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Les immortels du Sénat, 1875-1918

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Alain Corbin
, 
Jean-Marie Mayeur

Une société, une culture

L’armée au Sénat

Jacques-Olivier Boudon

Texte intégral

  • 1 Mattéi Dogan, "Les officiers dans la carrière politique (du maréchal de Mac-Mahon au général de Gau (...)
  • 2 Ibid., p. 94.

1Parmi les cent seize sénateurs inamovibles élus entre 1875 et 1884, vingt-huit avaient appartenu à l’armée, soit 24 %, proportion tout à fait remarquable en comparaison des 5 % de parlementaires issus de l’armée qu’ont fournis les assemblées de la Troisième République1. Les officiers représentent donc, parmi les sénateurs inamovibles, un des groupes les plus importants avec les avocats. La typologie esquissée par Mattei Dogan qui distinguait les officiers tôt démissionnaires, vers 35-40 ans, et les officiers de carrière, entrant en politique après leur retraite2, se retrouve partiellement chez les sénateurs inamovibles. On peut en effet isoler un petit groupe de six individus dont l’expérience militaire est ancienne, puisque certains ont quitté l’armée quarante ans avant leur élection au Sénat. Ce sont pour l’essentiel des hobereaux légitimistes entrés en politique à l’occasion des élections de février 1871. Deux officiers interrompent leur carrière après leurs débuts en politique au début des années 1870, de même que Carayon Latour dont la carrière militaire est atypique, puisqu’il entre dans l’armée à 46 ans, à l’occasion de la guerre de 1870, y reste ensuite, avant d’être révoqué. Quel que soit leur itinéraire, ces neuf officiers n’ont pas conduit leur carrière militaire à son terme et n’ont donc pas dépassé le grade de colonel. En revanche dix-neuf sénateurs ont passé toute leur vie sous les drapeaux, à la nuance près que certains parviennent effectivement au Sénat une fois à la retraite, tandis qu’un petit nombre poursuit parallèlement une carrière militaire. Au total on peut considérer que vingt-deux sénateurs inamovibles sur vingt-huit sont entrés au Sénat parce qu’ils avaient été ou étaient militaires de carrière. Toutes les armes sont représentées. L’armée de terre fournit dix-neuf sénateurs, la marine neuf, proportion forte sur laquelle il faudra revenir. Au sein de l’armée de terre, sept officiers viennent de l’infanterie, cinq du corps de l’État-major, trois du génie, deux de la cavalerie et deux de l’artillerie.

2L’âge moyen d’accès au Sénat de ces vingt-huit officiers est de 60 ans, mais l’écart est assez élevé entre le plus âgé, le général Changarnier élu à 82 ans, et le plus jeune, le vicomte Saisy de Kerampuil, élu la même année, à 42 ans. En fait l’année 1815 s’impose comme année médiane ; elle permet de distinguer deux générations. Les quatorze officiers nés avant 1815 voient naître leur vocation militaire à la fin de l’Empire ou sous la Restauration. Ils participent aux campagnes des années 1820 et sont confrontés au changement de régime en 1830 ; certains démissionnent alors. Ceux qui restent dans l’armée ont déjà accédé à des postes d’officiers supérieurs au début du Second Empire. Élus députés en 1871, puis sénateurs en 1875, ils ne jouent pas véritablement de rôle politique après cette date. En revanche, la génération née à partir de 1815 est entrée dans l’armée sous la Monarchie de Juillet, sans état d’âme politique, c’est la génération de la conquête de l’Algérie ; les officiers qui la composent ont entre vingt et trente-cinq ans au moment de la Seconde République qui marque pour certains l’éveil à la politique. Revenus à la vie militaire après 1852, ils font toutes les campagnes de Napoléon III, mais sont encore actifs en 1870 pour animer la Défense nationale au côté de Gambetta. Élus au Sénat entre 1875 et 1884, ils fournissent une grande partie des ministres de l’Armée et de la Marine des gouvernements républicains.

La formation d’une élite militaire.

  • 3 William Serman, "Les généraux français de 1870", Revue de Défense nationale, août-septembre 1970, p (...)

3La moitié des vingt-huit sénateurs issus de l’armée sont d’origine noble, mais ce total est gonflé par la présence des neuf officiers démissionnaires qui appartiennent tous à des familles de l’aristocratie. Si l’on s’en tient aux dix-neuf militaires de carrière, qui tous accèdent à des grades supérieurs, on constate au contraire une forte présence d’éléments roturiers, puisque cinq seulement sont d’origine noble, ce qui représente 26 % de l’effectif, c’est-à-dire moins que parmi les généraux de 1870 où la proportion de nobles varie entre 35 et 39 %3. Pour le reste, les sénateurs concernés proviennent pour un tiers de la grande bourgeoisie (sept) et pour un tiers de la petite bourgeoisie (sept). Mais parmi ces derniers, trois seulement ont été élus avant 1879. Les quatre autres, à savoir Campenon, Faire, Gresley et Peyron, le sont après l’arrivée des républicains au pouvoir. Or ils sont les seuls officiers et sénateurs inamovibles à n’avoir jamais été au préalable parlementaires. Qui plus est, ils entrent au Sénat après un passage par le gouvernement. Ils sont donc particulièrement représentatifs de ces "couches nouvelles" annoncées par Gambetta. Mais avant 1879, les postes de sénateurs inamovibles reviennent pour l’essentiel aux officiers issus de familles de notables, les seuls à traditionnellement délaisser l’armée pour la politique.

