Chapitre III. La protection de la Côte et la défense du commerce
p. 99-140
Texte intégral
1Aux XIVe et xve siècles, la distinction commence à s’établir entre course et piraterie1. Le pirate, comme le définit une lettre du Bailli de Valence, ne « craint ni Dieu, ni Roi... et commet vols et rapines en manera piratica ». C’est un particulier qui opère à son compte et s’attaque à tout ce qui se présente lorsque le rapport de forces est en sa faveur, sans se préoccuper du droit des gens. Le corsaire, dont la notion apparaît sous sa forme latine de cursarius, au xiie siècle, d’abord confondu dans la réprobation qui entoure le pirate, s’en distingue progressivement. A la différence du pirate, son activité est occasionnelle ; elle s’exerce pendant une durée limitée à un voyage ou à plusieurs mois. Elle a pour cible un ennemi. Il ne peut y avoir de course qu’en temps de guerre, mais, en Méditerranée, cette situation est quasi permanente entre Chrétiens et Musulmans, en dépit des courtes trêves entre les belligérants. Le corsaire, comme le pirate, est un particulier mais, à la différence de ce dernier, il se met au service de l’État, prête serment de respecter les navires des puissances amies, s’oblige à verser avant son départ une forte caution pour dédommager ses éventuelles victimes s’il ne respecte pas sa promesse. Il permet à un État, qui n’en a pas toujours les moyens, de poursuivre une guerre maritime sans en assumer les frais. La course par ailleurs, en temps de guerre, offre aux gens de mer la possibilité de poursuivre leurs activités quand la guerre interrompt momentanément le commerce. Ces quelques remarques préliminaires pour établir la distinction nécessaire entre piraterie et course ne doivent pas nous masquer les difficultés de la pratique. Normalement, la course entre dans le domaine des activités légales, contrôlées par l’État et les autorités ; elle peut franchir le pas de la légalité en ne respectant pas les droits des neutres ou en ignorant volontairement les trêves conclues. La frontière entre piraterie et course redevient alors assez floue dans la mesure où le corsaire peut se livrer à des activités illégales, comme celles qui consistent par exemple à extorquer de fausses confessions de captifs des sujets valenciens musulmans se déclarant, sous la menace, originaires de Fez ou de Grenade pour être adjugés de bonne guerre. A ces difficultés de définitions dans la pratique s’ajoutent celles que l’on peut rencontrer pour retracer un tableau cohérent des principales étapes chronologiques de la course et de la piraterie, en Méditerranée occidentale, au xve siècle. Comme l’ont fait remarquer Michel Fontenay et Alberto Tenenti, au xve siècle la course et la piraterie « régnèrent alors en Méditerranée de façon assez confuse, saccadée et fort malaisée à saisir... les contours mêmes de la course et de la piraterie et leurs différents types, jamais bien nets d’ailleurs, apparaissent alors encore plus flous et disparates »2. Nous avons néanmoins tenté, à partir de registres d’armements de la chancellerie royale, des lettres missives du Bailli de Valence, autorité légale en matière de droit maritime, de retracer les étapes chronologiques de la course et de la piraterie, entre 1407-1500, vues à partir du Levant aragonais. Entre 1407 et 1495, les lettres missives du Bailli se font l’écho de cinquante-deux cas de pirateries, au cours desquels les victimes des agressions ont fait appel aux autorités pour obtenir réparation. Restent dans l’ombre ceux qui étaient trop faibles ou trop démunis pour se faire entendre, ou ceux qui ont disparu sans laisser de trace. C’est évidemment un pourcentage infime, par rapport au trafic valencien, qui s’établit à la fin du xve siècle au-dessus des quatre cents navires annuels3. Nous ne prétendons pas avoir dressé une liste complète des sinistres survenus en mer pendant cette période ; il s’agit simplement de ceux qui ont subsisté dans les archives du Bailliage, seule autorité de recours pour les plaignants. Quant à la course valencienne, elle se caractérise par son activité réduite, certes, mais quasi permanente. De 1404 à 1497, nous avons relevé quatrevingts licences d’armement en course, octroyées à 80 % à des corsaires originaires de Valence, à 16 % à des corsaires des ports de la côte sud, à 4 % à des corsaires des Baléares. La guerre sainte, contre l’Islam et les ennemis de la foi catholique, demeure le principal motif des armements, comme nous l’avons souligné au début ; c’est une course spécifique entre Chrétiens et Musulmans, telle qu’on la retrouve d’un bout à l’autre de la Méditerranée. Elle se double d’une course entre puissances et États chrétiens, dans le cadre des opérations belliqueuses des rois d’Aragon, qui les amènent à combattre successivement, sous le règne d’Alphonse V le Magnanime, les Castillans à partir de 1420, puis les Génois ; la conquête du royaume de Naples entraîne une guerre sans merci contre Florence, à laquelle se mêlent les États italiens. Par la suite, la guerre contre Barcelone, de 1462 à 1472, fixe comme objectif aux corsaires les Catalans rebelles et ceux qui les soutiennent, parmi lesquels il faut citer Portugais, Vénitiens, Génois, Castillans. Au cours de cette guerre fratricide, le droit de visite sur les navires neutres amène les escadres de corsaires fidèles au roi à multiplier les arraisonnements des embarcations susceptibles de porter des vivres aux rebelles, ou à traquer les marchandises qui leur sont destinées. Les années de guerre contre Barcelone sont celles où la course atteint son maximum d’intensité. A la fin du siècle, le début des premières guerres d’Italie et des hostilités avec la France relance la course aragonaise. Telles sont schématiquement les grandes lignes chronologiques de la course à Valence, au xve siècle. Ses objectifs sont constants ; quand il s’agit de la guerre maritime contre les maures, ils changent avec les fluctuations de la situation politique aragonaise. Il faut y ajouter un troisième caractère, particulier à la course dans les États aragonais ; elle peut se diriger à l’encontre des membres de la confédération : Catalans, Majorquins, Siciliens, Sardes qui se sont attiré les ressentiments de leurs compatriotes à la suite d’actes de pirareties. La course devient alors une guerre dirigée contre les pirates, destinée à nettoyer les mers, à rétablir la sécurité. En même temps, la frontière entre les deux notions de course et de piraterie redevient quelque peu floue dans la mesure où les autorités aragonaises dénoncent comme pirates des corsaires de la confédération disposant de licences légales d’entrer en course, ou des corsaires étrangers venus du Portugal, de Castille ou des rivages de Provence. Dans une première partie, nous allons évoquer les principaux foyers de la course et de la piraterie, en Méditerranée occidentale, au xve siècle et au début du xvie siècle.
Les principaux foyers de course et de piraterie
2Les principaux foyers de la course qui s’exerce contre les côtes Valenciennes se situent chez leurs voisins castillans et portugais. Si nous nous référons à l’ensemble des sinistres en mer subis par les Valenciens pendant cette période (1407-1495), 28,8 % d’entre eux ont été le fait de Castillans. La course castillane a connu sa pleine intensité entre 1418 et 1426, au moment où les hostilités avec l’Aragon battent leur plein ; elle ressurgit ensuite pendant des durées intermittentes : en 1436, au plus fort de la lutte de l’Aragon contre Gênes, puis entre 1441-1448 lorsque Alphonse V, après la conquête de Naples, poursuit ses opérations belliqueuses en Italie aux dépens de Florence. La dernière résurgence de la course castillane a lieu au début de la guerre contre Barcelone. Elle correspond, par conséquent, à des opérations de guerre maritime directe, au début du siècle, quand la Castille et l’Aragon en viennent aux prises ; par la suite, la course castillane met à profit les difficultés de sa voisine pour lui porter des coups.
3Le point de départ des attaques castillanes se situe à Carthagène, port du royaume de Murcie, où la course est vraiment une petite industrie d’appoint pour cette région défavorisée aux maigres ressources, bien située pour surprendre les riches navires marchands qui croisent au large de ses côtes4. Ainsi ses corsaires ne se contentent pas d’agir dans les environs immédiats du golfe de Mazarron et du cap de Palos, ils s’aventurent au Nord, au large des côtes catalanes et Valenciennes ; à l’Est, ils sévissent aux abords des Baléares où ils interceptent les navires en provenance de Sicile, de Sardaigne, mais aussi de Berbérie. Carthagène, où l’on peut écouler les prises, est le lieu de rencontre des corsaires castillans de l’Atlantique, en particulier des grandes nefs rondes que préfèrent les Basques pour leurs opérations de course, sans négliger pour autant des bâtiments à rames et à voiles, plus légers et plus rapides, comme les « galiotes et baleiniers »5. C’est ce type de « fustes armées » castillanes qui réussissent, en décembre 1416, à s’emparer de deux nefs marchandes Valenciennes, ancrées dans le port d’Alicante. La dénomination de barques armées de Carthagène peut d’ailleurs fort bien masquer des corsaires étrangers, comme ce baleinier armé de Carthagène qui a capturé dans les eaux de Xavea une barque chargée d’huile, à l’automne 1424 ; il s’agit en réalité d’un baleinier portugais, dont « l’adelantado » major Alfonso Yavys Fajardo prononce le séquestre, à la requête du Bailli de Valence6. Qu’ils soient venus d’ailleurs ou originaires de la région, les corsaires de Carthagène pratiquent une course permanente contre les sujets aragonais et autres. Ils réussissent même à trouver des bases de ravitaillement et de départ dans les petits ports de la côte méridionale Valencienne, situés dans le bailliage d’Orihuela. En décembre 1436, une nef et un baleinier basques enlèvent une « barque de quatorze rames » au marin valencien Johan Sagent, chargée d’une cargaison d’une valeur de 200 florins ; on demande au Bailli d’Orihuela de faire arrêter le capitaine basque des deux navires corsaires en le recherchant dans la zone de Guardamar de Segura7. La course castillane, basée à Carthagène, s’attaque aussi aux musulmans ; mais cette course s’intégre dans la perspective de la lutte contre l’Islam, et les États aragonais, victimes précédemment des exactions de la course castillane, deviennent des intermédiaires et des acheteurs des prises, réalisées aux dépens du monde musulman. Les patrons de navires castillans vont se faire adjuger leur butin dans les ports valenciens, comme en témoignent les registres du droit de quint dû au roi ; au moment où se ralentit la course contre l’Aragon, à la faveur des trêves et des paix, les corsaires de Carthagène reviennent au combat interrompu contre l’Islam. La course devient bien pour une cette région une ressource d’appoint de caractère permanent, comme l’ont suggéré Michel Fontenay et Alberto Tenenti dans le Midi italien, à Naples, Tarente ou Bari, en Sicile, à Trapani, ou aux Baléares, à Ibiza et Palma, pour notre époque. Les prises sont le fait d’Andalous de Xerez, Jaen, Seville, ou de Basques de Bermeu, Zumaya, Sentander ou de la société cosmopolite des corsaires de Carthagène, que les manuels de conseils de Valence décrivent ainsi au printemps 1448 : « sur la côte, il y a quelques fustes de corsaires qui portent leurs coups à bien des gens et spécialement à ceux de cette cité, à tel point que personne ne veut plus naviguer, ni commercer, une fois le mal fait, la plupart sont accueillis à Carthagène… »8. Les prises réalisées le sont aux dépens de petites embarcations isolées et sont en réalité beaucoup moins importantes qu’auparavant. Un incident de ce type illustre bien cette course ponctuelle. Il est survenu à Acen Roger, musulman de Valence, alors qu’il revenait de Barcelone sur la barque d’Aparici Garcia avec vingt-cinq quintaux de fromages de Sardaigne. Le baleinier de Jacmes Davargues s’empare de lui au moment où il se dirigeait vers le petit port de Moncofar, au débouché du val d’Uxo. L’affaire a laissé des traces, lorsque le Bailli de Valence, le 26 juillet 1448, a demandé aux « alcayts » de Carthagène la libération d’Acen Roger et la restitution de la cargaison. Une affaire identique, en mars 1452, met aux prises une barque chargée de céramique et Sancho de Licumberi, patron d’un brigantin de Carthagène, dans les eaux de Benidorm. Par la suite, les corsaires de Carthagène ne ralentissent peut-être pas leur activité, mais les documents faisant état de leurs méfaits se raréfient. Les seuls incidents notables ont lieu pendant la guerre avec Barcelone, lorsque des petits corsaires Valenciens de Denia, Villajoyosa, s’associent avec Genis Dezpi, patron d’une galiote de 18 bancs de Carthagène, pour écumer la côte, où ils interceptent le « laut » du Valencien Bernat Fuster, avec une cargaison appartenant au riche marchand de la Moreria de Valence, Mahomat Ripoll, qu’ils vont brader dans le proche royaume de Grenade, à Alméria, en avril 1466. Le dernier écho de cette course castillane se retrouve dans les lettres de sauvegarde, accordées par le Bailli en novembre 1477 à deux nefs : l’une patronnée par le « Basque » Johan de Granada, l’autre par Johan Ochoa de Alguero et Pedro de Carança. Ils ont surpris au large de la Berbérie une nef génoise, chargée de froment, et demandent au Bailli l’autorisation d’écouler leur butin à Valence9. Après 1477, la situation politique et économique de Carthagène se modifie. Elle devient le principal débouché des laines castillanes de la Meseta, vers la Méditerranée occidentale ; l’exploitation systématique de l’alun par les Génois, à Mazarron, en fait aussi le port de l’alun. Ces nouvelles activités économiques ont permis de prendre le relais de la course, devenue activité d’appoint, tandis que la double monarchie castillane et aragonaise, rendue effective à partir de 1479, instaure une période de paix pour les sujets des deux royaumes.
La course portugaise
4La course portugaise se développe aux dépens des Aragonais. Entre 1433 et 1462, elle représente 1.5,8 % des sinistres par mer évoqués devant le Bailli de Valence. Elle profite des difficultés des Aragonais, aux prises avec les Génois, la conquête de Naples, la guerre contre Florence, au moment où eux-mêmes ont conclu la paix avec la Castille, devenue définitive à Medina del Campo, le 30 octobre 143110. Alors que la course castillane est relativement localisée, avec comme base Carthagène, le champ d’action portugais est beaucoup plus vaste. Il est situé sur la façade atlantique, où l’on intercepte les navires revenant des Flandres, du Pays Basque et de Galice ; sur le détroit de Gibraltar, les Portugais, depuis 1415, ont un solide point d’appui à Ceuta ; on les retrouve à Carthagène, qui est devenue un des principaux centres de la course en Méditerranée occidentale. Ils écoulent leur butin à Ceuta, Majorque, Carthagène et Valence. Ils sévissent surtout dans la zone du détroit de Gibraltar, mais on les retrouve jusque sur les côtes de Provence, dans les parages de Marseille11. Absorbés par l’aventure africaine qui s’accélère après le doublement du Cap Bojador par Gil Eanes, en dépit de la malheureuse expédition de Tanger de 1437, les Portugais n’en négligent pas pour autant la course traditionnelle contre les musulmans et les ennemis chrétiens. En même temps, commence à s’élaborer leur politique du secret en matière de navigation vers l’Afrique, et la définition d’un domaine commercial réservé, d’une chasse gardée, à l’intérieur de laquelle tout navire étranger devient une capture de bonne guerre, selon le droit maritime12. La première mention de course portugaise, à l’égard d’un Aragonais, date de novembre 1433. Un marchand de Barcelone, Dalmau Mercader, en est la victime. La barque de Salvador Vilaur, sur laquelle il a chargé des marchandises, est prise entre Xavea et Ibiza, en haute mer, quand elle faisait route vers Barcelone, par une fuste portugaise appelée « calanera ». La notation est intéressante, il s’agit d’une des premières caravelles citées dans nos archives. La caravelle a emmené le butin à Carthagène, où la barque a pu être rachetée pour 140 florins, mais où Dalmau Mercader n’a pas pu récupérer ses biens. Apprenant que ses corsaires portugais sont à Denia, il demande au lieutenant du Bailli à Denia, Andreu Sart, de s’emparer des Portugais. On ignore d’ailleurs si cette requête, présentée quatre mois après les événements, a été suivie d’effets13. Il faut remarquer aussi la permanence de centres de ravitaillement et d’écoulement du butin sur les côtes méridionales du royaume de Valence. En 1435, la cité doit prendre des mesures de défense contre un baleinier de corsaires portugais qui écume la côte. Par la suite, la course portugaise s’accentue dans la zone du détroit de Gibraltar au moment où les Portugais veillent à protéger leurs convois, au retour des côtes d’Afrique, des curiosités malsaines des navires d’autres nations. C’est précisément un corsaire valencien, patron d’une galiote de 16 bancs, armée en course depuis février 1441, qui en est la victime. Attaquée dans le détroit de Gibraltar par une galiote de Ceuta, contrainte par elle de s’échouer à Tarifa, à l’issue d’une poursuite, la galiote Valencienne a perdu dans l’affaire plus de 2.000 livres, selon les évaluations du Bailli, dans une lettre adressée au comte Don Ferrando, gouverneur de Ceuta14. En janvier 1442, les habitants de Murviedro, au retour d’un voyage à Muros, en Galice, font une rencontre identique, au-delà du détroit, dans les mers de Malaga, avec un baleinier portugais. Le capitaine Gonçalbo Lopiç s’empare du navire et de sa cargaison, composée de marchandises diverses et de sardines, dont le procureur des gens de Murviedro, Pere Lopeç Verdu, va demander la restitution au roi du Portugal, Don Alfonso15. Les navires marchands chargés de poissons continuent à exciter la convoitise des corsaires portugais. Lorsqu’ils poursuivent, en 1454, deux nefs de Galice et de Biscaye, ils réussissent à faire main basse sur l’une d’elles ; l’autre se réfugie dans le port d’Alicante où elle est rejointe par la nef corsaire qui l’assiège pour la prendre. On fait appel alors au Bailli de Valence pour prendre des mesures contre eux16. La course portugaise va devenir une action militaire organisée par l’État, au début de la guerre contre les Catalans rebelles, dont les Portugais sont dès le début les précieux alliés.
