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Monarchie et modernité

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René Bourreau

Première partie. Retrouver l’espace d’une restauration : 1876-1906

Chapitre II. Les institutions et la législation : 1877-1881

Texte intégral

Deux élections contrastées

1Le scrutin de 1877 est, non sans raison, rangé par André Siegfried dans la catégorie des élections de « lutte », tandis que celui de 1881 l’est dans celle des élections d’« apaisement ». Je devrais, en conséquence, plus insister sur le premier que sur le second mais il ne semble pas que ce soit judicieux au regard de la problématique proposée. Le scrutin de 1877 est, en effet, trop « absorbant » nationalement pour que la droite ligérienne puisse localement faire preuve d’originalité. Par contre, celui de 1881 devrait la contraindre à sortir de sa prudente position d’attente, d’où le rapprochement de ces deux élections, mais dans une perspective a priori inverse à celle qui prévaut nationalement, comme le veut André Siegfried.

  • 1 Cf. Jean-Marie Mayeur, La vie politique... op. cit. (p. 58).

2Chacun sait que l’affrontement de 1877 participe de manière décisive à l’établissement de la République en France, troisième du nom. Les républicains devraient, en principe, lever très haut leur drapeau, mais il est possible qu’ils se contraignent à une prudente stratégie sachant l’électorat ligérien réservé, sauf s’ils supposent de sa part une rapide évolution depuis l’élection de 1876. Corrélativement, les bonapartistes et les royalistes seront incités à maintenir le caractère provisoire de la situation en hissant simplement le drapeau du « candidat officiel » offert par Mac-Mahon. Si tel est le cas, de ce point de vue, l’élection de 1877 prolongerait l’état d’esprit des précédents scrutins. D’un autre point de vue, il devrait en diverger fortement car les contemporains ont saisi, pressenti le caractère crucial de la crise du 16 mai 1877 qui décidera d’un basculement institutionnel : du régime parlementaire convenant aux orléanistes transigeants, à la « République des républicains »1.

3En 1881, les institutions sont en place et peuvent être jugées sur les réalisations de la première législature, en un mot, sur la législation mise en œuvre. Face à cette situation, comment les monarchistes réagiront-ils ? En privilégiant l’enjeu institutionnel ou en politisant la question de l’éducation sachant que la République esquisse sur ce point la concrétisation de son projet de laïcisation ? Cette dernière hypothèse doit d’autant plus être vérifiée que l’éducation, au sens d’instruction, n’est pas une préoccupation majeure dans les circonscriptions rurales. Il en va de même pour ce qui concerne la survie du clergé « régulier » des congrégations, en particulier des jésuites, premiers visés par la laïcisation mais n’ayant qu’une infime et unique implantation dans le département, à Nantes. Il n’est donc pas assuré que le déplacement de l’angle d’attaque du régime par les royalistes soit systématique, total.

4Pour ces deux élections, on peut présenter la classification objectivée des candidats afin, d’une part, de faciliter la lecture des pages qui suivent ; d’autre part, de souligner la continuité des candidatures avec toutefois une significative discontinuité et décroissance en 1881 par rapport à 1877 pour ce qui concerne les républicains :

  • 2 La présence des candidats en 1877 et/ou 1881 est indiquée par un Oui et l’absence par un trait obli (...)

TABLEAU N° 6 – OFFRE ÉLECTORALE PAR CIRCONSCRIPTION EN 1877-18812

Circonscriptions Candidats Élection 1877 Élection 1881
Ancenis Thoinnet B
Maillard R
oui
oui
oui
/
Châteaubriant Ginoux B
Récipon R
oui
oui
oui
/
Paimbœuf de Juigné M
Goullin R
Bocquiem R
oui
oui
/
oui
/
oui
Saint Nazaire I F. Simon R
de Lareinty M
A. Simon B
Ménard M
oui
oui
oui
/
oui
/
/
oui
Saint Nazaire II La Rochette M
Benoît R
oui
oui
oui
oui
Nantes II E. Gaudin B
Boucher d’Argis M
Vincent R
Normand R
oui
oui
oui
/
oui
/
/
oui
Nantes III La Biliais M
Roch R
oui
oui
oui
oui

5On remarquera la ténacité des deux opposants républicains, Benoît et Roch, renouvelant en 1881 leur candidature de 1877, mais sans plus de succès. Tous les députés sortants sont réélus ce qui semble indiquer une réelle stabilisation de la vie politique ligérienne par-delà les conjonctures divergentes de ces deux affrontements électoraux.

6En 1877, comme en 1881, les journaux royalistes ligériens patronnent des listes de « droite ». En 1881, cette étiquette pourrait être constitutive d’une concession à l’union des monarchistes mais l’hypothèse ne serait guère recevable en 1877 puisque n’y figurent que les éléments identifiables au royalisme.

L’élection de 1877

  • 3 Les candidatures dites officielles émanent des instances gouvernementales et bénéficient de ses app (...)

7Le tableau de l’offre électorale, en 1877, nous l’avons vu, est déjà significatif en lui-même puisque la configuration prédominante est incontestablement bipolaire avec le candidat officiel auquel s’oppose systématiquement un républicain. Deux dissidents, à Saint Nazaire I et à Nantes II, viennent néanmoins jouer le rôle de trouble-fête dans les rangs de la droite3.

TABLEAU N° 7 – LABEL « OFFICIEL » ET CANDIDATURES DISSIDENTES DANS DEUX CIRCONSCRIPTIONS EN 1877

Candidat officiel à Affiliation Saint Nazaire I Nantes II
Royaliste oui : J. de Lareinty non : H. Boucher d’Argis
Bonapartiste non : A. Simon oui : E. Gaudin

8Les deux dissidents échoueront dans leur entreprise ce qui accrédite la thèse d’une pression efficiente de la puissance publique désignant aux électeurs le candidat de son choix. Les pressions peuvent toutefois susciter des réticences et paradoxalement aviver les ardeurs militantes. Le plus intense engagement des candidats républicains lors de l’élection de lutte en 1877, par rapport à l’élection d’apaisement de 1881, peut se comprendre dans cette perspective émotionnelle.

9Avant d’apprécier à sa juste mesure le combat qui semble être le plus typique de cette élection de 1877, je propose un bref « parcours » dans quelques circonscriptions. Eu égard au problème politique en cause et aux documents dont je dispose, je m’intéresserai, en 1877, aux orientations des opposants, c’est-à-dire des républicains qui ne s’imposent qu’à Saint-Nazaire I, semi-urbain, et à Nantes I, totalement urbain. Je pourrai examiner la position d’un républicain très modéré à Châteaubriant L.E. Récipon, plus offensif à Paimbœuf avec Gustave Goullin, puis le combat triangulaire à Saint-Nazaire I pour aborder enfin les termes de la lutte à Nantes III.

Espérances et déconvenues républicaines

  • 4 Cf. Ancenis 1876-1988, EHESS, op. cit.
  • 5 Caran Série C. 3487.

10La situation à Ancenis est par ailleurs évoquée4 ; il suffit ici de rappeler que Marcel Maillard entraînera, dans sa chute, le maire du chef-lieu, Émile Maillard, son père, républicain également très modéré. Marcel n’a obtenu que 12,60 % des voix dans la circonscription mais 52,87 % à Ancenis-ville, unique localité où il arrivera bon premier. Il « protestera » mais ne pourra recueillir aucune attestation auprès de la population pour étayer ses allégations relatives à la fraude électorale5.

  • 6 Th. Le Gourierec, Les candidats députés de la Loire-Inférieure, Nantes, 1876, 74 p. et du même, M. (...)
  • 7 Th. Le Gourierec, Les candidats... op. cit. (p. 62).
  • 8 Jean Pascal, Les députés bretons de 1789 à 1983, Préf. R. Pleven, PUF, 1983, 809 p. (p. 343).

11․ Selon Th. Le Gourierec, polémiste, L.E. Récipon s’apparente à un aventurier6. Toujours est-il que lorsqu’il « émigre » – il est natif du Puy-il se présente à Châteaubriant comme étant politiquement mais non idéologiquement novateur. A l’instar de son concurrent victorieux, le candidat officiel Ginoux-Defermon bonapartiste « assez platonique »7, L.E. Récipon veut défendre « la Religion, la Famille et la Propriété ». Il s’affirme « profondément conservateur », mais pour ses ennemis il ne peut s’agir que d’un contresens car, écrit-il, « je veux conserver, améliorer et non détruire les institutions républicaines qui, depuis sept ans, nous donnent la paix et la prospérité ». Les électeurs du pays castelbriantais ne recevront que très minoritairement ce discours, à la différence des électeurs des Alpes-Maritimes, puis de Redon qui l’éliront ultérieurement8.

  • 9 Gustave Goullin ne réfère pas explicitement à Thiers cette formule, comme le fera Gustave Roch, mai (...)

12․ Gustave Goullin, adversaire à Paimbœuf du comte de Juigné, exprime comme L.E. Récipon son horreur d’une guerre que le renforcement de la République doit permettre d’éviter. Dans sa profession de foi il plaide pour le réalisme et reprend la phrase célèbre : « La Monarchie n’est pas possible, elle aurait pour conséquence immédiate ou prochaine la guerre civile. Faisons donc la République honnête, sage, conservatrice qui n’est pas impossible »9. Une telle République a pour mérite, selon Gustave Goullin, après avoir libéré le territoire, d’avoir vaincu la Commune, ce que Récipon ne nous signifiait pas dans sa circulaire électorale.

  • 10 Les habitants du Pays de Retz.

13Dans ce « pays de Retz », très marqué par la guerre de Vendée, G. Goullin énonce en effet que la lutte est engagée aujourd’hui, entre ceux qui veulent l’affermissement des principes « dont le triomphe en 1789 nous a tous fait des hommes libres et égaux devant la loi », et ceux qui, « sans oser l’avouer, désirent ardemment le retour de l’Ancien Régime avec la monarchie de droit divin ou le despotisme militaire ». G. Goullin, propriétaire à Bourgneuf, conclut : « Si vous voulez rester libres chez vous, tranquilles propriétaires des fruits de votre travail (...), croyez-moi ralliez-vous à l’idée républicaine... » Bien que Gustave Goullin ait dramatisé la situation politique, si grave que, dit-il, des intérêts propres à la région, il « ose à peine en parler », aux Paydrets10 le Ralliement paraîtra prématuré.