  • 4 William Serman, Les origines des officiers français 1848-1870, Paris, Publications de la Sorbonne, (...)
  • 5 William Serman, "Les généraux français de 1870", art. cit., p. 1323.
    Parmi les officiers membres de (...)
  • 6 S.H.A.T., GD2 / 1516 (dossier Chabron), madame de Chabron, née de Charbonnel, au ministre de la Gue (...)
  • 7 William Serman, Les origines des officiers français, op. cit., p. 337.
  • 8 Alors que cette arme est considérée comme plébéienne, ibid., p. 344.
  • 9 Jean Estèbe, Les ministres de la République 1871-1914, 1982, étudiant dans son chap. V, "les généra (...)

4Par leur formation, les sénateurs officiers confirment leur appartenance à l’élite de l’armée. Ils sont dans 85,7 % des cas d’anciens élèves d’une grande école militaire, alors que la proportion des officiers sortis des écoles entre 1821 et 1870 oscille entre 20 et 30 % en moyenne4. La proportion de 85 % d’anciens élèves est en fait plus conforme à celle du corps des généraux qui compte en 1870 plus de 80 % d’anciens élèves5. Parmi les écoles fréquentées, Saint-Cyr et Polytechnique font jeu égal, avec huit anciens élèves chacune, mais Saint-Cyr l’emporte chez les militaires de carrière, tandis que l’X a vu passer deux des six officiers qui démissionnent de bonne heure, ainsi que Carayon Latour. L’École navale a accueilli quant à elle six futurs sénateurs, auxquels il faut ajouter deux anciens élèves de l’École de la Marine d’Angoulême. Trois officiers n’ont pas fréquenté de grandes écoles, mais un seul, Chabron, sort du rang ; encore sa promotion a-t-elle été accélérée par des recommandations familiales6. Quant à Calouin de Tréville et Tocqueville, ils entrent apparemment dans l’armée de la Restauration directement comme officiers. Quelles que soient leurs origines sociales, les futurs sénateurs inamovibles se distinguent donc par une entrée rapide dans la carrière militaire. Ils appartiennent d’emblée à l’élite de l’armée. Cette impression est confirmée par le passage de dix d’entre eux dans des écoles d’application ; cinq ont fréquenté l’École d’État-major. Parmi eux, quatre avaient préalablement fait Saint-Cyr et le cinquième Polytechnique. Ils représentent une "aristocratie intellectuelle" au sein de l’armée, bien qu’à la différence de la majorité des officers d’État-major issus de la noblesse, ils appartiennent, sauf Courtot de Cissey, à des familles de la bourgeoisie (Letellier) voire de la petite bourgeoisie (Billot, Campenon, Gresley)7. Quatre autres sont passés par l’École d’application de l’artillerie et du génie de Metz, un cinquième, Dupuy de Lôme, a suivi les cours de l’École d’application du génie maritime à Lorient. Tous les cinq sont d’anciens polytechniciens, ce qui est conforme à ce que l’on sait par ailleurs du recrutement de ces écoles. Il n’en reste pas moins que la part des officiers issus des armes d’élite est forte au sein du groupe des sénateurs inamovibles ; elle est le fruit d’une certaine méritocratie. En effet, on trouve paradoxalement plus de membres de la noblesse chez les officiers d’infanterie – cinq sur sept sont d’origine noble8 – que chez les officiers des autres armes : un officier noble à l’État-major, un dans l’artillerie, deux dans la marine pourtant réputée pour son recrutement aristocratique. Seule la cavalerie conserve ses traditions, puisque les deux officiers qui y ont appartenu, mais ils ont démissionné depuis longtemps, sont nobles. Autrement dit, l’accès à la carrière politique pour les officiers issus de la bourgeoisie et surtout de la petite bourgeoisie passe par l’appartenance à un corps d’élite dans l’armée. La Troisième République, par le biais de l’élection des sénateurs inamovibles, a donc contribué à renforcer une méritocratie déjà en marche, en ouvrant les portes du Parlement, mais aussi du Gouvernement9, à des officiers qui s’étaient déjà hissés au premier rang de l’armée, par leurs mérites personnels. S’ils entrent au Sénat, n’est-ce pas en effet en récompense de services militaires particulièrement valeureux ?

  • 10 On retrouve les trois officiers qui abandonnent la carrière des armes après leur entrée dans la vie (...)
  • 11 On exclut ici Carayon Latour, à la carrière trop atypique pour permettre des comparaisons.
  • 12 S.H.A.T., GD2/1564 (dossier Farre).
  • 13 S.H.A.T., GD2/1555 (dossier Gresley).

5Si l’on met à part les six officiers qui ont démissionné après quelques années de service seulement, on constate que les militaires élus au Sénat ont derrière eux des carrières militaires extrêmement remarquables. Ils terminent presque tous aux grades les plus élevés dans leur arme ; treize parviennent au grade de général de division, cinq au grade de vice-amiral, deux en restant au grade de colonel, un dernier à celui de capitaine10. Les décorations obtenues confirment cette excellence ; douze obtiennent la plus haute distinction dans l’ordre de la Légion d’honneur et sept sont décorés de la médaille militaire. L’élection au Sénat vient donc sanctionner de très brillantes carrières, qui sont du reste assez similaires. Sur vingt-et-un officiers11, treize ont servi en Algérie, c’est-à-dire tous les officiers de l’armée de terre sauf Chadois et Saisy, et un marin. Les séjours y sont assez longs, onze ans en moyenne. Les deux générations déjà entrevues se retrouvent ici ; avec Changarnier, Cissey, Chabron ou d’Aurelle de Paladines, se dessine la génération de la conquête, avec Farre, Gresley ou Campenon, celle de l’administration du territoire. L’Algérie apparaît comme un passage obligé pour faire carrière dans l’armée. Les itinéraires de Farre et Gresley le confirment. Tous deux sont polytechniciens à trois ans d’écart, mais le premier choisit en 1839 l’École d’application de l’artillerie et du génie à Metz, tandis que le second entre en 1841 à l’École d’État-major. Six ans plus tard, Gresley est en Algérie et bien que plus jeune que Faire de trois ans, il devient lieutenant-colonel trois ans avant lui. Entre temps, Faire a œuvré aux fortifications de Paris puis de Lyon, avant de prendre conscience de la nécessité pour lui de partir en Algérie12 ; il n’y arrive cependant que quatorze ans après son entrée dans le corps du génie. Son retard est cependant comblé, à l’occasion de la guerre de 1870 ; il est promu général de division la même année que Gresley, en 187513.