5Désormais, ce ne sont plus des armateurs privés, pratiquant la course, qui attaquent, mais les « fustes de l’infant Don Ferrando », avec à leur tête le capitaine Pedro Vavyes. Au cours de l’été 1461, la flotte de l’Infant remonte le Guadalquivir, entre Sanlucar de Barrameda et Seville, pour prendre un baleinier de 75 tonneaux de port appartenant à un bourgeois de Valence, Bernat Salvador, et à un habitant de Bruges, Fernando Riba. Son chargement est constitué de céramique Valencienne et de vin de Murviedro17. Au printemps suivant, deux caravelles et un baleinier de l’infant, dans les mers de Berbérie, attaquent en pleine nuit la caravelle de Daniel Valleriola. Au cours de l’action, le marchand Berenguer Pinguet est tué, de nombreuses personnes sont blessées. Ne pouvant pas s’emparer de la caravelle qui résiste, ils transmettent à son bord Vasquo Yavyes qui leur promet une sauvegarde. Valleriola se remet aux Portugais qui, sans égard pour la foi jurée, « s’emparent de lui, le déshabille pour lui dérober son argent ». Ils font prisonnier toutes les personnes à bord, prennent la cargaison évaluée à 15.000 florins et le navire. Cette affaire va déclencher la création d’un droit de marque sur le commerce portugais à Valence18. Désormais, la course portugaise va s’estomper, après ces actions particulièrement violentes.
La course musulmane
6La course musulmane, pendant tout le xve siècle, hante les délibérations du conseil de la cité, frappe l’imagination des foules. Charles Emmanuel Dufourcq a insisté sur l’importance de la marine maghrébine, au xve siècle. Si la flotte du Maroc en déclin permet aux Portugais de prendre Ceuta en 1415, les corsaires de Berbérie orientale sont toujours entreprenants ; rappelons qu’en 1397 des corsaires de Bougie effectuent une razzia sur la côte Valencienne, dans le village de Torreblanca, tandis que les Ifriqiyens s’attaquent à la Sicile. Il évalue la marine d’Ifriqiya, la flotte corsaire, à un total de 75 vaisseaux, dont 32 galères19. Leur rayon d’action s’étend à toute la Méditerranée occidentale. Leurs débarquements au cours du siècle, entre 1428 et 1475, ont lieu partout (Capri, Malte, Majorque, l’île d’Elbe, la Sicile, les Baléares, les côtes de Toscane et de la Provence)20. Pour s’en tenir au Levant aragonais, au début du xve siècle, la menace musulmane vient encore du Maroc dont la flotte corsaire de Tanger s’unit, en 1420, avec celle d’Almeria pour prendre la galiote de Cardona, sur le point de décharger à Almeria. Les deux galiotes de Tanger, renforcées par des navires d’Almeria venus leur prêter main forte, réussissent à s’emparer du navire, des hommes d’équipage qu’ils réduisent tous en captivité. Le royaume nazride de Grenade constitue la seconde zone d’activité de la course musulmane. Les relations avec ce dernier se caractérisent par une série de trêves, de paix, alternant avec des périodes d’hostilités. La première qui nous intéresse pour le xve siècle est conclue en 1404-1405. Négociée entre le roi Martin et le sultan Mohamed VII, elle doit durer cinq ans et permet aux sujets aragonais de commercer avec Grenade, sous la protection de sauf-conduits ; tandis qu’en contrepartie on promet une aide militaire au royaume nazride de cinq galères armées, avec chacune des équipages de 250 hommes, entre rameurs et hommes d’armes, dont les frais incombent à Mohamed VII. Un article spécial concerne les corsaires des deux royaumes qui se garantissent un accueil réciproque, la possibilité de se ravitailler. Les sujets nazrides ne peuvent pas être vendus comme captifs dans les États aragonais, de même les sujets du roi Martin rencontrent le même traitement dans le royaume de Grenade. Les rachats de captifs doivent s’effectuer sur la base de cent doubles d’or21. Cette trêve, analysée par Andres Giménez Soler, est renouvelée en 1413 par Ferdinand Ier, en même temps que l’on conclut une trêve similaire avec le royaume de Fez. Sous le règne d’Alphonse V le Magnanime, on retrouve des négociations de ce type en 1418, 1424, 1431 qui se poursuivent jusqu’en 1440. En dépit de ces intermèdes pacifiques, les tensions demeurent latentes entre Chrétiens et Musulmans ; nous avons vu précédemment que les gens d’Almeria n’hésitent pas à aider des corsaires de Tanger quand l’occasion se présente22. Les incursions musulmanes à la frontière valencienne, dans la zone du bailliage d’Orihuela, dans celui de Jijona-Biar, sont constantes et l’on ne compte pas les avis du Bailli de Valence, au cours du siècle, pour empêcher les sujets musulmans valenciens de passer de l’autre côté, vers le royaume de Grenade. Ces accords sont par conséquent entachés d’une méfiance réciproque et d’une mauvaise foi constante, ce qui amène les corsaires valenciens à obliger leurs captifs grenadins à se déclarer originaires de Fez pour être adjugés de bonne guerre, en pleine période de paix avec Grenade. On accepte mal la paix avec les Musulmans ; si on a réussi en théorie à amorcer un modus vivendi avec les Nazrides et parfois avec Fez, les menaces de la course ifriqiyene ne sont pas un vain mot. En 1421, au moment où commencent les hostilités entre Gênes et l’Aragon, le marchand Jacme Amigo déclare, devant le Conseil de la cité et les jurats, que : « diverses galiotes de Maures se livrent à la course dans les mers du règne ; chaque jour, ils débarquent sur les côtes, capturent maintes personnes, prennent les embarcations qui naviguent sur ces mers... »23.
7Désormais, l’annonce de flottes barbaresques revient assez fréquemment, lors des réunions du Conseil ; ce sont de véritables « armadas » dont on redoute la venue, comme ces vingt-deux fustes de Maures, annoncées le 15 octobre 1428. Les jurats décident d’aviser les lieux maritimes et de les mettre en état d’alerte24. Par la suite, en 1433, la ville prête des navires pour escorter l’Infant don Henrich, car les mers sont infestées de navires corsaires barbaresques dont on évalue le nombre à dix-huit ou vingt. L’escadre barbaresque est composée de bâtiments rapides : « galères grosses et galiotes, sans compter les baleiniers ». Ils reviennent l’année suivante, font trembler la côte ; ils obligent le Conseil à faire poster deux gardes, six nuits de suite, au sommet du Miguelete, d’où l’on domine le Grau et la mer, d’où viennent les périls25. Le coup le plus dur est porté par la flotte de Tunis, en août 1447, au moment où le Magnanime opère en Italie, au plus fort de la lutte contre Florence. L’escadre de Tunis débarque à Benidorm, razzie la ville et ses environs, avant d’emmener les habitants en captivité. Après ce désastre, on poste huit gardes entre le lieu-dit des « Penyes del Albir », Peñas del Arabi, et le cap de Moraira, plus au Nord, afin de prémunir les populations d’un sort semblable à celui de Benidorm26. Au printemps, les Baléares connaissent à leur tour une alerte : deux fustes de Maures capturent dans la petite île de Formentera, au sud d’Ibiza, cinq hommes. Si les rivages aragonais sont sous le coup de la menace barbaresque, à plus forte raison les navires chrétiens sont à la merci d’une attaque, dans les ports du Maghreb. Ainsi ces marchands valenciens, dont la nef est capturée sur la plage d’Oran, à Mazueyha, par une nef génoise, nolisée par le « roi de Grenade et des marchands de Malaga »27. Au cours de ces années 1455-1456, on commence à parler de la flotte corsaire d’Alger : les jurats d’Ibiza signalent, en août 1456, l’arrivée d’une flotte maure de ce port, composée de huit à dix navires. Ils se sont illustrés par leurs méfaits en capturant « des fustes dans les mers des Baléares, avec quatre-vingt-cinq chrétiens à leur bord »28. Les corsaires d’Alger amorcent alors une brillante carrière, dont Fernand Braudel et Michel Fontenay ont annoncé les étapes pour la période moderne29. La cité corsaire n’a donc pas eu à attendre l’apport des réfugiés grenadins en 1492, puis l’installation des frères Barberousse en 1516, pour connaître le début d’une prodigieuse réussite. D’autres foyers corsaires se forment au même moment à Oran, dans la zone de Tlemcen, à One, où la course locale est renforcée par des gens du royaume de Grenade. Près d’Oran, le brigantin du marchand Valencien Francecsh Romeu a maille à partir avec deux nefs ; il réussit à s’enfuir, mais il est capturé à One, par une galiote d’Almeria30. Quatre ans plus tard, au printemps 1468, la caravelle de Nicholau Livello est capturée à Oran. Le réveil de Tlemcen a lieu vers les années 1470, sous l’impulsion d’un Chrétien. Au cours de ces années 1472-1473, la menace barbaresque est orchestrée, à partir d’Almeria et des côtes du royaume de Tlemcen, par un Chrétien d’origine catalane, Berthomeu Perpinya. Les conseillers de Valence se plaignent de ses agissements : « il met en coupe réglée les marchands présents à Almeria ; quant à ceux qui se trouvent en Berbérie, il les fait emprisonner au château de Tlemcen. A la tête d’une galère, il sème la terreur sur les mers de ce secteur ». Le 23 juin 1472, la cité décide de prendre des mesures contre le corsaire : elle loue au mois les deux galères de messire Pujades pour 500 livres, afin de s’emparer du navire et de la personne de Berthomeu Perpinya. Pour financer l’opération, on impose un droit d’un denier par livre sur le commerce, payable entre l’acheteur et le vendeur. On assortit cette démonstration de force d’une mission diplomatique en envoyant un ambassadeur pour rencontrer « l’adelantado » de Murcie, « l’alcayt » d’Almeria, les rois de Tlemcen et de Grenade. Il faut obtenir, d’une manière ou d’une autre, l’arrêt de ces déprédations31. Au moment où l’on tente de négocier avec Tlemcen, par une sorte de loi de l’alternance, dans les centres de la course du Maghreb, la flotte d’Alger dont on a signalé l’essor naissant s’attaque à la galiote du notaire Johan Comello et à la caravelle de Johan del Puerto. Les deux patrons avaient pris la précaution de se munir d’un sauf-conduit de « l’almoxerif » d’Alger. Malgré cela, ils sont attaqués par la flotte corsaire d’Alger, composée de six galiotes qui s’emparent des deux navires pour les conduire à Alger32. A partir de ce moment, Alger va supplanter les centres corsaires plus anciens du Maghreb, comme Bougie, où Ibn Khaldun a fait naître la course, organisée comme une affaire économique sur une vaste échelle, ou Cherchell qui va devenir l’annexe d’Alger.
8A partir de 1479, sous l’impulsion des Rois catholiques, la course chrétienne contre l’Islam partage le Maghreb en domaines d’influence portugaise et castillane. A la suite du traité d’Alcaçobas avec le Portugal, les Espagnols reconnaissent les prétentions portugaises sur les côtes d’Afrique, du royaume de Fez aux terres de Guinée, ainsi que sur les îles : Açores, Madère, Cap-Vert. En échange, les Portugais reconnaissent la possession des Canaries aux Espagnols, auxquels ils laissent le champ libre pour la conquête du royaume de Grenade (1481-1492). La course barbaresque dans ces conditions, comme la course chrétienne s’intégre dans le contexte des opérations guerrières, menées de part et d’autre. On en trouve quelques échos dans les registres du quint ; en février 1487, deux patrons de caravelles corsaires, Anthony Yaviez et Diego Alfonso, viennent vendre à Valence trente maures maltais qu’ils ont pris entre Almeria et le Cap de Gata, alors qu’ils se dirigeaient avec leur « caro » vers les côtes du royaume de Grenade pour leur apporter le secours d’armes et de victuailles33. En dehors de ces épisodes liés à la guerre de Grenade, la course barbaresque se manifeste à nouveau avec vigueur au début du xvie siècle. La flotte corsaire, composée de 16 « fustes », regroupe cinq cents hommes et s’attaque, en août 1503, à la ville de Cullera, à une trentaine de kilomètres au sud de Valence, à l’embouchure du Jucar34. Ancrant leur flotte au Sud, ils débarquent par la zone montagneuse de Tabernes de Valldigna sans donner l’éveil. Au cours du sac de la ville, ils tuent une trentaine de personnes, emmènent en captivité les autres. Ils mettent le feu à l’église, emportent les ciboires, les croix, les chasubles. Ce sanglant épisode n’est pas sans rappeler le sac de Torreblanca, en 1397 ; mais au lieu d’être le fait de Bougie, il est le fait d’Alger, où les réfugiés grenadins ont apporté leurs capitaux et leurs rancœurs. Le sac de Cullera peut être considéré comme une réplique de la course barbaresque aux conversions forcées des musulmans d’Espagne en 1502. Alors que la course barbaresque ne s’était pas signalée par une très grande agressivité au xve siècle, le climat va changer en Méditerranée occidentale au début du xvie siècle avec l’installation des frères Barberousse à Alger en 1516.