14․ Dans la circonscription de Saint Nazaire I la situation est plus complexe, un deuxième tour de scrutin est nécessaire. Au premier tour la lutte était triangulaire avec le candidat officiel J. de Lareinty et les deux cousins Simon : Fidèle, ex-bonapartiste, défenseur de la République et Amaury, « candidat dévoué » au Maréchal de Mac Mahon. Bien que vigoureusement soutenu par le conseiller général de Blain, le bonapartiste Docteur Sortais, A. Simon sera éliminé à l’issue du premier tour, mais contribuera au succès du républicain comme le laissent supposer les résultats et les termes de son retrait successivement appréciés :

TABLEAU N° 8 – SCORES DES CANDIDATS AUX DEUX TOURS DE SCRUTIN À SAINT NAZAIRE I, EN 1877

Candidats Scrutins Jules de Lareinty Royaliste Fidèle Simon Républicain Amaury-Simon Bonapartiste Suffrages exprimés
1er Tour 6 386 5 748 4 229 16 363
2e Tour 7 655 8 631 / 16 286
Écarts 2-1 + 1 269 + 2 883 / – 77

15F. Simon a donc plus nettement bénéficié de la bipolarité du second tour, présentée par la presse comme étant symboliquement personnifié par les noms de Gambetta et de Mac-Mahon, bien qu’Amaury Simon se soit réclamé de Mac-Mahon au premier tour, mais plus stratégiquement que politiquement.

  • 11 Incarné par Jules de Lareinty. Le Dr Sortais, dans une longue circulaire d’avant le premier tour, l (...)
  • 12 L’Espérance du Peuple du 28/10/1877.
  • 13 Ibid.
  • 14 L’Union Bretonne du 18/10/1877.

16Les termes du retrait d’Amaury Simon ne peuvent être référés à la seule parenté familiale, la proximité politique joue un rôle incontestable. A. Simon ne se retire pas silencieusement, laissant les électeurs juges, mais en déclarant : « candidat du drapeau tricolore, je ne puis patronner un candidat du drapeau blanc11, ce qui serait la négation de mes intérêts et de mes traditions de famille »12. Cette prise de position suscitera d’ardentes polémiques, notamment de la part de l’Union Bretonne qui accuse son candidat d’avoir modifié sa position en l’espace d’une huitaine de jours13. La droite peut se déclarer « atterrée » car elle assiste dans cette circonscription à une nouvelle conjonction des forces républicaines et bonapartistes réalisée à ses dépens. L’enseignement de ce scrutin influera certainement sur la stratégie adoptée par les royalistes en 1881 dans le département. Mais, ponctuellement, l’alliance avec le parti bonapartiste restera aléatoire car c’est sans succès que son chef, Ernest Merson, a appelé les électeurs Nazairiens, « en véritables conservateurs », à reporter leurs voix sur le candidat du Gouvernement de Mac Mahon, J. de Lareinty14.

  • 15 Guémené-Penfao est l’un des rares cantons du département à avoir accepté et sans doute facilité le (...)
  • 16 F. Simon appartient au groupe des 363 [républicains] et son père, également ex-bonapartiste, a été (...)
  • 17 La Semaine Religieuse du 19/11/1991 a annoncé la célébration du centenaire.

17Connexes aux incertitudes stratégiques, s’expriment les prudences idéologiques qui ont pu faire dire à A. Siegfried que le républicanisme des électeurs de la région de Guémené15 n’était dû qu’à la présence des Simon eux-mêmes. En fait il semble bien que ce soit lié à un républicanisme politiquement déterminé16 mais idéologiquement tempéré. A ceux qui l’accusent d’être ennemi de la propriété, de la famille et de la religion, F. Simon répond, à ces successives « calomnies », qu’ils en seraient bien étonnés « ceux qui voient ce que je possède » et « ceux qui me voient vivre avec ma femme et mes quatre enfants ». Puis, en réponse à la troisième critique, F. Simon d’affirmer que l’on ne peut découvrir « un seul acte contraire » à la religion de sa part ; que de surcroît il a répondu à l’appel de Monseigneur l’évêque concernant l’achèvement de la cathédrale de Nantes, pour laquelle il a fait don de ses propres deniers17. En bref, aucun des candidats ne se veut anti-religieux. Sur la question du cléricalisme, les positions pourront être plus diversifiées, il faudra ultérieurement le vérifier.

18Nantes II présente, comme Saint Nazaire I, la particularité de rééditer, en 1877, la configuration « triangulaire », généralisée dans le département en 1876. Cette configuration est due à la présence des candidatures de droite n’ayant pas obtenu le label de candidat officiel.

  • 18 L’Ami de la Vérité du 22/09/1877.

19Bien que bénéficiant des appuis de la presse royaliste et de son candidat malheureux de 1876, Cazenove de Pradine, Boucher d’Argis ne pourra s’imposer dans cette circonscription du vignoble, encore pro-bonapartiste. Cazenove lui-même déclare se retirer pour soutenir d’Argis en prévenant ainsi la critique : « la façon dont les bonapartistes traitent l’Union Conservatrice dans les circonscriptions favorables à nos amis nous donne une réponse facile à ceux qui pourraient être tentés de nous reprocher de chasser sur les terres de M. Gaudin »18. On le perçoit, l’union des monarchistes est plus imposée que désirée, ce qui s’avère ponctuellement préjudiciable au royaliste Boucher d’Argis, qui, nettement devancé, doit se retirer pour laisser place à un duel entre le républicain et le bonapartiste :

TABLEAU N° 9 – SCORES DES CANDIDATS AUX DEUX TOURS DE SCRUTIN À NANTES II, EN 1877

Candidats Scrutins Vincent Républicain Gaudin Bonapartiste Boucher Royaliste Suffrages exprimés
1er Tour 6 375 8 753 4 086 19 214
2e Tour 6911 10 588 / 17 499
Écarts 2-1 + 536 + 1 835 / – 1 715
  • 19 L’Union Bretonne du 20/10/1877.

20Selon les données de ce tableau, il est probable que moins de la moitié des voix du légitimiste se soit reportée au second tour sur la candidature d’Emile Gaudin, bonapartiste, nombre des électeurs ayant certainement préféré, comme leur porte-drapeau, se retirer. Il est possible qu’une minorité se soit prononcée pour le républicain qui voit ses suffrages légèrement croître en dépit d’un plus fort abstentionnisme. L’Union Bretonne craignait cette hypothèse lorsqu’elle annonçait le retrait de Boucher d’Argis, espérant que les légitimistes se souviendraient qu’ils avaient à choisir entre le candidat du Maréchal et celui de Gambetta. Le candidat gambettiste Vincent, à la Chambre, s’associerait « fatalement », quoi qu’il en dise, pense le publiciste bonapartiste, à « la politique anti-religieuse de la République »19.

  • 20 Ibid.
  • 21 L’Union Bretonne du 25/10/1877.
  • 22 Ibid.

21Le « Comité Conservateur » de la deuxième circonscription de Nantes, à dominante bonapartiste, s’est d’autant plus mobilisé pour conserver son député sortant Gaudin, défenseur du Gouvernement, de la propriété, de la paix, des grands principes religieux et sociaux, que le candidat républicain, Vincent, « dit maintenant qu’il aime la religion »20. Il rappelle, en outre, avoir voté pour les Frères des Écoles Chrétiennes, mais L’Union Bretonne considère que ce n’est que « simple justice »21. Et ce journal bonapartiste aimerait bien que ledit Vincent précise, au Conseil Général, « dans quelles séances il a voté pour l’allocation à Mgr l’évêque de Nantes ? »22 Le rapport à la religion n’est pas seul en cause, mais, il faut le noter, la presse bonapartiste tente de pousser, sur ce plan, le candidat républicain dans ses retranchements. Par voie de conséquence, elle identifie le bonapartisme à la « droite cléricale » selon la terminologie d’André Siegfried qui, par ailleurs, inscrit ce même bonapartisme dans la voie démocratique émergente. Pour le moins, gît dans ce courant un état de tension.

22La profession de foi de la Biliais, royaliste, candidat à Nantes III, est typique de la position adoptée par les candidats officiels en 1877 : « la forme de gouvernement n’est pas aujourd’hui en discussion ». On peut supposer qu’elle pourra l’être demain mais pour l’heure c’est le « soutien de l’ordre » qui est en question, face aux adversaires résolus du maréchal de Mac-Mahon, lequel est présenté comme le vainqueur de la Commune, l’homme de la paix et de l’ordre. Plus généralement, de la Biliais n’arbore pas le drapeau blanc comme l’affirme son adversaire, mais celui de la « réparation sociale » que le maréchal entreprend avec l’aide de Dieu.

  • 23 Gustave Roch conclut sa profession de foi avec ces « paroles patriotiques de l’illustre et regretté (...)

23De la Biliais se défend encore d’adopter une attitude purement réactionnaire en appelant ses électeurs au rejet complice de cette arrière-pensée : « Vous me connaissez trop pour savoir que je ne veux pas le retour de la prédominance des classes privilégiées ». Cette formulation peut laisser place à une restauration monarchique purifiée que le régime d’Ordre Moral peut préserver, préparer. Cette hypothèse se conforte lorsque l’on prend en compte la thématique de l’adversaire battu, Gustave Roch. Celui-ci a dépensé toutes ses énergies à valoriser M.A. Thiers23 et plus généralement le gouvernement de la République qui « seul peut nous assurer l’ordre à l’intérieur, la paix à l’extérieur ». Après avoir notamment développé l’idée selon laquelle « les adversaires de nos institutions cherchent à se retrancher derrière l’équivoque », G. Roch en déduit que « la lutte est encore une fois entre le passé et le présent, entre le drapeau blanc et le drapeau tricolore ».

24Cette présentation bipolaire du devenir national, partiellement récusée par de la Biliais, est donc bien politique mais les considérations religieuses n’en sont pas pour autant exclues. G. Roch est expressif des républicains ligériens lorsqu’il déclare : « respectueux des croyances de tous, je repousse avec mépris les calomnies de ceux qui cherchent à me représenter à vos yeux comme un ennemi de la religion ». Mais il s’annonce comme étant plus résolument anticlérical en déclarant « je combattrai toujours, et de tous mes efforts, cette politique coupable et antipatriotique qui tend au rétablissement du pouvoir temporel du pape et qui nous amènerait sûrement la guerre avec l’Italie ». Certes, mais au-delà de cet argument de politique internationale, se profile l’acceptation d’une Séparation qui interviendra en 1905/1906 et que G. Roch, alors élu, soutiendra fermement par ses déclarations et ses votes.

Espérances et réussites républicaines

25Au vu des résultats globaux, l’incertitude subsiste en Loire-Inférieure aux lendemains du scrutin de 1877, les républicains obtiennent le nombre le plus élevé de suffrages devançant de peu les légitimistes, lesquels précèdent nettement les bonapartistes. Mais l’ordre est inverse si l’on pondère chacune de ces forces par le nombre de candidats qu’elles ont présenté sur l’ensemble du département. La position républicaine apparaît plus fragile encore si l’on retranche de son score total les suffrages obtenus par ses deux élus, ceux-ci obtiennent près de la moitié des voix républicaines : 17 476 sur un total de 43 433 (40,24 %).

TABLEAU N° 10 – SCORES OBTENUS PAR LES CANDIDATS RÉPUBLICAINS LIGÉRIENS, NON ÉLUS EN 1877

Scores Circonscriptions Candidats Voix obtenues Pourcentages sur Inscrits
Ancenis
Châteaubriant
Paimbœuf
Saint Nazaire II
Nantes II
Nantes III
Maillard
Récipon
Goullin
Benoit
Vincent
Roch
1 225
5 966
2 952
3 421
6 375
6018
8,93
27,95
23,88
18,19
25,25
28,07
  • 24 Exceptionnel cas d’un candidat de gauche dont le patronyme est composé d’une particule.