6Après l’Algérie, les officiers concernés se sont illustrés sur les principaux champs de bataille du Second Empire ; treize ont participé à la guerre de Crimée qui a proportionnellement plus mobilisé les marins (six sur sept, contre sept officiers de l’armée de terre sur quatorze), six ont fait la campagne d’Italie et deux autres ont appartenu au corps expéditionnaire stationné à Rome depuis 1849, quatre dont trois marins ont participé à l’expédition en Chine en 1860, tandis que Chanzy se rendait en Syrie. Enfin, quatre futurs sénateurs inamovibles, dont un marin, se sont rendus au Mexique.

  • 14 Cissey est élu lors des élections complémentaires de juillet, Letellier en 1873.
  • 15 François Roth, La guerre de 70, Paris, Fayard, 1990, 778 p.

7Mais il est incontestable que la part prise à la guerre franco-prussienne est sans doute l’expérience qui a le plus compté dans la carrière politique des futurs sénateurs. Vingt ont participé à la guerre de 1870, certains après avoir été rappelé de leur retraite comme d’Aurelle de Paladines. Dans cinq cas cependant la guerre s’achève dans les camps de prisonniers allemands, ce qui n’est pas nécessairement le meilleur sort pour se faire remarquer : Chareton et Gresley combattaient à Sedan, Campenon, Cissey et Letellier à Metz. Il est à noter que, parmi eux, seul Chareton est élu député en février 187114. Dans l’ensemble, l’entrée en politique en février 1871 est en effet corollaire d’un engagement actif dans les armées de la Défense nationale. La liste des sénateurs inamovibles dévoile ainsi les noms de plusieurs des acteurs de l’effort de guerre engagé sous la houlette de Gambetta, à partir de septembre 187015. Parmi les sénateurs inamovibles, on retrouve en effet le premier commandant en chef de l’armée de la Loire, le général d’Aurelle de Paladines, ainsi que son successeur à ce poste, le général Chanzy. Billot a quant à lui commandé le 18ème corps d’armée, sous les ordres du général Bourbaki ; Faire a commandé le 22ème corps d’armée et appartenu à l’État-major général de l’armée du Nord ; Chabron prend le commandement d’une division d’infanterie du 25ème corps d’armée. Plusieurs autres officiers ont également pris une part active à la défense territoriale, Carayon Latour à la tête des mobiles de la Gironde, Chadois à la tête des mobiles de Dordogne, Saisy de Kerampuil à la tête des mobiles de Loudéac qui participent à la défense de Paris. Les marins se sont également distingués. Fourichon est ministre de la Marine, Frébault, Pothuau et Montaignac de Chauvance sont intégrés à l’armée qui défend Paris, Jaurès est nommé commandant du 21ème corps d’armée et combat sur la Loire, de même que Jauréguiberry, placé à la tête d’une division du 16ème corps d’armée. Ces officiers supérieurs de la marine n’avaient pas été engagés dans les combats initiaux ; ils se sont donc mis plus facilement à la disposition de l’armée de terre. Cette "reconversion" a frappé les esprits. C’est sans nul doute ce qui explique leur entrée en force à l’Assemblée nationale. Parmi les sept officiers de marine en activité élus sénateurs inamovibles, six avaient participé à la Défense nationale et tous avaient été élus députés en février 1871. Le rôle joué par les officiers supérieurs dans la Défense nationale a donc été déterminant pour leur destin politique, car même vaincues, les armées de la Défense nationale incarnent la République naissante et ce d’autant mieux qu’y ont combattu des officiers de toute tendance. La participation à la guerre en province ou à la défense de Paris offre un brevet de patriotisme, sinon de républicanisme. L’essentiel des officiers républicains se recrutent du reste parmi les acteurs de la Défense nationale, tandis que les officiers royalistes qui les ont imités apparaissent acceptables aux yeux des républicains.

L’entrée au Sénat.

  • 16 Sur la place des officiers nobles dans les conseils généraux : Louis Girard, Antoine Prost et Rémi (...)
  • 17 En particulier parce que les militaires en activité ne peuvent être membres des conseils municipaux (...)

