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Monarchie et modernité

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René Bourreau

Première partie. Retrouver l’espace d’une restauration : 1876-1906

L’action dans un cadre républicain concordataire

Texte intégral

  • 1 Cf. L’Encyclopédie éditée par les Éd. du Seuil dans la collection Points Histoire.

1L’introduction générale a schématiquement présenté le découpage temporel proposé. On peut y revenir quelques instants car, pour ce qui concerne cette première période j’aurais pu évoluer au rythme de la « Nouvelle histoire de la France contemporaine »1. Le premier volume borne : « Les débuts de la IIIe République » par les années 1871 et 1898 ; il eût d’ailleurs pu s’intituler « La République opportuniste » par contraste avec le titre suivant : « La République radicale ? » laquelle s’établirait à compter de 1898 pour s’achever avec la guerre de 1914.

2Pour ce qui concerne la Loire-Inférieure rurale et catholique, avec ou sans point d’interrogation, ces derniers titres seraient inadéquats car, radicale ou opportuniste, la République elle-même « n’existe pas ». Entendons par là qu’elle ne saurait qu’être difficilement reconnue sachant qu’elle incarne le rejet de la tradition multiséculaire d’une monarchie de droit divin. Tout au plus pourra-t-on y admettre, à la fin du siècle sous l’impulsion du Vatican, une République modérée, concordataire au sens étymologique du terme, ou plus spécifiquement chrétienne, au moment même où le radicalisme prend nationalement son élan. Mais avant que ce temps ne survienne et soit submergé par un reflux, il faut parler d’un pays nantais rural bonapartiste et royaliste. Sans doute n’est-il pas superflu de rappeler les principales caractéristiques de ces courants politiques, en vue non seulement de faciliter la communication avec le lecteur non-historien, mais aussi d’affiner le questionnement.

  • 2 Philippe Vigier, « Le Bonapartisme et le monde rural », in Les Actes du 13e Colloque historique fra (...)
  • 3 Notamment Marcel Launay, mais ce n’était pas l’objet central de sa recherche : Le diocèse de Nantes (...)
  • 4 Cf. Les Actes du 13e Colloque historique franco-allemand de l’Institut Historique Allemand de Paris (...)
  • 5 Cf. Les Actes du 13e Colloque historique franco-allemand..., op. cit. (p. 20).

3Pour la plupart des observateurs, le bonapartisme a disparu avec la défaite militaire de 1870 ; toutefois Philippe Vigier peut justement rappeler, souligner, que « la fascination qu’il a exercée sur les électeurs ruraux survivra même au désastre de Sedan »2. Mais faiblement en Loire-Inférieure, pense-t-on3, et ce, bien que le césarisme impérial soit à dominante rurale. Le constat de son effacement est discutable, biaisé par l’importance de Nantes et par cet axiome selon lequel le bonapartisme n’aurait pu que survivre sous les traits du républicanisme, du radicalisme ; il est vrai surtout dans les régions dites de démocratie rurale où les personnalités sont de « piètres notables »4. Toutefois, Philippe Vigier fait observer que dans de nombreux départements de l’Ouest et du Nord de la France, il serait vain d’opposer le « césarisme démocratique » et les autorités, car y a régné, de 1851 à 1871, « un bonapartisme de notables qui est l’une des incarnations possibles, et temporaires, de la France de l’ordre bourgeois, et des valeurs traditionnelles »5. Cette notation nous rapproche de la situation ligérienne mais ne rend néanmoins pas totalement compte, nous le verrons, de la complexité des rapports électoraux qui s’y observent.

  • 6 Maurice Duverger, La démocratie sans le peuple, Éd. du Seuil, 1967, 256 p. (pp. 191 et s.).
  • 7 Il resterait à voir dans quelle mesure c’est un effet du rejet du bonapartisme par les radicaux, le (...)
  • 8 Cf. Discours de Louis-Napoléon à Lyon le 20/09/1852, Tome III des œuvres de Napoléon III.
  • 9 Cf. Louis Girard, « Caractères du Bonapartisme dans la seconde moitié du xixe siècle » in : Les Act (...)
  • 10 Cf. Compte rendu des discussions du Colloque précité, Les Actes..., [cf. Ille-et-Vilaine] (p. 147).
  • 11 Frédéric Bluche, Le Bonapartisme, PUF, Que sais-je ? 1981, 127 p. (p. 6).

