Entre marqueurs d’appartenance et négociation identitaire : les noblesses citadines dans l’Italie communale du xiiie siècle
p. 23-37
Texte intégral
1Ils revenaient d’Outremer, bien fatigués ; ils étaient deux, mais n’avaient qu’un âne ; alors que François le chevauchait, frère Léonard en tenait les brides et l’accompagnait à pied. Aussi échiné que son mentor et maître, il ressassait par-devers lui ce qu’il considérait comme une vraie petite injustice, lui qui était né dans le lignage des seigneurs de Sassorosso. Au fond, se disait-il, François n’était que le fils d’un marchand aisé qui, bien que frayant avec le mode de vie et les valeurs nobiliaires, chevaleresques et courtoises, n’en demeurait pas moins éloigné de l’univers aristocratique et seigneurial : Non ludebant de pari parentes huius et mei – « mes parents et les siens ne s’adonnaient pas aux mêmes loisirs (chevaleresques) ». François chevauchait alors que lui-même cheminait : frère Léonard en était tout échaudé, qui n’osait pourtant exprimer son reproche à haute voix. Perdu dans ces pensées, quelle ne fut donc sa surprise de voir le Saint descendre prestement de son âne pour lui laisser sa place. François avait tout compris et s’empressait de lui donner raison : « Non, mon frère, non, il ne convient pas que je chevauche alors que toi, tu vas à pied, car, dans le siècle, tu as été plus noble et plus puissant que moi1 ». Nous imaginons sans peine la chute de ce bref exemplum de sainteté. Après avoir soudainement rougi puis pleuré à chaudes larmes, tout surpris et honteux d’avoir été pris sur le fait, le brave Léonard continuera son périple à pied, non sans avoir humblement demandé le pardon du saint.
2Rédigée par Thomas de Celano pour sa Vita secunda et reprise presque mot à mot, dès les années 1260, par saint Bonaventure et Jacques de Voragine2, cette esquisse nobiliaire sur fond hagiographique nous introduit de plain-pied dans l’univers complexe des élites sociales de l’Italie communale du xiiie siècle. Le premier biographe du poverello d’Assise nous livre ici une version parlante et consensuelle du vocabulaire du prestige et des marqueurs de l’éminence sociale tels qu’ils étaient perçus dans l’Italie des années 1240-1260. Conçues pour de larges audiences de lecteurs et d’auditeurs, les premières vies franciscaines et la Legenda aurea nous présentent ainsi les « fondamentaux » de la distinction sociale du Duecento communal.
3Que nous raconte cette parabole de l’âne et de sa chevauchée ? Tout d’abord que les élites sont à la fois plurielles et clivées. Plurielles, elles s’expriment par des adjectifs comparatifs plutôt que par des substantifs absolus : Léonard serait nobilior, plus noble, et plus puissant, que frère François ; voilà qui laisse entendre que la nobilitas et la puissance se mesurent avant tout par degrés. Le groupe des puissants paraît, donc, sociologiquement et culturellement ouvert, ce qui aide à mieux comprendre pourquoi le fils d’un marchand d’Assise rêvait, dans sa jeunesse, d’idéaux courtois et n’attendait alors qu’une chose : prouver par la pratique ses aptitudes militaires et chevaleresques et ce, avant que de se permettre de chevaucher un âne en laissant un fils de seigneur à ses pieds. Clivées, ces élites le sont néanmoins tout autant : moins noble par héritage que son voisin, l’on ne joue pas – littéralement : ludere – dans la même catégorie que ce dernier et que sa parenté ; de là, la contrariété, aussi visible que muette, de frère Léonard né de Sassorosso qui s’estime lésé de ne pouvoir afficher ni assumer son rang à cheval.
4La production hagiographique franciscaine et mendiante s’adresse à un public qui dépasse de loin les seuls citoyens de l’Italie communale. Ses plus petits dénominateurs communs des élites du siècle sont, par choix, globalement conventionnels : être le plus noble et le plus puissant possible ; avoir des liens préférentiels avec le monde du cheval et de la guerre ; affirmer, par le biais de la courtoisie chevaleresque, un mode de vie distinct des comportements du reste de la société qu’il convient de garder à distance. Dans le langage et le sens commun de l’Italie des cités cela se traduit, entre autres, par l’antagonisme, d’abord militaire et social puis aussi politique, entre la militia/nobilitas et le pedes/populus, des banquiers aux artisans. Typique de tout le xiiie siècle communal, ce schéma binaire est à ce point stéréotypé qu’il peut, à l’époque, être tranquillement repris dans bien d’autres classifications, à l’apparence dénuées de tout intérêt pour des hiérarchisations sociales ou politiques. Jugeons sur pièces : « Nous trouvons aussi, en immense quantité et pendant toute l’année, des châtaignes, les châtaignes communes – populares – et les nobles – nobilles –, appelées marrons, que l’on vend à foison aux citoyens comme aux étrangers3 ». Qu’en écrivant ses De magnalibus Mediolani, Bonvesin della Riva considère tout à fait pertinent, voire banal, d’appliquer aux châtaignes, aliment du pauvre par excellence, la terminologie sociopolitique de la distinction entre nobles et populaires, voilà qui en dit long sur les catégories mentales auxquelles, même à la fin du siècle, tout bon citoyen milanais se réfère presque instinctivement, ébloui, comme il l’est encore, par la légitime supériorité de toute noblesse.