26La concentration des voix républicaines dans les deux circonscriptions les plus urbanisées, St Nazaire I et Nantes I, signifie un fort rejet dans les six autres, néanmoins inégal, la circonscription d’Ancenis étant particulièrement rétive. Il en résulte pour 1881, une absence de ce courant à Ancenis, mais aussi à Châteaubriant. Et paradoxalement une division qui se traduira par une lutte fratricide à Nantes I, ce qui ne manquera pas de rejaillir sur son devenir. Et ce qui peut expliquer que l’élection de 1881 ne sera pas aussi atone en Loire-Inférieure qu’elle ne le fut nationalement. Le duel nantais qui opposera le radical Laisant à l’opportuniste Lucas de Peslouan24 compromettra un peu plus la difficile avancée des républicains dans l’ensemble du département. Du côté de la droite le regroupement n’est pas enthousiaste, mais pour l’heure, en 1881, s’impose l’Union Conservatrice empreinte d’un réalisme contraint, par-delà quelques dissonnances.

L’élection de 1881

  • 25 L’Ami de la Vérité du 12/05/1877.

27La division ne sera, en effet, pas totalement absente chez les monarchistes. Le problème des relations avec la papauté fera exclure le bonapartiste Ginoux-Defermon de la liste du Comité de la Droite telle qu’elle sera présentée par les journaux royalistes. Ces derniers avaient prévenu quelque temps avant le scrutin de 1877 que les catholiques se souviendraient des « votes hostiles » et des « coupables abstentions », spécialement celle de Ginoux, lors d’un vote d’ordre du jour concernant les relations de la France avec l’Italie dont Rome est la capitale mais aussi celle des catholiques25. Il reste que cette ponctuelle marginalisation de Ginoux ne présente que de faibles risques électoraux, celui-ci étant à Châteaubriant, candidat unique. Il est donc opportun d’insister sur les discours des candidats relativement à la nature de l’apaisement, avant d’examiner leur réceptivité du côté des publicistes eux-mêmes puis des électorats.

Les discours de l’« apaisement »26

  • 26 Pour une présentation de ce type de discours par son principal auteur. Cf. Eugène Spuller, L’évolut (...)

28La stratégie d’Union Conservatrice prônée, réclamée avec la plus grande insistance par E. Merson, le chef départemental des bonapartistes, n’est pas inconditionnellement acceptée par les royalistes ligériens. Ceux-ci ont plutôt opté pour la conduite prônée par Léon XIII de préférence à celle développée par le comte de Mun. E. Merson résume à sa manière cette opposition :

  • d’un côté, le Saint Siège qui dit : « Paix à tous les hommes de bonne volonté, qu’ils viennent de la droite, de la gauche et même du centre gauche » ;
  • de l’autre côté, le comte de Chambord et son lieutenant de Mun : « repoussant toute transaction avec les orléanistes, les bonapartistes, les républicains, fussent-ils de fervents catholiques »27.
  • 28 Le Patriote Breton et Vendéen du 21/05/1881.
  • 29 Ibid.
  • 30 Le Patriote Breton et Vendéen du 23/04/1881.

29E. Merson espère, en 1881, qu’à l’heure solennelle du scrutin, l’Union Conservatrice se reconstituera avec les « monarchistes de toutes les écoles »28 ce, « pour faire triompher, pour affirmer tout au moins, la doctrine du relèvement et du salut » en attendant que le pays souverain dise ce qu’il préfère : « ou la Royauté ou l’Empire »29. Selon E. Merson, cette dernière question est, pour l’heure, prématurée ; en cette année 1881 il faut maintenir l’accord des partis conservateurs sur le terrain du grand principe immuable des libertés et particulièrement de la « liberté d’enseignement ». Et les bonapartistes qui craignent d’être enrôlés par les royalistes, appellent à s’accorder loyalement « pour mener ensemble la grande défense religieuse et sociale ; c’est ainsi que, sans nous imposer réciproquement des règles offensantes ou arbitraires, nous pouvons tenter avec fruit l’œuvre sacrée de la préservation, en attendant le rayonnement du salut final »30.

  • 31 Le Patriote Breton et Vendéen du 13/08/1881.
  • 32 Ibid.

30A la veille des élections, E. Merson insistera clairement pour que l’on oublie les identifications royalistes ou impérialistes, afin de « nous souvenir uniquement que nous sommes Catholiques et Français. Catholiques, pour garantir la religion d’attaques effroyables ; Français, pour préserver le pays de catastrophes imminentes et terribles »31. E. Merson voit d’autant plus la Révolution en marche qu’il considère, tirant les enseignements de la législature 1877/1881, que les députés républicains modérés seront réduits à l’état de « mythes », entraînés dans l’engrenage des visées les plus radicales32. Pour un peu, en 1881, la presse bonapartiste surclasserait sa concurrente royaliste dans le déplacement de la ligne d’attaque des républicains en érigeant au premier rang la lutte contre la laïcisation.

  • 33 Extraits de l’Ami de la Vérité du 26/03/1881.

31Avec leur prétendant, les royalistes inclinent à ne voir qu’un remède à tous les maux que le pouvoir issu de la Révolution fait courir : « la Monarchie traditionnelle, ce qui signifie la Monarchie “chrétienne” ». Autrement dit, pour résoudre « tous les problèmes contemporains », il est nécessaire de rendre à la France, tout à la fois « son Dieu et son Roi »33. L’intégralisme politico-religieux est concrètement pratiqué. Lors des élections, les royalistes marqueront leur pouvoir à l’égard des bonapartistes en stigmatisant Ginoux, rappelons-le, et sur le fond en questionnant les candidats sur la politique religieuse des républicains. Ceux-ci étaient explicitement visés mais le questionnaire devait avoir pour fonction latente de ne pas laisser libre, aux bonapartistes, le champ de la relance politique, par la médiation religieuse. Très précisément, les électeurs étaient invités à définir leurs propres positions vis-à-vis de tous les candidats selon les réponses que ceux-ci apportaient à chacune des trois questions énoncées ci-dessous. Ces réponses devaient bien entendu être positives pour les deux premières, négative pour la troisième :

  • « A-t-il voté pour la liberté de l’enseignement ?
  • A-t-il protesté contre les expulsions de nos religieux ?
  • Est-il partisan de l’enseignement laïque, obligatoire et gratuit ? »34.

32Tous les candidats pouvaient être interpellés, concernés comme députés sortants, et à défaut comme élus départementaux, cantonaux, municipaux.

  • 35 Sur cette stratégie du « pas à pas », typiquement opportuniste. Cf. Françoise Mayeur, Histoire Géné (...)
  • 36 Même s’il est vrai par ailleurs que le républicain F. Simon ne s’y soumet que de manière informelle (...)

33Les républicains, qui insistaient antérieurement sur le respect de la religion, risquaient d’être placés en porte-à-faux. L’idée était astucieuse et fera si l’on peut dire une longue carrière. Mais si elle donne un angle d’attaque en 1881, elle ne favorise guère une vision prospective des candidats anti-républicains. Il est vrai qu’ils ne sont pas remis de leur échec politique de 1877 et se trouvent confrontés à l’adroite opération du Gouvernement républicain, lequel a sectionné son projet de laïcisation de l’enseignement et n’a soumis au vote, préalablement au scrutin législatif, que sa partie la plus attractive, la gratuité35. Les publicistes ne sont pas dupes, mais les candidats de droite dépassent difficilement le niveau de la critique ; l’alternative politique apparaît malaisément présentable. Toujours est-il que les élus de la liste de droite ne sont pas très prolixes en 1881 : le bonapartiste Thoinnet, unique concurrent à Ancenis, mais aussi les royalistes de la Biliais et de la Rochette opposés à des républicains, n’ont pas rédigé de profession de foi. On ne peut que partiellement expliquer leur silence par la faible normalisation de cette pratique car eux-mêmes l’ont antérieurement mise en œuvre36. Tous les candidats de droite ne se morfondent néanmoins pas en silence. Les bonapartistes Gaudin et Ginoux nous gratifient l’un et l’autre d’une profession de foi :

  • A Nantes, Gaudin pleure la mort « héroïque » du prince impérial mais cela, dit-il, ne modifie « en rien » ses opinions conservatrices ; et d’appeler assez généralement à la paix, à la liberté pour chacun, au respect de la religion. Toutefois la majeure partie du texte développe une autre idée qui relativise les énoncés précédents et fait implicitement écho à la crise économique émergente : « Mais, enchaîne le bonapartiste, il est des questions d’un autre ordre qui, quel que soit le Gouvernement du pays, présentent aussi une importance capitale pour son avenir et sa prospérité ; ce sont les questions économiques, maritimes, industrielles, agricoles ». Émile Gaudin préfigure les candidatures de députés d’affaires de la fin du siècle et notamment celle du rallié L. Dubochet37 qui triomphera dans cette circonscription, toutefois redécoupée, en 1898.
  • Son collègue Ginoux place en exergue « le premier bien et le premier besoin de notre chère patrie : la Paix ». Il se veut aussi un facteur d’amélioration de la prospérité publique et des intérêts de l’arrondissement mais « En même temps et par-dessus tout, énonce-t-il, vous me trouverez toujours le défenseur des grands principes sociaux, le défenseur de toutes les libertés ». Et par ce libéralisme, « au premier rang vous mettrez, avec moi, présuppose Ginoux, la liberté religieuse et la liberté des pères de famille ». Sans doute est-ce pour désarçonner les « dissidents » légitimistes38 qu’il insiste sur ces problèmes et spécifie aussitôt : « Vous me connaissez d’ailleurs, et vous connaissez mes actes ». Le paradoxe veut qu’il s’exprime ainsi plus précisément au regard du questionnement royaliste que ne le fait Gaudin, non stigmatisé.
  • 39 Cf. Enquête de 1884 : Caran : C. 3553.

34Le comte de Juigné est le seul élu royaliste à nous gratifier d’une profession de foi. Celle-ci a plus une fonction accusatrice que constructive comme le soulignent les premières phrases : « On vous trompe, la France est tombée dans les mains de gens qui ne pensent qu’à faire leur fortune et à s’enrichir aux dépens du pays ». Et de Juigné explicite le thème de la prospérité « dont on vous leurre » eu égard à l’état de l’économie et au coût des guerres coloniales. Mais la profession de foi a aussi une fonction préventive, temporellement située. « Les élections une fois faites, on demandera après ce qu’on n’a pas osé demander avant et vous serez joués une fois de plus ». Et cet appel à la vigilance, à l’égard de la démocratie représentative, vaut non seulement au regard de la guerre (coloniale) « que le pays ne veut pas » ou de « l’introduction en franchise des blés et bestiaux, qui nous ruine »39, mais aussi pour ce qui concerne le « crochetage des serrures des couvents, la persécution contre les Frères et les Sœurs ». Le comte insiste sur le fait que voter pour un républicain « de quelque nuance qu’il soit », c’est approuver les actes du Gouvernement en tous ces domaines. Son appel à un vote libre mais conscient étant souligné, le comte peut s’en remettre à Dieu afin qu’il protège la France.

