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Les immortels du Sénat, 1875-1918

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Alain Corbin
, 
Jean-Marie Mayeur

Les cent seize inamovibles de la Troisième République

Brun Henry Louis Lucien 1822-1898

Mathias Bernard

Texte intégral

1Né le 2 Juin 1822 à Gex, Lucien Brun appartient à une famille de notables catholiques originaire de la Bresse. Avoué au tribunal de première instance de Gex, son père, Louis, est maire de la ville, mais meurt prématurément. Lucien, élevé par sa mère, est envoyé dès 1835 comme interne au collège jésuite de Fribourg : ce séjour de trois ans ancre en lui des convictions religieuses intransigeantes et lui permet de côtoyer de futures personnalités monarchistes comme Diesbach et le lyonnais Gabriel de Saint-Victor. Pour obtenir son baccalauréat, il achève ses études au collège royal de Lyon où il suit les cours de philosophie spiritualiste de l’abbé Noirot, adepte de la maïeutique socratique. En octobre 1840, il s’installe à Paris pour s’inscrire à la Faculté de droit d’où il sort, cinq ans plus tard, titulaire du doctorat. Ce contempteur de la vie parisienne refuse alors les propositions de carrière qui lui sont faites pour retourner à Gex. En 1846, il s’inscrit au barreau de Lyon.

2Une prestigieuse et précoce carrière d’avocat commence alors : Lucien Brun aime émouvoir et sait se servir d’une éloquence remarquable. Sous le Second Empire, il est l’une des personnalités éminentes d’un barreau lyonnais qui revendique son indépendance par rapport au pouvoir politique. Il se lie d’amitié avec de nombreux collègues dont le républicain Le Royer et les monarchistes Jacquier ou Baune. Le 10 août 1870, il est élu bâtonnier de son ordre. Ce couronnement marque le début d’une retraite professionnelle interrompue par quelques procès retentissants ; en 1877, il défend à Alger Monseigneur Lavigerie dont il est l’hôte ; en 1879 surtout il défend L’Univers prévenu de délit de fausses nouvelles, ce qui lui donne l’occasion de revendiquer la liberté de la presse.

3La politique l’occupe désormais tout entier. Il a vite compris que les défenseurs de l’ordre ancien, catholique et monarchique, doivent agir. Stigmatisant la "mélancolique résignation " dont font preuve, selon lui, ses amis politiques, il ne cesse de les exhorter à "l’affirmation de (leur) foi" dans la société : " Il faut que l’on nous voie partout au premier rang des plus utiles serviteurs de la patrie", clame-t-il en 1876. Dès 1851, Lucien Brun a publiquement exposé ses idées dans le journal monarchiste La Décentralisation : il définit alors la Révolution comme "l’insurrection de l’homme contre Dieu", responsable des "fléaux sanglants" et des "immenses humiliations" qui menacent la France. Parmi les principes de 1789, il rejette surtout l’idée d’égalité à laquelle il oppose une conception organique de la Société. Il préconise un retour à un pouvoir stable, "inattaqué", garantissant par son autorité les "libertés nationales". Ce pouvoir s’incarne parfaitement, à ses yeux, dans le comte de Chambord qu’il rencontre en 1860 et dont il devient rapidement le conseiller politique. Élu à l’Assemblée nationale en février 1871 par les électeurs de l’Ain, Lucien Brun est l’un des quatre députés que le prétendant légitimiste désigne pour être les interprètes de sa politique. Mais il sait défendre des intérêts plus larges, puisqu’il participe à la campagne menée par les représentants du Rhône pour le rétablissement à Lyon des franchises municipales supprimées par le décret du 25 mars 1852.

4Son attitude à la Chambre est motivée par deux objectifs parfois incompatibles. D’une part, il lutte pour rechristianiser une société sécularisée : ainsi, le 12 mars 1872, lors de la discussion sur l’Internationale, il préconise la répression des attaques contre la religion. D’autre part, il entend grouper les défenseurs de l’ordre – ce qui motive son soutien pragmatique (et ponctuel) à la République conservatrice de Thiers justifié par son discours du 29 novembre 1872 : " On prétend que nous voulons un gouvernement de combat. Oui, nous demandons le combat, non contre la République mais contre un parti qui n’a pas des opinions, mais des convoitises que nous détestons". Cependant, il abandonne rapidement Thiers et participe, sous un Ordre moral qu’il a contribué à instaurer, à la tentative de restauration de l’automne 1873. C’est lui qui, à Salzbourg, aux côtés du comte de Chambord attend Chesnelong, délégué par la commission des Neuf ; mais il n’assiste pas aux entretiens décisifs du 14 octobre.