La course génoise et provençale
9Course épisodique, à la différence de la précédente. Elle s’inscrit dans le cadre des guerres entre États chrétiens et correspond aux opérations belliqueuses du Magnanime. De 1421 à 1442, les hostilités contre Gênes, entrecoupées de trêves, entretiennent la guerre de course de part et d’autre. Les annonces de flottes corsaires génoises suscitent le va-et-vient des « lauts » affrétés par les jurats pour aviser les îles et les villes de la côte, de Tortosa à Alicante35. Les neutres subissent les contrecoups de la guerre. En 1430, la nef du Vénitien Anthony Condolmer, venant des Flandres, est attaquée dans les mers d’Almeria par le corsaire génois Paulo Cegonya. Usant du droit de visite, il s’empare de toutes les marchandises catalanes à son bord, dont celles de Pere Eximenez, marchand de Valence36. Par la suite, après la rupture de la paix conclue avec la commune de Gênes, en juillet 1431, les combats avec les corsaires génois se multiplient. Le baleinier de messire Riambau de Barcelone en fait l’expérience, en septembre 1435. L’année suivante, à la même époque, on signale les méfaits d’une nef génoise de 650 tonneaux, dans les parages de Majorque : « laquelle est appelée à faire maints dommages aux fustes et biens de marchands »37. Après la conquête de Naples, en décembre 1442, lorsque Alphonse V unit ses forces à celles de la Papauté contre François Sforza dans la Marche, appuyé par les trois galères de Vilamari, basées à Trani, les incidents dus à la course maritime entre les belligérants se multiplient. La guerre contre Florence, en 1446, puis contre Venise en 1448, amène une poussée des primes d’assurance. Entre 1440-1442, le Vénitien Zaccaria Bembo déplore que dix-huit navires vénitiens neutres aient été pris par les Catalans ; il évalue les dommages à 20.000 ducats. Les mémoires des ambassadeurs génois, entre 1444 et 1450, font état de 53 incidents avec les Catalans-Aragonais, en Méditerranée occidentale et dans la mer Tyrrhénienne. Les pertes génoises seraient de l’ordre de 100.000 ducats. Les représailles à Gênes, dont les Catalans furent victimes en 1446 à la suite de ces événements, se seraient soldées à 50.000 ducats38. Le corsaire florentin Pierozzo de Pazzi aurait causé dans le même temps aux Catalans des pertes de 200.000 florins.
10Les corsaires provençaux, quant à eux, se signalent par une action d’éclat, le 17 août 1448 : en pleine nuit, avec un baleinier et une galère, ils font irruption au Grau endormi, prennent la nef de Manlleu de Barcelone, chargée de marchandises, appartenant à des gens de Valence, destinées à Naples et à la Sicile, et incendient la nef de Boyls qui se trouvait là. A l’automne 1449, les jurats d’Ibiza signalent l’arrivée d’une galère de Provençaux qui se dirigent vers les mers du Levant aragonais. Du côté d’Alicante, on cherche aussi à localiser : « certaines fustes de Provençaux, ennemis du roi, qui rôdent le long des côtes »39. En juillet 1455, une flotte provençale de sept navires, composée de deux galères, deux grosses galiotes, un brigantin et deux caravelles, écument les parages de l’île de Majorque. Jusqu’en septembre 1458, les « fustes de Provençaux » corsaires vont continuer leurs incursions sur le littoral aragonais40.
La course aragonaise
11En contrepoint de la course chrétienne des ennemis du Roi d’Aragon et de la course des Barbaresques, s’inscrit la course aragonaise. Les licences d’armement sont octroyées par le Bailli de Valence et ses lieutenants à des armateurs privés qui s’engagent, sous la foi du serment, à ne pas s’attaquer aux vassaux aragonais ni aux pays qui ont conclu des trêves ou des paix avec l’Aragon. Les autorités les obligent à verser des cautions, à fournir des fidéjusseurs. Les licences d’armer en course sont concédées pour une durée limitée, un ou plusieurs voyages ; les patrons s’engagent à déclarer les prises, à venir faire la mise à l’encan dans les ports du royaume, à y acquitter le droit de quint dû au roi. En examinant les registres d’octrois de licences d’armements en course qui ont subsisté entre 1404 et 1497, nous constatons que 80 % des armements se sont faits à Valence ; selon la formule de Fernand Braudel, la course est le fait d’une ville. Elle trouve dans la cité les capitaux nécessaires, la main-d’œuvre qualifiée, le marché pour écouler les prises, tout le circuit d’échanges dont elle a besoin. La course est aussi une industrie artisanale d’appoint pour les petits ports de la côte sud : Cullera, Villajoyosa, Alicante. Les gens y font alterner les travaux agricoles, la pêche, avec la course. Ce sont eux qui arment 16,75 % des navires corsaires du Levant aragonais, auxquels s’ajoutent 3,75 % d’embarcations des gens des Baléares. Cette activité corsaire de la côte sud, pratiquée à un stade plus artisanal qu’à Valence, dans une région où les ressources économiques sont plus réduites, se nourrit normalement de la guerre permanente avec l’Islam et occasionnellement des conflits qui surgissent. Elle se situe à un degré inférieur de la course urbaine et se rapproche : « du plus misérable des maraudages »41, à la frange de l’illégalité et de la piraterie. Entre 1397 et 1517, sur 157 sinistres en mer évoqués devant les instances du bailliage, 76 (48,4 %) sont le fait de ces petits corsaires.
Tableau n° 2 La course à Valence de. 1404 à 1497 d’après les licences d’armements (Real Cancelleria) A.R.V.

12Il faut aussi faire une place aux corsaires de la confédération aragonaise qui ont armé en course ailleurs, en Catalogne, aux Baléares, en Sardaigne ou en Sicile. Michel Fontenay a montré qu’« au milieu de la Méditerranée, la Péninsule italienne peut être considérée à la fin du Moyen Age comme une zone de basse pression corsaire »42. La Sicile y fait exception, ainsi que les îles de Malte, Pantelleria, Lipari, mais ces dernières servent surtout de base de ravitaillement et d’opérations. Armés ailleurs, les navires corsaires aragonais doivent se soumettre au système de garanties à l’égard des sujets et des alliés du royaume que nous évoquions auparavant. Or, dans la réalité, il n’en est pas toujours ainsi, car il faut compter avec les antagonismes qui opposent les Valenciens aux Catalans, les Majorquins aux deux précédents. Il n’est pas étonnant dans ces conditions qu’entre 1425-1471 5 % des sinistres maritimes subis par les Valenciens fassent intervenir les Baillis de Valence auprès de ceux de Catalogne. L’ambiguïté derrière laquelle se réfugient les corsaires vient de la présence, à bord des navires valenciens, de sujets musulmans. Invoquant le prétexte du droit de visite pour reconnaître s’il n’y a pas de marchandises prohibées – coses vedades ― à destination de l’Islam, ils s’emparent systématiquement des marchands maures valenciens et de leurs marchandises. En août 1425, Galip Ripoll, marchand de la « moreria » de Valence, présente une requête de ce type devant le Bailli. Des Catalans, sur la nef Juliota de Barcelone, ont saisi la « coqua » du marin valencien Guillem Tarber alors qu’elle faisait route vers Mostaganem et Oran. Ils se sont emparés des marchandises et des facteurs de Galip Ripoll : Caat Masten et Abrasim Mine, de Gandia43. Quelques années plus tard, au plus fort de la guerre avec Gênes, des nefs armées du Principat de Catalogne font la chasse à la nef de Johan Prior, de Nice, nolisée par des marchands valenciens avec une licence royale malgré les hostilités. Ils réussissent à s’échapper mais, en se réfugiant à Ibiza, ils se font prendre par d’autres corsaires catalans. Un scénario identique à celui de 1425 se reproduit, les musulmans valenciens sont faits prisonniers, parmi lesquels : Galip Ripoll, Ali Xupio, Mahomat Rizbaida, Yaheç Rabali, Abrahim Xayt, Mançor Benmayno, Ali Matuch, maures de la « moreria de Valence », Ffilell Benali du vall d’Alfandech, auxquels s’ajoutent cinq maures du royaume de Grenade, alors en paix avec l’Aragon, et trois d’Oran44. Le Bailli de Valence demande aux jurats de la cité de Majorque la délivrance des prisonniers et la restitution des prises. Par la suite, entre 1440 et 1458, la course suit les objectifs guerriers d’Alphonse V mais, comme l’a bien montré Mario del Treppo, les corsaires sont alors peu enclins à distinguer la marchandise appartenant à des ennemis de la couronne de celle qui appartient aux membres de la confédération aragonaise. Il relate l’épisode de mars 1455 au cours duquel, dans les eaux sardes, Joan dez Catlar, avec la galère de Requesens, prit une galiote de l’escadre de Vilamari ; les corsaires catalans se combattaient ainsi entre eux. Entre 1462-1472, les corsaires catalans, émanations de la cité rebelle, vont faire la chasse aux membres de la confédération restés fidèles. En août 1466, quatre grosses nefs de Barcelone s’emparent d’une nef de Valence. En mars 1471, les jurats d’Ibiza annoncent la venue d’une nef de Barcelone : elle a été vue dans le golfe d’Ibiza alors qu’elle poursuivait la galère de messire Franch Burgues, procureur royal de Majorque45. Ici, la course catalane se situe dans le contexte de la guerre avec Barcelone ; elle cesse, par la suite, de s’en prendre aux vaisseaux du royaume.
13Les Baléares, comme la Sicile, servent de leur côté de base d’armement à des corsaires venus d’horizons divers, dont le port d’attache est Majorque ou Ibiza. Ils peuvent s’y ravitailler, trouver des intermédiaires pour écouler leur butin. Comme les ressources des Baléares sont aussi limitées que celles des petits ports côtiers du sud du royaume de Valence, l’appât du gain pousse ses corsaires à étendre leur rayon d’action jusqu’en direction des côtes de Provence, vers les côtes du Maghreb, vers la mer Tyrrhénienne. Entre 1406 et 1507, 10 % des plaintes évoquées devant le Bailli de Valence ont pour objet des sinistres maritimes qui sont le fait de corsaires des îles. Ibiza et Majorque sont devenues deux des principaux marchés du butin en Méditerranée occidentale, des corsaires venus de tous les horizons s’y retrouvent, après avoir été victimes les uns des autres, comme en témoigne l’aventure survenue au corsaire Nicholau Venot, de Majorque. Patron d’un baleinier, se livrant à la guerre de course contre « les ennemis de la foi catholique », il capture en Méditerranée orientale : « en les parts de Levant », vingt-six maures et une femme qu’il conduit au port de Syracuse, en Sicile. Arrivé là, il se fait capturer par un autre corsaire aragonais qui lui subtilise ses prises. Quelque temps plus tard, une nef vénitienne s’empare à son tour de la nef de Carles de Vallterra, avec la cargaison de captifs arrachée à Nicholau Venot. L’aventure va se terminer à Ibiza où les corsaires vénitiens viennent vendre leur butin de marchandises et de captifs. A la requête de Nicholau Venot, les autorités de l’île lui font restituer les musulmans, selon les us de la piraterie, il en était le premier et légitime propriétaire46, Un autre type de course courante dans les États aragonais est celle qui consiste aussi, en temps de pénurie alimentaire, à arraisonner les navires chargés de blés affrétés par les autres États ; Fernand Braudel écrit que « les Baléares peuvent à peine supporter leurs villes marchandes et militaires. D’autant que l’exploitation du sol y est peu poussée... »47. Menacés par la famine, les Majorquins cherchent à détourner les convois de blés en provenance de Sicile, d’Italie du Sud, de Sardaigne ou de Berbérie. En novembre 1435, le Bailli de Valence ordonne aux officiers de s’emparer d’une galiote de Majorque « qui croise le long des côtes du royaume de Valence, en prenant les barques et autres fustes qui vont porter des victuailles à la cité... »48. Comme nous l’avons vu auparavant, en évoquant la course catalane, les antagonismes latents qui opposent les différents membres du royaume d’Aragon amènent les Majorquins à accomplir des actions de piraterie à l’égard de compatriotes.
14Encore une fois, ce sont les problèmes internes de l’organisation aragonaise, composée d’une série d’États indépendants, unis personnellement aux souverains, qu’il faut mettre en cause. S’il existe une certaine « solidarité catalane », elle peut voler en éclats devant d’autres mobiles, comme la nécessité de s’approvisionner. L’une des actions les plus audacieuses des corsaires majorquins a lieu au Grau de Valence, en mai 1461. Le récit des événements est relaté dans une lettre du Bailli à messire Vidal de Blanes, vice-roi et gouverneur de Majorque. Une galiote de 24 bancs, appartenant à Johan Rossel, marchand de Valence, placée sous le vocable de saint Antoine et de sainte Marie, revient de Berbérie et d’Almeria avec un chargement évalué à plus de 15.000 florins, entre : « or, soie, dattes, cire, légumes secs, graine de paradis, noix d’exarch, plomb, pièces de soie d’Almeria ». Alors que la galiote vient d’arriver au Grau où elle s’est ancrée tout près de la terre, elle est attaquée par les deux galères de Majorque, de Pau et Guillem Sureda, patronnées par ce dernier et Pau de Manorca. Brutalement, ils mettent leur bannière à la proue, en signal de bataille « metent bandera a proha denotant senyal de batalla », ils passent à l’attaque, blessent le patron Marti Ballester très grièvement. Devant la violence du combat et la valeur de l’enjeu, on fait venir le gouverneur du royaume de Valence, Don Pedro de Urrea, un des jurats, Luis Blanch, illustre pour son action en faveur du commerce maritime. Ils assistent impuissants à l’assaut. Les Majorquins usent de leur artillerie et n’hésitent pas à l’actionner contre le gouverneur. Ils emportent les marchandises, les voiles, les gréements, les armes, tout ce qu’ils trouvent à bord de la galiote. Cette affaire montre bien l’impuissance des autorités royales et urbaines, représentées par le gouverneur et un jurat, à faire respecter le droit des gens dans le cadre même du Grau. Le particularisme local est encore renforcé par la connivence tacite de chaque organe administratif, en l’occurrence les autorités de Majorque qui vont faire la sourde oreille pour faire droit aux plaintes des gens de Valence49. Par conséquent, à l’intérieur même de l’État aragonais, il est difficile d’obtenir justice en raison de l’indépendance des pouvoirs de chaque État, membre de la confédération.
15Après 1473, la royauté interrompt l’octroi de licences d’armements en course pour un temps. Elle va canaliser l’agressivité de ses marins vers d’autres buts, comme la conquête de Grenade à partir de 1481. La course majorquine laisse bien encore quelques traces ; selon nos sources, nous trouvons l’écho d’une plainte d’un marin de Valence, Vicent Gibert, patron de « sagetia », contre un corsaire d’Ibiza : Jordi Andreu. Il s’est emparé d’une caravelle et de la « sagetia », avec sa cargaison de « riz, cire, laine, poissons salés et autres marchandises ». Les marchands Domingo Perandreu, Bernat Gil, Nicholau Marques, l’artisan cotonnier Berthomeu Ferrer, présentent une requête devant les officiers d’Ibiza pour récupérer leurs biens50. Au début du xvie siècle, une autre affaire met aux prises deux corsaires à un galion génois dans le port de Sagone, au nord d’Ajaccio. Le galion de 800 « quintars gros » de port, patronné par Alexio Mari, est attaqué par un brigantin et la fuste de Johan Dezmas, de Majorque. Chargé de « toiles, de fer, de gréements, d’huile, de draps et d’autres marchandises », destinés à la Sardaigne, sa capture par les corsaires amène les Anciens de la commune de Gênes à en demander la restitution au roi d’Aragon51. Cette évocation des principaux foyers de la course en Méditerranée occidentale, au xve siècle, ainsi que celle de ses grandes étapes chronologiques nous amènent à examiner quelles ont été les modalités d’organisation de la course, dans quelle mesure la faiblesse du pouvoir central, les difficultés des arbitrages, ont provoqué la diffusion des représailles, puis des lettres de marques ?
