1Issu d’une des plus célèbres dynasties tourangelles, avec les Marne, Eugène Gouin naquit le 18 septembre 1818 à Saint – Symphorien (Indre-et-Loire). Le premier du nom, Antoine Gouyn, négociant, se fixa à Preuilly-en-Touraine au XVIIème siècle. Le grand-oncle d’Eugène, Henri Gouin-Moisan inaugura l’entrée de la famille dans les fonctions administratives et publiques : maire de Tours en 1795, président de la Chambre de commerce en 1832, fondateur de la caisse d’épargne de Tours, député en 1815. Son père, Alexandre Henry (1792-1872), illustre admirablement l’ascension définitive des Gouin. Directeur de la banque fondée en 1714, qui porte son nom, président du tribunal de commerce et de la Chambre de commerce, député constamment réélu de Tours intra-muros, de 1831 à 1848, ministre du Commerce et de l’Agriculture sous Thiers, vice-président du Corps législatif en 1863 puis sénateur en 1867, il fut le doyen d’âge avec 38 années de mandat. Il se retira des affaires après la chute de l’Empire et la proclamation de la République. Sa mère, Adèle Henriette Marteau (1794-1873) était la fille du directeur de l’enregistrement et des domaines de Tours. Son cousin Ernest, né en 1815, assura les fonctions de régent de la Banque de France et de constructeur de navire et de matériel ferroviaire.

2Dans cette famille de la bourgeoisie d’affaires, bien enracinée dans la vie économique et politique tourangelle, Eugène fit ses premières armes. Après ses études au lycée Louis-le-Grand, à Paris, il reprit l’affaire familiale et devint rapidement codirecteur de la banque Gouin et frères à Tours.

3De son mariage, le 10 octobre 1842 avec Louise Jeanne Christin (1825-1905), il eut cinq enfants : Louis, banquier marié à Thérèse Cottin ; Marie-Cécile épouse du baron Raoul d’Auvray ; Georges, banquier marié à Jane Taigny ; Ernest décédé à 16 ans ; Gabrielle épouse du comte Pierre Masson Bachasson de Montalivet, diplomate et petit-fils du sénateur inamovible. Sa sœur, Louise (1814-1903) épousa Charles Cunin-Gridaine, fabricant de draps à Sedan, sénateur des Ardennes en 1876 et lui-même descendant de Laurent Cunin-Gridaine qui fut ministre du Commerce de 1839 à 1848.

4Eugène Gouin cumula des présidences et des responsabilités dans les conseils d’administration : les caisses d’amortissement des dépôts et consignations, la Société générale des chemins de fer économiques, la caisse d’épargne et des compagnies d’assurances, comme dans les commissions de surveillance : la colonie agricole pénitentiaire de Mettray et la prison de Tours. Il assuma la charge, transmise entre membres de la famille, déjugé dès 1848, puis de président du tribunal de commerce de 1856 à 1879.

5Surnommé le "Pereire tourangeau", il traitait avec les plus grosses fortunes, correspondant des Rothschild, en relation avec les banques Guérin à Lyon, Luce et Regnard à Marseille. Il fut administrateur de la Banque d’Indochine et un des fondateurs en 1872 de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Grand brasseur d’affaires, présent dans la haute finance, le commerce et l’industrie, il détint les principaux postes de direction de la vie tourangelle. Actionnaire du Journal d’Indre-et-Loire dont l’existence s’acheva en 1926, de la papeterie Marray avec les Marne, membre en 1853 puis président de la Chambre de commerce de 1858 à 1879, il s’intéressa médiocrement au petit commerce. Son nom est encore lié à la Société d’horticulture et à la Société archéologique de Touraine qui avait été fondée en 1840.

6Sa carrière politique est le prolongement obligé de ses activités. Bénéficiant de l’influence politique de son grand-oncle et de son père, il partage avec ce dernier ses opinions conservatrices, approuvant le coup d’État. Conseiller municipal de Tours en 1848, réélu de justesse en 1865, il consolida son implantation locale en se faisant élire conseiller général pour le canton de Tours en 1867, réélu en 1871 jusqu’en 1892. Maire de Tours en novembre 1866, avec peu de voix d’avance, il se présenta comme "le défenseur des idées d’ordre et de stabilité" et conserva la mairie jusqu’en 1874. Il fut maire de Fondettes, petite commune où il résidait dans son château de la Plaine, de 1884 à 1892, année où il ne se représenta pas.

7Le siège vacant au Corps législatif laissé par son père lui revenait de “droit” mais il échoua aux législatives des 4 et 5 janvier 1868 malgré l’appui de la propagande officielle, devancé par Georges Houssard, patronné par l’Union libérale. Il se représenta le 8 février 1871 et bénéficia de son action durant l’occupation. En janvier 1871, il s’était rendu en délégation auprès des troupes prussiennes pour solliciter l’arrêt des bombardements, et organisa des quêtes et des secours, ce qui lui valut d’être officier de la Légion d’honneur.

8Conservateur libéral, il s’inscrit aux deux réunions du Centre et fut un des fondateurs du Centre gauche. Spécialiste des questions concernant les grandes organisations financières de l’État, il fait parti dès 1872, et d’une façon continue, des commissions des finances et du budget. Il fut rapporteur du compte de liquidation de la guerre, du projet de réforme des pensions, président de la commission relative au privilège de la Banque de France, aux caisses des dépôts des crédits agricoles.

9Nommé "le sénateur malgré lui", il avait déclaré ne pas vouloir poser sa candidature, la veille de son élection comme sénateur inamovible le 15 décembre 1875. Avec ses 34 ans de mandat, il fut un des vice-doyens du Sénat et continua de siéger au Centre gauche de la Chambre Haute. De 1880 à 1887, il fut membre de la sous-commission des finances, en 1881, rapporteur du projet des crédits destinés à renforcer les forces navales, il exprima sa confiance dans le cabinet Ferry.

10Ses votes confirment ses options modérées en faveur d’une République à tendance conservatrice : se prononçant pour la paix, s’abstenant pour la loi du septennat prolongeant les pouvoirs de Mac-Mahon, il vote l’amendement Wallon, contre l’abrogation de l’article 9 des lois constitutionnelles (loi pour le retour à Paris des Chambres), soutient en 1877 le gouvernement Dufaure, se prononce pour le retour au scrutin d’arrondissement et pour le projet de loi Lisbonne restreignant la liberté de la presse en 1889, contre le projet de loi Waldeck-Rousseau autorisant les syndicats professionnels. Il sut évoluer de l’allégeance à l’Empire à une République très modérée.

11Il décéda le 31 mai 1909 à Paris VIIIème d’une congestion pulmonaire, muni des derniers sacrements. Les obsèques se déroulèrent en l’église Saint-Augustin, en présence d’une délégation du Sénat, et son corps fut transporté à Tours. A son décès, il était propriétaire du Château de la Plaine estimé à 200 000 francs, d’un hôtel 35, rue du Commerce 60 000 francs, et d’un immeuble au 37, boulevard Béranger 162 000 francs. Au décès de sa femme, en 1905, l’actif de la communauté s’élevait à 15 825 636 francs et diverses propriétés.