4Une seconde raison qui pourrait expliquer que l’on soit peu sensible à la persistance du bonapartisme est conséquente de sa position politique6. Sous un certain angle, je pourrais confirmer cette vision mais pour autant est-il « bleu, contre les blancs et les rouges » comme le pense Louis Girard ? La réponse sera nuancée mais ne saurait assurément être positive en 1885 où le principe de l’Union Conservatrice avec les royalistes a prévalu7. Peut-on en conséquence retrouver chez les bonapartistes ligériens cette perpétuation de la volonté napoléonienne d’assurer un rôle « médiateur entre deux siècles ennemis », celui de l’Ancien Régime dont il convenait de rétablir ce qu’il avait de bon et celui de la Révolution dont il fallait faire triompher les bienfaits afin de tuer l’esprit révolutionnaire8 ? Autrement dit, ni réaction, ni révolution mais une position médiane qui aurait été perdue au profit des républicains modérés dès les débuts de la IIIe République. Les bonapartistes auraient alors opéré leur retour à la réaction sous couvert de l’Union des Droites et seraient devenus « conservateurs et cléricaux »9. Certes, mais ceci n’est pas très congruent avec la remarque de J.M. Mayeur selon laquelle « les régions paysannes qui subirent fortement l’influence bonapartiste, correspondent à celles où la pratique religieuse était faible »10. La Loire-Inférieure devrait donc être exclue. D’autant plus que Frédéric Bluche situe le département comme étant « très défavorable » au bonapartisme plébiscitaire de 1799 à 187011. Il est vrai que ces distorsions peuvent s’atténuer, se combiner lorsqu’elles s’observent localement et non plus nationalement. C’est pourquoi je serai particulièrement attentif, non seulement à l’intensité de la persistance bonapartiste, mais à sa pluralité, que sa position unifiée en 1885 à l’égard de l’Union Conservatrice, favorable à la religion, ne doit pas occulter ; et ensuite à son éventuelle résurgence au moment du Ralliement, voire jusqu’en 1902/1906, terme de cette première période.

  • 12 Cf. plus spécialement l’article de Stéphane Rials écrit en collaboration avec Frédéric Bluche : « F (...)
  • 13 Stéphane Rials, Le légitimisme. op. cit. (p. 5).
  • 14 La carte établie porte précisément sur la période 1831 à 1876, Ibid. (p. 29).

5Le royalisme pour sa part, il faut brièvement mais nettement le souligner, se subdivise au xixe siècle en deux branches : le légitimisme et l’orléanisme que l’on doit successivement spécifier. Le légitimisme rassemble les fidèles de la branche aînée de la famille royale, séparés des orléanistes après la révolution de 1830 et l’avènement de Louis-Philippe. La définition même du légitimisme oppose en fait les spécialistes entre eux et particulièrement Stéphane Rials à René Rémond12. Sans syncrétisme, leurs points de vue peuvent être ici pris en compte. Stéphane Rials délimite très étroitement le légitimisme au regard de la généalogie politique, en tant que revendication dynastique née en 1830 « de l’usurpation du trône par Louis-Philippe et qui, avec plus ou moins de bonheur, a été l’une des tendances majeures de notre vie politique nationale jusqu’à la mort du comte de Chambord en 1883 »13. On remarquera que, selon les calculs du même auteur, la Loire-Inférieure, avec la plupart des autres départements bretons, affiche une tendance plus régulièrement favorable à ce courant politique que la Vendée, archétype de la contre-révolution14.

  • 15 Stéphane Rials range dans cette catégorie les noms très connus de H. Lorin, L. Harmel, l’abbé Lemir (...)
  • 16 Henri V pour les légitimistes dynastiques.