L’organisation de la course-représailles et lettres de marques
Aspects économiques
16Jusqu’au xvie siècle, les corsaires méditerranéens utilisent presque toujours des navires à rames : galères, galiotes, brigantins, baleiniers, mais se glissent à leurs côtés des nefs, des caravelles, qui annoncent la révolution technique de la course, et son apogée en Méditerranée vers 1600-163052. A partir de ces bases techniques, l’organisation de la course fait apparaître plusieurs stades, depuis le petit armateur individuel à l’armement plus ambitieux, avec des commanditaires qui participent à l’opération. Les fonds peuvent être obtenus sous forme de prêts, moyennant le versement d’un intérêt de l’ordre de 30 %. En cas de commandites par divers armateurs, on partage les bénéfices, déduction faite des droits et frais divers, au prorata des capitaux investis, tandis que le tiers restant revient à l’équipage. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, dans l’état actuel de la documentation, de connaître le coût de l’armement en course en moyenne. Quelle est la part qui revient aux investissements locaux et celle qui provient des investissements étrangers ? Autant de questions que nous posons sans pouvoir les résoudre. Il est un domaine cependant sur lequel la documentation à Valence nous renseigne : c’est celui des fidéjusseurs, des garants. Pour armer en course, après avoir réuni les capitaux nécessaires, il faut aussi solliciter auprès de la chancellerie royale une licence d’armement qui n’est accordée que moyennant une caution. Les cautions sont à la mesure des différents stades de la course : on demande aux petits armateurs individuels quelque 200 à 300 florins, tandis que les grandes entreprises de courses en commandites doivent verser jusqu’à 10.00 florins.
17La politique royale, en matière de concessions de licences d’armements, a varié avec les fluctuations de la diplomatie, avec les aléas des relations avec les Maures. Les abus de certains corsaires, qui échappent au contrôle des autorités, conduisent par exemple le Bailli de Valence à interdire les armements à Denia, en 143753. De même, Alphonse V, dans une provision de Castell de la Torre, du 22 septembre 1449, renouvelle l’interdiction de tout armement si « ... premièrement les patrons ou armateurs n’ont pas déposé des cautions idoines et suffisantes à la Cour du Bailli général du royaume de Valence ». Quelques années plus tard, à Torre Octava, le 22 août 1457, il décide de ne plus accorder de sauf-conduits aux pirates et corsaires, soumis à la même infamie. Mais ces mesures ne deviennent vraiment efficaces que lorsque l’on élève le versement de la caution à 2.000 florins d’or, le 19 novembre 1477, en éliminant du même coup les petits armateurs capables de rassembler seulement quelque 300 florins. La course devient alors une entreprise de grande envergure, réservée aux grands armateurs. La pragmatique de Valladolid, du 12 janvier 1489, complète l’œuvre législatrice précédente en supprimant tous les sauf-conduits dont les corsaires jouissaient auparavant54. A la lumière des registres d’armement, on connaît par conséquent les noms des patrons corsaires et de leurs fidéjusseurs qui sont aussi la plupart du temps des armateurs. Au cours des deux premiers tiers du siècle, ce sont surtout les milieux maritimes des ports de la côte sud qui fournissent armateurs, patrons, équipages à la course, en utilisant des bâtiments légers à voiles et à rames de type baleinier, galiote ou « leny » de dix à douze bancs de rameurs. Le corsaire mène un genre de vie mixte, mi-terrien, mi-marin, comme Marti Cedrelles, « voisin » d’Alcira sur le Jucar ; il est bûcheron-charpentier l’hiver, lorsque les eaux du fleuve ne charrient plus les trains de bois de flottage ; au cours de l’été, il sort son « leny » de douze bancs, « Sent Agosti », pour s’adonner à la course maritime. Ses garants sont issus de la même catégorie sociale et participent vraisemblablement à l’armement : il s’agit d’un laboureur, Ramon Sala d’Albalat, et d’un autre bûcheron, Ramon Jorda d’Alcira. Leur équipée se termine fâcheusement car ils capturent les marchandises du marin valencien Johan Gizbert et le Bailli fait saisir leurs biens pour répondre à cet acte de piraterie55. Dans la même région d’Alcira, un fabricant de tentes, Bernat Montoliu, donne une participation de 20 florins au marin de Cullera, Berthomeu Silvestre ; mais ce dernier décide d’armer au service du Roi, et l’armateur retire sa participation car il préfère la course traditionnelle : « contra Mores »56. A côté de cette course artisanale de la côte sud, la ville de Valence met à la disposition de ses corsaires ses capitaux, ses moyens techniques, son assistance.
18Dans le cadre de la lutte contre l’Islam et d’objectifs plus prosaïques comme le ravitaillement, la ville participe aux armements de la noblesse en leur prêtant les armes des arsenaux, en leur fournissant des gréements, en leur donnant les biscuits indispensables à la nourriture des hommes57. Il reste encore le plus difficile : le recrutement des équipages. Si les petits corsaires de la côte sud trouvent des compagnons assez facilement, attirés par des profits aisés aux dépens de barques isolées, il n’en va pas de même lors des entreprises guerrières de la noblesse qui arme au service du roi. Pour se procurer des équipages, on n’hésite pas à rafler de force les hommes, bien qu’une provision royale, du 23 juin 1427, ait rappelé : « qu’on ne peut pas mettre les gens de force à bord des navires »58. Entre Almeria et Oran, la galiote du corsaire Gilabert de Lupia désarme le « leny » de Bernat Valls et lui enlève ses seize hommes d’équipage59. Sur le chemin de Denia, Guillem Lobell, courrier de la ville de Valence, est capturé par les hommes de la galère de Jacme de Vilaragut qui vont le garder à bord de force pendant quatre ans : « era stat detengut per força be quatre anys ». Il relate son aventure devant le Conseil, le 15 mai 1445. Lors de la guerre avec Barcelone, les galères du comte de Prades, basées à Majorque, ne vont pas agir de façon différente : en venant rafler les pêcheurs sur la plage du Grau, ou en capturant les brigantins des salines du roi, à Ibiza. En dépit de ces difficultés de recrutement, surtout sensibles lorsque la guerre maritime devient le prolongement des affrontements entre États chrétiens, la course urbaine dispose d’avantages considérables, ne serait-ce que la possibilité de pouvoir disposer très rapidement de commanditaires capables de rassembler non seulement les capitaux nécessaires à l’armement, mais aussi les 2.000 florins de cautions réclamées aux galères. Malheureusement, les noms des deux garants exigés lors du versement de la caution ne nous permettent pas d’en savoir plus sur le monde des commanditaires. Ils ne sont pas systématiquement cités par nos sources, jusqu’en 1436, et demeurent trop succincts par la suite pour tirer des conclusions sérieuses sur l’organisation économique de la course. En général, on peut cependant affirmer que les patrons et armateurs appartiennent souvent aux mêmes catégories sociales. En 1436, le chevalier Rodriguo Diez est le fidéjusseur du noble Jacme de Vilaragut, lors de l’armement de la nef Santa Maria Sent Anthony ; lorsqu’à son tour il arme en course le baleinier Santa Caterina, dont il est le propriétaire et patron, il reçoit la caution du noble Pere Ladro. Au cours de la même décennie, l’armement en course d’un « leny » de dix bancs réunit autour de Berenguer Armengol, marin de Valence, les armateurs suivants : Berenguer Ribes, pilote, l’orfèvre Vicent Boni, les marchands Johan de Limotge al Boni, Nicholau Teni60. Après avoir trouvé des commanditaires, réuni des fidéjusseurs, recruté des équipages, il reste à régler la question des approvisionnements. Nous avons vu dans quelle mesure la ville de Valence est prête à accorder son aide à la noblesse corsaire dans ce domaine. Elle donne ainsi deux mois de « panatica » à chacune des galiotes de 24 bancs de messires Nicholau Jofre et Johan de Vallterra, auxquels s’ajoutent des armes, entre cuirasses, lances longues et courtes, caisses de viratons, et les gréements. Messire Rodrigo de Luna, commandeur de Monzon et de l’ordre de Saint-Jean-de-l’Hôpital, se fait octroyer 150 cafiz de froment, prélevés sur les réserves de la ville, pour confectionner les biscuits nécessaires à son armement ; de même messire Pere Boyl, patron d’une galiote corsaire. A un échelon inférieur, c’est sur place, dans les petits ports du Sud, que les corsaires effectuent leurs provisions de bouche. Ils y trouvent ausi les principaux chantiers de constructions navales, avec leurs corps de métier, qui permettent de résoudre leur problème d’approvisionnement en bateaux, armes, munitions.
Le marché des prises
19Le principal objectif des corsaires est de réaliser du butin. Encore faut-il l’écouler le plus rapidement possible pour retrouver les capitaux nécessaires et lancer une nouvelle campagne. Lors de chaque armement, les corsaires valenciens s’engagent à venir faire l’encan de leurs prises dans les ports de la région, le plus souvent à Valence, parfois à Alicante où siègent les Baillis royaux ou leurs lieutenants, devant lesquels ils font déclarer leur butin de bonne guerre. Quand il s’agit de captifs, les autorités exigent une « confession » de ces derniers, afin de déterminer s’ils n’appartiennent pas à une puissance alliée à l’Aragon, ce qui n’empêche pas les fraudes, les confessions extorquées sous la menace. Il reste alors à acquitter le droit de quint, dû au fisc royal, à l’issue des ventes aux enchères. Les comptes du droit de quint, assez rares il est vrai, ont subsisté pour quelques années dans les archives du maître comptable valencien. Ils confirment la prépondérance de Valence comme marché des prises, où l’on peut écouler les cargaisons les plus hétéroclites car elles trouvent toujours preneurs. En revanche, les capacités d’absorption des ports du Sud sont moins élastiques, les marchés locaux sont trop étroits pour faire face à l’offre. Les quantités écoulées sur le marché ne sont jamais vraiment considérables ; les comptes du droit de quint, conservés entre 1433-1448, font apparaître des rentrées assez médiocres. En novembre-décembre 1433, des corsaires portugais, Johan Lorenç, patron de baleinier, et les procureurs du comte de Ceuta, Johan de Lameyro et Pere Vazquez, viennent vendre 28 captifs maures, sur lesquels ils acquittent 1.353 sous de quint, à 6,6 % : ce qui représente une vente de quelque 20.500 sous61. Entre 1440-1448, quand la course devient intense, les droits de quint atteignent 1.819 sous, les ventes de vingt-neuf captifs ont rassemblé 27.560 sous, auxquels s’ajoutent le produit des enchères d’une barque « de froment et de draps », vendue pour 391 florins en juin par le corsaire Vicent Manresa. A l’automne, la nef de messire Pere Royz de Corella ramène sur le marché une cargaison de cuirs de bœufs, du suif, trois captifs, qu’il négocie à Valence pour 38.920 sous. Le produit de la course « officielle » s’est élevé à 67.000 sous environ, en 144062. Sur le marché de Valence, des corsaires venus d’horizons divers se sont succédé : des Valenciens, le marin Pere de la Torre, le bourgeois Bernat Valls, l’habitant d’Alicante Jacme Franch, le Murcien Johan de Lorqua associé à Jacme Steve ; d’autres encore mêlés à des Castillans : Pedro de Verez associé à Diego de Segura, Johan de Bermeu à Anthony Puigvert. L’année 1442 est encore plus prospère pour les corsaires : en février 1442, les galères de Francesch Gilabert de Centelles raflent dans les mers de Berbérie captifs et marchandises, qui atteignent un total de 69.415 sous. Au même moment, Francesch Marti de Villajoyosa, Johan Luffom d’Alicante, Bonanat Blanch, Galceran Marti acquittent le droit de quint sur 19 maures. Après un ralentissement au printemps, au cours duquel Don Pedro Dixer vend quatre maures en mai, le corsaire d’Alicante Francesch Sepulchre et Johan de Jahen amènent 16 captifs en juillet. A l’automne, des gens d’Alicante, Jacme Franch et Pere de Mena, vendent pour 23.710 sous 31 têtes de Maures, tandis que Jacme Ruxet de Denia en livre 4, Francesch Julia de Elche vend une femme et sa fille. Le butin entre captifs et marchandises s’est élevé en cette année 1442, d’après les comptes du quint, à 131.843 sous63. Au cours de ces années, les armements des petits ports du Sud ont été encouragés ; en août 1444, le Bailli de Valence a autorisé son lieutenant à Villajoyosa, Luch de Lenars, à favoriser les armements, moyennant une caution de 300 florins, pour les embarcations de huit à neuf bancs de rameurs et 200 florins pour celles de cinq bancs. En dépit du caractère lacunaire des registres du quint, au cours des années 1443-1445, les petits corsaires dont nous évoquions l’existence se multiplient.
20Cependant, le marché des prises semble subir un ralentissement à partir de 1446, dû peut-être à un engorgement du marché des captifs. Désormais, l’acquittement du quint ne porte que sur un ou deux captifs et les ventes des corsaires, du moins celles qui nous sont perceptibles à partir du quint, s’abaissent à des sommes réduites à 8.480 sous en 1445, 5.000 sous en 1446, 6.440 sous en 1447, 2.460 sous en 1448. Ces prises médiocres sont aussi dues à la faiblesse de l’armement corsaire dont les embarcations ne dépassent pas de cinq à neuf bancs. Ces dernières ne s’attaquent qu’à plus faible qu’elles. Il faut aussi souligner la présence de petits corsaires castillans qui viennent se faire adjuger leurs prises à Valence ou qui se sont installés sur place. Au cours de l’année 1445, de janvier à juin, on peut citer Pere Marzello de Xilles en Castille, le Basque Gutierre de Santander, Rodrigo Manrich ; ils vendent leurs maigres prises, en même temps que le corsaire valencien Vicent Manresa, le notaire Bernat Vives et le patron de Calpe Pere Amat. L’année suivante, ce sont presque exclusivement des Castillans qui sont mentionnés d’avril à octobre 1446 : Alfonso Ferrandez de Rezes, alcalde de la Maison du roi de Navarre, les Basques Pedro de Villero, Lope de Cumaya, Johan Ferrandiz. La course valencienne reste présente par l’intermédiaire de Luis Amoros d’Oriola et de Johan Segura64. L’année 1449 marque un progrès sur le marché des prises où les enchères de captifs et de marchandises atteignent 19.084 sous. On retrouve parmi les corsaires Francesch Puigvert d’Alicante, un charpentier, Jacme Lombart, associé à Gabriel Andreu, le capitaine d’une caravelle portugaise : Pere Dolivera65. A partir des provisions de Castell de la Torre, du 22 septembre 1449, les autorités royales veulent mettre un frein aux armements illégaux, réalisés sans licence et sans caution. Au lieu de favoriser les petits armements, comme auparavant on l’avait fait, les contrôles deviennent plus étroits, les cautions exigées plus élevées, pour laisser finalement le champ libre à la course sur une grande échelle, en rejetant vers la piraterie les petits armateurs.
