Audiffret-Pasquier Edme Armand Gaston, duc d’ 1823-1905
p. 202-206
Texte intégral
1Premier élu des sénateurs inamovibles le 9 décembre 1875, Edme Armand Gaston, comte, puis duc d’Audiffret-Pasquier, naquit à Paris, le 21 octobre 1823. D’origine italienne, sa famille s’était installée au XIIIème siècle dans la vallée de Barcelonnette. Fils de Florimond Louis, comte d’Audiffret, receveur général des finances, et de Gabrielle Zoé Pasquier, nièce et héritière du baron Pasquier, président de la Chambre des pairs et chancelier de France, Gaston d’Audiffret devint le fils adoptif de ce dernier, qui reçut le titre de duc, réversible sur son petit-neveu, par ordonnance royale du 16 décembre 1844. Le 5 juillet de l’année suivante, Gaston d’Audiffret se maria avec Jenny-Marie Fontenillat, petite-fille d’un receveur général des finances et sœur de l’épouse d’Auguste Casimir-Perier (autre futur -et éphémère- sénateur inamovible). De cette union, naquirent deux filles Gabrielle (1854) et Camille (1858), et un fils, Denis (1856).
2Auditeur au Conseil d’État dès 1845, Gaston d’Audiffret y resta jusqu’en 1848. Sous l’Empire, il fit partie du conseil d’administration des mines d’Anzin, en compagnie de son beau-frère, qui du reste résidait alors dans un hôtel particulier jouxtant le sien, avenue des Champs-Elysées. Il fut conseiller général du canton de Mortrée (Orne) et maire de la commune de Saint-Christophe-le-Jajolet, où se trouvait le château familial de Sassy, pourvu d’une célèbre bibliothèque, provenant pour une part de la succession du chancelier Pasquier, mort en 1862. Candidat dans l’Orne en 1866 et 1869, il échoua contre le baron de Mackau, qui bénéficiait du patronage officiel et dont le comité l’avait accusé devant le conseil général de l’Orne, en 1866, d’avoir réclamé le rétablissement du droit d’aînesse, alors qu’il avait simplement fait l’éloge de Le Play.
3Lors des élections de février 1871, le duc d’Audiffret-Pasquier fut brillamment élu représentant de l’Orne. Il se fit inscrire à la fois au Centre droit et à la réunion des réservoirs. Membre de plusieurs commissions – dont celle qui, composée de quinze membres, aida Thiers à combattre la Commune – il s’imposa à l’attention en tant que président de la commission des marchés de guerre. En effet, il rédigea un rapport très critique sur les achats d’armes et de matériel faits avant le 4 septembre, et, face à Rouher, le 22 mai 1872, flétrit le régime impérial, lançant l’invective fameuse : "Vare, legiones redde ! Rendez-nous nos légions, rendez-nous la gloire de nos armes, rendez-nous nos provinces !" L’Assemblée nationale, après lui avoir réservé une ovation qui resta dans les annales, vota l’impression et l’affichage de son discours dans toutes les communes de France. Le duc d’Audiffret-Pasquier dénonça aussi les conditions dans lesquelles auraient été passés les marchés par le gouvernement de Tours, le 29 juillet 1872. Dans l’intervalle, cet admirateur de la Restauration et surtout de la Monarchie de Juillet, très hostile au radicalisme, repoussé au nom de la liberté, s’était associé à la manifestation dite des "bonnets à poil”, le 20 juin 1872, afin d’infléchir dans un sens plus conservateur la politique de Thiers.
4Moins d’un an plus tard, il contribua activement à la chute de ce dernier, au 24 mai et tenta d’obtenir le remplacement du chef de l’État par le duc d’Aumale. Président du groupe du Centre droit, il chercha à favoriser la fusion et la restauration d’une monarchie constitutionnelle en octobre 1873. En raison de l’attitude du comte de Chambord, il se résigna ensuite au vote de la loi du septennat, et contribua à la chute du ministère Broglie. Il avait été question qu’il parvînt à la tête d’un ministère en novembre 1873. De plus, ami personnel de Léon Say – alors son voisin rue Fresnel – il était partisan d’une conciliation avec le Centre gauche. Le 2 décembre 1874, il devint vice-président de l’Assemblée nationale. Il joua un rôle dans l’adoption des lois constitutionnelles, votant contre l’amendement Wallon, mais se prononçant en faveur des lois elles-mêmes. Il succéda le 15 mars 1875, avec l’appui de la gauche, à Louis Buffet en tant que président de l’Assemblée (il avait refusé, faute d’obtenir, à l’issue de discussions complexes, le portefeuille de l’Intérieur, d’entrer dans le cabinet Buffet). Dans son discours d’ouverture, il se livra à l’éloge du gouvernement parlementaire.