6Mais le plus important pour notre propos sera d’établir dans quelle mesure les « entrepreneurs » royalistes, et par extension les électorats et les lectorats, s’affirment légitimistes au sens généalogique du terme. Si ce cas de figure se confirme il restera à s’interroger sur la survivance de ce courant en 1883 : le retrait nostalgique ou le ralliement au régime15. Autre hypothèse, l’acceptation de la « fusion » avec les frères ennemis de la branche cadette, les orléanistes, incarnée par Philippe, comte de Paris : c’est en principe la voie suivie par les légitimistes de l’Ouest Français, qu’incarnait le comte de Chambord16.

  • 17 Jean-Christian Petitfils, La droite en France de 1789 à nos jours, PUF Que sais-je ?, 1983, 125 p. (...)
  • 18 Cf. Stéphane Rials, op. cit. (p. 59) et son article de 1983 dans Pouvoirs.

7Les échecs aux tentatives volontaristes de fusion avaient été le fait d’une cause apparemment mineure, le choix du drapeau : blanc pour les légitimistes, tricolore pour les orléanistes (comme pour les bonapartistes). L’enjeu sous-jacent est en réalité crucial dans la mesure où l’acceptation du drapeau tricolore est le symbole de la souveraineté nationale17. Mais le comte de Chambord disparu, le ralliement de ses partisans au prétendant orléaniste peut s’avérer d’autant plus aisé qu’il peut n’être que stratégique et entériner un état de fait dans la mesure où les légitimistes ont fonctionnellement accepté la règle démocratique du suffrage universel. C’est, selon Stéphane Riais, dès la mise en place du régime de la Monarchie de Juillet que les responsables royalistes se sont accordés sur le principe de l’élection des assemblées au suffrage universel18.

  • 19 Cf. René Rémond, Les droites en France, Aubier, 1982, 544 p. (p. 79).
  • 20 L’épisode du Ralliement pourrait faciliter l’émergence de ce libéralisme.

8René Rémond différencie nettement les deux royalismes mais montre leur progressif rapprochement longtemps avant que le comte de Chambord ne disparaisse. En 1830, le légitimisme dût admettre « l’inévitable, il fallait passer alliance avec la société moderne et en premier lieu, user des moyens qu’elle proposait »19. Il s’avère que l’orléanisme, moins empreint à ériger en système la fidélité traditionnelle qu’illustre mais n’épuise pas le soutien à une dynastie, est plus apte que le légitimisme à opérer le passage d’une utopie rêvée à une utopie pratiquée. Il combine son monarchisme à une certaine laïcisation en tant qu’il reconnaît le pouvoir de la nation, son parlementarisme, et le redouble d’un libéralisme politique qui l’incline à la séparation des pouvoirs20. Quant à son appui préférentiel sur les notables bourgeois plutôt qu’aristocrates, il n’est pas un obstacle au rapprochement dès lors que le thème de la conservation sociale prend un sens précis que j’aurai longuement à évoquer. Au total, l’orléanisme peut, du point de vue dynastique et stratégique assurer au royalisme une place dans le jeu politique démocratique mais ce peut être au risque d’une dilution de sa personnalité, sur laquelle les ex-légitimistes peuvent toutefois jalousement veiller. A fortiori dans une région où le religieux peut se montrer sourcilleux à l’égard du moindre risque d’extension de la laïcisation.

  • 21 En termes plus familiers : des mentalités, des « états d’esprit ».
  • 22 René Rémond, Les droites... op. cit. (p. 37).
  • 23 Pour le moins au niveau des méthodes, si l’on suit la thèse restrictive de Frédéric Bluche, op. cit (...)
  • 24 Cf. Philippe Levillain, Thèse 1983, [A. de Mun...] citée par S. Rials, Le légitimisme, op. cit. (p. (...)

