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La noblesse luxembourgeoise au xviiie siècle

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Calixte Hudemann-Simon

Préface

Jean Meyer

Texte intégral

1Comme toutes les terres de contact, le Luxembourg occupe en nos coeurs une place de choix. Dans les périodes fastes, il a servi de lieu de rencontre entre les civilisations latines et germaniques ; dans les heures douloureuses qui ont déchiré l’Europe, il a eu sa large part de souffrances. Il était donc normal qu’un jour, un historien s’attache à l’un de ces aspects les plus méconnus, c’est-à-dire le champ de contact entre les deux élites dirigeantes que furent, longtemps, la noblesse allemande et la noblesse française, voire, pour être plus précis encore, la noblesse lorraine. Ces juxtapositions, ces mélanges ont donné à la noblesse luxembourgeoise un aspect d’autant plus intéressant que l’aristocratie autochtone était elle-même double, mélangeant ce qui subsistait de la vieille noblesse médiévale avec la nouvelle noblesse des maîtres des forges.

2Telle était donc l’hypothèse qui s’offrait à nous quand Madame Calixte Hudemann s’adressa à nous pour nous demander un sujet de thèse. Choix d’autant plus heureux que la « république des Lettres » retrouvait ainsi, entre Paris et Trêves, en ce lieu de focalisation qu’était et que reste, plus que jamais, la ville de Luxembourg, quelque chose de l’unité d’un empire romain un moment concentré autour de la « Porta Nigra », quelque chose qui, en tout cas, transcendait, dans le meilleur sens du terme, toutes les frontières, tout en respectant, pour la mieux comprendre, l’originalité des lieux et des temps.

3Ce fut donc comme sujet de thèse « La noblesse luxembourgeoise au XVIIIe siècle ». Le siècle des Lumières, en effet, s’imposait. La documentation est abondante, accessible, variée, entre Bruxelles, Luxembourg, Arlon, Trêves, Paris et quelques autres hauts lieux archivistiques. Dire le travail de fourmi, les déceptions des pistes fermées par manque documentaire, les peines et les bonheurs des trouvailles inattendues, les satisfactions de voir confirmées les hypothèses patiemment échafaudées serait enfoncer des portes ouvertes.

4Du moins pour le spécialiste, car le grand public soupçonne mal l’immense abnégation du chercheur, son dévouement à la tâche entreprise, son temps dépensé sans compter, les sacrifices imposés, parfois sur des routes enneigées et, enfin, les problèmes de toute sorte. Heureusement, l’accueil chaleureux des autorités compétentes, l’amabilité avec laquelle elles ont aplani les inévitables obstacles que posent, nécessairement, toutes les frontières, ont singulièrement facilité les choses.

5Au terme de ces longues années studieuses, voici donc, enfin, ce livre, ce livre novateur, sur un sujet presque ignoré. Nul besoin, me semble-t-il, d’en faire l’éloge : il se suffit à lui-même. Les révélations y abondent : on n’en retiendra ici que le rôle joué, bien avant la révolution industrielle, par les maîtres de forge, et leurs destins inégaux. Comme de bien entendu, Madame Hudemann a suivi les méthodes, désormais classiques, d’une histoire rénovée, tournée vers l’analyse quantitative, tant économique que sociale. Est-il meilleur moyen de compréhension que ces tableaux statistiques aisément lisibles ? Ce qui ne veut pas dire que l’auteur ait sacrifié à la mode : ici, rien que l’utile et l’efficace. Et qui ne nuit en rien à la lisibilité, car l’histoire est aussi, et d’abord, celle des hommes, de la vie quotidienne, des humbles soucis de tous les jours, « l’écume des jours ».

6Qu’en retenir ? En ce pays d’Ardennes, aux prix des grains paradoxalement stables en une période pourtant réputée pour sa hausse constante des prix, en ces terres difficiles où l’agriculture se heurte à l’âpreté du climat comme à la médiocrité des sols, en un mot, en ce Luxembourg encore assez faiblement peuplé, la monarchie autrichienne, c’est-à-dire le despotisme éclairé de Marie-Thérèse et de Joseph II, a imposé à la noblesse du cru l’égalité devant l’impôt, ce bien avant la révolution française. Récompense dérisoire pour une fidélité dans faille, à la vérité ronchonnante, mais d’autant plus remarquable qu’elle contraste avec les révoltes des Pays-Bas. Les réactions, les comportements sont ici bien particuliers, en tout cas spécifiques. Mais comment s’imaginer, un seul instant, que cette mesure n’ait été commentée, longuement discutée dans les provinces françaises toutes proches ? Comment, un instant, penser qu’il n’y ait pas eu de lien de cause à effet sur les pensées et les programmes de 1789 ?

7Car le propre d’un travail historique est de déclencher, par-delà ses propres constats (et ici ils sont solide acquis, fondés sur la plus probe des enquêtes) toute une série de questions qui dépassent et transcendent les lieux et les temps pour lesquels il a été conçu et réalisé. Quand on fermera ce livre, sur cette noblesse si diverse, si faible, si peu sûre d’elle-même, sans véritable unité, de médiocre capacité de résistance face au pouvoir viennois ou bruxellois, mais solidement retranchée en ses certitudes ancestrales, fussent-elles, parfois, imaginaires, l’on se mettra à rêver sur les horizons qu’il ouvre. Qu’il me soit permis d’évoquer cette soirée à l’université de Bielefeld où furent discutés en un aréopage international, les premiers résultats de cette enquête : de Paris avec son Parlement étudié par François Bluche, à la Bretagne où Madame Hudemann fit son apprentissage d’historienne, en passant – en repassant – par Paris où se nouèrent rencontres et comparaisons, tout un coin d’Europe fut présent à l’orée de ce livre, de cette noblesse luxembourgeoise de l’ère des Lumières, noblesse et Lumières qui sont, en quelque sorte, les héros de cette quête. Livre de bonne volonté, livre solide ; pierre d’un édifice qu’avec constance les écoles historiques de nos pays construisent en cette « république de l’Histoire » patiemment mise en place. Grâces en soient rendues, au seuil de ce volume, à tous ceux qui l’ont rendu possible. Qu’en ces temps difficiles, ce soit possible : ce n’est pas le moindre mérite de l’histoire, des liens internationaux qu’elle suscite, et plus encore de cette jeune historienne qui a ressuscité un riche fragment d’une histoire trop peu connue.

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