  • 40 Cf. L’Union Bretonne du 14/08/1881.
  • 41 Cf. AMN (Archives Municipales de Nantes) Série K1.

35Le royaliste le plus prospectif n’est autre que Ch. le Cour Grandmaison, candidat battu à Nantes I, figure emblématique du catholicisme social. Il voudrait en effet favoriser « par des lois libérales, les associations ouvrières, les sociétés de coopération et de consommation, l’apprentissage et l’enseignement professionnel, les assurances et les sociétés de Secours Mutuels »40. Mais il dénonce aussi, avec d’autant plus de vigueur, la politique économique et encore plus religieuse du Gouvernement, que ses deux opposants républicains fratricides appellent à la séparation de l’Église et de l’État. Aussi achève-t-il son long préambule par cet avertissement à l’encontre des républicains : « Leur devise avouée, c’est la guerre au catholicisme »41.

  • 42 Partisan du républicain modéré : Jules Grévy, qui accédera à la présidence de la République le 30/0 (...)

36Qu’en est-il du côté des républicains réélus ? Au programme radical de Laisant qui veut, en un mot, « la révision de la constitution monarchique qui régit aujourd’hui la République... », s’oppose le bilan satisfait du « grévyste »42 Fidèle Simon, une nouvelle fois vainqueur à Saint Nazaire I. Le discours de cet élu se partage en deux parties ; on fera ici abstraction de la seconde car consacrée au développement économique local, fondé pour l’essentiel sur la création ou l’extension des voies de communication.

  • 43 Citations extraites de sa profession de foi.

37F. Simon caractérise sa participation à la majorité républicaine, à son œuvre « réparatrice et progressiste ». Ce, essentiellement43 :

  • en débarrassant la France « du pouvoir personnel »,
  • en votant diverses lois, concernant notamment l’enseignement « dans un sens libéral »,
  • en diminuant graduellement « les lourdes charges qui pèsent sur les classes laborieuses », grâce à « l’admirable prospérité de la France... »

38Fidèle Simon est très satisfait de l’œuvre à laquelle il s’identifie, mais ne prétend pas que les législatures prochaines « n’auront pas de quoi occuper leur zèle réformateur ». Il souhaite en effet que la République « sage et progressiste », de laquelle il s’honore d’avoir assuré le triomphe définitif, procure durablement : « Paix à l’extérieur, prospérité à l’intérieur ».

  • 44 Selon la critique du journal, alors radical, le Phare de la Loire du 11/08/1881.

39Pour cet « homme doux qui siège au plus timide centre gauche »44, les réformes doivent s’accomplir avec prudence ce qui implique de « tenir compte des habitudes et même des préjugés » car « Mieux vaut attendre pour se mettre en marche que d’aller à l’aventure au risque de reculer ensuite ». F. Simon fait implicitement référence à la législation religieuse car « l’année 1880 a été malheureusement troublée par l’exécution des décrets contre les congrégations non autorisées ». Toutefois F. Simon n’y voit pas imprudence du Gouvernement qui veut non seulement le maintien, mais aussi l’exécution du Concordat. Et c’est donc, pour lui, à tort, que les « ennemis de la République » y voient vexations et persécutions car les congrégations avaient été invitées « à rentrer dans le droit commun » et « toutes s’y sont refusées ». Cédant alors, selon son analyse, à des conseils coupables, entraînées par la faction cléricale, faction politique et non pas religieuse, elles n’ont pas voulu se soumettre aux lois du pays, d’où l’obligation pour le Gouvernement de sévir : « il devait le faire » ; nous retrouvons ici, très précisément, sa position religieuse, non cléricale, suggérée en 1877. Fidèle Simon se défend d’autant plus de soutenir un gouvernement persécuteur qu’on voit celui-ci « protéger sur tout le territoire le libre exercice du culte, contribuer à l’édification de nouvelles églises et de presbytères et augmenter les traitements des desservants dont la situation, si digne d’intérêt, continue à attirer toute notre attention ».

40Cette argumentation a convaincu la majorité des votants de la circonscription ; il reste à voir si c’est essentiellement le fait des électeurs nazairiens urbanisés, a priori plus favorables, mais aussi des guémenéens sachant que le canton de Guémené-Penfao, situé dans l’ouest intérieur, n’est autre que le fief historique de la famille Simon (voir graphique n° 7).

41L’hypothèse se confirme. On voit se dégager deux points d’ancrage essentiels pour F. Simon : son propre canton rural de Guémené-Penfao et celui, urbain, de Saint Nazaire. Bien que ce dernier ne soit encore que faiblement industrialisé, il pèse d’un poids tel qu’il suffit à faire emporter la décision puisqu’il accorde un surplus de 1 634 suffrages alors que sur l’ensemble de la circonscription F. Simon ne l’emporte que de 1 500 voix. Le canton de Savenay lui est le plus intensément hostile car son opposant y est implanté, les autres cantons étant quasiment neutres, quoique l’on puisse remarquer la défaveur du canton de Blain, voisin de celui de Guémené, mais « travaillé » par le royaliste J. de Lareinty, candidat officiel en 1877 et que nous retrouverons dans des élections ultérieures, en 1889 et 1893.

GRAPHIQUE N° 7 – SCORES CANTONAUX OBTENUS PAR LES DEUX CANDIDATS, À ST-NAZAIRE I, EN 1881

GRAPHIQUE N° 7 – SCORES CANTONAUX OBTENUS PAR LES DEUX CANDIDATS, À ST-NAZAIRE I, EN 1881

42On observera encore que les communes du canton de Guémené lui-même ne sont pas strictement unanimes :

GRAPHIQUE 8 – SCORES OBTENUS PAR LES DEUX CANDIDATS NAZAIRIENS, EN 1881, DANS LES COMMUNES DU CANTON DE GUÉMENÉ-PENFAO

GRAPHIQUE 8 – SCORES OBTENUS PAR LES DEUX CANDIDATS NAZAIRIENS, EN 1881, DANS LES COMMUNES DU CANTON DE GUÉMENÉ-PENFAO
  • 45 Avec Hélène Le Bossé, nous l’avons évoqué dans un premier essai universitaire multigraphié qu’il fa (...)

43Les écarts observés entre cantons d’une même circonscription, ou entre communes d’un même canton doivent de temps à autre, être soulignés car mieux que de longs discours, ils relativisent l’unanimisme que l’utilisation obligée du singulier nous ferait oublier. André Siegfried n’y a pas échappé, aussi faut-il souligner que la domination de la famille Simon dont il fait état pour expliquer le républicanisme Guémenéen, procède d’autant moins de la seule force familiale qu’elle prend appui sur un réseau « clientélaire », notamment avec la famille Houis à Pierric45.

  • 46 Le Phare de la Loire du 11/08/1881.
  • 47 L’Union Bretonne du 11/08/1881.
  • 48 Ibid.
  • 49 Selon L’Union Bretonne du 12/08/1881.

44Les autres candidats républicains ruraux dont il faut dire quelques mots n’ont pas pareillement convaincu. A Paimbœuf, l’adversaire du comte de Juigné, Bocquiem, plaide comme F. Simon, pour une République « modérée », « pacifique »46. Sur lui aussi, mais plus efficacement, pèse le soupçon. Par l’Union Bretonne, il est présenté comme significativement « entraîné malgré lui dans les mers agitées »47. Autrefois, écrit l’organe bonapartiste, alors qu’on se rapproche de la date de l’élection, « il était à peine centre-gauche et passait même pour un peu réactionnaire. Maintenant, le voilà qui marche dans les souliers de M. Laisant et est en train de devenir plus radical que M. Clemenceau ». Et l’Union Bretonne de concrétiser à sa manière l’évolution de Bocquiem qui antérieurement « suivait les processions » et maintenant prône la Séparation de l’Église et de l’État48. On soulignera que l’adversaire modéré du radical Laisant à Nantes I, Lucas de Peslouan appelle aussi à la Séparation, à la laïcisation, ce qui relativise encore le caractère atone de l’élection de 1881, même s’il est vrai que les républicains des circonscriptions socialement mixtes veillent « à ne pas effrayer les campagnes »49.

  • 50 L’Espérance du Peuple du 26/08/1881.
  • 51 Ibid.

45Pour sa part, le républicain Benoit, candidat à Saint Nazaire II en opposition à de la Rochette, donne crédit au déplacement des enjeux – du politique au religieux – lorsqu’il prend la défense des ministères républicains en insistant sur le fait que « S’ils ont frappé certaines institutions, il n’ont touché ni aux hommes, ni à la religion : ils n’ont donc rien violé, rien profané, rien persécuté... »50. A cela L’Espérance du Peuple répond immédiatement que les religieux ont « la liberté de 1793 »51 ; mais cet organe royaliste avait déjà apporté une réponse actualisée. Pour lui, la législature de 1877 a préparé celle de 1881 qui elle-même agira, prédit-il, en trois directions complémentaires :

  • déchristianiser la France, afin d’en finir « avec tout ce qui est anti-révolutionnaire »,
  • « affranchir la jeunesse du joug des prêtres, de la morale, et de l’enseignement chrétien »,
  • « jeter la France dans un monde républicain » et à nouveau « façonner la jeunesse en lui inspirant le culte et l’amour de la République, sans souci de la liberté de conscience, et au mépris des lois, du droit et de l’équité »52.
  • 53 Ibid.
  • 54 L’Espérance du Peuple du 25/08/1881.

46Le journal royaliste confirme qu’on ne saurait, dans la problématique intégraliste, isoler la question de l’éducation et plus spécifiquement l’instruction, d’institutions politiques qui ne peuvent être neutres, le thème de la liberté de conscience est particulièrement éloquent à ce sujet. Ceci étant, lorsque l’Espérance du Peuple dresse le bilan de l’élection de 1881, elle oscille entre l’espérance, vertu que son titre recèle, et la désespérance. Elle réagit, il est vrai, juste au lendemain du premier tour de scrutin, de manière providentialiste : « la justice de Dieu surviendra ». En cette attente, surgit une consolation qui deviendra rituelle ; l’Ouest et la Loire-Inférieure en particulier, ont « énergiquement protesté contre les entreprises de la Révolution et les revendications du socialisme »53. Plus généralement, L’Espérance du Peuple se félicite, en 1881, que les partis intermédiaires aient été écrasés y compris les bonapartistes avec lesquels les royalistes étaient localement associés. Elle reconnaît que « le bataillon sacré des royalistes » est peu considérable à la Chambre et que la Monarchie « n’apparaît que dans le lointain », toutefois elle ne désespère pas car « à notre époque les distances sont courtes »54.

Les limites de l’Union

  • 55 L’Ami de la Vérité du 26/11/1881.
  • 56 Napoléon Victor dit prince Victor (1862-1926) est fils de Napoléon Joseph dit prince Jérôme (1822-1 (...)