5Après son élection au premier rang des sénateurs inamovibles – il recueillit 551 voix sur 688 votants, grâce à sa réputation et à sa présence simultanée sur les listes de droite et de gauche- il devint président du Sénat le 15 mars 1876, obtenant une fois encore le soutien de certains républicains. Pendant la crise du 16 mai, il s’efforça d’adopter une attitude modérée, exhorta le maréchal de Mac-Mahon à refuser toute aventure et à appeler Dufaure à la présidence du Conseil après les élections d’octobre 1877. En janvier 1879, à la suite du succès des républicains, il dut quitter la présidence du Sénat : la droite posa sa candidature, mais le républicain Louis Martel l’emporta aisément. Le duc d’Audiffret-Pasquier avait été élu à l’Académie française au fauteuil de Mgr Dupanloup le 24 décembre 1878 et fut reçu le 19 février 1880 par le baron de Viel-Castel. Durant les années 1880, il prit part à de nombreuses discussions, au sein de la minorité conservatrice du Sénat : il s’éleva le 25 juin 1880 contre l’application des décrets aux congrégations non autorisées, interpella le gouvernement le 4 avril 1885, après la chute de Lang-Son, protesta le 1er mars 1886 contre la mise en non-activité par retrait d’emploi des princes d’Orléans et le 23 juin 1886 contre l’expulsion des princes. Il apporta son appui au comte de Paris en 1887 et vota avec la droite lors des scrutins importants de 1889, durant la crise boulangiste : il refusa d’ailleurs de faire partie de la commission chargée de l’instruction en Haute Cour du dossier de Boulanger.
6Par la suite, affligé par le déclin politique des conservateurs, il ne souhaita plus jouer de rôle politique actif et ne fréquenta qu’épisodiquement le Sénat, tout en votant avec la droite lors des principaux scrutins. Très affecté par le décès de son épouse, le 10 novembre 1903, et de son fils Denis – époux de la fille de feu Charles Rioust de Largentaye, député des Côtes-du-Nord – survenue l’année suivante, le 12 juin, lors d’un accident d’automobile, il mourut le 4 juin 1905 à Paris. Ses obsèques eurent lieu le 7 juin en l’église Saint-Pierre de Chaillot. Alexandre Ribot lui succéda à l’Académie française. Son petit-fils, Étienne (1882-1957), marcha sur ses traces à l’échelle locale et fut député de l’Orne de 1919 à la chute de la Troisième République.
7Parlementaire de renom, seul conservateur ayant accédé à la présidence d’une assemblée après la mise en application des lois constitutionnelles de 1875, le duc d’Audiffret-Pasquier, tenant persévérant de la tradition orléaniste, fut l’une des figures caractéristiques de la "République des ducs", sans jamais être associé directement au pouvoir. Du discours de réception à l’Académie française d’Alexandre Ribot, on peut retenir le portrait d’un orateur fougueux – que Thiers, selon Daniel Halévy, comparait sans indulgence à un "hanneton dans un tambour" –, d’un libéral authentique et d’un catholique convaincu, ainsi que plusieurs formules heureuses. Le duc d’Audiffret-Pasquier y est rangé parmi "cette espèce de modérés qui n’aiment pas à s’effacer " et présenté, à l’instar de son père adoptif, "comme un bourgeois d’ancienne race, dont le vrai titre de noblesse, à ses yeux (…) était de descendre de ces parlementaires qui ont tant contribué à faire la Royauté française et qui ont si souvent gêné le pouvoir royal". Du reste, le duc se réclamait explicitement de cet héritage, en écrivant ces lignes citées par l’ancien président du Conseil : "Je reste un monarchiste, un libéral de l’école de mes anciens que sous Henri IV on appelait les politiques, parlementaires résolus, discutant leur foi politique, leur foi religieuse, avec des convictions d’autant plus fermes qu’elles étaient le résultat de réflexions longuement méditées. "
Écrits de l’intéressé :
8Plusieurs discours du duc d’Audiffret-Pasquier ont été publiés : signalons notamment les Discours prononcés par M. le duc d’Audiffret-Pasquier, président de la Commission des marchés, aux séances des 4 et 22 mai 1872, à l’Assemblée nationale, Paris, Sauton, 1872 ; le discours de réception du 19 février 1880 (avec la réponse du baron de Viel-Castel), Paris, Didier, 1880, 71 p. ; Pasquier Étienne-Denis, Mémoires du chancelier Pasquier, Paris, Plon, 1893-1895, 6 vol. ; La Maison de France et l’Assemblée nationale -Souvenirs du duc d’Audiffret-Pasquier, 1871-1873, Paris, Plon, 1938, 303 p. (ouvrage publié parle petit-fils du duc).
Bibliographie
Sources et bibliographie :
Peu de documents de première main disponibles, en dehors de son acte de naissance, A.D. Paris, V 5 E, et des dossiers électoraux des A.D. Orne M 414-415 (1866) M416 (1869), M 534 (1871) et du dossier 1G2 des archives de l’Institut de France ;
Général FAVÉ, M. le duc d’Audiffret-Pasquier et la réforme administrative du département de la Guerre, Paris, Dumaine, 1874, 95 p. ; F. Platel, Portraits d’Ignotus, Meaux, imp. C. Cochet, 1878, p. 206-212 ; H. Tournouer, "Le duc d’Audiffret-Pasquier", Bulletin de la Société historique et archéologique de l’Orne, 1905, p. 597- 600 ; Daniel Halévy, La République des Ducs, Paris, Grasset, 1937, notamment p. 180-181 ; Jean-Claude BLANCHETIÈRE, La vie politique dans l’Orne de 1848 à 1878, Université de Caen, D.E.S., 1965.
Auteur
Professeur. Université de Limoges
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