8Auréolés de leurs actions en faveur de la Défense nationale, les futurs sénateurs inamovibles se présentent naturellement aux élections de février 1871. Mais ils n’étaient pas pour autant tous novices en politique. Certains avaient déjà siégé dans des assemblées représentatives, à l’image de François Chabaud-Latour, député du Gard de 1837 à 1848, ou encore du général Changarnier, élu à la Constituante le 5 juin 1848. Après avoir démissionné de l’armée, Dupuy de Lôme est élu en 1869 au Corps législatif par la circonscription de Lorient. Trois autres sénateurs avaient été conseillers généraux sous le Second Empire : Montaignac de Chauvance dans la Seine-Inférieure depuis 1857, Chabron dans la Haute-Loire depuis 1859, et Chareton dans la Drôme depuis 1861. Les généraux élus députés en 1871 sont certes choisis pour leurs talents militaires. Certains sont aussi des notables, souvent bien implantés dans leur région d’origine malgré les déplacements auxquels ils sont soumis. Le conseil général leur permet d’asseoir leur autorité, surtout lorsqu’ils sont nobles ou affectent de l’être, vivant une partie de l’année dans leur château16. Après 1870, le choix d’entrer au conseil général confirme une bonne implantation locale qui tient autant au prestige acquis sur les champs de bataille qu’à l’héritage familial ; deux nobles, Saisy de Kerampuil dans les Côtes-du-Nord, et le colonel Chadois en Dordogne, entrent au conseil général, exemples suivis par les généraux Billot et Chanzy. Les héros de 1870 se risquent avec succès à braver le verdict des scrutins locaux. Par ailleurs, deux des élus du Second Empire se font reconduire dans leurs fonctions. Ce sont donc six officiers, tous issus de l’armée de terre, qui participent aux activités des assemblées départementales au début de la Troisième République. Ils y jouent souvent un rôle essentiel, quatre d’entre eux devenant même président de leur conseil général : Billot en Corrèze, Chareton en Haute-Loire, Chabron dans la Drôme, Chanzy dans les Ardennes. Néanmoins, la participation aux affaires locales reste minoritaire17. La greffe de militaires dans un département, fût-il celui de leur naissance, n’est pas toujours aisée, surtout pour les marins. L’amiral Jauréguiberry l’apprend à ses dépens, lui qui avait été élu député des Basses-Pyrénées en 1871, est battu aux sénatoriales de 1876. De ce point de vue, le scrutin de liste qui a prévalu en 1871, organisé qui plus est dans un contexte de crise militaire, a pour beaucoup contribué à l’entrée en force des officiers à l’Assemblée nationale.

  • 18 Dupuy de Lôme en 1869. Chabaud-Latour et Carayon Latour avaient été battus aux élections législativ (...)

9Les sénateurs inamovibles élus entre 1875 et 1884 ont d’abord été pour la plupart députés à l’Assemblée. Ce critère était nécessaire lors de la première élection, celle de décembre 1875, dans la mesure où les députés ont alors coopté au Sénat soixante-quinze de leurs collègues. Les vingt premiers officiers ou anciens officiers, désignés en 1875, avaient donc été élus à l’Assemblée nationale. A partir de 1876, le choix des sénateurs inamovibles revient au Sénat lui-même qui peut dès lors choisir des non-parlementaires, ce qu’il fait, à la nuance près que quatre des huit promus de la période 1876-1884 avaient déjà été députés18.

  • 19 Jean-Paul Charnay, Société militaire et suffrage politique en France depuis 1789, op. cit., p. 107.
  • 20 Ce total atteindrait le chiffre de 19 si on y ajoutait Chabaud-Latour, à la retraite depuis 1861, m (...)
  • 21 Sur les divers débats parlementaires des débuts de la Troisième République : Jean-Charles Jauffret, (...)
  • 22 Ibid., p. 284-286. Les huit sont : Billot, Carayon Latour, Chabaud-Latour, Chadois, Chanzy, Chareto (...)
  • 23 Il finit cependant par retirer son amendement dont les légitimistes voulaient faire une arme contre (...)

10L’Assemblée nationale avait donc largement ouvert ses portes aux militaires en 1871 ; vingt-neuf officiers en activité y entrent19. Or parmi eux, dix-sept deviennent sénateurs inamovibles20, soit 58,6 %, proportion tout à fait considérable, surtout si on la met en regard des 10 % que représentent les sénateurs inamovibles par rapport aux 750 députés de l’Assemblée nationale. Il faut naturellement s’interroger sur cette faveur dont ont jouit les militaires. Plusieurs arguments peuvent être avancés. L’Assemblée nationale s’est beaucoup occupée de questions militaires, offrant ainsi aux spécialistes qu’étaient les officiers députés l’occasion de s’illustrer à la tribune après l’avoir fait sur les champs de bataille21. Huit futurs sénateurs ont ainsi appartenu à la Commission de réorganisation de l’armée, dite des quarante-cinq, instituée par la loi du 17 mai 187122. Parmi eux, le général de Chareton joue un rôle important dans l’effort de réflexion qui se développe alors. Auteur d’un Projet motivé de réorganisation militaire de la France, rédigé en captivité, il est surtout un aiguillon constant en matière militaire, menaçant même un temps le gouvernement en 1872, lorsqu’il défend avec âpreté le service court, contre l’avis de Thiers23. Son attachement au redressement militaire, mais aussi moral de la France, est sans doute un des motifs de son élection en 1875, bien qu’il n’ait pas participé à la Défense nationale. Ainsi les débats autour de l’armée jouent un rôle important à l’heure des choix.

  • 24 Victor de Broglie, Vues sur le gouvernement de la France, Paris, Lévy, 2ème éd., 1872, 368 p., p. 2 (...)
  • 25 Lucien-Anatole Prevost-Paradol, La France nouvelle, Paris, 1869, rééd. Paris-Genève, Slatkine, 1979 (...)
  • 26 Ernest Renan, La Réforme intellectuelle et morale, Paris, 1871, rééd. Bruxelles, Complexe, 1990, 21 (...)
  • 27 Jean de SOTO, "Edouard de Laboulaye", Revue Internationale d’Histoire Politique et constitutionnell (...)
  • 28 Georges Lachapelle, L’Œuvre de demain, Paris, A. Colin, 1917, chap. 1, "La constitution de 1875", e (...)
  • 29 Charles Chesnelong, L’avènement de la République (1873-1875), p. 190.
  • 30 Ibid., p. 192.