5L’exemplum de François, de Léonard et de leur âne laisse néanmoins entendre que les frontières pouvaient se brouiller et que, dans les années 1250-1260 à tout le moins, aucune barrière rigide n’était là pour empêcher les plus éminents ou les plus énergiques parmi les citoyens « sans ancêtres » d’adopter des comportements qui les placeraient ipso facto parmi les parentèles de puissants aux forts accents militaires et chevaleresques, ainsi que l’aurait fait François en continuant à chevaucher son âne en lieu et place de frère Léonard. Les pages de Thomas de Celano se feraient dès lors l’écho, au milieu du Duecento, d’une dissonance de fond entre la longue durée d’un modèle partagé et l’essor récent de pratiques rénovées.
6Commençons par examiner le modèle partagé, qui renvoie à un prestige social – et jusqu’alors aussi à un pouvoir politique – que l’on ne discute pas et qui demeure intimement lié aux comportements, aux modes de vie, aux cultures et à l’identité même de la noblesse/militia si bien mis en exergue par les Cavaliers et citoyens de Jean-Claude Maire Vigueur4. C’est le monde des nobles, des milites consueti, des chevaliers courtois ainsi que celui des seigneurs ruraux et des magnates. En effet, jusqu’à ce que le mot de « magnat » n’amorce une évolution sémantique qui en fera l’une des plus célèbres pierres de touche de l’exclusion sociopolitique dans la cité, ces magnats se présentaient in primis comme autant de domini ancrés entre ville et contado5.
7Voilà qui signifie que, même dans l’Italie citadine du Duecento, les modèles nobiliaires et chevaleresques d’empreinte seigneuriale et courtoise jouent un rôle essentiel dans la structuration des élites communales. Ne l’oublions pas, car cette prise en compte peut permettre dans la longue durée d’éviter nombre d’oppositions trop manichéennes, d’abord entre le monde urbain et l’univers rural, y compris dans leurs déclinaisons très italiennes de cité et de contado, puis, au sein même de la commune, entre milites et pedites/populares. Une chose me semble pourtant certaine : tout puissant, tout individu désirant être considéré comme tel, ou encore tout auteur qui en brosse le portrait, tend à sélectionner une série de modèles seigneuriaux et chevaleresques consacrés, des modèles qu’il estime susceptibles d’affirmer, de conforter et de légitimer une suprématie sociale et culturelle souvent qualifiée de noblesse et de courtoisie. Pour prétendre participer d’un groupe que l’on voudrait toujours présenter sous ses traits les plus distinctifs et exclusifs, il convient de mettre en avant certains comportements et d’autres aptitudes, quotidiennes et symboliques, que l’on s’efforce de ne pas partager afin de mieux les « garder pour les transmettre6 ». Cela posé, la présence de la cité, dans sa déclinaison communale, change malgré tout la donne, ne serait-ce que par l’autorité rénovée que l’autonomie urbaine confère au politique et à la politique.
8Dans la pratique, cela signifie au moins trois choses. Tout d’abord, l’inversion des rapports de force entre la cité et les territoires ruraux qui l’entourent oblige les élites arrimées au contado à adapter prestement et en profondeur leurs identités sociales et culturelles aux contextes urbains. Il s’agit là d’un processus d’adhésion sociale et culturelle non négligeable qui touche la grande majorité des groupes dominants ruraux, seigneuriaux et châtelains. Ensuite, l’ascendant que certains critères de réussite personnelle et collective prennent en milieu urbain impose de véritables transpositions citadines et communales de modèles nobiliaires jusqu’alors convenus. Je pense, d’une part, à la fascination exercée en ville par la richesse marchande et financière ; je me réfère, d’autre part, à l’attraction que suscitent de véritables cultures professionnelles comme celles du droit et de la parole7, dont la montée en puissance favorise l’essor citadin des carrières juridiques, notariales, politiques et administratives et ce, tant auprès des groupes nobiliaires – de l’ancienne aristocratie consulaire à ses nouveaux ajouts en provenance du contado ou de la marchandise8 – que de l’ensemble des citoyens attirés par les diverses formes d’associations sociopolitiques liées à l’éclosion du populus communal. Prenons le cas de ces nobles urbains toujours conscients, au cœur même du xiiie siècle, de leur originalité sociale. Comment concilier l’apologie courtoise de la largesse et la célébration de leurs fortunes meubles et immeubles ? Comment, sans entrer en religion, allier la noblesse de sang à « la sagesse de son esprit9 », ou encore associer le militaris vir à l’intellectuel urbain ? Osons le pas : dans la cité communale idéale du Duecento, le prestige de la politique et la majesté du politique sont susceptibles d’astreindre les profils nobiliaires à une mue fort révélatrice. La suprématie convenue d’un ethos aristocratique jusqu’alors arrimé, en milieu laïque et aussi urbain, à la noble trinité de la chevalerie, de la seigneurie et de la courtoisie, se découvre un concurrent nouveau et vigoureux. Autant que les compétences militaires, les triomphes politiques peuvent dès lors valoir une réussite aussi tangible que durable au cœur de la cité, ce qui revient à dire que les plus anciens marqueurs de la noblesse, tant citadine que rurale, sont ébranlés, ou du moins corrigés et actualisés.
