XVII. Conclusions
p. 203-212
Texte intégral
1Les conclusions de ce livre doivent viser deux points essentiels de notre recherche. D’abord la caractéristique générale du régime alimentaire rencontré en Pologne au xvie siècle et ensuite des conclusions plus larges, à savoir quelques articulations sur l’expérience acquise, sur la méthode, et sur les perspectives pour la recherche future. Par contre nous ne voulons pas résumer le texte tout entier, procédé assez fréquent, utile pour les lecteurs préssés, mais usage qui peut noyer sous une quantité des mots superflus l’essence des résultats scientifiques et les points de repère pour les recherches à venir1
2La caractéristique véritable d’un phénomène ce n’est pas la description détaillée un peu abrégée, mais la présentation des différences et des analogies, des particularités et de généralisations. Dans notre cas c’est l’insertion du régime alimentaire polonais du xvie siècle dans le cadre des régimes alimentaires européens d’autrefois. Et pour réaliser cette tâche il serait plus commode de retourner à l’ancienne idée de Lucien Febvre, celle du partage de l’Europe selon la graisse principalement utilisée. D’après la formule de Lucien Febvre on trouve la Pologne du xvie siècle dans la région septentrionale du continent où dominait le lard, précisément les flèches de porc et dans une mesure plus limitée le beurre et l’huile de lin. On a observé la présence des mêmes graisses, au xvie siècle, en Suède et en Angleterre, bien que les données suédoises et anglaises exigent une analyse plus approfondie2. Il s’agit surtout de montrer la consommation du lard, parce que celle du beurre on la trouve facilement dans les sources. Inversement on ne trouve pas en Pologne, ni en Suède ni en Angleterre – sauf cas particuliers – d’utilisation de l’huile d’olive, graisse typiquement méridionale. Et enfin le phénomène d’une pénurie, plus ou moins accentuée, de la graisse, s’avère être presque général en Europe.
3La consommation polonaise est basée surtout sur les céréales, principe en vigueur en Europe entière à l’époque, sauf peut-être Hongrie. Parmi les céréales panifiables on observe en Pologne la domination du seigle et probablement du pain bis, le trait est propre à l’agriculture du Nord – en Suède le seigle dominait dans les champs. Simultanément l’Europe du Sud mangeait du pain de froment, tandis qu’en Angleterre et aux Pays-Bas le froment concurrençait le seigle. La part du pain était toujours très forte, autour d’un kilogramme par jour et par tête, le phénomène était général en Europe, avec une tendance à dépasser ce niveau vers le Nord mais parfois à ne pas y arriver au Sud. La consommation des gruaux relativement forte est probablement aussi la particularité de la consommation septentrionale, mais les matériaux suédois et anglais ne sont pas suffisamment exacts sur ce point.
4 La Pologne du xvie siècle constituait une région de consommation de la bière, comme boisson de base3. C’est la particularité des pays qui n’avaient pas une vaste production de vin, à savoir des pays Scandinaves, de l’Angleterre, de l’Allemagne, de la Bohême etc. Le volume de la bière bue en Pologne – entre 1,2 et 2,6 litre, parfois plus – rencontre les analogies en Suède, en Danmark, en Angleterre, parce que les quantités bues dans ces autres pays s’avèrent encore plus fortes, parfois exagérées. Nous savons bien que la bière à l’époque était la boisson principale, presque exclusive, qui correspondait à la consommation du vin dans les pays du Sud.
5Pour ne pas prolonger cette description des principales composantes de la consommation alimentaire en Pologne, composantes reconnues normales dans cette partie de l’Europe, nous voudrions ajouter uniquement deux éléments comparatifs à discuter, à savoir le niveau calorique et la différence sociale des régimes alimentaires. Nous avons observé, que le niveau calorique de la nourriture de la population modeste au xvie siècle en Pologne n’était pas insuffisant et qu’il semblait être conforme à notre opinion sur le niveau alimentaire approprié. Le niveau le plus répandu était d’environ 3500 kcal par jour et par personne, avec des écarts plutôt vers le haut. Cette observation, il faut le souligner, a trouvé ses analogies dans les autres pays, comme par exemple la nourriture dans des manoirs suédois (au niveau peut-être exagéré), une maison de correction en Angleterre – pour ne pas mentionner les cas trop particuliers comme ceux de l’alimentation des soldats assiégés ou des marins.
6En même temps on a observé que la stratification sociale de la nourriture, s’exprimait par un niveau calorique élevé, par une structure mieux équilibrée (plus de protides et de lipides), enfin par des composants plus diversifiés et plus coûteux. Ce phénomène visible en Pologne, se répète dans les autres pays. En Suède c’est une hiérarchie de la nourriture qui débute par le personnel du domaine (4335 kcal), et finit par les membres de la cour royale et princière (6385-7435 kcal)4. En Angleterre, à côté de la nourriture simple mentionnée à Bury (3828 kcal)5, nous avons celle de lord Talbot (6132 kcal)6, très proche de la nourriture de Spytek Tarnowski en Pologne. Le Collège aristocratique de Pavie a prévu quelques 4844 kcal par jour pour ses pensionnaires7 et même sur les galères toscanes l’officier avait le droit pour une ration de 4999 kcal, le marin à celle de 3702 kcal (quantité corrigée)8. Evidemment la nourriture des hautes couches sociales, elle était toujours plus diversifiée, plus abondante et plus chère. Dans ce domaine au cours du xvie siècle, malgré les différentes composantes, la structure de la consommation reste semblable, parce que la hiérarchie alimentaire était obligatoire.
7La consommation alimentaire en Pologne du xvie siècle, celle que nous avons présenté dans ce livre, peut constituer une modeste contribution à notre connaissance de la nourriture du passé. Tel probablement n’aurait même pas été son sort, sans la publication de ce livre dans une langue plus accessible que le polonais pour les historiens des autres pays.
8Grâce à la version française les idées développées peuvent devenir un champs d’essai pour la science historique, un terrain d’exploration, dont les méthodes et les résultats deviendront fructueux pour la recherche dans les autres pays. Cette seconde solution est le rôle que l’auteur a souhaité pour son livre, bien qu’il soit conscient de tous ses défauts et de toutes ses faiblesses.
9Pour mériter l’indulgence du lecteur nous voulons le rendre sensible aux problèmes suivants. D’abord le choix des sources – au lieu de sources descriptives, parfois pittoresques, il est nécessaire d’utiliser des sources économiques, surtout de la comptabilité, traitées par une critique sévère et l’expérience du métier. Ensuite il est très important de rechercher les phénomènes typiques de la nourriture populaire, parce que celle-ci correspond à la réalité dominante du temps et peut nous mener à une analyse et des conclusions macro-économiques. Dans ces cadres nous pouvons étudier le niveau de la consommation alimentaire et son coût, le volume hypothétique de la production agricole du pays, enfin la formule hasardeuse, mais synthétique du revenu national ou du produit national.
10Pour arriver à ces fins, toujours discutables – soyons conscients – il faut beaucoup de recherches semblables, espacées dans le temps et dans le monde. Il faut des recherches nouvelles pour renforcer ou contester les résultats présentés ci-dessus, avec tous leurs points faibles et leurs lacunes : le choix de sources plus adéquates et plus exactes qu’étaient les nôtres, la vérification des normes, à savoir des unités métrologiques et biologiques, faisant intervenir précisémment les besoins alimentaires humains et les valeurs nutritives des aliments d’autrefois, la connaissance approfondie de la technologie alimentaire, de la préparation et de la confection des vivres, et de la modalité de la consommation de la nourriture. Ce programme semble exigeant et coûteux, mais je souhaite que ce livre puisse attirer l’attention des chercheurs sur ces questions.
GRAPHIQUE I. "Comparaison des prix (en grammes d’argent) à Cracovie"