21Avec la fin des entreprises guerrières d’Alphonse V, les cités de la confédération aragonaise commencent à nouveau à créer des galères de garde le long des côtes ; désormais, les corsaires qui étaient au service du roi vont reprendre la guerre de course traditionnelle contre l’Islam qu’ils n’ont jamais cessé de mener d’ailleurs. La course subit une nouvelle éclipse lorsque, le 28 août 1457, la provision royale de Torre Octava interdit à tous les officiers royaux d’accorder des « sauf-conduits »« aux corsaires et aux pirates », pour venir faire l’encan de leurs prises. Il faut attendre la période de guerre contre Barcelone, entre 1462-1472, pour que la course reprenne vigueur contre les ennemis de Jean II et contre l’Islam. On voit à nouveau des prises affluer sur le marché de Valence et d’Alicante. Les mises à l’encan donnent lieu parfois à des plaintes significatives. La galiote de Jacme Pasqual d’Alicante et le brigantin du notaire Johan Rull de Valence, tous deux armés en course, prennent le « laut du marin valencien Pere Sabent » qui transportait, entre One et Alméria, quatorze marchands maures d’Almeria et de Valence. Les deux corsaires se font adjuger de bonne guerre les Maures à Alicante, après avoir contraint le marchand de Valence Johan Marques, qui était à bord du « laut », à dire que les Maures n’étaient pas sujets aragonais, ni alliés de l’Aragon66. Finalement, à la requête des musulmans valenciens, le roi ordonne de faire restituer les prises et de libérer les captifs, le 12 juillet 1463, huit mois après l’incident. La course contre les Catalans rebelles et leurs alliés va ajouter à la course traditionnelle contre l’Islam le butin pris sur les navires neutres. Au cours du mois d’août 1465, une caravelle portugaise est arraisonnée dans les mers d’Oliva alors qu’elle venait de porter des victuailles à Barcelone. Quelques Catalans, qui se trouvaient à bord, sont pris et jetés en prison ; leurs marchandises sont adjugées au marchand Johan Pasqual67. Quelque temps plus tard, on saisit à bord de la nau vénitienne « Bemba » 7 balles de fil de Flandres que l’on confisque comme biens de rebelles. Au cours des années 1467, 1468, 1469, des cargaisons de poissons salés, destinés à ravitailler les rebelles, subissent le même sort, à l’issue du droit de visite que l’on exerce à bord de bateaux vénitiens ou basques. A la suite des protestations des neutres, la royauté est amenée à préciser sa position, en renouvelant les interdictions de ravitailler le territoire catalan. Les neutres : Génois, Castillans, Vénitiens, Florentins ou toute autre nation doivent donner les assurances de ne pas porter leurs marchandises à « terres stants en rebellions ». En juillet 1468, le roi demande une enquête à propos d’une cargaison de thons qui est venue grossir le marché des prises d’Alicante. D’après leurs propriétaires, les marchands Johan de Covarrubias et le Génois Berto Imperial, les poissons ont été chargés à Sanlucar de Barrameda sur le navire de Johan de Execa. Elles ne sont pas destinées à Barcelone mais à Savone ; par conséquent, elles ne peuvent pas être confisquées et adjugées de bonne guerre. Le roi donne mission au Bailli général de Valence, Honorat Mercader, de tirer l’affaire au clair68. Les litiges deviennent si nombreux que l’on finit par organiser un courant de trafic vers Barcelone, en octroyant des licences et en obligeant leurs détenteurs à déclarer les marchandises destinées aux Catalans dans quatre ports : Tarragone, Majorque, Tortosa, Valence69.
22Avec la cessation des hostilités, en 1472, le marché des prises est alimenté à nouveau par la course traditionnelle contre les Maures ; mais les comptes du droit de quint nous font défaut pour mesurer leur valeur. Nous pouvons affirmer néanmoins que la bourgeoisie urbaine continue à s’intéresser à la course qu’elle commandite en association avec les marins du Grau. L’exemple le plus typique est celui du notaire Johan Rull qui obtient, de 1462 à 1477, 16 licences d’armements en course. Il commandite tour à tour les marins Pedro de Noverguas, Johan Bellvis et l’acconier Alfonso de Cordova. A partir de 1475, Altubello de Centelles est commandité par l’armurier Miquel Bosquers, Johan Seguer, le marchand Jacme Eximeno. L’interdiction royale d’armer des navires sans autorisation, le versement d’une garantie, fixée à 2.000 florins d’or, semblent avoir ralenti les activités corsaires. Même si le seuil des 2.000 florins n’est pas respecté par la suite, les licences d’armement en course deviennent plus rares, à l’exception de celles octroyées à la galiote de 13 bancs « Santa Ana » et à l’embarcation de 13 rames du laboureur Johan Seriol et de l’acconier Sancho de Torsios qu’ils se garantissent mutuellement pour 500 florins, en juin 1483, tandis que le noble Altubello de Centelles arme son brigantin moyennant une caution de 1.000 florins fournie par le marchand Jacme Eximeno. La guerre contre Grenade détourne les corsaires vers d’autres buts ; c’est au service du roi que Johan Carles de Valterra place sa galiote « Nicolana », le 19 mars 1487 ; tandis que le marin Sancho de Torsios, ancien associé du laboureur-corsaire Johan Seriol, prend aussi le chemin de Malaga avec la barque « Sent Jordi », le 21 juin 1487. Le marché des prises, bien alimenté de 1435 à 1445, subit les contrecoups de la cessation des guerres entre puissances chrétiennes et de la reprise du commerce, qui redevient l’activité économique normale. Il se survit néanmoins, dans le cadre de la course contre les musulmans ; ses principaux pourvoyeurs sont les petits corsaires de la région et les étrangers, Portugais, Basques, Castillans, qui forment le monde cosmopolite, bigarré des corsaires. La guerre contre Barcelone alimente pendant une dizaine d’années le marché, relayée par la course contre l’Islam, la guerre de Grenade, de 1481 à 1492.
Représailles et lettres de marque
23Un aspect de la course et de la piraterie, propre au Moyen Age, sur lequel nous allons attirer l’attention, est celui des représailles et des lettres de marque. Michel Fontenay et Alberto Tenenti soulignent leur lente disparition à l’aube de la période moderne70. Ils présentent les représailles « comme le résidu d’une phase caractérisée par la faiblesse du pouvoir central, par la difficulté des arbitrages sur le plan international ». Les représailles sont issues du système de vengeances privées, qui font retomber le poids de la faute sur l’ensemble de la parentèle ; la notion s’étend ensuite aux amis, alliés, puis aux compatriotes eux-mêmes. Cette pratique est encore très répandue dans le domaine maritime car il est facile de s’approprier des navires ou à tout le moins des cargaisons de la nation soumise au principe des représailles. Ce genre de processus, parfaitement arbitraire, entraîne des chocs en retour et des ripostes de la part de ceux qui s’y trouvent soumis. Les abus de cette procédure que l’on retrouve dans la zone atlantique et en Méditerranée occidentale, depuis la confédération aragonaise aux côtes de la Provence et de la Ligurie, vont amener les autorités des différentes nations à chercher à contrôler et à limiter cet usage. Les courants d’échanges s’en trouvaient en effet gravement perturbés, parfois paralysés pendant plusieurs années, en attendant la liquidation du litige71. C’était un moyen rudimentaire, mais expéditif pour les victimes d’obtenir réparation. Peu à peu, on prit l’habitude de mesurer le préjudice subi, de le porter à la connaissance des autorités qui pouvaient intervenir auprès des États ou des souverains dont les sujets étaient mis en cause. Ce n’est que lorsque l’on a pas fait droit à ces légitimes demandes que la lettre de marque est établie, pour une durée et un montant limités, en faveur d’une personne lésée. On échappe cependant à l’application des lettres de marque en faisant passer ses marchandises sous un pavillon étranger, ou sous le couvert d’un marchand d’une autre nation, ou en s’abritant derrière un sauf-conduit, comme celui que l’on accorde régulièrement à Valence aux porteurs de victuailles. Il reste aussi la possibilité aux membres de la nation visée, qui veulent venir s’installer dans les zones où s’exercent les marques, de demander les sauvegardes qui les exemptent de ces dernières72. Michel Mollat montre comment la lettre de marque a ouvert la voie à la course en devenant : « une commission de courir sus sur la mer aux ennemis du roi ». Elle a fait naître en même temps le droit maritime international. C’est à partir du xve siècle surtout que se répand la pratique d’exiger des patrons de navires armés en course de respecter les alliés de la confédération aragonaise, de fournir des cautions et des fidéjusseurs solidaires sur leurs biens l’obligation de passer devant le Bailli pour faire adjuger les prises de bonne guerre et les vendre sur le marché. Le versement du droit de quint au fisc royal permet aussi aux autorités de contrôler plus étroitement les corsaires. Ils font jouer aussi les mesures de rétorsions à l’encontre des récalcitrants, en retirant leurs sauf-conduits aux corsaires, en interdisant de les accueillir dans les ports et de leur fournir des victuailles, en les faisant poursuivre et arraisonner.
24Pendant cette période, à Valence, une série de droits de marques est exigée de plusieurs nations, selon les vicissitudes de la course et de la piraterie ; elles illustrent les remarques générales que nous venons de faire. Le premier droit de marque, dont nous ayons relevé la trace au début du xve siècle, intervient contre des Portugais. En sont victimes deux « barques » patronnées par Jordi Steve et Marti Vasques, habitants de Porto ; on a confisqué leurs embarcations et leurs cargaisons, sur les instances « de certaines personnes du royaume de Valence qui prétendent avoir adjudication de marque contre le roi du Portugal ». Les Portugais, pour leur défense, usent alors de maœuvres dilatoires ; ils font intervenir les Conseillers de Barcelone. Ces derniers, dans une lettre au Bailli de Valence, Nicholau Pujada, dénoncent l’illégalité de ce droit de marque puisque les Portugais apportaient des victuailles à la ville et se trouvaient, par là même, placés sous sa sauvegarde : « car selon les privilèges, toutes personnes, quels que soient sa loi, son état ou condition, s’ils apportent des victuailles à Valence, sont placés sous sauvegarde, avec toutes leurs marchandises, leurs navires, bêtes, familles et biens, qu’ils emportent avec eux, sans exception. Ils sont à l’abri de toutes marques, représailles, obligations et contrats et par conséquent l’exécution de la marque n’aura pas lieu »73. En dépit de cette intervention et des assurances des Catalans, les Portugais durent se soumettre à ce droit déjà ancien qui avait été transmis par le défunt marchand Johan Sarayo à sa fille, devenue épouse de Jacme de Centelles. Cette fille de marchand, en vertu de la « marcha contra sotmes o districtuals del Rey de Portugal », après avoir évoqué l’affaire devant la cour de Consuls de Mer de Valence, obtient l’autorisation d’exercer une marque aux dépens des deux navires, en mars 1409. En général, une marque est concédée jusqu’à concurrence d’une certaine somme représentant les dommages subis. Pour ne pas soumettre les membres d’une nation aux séquestres et saisies arbitraires que nous venons d’évoquer, les Aragonais préfèrent parfois établir une taxe sur les transactions de la nation mise en cause qui s’ajoute ainsi aux prélèvements habituels sur les échanges commerciaux. La marque contre les Castillans, lors de la guerre qui les oppose aux Aragonais, illustre ce processus. En octobre 1425, le Bailli de Valence, Johan Mercader, informe celui d’Alicante que l’on a accordé un droit de marque à trois marchands Valenciens : Bernat Jornet, Antony Parisal Jornet, Daniel Sent Marti, contre « l’illustre Roi de Castille, ses officiers et ses sujets », jusqu’à concurrenc de 3.000 florins, somme à laquelle ont été évaluées les pertes subies. On rassemble cette somme, en imposant un droit de 2 sous par livre (10 %) sur la valeur des marchandises castillanes, s’ajoutant aux droits de péages, leudes, « quema », habituels. En général, les nationaux en butte à ces droits ont deux solutions pour y échapper : ou ils évitent le port qui les prélève, ou ils obtiennent des autorités des sauvegardes pour échapper aux exactions. C’est la première solution qui a été adoptée par la « nau » de Séville, dont il est question dans la lettre de Johan Mercader. Elle vient de Barcelone et a dû venir mouiller à Alicante, par fortune de temps. Elle y tombe sous le coup de la marque contre les Castillans, à laquelle elle échappait, en évitant les côtes du royaume de Valence74. Ces décisions étaient unilatérales, elles entraînaient des réactions identiques dans le camp adverse, tant que l’on aboutissait pas à des règlements amiables ou à des arbitrages débouchant sur des compromis75. Ainsi, en 1440, l’attitude des autorités musulmanes de Malaga, qui ont prononcé des représailles contre les marchands de Majorque résidant à Malaga, amène les marchands de Malaga se rendant à Majorque à être soumis à un traitement identique. Avec prudence, un marchand d’Almeria, Cacim Ballantero demande un sauf-conduit, avant de partir aux Baléares76.
25Progressivement, on arrive à des compromis pour ne pas entraver le commerce ; les autorités royales s’entremettent auprès des particuliers pour obtenir leur renonciation aux droits de représailles ou de marques, tout en leur accordant des compensations des préjudices subis. Lorsque Luis Bou, en janvier 1456, fait mettre sous séquestre les biens des Vénitiens à Valence pour se faire dédommager des 470 livres que lui devaient Leonardo Soranço, Luca Malimpero, Geronimo Foscari, Francisco Venez, partis secrètement, le Bailli de Valence et le consul des Catalans à Venise, Guillem Clement, interviennent pour lui demander de renoncer à ces représailles. On lui concède un tiers du produit du péage sur les Vénitiens, jusqu’à concurrence des 470 livres77. On préférait ainsi à nouveau le système de la taxation ou du prélèvement sur un droit existant à la formule brutale et arbitraire des confiscations de biens78. Michel Mollat a constaté, entre 1450-1456, la même évolution lorsque Charles VII, lors des négociations franco-castillanes, substitue aux représailles habituelles la perception dans tous les ports de France d’une taxe spéciale sur les importations castillanes. Jacques Cœur avait introduit ce système, déjà en pratique, dans les États aragonais, nous l’avons vu, lors de l’instauration de la taxation de 10 % sur le commerce castillan, en 1425. Il avait l’avantage de conserver la responsabilité collective de la nation et d’imposer le principe d’un prélèvement, sur les compatriotes, des coupables en cause. Il permet aussi à l’État ou aux autorités locales de veiller à la régularité de la collecte en se substituant aux plaignants. La taxe ainsi définie pouvait donner lieu à des abus si elle était par la suite affermée en parts négociables, comme le fit précisément Jacques Cœur. Les profits réalisés ainsi parurent si excessifs qu’ils lui seront reprochés, lors de son accusation. Néanmoins, l’évolution vers des solutions de compromis, des négociations n’empêchent pas des résurgences de la violence. En 1476, à la suite du refus du roi de payer une commande de blé faite aux Vénitiens Georgios et Bombos, Venise fait placer sous séquestres tous les biens des Valenciens présents : Matheu Castell, Nicholau Vernegal, Pere Gil. La réaction aragonaise ne se fait pas attendre : le 6 novembre 1476, le roi, alors à Saragosse, fait confisquer les biens du consul vénitien à Valence, Anthoni Mari. Le 4 décembre 1476, il fait révoquer tous les sauf-conduits, accordés jusqu’ici aux Vénitiens, « car ils habitent diverses maisons de la ville et sont en grand nombre »79. Encore une fois, une solution brutale avait prévalu, avant que ne s’engagent des négociations.
