande, à bord de la frégate la "Mélpomène”, puis à bord de la "Junon". En 1833, il est envoyé au large des côtes du Portugal, et de là au large du Sénégal. Après un retour en France en 1836, il repart pour l’Amérique latine en 1837 et participe, sur la corvette "Le Sapho", au blocus de Buenos-Aires. En 1839, il est promu enseigne de vaisseau et rentre en France en 1840, avant de repartir en Égypte, puis à la Réunion. A partir de 1843, il appartient à l’escadre de Méditerranée et sert sur plusieurs bâtiments. Il est promu tardivement, en décembre 1845, lieutenant de vaisseau. A partir de 1846, il sert sur le vaisseau "Pellion" et obtient en 1848 la croix de chevalier de la Légion d’honneur. Après avoir été affecté à la division de Toulon, il obtient enfin un commandement, sur l’aviso à roues, la "Chimère", en partance pour les Antilles en novembre 1852, ce qui lui permet de participer en 1854 à la mission franco-britannique pour l’ouverture d’un passage entre l’Atlantique et le Pacifique, mission que son excellente connaissance de l’anglais, sa langue maternelle, facilite. Atteint par la fièvre jaune, il regagne la France à la fin de 1854. A partir de juin 1855, il participe à la guerre de Crimée, d’abord à la tête de la canonnière la "Grenade" avec laquelle il participe à l’attaque du fort de Kiburn, puis il reçoit le commandement du groupe de canonnières. A l’issue de la guerre, il est promu, en novembre 1856, capitaine de frégate et nommé major à la division des Équipages de la Flotte à Toulon. Mais dès décembre 1857, il choisit de nouveau la mer et part pour l’expédition de Chine, au cours de laquelle, il participe à plusieurs combats, ce qui lui vaut d’être promu officier de la Légion d’honneur. Il se voit ensuite confier le commandement de Saïgon après avoir participé à la prise de la ville. Promu capitaine de vaisseau en juillet 1859, il est chargé de diriger les marins envoyés sur Pékin et participe au combat victorieux de Palikao. De retour en France en avril 1861, il est fait commandeur de la Légion d’honneur en octobre. Puis, en décembre, il prend ses fonctions de gouverneur du Sénégal, où il s’installe avec sa famille. Il est également commandant de la division navale. Il quitte le Sénégal en mai 1863, pour prendre en juillet le commandement de la frégate cuirassée la "Normandie" qu’il est chargée d’organiser. A terre de 1865 à 1867, il reçoit alors le commandement du cuirassé la "Revanche". Puis, après avoir été promu contre-amiral le 24 mai 1869, devient major de la Flotte à Toulon, poste qu’il occupe jusqu’en juin 1870. Placé à la tête du cuirassé l’"Héroïne", de l’escadre d’évolutions, il est envoyé vers les côtes allemandes au début de la guerre. Mais en fait, il retourne à Cherbourg en septembre 1870 pour participer à la défense des ports du littoral. Il organise les défenses autour de l’arsenal de Cherbourg, avec Jaurès comme chef d’état-major.

3Au début du mois de novembre 1870, Jauréguiberry est nommé commandant de la première division du 16ème corps d’armée du général Chanzy. Il participe aux combats de Coulmiers, Gommiers et Villepion, ce qui lui vaut d’être fait grand officier de la Légion d’honneur, puis à la retraite sur Orléans. En décembre, il obtient le commandement du 16ème corps d’armée, fort alors de trente mille hommes, et prend part aux combats sur la Loire. Vice-amiral depuis le 9 décembre 1870, il tente d’organiser le repli de ses troupes vers le Mans, puis le 8 janvier 1871, prend le commandement de toutes les colonnes détachées de l’armée avec lesquelles il engage la bataille du Mans des 10 et 11 janvier, mais doit de nouveau faire retraite, même s’il parvient à contenir les Allemands à Saint-Jean-sur-Erve. A l’issue de son élection à l’Assemblée nationale, il abandonne le commandement du 16ème corps d’armée au général Barry. Après la dissolution de l’armée de la Loire, Jauréguiberry est nommé commandant en chef du 5ème arrondissement maritime ; il démissionne de son siège de député en décembre 1871 et se rend à Toulon où il reste jusqu’en septembre 1875. Il devient alors président du conseil de l’Amirauté. Puis, en octobre 1876, il est nommé commandant en chef de l’escadre de Méditerranée, avec comme second l’amiral Peyron. Après avoir reçu la médaille militaire en 1877, il est promu grand-croix de la Légion d’honneur en janvier 1879. Il est également administrateur des chantiers et forges de la Méditerranée. En 1879, l’amiral Jauréguiberry abandonne son commandement pour devenir ministre, mais en août 1880 il est maintenu dans le cadre des officiers généraux, sans limite d’âge, pour avoir combattu devant l’ennemi.

