1Considéré comme un des fondateurs de la République, Isaac Jacob Crémieux naquit à Nîmes, le 30 avril 1796, dans une famille Israélite, originaire de Carpentras. Sur son acte de naissance, une mention marginale indique qu’ "en vertu de l’ordonnance rendue le 10 juillet 1817, par le tribunal de grande instance de Nîmes, le prénom d’Adolphe a été substitué à Jacob".

2Son père David, petit négociant en soieries à Nîmes, par ses fonctions d’officier municipal, fut incarcéré en 1793 et perdit trois de ses enfants avant sa naissance. Libéré en 1795, mis en faillite, il retrouve une certaine aisance à la fin de sa vie. Sa mère, Rachel Carcassonne, appartenait à une famille Israélite bien connue dans le Midi. Après le décès paternel, le 12 janvier 1819, Adolphe Crémieux paya intégralement ses dettes et obtint sa réhabilitation judiciaire en 1837, mais en sauvant l’honneur de sa famille, il retardait son entrée dans la vie politique.

3Après le pensionnat à Nîmes, tenu par des maîtres catholiques, il entra en 1808 comme élève interne au lycée impérial de Paris où il se lia d’amitié avec Montalivet fils. Il y fit de brillantes études, comme le prouvent ses succès au concours général et reçut de ses condisciples le surnom de "l’avocat" pour l’élégance et la vivacité de sa parole. Jeune bonapartiste, il prit l’initiative d’une adresse de fidélité à Napoléon, le 16 avril 1815. Ayant suivi des études de droit à Aix-en-Provence, il obtint avec succès sa thèse en 1817.

4Par son mariage avec Louise Amélie Silny, le 2 décembre 1824 à Metz, il entra en relation avec les principales communautés juives de France. Affublée du sobriquet de "la mère rouge", elle eut une grande influence sur son activité politique. Ainsi, il quitta Nîmes lors de la révolution de Juillet sous sa pression, elle insista pour qu’il donne sa démission de ministre en juin 48, et qu’il retire le projet de loi sur le rétablissement du divorce. Convertie avec ses enfants au catholicisme, elle fut responsable de l’interruption provisoire de ses hautes fonctions dans le judaïsme. Elle devait décéder une semaine avant lui, le 2 février 1880.

5Crémieux fut admis au barreau de la cour d’appel de Nîmes en août 1817, où il occupa rapidement la première place. Il allait devoir surmonter la religion, le passé républicain de son père et ses opinions libérales. En 1822-1823, il plaida deux affaires d’assises, Magan et Polge, qui portèrent au comble sa renommée d’avocat. Le 30 août 1830, il racheta la charge d’Odilon Barrot, avocat au Conseil d’État et à la cour de cassation pour 203 000 francs et s’installa à Paris.

6Dès 1831, et surtout au commencement du règne de Louis-Philippe, il s’adonna au journalisme, collabora au Mouvement qui fusionnera plus tard avec la Tribune. Ce fut un défenseur de la cause de la liberté de la presse comme la Tribune, le Courrier français, le Charivari, la Caricature, le National et la Gazette de France et des journaux de province, de la poésie avec les satires politiques de Bastide. Il fut un des fondateurs de la Nouvelle Minerve et publia un article sur la nécessité de réviser le procès du Maréchal Ney (1835). De son activité de journaliste, il sut garder une attitude de juriste.

7Fidèle à sa vocation d’avocat tout en ne négligeant pas les mouvements politiques, il rédigea en 1831, un manifeste adressé à la nation polonaise réclamant l’intervention de la France et devint membre dès 1834 du comité de secours aux insurgés polonais avec Lafayette et Victor Hugo. En 1832, il s’illustra lors du procès des saint-simoniens.

8En 1835, devenu "une des lumières du barreau de France", aux côtés de Dufaure et Jules Favre, il conçut l’idée d’une œuvre immense le Code des codes résumant l’ensemble des textes législatifs et publia le 1er volume sur Le Code constitutionnel (1835). Il vendit sa charge en 1836 pour devenir avocat à la cour royale de Paris. Gardien des principes du barreau libéral de la finance et de l’industrie, par le grand procès financier du Second Empire de Jules Isaac Mirés, il démontra une nouvelle fois son habileté et son érudition. Véritable modèle d’éloquence et de logique, sa plaidoirie fut publiée en 1861.