26Le système de la taxation, que nous évoquions plus haut, alterne avec la lettre de marque, entre 1475 et 1515. La remise en vigueur d’un droit sur les Portugais, alors qu’il était tombé en désuétude, en témoigne. En février 1480, on rappelle qu’un droit sur les Portugais, de 2 sous par livre à l’entrée et de 1 sou par livre à la sortie des marchandises, avait été établi du temps du roi Jean II. Le droit aurait été imposé en 1469, mais le sinistre maritime avait eu lieu en 1462, lorsque la caravelle de Daniel Valleriola avait été capturée par trois navires portugais, au large d’One. Le droit contre les Portugais est recueilli à partir de 1469 par l’héritier de Daniel, Gaspar Valleriola, et par Pere Barcelo. Ce droit par la suite s’est éteint, car les Portugais ont déserté les côtes du fait du droit et de la guerre qui les opposait aux Aragonais. C’est à la mort de Gaspar Valleriola que son fils, Enrich Valleriola, maître en médecine, présente une requête pour continuer la collecte. Nous trouvons la trace de son prélèvement par la suite jusqu’en 1515. En janvier 1487, Pere Manyes, marchand, trésorier et collecteur du droit portugais, demande aux Baillis des villes de Xavea et de Denia de le faire prélever sur une caravelle portugaise, chargée de poissons salés et de diverses marchandises. Au début du xvie siècle, le droit portugais continue à être perçu80. C’est à nouveau la formule de la lettre de marque qui a été préférée à la taxation, au cours des années 1490, pour dédommager un marchand d’Alicante, Gaspar Batle, victime des Français. Contrairement à ce qui se produit avec le droit portugais, cette mesure est atténuée grâce à l’obtention de sauf-conduits qui permettent aux Français d’affluer à Valence et dans sa région, sans avoir à redouter les effets de la marque sur leurs personnes et sur leurs biens. La plupart des sauvegardes concerne des marchands demeurant à Valence, en 1491-1492, comme Thomas Johan et ses quatre facteurs, Marçal Tortran et son aide Marcet. Certains sont accueillis à la demande d’Uguet de Lille, ainsi Johan lo Ros, Guillem de La Mara, Andreu Cotart, marchands du royaume de France. D’autres sauf-conduits protègent ceux qui ont effectué le voyage terrestre pour commercer, comme Johan Brull de Carcassonne, Johan de Cambray, Johan Griges, Johan Darlingua, Johan Duduhet, Ordenet Billart, marchands de Rouen81. En septembre 1492, Johan Adus, Claudo de Futs arrivent dans les mêmes conditions à Valence, tandis que le Bailli, selon la formule consacrée, « guide la personne et les biens » de Ferry Rafin, Anthony Bastuny, marchands d’Avignon, avec Johan Arnier et son serviteur Rostany. Les uns sont venus par mer, en s’embarquant à Marseille ; les autres ont pris le chemin terrestre « venguts per terra mercantivolment ». Le courant se ralentit quelque peu en 1493-1494, mais des marchands d’Avignon continuent à affluer, entre autres Anthon de Gostati, Johan Arnier, accompagnés de Guillem Perroti, puis de Thomas lo Sage. Aux sauf-conduits individuels s’ajoutent les sauvegardes aux navires français, inaugurées par la nef « Sent Blay », patronnée par Honorat Forbin, de Marseille. Ces protections individuelles vont se prolonger de 1496 à 1504 ; en mai 1496, en faveur de marchands d’Albi : Guinot Rascas, Philip de Nabais. En novembre 1500, le marchand de Perpignan Carles Salvador, venu de Denia sur la barque de Rodrigo Genoves, dispose d’une protection de 15 jours. En revanche, en juillet 1502, le marchand de Narbonne Johan Demas, ses facteurs Guiart Roger et Pere Bertran peuvent s’installer en toute quiétude, « pour habiter le royaume de Valence ». En juin 1504, Anthoni Starlier et Jaume Casaderes d’Albi arrivent dans le même but82. Néanmoins, à partir de la guerre avec la France, les relations que la marque accordée à Gaspar Batle n’avait pu altérer vont se détériorer ; la détention des navires de cette nation et le bannissement des Français vont amener à nouveau le règne de la violence83.
27Il faut signaler cependant que, dès 1508, pour obvier à l’abus des représailles, Ferdinand le Catholique avait proposé à Louis XII d’instaurer des commissions mixtes « pour la liquidation des prises par voie de compensation »84. Ces prises sont effectuées sur mer par des corsaires à l’encontre de navires catalans, ou sur des navires neutres, en mer ou dans les ports, à la suite du droit de visite. Évaluer la valeur des marchandises et des biens saisis s’avère difficile car les indications restent éparses. Il peut s’agir de prises dérisoires, comme ces 1.320 sous de marchandises confisquées à un juif portugais, Mardoxeu Abencecristo, accusé d’avoir « ravitaillé Barcelone » ou ces balles de fil de Flandres vendues pour 1.042 sous, trouvées sur la nef vénitienne « Bemba ». Les prises de victuailles sont plus importantes car il s’agit alors de cargaisons, non plus de quelques paquets de marchandises. Johan Solanes et Luis de Sentangel rachètent ainsi pour 22.800 sous de poissons salés qui ont été mis sous séquestre par les officiers royaux, après leur capture en mer. On sait, par ailleurs, que le gouvernement d’Ibiza fait saisir, dans des conditions analogues, 361 barils de thons sur un navire galicien accusé de ravitailler Barcelone. A l’automne 1469, on vend à Alicante pour 20.000 sous de thons salés au marchand Pere Johan de Vernegal, après leur saisie sur la nef du Basque Johan Ochoa de Zumaya, malgré les dénégations des Génois Cristofol Regina et Cebria de Mar qui affirment que les marchandises ne sont pas destinées à la Catalogne85. On voit combien il est difficile de mesurer les gains réalisés par les corsaires, que ce soit dans le cadre de la course contre les musulmans ou contre les puissances chrétiennes ; les données sont rares, éparses, et ne peuvent pas donner une vue d’ensemble de la valeur des prises. A ces difficultés s’ajoutent les fraudes des corsaires qui cherchent avec les intermédiaires locaux à échapper au versement des droits de quint, qui implique aussi le passage devant les autorités du bailliage pour vérifier le bien-fondé des prises et les faires adjuger de bonne guerre. Pendant la guerre contre les Catalans, les officiers du bailliage se plaignent de voir se multiplier les ventes illicites et sans licence dans les régions montagneuses du Sud, plus difficilement contrôlables, où les corsaires ont dû disposer d’un réseau d’intermédiaires et de revendeurs qui permettaient d’écouler les prises sans passer sous le contrôle des autorités. On donne une commission à Johan Domingo, huissier de la cour du Bailli, en 1469, pour aller enquêter sur place. La lettre de commission précise « qu’il est notoire que maintes personnes castillanes et autres, chaque jour, apportent au présent règne maintes têtes de captifs, blancs comme nègres, de Guinée et de Berbérie, et d’autres nations qu’ils vendent secrètement et sans licence du Bailli... ». Elle mentionne un certain Diego Suares d’Elche qui aurait vendu à Cocentayna trois nègres clandestinement et n’en serait pas à son premier coup d’essai86. Les captifs, acheminés par des réseaux spécialisés dans l’écoulement des prises, sont vendus vers les villes de l’intérieur, à Cocentayna, Alcoy. Cette région montagneuse a toujours été l’endroit le moins surveillé, le plus propice à la contrebande des biens et des hommes, par où s’acheminent les musulmans du royaume de Valence qui veulent gagner le royaume de Grenade par voie terrestre. Impuissantes, les autorités ont beau menacer les coupables en les condamnant à subir la confiscation des prises, l’annulation des ventes, le trafic se poursuit. Le Bailli, dix ans plus tard, en 1480, se plaint encore du trafic clandestin qui s’est développé à Jativa, Alcira et « dans d’autres lieux et villes du présent royaume ; il est le fait de quelques-uns qui amènent des captifs, hommes et femmes du royaume de Castille et du royaume du Portugal, qu’il vendent sans les manifester à notre cour... »87. Le fructueux commerce des captifs, vendus clandestinement dans les villes de l’arrière-pays d’Alicante et de Villajoyosa, dans le massif de la Carrasqueta, de Cocentayna à Jijona, en passant par Alcoy, continue au début du xvie siècle. Les marché du Sud en effet, à mi-chemin entre les ports de la côte et la zone frontière avec la Castille, située autour de Biar-Villena, constituent le lieu de passage par où se négocient et transitent les captifs. Une lettre du Bailli de Valence à celui de Jijona, en 1516, dénonce toujours les ventes clandestines de noirs, à Jijona et Alcoy88. Les autorités ont été impuissantes à endiguer l’hémorragie des prises qui s’effectuait vers l’intérieur et échappait à leur contrôle, nous laissant par là même dans l’ignorance du volume de ce trafic et de sa valeur.
La protection de la côte : les navires de garde de la ville l’envoi de courriers, la surveillance a terre
28Pour se prémunir des effets de la course adverse, la cité de Valence doit consentir un effort nàval et financier, afin d’assurer la police de ses mers et la protection de la côte.
Les navires de garde de la ville.
29Le plus simple moyen de dissuasion contre des corsaires reste encore l’armement de quelques navires de garde, dont la mission est d’encadrer et d’escorter les navires marchands. Ces derniers adoptent en général la navigation en convois pour éviter les dangers de la navigation isolée ; les navires de garde vont attendre les convois marchands aux endroits réputés dangereux, comme le cap de la Nao ou celui de Gata, propice aux embuscades des corsaires. La mission défensive et dissuasive des navires de garde s’accompagne d’une mission offensive qui peut les amener, au cours de leurs patrouilles en mer si l’occasion se présente, à poursuivre et à arraisonner les navires suspects. Voici quelques exemples qui illustrent cette démarche ; en décembre 1413, devant les menaces et les pertes que font courir au commerce les baleiniers de Carthagène, la cité arme deux « nefs ». Les frais d’armement de la première sont à la charge de la ville, alors que les marchands assument les frais d’armement de la seconde. On leur assigne l’objectif de capturer les baleiniers pour les mettre hors d’état de nuire et dédommager les marchands des pertes subies89. Par la suite, le Conseil de la cité décide d’augmenter les effectifs de la flotte de « garde » pour les porter à trois ou quatre navires : « afin de défendre les mers du Roi des " malfatans, cossaris, pirates e altres " ». Pour financer l’opération, la cité doit recourir à la création d’une nouvelle taxe sur la sortie des laines à destination de « la Berbérie et de l’Espagne », par mer et par terre. Elle est calculée selon la valeur ou la quantité de laine commercialisée, soit un droit de 6 deniers par arrove de laine et de 6 deniers par livre (2,5 %)90. Ces armements coûteux n’ont qu’une durée éphémère et ponctuelle pour quelques mois au plus. Pratiquement chaque année, à la suite des plaintes des particuliers, des harcèlements contre les navires porteurs de victailles, la cité fait armer un ou deux navires pour un mois ; elle contrôle la mission en nommant capitaine un des jurats91. Quand le besoin s’en fait sentir et que l’on veut connaître les intentions de l’adversaire, on n’hésite pas à envoyer un courrier volant « correu volant » pour s’informer sur place, auprès d’indicateurs. Devant le risque que fait courir aux navires marchands une galiote de Carthagène, on envoie à deux indicateurs, Guillem Cardona et Bernat Jonet, un courrier volant pour leur demander : « ... si la galiote est sur le point de sortir de Carthagène, à combien de marins s’élève l’équipage, si elle est armée et de quelle manière, afin de détruire et d’exterminer le corsaire, pour pacifier les mers, faire honneur à la cité »92.
30Bien que Carthagène soit un repaire de corsaires qui écument systématiquement les eaux Valenciennes, les autorités de Carthagène collaborent régulièrement avec celles de Valence, ne serait-ce que pour intervenir pour arbitrer les litiges, en cas de rachat des prises et rançons diverses. Les « regidors » de Carthagène, en mars 1420, dans une lettre transmise par voie maritime, avisent les jurats de la venue d’un corsaire vers leurs côtes. A la suite de cette nouvelle, la cité décide de consacrer 5.000 florins à l’armement d’un navire de guerre. Pour financer l’opération, on a recours cette fois à la vente de cens portant intérêts, gagés sur les biens de la ville, jusqu’à concurrence de cette somme93. On assortit cette mesure d’un colloque, tenu le 8 mars 1420, en l’église Santa Maria del Grau, auquel participent les jurats, pour envisager d’autres armements contre les corsaires afin « d’assurer la garde et la sécurité des mers ». A son issue, comme une grosse nef marchande de Tristany Johan doit partir, ils louent les services de la nef vénitienne de Luch Valero pour l’accompagner. Ils remettent au patron 300 florins, à la suite de quoi : « Luch Valero prêta sacrement et hommage entre les mains de l’honorable Tristany Johan, de lui faire compagnie, de le suivre et d’être à son commandement loyalement »94. A la même époque, les relations avec Gênes deviennent difficiles, les opérations belliqueuses d’Alphonse V obligent la cité à prendre des mesures de sécurité qui s’étendent à toute la côte. Il ne s’agit plus de pourchasser quelques corsaires mais de participer à l’effort de guerre95. Pour être au courant des mouvements de la flotte royale et de l’évolution des opérations, on arme une barque, ou « rampi », qui sert à la cité de « courrier volant ». On fortifie sommairement la plage du Grau en la renforçant avec des palissades. Pour recueillir des informations sur les intentions de l’ennemi, on envoie des « explorateurs par mer et par terre », informateurs, espions à la solde de la cité, recrutés dans les milieux marchands et celui des gens de mer, suffisamment anodins pour passer inaperçus. La guerre navale soutenue par le Magnanime réclame la contribution de la cité. Valence s’associe à l’effort de guerre aragonais en fournissant à la flotte royale une galère, lors du siège de Bonifacio. Elle envoie à nouveau une nef, patronnée par Manuel Suau, en janvier 1421, à la demande pressante de la reine Marie, quand la nouvelle de la venue de neuf nefs génoises pour secourir Bonifacio met en péril les assiégeants96. La contribution Valencienne à la guerre amène le Conseil à mettre en chantier cinq galères, destinées au service du roi, à l’exception de l’une d’entre elles, réservée à la protection de la côte. Ce dernier objectif était devenu difficile à assurer dans la mesure où tous les navires disponibles s’étaient portés au secours du roi. Pour assurer son ravitaillement, éviter que les barques chargées de victuailles ne soient interceptées par les corsaires, la ville participe à l’achat d’une grande nef que le marchand Jofre de Meyans fait construire sur les chantiers galiciens de Noya. Sa participation au navire est acquise pour 13.000 florins et s’élève à un demi-quart ou deux « setzenes ». Le menace génoise s’étend jusque là-bas, puisqu’on mai 1421 la nouvelle se répand que les Génois vont aller brûler la nef et il faut envoyer deux courriers à Noya pour prévenir Jofre de Meyans. La cité, pour parer au plus pressé, en attendant que s’achèvent les constructions des galères et de la grand nef, loue les services de patrons de navires, comme le Galicien Johan Dossera qui loue sa nef à la ville pour une durée d’un mois et la somme de 320 florins. On s’engage à lui rembourser le prix de son navire « si par aventure la dite nef, lors de ce voyage, se perd par incendie ou par combat ». Avec vingt-sept hommes d’équipage, il s’engage à servir loyalement sous le commandement du capitaine Jacme Tolsa. Berthomeu Johan de Denia nolise pour la même durée son baleinier Sent Jordi et Santa Margarita, pour la somme de 200 florins. Pendant cette période difficile, la menace de la course musulmane s’ajoute aux périls de la guerre ; la galiote de Cardona est capturée par deux galiotes de Tanger et d’Almeria97.