4Sa carrière politique commence en 1871 lorsqu’il se présente aux élections du 8 février dans les Basses-Pyrénées, le berceau de sa famille paternelle. Il siège au Centre droit, mais participe peu aux travaux de l’Assemblée dont il démissionne du reste en décembre 1871 pour aller occuper les fonctions de préfet maritime de Toulon. En janvier 1876, il est candidat aux élections sénatoriales, toujours dans les Basses-Pyrénées, mais cette fois-ci sans succès, malgré le soutien de Duclerc, un habitué comme lui du salon de Juliette Adam. Son retour en politique s’effectue donc par le biais de l’entrée au gouvernement. Ce républicain modéré devient en effet ministre de la Marine et des Colonies dans le cabinet Waddington, de février à décembre 1879, poste qu’il conserve dans le premier cabinet Freycinet, de décembre 1879 à septembre 1880. C’est donc alors qu’il appartient au gouvernement qu’il est élu sénateur inamovible le 27 mai 1879. Il siège à gauche au Sénat et soutient la politique des opportunistes, notamment en matière coloniale. Jauréguiberry redevient ministre de la Marine et des Colonies, dans le second cabinet Freycinet, de janvier à juillet 1882, puis conserve ses fonctions dans le cabinet Duclerc jusqu’en janvier 1883. Il choisit alors de démissionner pour protester contre la loi proscrivant les princes d’Orléans de l’armée et se consacre à son travail de sénateur.

5Devenu définitivement parisien depuis qu’il a acquis en 1883 un hôtel particulier, au 45 boulevard Suchet, l’amiral Jauréguiberry peut enfin jouir de quelques années de retraite, en famille. Il s’était marié jeune, le 20 novembre 1843 avec Noémie Lucie Gardes alors âgée de vingt ans. Par ce mariage, il s’intègre véritablement au monde réformé français, puisque son beau-père, Jean-Jacques Gardes, né en 1793 à Négrepelisse, était devenu en 1817 le premier pasteur de l’Église réformée de Nîmes. Le mariage fut du reste célébré au temple réformé de Nîmes. De cette union naissent trois enfants. L’aînée, Elisa, née en 1845, épouse en 1882 au temple de l’Oratoire à Paris Charles Cotard, ingénieur, devenu directeur des phares de l’empire ottoman. La seconde, Mathilde, née en 1846, meurt en 1922 à Paris sans descendance. Le troisième enfin, Horace Anne Alfred, né en 1849 à Nîmes, suit les traces de son père puisqu’il meurt en 1919 vice-amiral et grand-croix de la Légion d’honneur, après avoir épousé Marguerite Claris, née en 1858, fille d’Edmond Claris, sénateur du Gard entre 1885 et 1894, et de Delphine de Lagorce. Alfred Jauréguiberry eut un fils et deux filles, par lesquels les Jauréguiberry s’allient aux familles de Lassence, Méjan, de Cazenove et Rothé-Lazergues. L’ancrage de l’amiral Jauréguiberry dans le protestantisme s’affirme encore au cours de sa vie, notamment à Toulon où il s’engage dans la vie de l’Église réformée locale. De même, il est membre du comité pour l’érection d’un monument à l’amiral de Coligny, mis sur pied en 1872. Ses obsèques religieuses se déroulent enfin au temple de l’Oratoire à Paris le 24 octobre 1887, trois jours après sa mort survenue le 21, des suites d’une affection pulmonaire. L’amiral Jauréguiberry est ensuite inhumé au cimetière Montparnasse.

Bibliographie

Sources et bibliographie :

S.H.M. dossier 992 996 ; Félix Dupont, "Notice nécrologique sur l’amiral Jauréguiberry", La Revue maritime et coloniale, février 1888, Paris, lib. militaire Beaudouin, 38 p. ; Michel Richard, "Les ministres protestants du cabinet Waddington", Actes du Colloque "Les protestants dans les débuts de la IIIème République", Paris, 3-6 octobre 1978, Paris, Société de l’histoire du protestantisme français, 1979, p. 199-216 ; Michel Richard, "Notices sur les quatorze sénateurs inamovibles d’origine protestante, élus sous la IIIème République", Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français, t. 137, 1991, p. 265-316 ; François Roth, La guerre de 70, Paris, Fayard, 1990, 778 p.

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