9Les pratiques rénovées se rassemblent, quant à elles, autour d’une question essentielle, celle de la restructuration de l’espace politique citadin du Duecento. Dans le courant du siècle, des protagonistes nouveaux prennent en effet leur élan, qui entendent contrôler à leur avantage règles et modalités de la reproduction sociale. Il s’agit d’abord de l’invention du podestat et, ensuite, de l’envol du popolo. Ces deux acteurs, podestats et popolo, accompagnent une profonde évolution des marqueurs nobiliaires communaux entre le début du siècle et les années 1280.
10La première moitié du xiiie siècle voit l’essor du podestat au cœur des institutions urbaines10. Parlons alors de ce personnage qui, selon Boncompagno da Signa « resplendit de la noblesse de sa lignée, est brave en armes et savant dans les choses du siècle, prudent et prévoyant dans ses conseils, toujours avisé dans ses négoces, beau, élégant et distingué de sa personne11 ». De qui s’agit-il ? D’Isaac de Dovara, membre éminent d’une des plus puissantes parentés de Crémone, consul en sa cité (en 1196 et en 1207), cinq fois podestat12, et que le rhétoricien de Signa choisit de présenter, dans la somme qu’est son Boncompagnus, sous les traits du destinataire exemplaire d’un formulaire de lettre-requête concernant l’élection d’un podestat étranger à la tête de la cité communale. Quelles sont les qualités premières de ce podestat modèle ? Une noblesse de sang, des aptitudes militaires, ses capacités politiques, un physique du rôle, des compétences professionnelles, sa réputation publique. Au travers d’Isaac et de ses nombreux acolytes podestats nous voyons comment, au cours de la première moitié du Duecento, l’archétype nobiliaire, l’ethos chevaleresque et l’idéal podestatal – un idéal tout à la fois éminemment politique et foncièrement aristocratique – se raccordent comme pour mieux se fondre dans un nouveau paradigme du magistrat noble et du noble magistrat.
11Passons maintenant à un autre portrait, celui que Salimbene de Adam dresse, après coup, d’un Giovanni Barisello campé, à l’aube des années 1250, en grand harangueur de foules et, surtout, en sauveur de la commune de Parme, in primis de sa faction guelfe. Fils de paysans métayers dépendants du puissant lignage des Tebaldi, Barisello était un « tailleur » habitant un humble quartier de la cité. Face au danger qu’Oberto Pallavicino, alors seigneur et podestat de nombreuses cités lombardes, représentait pour sa ville, Giovanni, à force d’agressives déambulations urbaines à la tête d’une troupe de cinq cents hommes armés, arrive à convaincre les puissants citoyens de la pars imperii de se ranger du côté de la pars ecclesie13. Barisello réussit ; Parme guelfe est sauvée du tyran gibelin ; les habitants de la cité veulent récompenser leur nouveau héros. Comment procèdent-ils ? Selon Salimbene, qui place ce passage sous le haut patronage paulinien, les principaux axes de la gratification urbaine sont les suivants, qui constituent un tour d’horizon convaincant des différentes voies de l’ascension sociale, de l’économie à la parenté et à la politique14.
12Giovanni était pauvre, ils le firent riche. Ils lui donnèrent ensuite une épouse de noble lignée, « de ceux de Cornazzano ». Ils décidèrent aussi qu’il siégerait au conseil à vie, sans besoin d’y être élu ; il est vrai que Barisello était un concionator des plus remarquables. Ils lui offrirent, enfin, de créer et de diriger sa propre societas ; cette société populaire tout à fait typique, régie « pour l’honneur et l’utilité de la cité et de la commune de Parme », passera à l’histoire sous le nom de societas Cruxatorum15.