31La ville, par la suite, multiplie les missions d’exploration en mer et le long des côtes. Dès que la nouvelle de la venue de flottes génoises ou de navires musulmans se précise, la cité s’empresse de prévenir les villes de la côte et les autres membres de la confédération aragonaise. Dans certains cas, comme en mai 1421, elle envoie un « laut » à Majorque pour les prévenir de l’arrivée de corsaires génois. Pour se prémunir de ce danger, la ville finance la construction de tours de guet sur le littoral, comme celle qu’elle envisage, en juin 1428, au cap d’Oropesa, afin d’éviter toute tentative de débarquement dans cette zone particulièrement vulnérable au cours des années précédentes : « où en temps passé ont été faits de grands dommages et capurés maints chrétiens, par des maures infidèles de Berbérie, avec leurs " fustes » armées ʺ98. La nouvelle de l’arrivée de vingt-deux « fustes » musulmanes, en octobre 1428, incite le Conseil de la cité à faire activer les constructions de tours de guet et à donner tout pouvoir au syndic Francesch Royals pour effectuer les dépenses nécessaires à cette fin. Chaque annonce d’une flotte corsaire musulmane ou chrétienne déclenche l’alerte à terre. On dépêche des émissaires à travers la région pour aviser les lieux maritimes et leur demander de se préparer à se défendre. Au Grau et dans chaque port, on dresse des palissades et des barrières pour mettre à l’abri les barques des marins et des pêcheurs, qui sont tirées à terre. On accumule dans les arsenaux maritimes de la poudre et des pierres. Le 13 août 1430, l’annonce de l’arrivée de la flotte castillane provoque l’envoi d’un courrier au roi pour qu’il veille à la défense de Cullera, d’Alicante et de Javea. Des soldats partent de Valence, en cheminant le long de la côte, pour aller garder une nef à Vinaroz et surveiller la côte99. A Valence même, le « campanar nou », le Miguelete de la cathédrale qui vient d’être achevé, sert de tour de guet pour scruter l’horizon et prévenir tout débarquement. Entre 1430 et 1440, lorsque la ville doit faire face aux entreprises des corsaires musulmans et chrétiens et à la guerre maritime contre les Génois et les Provençaux, on délègue des guetteurs de jour et de nuit au sommet du Miguelete. La nuit, lorsque le temps est clair, on correspond avec les autres tours de guet de la côte par l’intermédiaire de signaux de fumée. C’est ainsi que Jacme Tamarit et Johan Garcia demeurent six nuits de suite au sommet du Miguelete afin de prévenir tout danger de débarquement100. Tous ces efforts que l’on déploie à terre complètent ceux des navires de garde, appartenant à la cité ou nolisés au mois auprès de particuliers. Pour les rendre plus efficaces, la reine Marie, régente du royaume, coordonne les forces maritimes du Principat de Catalogne avec celles de Valence et de Majorque. Aux flottes génoises et provençales, au printemps 1437, on oppose une flotte aragonaise pour protéger les côtes, composée de trois galères de Barcelone, deux de Valence, une de Majorque. Toutes ces mesures de protection à terre et sur mer n’empêchent pas les effets de surprise lorsque la surveillance se relâche et que l’étendue de la façade maritime ne permet pas un contrôle efficace de tous les points du littoral. Même au Grau, l’ennemi arrive à s’infiltrer, comme le 7 mai 1437 lorsque des Génois réussirent à incendier la caravelle de Trullols101.
32La solidarité joue entre les membres de la confédération aragonaise à ces occasions ; les gens d’Ibiza préviennent ceux de Valence de l’arrivée d’une flotte de cinq nefs génoises, repérée près du cap de Creus, afin qu’ils mettent en alerte les zones maritimes du littoral, qu’ils postent des guetteurs au sommet des tours de vigie et qu’ils prémunissent les ports d’éventuelles exactions en tirant les embarcations à terre ou en faisant garder par des hommes d’armes les grosses nefs102. Lorsqu’une galère et une galiote d’origine inconnue mettent à sac des maisons dans l’île d’Ibiza, les Valenciens en sont aussitôt avisés grâce à la lettre que leur font parvenir les jurats d’Ibiza par le patron de « laut » Thomas Castillo .103 Le meilleur moyen de combattre les corsaires à terre, c’est encore de les priver de ravitaillement. Une telle mesure intervient surtout lorsqu’il s’agit de quelques corsaires dont on sait qu’ils jouissent de relais et de complicités dans la région des petits ports du Sud. Une telle situation survient par exemple en février 1447 lorsque trois corsaires : Caries Vallterra de Valence, Pere Vidal de Séville, Johan Roig de Barcelone se mettent à écumer les mers d’Alicante en interceptant les navires porteurs de victuailles. La cité ne dispose pas alors de navires de garde, nécessaires afin de faire la police en mer ; il faut envoyer Bernat Lorenç à Ibiza pour « noliser les fustes ». En attendant, le Bailli de Valence dépêche par voie terrestre Johan Navarra jusqu’à Alicante pour qu’il dénonce les trois corsaires et interdise « aux villes de la côte de leur accorder tout ravitaillement ». On négocie néanmoins avec les « pirates » pour racheter « le poisson, les cuirs de bœufs et autres victuailles qu’ils ont prises aux marchands »104. Malgré toutes ces mesures, les corsaires continuent à opérer dans cette zone ; au cours de l’été, un corsaire de Catalogne s’empare d’une nef Valencienne ; il opère avec d’autres « fustes armades ». Il faut à nouveau réunir une flotte contre ces corsaires et renouveler les proclamations contre eux, dans les lieux maritime105. Comme aux déprédations des corsaires chrétiens s’ajoutent les dangers d’éventuels débarquements musulmans, pour faire bonne mesure le Conseil de Valence décide de poster des gardes au château de Benidorm, ainsi que dans la petite île de Las Penas del Arabi, située entre la Punta de la Escaleta et la Punta Bombarda. On peut y voir venir les flottes ennemies qui se dirigent vers les mers de Villajoyosa, Benidorm, Altea, Calpe. Plus au Nord, on poste des veilleurs au cap de Moraira, entre le Peñon de Ifach et le Cabo de la Nao. Tous ces gardes, postés aux endroits stratégiques, doivent pallier à la menace corsaire et aux surprises d’un débarquement musulman, toujours redouté106.
33Ces dangers ne sont pas imaginaires puisqu’au printemps 1448 le patron de « laut » Jacme Spareguera apporte à Valence une lettre des jurats d’Ibiza qui déplore la capture de cinq hommes, à Formentera, par deux navires maures. Parfois, les avis ne parviennent pas à temps ; l’effet de surprise est alors total pour les défenseurs à terre. Les attaques les plus imprévisibles ont lieu la nuit ; ainsi, en août 1448, une galère et un baleinier de Provençaux attaquent le Grau. Ils réussissent à capturer une nef, avec sa cargaison, prête à partir pour l’Italie, et à en brûler une autre qui se trouvait là. Pour éviter un nouveau désastre, lorsque les Provençaux, en octobre, reviennent vers le littoral valencien, on protège le Grau et l’on dépêche de nouveaux courriers terrestres et maritimes pour mettre les ports et les villes en état d’alerte107. Les messagers en provenance des îles, bien placées pour surveiller les mouvements de navires divers, sont les meilleurs informateurs du Conseil de la ville et leurs plus précieux auxiliaires. Délégués par les gouverneurs et les jurats d’Ibiza ou de Majorque, ils indiquent non seulement quelle est l’importance des forces dont disposent les corsaires, mais aussi quelles sont leur position, leurs intentions. On signale les « fustes de Pereço dans l’île d’Ibiza, il s’est emparé de la galère ʺ den Clusa ʺ et semble vouloir venir le long des côtes Valenciennes », où les galères du gouverneur et de Johan Bertran, chargées de marchandises, sont des proies tentantes108. A la suite de ces avis, des émissaires terrestres alertent les villes de la côte où les autorités publiques font procéder à des proclamations, dans les rues et sur les places, par des crieurs publics aux sons de timbales et de tambours pour prévenir les populations. Dans certains cas, on délègue un huissier du Conseil de la cité, comme Pere Agosti, le 22 mai 1455, pour aller : « en certaines villes et lieux de la dite côte, contre le noble Don Pere Ramon de Moncada et sa nef, à la suite des dommages et exactions qu’il a commis sur la côte, avec la dite nef »109. Ces efforts ne sont pas toujours couronnés de succès puisque, le 13 juillet 1455, le Bailli de Valence reçoit une plainte de Marti Bueno Daquendo, facteur de Pero Diaz de Areço, « alcalde de Burgos », dont la nef et les marchandises viennent d’être victimes des déprédations du corsaire valencien110. Si l’action de la cité s’avère insuffisante, il faut faire appel au roi pour que justice soit rendue et l’affaire passe du domaine des particuliers à celui du règlement des litiges entre États, par l’intermédiaire d’arbitrages. Parfois, les membres de la confédération eux-mêmes n’obtiennent pas gain de cause lorsque les sinistres maritimes ont été le fait des propres galères de l’escadre royale, commandées par Vilamari. A plusieurs reprises, lors de la guerre contre Barcelone, en dépit des lettres de protestations du Bailli Berenguer Mercader adressées au roi et à la reine, la galiote de Johan Rossel, puis la galère de Galceran de Requesens sont victimes de l’escadre royale, dans les eaux de Denia111.
Poids de la protection.
34L’effort financier nécessaire pour assurer la protection de la côte et du commerce incombe à la cité, il s’avère fort lourd. Si les dépenses effectuées pour le nolis de barques porteuses de lettres, ou pour l’envoi de courriers terrestres oscillent autour d’une dizaine ou d’une quarantaine de livres, il en va tout autrement pour armer une flotte. Les frais sont relativement modérés quand on mobilise des navires pour une courte durée, comme ce fut le cas en juin 1452. La cité nolise trois « lauts », « den Tarrago, Prunyonosa et Johan », avec les capitaines, patrons et compagnies, pour une somme de 96 livres 17 sous 11 deniers. Ils ont été armés par les jurats pour se rendre à Guardamar del Segura, afin d’arraisonner deux « lauts » appartenant au chevalier Johanot de Thous, corsaire accusé de : « causer des dommages et rançonner les gens de Valence et les sujets du roi en capturant leurs navires, leurs marchandises et leurs biens »112. Il en va autrement lorsqu’il s’agit de mettre en chantier dans les arsenaux des galères de garde neuves ; on est alors obligé de recourir à des recettes extraordinaires en faisant appel à l’emprunt sous forme de cens gagés sur les biens de la cité, ou en utilisant des taxes sur le commerce. Rambau de Cruylles propose ainsi en Conseil d’utiliser une galée neuve, qui se trouve alors dans les arsenaux du Grau, pour en faire la galère de garde de la ville. Il faut imposer 2.000 livres de cens pour son armement ; on instaure en même temps un droit d’un denier par livre sur toutes les marchandises. Il est réparti par moitié, à la charge du vendeur et de l’acheteur ; sa durée de perception est limitée à la période d’activité de la galère, dont la mission est de garder les côtes du royaume de Valence et d’effectuer éventuellement des voyages commerciaux vers la Berbérie, jusqu’à Alger. Elle peut être affectée aussi au transport de vivres en provenance de la côte. La carrière de la galère de garde de la ville, amorcée à l’automne 1456, se solde par un glorieux succès au départ, puisqu’au printemps 1457 elle réussit à prendre une nef génoise et une autre nef qui voguaient de conserve. Les profits des prises ont été tels que la ville, dès le 4 juin, abolit le droit d’un denier par livre. Cette galère, dont la principale mission consiste à patrouiller le long des côtes afin de poursuivre tout corsaire ou ennemi, est patronnée par des marchands connus pour leurs connaissances de l’art de la navigation, élus tous les deux mois par une assemblée de dix conseillers et de deux jurats. Elle poursuit sa carrière pendant quatre ans, avant d’être donnée au roi, le 11 juillet 1460113.
35A partir de 1462, le Conseil préfère noliser des galères au mois. Pour s’emparer de la galère du Florentin Starrincho, la cité loue les deux galères de Requesens au mois, elle met en vente 600 livres de « censals » pour payer la solde des équipages et les nolis. Le capitaine de l’armada est le chevalier Pere Siscar, auquel le Bailli délivre une lettre de commission « afin de pouvoir poursuivre corsaires et pirates et s’emparer d’eux ». La décision est prise lors du conseil du 4 février 1462 ; il faut attendre trente-deux jours pour que Pere de Siscar réussisse à prendre l’un d’entre eux : messire Pou et sa « galea ». Pour ce haut fait, le conseil lui alloue 75 livres114. Pour protéger les convois de blés destinés à la ville, les conseillers les font accompagner par des « lauts », comme celui de Johan Livello chargé d’accompagner d’Alicante à Valence quatre barques de froment. D’autres interventions sont plus restreintes et se limitent à des missions de reconnaissance, comme celle confiée à Johan de Bellvis, acconier au Grau. Il reçoit 70 sous des jurats pour découvrir « deux galées qui viennent de haute mer et font voie vers le Grau, afin de savoir leur identité et de prévenir les fustes, qui étaient à la plage de la mer de se garder... ». Parfois, les missions deviennent plus dangereuses quand on suit secrètement des corsaires, comme le fit le même Johan de Bellvis, en juillet 1467. Il navigua derrière deux navires corsaires qui avaient volé au Grau deux caravelles, chargées des marchandises des hommes de la ville115. Après ces premiers succès, l’acconier Johan de Bellvis s’associe au notaire Johan Rull, propriétaire d’une « galiota » de vingt-deux bancs ; ils offrent à la ville d’assurer la sécurité des côtes. Le Conseil, après avoir hésité entre l’armement d’une galère aux frais de la cité, les locations de navires au mois, finit par utiliser cette troisième formule, en octroyant aux deux associés une aide de 100 livres en deniers, à laquelle s’ajoute la fourniture de deux quintaux de poudre par les arsenaux116. Désormais, des particuliers arment leurs navires au service de la ville. Les chapitres réalisés entre cette dernière et le notaire Anthoni Ballester, propriétaire d’une « galiota » de vingt bancs, le 12 juin 1472, stipulent que son rayon d’action s’exerce au Nord jusqu’au cap d’Oropesa et de Tortosa, au Sud jusqu’au cap Martin, à Alicante et aux « ultimes parts del Regne de Valencia ». Le terme utilisé est de : « costereiar la costa », longer la côte. La première année, son activité se limite aux mois de juillet-août, elle s’étend l’année suivante à quatre mois, de mai à août117.
36Le Bailli continue par ailleurs à donner des lettres de commission à des capitaines de nefs quand le besoin s’en fait sentir. Marti Lorent, le 22 novembre 1473, reçoit la double tâche de : « cercar los dits pirates e malfaytors, encara fer venir ferments, vitualles e altres vivres per obs de la dita ciutat »118. En cas d’urgence, le Conseil nolise des navires au mois ; quelques jours après avoir cantonné la galiote d’Anthony Ballester à la surveillance de la côte, les conseillers et jurats louent pour 500 livres par mois les deux galères de messire Pujades, remboursables sur un droit de « mercaderia » d’un denier par livre119. Il fallait s’emparer de la galère de Berthomeu Perpinya, passé au service des infidèles, qui faisait alors trembler les flottes et les marchands chrétiens de Berbérie et d’Almeria.
37Toutes ces mesures ont été efficaces, comme l’a fait remarquer Mario del Treppo, et les cours des primes d’assurance ont suivi des oscillations dues à l’intensification de la course et de la piraterie en Méditerranée occidentale. Après avoir connu une première phase de primes élevées, entre 1436-1453, imputables entre autres causes aux tensions politiques et commerciales entre l’Aragon, Gênes et Florence, l’ensemble aragonais traverse une période d’accalmie, de 1454 à 1461. Les primes d’assurance voient leurs taux multipliés par trois, entre 1462-1468, par rapport à l’âge précédent, pour s’abaisser à nouveau, à partir de 1481, et stagner entre 1485-1492120. La fin du conflit avec Barcelone, l’ouverture d’une période de paix amènent une diminution des périls en mer et une baisse des taux d’assurances, qui se fixent autour de 4 à 6,25 %, selon les régions. Les efforts de la royauté pour réglementer la course et endiguer l’usage prvié de la force ont contribué aussi au recul de la course et de la piraterie. Après 1475, d’après les sources que nous avons pu consulter, les cas de piraterie sont assez rares et les autorités réussissent à mettre la main sur ceux qui s’en sont rendu coupables. Lorsqu’en avril 1495 le consul des Vénitiens à Valence dénonce les frères Calbet de Denia, coupables d’avoir pris une « fusta » vénitienne dans les mers de Sicile, le Bailli réussit à faire rendre gorge aux corsaires et à leur imposer une composition de 1.700 sous. Si la menace musulmane est toujours latente, comme en témoigne le débarquement à Cullera d’une flotte maure en août 1503, il faut attendre l’automne 1512 pour retrouver la trace d’actions de piraterie121. La course a par conséquent été un phénomène marginal dans le monde aragonais ; la reprise du commerce, l’ère de paix qui s’amorce à partir de 1475, lui ôtent sa raison d’être. Elle n’en a pas moins profondément imprégné les mentalités collectives des habitants de la côte. Outre la peur du pirate barbaresque, dont on va retrouver les échos dans la littérature du Siècle d’Or, la hantise du débarquement de flottes corsaires continue à orienter les comportements des populations122. Mais comme toujours, la prospérité du commerce du. Levant ibérique va susciter les convoitises des zones plus défavorisées, comme le rappelle Fernand Braudel : « pas de bateaux de commerce, alors pas de corsaires » ; tandis que les Barberousse s’implantent à Alger à partir de 1516, de nouveaux venus vont écumer les mers, parmi lesquels apparaissent Anglais et gens des Pays-Bas123.