9Inscrit au tableau de l’Ordre des avocats depuis 1837, membre du Conseil de l’ordre de 1845 à 1848, et de 1856 à 1866, il échoua par deux fois à l’élection du bâtonnat (1862 et 1864) mais Alphonse Bonhoure, premier secrétaire de la Conférence lui rendit hommage en 1885.

10Son œuvre de défenseur naturel des juifs persécutés fut toute aussi importante. Membre laïque du Collège des notables israélites de la circonscription de Marseille le 5 août 1828, il s’est illustré l’année précédente dans un procès du "serment more judaïco". Ce procès plaidé à plusieurs reprises eut un retentissement dans toute la France. La suppression du serment, par un arrêt de la cour de cassation en 1846, fut le triomphe de deux principes fondamentaux : égalité de tous devant la justice et liberté de pensée.

11Nommé au Consistoire central le 27 décembre 1830, il assista régulièrement à toutes les séances et fut chargé en son nom d’un grand nombre de missions à l’étranger, notamment en Orient, et des demandes auprès du gouvernement et de la Chambre des députés. Il devint vice-président le 3 juillet 1834 puis président le 31 décembre 1843. Il tint tête à Mehemet Ali et fit acquitter en 1840 les juifs de Damas, accusés de cruauté envers un prêtre catholique. Il se consacra aussi aux œuvres de bienfaisance, et aux établissements scolaires, dont la célèbre École rabbinique de Metz. Le 4 décembre 1840, il créa une école pour les enfants israélites, l’"école Crémieux" inaugurée au Caire, avec sa contribution annuelle. Il se retira de l’activité judaïque et démissionna de la présidence du Consistoire central le 7 juillet 1845 à la suite de la conversion de sa femme et de ses enfants au catholicisme. En juin 1860, il participa à l’élaboration des statuts de l’Alliance Israélite Universelle, en devint président le 23 juin 1863, et le resta jusqu’à sa mort. Il est alors à la tête du judaïsme européen, joue un rôle actif pour l’émancipation des juifs des Balkans, de Serbie, de la Roumanie à la Syrie, du Maroc, de la Tunisie. "Véritable homme orchestre des juifs d’État républicain", il fut à l’origine du décret Crémieux promulgué le 28 octobre 1870, "les Israélites des départements de l’Algérie sont déclarés citoyens français". Le décret fut maintenu jusqu’à l’indépendance de l’Algérie (sauf entre 1940 et 1943).

12Initié à la Loge nîmoise "Le bienfait anonyme" en 1818, membre du Grand Orient, il passa au rite écossais, devint lieutenant commandeur le 19 juin 1868 puis Grand-Maître le 8 mars 1869 jusqu’à sa mort.

13Par le biais du barreau, de la franc-maçonnerie et de ses relations, il entra en politique le 9 juillet 1842, en se faisant élire à Chinon (Indre-et-Loire) contre le candidat officiel, Piscatory, avec le soutien des légitimistes et des électeurs paysans. Réélu au 2ème tour le 1er août 1846 par une coalition de gauche et de l’extrême droite, il s’opposa au gouvernement de Guizot, à la politique étrangère, à la présence à l’Assemblée des députés fonctionnaires, nommés et rémunérés par l’exécutif et chargé de le contrôler, s’indigna du rôle de ses collègues dans les sociétés commerciales. Sa popularité fut renforcée par son rôle dans la campagne des banquets réformistes en 1847 et 1848. Il démontra la nécessité d’une réforme électorale et parlementaire. Le 24 février 1848, il devint le ministre de la Justice du gouvernement provisoire de la République et démissionna le 5 juin à cause de la demande en autorisation de poursuite contre Louis Blanc. Réélu en Indre-et-Loire, le 13 mai 1849 jusqu’en 1851, il siégea dans la minorité démocratique. Après le coup d’État, il fut arrêté le 2 décembre 1851, interné à Mazas puis libéré dès le 14 décembre. Il quitta la scène politique et se consacra au barreau. Après son échec en mai 1869 dans la Drôme, il se fit élire dans la 3ème circonscription de la Seine contre le conservateur Pouyer-Quertier.