13Que nous apprend cette exceptionnelle description d’un citoyen populaire ayant réussi sa vie après avoir accompli une ascension sociale en tout point remarquable ? Ici, la problématique de la mobilité est présentée sous des traits plus civiques que militaires. Résumons cela en une phrase : à Parme, au milieu du siècle, le rôle moteur de l’ascension citadine et citoyenne est occupé par l’univers du politique sous toutes ses formes, de l’art de bien haranguer les foules à celui, plus terre à terre, de s’entourer d’amis et de clients toujours prêts à se battre pour leur chef.
14Cela étant, est-ce que vraiment tout opposerait un Isaac de Dovara, noble et podestat à l’aube du Duecento, à un Giovanni Barisello, tailleur populaire et agitateur politique quelque cinquante ans plus tard ? Certainement pas : au cœur du xiiie siècle communal, dissonance sociopolitique ne signifie pas toujours antinomie achevée, classe contre classe si l’on veut ; il s’agit aussi d’un décalage croissant entre les détenteurs du prestige social et les tenants du pouvoir politique accompagné par une contradiction, qui se révélera durable, entre le maintien des marqueurs de la suprématie sociale de provenance aristocratique et la remise en question de la terminologie propre aux nobles dans la cité.
15En l’état, considérons simplement que les transformations du xiiie siècle renouvellent considérablement les profils identitaires de la noblesse en terre communale italienne. Jusqu’à l’aube des temps modernes, son histoire et ses enjeux peuvent se résumer ainsi : comment façonner et réviser, ou bien altérer et réformer, modèles et marqueurs de noblesse pour garder en vie l’imaginaire nobiliaire, ses représentations dominantes, ses comportements distinctifs tout en les insérant, tant que faire se peut, dans un champ identitaire plus vaste, plus complexe, plus multipolaire ?
16Dès le milieu des années 1260, en relation avec la victorieuse descente italienne de Charles d’Anjou, champion d’un guelfisme politique et princier, le tableau se modifie encore16. S’il est vrai que les modèles nobiliaires et seigneuriaux maintiennent nombre de leurs capacités d’attraction sociales et aussi politiques (les descendants de l’aristocratie consulaire demeurent partie prenante des gouvernements urbains tout en se trouvant presque toujours à la tête des puissantes factions citadines), un processus d’adhésion et d’acculturation croisé voit graduellement le jour. Celui-ci concerne aussi bien de nombreux membres de lignages militaires parvenus à la tête de sociétés populaires et partisans des nouveaux gouvernements communaux dirigés par le popolo que les héritiers d’homines novi populaires ayant volontairement succombé aux atours de la vie aristocratique et chevaleresque17. Prises dans leur ensemble, néanmoins, les élites des puissants doivent répondre à de nouveaux défis pour espérer garder un certain contrôle sur l’espace politique urbain ainsi que sur la définition même de ce que noblesse veut dire dans la cité. Or, c’est bien dans ce contexte et dans une chronologie relativement serrée (1260-1290 tout au plus) que la majorité des communes italiennes se pourvoit d’un instrument législatif et culturel aussi innovant qu’audacieux : une série de dispositions législatives à l’encontre de ceux parmi les puissants que les autorités communales considèrent comme autant de dangereux détracteurs du bien commun, ce bonum commune/communis qui commence alors à se présenter comme l’une des principales pierres de touche idéologiques et culturelles des gouvernements de popolo18.
17Appelées à régir nombre de cités italiennes du dernier tiers du Duecento, les autorités populaires commencent ainsi à mettre en œuvre une véritable politique de régulation de leurs noblesses. Nous voici face à la genèse des normes contre les magnats, qui trouvent par ailleurs un terreau singulièrement favorable dans les pratiques communales et scripturaires du bannissement politique et économique19. La messe est dite : pour le noble urbain, le temps de la négociation identitaire a bel et bien commencé. En effet, qui édicte les ordonnances contre les magnats entend, ipso facto, proposer une définition rénovée de l’univers des puissants dont je voudrais ici souligner trois aspects majeurs.
18Primo : la nouvelle signification sociale et politique accolée au mot même de « magnat » naît d’une définition externe au groupe ainsi délimité. Construite par accumulation, à partir de décisions prises au jour le jour par les autorités et les conseils de la commune, cette définition n’est donc pas la conséquence d’une prise de conscience assumée de la part d’un groupe sociopolitique (la noblesse, la militia) qui s’identifierait de lui-même à une série de critères précis. Le seing du magnat procède d’une autorité autre – populaire et/ou seigneuriale – ; il ne renvoie pas du tout à une quelconque volonté de se désigner soi-même comme noble. Voilà comment et pourquoi le terme de « magnat » acquiert une connotation négative et s’éloigne d’autant des attributs positifs qui avaient jusqu’alors sous-tendu, culturellement et socialement, les univers de la noblesse20. La remise en question d’une partie de l’idéal nobiliaire est ici pleinement à l’œuvre.
