1Né à Paris, le 19 août 1805, Jules Barthélémy Saint-Hilaire était un enfant naturel. Sa mère, Jeanne Marie Barthélémy Saint-Hilaire, née en 1771, était la fille d’un commis au dépôt de la Guerre. Le bruit a couru beaucoup plus tard que son père aurait pu être Napoléon Bonaparte, mais il est très difficile de se prononcer nettement à ce sujet, d’autant que Barthélémy Saint-Hilaire aurait détruit les documents à lui remis par sa mère.

2Il fit ses études secondaires au lycée Louis-le-Grand, où il se lia avec Buloz et Littré, puis au collège Bourbon. Il obtint un accessit d’histoire au concours général de 1821. Sur la recommandation du père de Littré, il entra au ministère des Finances, en 1825, en tant qu’attaché surnuméraire. Il se tourna rapidement vers le journalisme libéral. Collaborateur du Globe de 1826 à 1830, il signa le 28 juillet 1830, la protestation des journalistes. Membre de la société "Aide-toi, le ciel t’aidera", il fut l’un des fondateurs du journal Le Bon Sens (1832- 1833). Il écrivit aussi dans Le National (1830-1834), Le Courrier français (1831-1834) et Le Constitutionnel. Puis il se livra à des travaux d’érudition. Ayant entrepris la tâche écrasante de traduire l’œuvre d’Aristote, il fut, en 1834, répétiteur de littérature française à l’École polytechnique, puis, grâce à Victor Cousin, auquel il était très lié, se vit attribuer en 1838 la chaire de philosophie grecque et latine au Collège de France. Élu en mars 1839 à l’Académie des sciences morales et politiques, il fut nommé l’année suivante chef du cabinet de Victor Cousin, alors ministre de l’Instruction publique, mais absorbé par ses travaux d’érudition, n’occupa que passagèrement cette fonction.

3Avec la Révolution de 1848, sa carrière politique commença. Il fut tout d’abord chef du secrétariat du Gouvernement provisoire. En avril, il fut élu, le onzième sur douze, représentant de la Seine-et-Oise à l’Assemblée constituante. Il était alors, selon le mot de Georges Picot, "très républicain et très conservateur" assez proche de la droite. Il combattit la candidature de Cavaignac en décembre 1848. Le mois suivant, en tant qu’administrateur du Collège de France, il fit suspendre le cours de Michelet. Il se rapprocha quelque peu de la gauche par la suite, après sa réélection à l’Assemblée législative.

4Après le coup d’État du 2 décembre, quoique dispensé du serment, il quitta sa chaire du Collège de France et ses fonctions d’administrateur. Il s’installa près de Meaux, puis à Versailles, où il vécut modestement, tout en continuant ses travaux de traduction et d’histoire des religions, et en prenant une part active aux travaux de l’Académie des sciences morales et politiques. Il voyagea en Égypte en 1855, comme membre de la commission d’études du canal de Suez, et fut secrétaire général de la Compagnie du canal jusqu’en 1857, avant d’accompagner Ferdinand de Lesseps lors de l’inauguration de 1869. En 1867, la mort de Victor Cousin lui apporta une large aisance, alors qu’il ne vivait que de son traitement de membre de l’Institut, ainsi que la garde de la bibliothèque de son ami. Durant les années 1860, il avait repris une activité politique. Après avoir échoué en Seine-et-Oise en 1863 contre le candidat officiel Caruel de Saint-Martin, il dirigea l’Union libérale et démocratique de Seine-et-Oise à compter de 1868, et, l’année suivante, fut élu au second tour député de Seine-et-Oise, contre Jean Hély d’Oissel. Au Corps législatif, il siégea parmi les partisans de la gauche ouverte.

5En février 1871, il échoua dans le département de la Seine, mais arriva en tête des candidats républicains en Seine-et-Oise. Il joua un rôle actif dans la préparation du décret nommant Thiers chef du pouvoir exécutif de la République française. Familier du chef de l’État depuis le début des années 1860, il devint secrétaire général de la présidence, à titre bénévole, résidant quasiment place Saint-Georges et entretenant une immense correspondance. Après le 24 mai, il s’éloigna bien évidemment du pouvoir et ne prit guère part aux débats parlementaires.

