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Le marché du charbon, un enjeu entre l’Europe et les États-Unis de 1945 à 1958

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Régine Perron

Première partie. Le marché charbonnier dans les cycles économiques : une crise à long terme depuis 1922

Chapitre 1. Reconstruction et surproduction (1922-1929)

Texte intégral

  • 1 André Piettre, Monnaie et économie internationale, du xixe siècle à nos jours, Paris, 1971.

1Le marché charbonnier traduit en 1923 le paroxysme de la crise monétaire. Les pays européens font face à une inflation fiduciaire dont l’origine remonte à la Première Guerre mondiale. L’Allemagne subit une inflation extrêmement aiguë, qualifiée de galopante. Elle survient à la suite de la débâcle monétaire qui a pour principale conséquence de repousser l’échéance du paiement des Réparations1. L’affaiblissement catastrophique du Reichmark sur le marché des changes se traduit par un effondrement des échanges du pays (voir les graphiques nos 1 et 2), suivi d’un ralentissement de la production de l’ordre de 47 % en 1923 par rapport à 1922 pour la houille et de 46,5 % pour le coke. Afin de pallier le déficit national de l’offre, l’Allemagne importe massivement du charbon en provenance des pays tiers, principalement de la Grande-Bretagne (les importations en houille augmentent de 44,6 % par rapport à 1922, proportionnellement à la chute de la production, mais les importations en coke sont seulement de 18 %). Ce recours massif aux importations fait augurer d’un formidable déséquilibre financier.

2En effet, l’inflation joue en général contre les importations étant donné que la dépréciation de la monnaie nationale sur le marché des changes ne permet plus d’importer la même quantité de marchandises dont les prix ont de surcroît augmenté. De plus, au niveau national, les entreprises tendent à emprunter davantage. On peut aisément imaginer les conséquences d’un tel processus économique : le surcoût des tonnages de charbon importés contribue à recourir aux capitaux commerciaux et à utiliser les stocks afin de limiter ces importations ; les dettes contractées par les entreprises à cause des emprunts faciles sont difficilement honorées du fait du grignotage des capitaux industriels. L’industrie allemande vit au-dessus de ses moyens, en suivant une politique à courte vue car les facilités dues à l’inflation ne durent qu’un temps. Le désistement temporaire de l’Allemagne du marché charbonnier perturbe la logique du réseau, surtout pour le coke. La Belgique, les Pays-Bas et la France voient leurs importations s’effondrer (respectivement pour la Belgique et les Pays-Bas 70 % et 30 % par rapport à 1922). Seule la Belgique semble pouvoir les compenser par des importations en provenance des pays tiers (Grande-Bretagne). Quant à la houille, plus largement fournie par la Grande-Bretagne, le retrait de l’Allemagne est durement moins ressenti, à l’exception de la France qui comptait là-dessus dans le cadre des Réparations, d’où une chute des importations de 40 % en 1923. Après 1924, le marché charbonnier retrouve un équilibre des échanges qui coïncide avec la restauration des monnaies : l’Allemagne entreprend une véritable résurrection de sa monnaie, la France dévalue et la Grande-Bretagne retrouve sa parité d’avant-guerre. Déjà en 1925, la reprise économique se profile, qui est très relative car le marché des changes reste perpétuellement tendu, mais elle coïncide avec la crise de surproduction en charbon, ce qui ne manque pas de fragiliser le marché. Cet « accident » économique est en général peu étudié du point de vue du marché charbonnier, alors qu’il a eu des répercussions importantes sur son avenir.

Évolution de la consommation nationale apparente de houille de 1922 à 1960

Évolution de la consommation nationale apparente de houille de 1922 à 1960

Graphique n° 1

  • 2 Fernand Baudhuin, Histoire économique..., op. cit.

3Les échanges de charbon se limitent surtout au continent européen puisque la Grande-Bretagne subit les revers d’une déflation hasardeuse de la livre sterling en 1925 en la fixant au cours de 1914. Les prix intérieurs britanniques augmentent considérablement, les exportations sont asphyxiées et en réponse à tout cela, le chômage croît d’une manière spectaculaire. Les prix du charbon britannique de 1925 à 1927 ne sont plus compétitifs sur le marché mondial puisqu’ils dépassent le cours des prix mondiaux. L’instabilité intérieure débouche sur la grande grève des mineurs en 19262. Cet événement est d’une grande opportunité pour les pays alors en proie à une surcapacité de production en charbon. Ce surplus, coûteux à financer et difficile à écouler, est vite dirigé vers la Grande-Bretagne : l’Allemagne venant en tête avec une augmentation de 35 % de ses exportations par rapport à 1925, puis les Pays-Bas avec 41 %, et enfin la Belgique avec 12 %.