47Pour les royalistes, l’Union est un instrument, non une finalité, aussi faudrait-il ne pas se laisser « envelopper » par l’allié électoral et néanmoins concurrent politique que représente le bonapartisme. Peu après le scrutin, l’Ami de la Vérité s’y emploie. Au regard de notre objet d’étude, il faut ici longuement reprendre l’essentiel de l’un de ses Bulletins Politiques, exceptionnellement non signé et gravement intitulé « Le salut de la France »55. Dans ce texte, L’Union Bretonne est présentée comme remplie de joie car le petit prince Victor, « fils du prince rouge »56, vient d’obtenir son baccalauréat à 16 ans. Pour le journal royaliste, il faut une foi bien robuste, après tous les désastres de l’Empire, pour affirmer que cet « inexpérimenté et fils d’un prince renégat, sera appelé à sauver la France monarchiste et catholique ». Quel sera son talisman se demande l’Ami de la Vérité ? « Sera-t-il empereur par la grâce de Dieu, ou ne le sera-t-il que par celle de l’appel au peuple ? » La première donne la force de l’autorité aux monarchies légitimes, elle crée les dynasties ». Par contre, la seconde « donne l’alliance du pouvoir avec la démocratie, c’est là un rêve insensé ».

  • 57 L’Ami de la Vérité du 26/11/1881.

48Les comptes étant provisoirement réglés avec le bonapartisme, l’Ami de la Vérité déplace doctrinalement le débat du thème de la restauration à celui de la « restitution ». A l’heure actuelle, juge-t-il, « ce n’est plus seulement une Restauration qui est nécessaire à la France et à l’Europe, c’est une rénovation sociale ». Certes, pour ce faire, il faut un prince « de la lignée de nos rois » mais l’important est l’œuvre « de salut » à accomplir. Aussi clame le journal royaliste faussement interrogateur : « N’avons-nous pas besoin en effet, plus que jamais, de voir régner la justice, alors que le Gouvernement la dénie à nos congrégations religieuses ? N’avons-nous pas besoin de la probité de nos relations politiques de peuple à peuple, entre administrateurs et administrés, de particulier à particulier ? N’avons-nous pas besoin encore que la religion nous attache plus étroitement à nos devoirs ? Et n’avons-nous pas besoin, enfin, à une époque où la conscience humaine éprouve des troubles si étranges, de réveiller en nous le sentiment de l’honneur, ce point d’honneur français, fier et patriotique, qui constituait autrefois notre caractère national ? Le salut est là, il n’est pas ailleurs »57. Autrement dit, dans un temps indéfini, mais qui se laisse deviner, l’ordre naturel régnait tandis que dans le temps présent s’impose en tous lieux, non pas seulement la dislocation sociale, mais ce que l’Ami de la Vérité pourrait appeler un contre-système, un régime « anti-social ». Ce que l’éviction, par les royalistes, du bonapartiste Ginoux-Defermon nous avait laissé subodorer prend ici toute son importance dans la critique adressée à son parti, à sa philosophie transigeante.

  • 58 Cf. Jean-Marie Mayeur, Les débuts... op. cit. (p. 102).

49Ces considérations post-électorales ne doivent pas nous conduire à remettre en cause le rapprochement opéré entre deux élections aussi différentes que le sont celles de 1877 et 1881. Cette confrontation a priori surprenante se révèle être finalement éclairante. Certes, même en Loire-Inférieure, les foules ne se sont pas mobilisées contre la politique de la laïcité58, mais quelques penseurs sont encore plus conscients que précédemment du risque qu’il y aurait à privilégier par excès le caractère institutionnel de la restauration. C’est, selon la pensée royaliste, l’intégrité de la société qui est en jeu. Tellement éprouvée par quelques années de pouvoir républicain que son rétablissement dans son état premier, idéalisé, exige renouvellement, régénération ou pour reprendre le terme de l’Ami de la Vérité, « rénovation ». De ce point de vue, les deux élections de 1877, 1881, sont plus enchaînées qu’opposées.

  • 59 L’Union Bretonne des 22 et 23/08/1881.
  • 60 Ibid.
  • 61 Le Patriote Breton et Vendéen du 10/09/1881.
  • 62 Propos rapportés et critiqués par Le Patriote Breton et Vendéen du 08/10/1881.

50De son côté L’Union Bretonne juge nationalement les élections de 1881, « détestables »59 et en attribue la responsabilité aux « prétendants », mais de son propre aveu, « le Parti Impérialiste s’admet plus éprouvé que les royalistes car il n’a pas de chef »60. Toutefois E. Merson ne tardera pas à redonner confiance à ses propres troupes en rendant responsables d’un nouvel échec, au plan national, les légitimistes. Ce, même s’il reconnaît que leur « Manifeste d’intransigeance » publié en début de période électorale a été ensuite « prudemment enveloppé de silence », par crainte que les candidats n’eussent à en souffrir. E. Merson observe que l’intransigeance royaliste n’est pas parvenue à pénétrer au sein du Palais-Bourbon mais qu’elle perdure dans la presse périodique. D’où sa conviction qu’il faut réagir contre l’intransigeance de la presse : « c’est sur cette œuvre nécessaire et féconde que nous nous permettons d’appeler l’attention et l’actif dévouement de tous les députés conservateurs de toutes nuances »61. La tâche sera rude car la manifestation de Sainte Anne d’Auray s’est une nouvelle fois insurgée contre les effets « dissolvants » d’une union « sans but défini », selon les paroles du comte de Lambilly, qui craint qu’en y participant « on laisse détruire, mais qu’on n’aide pas à restaurer et à édifier »62.

51On devine ici combien les bonapartistes, attachés à reconquérir le pouvoir sous la bannière du conservatisme solidifié par l’anti-républicanisme, peuvent craindre un repliement des royalistes ligériens sur le traditionalisme « fondamentaliste ». D’autant plus que l’unité bonapartiste est elle-même fragilisée « dynastiquement » ; ce qui induit des logiques de relance quelque peu divergentes : sa presse locale privilégie la thématique catholique tandis que ses candidats inclineraient davantage à valoriser la logique du développement économique. Du côté des royalistes, la thématique dynastique apparaît prééminente, toutefois elle ne pourrait par elle-même inverser le sens du changement politique d’où une interrogation plus doctrinale de la tradition. Mais leurs candidats ne sauraient vaincre sans compromis avec les bonapartistes, source de raidissements post-électoraux ayant pour fonction d’entretenir une flamme que les élections ne doivent, au plus, que faire vaciller.

52Chez les républicains ligériens, la flamme parfois s’éteint ; leur devenir dans le département paraît fort incertain mais le découragement n’est toutefois pas systématique. Afin d’illustrer ce fait on retiendra une analyse du Progrès de Loire-Inférieure qui voudrait dégager les lignes d’un plan d’action après avoir rompu quelques lances avec les gêneurs et les adversaires.

  • 63 Le Progrès de Loire-Inférieure du 13/08/1881.

53Pour ce journal politiquement modéré, créé à la veille des législatives de 1881, la tâche des républicains aurait été facilitée si, dès 1876, Laisant, radical nantais, avait « tenu compte des difficultés de tout genre que l’organisation d’une candidature anticléricale rencontre encore dans nos centres ruraux ». Elle a certes été utilisée comme « épouvantail » mais on ne peut pour autant en conclure que la conduite dudit Laisant a, par ses seuls effets, selon les termes du critique : « immobilisé la République en la circonscrivant dans une circonscription électorale »63. A l’issue des élections, le Progrès de Loire-Inférieure trouve quelques consolations en s’apitoyant sur les « efforts désespérés de la noblesse qui se ramasse et se cantonne dans notre département comme dans un véritable camp retranché », ce, ajouté à « l’influence toujours égale du clergé ». Il en résulte une bipolarisation politique que sous-tend une bipolarisation sociale. En effet, constate le journal, d’un côté les villes à « majorité instruite » affirment à chaque élection leurs opinions républicaines ; d’un autre côté les campagnes se refusent à reconnaître la République.

  • 64 Le Progrès de Loire-Inférieure du 30/08/1881.
  • 65 Ibid.
  • 66 Ibid.

54Pour les besoins de la cause, le Progrès de Loire-Inférieure occulte les bons scores ruraux de Fidèle Simon, bien que ce dernier lui soit politiquement proche, mais l’important est ici de souligner que son analyse n’appelle pas spécifiquement à une intensification de la laïcisation de l’enseignement mais à une pédagogie de « persuasion » afin de combattre l’« intimidation » des « tristes professeurs » en politique que sont le prêtre et le noble. Aussi Le Progrès de Loire-Inférieure souhaite-t-il que ses amis républicains développent une communication orale de proximité « puisque le paysan ne lit pas, causons-lui, puisqu’il ne veut, ou ne peut, qu’écouter, qu’il nous entende »64. On se demandera si ne gît pas à ce point, la source d’un dialogue de sourds, puisqu’il faut faire comprendre au paysan, toujours selon le même journal, « que la République ne se discute plus, ne peut plus se discuter », et puisqu’elle s’impose comme forme fondamentale « nous avons seulement à la perfectionner, à la faire progresser »65. Cet appel à l’action ne saurait passer par le seul canal du combat électoral, néanmoins on observe une laborieuse émergence des candidatures républicaines aux élections législatives dans les circonscriptions rurales en cette fin xixe siècle. La réforme électorale de 1885 peut, pour les républicains, représenter une opportunité. Toujours est-il que le volontarisme est de rigueur : « Notre département fait une tache trop noire sur la carte politique de la France, il faut l’effacer », conclut le Progrès de Loire-Inférieure66.

55Peut-être cet appel à l’action républicaine militante contribuera-t-il à relancer la réflexion de l’Ami de la Vérité précédemment évoquée et appelant à la rénovation sociale. Mais elle procède davantage, semble-t-il, de l’amplification et de la concrétisation du programme républicain. Les monarchistes et surtout les royalistes se sentent assurés de la fidélité de leurs propres ressortissants. Mais cette assurance ne saurait être totale car localement, la laïcisation de l’enseignement peut, à terme, produire des effets redoutés, d’autant plus que nationalement, l’alternative institutionnelle politique a perdu de sa consistance. Si encourageants puissent-ils être localement, les résultats électoraux en Pays Nantais ne sauraient complètement masquer ce fait.

Les électorats

  • 67 En 1881, le dossier des protestations est inconsistant, ce qui reflète le découragement local des r (...)
  • 68 Protestation contre l’élection de M. Ginoux de Fermon dans l’arrondissement de Châteaubriant, Pièce (...)