11Mais les officiers supérieurs bénéficient aussi de la conception même du Sénat que s’étaient faite les initiateurs des lois constitutionnelles. L’image d’un Sénat devant représenter les principaux intérêts de la nation avait été mise en avant par plusieurs théoriciens de la vie politique. Dès 1859, Victor de Broglie envisageait un Sénat électif, qui "serait choisi sur une liste où figureraient toutes les vraies et durables illustrations du pays, tous les premiers en ordre dans les carrières publiques, toutes les fortunes considérables et consolidées, toutes les existences assises, entrées au port"24. Prevost-Paradol se montrait encore plus précis, en évoquant "des sièges attribués de droit à certaines hautes fonctions qui supposent chez ceux qui les occupent soit l’illustration personnelle, soit le talent, soit au moins l’expérience" et d’ajouter : "les amiraux, les maréchaux de France (si l’on juge utile de conserver ce titre), ou, à leur défaut, certains généraux ayant rempli des conditions qui seraient déterminées par la loi, feraient partie de droit de la Chambre haute "25. Renan reprend la même idée en 187126. Dès 1848, Laboulaye avait envisagé de réserver quelques places à des représentants de l’armée dans une Chambre Haute qu’il envisageait comme "pouvoir modérateur" 27 Quant à Albert de Broglie, s’inspirant des idées de son père, il prévoyait d’inclure les "lumières du pays" dans une Chambre Haute à laquelle il préfère donner le nom de "grand conseil des communes de France". Dans le projet qu’il présente en mars 1874, il distingue deux catégories de sénateurs, les uns nommés par le chef de l’État, les autres désignés par des collèges spéciaux, au niveau du département, composés de notabilités dont les officiers généraux du cadre de réserve et les officiers généraux et supérieurs en retraite28. Sans être aussi explicite, la mise en place des sénateurs inamovibles garde la trace de ces projets et nul doute qu’une partie des députés, au moment du vote, ait eu à cœur de voir représenter, au sein du Sénat, l’élite de l’armée qui ne pourrait plus l’être à la Chambre des députés. Charles Chesnelong en donne du reste un témoignage explicite dans ses souvenirs, lorsqu’il évoque les huit sénateurs conservateurs qui réussirent à être élus malgré l’alliance des républicains et des légitimistes. Il cite parmi eux : "M. le général de Changarnier, qui, à gauche même, était entouré d’une très grande considération, dut au respect qu’inspirait son glorieux passé un appoint de voix de gauche qui assura son succès au second tour de scrutin (…)"29 ; "M. le général de Cissey et M. l’amiral de Montaignac, après avoir été longtemps ballottés, durent leur succès à l’appoint de quelques voix d’anciens frères d’armes qui siégeaient à gauche et qui voulurent rendre hommage à leurs services militaires" 30.

  • 31 Roland d’Ornano, Gouvernement et Haut-Commandement en Régime Parlementaire Français 1814-1914, Aix- (...)
  • 32 Celle-ci n’intervient qu’en 1884.
  • 33 Raoul Girardet caractérise bien la place du militaire dans la vie politique des débuts de la Troisi (...)

12Un autre motif qui a pu conduire les députés à être particulièrement attentifs aux militaires, au moment de leur élection comme sénateurs inamovibles, tient à ce qu’ils étaient devenus inéligibles à la Chambre des députés. En effet, la loi du 10 novembre 1875 avait exclu les militaires en activité de la future Chambre, avec il est vrai l’approbation des militaires eux-mêmes, puisque treize des dix-huit officiers généraux en séance ce jour-là votèrent pour, dont six futurs sénateurs : d’Aurelle, Chadois, Chabron, Changarnier, Cissey et Montaignac, tandis que Billot et Chareton votaient contre avec trois autres généraux31. L’inéligibilité des militaires à la Chambre, mais pas au Sénat32, confirme la différence existant, au moins dans les esprits, entre les deux assemblées. A une Chambre élue au suffrage universel, suffrage auquel les militaires ne prennent plus part depuis 1872, s’oppose une Chambre censée représenter les intérêts de la nation. Or quatre ans après la défaite, les questions militaires apparaissent suffisamment importantes pour conserver des officiers dans la Chambre Haute. Lorsque le danger s’éloigne, ils perdent également le droit de se faire élire au Sénat, mais les sénateurs inamovibles demeurent, tels des témoins d’un passé révolu, pour rappeler quelle fut la place de l’armée dans les premières assemblées de la Troisième République33.

  • 34 Jauréguiberry avait démissionné pour prendre son poste de commandant de la flotte de Méditerranée à (...)
  • 35 Pour cette étude concernant l’appartenance aux groupes de l’Assemblée nationale entre 1871 et 1875, (...)
  • 36 Les cinq autres officiers inscrits au groupe du Centre gauche sont Chadois, Chanzy, Jaurès, Letelli (...)
  • 37 Chareton et Frébault.
  • 38 Rappelons que Fourichon et Pothuau ont été des ministres de Thiers en 1871.