Évolution de la consommation nationale apparente du coke de 1922 à 1960

Évolution de la consommation nationale apparente du coke de 1922 à 1960

Graphique n° 2

4En prélude à l’effondrement du système monétaire international, le marché charbonnier s’achemine vers une implosion en raison de l’engorgement des marchés extérieurs avec le nombre croissant des fournisseurs en charbon, les progrès réalisés dans la productivité, et surtout la demande désespérément stagnante en charbon. La tension sur le marché est alors accentuée par la concurrence acharnée que se livrent les pays concernés, et surtout par l’absence totale de concertation entre les diverses politiques commerciales qui régissent le marché charbonnier tant au niveau des gouvernements que des industriels. Après avoir assisté à la crise de surproduction en 1925, à l’effondrement des prix britanniques, à de grandes grèves en Grande-Bretagne en 1926, et à la montée de la concurrence entre pays exportateurs de charbon, la Société Des Nations (sdn) tire la sonnette d’alarme en 1927, en préconisant déjà une politique coercitive en matière de commerce international du charbon. Cet aspect est peu connu, et contribuera peut-être à mieux connaître les origines de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (ceca) de 1952. En effet, la sdn présente deux rapports, l’un en 1929, et l’autre en 1932, dont la teneur rappelle étrangement les principes de base de la ceca. Ces rapports estiment que : « la solution unique consiste en un accord qui placerait les activités de l’industrie sous un contrôle international strict », c’est-à-dire :

  • « accords entre les producteurs, à l’échelon international, sur la production, les marchés, et les prix.
  • établissement d’une organisation internationale représentative des intérêts de tous : gouvernements, producteurs, mineurs, négociants et consommateurs.
  • adoption de mesures tendant à harmoniser, sinon à unifier les salaires, les heures, et les conditions de travail des mineurs.
  • abolition des restrictions artificielles existantes appliquées au commerce du charbon, et de la stimulation artificielle de la production.3 »

5Aucune de ces recommandations n’a été retenue. Mais il est clair que l’idée d’une organisation internationale supervisant le marché charbonnier ne correspond pas à la mentalité de l’époque plus portée à la cartellisation. Les accords de principe que conseille la sdn, chose alors nouvelle pour l’époque, rappellent curieusement ceux qui vont être instaurés par la ceca comme la liste des prix de barème. La sdn met surtout en valeur l’impossibilité actuelle pour le marché charbonnier de fonctionner selon le principe de la libre concurrence et la nécessité d’admettre une coordination des plans charbonniers. En 1926, se crée l’Entente Internationale de l’Acier.

6Les années 1927-1929 correspondent à la période d’achèvement de la reconstruction et à une conjoncture économique brillante qui masque les problèmes structurels. Les Charbonnages tournent à plein régime tout en poursuivant la politique de rationalisation dans la mesure du possible puisque leurs finances ne sont plus guère solides. Le bilan des politiques gouvernementales à la veille de la crise mondiale s’avère bien mitigé : leurs politiques monétaires ont davantage contribué à perturber la régularité des échanges extérieurs et à détruire les capitaux industriels qu’à assainir le marché des changes. La politique de rationalisation entreprise dans un contexte de régime libéral est menée d’une manière trop lente et surtout tardive, l’Allemagne exceptée. Ce retard pèse lourdement sur le dynamisme de cette industrie charbonnière qui, malgré de gros efforts techniques, affiche toujours des coûts de production élevés et qui souffre d’un manque de perspective à long terme. Le charbon à cette époque est essentiellement utilisé à des fins civils pour la Reconstruction.

Notes

1 André Piettre, Monnaie et économie internationale, du xixe siècle à nos jours, Paris, 1971.

2 Fernand Baudhuin, Histoire économique..., op. cit.

3 Bibliothèque de l’onu (onu) : 553 23(4) E89a. Comité Européen du Charbon (eco), 1945-1947. Constitution et Travaux. Aperçu historique, London, 1947.

Table des illustrations

Titre Évolution de la consommation nationale apparente de houille de 1922 à 1960
Légende Graphique n° 1
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/681/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 381k
Titre Évolution de la consommation nationale apparente du coke de 1922 à 1960
Légende Graphique n° 2
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/681/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 375k

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