56Selon l’indicateur des « protestations », l’élection de 1877 fut réellement une élection de luttes où, plus que le clergé, l’administration est mise en cause par les républicains défaits67. Le cas de Récipon à Châteaubriant peut être retenu comme typique ; il arrive en effet à la conclusion selon laquelle « on peut presque dire que dans notre arrondissement, c’est la gendarmerie qui a fait l’élection du 14 octobre »68. C’est, écrit-il, dès le mois de juin 1877, que ladite gendarmerie a commencé sa continuelle surveillance : « Quand j’arrive dans une localité, deux gendarmes m’y suivent, et procèdent, après mon départ, à une enquête : on interroge tout le monde, on s’informe des personnes que j’ai pu recevoir, des paroles que j’ai pu prononcer ». Et cela, aussi bien lorsque les déplacements ont des buts tant électoraux qu’amicaux : « Cette persistance de la gendarmerie à me surveiller ouvertement devait intimider bien des personnes susceptibles de venir à moi (et) lorsque, plus tard, je poserai ma candidature, donner à cette candidature une signification désavantageuse ».

57On peut penser, avec Récipon, que le Sous-Préfet d’Orcières fut déterminé à le combattre « par tous les moyens, grands et petits », mais cette stratégie ne s’est-elle pas partiellement retournée contre son auteur ? Certes Récipon a été mis en échec mais, par rapport à 1876, pour un nombre de votants inférieur de 1 015 unités, il progresse de 1 084 voix. Parallèlement, le candidat « officiel » Ginoux voit ses suffrages croître plus sensiblement, de 2 886 unités mais on doit observer qu’en 1876 s’interposait le légitimiste Gahier qui obtenait 4 945 suffrages. Ginoux n’aurait donc recueilli guère plus de la moitié de cet héritage royaliste, ce qui est relativement faible sachant que les légitimistes se rapprochent plus aisément des bonapartistes que des républicains. Ceci étant, Ginoux-Defermon progresse nettement en 1877 par rapport à 1876 ce qui donne crédit à la protestation de Récipon même si ce dernier profite également du retrait légitimiste. On peut toutefois relever un contre-argument, vérifiable a posteriori ; en 1881, Ginoux, unique candidat, de surcroît « mis au piquet » par les royalistes, maintiendra pratiquement son score de 1877 ne régressant que de 1,09 point de % par rapport aux inscrits. En bref, les électeurs sont probablement moins vélléitaires qu’on ne le suppose...

58Afin d’apprécier plus finement le poids de la candidature officielle en 1877, on peut s’intéresser à la situation de Sion-les-Mines, localité du canton de Derval particulièrement visée par Récipon dans sa protestation.

  • 69 Lettre datée du 08/07/1877 et signée du maire Lorand, étiqueté bonapartiste : cf. ADLA 2 Z 757.
  • 70 Hebdomadaire républicain qui paraîtra continûment sous la IIIe République.

59Le maire de cette commune a adressé à tous les débitants locaux la lettre suivante69 : « J’ai l’honneur, écrit-il à chacun d’entre eux, de vous informer que M. le Sous-Préfet ne voit pas avec plaisir que vous receviez le Journal de Châteaubriant 70. Je crois devoir, dans vos intérêts, vous engager à ne pas continuer de le recevoir. Veuillez agréer etc… . »

60Par ailleurs, toujours à Sion-les-Mines, quatre autres faits sont dénoncés par le protestataire :

  • Le maire et les adjoints ont distribué des bulletins de vote : « Dans la nuit de samedi à dimanche, ils ont parcouru toutes les fermes pour enlever les bulletins de M. Récipon qui s’y trouvaient, et les remplacer par des bulletins à M. Ginoux ».
  • Le jour du vote, MM. Favoreau bourrelier, Wagner, etc. « ont vu le maire M. Lorand donner des billets à plusieurs électeurs, sur la voie publique ».
  • Les bulletins de vote « ont été ouverts par M. Daguin qui remplissait au bureau les fonctions de président. La pièce Numéro 6, que le maire de Sion n’a pas voulu légaliser, le constate »71.
  • Dans cette commune, « les violences ont été excessives et le candidat républicain a été, dans la salle même du vote, l’objet des plus grossières insultes, sans que le maire intervînt pour rétablir l’ordre troublé par ses amis »72.
  • 73 Cf. Roger Joxe, Les protestants du Comté Nantais au XVIe siècle et au début du xviie siècle, J. Laf (...)
  • 74 Dans le travail qui traitera de la période 1945-1990, nous retrouverons cette commune rurale, inten (...)

61Cette commune rurale fut historiquement partagée entre les activités agricole et minière, les pratiques catholique et protestante73. Ces différenciations sociales et religieuses ne sont pas sans interférer sur l’intensité de la lutte politique qui s’y observe en 1877, même s’il est vrai que la présence du candidat Récipon lui donne un relief singulier74. Ceci étant, voici les résultats obtenus :

TABLEAU N° 11 – SCORES OBTENUS PAR LES DIVERS CANDIDATS À SION-LES-MINES AUX LÉGISLATIVES DE 1876 – 1877 – 1881 (EN N.A.)

TABLEAU N° 11 – SCORES OBTENUS PAR LES DIVERS CANDIDATS À SION-LES-MINES AUX LÉGISLATIVES DE 1876 – 1877 – 1881 (EN N.A.)
  • 75 Le nouveau maire aurait des sympathies légitimistes, ceci peut aussi expliquer cela. La participati (...)

62L’active implication de la municipalité a-t-elle été efficiente ? On peut le supposer en comparant la situation de 1877 à celle de 1881 où Ginoux, seul candidat nous le savons, régresse de (310-208=) 102 suffrages. Phénomène qu’on ne retrouve pas au niveau de la circonscription, ce qui pourrait laisser supposer que la pression fut plus forte à Sion75. Ceci étant, rapportée cette fois à 1876, la progression de Ginoux à Sion fait qu’à l’instar de ce qui s’observe au niveau de la circonscription, il ne peut récupérer l’ensemble des voix du légitimiste. Davantage même, leur répartition théorique montre que 14 d’entre elles se perdent dans l’absentéisme, 73 se dirigent vers Ginoux et 105 vers Récipon. Ce dernier qui était arrivé au premier rang à Sion avec seulement 20 voix d’avance en 1876 y parvient en 1877 avec un avantage de 52 voix. On peut donc rester dubitatif quant aux effets des pressions dénoncées en 1877 par le candidat républicain.

63En réalité ce sont sans doute deux pressions contraires qui ont pu se conjuguer pour expliquer les fortes variations des scores de Ginoux-Defermon à Sion :

  • En 1877, celle des bonapartistes, ce qui évite à leur candidat d’être fortement distancé par le républicain Récipon. Celui-ci, solidement implanté dans son château de la Roche-Giffard sis à Sion, accédera, nous le verrons dans un instant, dès 1878 au poste de premier magistrat municipal.
  • En 1881, celle des légitimistes et des républicains. Le nouveau maire Guérin est légitimiste et a pu accorder une oreille attentive à l’appel au boycottage royaliste de la candidature de Ginoux. Quant aux républicains, déçus de ne pouvoir assouvir leur « vengeance », ils bouderont manifestement ce scrutin. D’autant plus que Récipon, maire de janvier 1878 à janvier 188176, n’a pas voilé ses ambitions si l’on en croit le nouveau Sous-Préfet faisant écho à une invitation dudit maire (Récipon) qui le convie à une grande fête lors de la pose de la première pierre de l’école des garçons. Celui-ci souhaite d’autant plus la présence de celui-là, en uniforme, qu’il craint la liste adverse lors des prochaines élections municipales. Le Sous-Préfet estime que Récipon veut par cette manifestation « favoriser aux yeux de tout l’arrondissement les ambitions jusqu’alors déçues ». Il sollicite l’avis du Préfet craignant fort de sortir de son devoir de réserve77. Peut-être redoute-il aussi de s’engager trop aléatoirement auprès d’un ami politique que Le Gourierec n’est pas seul à critiquer. Il contribuera toutefois mais moins tenacement que la famille Daguin, d’origine bonapartiste, à implanter le républicanisme, puis le radicalisme, dans cette localité, voire dans quelques communes avoisinantes.

64Essayons maintenant de tirer des enseignements plus généraux fournis par les résultats électoraux grâce aux ressources de l’analyse « écologique » autrement dit, des corrélations statistiques communales. Pour simplifier la présentation, je donne le solde des variations bonapartistes, en « points de corrélation » de 1877 à 1881, rapportées aux trois forces en lice dans deux circonscriptions ayant élu un député bonapartiste, Ancenis et Châteaubriant. Ce type de calcul aide à saisir l’origine de l’agrégat électoral bonapartiste et à prévoir avec vraisemblance son devenir :

  • 78 Progressivité ou régressivité des points de corrélation lorsque le chiffre est affecté du signe « – (...)

TABLEAU N° 12 – VARIATIONS DES « POINTS DE CORRÉLATION » ENTRE LES BONAPARTISTES (1877-1881) PAR RAPPORT AUX SCORES DES CANDIDATS DE 1876, À ANCENIS ET CHATEAUBRIANT78

Circonscriptions Écarts (1881-1877) avec le candidat de 1876 Ancenis Châteaubriand
Bonapartiste + (-57) + (-359)
Royaliste + 66 + 6
Républicain + 117 + 499
  • 79 Tout particulièrement de Charette à Couffé, royaliste, anti-bonapartiste. Cf. Ancenis... op. cit.

65Les deux bonapartistes en 1881, comparativement à 1877, voient le rapport à leur propre électorat de 1876 décroître, surtout à Châteaubriant où il diminue presque de moitié, de {.757} à {.398} soit, une baisse de 359 points de corrélation d’une élection à l’autre. Leur relation aux oppositions royalistes ne s’améliore que très insensiblement, la réticence se concrétise, l’extension en direction des républicains apparaît par contre très frappante, particulièrement à Châteaubriant où, pour un peu, le coefficient deviendrait positif, passant de {–.618} en 1876 à {–.119} en 1881, soit un gain de 499 points. Certes, les scores de ces deux bonapartistes deviennent négatifs avec la variable « abstention » mais on peut percevoir comme plausible une alliance de fait entre l’électorat républicain et bonapartiste. En 1881, toujours par rapport à 1876, à Châteaubriant la corrélation du bonapartiste est aussi faiblement négative avec le républicain qu’avec le royaliste {–.119) et à Ancenis elle est plus élevée : respectivement {–.150} contre {–.303}. Il est vrai qu’à Ancenis, des « nids » d’intransigeance royaliste s’opposent irréductiblement au bonapartisme, fût-il catholique79.

66Un second cas de figure se présente à Paimbœuf, Saint-Nazaire II, Nantes III où le royaliste se trouve opposé à un républicain, en 1877 comme en 1881 ; les coefficients sont alors très stables. On peut simplement noter une légère croissance de l’opposition bonapartiste au candidat royaliste à Saint-Nazaire I mais le coefficient se situe au-dessous du seuil de significativité. Les chiffres tendent simplement à confirmer la proximité électorale des deux cousins Simon.

  • 80 Le républicain n’en sortira pas moins vainqueur ; rappelons que le coefficient de corrélation prend (...)