13Reste à comprendre quels ont été les critères de sélection de cette vingtaine de sénateurs issus des armes. Ils ont d’abord été politiques. Étant donné ce que fut l’élection des sénateurs inamovibles en décembre 1875, ceux qui ont été mis en avant sont les officiers républicains. Si l’on examine les engagements politiques des dix-sept officiers de carrière membres de l’Assemblée nationale jusqu’à son terme34, on s’aperçoit que douze avaient voté en faveur des lois constitutionnelles, quatre avaient voté contre, tandis que le dernier, Chabaud-Latour, approuvait les lois, mais refusait de voter l’amendement Wallon. Or les deux seuls officiers adversaires des lois constitutionnelles à être élus sénateurs dès décembre le sont sur la liste des gauches, avec neuf autres légitimistes ; ce sont d’Aurelle de Paladines et Saisy de Kerampuil. Carayon Latour et Chabaud-Latour doivent attendre respectivement 1878 et 1877 pour devenir sénateurs inamovibles, à un moment où le camp conservateur s’est renforcé au Sénat. La liste des droites n’eut que trois élus officiers, comme le rappelait Chesnelong, mais seul Changarnier s’était montré hostile aux lois constitutionnelles, les deux autres, Cissey et Montaignac, les avaient votées, raison supplémentaire pour les rendre acceptables aux yeux d’une partie de la gauche. Mais les grands vainqueurs du scrutin sont finalement les dix officiers placés sur la liste des gauches, en raison de leur adhésion franche aux institutions républicaines. Ils représentent toute la palette du monde républicain, depuis l’Union républicaine représentée par le général Billot jusqu’aux transfuges du Centre droit que sont Chabron et Fourichon, ralliés à la gauche à l’occasion des débats institutionnels35. Mais la tendance dominante reste le Centre gauche avec sept représentants, en comptant les deux ralliés cités plus haut36, tandis que la Gauche républicaine en compte deux37. Cette prédominance du Centre gauche indique bien le souhait de ces officiers supérieurs de voir bâtir la République certes, mais dans l’ordre. Le général de Chabron exprime cette idée lorsqu’il dit espérer que la "République sera libérale et conservatrice". L’espoir de ces officiers réside en fait dans la personne de Thiers qu’ils ont pour la plupart soutenu depuis 1871 et qui est pour eux l’incarnation de cette République conservatrice38.

  • 39 Le général Gresley avait été préféré au général Farre par le maréchal Mac-Mahon, lors de la formati (...)
  • 40 François Bedarida, "L’Armée et la République : les opinions politiques des officiers français en 18 (...)

14Les nominations ultérieures d’officiers comme sénateurs inamovibles concernent un effectif trop faible pour pouvoir tirer des conclusions trop catégoriques sur les critères qui ont prévalu à leur choix. On peut néanmoins dégager quelques tendances. Entre 1876 et janvier 1879, trois anciens officiers entrent au Sénat comme inamovibles : Chabaud-Latour et Dupuy de Lôme en 1877, Carayon Latour en 1878. Le premier est un libéral qui siège au Centre droit, le second un bonapartiste, ancien député au Corps législatif, le troisième est légitimiste. Ainsi les trois familles de la droite française qui soutiennent Mac-Mahon et ont acquis la majorité au Sénat, à la suite des élections de 1876, font élire chacune un des siens, provoquant un retournement de tendance par rapport à décembre 1875. Mais une nouvelle orientation se dessine après le renouvellement d’un tiers du Sénat en janvier 1879. Les républicains y sont désormais majoritaires. Les cinq officiers qui deviennent alors sénateurs inamovibles sont républicains, républicains modérés d’abord, à l’image de l’amiral Jauréguiberry ou du général Gresley qui entrent au Sénat en mai 187939, gambettistes ensuite comme les généraux Farre et Campenon, ou ferrystes comme l’amiral Peyron. Le Sénat retrouve sa vocation à accueillir, par le biais de l’inamovibilité, des officiers d’active républicains, à une époque où les généraux républicains sont fort rares40. Mais ne devient-il pas aussi un réservoir de ministrables ?

  • 41 Gresley avait cependant été candidat en vain en 1878, avant donc d’être ministre.
  • 42 Farre avait été repéré, à l’époque de la Défense nationale. Campenon était républicain depuis 1848  (...)
  • 43 David B. Ralston, The Army of the Republic. The Place of the Military in the Political Evolution of (...)

15Déjà en décembre 1875, le choix des parlementaires s’était porté sur plusieurs officiers qui avaient été de surcroît ministres : Fourichon, ministre de la Marine dans le gouvernement de la Défense nationale, puis à nouveau en 1874, Pothuau, ministre de la Marine de Thiers, Montaignac de Chauvance, également ministre de la Marine de 1874 à 1876 ; Courtot de Cissey, ministre de la Guerre dans le gouvernement de Thiers de juin 1871 à 1873, puis de nouveau en 1874 dans un gouvernement qu’il dirige ; Letellier, sous-secrétaire d’État à la Guerre dans le gouvernement de Thiers. Ainsi les principaux ministres de la Marine et de la Guerre de la République naissante trouvent en 1875 dans l’inamovibilité sénatoriale une sorte de récompense et une assurance de leur survie en politique. Le même constat se retrouve après 1879. Les cinq officiers qui accèdent alors à l’inamovibilité étaient ministres en exercice : Jauréguiberry et Peyron à la Marine, Gresley41, Farre et Campenon à la Guerre. C’est désormais un parcours original qui conduit ces officiers supérieurs au Parlement par le biais du Gouvernement, et leur offre somme toute une honorable retraite politique. Aucun des cinq officiers cités n’était pourtant novice en politique. Jauréguiberry avait été élu député des Basses-Pyrénées en 1871, Gresley et Peyron étaient passés par des cabinets ministériels, l’un à la guerre de 1874 à 1877, l’autre à la marine de 1880 à 1881. Quant aux généraux Farre et Campenon, ils appartenaient à l’entourage de Gambetta42. Ils font partie des quelques généraux qui se mettent à la disposition du chef républicain, lors de la crise de novembre et décembre 1877, au cas où le gouvernement tenterait un coup d’État militaire43 et leurs noms sont souvent cités pour le portefeuille de la guerre des premiers gouvernements républicains.