9C’est sur la persistance des ethos21 que les auteurs cités s’opposent en raison de leurs définitions initiales divergentes. Mais au regard de la temporalité des courants politiques, René Rémond se retrouve proche de Stéphane Rials puisqu’il voit les trois droites identifiées – les deux droites royalistes dites classiques et le bonapartisme, droite autoritaire – disparaître avec le xixe siècle. Et plus précisément avec le boulangisme et l’Affaire Dreyfus qui donnent naissance à une nouvelle droite nationaliste dont le bonapartisme a été un précurseur22 et le gaullisme un continuateur23. Mais n’anticipons pas, il s’agit dans l’immédiat d’observer la situation des droites ligériennes ici nationalement et synthétiquement présentées. Notamment, de vérifier si, dès les débuts de la IIIe République, comme dans le département voisin du Morbihan, « le royalisme devient un simple conservatoire de tradition et le parti une agence pour les commémorations »24.

Notes

1 Cf. L’Encyclopédie éditée par les Éd. du Seuil dans la collection Points Histoire.

2 Philippe Vigier, « Le Bonapartisme et le monde rural », in Les Actes du 13e Colloque historique franco-allemand de l’Institut Historique Allemand de Paris à Augsbourg de 1975. Le Bonapartisme : Phénomène historique et mytho-politique. Publiés par Karl Hammer et Peter-Claus Hartmann. Préface de Karl-Ferdinand Aerner, Artémis-München, 1977, 170 p.

3 Notamment Marcel Launay, mais ce n’était pas l’objet central de sa recherche : Le diocèse de Nantes sous le second Empire, Thèse 2 vol., Éd. CID Nantes, 1982, 980 p.

4 Cf. Les Actes du 13e Colloque historique franco-allemand de l’Institut Historique Allemand de Paris à Augsbourg de 1975, op. cit. (p. 20).

5 Cf. Les Actes du 13e Colloque historique franco-allemand..., op. cit. (p. 20).

6 Maurice Duverger, La démocratie sans le peuple, Éd. du Seuil, 1967, 256 p. (pp. 191 et s.).

7 Il resterait à voir dans quelle mesure c’est un effet du rejet du bonapartisme par les radicaux, leurs frères ennemis, plus dangereux que les royalistes. Cf. Pierre Barral,in Les Actes du 13e Colloque historique franco-allemand..., op. cit. (p. 38).

8 Cf. Discours de Louis-Napoléon à Lyon le 20/09/1852, Tome III des œuvres de Napoléon III.

9 Cf. Louis Girard, « Caractères du Bonapartisme dans la seconde moitié du xixe siècle » in : Les Actes du 13e Colloque historique franco-allemand..., op. cit. (p. 27).

10 Cf. Compte rendu des discussions du Colloque précité, Les Actes..., [cf. Ille-et-Vilaine] (p. 147).

11 Frédéric Bluche, Le Bonapartisme, PUF, Que sais-je ? 1981, 127 p. (p. 6).

12 Cf. plus spécialement l’article de Stéphane Rials écrit en collaboration avec Frédéric Bluche : « Fausses droites, centres morts et vrais modérés », Revue de la Recherche Juridique, 1983, pp. 611 à 627.

13 Stéphane Rials, Le légitimisme. op. cit. (p. 5).

14 La carte établie porte précisément sur la période 1831 à 1876, Ibid. (p. 29).

15 Stéphane Rials range dans cette catégorie les noms très connus de H. Lorin, L. Harmel, l’abbé Lemire, op. cit. (p. 114).

16 Henri V pour les légitimistes dynastiques.

17 Jean-Christian Petitfils, La droite en France de 1789 à nos jours, PUF Que sais-je ?, 1983, 125 p. (p. 5).

18 Cf. Stéphane Rials, op. cit. (p. 59) et son article de 1983 dans Pouvoirs.

19 Cf. René Rémond, Les droites en France, Aubier, 1982, 544 p. (p. 79).

20 L’épisode du Ralliement pourrait faciliter l’émergence de ce libéralisme.

21 En termes plus familiers : des mentalités, des « états d’esprit ».

22 René Rémond, Les droites... op. cit. (p. 37).

23 Pour le moins au niveau des méthodes, si l’on suit la thèse restrictive de Frédéric Bluche, op. cit. (p. 125).

24 Cf. Philippe Levillain, Thèse 1983, [A. de Mun...] citée par S. Rials, Le légitimisme, op. cit. (p. 101).

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