14Homme de paix, il fut le 15 juillet 1870, quatre jours avant la déclaration de guerre à la Prusse, un des rares à ne pas voter les crédits militaires. Appelé pour la seconde fois au gouvernement, il n’y siégea que pour défendre l’intérêt de son pays. Du 4 septembre 1870 au 19 février 1871, il devint ministre de la Justice dans le gouvernement de la Défense nationale. Délégué à Tours pour représenter le gouvernement, il exerça les pleins pouvoirs pendant cinq jours, mais s’effaça début octobre devant Gambetta. Il fit décréter l’amnistie générale des crimes et délits politiques et l’abolition du serment prescrit aux fonctionnaires depuis 1852. Il prononça, le 28 janvier 1871, la destitution de plusieurs magistrats qui avaient pris part aux jugements des commissions mixtes en 1851.

15Battu à Chinon aux élections générales du 8 février 1871, il remit ses pouvoirs à l’Assemblée nationale le 14 février 1871 ainsi que ceux de membre du gouvernement et de ministre de la Justice. Réélu aux partielles le 20 octobre 1872 à Alger, il siégea à l’Union républicaine de 1871 à 1875 puis comme président en décembre 1873. Malade de la goutte, de retour à la Chambre, il prit rarement la parole et se contenta de voter. Il se prononça avec Gambetta contre l’ordre du jour Ernoult dont le vote incita Thiers à démissionner, pour la motion Dufaure en faveur de la République (5 novembre 1873), contre le pouvoir exécutif confié pour 7 ans à Mac-Mahon (19 novembre 1873), s’opposa en 1874 à la mise en place d’une commission d’enquête en Algérie qui aurait pour but de donner une constitution à l’Algérie, vota pour l’amendement Wallon (30 janvier 1875).

16L’Assemblée nationale, en témoignage de son estime, l’élit le 15 décembre 1875 sénateur inamovible, au 6ème tour avec 342 voix. Il siégea à l’extrême gauche et n’aborda plus guère la tribune du Sénat. Le 22 juin 1877, il vota contre la dissolution de la Chambre des députés.

17Adolphe Crémieux décéda le 10 février 1880, au 81 rue de la Pompe à Paris. Il reçut des funérailles nationales, récompense réservée aux citoyens qui ont rendu de grands services à la Patrie, et son enterrement fut suivi au cimetière Montparnasse, par Gambetta, Président de la Chambre, Pelletan, vice-président du Sénat, Cazot, ministre de la Justice, Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique, Arago, sénateur et A. de Rothschild, président du Consistoire central. Sa fortune, laborieusement acquise, fut évaluée à 2 025 356 francs.

18De son mariage, il avait eu deux enfants, Mathilde et Gustave. Claire Mathilde, épousa Charles Alfred Peigné, avocat à la cour impériale le 15 janvier 1853 en l’église Saint-Roch et à la mairie du Xème arrondissement de Paris. Ils eurent deux filles, Henriette et Valentine qui devait mourir en 1876 à 21 ans, deux mois après avoir épousé le peintre Lecomte du Nouÿ. La fille d’Henriette Peigné, prénommée Valentine, épousa Gaston Thomson (1848-1932), député de Constantine, ministre de la Marine de 1905 à 1908 puis ministre du Commerce et de l’Industrie de 1914 à 1915.

19 Son fils, Adolphe Gustave, décéda en 1872 d’une pneumonie dans une maison de santé de Lausanne. Il avait à sa mort une fille Amélie Mathilde Louise Crémieux, âgée de 12 ans qui épousa par la suite Charles Marie Jean Cruppi (1855-1933), avocat général à la cour de cassation, député de la Haute-Garonne, ministre du Commerce et de l’Industrie dans le cabinet de Clemenceau où il retrouva Gaston Thomson. Il fut ministre des Affaires étrangères en 1911 puis garde des Sceaux. Leur fille Amélie épousa le sculpteur Paul Landowski.

Écrits de l’intéressé :

20Liberté ! Plaidoyers et discours politiques mis en ordre par Émile Bionne, Paris, ss ind. typo., 1869, 348 p. ; Gouvernement de la Défense Nationale, Actes de la délégation de Tours et de Bordeaux (ministère de la Justice), Tours, Mazereau, 1871, 2 vol., p. 99- 128.