  • 44 La loi du 7 décembre 1884 rend inéligibles les militaires au Sénat. Elle avait été défendue par le (...)
  • 45 Mattei Dogan, art. cit., p. 89, fait remarquer que sur 635 ministres et sous-secrétaires d’État de  (...)

16L’expérience de ces ministres devenus sénateurs ne put guère durer. A partir de 1884, le non remplacement des sénateurs inamovibles et l’inéligibilité des officiers en activité rend caduc ce schéma44. Le Sénat reste cependant un réservoir de ministrables pour les portefeuilles techniques de la Guerre et de la Marine. Depuis Fourichon et Pothuau qui se succèdent au ministère de la marine entre 1876 et 1878, jusqu’au général Billot, ministre de la guerre en 1882, puis de nouveau entre 1896 et 1898, dans le gouvernement Méline, la part prise par les sénateurs inamovibles issus de l’armée dans la direction des ministères militaires est forte. Il est habituel de distinguer ces ministres issus de l’armée, réputés techniciens, de leurs collègues parlementaires. C’est oublier que la plupart des ministres de la Guerre et de la Marine étaient eux-mêmes fréquemment des parlementaires, au moins jusqu’au milieu des années 188045. Et ne peut-on expliquer l’abandon d’une pratique inaugurée en 1870 consistant à placer un amiral à la Marine et un général à la Guerre, par la disparition progressive, à partir de la fin des années 1880, des officiers parlementaires ?

17Le fait est que l’élection de vingt-huit officiers ou anciens officiers à des postes de sénateurs inamovibles a contribué à maintenir dans la haute assemblée une part non négligeable de militaires jusqu’au début du XXème siècle. Pour ces soldats, meurtris par la défaite de 1871, et reconvertis dans la politique, le Sénat offrait par l’inamovibilité une sorte de bâton de maréchal.

Notes

1 Mattéi Dogan, "Les officiers dans la carrière politique (du maréchal de Mac-Mahon au général de Gaulle)", Revue française de sociologie, avril-juin 1961, vol. II, 2, p. 88-99.

2 Ibid., p. 94.

3 William Serman, "Les généraux français de 1870", Revue de Défense nationale, août-septembre 1970, p. 1319-1330, p. 1325.

4 William Serman, Les origines des officiers français 1848-1870, Paris, Publications de la Sorbonne, 1979, 406 p., p. 40-43.

5 William Serman, "Les généraux français de 1870", art. cit., p. 1323.
Parmi les officiers membres des cabinets de la Présidence de la République de la Troisième République, qui offrent l’avantage d’adjoindre comme chez les sénateurs, des officiers de l’armée de terre et de la marine, la proportion d’anciens élèves de grandes écoles militaires est encore plus forte puisqu’elle est de 92 %, Christian Paul et Marc Vellay, L’entourage militaire du président de la IIIème République 1871-1939, Paris, Publications de l’IRPAJ, n° 1, 1982, 181 p., p. 62.

6 S.H.A.T., GD2 / 1516 (dossier Chabron), madame de Chabron, née de Charbonnel, au ministre de la Guerre, 5 septembre 1829.

7 William Serman, Les origines des officiers français, op. cit., p. 337.

8 Alors que cette arme est considérée comme plébéienne, ibid., p. 344.

9 Jean Estèbe, Les ministres de la République 1871-1914, 1982, étudiant dans son chap. V, "les généraux de gouvernement", aboutit à des conclusions voisines sur les origines et la formation des 45 ministres qui le concernent, dont il est vrai 13 appartiennent aussi au corpus des sénateurs inamovibles.

10 On retrouve les trois officiers qui abandonnent la carrière des armes après leur entrée dans la vie politique au début de la Troisième République.

11 On exclut ici Carayon Latour, à la carrière trop atypique pour permettre des comparaisons.

12 S.H.A.T., GD2/1564 (dossier Farre).

13 S.H.A.T., GD2/1555 (dossier Gresley).

14 Cissey est élu lors des élections complémentaires de juillet, Letellier en 1873.

15 François Roth, La guerre de 70, Paris, Fayard, 1990, 778 p.

16 Sur la place des officiers nobles dans les conseils généraux : Louis Girard, Antoine Prost et Rémi Gossez, Les conseillers généraux en 1870, Paris, P.U.F., Travaux du centre de recherches sur l’histoire du XIXème siècle, 1, 1967, 211 p., p. 124-125. Les auteurs notent : "L’idée ne vient guère aux officiers roturiers de solliciter un mandat, fût-il local (…)".

17 En particulier parce que les militaires en activité ne peuvent être membres des conseils municipaux, depuis la loi du 5 mars 1855. L’art. 31 de la loi municipale du 5 avril 1884 confirme leur inégibilité. Jean-Paul Charnay, Société militaire et suffrage politique en France depuis 1789, Paris, S.E.V.P.E.N., 1964, 319 p. (Bibliothèque de l’École Pratique des Hautes Etudes), p. 108.

18 Dupuy de Lôme en 1869. Chabaud-Latour et Carayon Latour avaient été battus aux élections législatives de 1876. Jauréguiberry avait été battu aux sénatoriales de 1876.

19 Jean-Paul Charnay, Société militaire et suffrage politique en France depuis 1789, op. cit., p. 107.

20 Ce total atteindrait le chiffre de 19 si on y ajoutait Chabaud-Latour, à la retraite depuis 1861, mais qui n’a pas repris de service en 1870, et surtout le général Changarnier qui, bien qu’en non activité, a joué un rôle important dans la reddition de la place de Metz.