67Le troisième cas de figure est celui où la « triangulaire » de 1876 se réédite en 1877, mais non en 1881, ce à Saint-Nazaire I : le royalisme maintient son coefficient avec lui-même malgré le changement de candidat et voit, comme dans la plupart des autres circonscriptions, l’opposition bonapartiste légèrement croître et celle des républicains faiblement décroître80.

  • 81 Alors qu’en 1877 les coefficients étaient pratiquement égaux, ils sont en 1881, toujours par rappor (...)

68Le quatrième et dernier cas de figure concrétisé est celui de Nantes II, une triangulaire s’y observe en 1877, au second tour de scrutin, où le bonapartisme représente seul la droite ; son coefficient par rapport à 1876 croît avec son courant politique et décroît avec le royalisme, il reste néanmoins plus élevé avec ce dernier. En 1881, alors que le bonapartiste Gaudin incarne seul la droite dès le premier tour face à un républicain, on observe son ancrage déplacé vers les zones royalistes81.

69Au total, l’électorat royaliste semble être le plus stable. Il manifeste également sa force à Châteaubriant où les relations sont conflictuelles et où l’électorat du bonapartiste se trouve déporté en direction des républicains. L’avenir dira s’il manifeste également sa force attractive à Nantes III ou s’il se laisse phagocyter par le bonapartiste E. Gaudin.

70Il est maintenant pertinent de vérifier si la question de l’éducation a une incidence mesurable en 1881 et si certaines variables socio-idéologiques fluctuent. La seconde question que les calculs de corrélation peuvent, en effet, opportunément éclairer est relative aux effets de la législation scolaire. Deux tests conduisent à penser qu’ils furent pratiquement nuls :

  • Les variables « scolaires » restent amorphes, que la droite soit incarnée par un royaliste ou par un bonapartiste ;
  • Par contre la variable religieuse « pascalisants » est réellement activée, mais ce, dès 1877, et donc antérieurement à la publication des lois « Ferry ». On peut donner l’exemple de Saint-Nazaire II où ce coefficient « pascalisants » est toujours élevé mais en progression : de {.485} en 1876 il passe à {.627} en 1877 et {.637} en 1881. A Châteaubriant la progression est plus régulière avec respectivement : {–.106}, {–.025}, {.142} mais le candidat Ginoux est en fait moins stigmatisé par les royalistes en 1881 qu’en 1877 et en tout état de cause, les coefficients restent en-deçà du seuil de significativité. A Ancenis, avec le bonapartiste Thoinnet, cette variable était négativement corrélée, en 1876, par {–.20}, en 1877 elle amorce un retournement avec {.163} mais celui-ci ne se confirme pas puisque le coefficient n’est qu’à {.083} en 1881. D’une manière générale, c’est dès 1877 que les catholiques se sont le plus massivement dressés contre la République ; de leur point de vue, l’élection de 1881 ne fait que redoubler la précédente. La variable sociale synthétique – « population éparse » – renforce ce constat : son intensité s’affirme essentiellement et fortement en 1877. Mais ce mouvement ne s’observe que pour certaines catégories professionnelles d’autant plus si l’on prend en compte les populations communales dans leur ensemble. A Saint Nazaire II, par exemple, on note une croissante opposition des ouvriers au royaliste : de {–.430} en 1876 à {–.597} en 1877. Et au contraire un rapprochement des métayers pour qui le coefficient devient moins négatif et des domestiques pour lesquels il approche le niveau de la significativité statistique : de {.186} en 1877 à {.340} en 188182.
  • 83 De {–.358} en 1876 à {–.160} en 1877.

71Les votes « paysannesques » ne se confondent donc pas systématiquement avec les votes « cléricaux ». Il est certes incontestable que des convergences s’observent. Si l’on reprend une dernière fois le cas de Saint Nazaire II, nous constatons que la variable « pascalisants » est fortement corrélée avec la variable « population éparse » : {.552} et dans une moindre mesure avec les variables professionnelles suivantes : « domestiques » {.399} et « métayers » {.346}. On observera toutefois que ces derniers se rapprochent du royaliste en 1877 mais lui restent opposés83. Par ailleurs la variable « propriétaires », positivement corrélée avec les « pascalisants » {.255}, reste pratiquement stable vis-à-vis du royaliste : {.534} en 1876, {.559} en 1877, {.534} en 1881.

72Plus généralement je rappelle que les variables socio-professionnelles ne sont pas liées de manière univoque avec les forces politiques et religieuses dans les diverses circonscriptions mais ceci n’invalide pas le constat d’une proximité des élections de 1877 et 1881 par opposition à celle de 1876 perçue comme plus indéterminée. De ce point de vue l’analyse confirme l’hypothèse selon laquelle il pouvait être pertinent de retenir l’élection de 1877 comme fondatrice de la bipolarisation politique. Plus généralement, du renforcement du modèle « droite-rural-catholique », avec les réserves énoncées.

La liberté politique et religieuse

73Les hommes politiques ligériens commencent à vivre une situation paradoxale en cette décennie 1880. A quelque courant politique qu’ils appartiennent ils ont des motifs pour verser simultanément dans l’optimisme et le pessimisme. Les bonapartistes, les royalistes maintiennent localement leurs positions mais se trouvent être nationalement en régression. Quant aux républicains des zones rurales, ils se morfondent quand ils ne sombrent pas dans l’inanition ou la division. Ils sont d’autant plus amers qu’une majorité de circonscriptions rurales françaises a conforté le régime de leur préférence tandis que dans leur propre département, seules les circonscriptions urbaines le reconnaissent électoralement.

  • 84 Le Patriote Breton et Vendéen consacre de réguliers et longs reportages en 1880 aux expulsions des (...)
  • 85 Le Patriote Breton et Vendéen du 10/04/1880.
  • 86 Le Patriote Breton et Vendéen du 28/02/1880.

74Si la République poursuit son œuvre de laïcisation on peut douter qu’un brillant avenir lui soit localement promis car les royalistes, mais aussi les bonapartistes, perçoivent qu’ils pourraient « alimenter » leur lutte des aspects contraignants induits par la législation du nouveau régime : les bonapartistes en sont même le fer de lance car moins enclins que les royalistes à espérer un rétablissement prochain de la monarchie. Par la voix de leur porte-parole E. Merson, ils prennent fait et cause pour les religieux expulsés84. Et ce, au nom du Concordat dont ne peuvent se réclamer les décrets républicains du 29 mars 1880 puisque leur « violence » porte atteinte « directe et gratuite à la liberté »85 : E. Merson peut ainsi tenter de mettre les Républicains en contradiction avec eux-mêmes, dans la mesure où ils s’identifient à la symbolique libérale et essaient de se l’approprier. C’est également au nom de la liberté que Merson s’oppose à la prise de position du Prince Jérôme-Napoléon Bonaparte favorable aux décrets précités en tant qu’ils s’inscrivent dans le cadre des principes de la Révolution et corrélativement contre la perspective théocratique d’une religion d’État, ce que Merson approuve. Pour lui, la question ne se situe pas dans cet espace mais dans celui, plus politique, de la citoyenneté. Pour s’exercer, celle-ci doit non seulement récuser la théocratie mais aussi « l’athéisme légal » lequel veut « exécuter la religion de ses ministres, qui sont, les républicains l’ont publiquement avoué hier à la tribune, des condamnés »86.

  • 87 Ibid.
  • 88 Ibid. Le bonapartisme adopte une position tactique similaire concernant « l’article 7 » : « en le c (...)
  • 89 Cf. Le Patriote Breton et Vendéen du 06/11/1880.

75Optimiste de manière mécaniste, E. Merson peut escompter qu’en passant de « Père de l’épuration » à « Père de la persécution »87, la République se condamnera d’elle-même. C’est pourquoi il vitupère mais n’appelle ni à la résistance ni à la protestation car sous le poids de la réprobation du pays, le Gouvernement verra sa faute « s’attacher à lui comme un chancre dévorant »88. C’est sans conviction qu’il acceptera finalement de diffuser, par ses journaux, la signature d’une pétition qui restera sans suite, intitulée « Protestation en faveur de la liberté de conscience », et visant l’application des décrets du 29 mars 188089.

  • 90 L’Ami de la Vérité du 08/01/1881.
  • 91 L’Ami de la Vérité du 08/01/1881.
  • 92 Cf. son courrier adressé à l’Espérance du Peuple sur le sujet, également en 1882. Les conférences d (...)

76De leur côté, les royalistes sont activement présents lors des expulsions de religieux à Nantes, mais le clergé régulier est très marginal dans le diocèse de Nantes plus « exportateur » qu’« importateur » en prêtres. Au regard de la législation scolaire, Després, de l’Ami de la Vérité, avait tenté d’attirer l’attention des lecteurs et électeurs sur le sens de cette législation mais il doute, en faisant un parallèle avec le divorce, que la population se pose des questions : « Avez-vous bien songé à cela ? » interroge-t-il. Et aussitôt de répondre : « Non, parce que pour vous, catholiques, le divorce est un crime... »90. En un mot, c’est du domaine de l’impensable. Il tente en conséquence de montrer les enchaînements du système qui fait que la gratuité scolaire n’est que la face attractive de la coercition. « Après l’enseignement obligatoire, viendra l’école obligatoire, autrement dit, l’école communale, confiée à un laïque, avec défense d’instruire les enfants dans la religion »91. Mais à ma connaissance, ce n’est qu’en 1882 et à Vertou, chef-lieu de canton du vignoble, proche de Nantes, que des « pères de famille » se mobiliseront contre la législation scolaire en organisant une réunion passionnée, avec le conseiller général de Saint Mars la Jaille et futur député pro-royaliste, le marquis Henri-Marie de la Ferronnays92.

77Par rapport à la place qu’occupe alors l’école dans les campagnes ligériennes, on peut douter que la mobilisation politico-religieuse, ayant pour fondement la liberté scolaire, puisse suffire à relancer la dynamique anti-républicaine. Elle peut ouvrir un espace favorable à la restauration du type monarchique mais elle n’y saurait suffire. D’autant moins que la stratégie de contournement, théoriquement privilégiée par les bonapartistes, ne peut que malaisément l’être dans la pratique. Et, de leur côté, les royalistes n’acceptent que difficilement un déplacement de leur objectif politique. Pour qu’ils puissent l’éviter, il faudrait que le laïcisme soit clairement identifié à la République et qu’il « alimente » la question du « Régime ». Tel n’est pas exactement le cas d’où des incertitudes sur la conduite à tenir. Mais l’élection de 1885, dont l’enjeu national porte précisément sur la question religieuse, devrait grandement nous éclairer sur la stratégie qui, localement, prévaudra. Quant à celle de 1889, qui verra s’affronter les bonapartistes et les royalistes, peut-être incitera-t-elle ces derniers à développer le thème de la rénovation sociale, à moins qu’elle ne les enferme plus encore dans le cercle de l’enjeu institutionnel sous-jacent ?

Notes

1 Cf. Jean-Marie Mayeur, La vie politique... op. cit. (p. 58).

2 La présence des candidats en 1877 et/ou 1881 est indiquée par un Oui et l’absence par un trait oblique [/] ; le patronyme de l’élu est souligné en italique. La signification des lettres accolées aux noms des candidats est la suivante : B = Bonapartiste, M = Monarchiste-Royaliste, R = Républicain.