19Secundo : le magnat, en tant que puissant que l’on entend exclure de la plénitude des droits citoyens – sans pour cela l’écarter pleinement de la vie politique de la cité –, ne correspond jamais tout à fait au noble en tant que tel. Bien que fort proches, les deux termes ne sont pas équivalents, alors même que l’essor de la catégorie magnatice modifie durablement la définition, la perception et les critères d’identification de la noblesse urbaine. De là, l’obligation faite à tout noble de mener une vraie négociation identitaire. Plurielles, ces stratégies de l’appartenance – individuelle, familiale, sociale – favorisent la démultiplication des indicateurs et des discussions sur ce que vraie noblesse veut dire.
20Tertio : la catégorie sociopolitique du magnat inaugure un réel paradoxe identitaire. Voilà comment certains nobles et d’autres puissants, devenus magnats, risquent de ne plus compter autant que les autres citoyens ou, au minimum, de valoir moins que d’autres élites urbaines. Au fil du xive siècle et de ses traités juridiques, les magnats apparaîtront même, sous la plume entre autres de Bartole de Sassoferrato, comme le paradigme des faux nobles que l’exclusion de l’arène politique rendrait indignes d’être associés à la juste définition communale de la noblesse21! À partir des années 1280 au plus tard, la négociation de l’identité noble se présente ainsi, et avant tout, comme un jeu de billard à plusieurs bandes. Le principal enjeu auquel se confrontent les nobles vivant dans la cité communale réside alors dans leurs réponses – le plus souvent subies, mais aussi, parfois, choisies – à la mise en place officielle d’une série de listes modulables dont le but est de rassembler la totalité des puissants que les conseils urbains entendent exclure du champ politique communal22. Si l’on se tourne vers les stratégies de leurs opposants populares, l’on remarque aussitôt que la mise à l’index de ces magnats si inquiétants se fonde sur un groupe restreint de critères privilégiés. Le but premier des tests sociaux et politiques auxquels est soumise la majorité des plus influents lignages urbains est bien, pour les autorités de la commune, de parvenir à cibler au mieux cette fraction de la population citoyenne dont la contiguïté avec les plus anciens indicateurs nobiliaires demeure indéniable. Ne nous étonnons donc guère de découvrir que les principaux marqueurs magnatices rassemblent et combinent la chevalerie individuelle et/ou l’adoubement familial, le prestige ostentatoire et les fortes attaches parentales, l’impact économique et les atouts politiques, les aptitudes professionnelles et le zèle partisan, auxquels s’ajoute, toujours plus contraignante, la renommée publique et notoire.
21Je me contenterai, ici, de commenter quatre conséquences immédiates que l’apparition de la catégorie du magnat entraîne dans la perception sociale et politique des noblesses urbaines. Premier effet : l’incertitude. Si les listes magnatices prolifèrent et se succèdent à un rythme extrêmement rapide, c’est que l’on craint à la fois de ne pas savoir reconnaître et de ne point réussir à maîtriser les démarcations et les limites du groupe ainsi stigmatisé : dès 1277, lors de la préparation d’une liste nominative des magnats citadins, les autorités siennoises s’inquiètent des « doutes et des erreurs » qui risquent de se déclarer à propos ces parentèles23. À ces flottements s’ajoute une défiance politique immédiate, d’où la deuxième conséquence : le soupçon. Dès 1279, les statuts de Pérouse font état d’une « suspicion alarmante », quoique bien légitime, envers ces récents magnats24 ; voilà que l’on inaugure le concept même du noble réprouvé, accusé de tramer contre le bien commun et le pacificum statum de la cité25. Dans le même temps, l’apparition du binôme imparfait représenté par le noble et le magnat favorise la démultiplication – voire la déstructuration – des critères de l’identité noble ainsi que des caractères de l’appartenance élitaire, d’où le troisième effet : la prolifération. La question se pose, en effet, des caractéristiques qu’il conviendrait de mettre en avant pour mieux délimiter les puissants : la chevalerie, la richesse, le prestige familial, la mise en scène ostentatoire, les aptitudes professionnelles ? La réflexion et les observations classificatoires qui sous-tendent la construction même de la catégorie magnatice entretiennent et encouragent l’essor exponentiel des critères de la distinction sociopolitique en milieu communal. À l’échelle urbaine et régionale, voilà qui favorise, d’une part, l’essor des négociations identitaires dans un contexte nobiliaire (où placer, par exemple, les puissants populaires ?) et qui révèle, d’autre part, la pluralité des lignes de fractures sociopolitiques présentes dans la