21 Sur les divers débats parlementaires des débuts de la Troisième République : Jean-Charles Jauffret, Parlement, gouvernement, Commandement : l’Armée de métier sous la 3ème République 1871-1914, Vincennes, S.H.A.T., 1988, 2 vol., 1355 p.

22 Ibid., p. 284-286. Les huit sont : Billot, Carayon Latour, Chabaud-Latour, Chadois, Chanzy, Chareton, Frébault et Montaignac. A noter que Chabaud-Latour et Montaignac étaient vice-présidents de la Commission.

23 Il finit cependant par retirer son amendement dont les légitimistes voulaient faire une arme contre Thiers. David B. Ralston, The Army of the Republic. The Place of the Military in the Political Evolution of France, 1871-1914, Cambridge, Massachusetts, M.I.T. Press, 1967, 395 p., p. 45.

24 Victor de Broglie, Vues sur le gouvernement de la France, Paris, Lévy, 2ème éd., 1872, 368 p., p. 276.

25 Lucien-Anatole Prevost-Paradol, La France nouvelle, Paris, 1869, rééd. Paris-Genève, Slatkine, 1979, 423 p., p. 110.

26 Ernest Renan, La Réforme intellectuelle et morale, Paris, 1871, rééd. Bruxelles, Complexe, 1990, 211 p., p. 89.

27 Jean de SOTO, "Edouard de Laboulaye", Revue Internationale d’Histoire Politique et constitutionnelle, 4, 1955, p. 114-150.

28 Georges Lachapelle, L’Œuvre de demain, Paris, A. Colin, 1917, chap. 1, "La constitution de 1875", et Jacques Pradon, "L’école du Correspondant", Revue Internationale d’Histoire Politique et constitutionnelle, 4, 1955, p. 97-113.

29 Charles Chesnelong, L’avènement de la République (1873-1875), p. 190.

30 Ibid., p. 192.

31 Roland d’Ornano, Gouvernement et Haut-Commandement en Régime Parlementaire Français 1814-1914, Aix-en-Provence, La Pensée Universitaire, 1958, 237 p.

32 Celle-ci n’intervient qu’en 1884.

33 Raoul Girardet caractérise bien la place du militaire dans la vie politique des débuts de la Troisième République, lorsqu’il écrit : " Il est difficile d’évoquer aujourd’hui l’atmosphère qui, pendant quelques jours, en 1872 puis en 1873, domina l’Assemblée nationale lors de la discussion des grandes lois militaires. Atmosphère exceptionnelle dans notre histoire parlementaire, faite non seulement d’attention et de gravité, mais aussi de recueillement, de ferveur et presque de piété", La société militaire dans la France contemporaine 1815-1939, Paris, Plon, 1953, 231 p., p. 161.

34 Jauréguiberry avait démissionné pour prendre son poste de commandant de la flotte de Méditerranée à Toulon ; il ne participe donc pas aux votes importants de 1873-1875.

35 Pour cette étude concernant l’appartenance aux groupes de l’Assemblée nationale entre 1871 et 1875, on s’appuie sur Rainer Hudemann, Fraktionsbildung im französischen Parlament, 1979.

36 Les cinq autres officiers inscrits au groupe du Centre gauche sont Chadois, Chanzy, Jaurès, Letellier et Pothuau.

37 Chareton et Frébault.

38 Rappelons que Fourichon et Pothuau ont été des ministres de Thiers en 1871.

39 Le général Gresley avait été préféré au général Farre par le maréchal Mac-Mahon, lors de la formation du gouvernement Dufaure, en janvier 1879. Mais comme le rappelle Freycinet qui avait seul appuyé la candidature de Farre en conseil, à la demande de Gambetta, "le général Gresley ne tarda pas à donner des preuves non équivoques de son dévouement à la cause républicaine, vers laquelle il était d’ailleurs depuis longtemps porté". Charles de Freycinet, Souvenirs 1878-1893, Paris, Delagrave, 4ème éd. 1913, t. 2, 516 p., p. 44.

40 François Bedarida, "L’Armée et la République : les opinions politiques des officiers français en 1876-78", Revue Historique, 1964, t. 232, p. 119-164. Sur 187 généraux répertoriés (sur 234 possible), 9 % seulement sont signalés comme républicains, 13 % comme neutres ou indifférents, 8 % sans opinion et 70 % comme adversaires de la République : 33 % de bonapartistes, 27 % de royalistes légitimistes ou orléanistes, 10 % de conservateurs réactionnaires (tableau p. 142-143).

41 Gresley avait cependant été candidat en vain en 1878, avant donc d’être ministre.

42 Farre avait été repéré, à l’époque de la Défense nationale. Campenon était républicain depuis 1848 et s’était mis à la disposition de Gambetta dans les années 70.

43 David B. Ralston, The Army of the Republic. The Place of the Military in the Political Evolution of France, 1871-1914, Cambridge, Massachusetts, M.I.T. Press, 1967, 395 p., p. 71.

44 La loi du 7 décembre 1884 rend inéligibles les militaires au Sénat. Elle avait été défendue par le ministre Campenon qui fait valoir que cette mesure est "l’expression des désirs unanimes de la commission de l’armée" ; elle comptait en son sein notamment Chabaud-Latour, Montaignac, Billot, Chadois, Chanzy et Chareton. Roland d’Ornano, Gouvernement et Haut-Commandement en Régime Parlementaire Français 1814-1914, op. cit., p. 117.

45 Mattei Dogan, art. cit., p. 89, fait remarquer que sur 635 ministres et sous-secrétaires d’État de 1870 à 1940, 55 étaient des généraux ou des amiraux, et que 20 furent députés ou sénateurs. C’est sur ce nombre de 20 que l’on retrouve nos 13 sénateurs inamovibles ministres.

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