3 Les candidatures dites officielles émanent des instances gouvernementales et bénéficient de ses appuis, notamment par les préfets. Cette sélection de l’offre électorale à l’échelon national a été acceptée pour l’essentiel en Loire-Inférieure, sauf par H. Boucher d’Argis et A. Simon.

4 Cf. Ancenis 1876-1988, EHESS, op. cit.

5 Caran Série C. 3487.

6 Th. Le Gourierec, Les candidats députés de la Loire-Inférieure, Nantes, 1876, 74 p. et du même, M. Récipon, ses aventures électorales et ses métamorphoses, P. Plédran, Nantes, 1877, 88 p.

7 Th. Le Gourierec, Les candidats... op. cit. (p. 62).

8 Jean Pascal, Les députés bretons de 1789 à 1983, Préf. R. Pleven, PUF, 1983, 809 p. (p. 343).

9 Gustave Goullin ne réfère pas explicitement à Thiers cette formule, comme le fera Gustave Roch, mais au « libérateur de la Patrie que nous venons de perdre ».

10 Les habitants du Pays de Retz.

11 Incarné par Jules de Lareinty. Le Dr Sortais, dans une longue circulaire d’avant le premier tour, l’avait récusé au motif qu’il était non seulement trop jeune mais « légitimiste partisan du retour d’Henri V » cf. ADLA (Archives Départementales de Loire-Atlantique) 1M 105.

12 L’Espérance du Peuple du 28/10/1877.

13 Ibid.

14 L’Union Bretonne du 18/10/1877.

15 Guémené-Penfao est l’un des rares cantons du département à avoir accepté et sans doute facilité le déplacement de l’orientation politique de ses élus, du bonapartisme au républicanisme opportuniste.

16 F. Simon appartient au groupe des 363 [républicains] et son père, également ex-bonapartiste, a été révoqué de son poste de maire. Cf. Le Phare de la Loire des 3 et 4/10/1877.

17 La Semaine Religieuse du 19/11/1991 a annoncé la célébration du centenaire.

18 L’Ami de la Vérité du 22/09/1877.

19 L’Union Bretonne du 20/10/1877.

20 Ibid.

21 L’Union Bretonne du 25/10/1877.

22 Ibid.

23 Gustave Roch conclut sa profession de foi avec ces « paroles patriotiques de l’illustre et regretté M. Thiers » : « La monarchie n’est plus possible, elle aurait pour conséquence immédiate ou prochaine la guerre civile. Faisons donc la République ».

24 Exceptionnel cas d’un candidat de gauche dont le patronyme est composé d’une particule.

25 L’Ami de la Vérité du 12/05/1877.

26 Pour une présentation de ce type de discours par son principal auteur. Cf. Eugène Spuller, L’évolution politique et sociale de l’Église, Alcan, 1893, XXXVI-331 p. Voir particulièrement son ironique commentaire de l’attitude questionneuse, auprès de Rome, du député royaliste intransigeant Henri [Édouard] de Cazenove de Pradine, pp. 316-317.

27 Le Patriote Breton et Vendéen du 02/04/1881.

28 Le Patriote Breton et Vendéen du 21/05/1881.

29 Ibid.

30 Le Patriote Breton et Vendéen du 23/04/1881.

31 Le Patriote Breton et Vendéen du 13/08/1881.

32 Ibid.

33 Extraits de l’Ami de la Vérité du 26/03/1881.

34 L’Espérance du Peuple du 15/08/1881.

35 Sur cette stratégie du « pas à pas », typiquement opportuniste. Cf. Françoise Mayeur, Histoire Générale de l’enseignement et de l’éducation en France, Dir. L.H. Parias, Nouvelle Librairie de France, 1981, T. 3, 683 p. (p. 530).

36 Même s’il est vrai par ailleurs que le républicain F. Simon ne s’y soumet que de manière informelle en communiquant le texte d’un discours électoral, au « Barodet ».

37 Son patronyme réel doit être Dubochet de la Porte. Ce serait donc le seul député porteur d’une particule et classé à gauche, vainqueur d’un royaliste, mais c’est un républicain modéré, discret catholique rallié. Sur sa trajectoire socio-professionnelle, cf. A. Bovard, Histoire de la Chambre de Commerce de Nantes, Nantes : CID Éditions, 1990, (p. 117).

38 Expression qu’il utilisait en 1877 dans sa lettre de remerciements pour caractériser ses opposants de droite royalistes. Cf. L’Union Bretonne du 31/10/1877 (p. 3).

39 Cf. Enquête de 1884 : Caran : C. 3553.

40 Cf. L’Union Bretonne du 14/08/1881.

41 Cf. AMN (Archives Municipales de Nantes) Série K1.

42 Partisan du républicain modéré : Jules Grévy, qui accédera à la présidence de la République le 30/01/1879.

43 Citations extraites de sa profession de foi.

44 Selon la critique du journal, alors radical, le Phare de la Loire du 11/08/1881.

45 Avec Hélène Le Bossé, nous l’avons évoqué dans un premier essai universitaire multigraphié qu’il faudra reprendre : Deux communes au Pays Nantais- Histoire comparative de Pierric et Ste Marie S/Mer, sous la direction d’E. Le Roy Ladurie, EHESS, 1975, 517 p.

46 Le Phare de la Loire du 11/08/1881.

47 L’Union Bretonne du 11/08/1881.

48 Ibid.

49 Selon L’Union Bretonne du 12/08/1881.

50 L’Espérance du Peuple du 26/08/1881.

51 Ibid.

52 L’Espérance du Peuple des 22 et 23/08/1881.

53 Ibid.

54 L’Espérance du Peuple du 25/08/1881.

55 L’Ami de la Vérité du 26/11/1881.

56 Napoléon Victor dit prince Victor (1862-1926) est fils de Napoléon Joseph dit prince Jérôme (1822-1891) représentant de l’aile gauche napoléonienne, opposé à son cousin Napoléon III.

57 L’Ami de la Vérité du 26/11/1881.

58 Cf. Jean-Marie Mayeur, Les débuts... op. cit. (p. 102).

59 L’Union Bretonne des 22 et 23/08/1881.

60 Ibid.

61 Le Patriote Breton et Vendéen du 10/09/1881.

62 Propos rapportés et critiqués par Le Patriote Breton et Vendéen du 08/10/1881.

63 Le Progrès de Loire-Inférieure du 13/08/1881.

64 Le Progrès de Loire-Inférieure du 30/08/1881.

65 Ibid.

66 Ibid.

67 En 1881, le dossier des protestations est inconsistant, ce qui reflète le découragement local des républicains que la faiblesse de leur offre électorale avait bien laissé entrevoir.

68 Protestation contre l’élection de M. Ginoux de Fermon dans l’arrondissement de Châteaubriant, Pièce N. 1, Caran Série C. 3487, 1877, 13 p. [Patronyme ici écrit avec une particule disjointe],

69 Lettre datée du 08/07/1877 et signée du maire Lorand, étiqueté bonapartiste : cf. ADLA 2 Z 757.

70 Hebdomadaire républicain qui paraîtra continûment sous la IIIe République.

71 M. Daguin, adjoint de Lorand est, comme lui, bonapartiste d’une part, fortuné d’autre part. Cf. ADLA 2 Z 757.

72 id. M. Daguin, Cf. ADLA 2 Z 757.

73 Cf. Roger Joxe, Les protestants du Comté Nantais au XVIe siècle et au début du xviie siècle, J. Laffitte, Marseille, 1982, 328 p.

74 Dans le travail qui traitera de la période 1945-1990, nous retrouverons cette commune rurale, intensément politisée, les militants lambertistes peuvent en témoigner.

75 Le nouveau maire aurait des sympathies légitimistes, ceci peut aussi expliquer cela. La participation décroît de manière encore plus considérable à Sion de 1877 à 1881…

76 Il ne se représentera pas à cette date mais poursuivra sa carrière politique dans le département voisin d’Ille-et-Vilaine.

77 ADLA Série 1M 379.

78 Progressivité ou régressivité des points de corrélation lorsque le chiffre est affecté du signe « – » entre parenthèses, il s’agit d’une intensification négative. Pour ce qui concerne la significativité des cœfficients de corrélation eux-mêmes, Cf. l’annexe « Unités communales »...

79 Tout particulièrement de Charette à Couffé, royaliste, anti-bonapartiste. Cf. Ancenis... op. cit.

80 Le républicain n’en sortira pas moins vainqueur ; rappelons que le coefficient de corrélation prend en compte les scores communaux « relatifs », ce qui banalise l’importance de la ville de St Nazaire où le républicain est bien implanté.

81 Alors qu’en 1877 les coefficients étaient pratiquement égaux, ils sont en 1881, toujours par rapport à 1876 de {. 473} avec le royaliste et seulement de {.122} avec le bonapartiste qui n’était autre que le même E. Gaudin. Les royalistes ont joué ici le jeu de l’union.

82 A Ancenis, n = 29, soit l’exigence d’un seuil de significativité d’environ {.350}, selon la table de Fisher.

83 De {–.358} en 1876 à {–.160} en 1877.

84 Le Patriote Breton et Vendéen consacre de réguliers et longs reportages en 1880 aux expulsions des congréganistes nantais mais aussi parisiens.

85 Le Patriote Breton et Vendéen du 10/04/1880.

86 Le Patriote Breton et Vendéen du 28/02/1880.

87 Ibid.

88 Ibid. Le bonapartisme adopte une position tactique similaire concernant « l’article 7 » : « en le combattant, nous faisions des vœux pour ainsi dire en sa faveur, et son triomphe ne nous eût pas affligé ». Le Patriote Breton et Vendéen du 13/03/1880. [L’article 7 qui frappe les congrégations non autorisées a été rejeté par le Sénat le 09/03/1880, d’où les décrets du 29/03/1880].

89 Cf. Le Patriote Breton et Vendéen du 06/11/1880.

90 L’Ami de la Vérité du 08/01/1881.

91 L’Ami de la Vérité du 08/01/1881.

92 Cf. son courrier adressé à l’Espérance du Peuple sur le sujet, également en 1882. Les conférences de la Ferronnays seront publiées en brochure, Les lois scolaires, Nantes, Bourgeois, 1882, 22 p.

Table des illustrations

Titre GRAPHIQUE N° 7 – SCORES CANTONAUX OBTENUS PAR LES DEUX CANDIDATS, À ST-NAZAIRE I, EN 1881
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Titre GRAPHIQUE 8 – SCORES OBTENUS PAR LES DEUX CANDIDATS NAZAIRIENS, EN 1881, DANS LES COMMUNES DU CANTON DE GUÉMENÉ-PENFAO
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Titre TABLEAU N° 11 – SCORES OBTENUS PAR LES DIVERS CANDIDATS À SION-LES-MINES AUX LÉGISLATIVES DE 1876 – 1877 – 1881 (EN N.A.)
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