cité. Pensons, par exemple, à l’importante parentèle des Grassoni ancrée en Émilie, entre ses villes et ses montagnes, dont les membres sont magnats à Bologne et populares à Modène26. Qui plus est, les différenciations de comportement entre le magnat et le populaire ne se révèlent pas toujours d’elles-mêmes ; il leur faut un blanc-seing politique, idéel et mémoriel conforté par l’essor de ces listes écrites qui, en épurant la communauté citadine de ses membres les plus redoutables et redoutés, configurent de nouvelles pratiques de gouvernement citadines. De là, la quatrième conséquence : la renommée. Non que la mémoire d’une réputation nobiliaire héritée de générations de puissants soit jusqu’alors inconnue, tant s’en faut. Le recours à la fama comme élément essentiel, parfois même comme critère unique, de séparation et de classification susceptible de distinguer les différents groupes de citoyens et de hiérarchiser la légitimité de leurs élites, ne parvient, toutefois, sur les devants de la scène citadine qu’au moment même où la catégorie des magnats perce l’écran des sources écrites. Cette synchronie est extrêmement révélatrice. Elle reflète, entre autres, la portée désormais acquise par les critères publics, politiques et externes du marquage de la militia/nobilitas. Dès lors que l’apparence de la renommée suffit à classer, et politiquement à déclasser, un individu et une parentèle ainsi décriés en qualité de magnats, leurs « proches parents » nobles sont obligés de négocier incessamment une identité et un statut qui risque de dépendre toujours plus d’acteurs et d’argumentaires externes. Ce n’est donc guère un hasard si, à Pistoia en 128427, à Bologne en 1288 (sur une période de dix-sept ans)28, à Parme au plus tard en 131629, la (publica) vox et fama peut suffire à déceler, à déclarer voire à dénoncer le puissant magnat qui est aussi, presque toujours, un noble et un chevalier30.
22L’incertitude, le soupçon, la prolifération, la réputation : l’ensemble de ces critères crée le magnat et transforme le noble. De surcroît, et pour la première fois dans l’histoire de l’Occident médiéval, cette palette, fort officielle, de marqueurs révèle une sourde hostilité – parfois même une animosité explicite – envers un groupe de puissants qui avait jusqu’alors détenu une partie non négligeable des clés sociales, économiques et politiques de la cité. Le contexte communal, qui tend à réviser une partie des fondements de l’identité du noble urbain tout en ne récusant pas – et comment pourrait-il faire autrement ? – la continuité des idéaux nobiliaires, est ainsi particulièrement propice à la reprise et à l’amplification d’une controverse fort ancienne, construite autour de l’alternative entre deux noblesses, d’héritage et de vertu31. Cette dispute, longtemps restreinte aux milieux religieux et intellectuels (des monastères aux studia, de l’université au couvent), s’ouvre alors à des acteurs, à des langages et à un public nouveaux, laïcs et politiques, italiens et communaux, rudes et modice literati32, dont le Tresor de Brunet Latin est un exemple aussi précoce que manifeste33. La discussion plurimillénaire qui avait vu s’affronter deux lectures distinctes, voire antagoniques, de ce que vraie noblesse pouvait signifier trouve alors, surtout à partir des années 1260, un ancrage sociopolitique au quotidien, susceptible de modifier en profondeur ses tenants et ses aboutissants. Noblesse et gentillesse, richesses et parentèles, milites et populaires, vertus et mémoire : le débat culturel, souvent même poétique34, sur les marqueurs et les identités nobiliaires – un débat qui, dans le même temps, est aussi un vecteur de l’idéel noble – est lancé ; il concerne au premier chef le cadre communal dans lequel il ne tardera pas à s’épanouir.
Notes de bas de page
1 Eo tempore cum reverteretur sanctus de ultra mare, socium habens fratrem Leonardum de Assisio, contigit eum itinere fatigatum et lassum parumper asinum equitare. Subsequens autem socius, et ipse non modicum fessus, coepit dicere intra se, humanum aliquid passus : « Non ludebant de pari parentes huius et mei. En autem ipse equitat, ego pedester asinum duco ». Hoc illo cogitante, protinus de asino descendit, sanctus, et ait : « Non, frater, non convenit », inquit, « ut ego equitem, tu venias pedes, quia nobilior et potentior in saeculo me fuisti » : Thomas de Celano, Vita secunda S. Francisci Assisiensis, dans Analecta Franciscana, X, Ad Claras Aquas, Ex typographia Colegii S. Bonaventurae, 1926-1941, II, 5, 31, p. 150. Cf. J.-Cl. Maire Vigueur, Comuni e signorie in Umbria, Marche e Lazio, Turin, UTET, 1987, p. 68 ; S. Gasparri, I milites cittadini. Studi sulla cavalleria in Italia, Rome, Istituto storico italiano per il Medioevo, 1992 (Nuovi studi storici, 19), p. 48.