Tableau n° 3 La piraterie, à Valence de 1407 à 1490 : d’après la nationalité

Notes de bas de page
1 Course et Piraterie. XVe Colloque international de San Francisco, 1975, Paris, Editions du C.N.R.S.
2 Michel Fontenay et Alberto Tenenti, Course et Piraterie de la fin du Moyen Age au début du XIXe siècle, pp. 78-136. XVe Colloque international de San Francisco, Paris, 1975.
3 Pour les deux années complètes, subsistant à la fin du XVe, le total des entrées de navires est de 565 en 1488, 429 en 1494. Au début du xvie, les sept années complètes entre 1503-1522, nous donnent une moyenne annuelle de 696 navires.
4 F. Braudel, La Méditerranée, op. cit., t. II, pp. 190-212. P. 194 « ... La course est le plus souvent le fait d’une ville agissant de sa propre autorité, pour le moins en marge d’un grand état. »
5 AMV A. 27, fol. 72, 5-12-1412 ; 6-12-1412. A. 27, fol. 197, 2-3-1419.
6 ARV Bailia 1146, fol. 143, 18-11-1424 et fol. 260.
7 ARV Bailia 1148, fol. 311, 7-12-1436.
8 Entre 1440 et 1447, au cours de 13 ventes, ils acquittent 1.138 sous 3 deniers de quint sur 23 captifs : 21 hommes et deux femmes, en juillet 1437 Lope Sanxez de Séville a pris une galiote musulmane avec 54 maures à bord. ARV Bailia 1148, fol. 367, 20-7-1437. – AMV A. 34, fol. 60, 1-3-1448 « ja nengun no volia navegar… ».
9 ARV Bailia 1156, fol. 105, 12-11-1477.
10 Yves Bottineau, Le Portugal et sa vocation maritime : Histoire et civilisation d’une nation, Paris, 1977, pp. 107-125.
11 ARV Bailia 1146, fol. 85, 2-6-1424.
12 Ana Maria Ferreira, « La course et la piraterie entre le Portugal et la France dans la première moitié du xvie siècle : quelques aspects économiques », dans Course et Piraterie. xve Colloque international de San Francisco, op. cit., pp. 188-192.
13 ARV Bailia 1147, fol. 588 , 8-2-1434.
14 ARV Bailia 1149, fol. 103 v°, 104 r°, 1-8-1441.
15 ARV Bailia 1149, fol. 170, 9-3-1442.
16 ARV Bailia 1152, fol. 863, 18-4-1454.
17 ARV Bailia 1153, juillet 1461.
18 ARV Bailia 1153, fol. 320 r°.
19 Ch. E. Dufourcq, « Commerce du Maghreb médiéval avec l’Europe chrétienne et marine musulmane : données communes et problèmes en suspens », Cahier série Histoire, n° 1, Tunis, 1979, pp. 161-192.
20 Brunschvig, La Berbérie orientale sous les Hafsides, Paris, 1974, t. I, pp. 231-253.
21 Andres Gimenez Soler, « La Corona de Aragon y Granada », Boletin de la Real Academia de Buenos Letras de Barcelona III (1905-1906).
22 AMV A. 27, fol. 251, 5-8-1420.
23 AMV A. 27, fol. 314 r°, 10-6-1421.
24 AMV A. 29, fol. 41 r°, 15-10-1428.
25 AMV A. 30, fol. 104 r° v°, 10-9-1434 et AMV A. 30, fol. 101 r°, 1-9-1433.
26 AMV A. 34, fol. 24, 25-8-1447 et ARV MR 62, fol. 347 v°, 5-8-1447.
27 ARV Bailia 1151, fol. 756 r°, 2-7-1453.
28 AMV A. 36, fol. 129, 29-8-1456.
29 F. Braudel, op. cit., La Méditerranée, t. II, p. 203, « La première prodigieuse fortune d’Alger... M. Fontenay, op. cit., pp. 82-83.
30 ARV Bailia 1153, fol. 408 r°.
31 AMV A. 39, fol. 127 r°, 23-6-1472.
32 ARV Bailia 1155, fol. 223 v°, 14-5-1474 et fol. 269 r°, 20-7-147. Michel Fontenay et Alberto Tenenti, Cours et Piraterie, op. cit., p. 82. Selon Ibn Khaldun, la course maghrébine est née à Bougie vers 1360, supplantée par Alger à l’époque moderne.
33 ARV Bailia 1158, fol. 372 r°, 13-2-1487.
34 BNP manuscrit espagnol n° 147, fol. 513-514, 30-8-1503 sur l’épisode de Torreblanca, fol. 154, 1397.
35 AMV A. 27, fol. 299 v°, fol. 314 ; on annonce l’arrivée à Collioure d’une flotte génoise composée de 9 nefs et d’une galère.
36 ARV Bailia 1147, fol. 220 v°, 12-9-1430. Lettre du Bailli aux échevins de Bruges.
37 AMV A. 31, fol. 38, 29-9-1435 et A. 31, fol. 129, 28-9-1436.
38 Mario del Treppo, I Mercanti Catalani e l’espansione della Corona Daragona nel Secolo XV, Naples, 1972, pp. 492-508.
39 AMV A. 34, fol. 121, 18-8-1448, fol. 139, 19-10-1449, fol. 239 v°, 1-10-1449.
40 AMV A. 36, fol. 17 r°. Lettre d’avis des jurats d’Ibiza, fol. 116 v°, 15-9-1458. La dernière incursion provençale a lieu au Grau en juin 1467 : AMV A. 38, fol. 130, 18-6-1467. – Mario del Treppo, op. cit., I Mercanti, p. 508, signale en 1455 la capture du corsaire marseillais Pierre Audinet.
41 Fernand Braudel, La Méditerranée, op. cit., t. II, p. 195, évoque la description de Belon du Mans de ceux qu’il a vus dans l’Archipel.
42 Michel Fontenay et Alberto Tenenti, Course et Piraterie, op. cit., pp. 99-100.
43 ARV Bailia 1146, fol. 265, 1-8-1425.
44 ARV Bailia 1148, fol. 319, 1437.
45 ARV Bailia 1153, fol. 831 v°, 18-8-1466 et AMV A. 38, fol. 183 v°, 23-3-1471.
46 ARV MR 66, fol. 166, 21-11-1448.
47 Fernand Braudel, La Méditerranée, op. cit., t. I, pp. 139-141.
48 ARV Bailia 1148, fol. 144, 3-11-1435.
49 ARV Bailia 1153, fol. 175, 25-6-1461.
50 ARV Bailia 1158, fol. 381, 12-3-1487.
51 ARV Bailia 1163, fol. 310 r°, 21-6-1507.
52 Voir Fernand Braudel, « L’économie de la Méditerranée au xviiie siècle », dans Cahiers de Tunisie (IV), 1956, pp. 175-183.
53 ARV Bailia 1148, fol. 375, 16-7-1437 ; Bailia 1151, fol. 52-53, 22-9-1449 ; Bailia 1152, fol. 1423, 27-1-1458.
54 ARV Bailia 1159, fol. 160 r°, 12-1-1489.
55 ARV Bailia 1146, fol. 281, 27-8-1425.
56 ARV Bailia 1146, 4-5-1424.
57 AMV A. 26, fol. 171, 20-2-1413 et 22-2-1413 ; fol. 259 V°, 12-6-1417 et A. 27, fol 373 30-5-1422.
58 AMV A. 31, fol. 106 v°, 23-6-1436, rappel de la provision de 1427.
59 ARV Bailia 1149, fol. 21 v°, 27-2-1440.
60 ARV Bailia 1147, fol. 288, 21-8-1431. Ils demandent alors des comptes dudit armement contre les Maures.
61 ARV MR 52, 1434, fol. 117, 15-11-1434 et 15-12-1434.
62 ARV MR 56, fol. 149 à 153, 24-3-1440, 1-4-1440, 25-8-1440.
63 ARV MR 57, fol. 163, 5-2-1442 ; fol. 164 r° v° et suivants.
64 ARV MR 60, fol. 162 du 4-1-1445 au 28-6-1445 ; MR 61, fol. 161 du 9-2-1446 au 26-10-1446 ; MR 62, fol. 161 à 163 du 3-7-1447 au 24-12-1447 ; MR 63, fol. 165 r°v° du 20-3-1448 au 29-7-1448.
65 ARV AR 64, fol. 164.
66 ARV Bailia 1153, fol. 293, 26-4-1462 et RC 701, armement du 27-3-1462 « Stat turmentat e forçat dir que les dites robes e moros entre les quais ne havia de vassals notres eren de Moros e enemichs notres.
67 ARV MR 75, fol. 172-173 et fol. 286 r°.
68 ARV Bailia 1154, fol. 256, Saragosse, 16-7-1468.
69 ARV Bailia 1154, fol. 450, 27-9-1469.
70 M. Fontenay et A. Tenenti, Course et Piraterie…, op. cit., pp. 96-97 dans le xve Colloque d’Histoire maritime de San Francisco, 1975.
71 Alberto Tenenti, « Venezia e la pirateria nel Levante (1300-1400) », dans Venezia e il Levante fino al secolo XV, Florence, 1973, pp. 724-738. – Jacques Bernard, op. cit., Navires et Gens de Mer, t. II, pp. 673-674 et 776-781.
72 Michel Mollat, De la piraterie sauvage à la course réglementée (XIVe-XVe siècle), pp. 162-184, dans xve Colloque international d’Histoire maritime de San Francisco.
73 ARV Bailia 1144, fol. 255, 26-2-1409 ; la réponse du bailli de Valence a lieu le 20-3-1409, fol. 257.
74 ARV Bailia 1146, fol. 305 v°, 25-10-1425.
75 Michel Mollat, Le commerce maritime normand à la fin du Moyen Age, Paris, 1952, p. 461, évoque la conférence de Chalon-sur-Saône de 1445 sur le règlement des prises.
76 ARV Bailia 1149, fol. 47, 6-5-1440.
77 ARV Bailia 1152, fol. 1220, 30-1-1456.
78 Michel Mollat, De la piraterie sauvage…, op. cit., p. 170, dans le xve Colloque d’Histoire maritime, 1975.
79 ARV Bailia 1155, fol. 75, 27-11-1476 ; fol. 760, 4-12-1476.
80 ARV Bailia 1156, fol. 716 v°, 9-2-1480 et MR 122, fol. 62 v°, 21-11-1515, son collecteur est alors Baltazar Geroni Pellicer, il s’élève pour 1514-1515 à 2.245 sous 6 deniers.
81 ARV Bailia 1160, fol. 260, fol. 311 v°, fol. 349, fol. 392, fol. 522 v°. Michel Mollat, Le commerce maritime normand, op. cit., p. 185 fait allusion à Jean Du Doit (Johan Duduhet), présent en 1503 devant la justice de Berg op Zoom comme garant d’autres Normands.
82 ARV Bailia 1160, fol. 433, fol. 461, fol. 520, fol. 523, fol. 526, fol. 555, fol. 642, fol. 683, fol. 687, fol. 890, fol. 931 ; Bailia 1161, fol. 272, fol. 318, fol. 593 v°, fol. 621 v° ; Bailia 1162, fol. 104, fol. 327 v°, fol. 571 v°.
83 ARV Bailia 1163, fol. 308, 10-2-1507.
84 Michel Mollat, op. cit., De la piraterie sauvage... dans le xve Colloque d’Histoire maritime de San Francisco, Paris, 1975, pp. 175-176.
85 ARV MR 78, fol. 176 V°, fol. 290 r° ; MR 79, fol. 179.
86 ARV Bailia 1154, fol. 456 v°, fol. 463 v°, 16-11-1469.
87 ARV Bailia 1156, fol. 748 r°, 16-5-1480.
88 ARV Bailia 1166, fol. 519, 31-10-1516.
89 AMV A. 25, fol. 321, 30-12-1413.
90 1 arrove : 12,78 kg.
91 AMV A. 26, fol. 266, 28-8-1417. Elle fait armer un « laut » et une galère un mois, le capitaine est Pere Cabanyelles.
92 AMV A. 27, fol. 72, 6-12-1418.
93 AMV A. 27, fol. 197, 2-3-1420.
94 AMV A. 27, fol. 197 v°, 7-3-1420 et fol. 198 v°, 8-3-1420.
95 C. Costantini, « Aspetti délia politica navale genovese nel Seicento », dans Guerra e commercio nell evoluzione della marina genovese tra XV e XVII secolo, Gênes, 1970, pp. 207-235 aborde ces questions dans l’optique génoise.
96 AMV A. 27, fol. 252 v°, fol. 270 r°, fol. 282 r°.
97 AMV A. 27, fol. 198 v°, fol. 199 r°, fol. 251 r°. Le 5 août 1420 le jurat Manuel de Montagut est envoyé auprès du roi de Grenade pour faire rendre captifs et marchandises de la galiote de Cardona.
98 AMV A. 29, fol. 11 v°, 23-6-1428, fol. 41, 15-10-1428.
99 AMV A. 29, 18-8-1430.
100 AMV A. 30, 10-9-1434.
101 AMV A. 31, fol. 179, 7-5-1437 et A. 32, fol. 35 v°, 22-12-1438.
102 AMV A. 32, fol. 44, 14-4-1442.
103 AMV A. 33, 15-6-1444, « ils avaient saccagé des maisons et emporté du matériel qui s’y trouvait ».
104 AMV A. 33, fol. 273 r° v°, 13-2-1447 et ARV Bailia 1150, fol. 66 , 8-3-1447.
105 AMV A. 34, fol. 15, 3-7-1447.
106 AMV A. 34, fol. 24.
107 AMV A. 34, fol. 62, 5-3-1448, fol. 121, 18-8-1448, fol. 139 r° v°.
108 AMV A. 36, fol. 160 v°, fol. 161 r°, 1-3-1453, on donne 32 florins à Johan Flor, porteur de la lettre d’avis, patron d’Ibiza.
109 AMV A. 35. fol. 192 v°, 22-5-1455.
110 ARV Bailia 1152, fol. 122 v°, 13-7-1455.
111 ARV Bailia 1153, fol. 204, 30-10-1461 ; fol. 262, 23-1-1462 ; Bailia 1154, fol. 30 r°, 1-3-1467.
112 AMV A. 36, fol. 215 v°, fol. 216 r°, 22-6-1452.
113 AMV A. 36, fol. 105 v°, 19-7-1456 ; fol. 116 r°, 3-8-1456 ; fol. 209, r°, 4-6-1457. A. 37, fol. 13 r°, 11-7-1460.
114 AMV A. 37, fol. 125 v°, 4-2-1462 ; fol. 67 r°, 27-5-1463. ARV Bailia 1153, fol. 267, 4-2-1462.
115 AMV A. 38, fol. 146 v°, 4-7-1467.
116 AMV A. 38, fol. 78 r°, 25-8-1469, fol. 103, septembre 1469.
117 AMV A. 39, fol. 118 r°, 12-6-1472.
118 ARV Bailia, fol. 149 v°, 22-11-1473.
119 AMV A. 39, fol. 127 r°, 2-6-1472.
120 Mario del Treppo, I Mercanti Catalani…, pp. 508-520.
121 ARV Bailia 1165, fol. 300 v°, 1512.
122 Voir à ce propos l’ouvrage de G. Fischer, Barbary Legend, War, Trade and Piracy in North Africa (1415-1830), Oxford, 1957.
123 Fernand Braudel, La Méditerranée, t. II, pp. 206-207.
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