5L’échec final de cette tentative, suivi du vote des lois constitutionnelles (qu’il a fermement condamnées comme membre de la commission des Trente, notamment par son discours du 22 janvier 1875 à l’Assemblée), l’éloigne de la politique pure : il refuse même de se porter candidat aux élections sénatoriales de 1875, préférant rester "spectateur, non pas hostile, mais inquiet". Élu en 1877 sénateur inamovible, il se consacre désormais à la défense des intérêts catholiques, moins à la tribune que dans des organisations confessionnelles.

6Après avoir pris part, en 1874-1875, aux débats sur la liberté de l’enseignement supérieur, Lucien Brun est l’un des principaux fondateurs de la Faculté libre de droit de Lyon qui ouvre en octobre 1875 ; il y prononce, en 1876 et 1877, dix conférences réunies dans l’ouvrage Introduction à l’étude du droit qui forment un résumé cohérent et définitif de sa pensée. Se préoccupant avant tout de la recherche des "principes d’éternelle vérité", Lucien Brun exalte le droit naturel, ces "lois éternelles, immuables, innées que le Créateur a gravées dans nos cœurs", et dénonce les théories rousseauistes sur l’origine contractuelle de la société. Ce droit naturel justifie à ses yeux les inégalités sociales (tempérées par la charité), la peine de mort, l’autorité politique et la lutte contre l’égalité des partages successoraux instaurée par la loi de 1791. A ces développements classiques, Lucien Brun ajoute une nuance libérale et individualiste caractéristique du milieu lyonnais en se livrant à une critique très ferme de la notion "Dieu-État" défendue selon lui par les socialistes et les catholiques sociaux qu’il condamne également sans équivoque. L’État doit se contenter d’assurer l’ordre et de laisser à l’individu la liberté de faire son devoir envers Dieu ; s’il outrepasse ses droits, il s’oppose au Décalogue qui, seul, apporte à l’homme une garantie de liberté absolue. C’est pourquoi "la Révolution hait la liberté" puisque celle-ci s’incarne dans l’autonomie de l’Église. Lucien Brun poursuit cette réflexion théorique au sein de l’Association des jurisconsultes catholiques qu’il a contribué à fonder en 1872 afin de réintroduire l’idée chrétienne dans le droit : il intervient à tous ses congrès pour concilier libéralisme économique et intransigeance doctrinale ; il rédige aussi de nombreux articles pour la Revue catholique des Institutions et du Droit, organe de l’association.

7En dépit de son rôle important dans la vie nationale, Lucien Brun reste un lyonnais : il habite un appartement du Vieux-Lyon et prend ses quartiers d’été dans son château de Saint-Georges, près de Chatillon-sur-Chalaronne, dans l’Ain. Surtout, après 1870, sa vie se confond avec l’histoire religieuse de sa ville. Pendant vingt ans, il préside la commission de Fourvière qui gère la construction de la basilique. Il fonde à Lyon, dans les années 1870, une Union de la paix sociale pour diffuser la doctrine de Le Play -à laquelle il a apporté son adhésion par une lettre publiée en 1872. Il préside également, dès sa fondation en 1879, le comité lyonnais de Défense des Intérêts catholiques pour lutter contre les lois sur l’enseignement ou les congrégations. Il est, enfin, administrateur et rédacteur occasionnel du Nouvelliste, grand organe lyonnais de défense religieuse.

8Le Ralliement qu’il n’ose désapprouver par fidélité au pape le plonge dans un silence total. Ainsi, pendant les vingt années qui précèdent sa mort à Paris le 28 novembre 1898, Lucien Brun a fait plus que diriger l’opinion catholique et royaliste de Lyon qui ne se relèvera pas de sa disparition ; il a été surtout l’un des principaux animateurs de la vie religieuse, politique et sociale de sa Cité. Il laisse d’ailleurs à celle-ci quatre fils, tous avocats, qui adoptent, en juillet 1899, le patronyme de Lucien-Brun et qui prolongent l’œuvre de leur père : l’un d’entre eux, Joseph, sera simultanément, au début des années 1910, directeur de la Revue catholique des Institutions et du Droit, président du comité lyonnais des Cercles catholiques d’ouvriers, membre du comité directeur de la Ligue des femmes françaises et dirigeant du comité régional de l’Action libérale populaire.

Écrit de l’intéressé :

9Introduction à l’étude du droit, Paris, V. Lecoffre, 1887, 400 p.

Bibliographie

Sources et bibliographie :

A.D. Rhône 4 M 246 et 247 partis politiques 1872-1884 ;

Henry Beaune, Lucien Brun, Paris, V. Lecoffre, 1901, 110 p. ; Christian Ponson, Les catholiques lyonnais et la Chronique sociale, 1892-1914. Lyon, PUL, 1979, 380 p.

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