GRAPHIQUE II. Evolution des Rations alimentaires dans le temps

GRAPHIQUE III. Récoltes des céréales et niveau alimentaires de consommation dans la starostie de Sieradz

GRAPHIQUE IV. Prix agricoles et coût de la nourriture à Wilda (en grosz)

GRAPHIQUE V. Prix agricoles et coût de la nourriture à Bonin (en grosz)

GRAPHIQUE VI. Coût de la ration alimentaire (4.000 Kcal.) par décennies-calculé en produits

GRAPHIQUE VII. Salaire quotidien d’un ouvrier calculé en rations alimentaires (décennies)

GRAPHIQUE VIII. Salaire et nourriture d’un membre du personnel de folwark (pour un an)

GRAPHIQUE IX. Dépenses alimentaires au château de Sierack (en sloty) 1541, 1542, 1543, 1545.

Notes de bas de page
1 L. Febvre, "Pour la première enquête (1936), la parole est à Lucien Febvre, " Annales E.S. C. XVI/4, 1961, p. 749-756.
2 F. Braudel, "Civilisation matérielle, économie et capitalisme, " XVe-XVIIIe siècle, t. I, "Les structures du quodien" : le possible et impossible, Paris 1979, p. 179 ; voir aussi Eli G. Heckscher, "An Economic History of Sweden" et J.C. Drummond et A. Wilbraham, "The Englishman’s Food. A History of Five Centuries of English Diet", London 1958.
3 F. Braudel, "Civilisation matérielle, économie et capitalisme, " t. L, p. 203-206 s voir aussi K. Glamann, "Beer and Brewing in the Pre-Industrial Danmark, "Scandinavian Economie History Review, X, 1962, p. 128-140.
4 E.G. Heckscher, "An Economie History of Sweden", p. 69.
5 J.C. Drummond et A. Wilbraham, "The Englishman’s Food", p. 56.
6 L. Stone, "The Crisisof Aristocracy 1558-1641", Oxford 1965, p. 555 et suiv.
7 G. Aleati et C. Cipolla, "Contributo alla storia dei consumi et del costo della vita in Lombardia", p. 317 et suiv.
8 J.J. Hémardinquer, "Sur les galères de Toscane au xvie siècle, " Annales E.S.C. XVIII/6, 1963, p. l 141-1149.
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