2 Bonaventura de Balneoregio, Legenda maior, dans Analecta Franciscana, X, op. cit., 8, p. 608 ; Jacques de Voragine, Vita Sancti Francisci, dans Analecta Franciscana, X, op. cit., 8, p. 683. Le dossier est approfondi dans G. Castelnuovo, Être noble dans la cité. Les noblesses italiennes en quête d’identité (xiiie-xve siècles), Paris, Classiques Garnier, 2015.
3 Bonvesin della Riva, De Magnalibus Mediolani. Le meraviglie di Milano, éd. par G. Pontiggia et M. Corti, Milan, Bompiani, 1974, IV, IIII, p. 82 : Quot modis ordinantur castanee. Fiunt quoque castanee populares atque nobilles, que marona dicuntur, in copia infinita in universo anni circuitu abondanter tam civibus quam forensibus distribute ; cf. A. Cortonesi, « Il castagno nell’Italia medievale », Rivista di storia dell’Agricoltura, 43/1, 2003, p. 23-55.
4 J.-Cl. Maire Vigueur, Cavaliers et citoyens. Guerre, conflits et société dans l’Italie communale (xiie-xiiie siècles), Paris, Éditions de l’EHESS (Civilisations et sociétés, 114), 2003. Voir aussi, maintenant, E. Faini, « La memoria dei milites », dans M. T. Caciorgna, S. Carocci, A. Zorzi (éd.), I comuni di Jean-Claude Maire Vigueur. Percorsi storiografici, Rome, Viella, 2014, p. 113-133.
5 Un exemple parmi bien d’autres des années 1220-1240 : lorsque Rolandino da Padova raconte comment se disperse, en 1233, la foule qui s’était rassemblée pour écouter le prêche enflammé du frère Jean de Vicence – nous sommes en plein mouvement de l’Alleluia –, il oppose clairement les citoyens rentrant en ville à la suite de leur carroccio aux magnats qui, eux, retournent « tous dans leurs terres » : Rolandino da Padova, Vita e morte di Ezzelino da Romano (Cronaca), éd. par F. Fiorese, Milan, Mondadori, 2004, III, 7, p. 136 : regresse sunt cuncte gentes et communia civitatum cum suis carrociis, que illus conduxerant, et magnates omnes ad terras suas.
6 M. Godelier, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie, Paris, Albin Michel, 2007, p. 65.
7 Voir, au moins, les nombreux travaux d’E. Artifoni, dont « Retorica e organizzazione del linguaggio politico nel Duecento italiano », dans P. Cammarosano (éd.), Le forme della propaganda politica nel Due e nel Trecento, Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 201), 1994, p. 157-182 ; id., « Gli uomini dell’assemblea. L’oratoria civile, i concionatori e i predicatori nella società comunale », dans La predicazione dei Frati dalla metà del ’200 alla fine del ’300, Spolète, Centro italiano di studi sull’Alto Medioevo (Atti dei Convegni della Società internazionale di studi francescani. Nuova serie, 5), 1995, p. 141-188 ; id., « L’éloquence politique dans les cités communales (xiiie siècle) », dans I. Heullant-Donat (éd.), Cultures italiennes, Paris, Cerf, 2000, p. 269-296 ; id., « Una forma declamatoria di eloquenza politica nelle città comunali (sec. XIII) : la concione », dans L. Calboli Montefusco (éd.), Papers on Rhetoric VIII, Declamation. Proceedings ot the Seminars held at the Scuola Superiore di Studi Umanistici, Bologna (Februar-March 2006), Rome, Herder, 2007, p. 1-27. Cf. aussi S. Menzinger, Giuristi e politica nei comuni di popolo. Siena, Perugia e Bologna, tre governi a confronto, Rome, Viella, 2006 (Ius nostrum, 34) ; id., « Forme di implicazione politica dei giuristi nei governi comunali italiani del XIII secolo », dans J. Chiffoleau, C. Gauvard, A. Zorzi (éd.), Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge, Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 385), 2007, p. 191-241 ; M. Vallerani, « Consilia iudicialia. Sapienza giuridica e processo nelle città comunali italiane », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 123/1, 2011, p. 129-149. La noblesse des juristes post-communaux est au cœur de l’essai de P. Gilli, La noblesse du droit. Débats et controverses sur la culture juridique et le rôle des juristes dans l’Italie médiévale (xiie-xve siècles), Paris, Champion (Études d’histoire médiévale, 7), 2003.
8 Quelques exemples florentins des années 1250-1280, aussi parlants que précis, dans S. Diacciati, Popolani e magnati. Società e politica nella Firenze del Duecento, Spolète, Fondazione Centro italiano di studi sull’Alto Medioevo, 2011, part. p. 350-372.