6Élu sénateur inamovible le 16 décembre 1875, en quatorzième position, il fut l’un de ceux qui, le 3 septembre 1877, signèrent l’acte de décès de Thiers. En janvier 1880, il fut élu vice-président du Sénat. De septembre 1880 à novembre 1881, il détint, dans le premier cabinet Ferry, le portefeuille des Affaires étrangères : il eut principalement à traiter du conflit gréco-turc (philhellène, mais jugeant excessives les prétentions de la Grèce, il fut contesté à propos de l’arbitrage européen), de la situation en Égypte, pour laquelle il était favorable à l’entente avec la Grande-Bretagne, et du protectorat en Tunisie, établi en mai 1881. De retour au Sénat, il s’éleva en février 1883 contre le projet d’expulsion des princes – ce fut son dernier discours. Il protesta également contre la suspension de l’inamovibilité des juges.

7En dépit de son grand âge, il conservait une double activité d’érudit et d’homme politique. En 1885, il présida le comité républicain libéral de Seine-et-Oise. Le 2 mars 1886, il exerça la présidence du conseil d’administration de la Société de publications libérales, dirigée par des disciples de Thiers. Pendant la crise boulangiste, il vota, notamment en 1889, avec les partisans du régime. En 1892 parut le dernier volume de sa traduction de l’œuvre d’Aristote. Durant les dernières années de sa vie, il continua à assister aux séances du Sénat. La mort le surprit brusquement le 24 novembre 1895, à son domicile du 4, boulevard Flandrin. Célibataire, il mourut sans descendance, laissant une fortune de l’ordre de deux millions de francs. Son légataire universel fut René Millet, résident général de France à Tunis. Parmi ses dons, il légua 9000 francs de rente à l’Académie des sciences morales et politiques. Il fut inhumé au Père-Lachaise après des obsèques religieuses célébrées à Saint-Honoré d’Eylau.

8D’une longévité exceptionnelle, Jules Barthélémy Saint-Hilaire laissait une œuvre imposante et le souvenir d’un homme politique souvent peu disert mais expérimenté, figure du courant libéral. C’est sans doute cette double présence sur le terrain intellectuel et politique qui le caractérise le mieux, de la Seconde République à la fin du XIXème siècle. A la fin de sa vie, il tenait, sans montrer d’amertume, des propos assez sévères à l’égard de ses contemporains. Il semble que lui-même n’ait pas eu d’héritier politique : il incarnait peut-être un trop lointain passé et, surtout, avait mené son action de manière assez indépendante, voire distante, tout en ayant des liens avec les réseaux du Centre gauche et en ayant parfois été brocardé pour son extrême dévouement à l’égard de Victor Cousin, puis de Thiers.

Écrits de l’intéressé :

9Pour plus de précisions, on se reportera à la bibliographie citée, établie par Georges Picot, qui répertorie, outre les traductions et œuvres de Barthélémy Saint-Hilaire, cinquante-neuf travaux académiques, et au Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque Nationale, tome VIII, 1901, p. 231-239.

10Traductions : œuvres d’Aristote : 35 vol., dont deux de tables, parus de 1837 à 1892 chez différents éditeurs (notamment Dumont, Ladrange, Baillère et Hachette) ; L’Iliade d’Homère, Paris, 1868, 2 volumes ; Pensées de Marc-Aurèle, Paris, Ballière, 1876.

11Parmi les œuvres de Barthélémy Saint-Hilaire : De l’École d’Alexandrie, Paris, Ladrange, 1845, 315 p. ; Des Vedas, Paris, Dupont, 1854, 204 p. ; Du Bouddhisme, Paris, Duprat, 1855, VII-248 p. ; Lettres sur l’Egypte, Paris, Michel Lévy, 1856, 437 p ; Le Bouddha et sa religion, Paris, Didier, 1860, XXIV-441 p. ; Mahomet et le Coran, Paris, Didier, 1865, CXIII-348 p. ; A la Démocratie française, Paris, Baur, 1874, 206 p. ; Fragments pour l’histoire de la diplomatie française, du 23 septembre 1880 au 14 novembre 1881, Paris, impr. de Chamerot, 1882, 44 p. ; L’Inde anglaise, Paris, Perrin, 1887, 484 p. ; Étude sur Francis Bacon, Paris, Alcan, 1890, 201 p. ; Eugène Burnouf, ses travaux et sa correspondance, Paris, 1891, XIII-158 p. ; M. Victor Cousin, sa vie et sa correspondance, Paris, Hachette, 1895, 3 vol. ; Socrate et Platon, ou le Platonisme, Chartres, imp. de Durand, 1896, 57 p.

12Barthélémy Saint-Hilaire laissait aussi un manuscrit, "De l’état moral de la France- 1789-1868- Essai d’étude critique", rédigé entre août 1866 et janvier 1868 et dédié à Mignet, qui fut déposé à la Bibliothèque Victor Cousin : voir l’étude citée de Georges Picot, p. 139-144.