9 Rolandino da Padova présente un véritable portrait du noble idéal sous les traits du dominus Guglielmo di Camposampiero perfidement exécuté par l’odieux Ezzelino da Romano ; sous la plume du chroniqueur, Guglielmo devient un iuvenem quidem affabilem et decorum, militem largifluum et benignum, multa strenuitate prudentem, moribus et curialitate laudabilem, nobilitatis sanguinis et animi sapientia insignitum : Rolandino da Padova, Vita e morte di Ezzelino…, op. cit., VI, 12, p. 296-298.
10 Un article fondateur : E. Artifoni, « I podestà professionali e la fondazione retorica della politica communale », Quaderni storici, 63, 1986, p. 687-719 ; une somme accomplie et sans pareil : J.-Cl. Maire Vigueur (éd.), I Podestà dell’Italia comunale, Rome, École française de Rome/Istutito storico per il Medioevo (Collection de l’École française de Rome, 268 ; Nuovi studi storici, 51), 2000, 2 vol.
11 Boncompagno da Signa, Boncompagnus, éd. par S. M. Wight : http://scrineum.unipv.it/wight/bonindx.htm, 6.10.8. Le passage complet : Littere, quibus intimant nuntii de illo, quem elegerunt […]. Cum autem plures essent nobis a pluribus commendati, de consilio plurium eligimus Ysachium de Duara, qui sicut fama publica protestatur, fulget nobilitate prosapie, strenuus est in armis et sapiens in mundanis, providus in consiliis et ad omnia et singula negotia circumspectus, formosus et dominabilis in persona.
12 Sur Isacco et les Dovara, F. Menant, « Podestats et capitaines du peuple d’origine crémonaise », dans J.-Cl. Maire Vigueur (éd.), I Podestà dell’Italia comunale, op. cit., part. p. 90-92 et 103, n. 72 ; M. Vallerani, « Ufficiali forestieri a Bologna (1200-1326) », dans J.-Cl. Maire Vigueur (éd.), I Podestà dell’Italia comunale, op. cit., p. 292.
13 Le passage complet : Hic erat sartor et vocabatur Iohannes Barixellus et fuerat filius cuiusdam agricole illorum de Tebaldis, quem Parmenses Meçadhrum appellant ; et accepit crucem in manibus suis et Evangelii textum et ibat per Parmam ad domos illorum qui erant ex parte imperii, quos suspectos habebat, ne Parmam Pellavicino tradere vellent, et faciebat eos iurare precepta domini pape et Ecclesie partem. Et habebat bene quingentos homines secum armatos, qui eum suum capitaneum fecerant et eum quasi ducem et principem sequebantur. Et iuraverunt multi partem Ecclesie et precepta summi et Romani pontificis, partim voluntarie, partim ex timore, quia videbant armatos. Qui vero iurare nolebant, insalutato hospite de Parma exibant et ibant ad Burgum Sancti Donini, ut habitarent ibidem : Salimbene de Adam, Cronica, éd. par G. Scalia, Turnhout, Brepols (Corpus Christianorum, Continuatio mediaevalis, 125), 1998-1999, p. 564. Cf. Salimbeniana. Atti del convegno per il VII centenario di fra Salimbene, Bologne, Radio Tau, 1991 ; O. Guyotjeannin, Salimbene de Adam, un chroniqueur franciscain, Turnhout, Brepols, 1995 ; G. Guarisco, « Il “popolo” e le pratiche della vendetta a Parma », dans A. Zorzi (éd.), Conflitti, paci e vendette nell’Italia comunale, Florence, Firenze University Press (Reti Medievali, E-Book, 14), 2009, part. p. 141-143 : http://fermi.univr.it/rm/e-book/titoli/zorzi.htm.
14 Le passage complet, sous le titre De benefitiis a Parmensibus Iohanni Barixello collatis : Igitur Iohannes Barixellus fuit vir pauper et sapiens, qui inventus est in Parma, et liberavit urbem per sapientiam suam. Quocirca Parmenses, hoc beneficium cognoscentes, non fuerunt sibi ingrati, cum Apostolus dicat : et grati estote, immo rependerunt sibi beneficia plura. Primum, quia fecerunt eum divitem, cum esset pauper. Secundum, qui de nobili genere dederunt ei uxorem, scilicet de Cornaçano. Tertium, quod sine electione aliqua semper de consilio esset. Habuit enim sensum naturalem et gratiam concionandi. Quartum, quod posset societatem congregare et secum ducere, qui denominaretur ab eo, ita dumtaxat quod semper ad honorem et ad utilitatem civitatis et communis Parme. Hoc societas multis annis duravit (Salimbene de Adam, Cronica, op. cit., p. 566-567).
15 Cf. G. Guarisco, « Il “popolo” e le pratiche… », art. cité, p. 143-145.
16 Voir en dernier R. M. Dessì, « I nomi dei guelfi e ghibellini da Carlo d’Angiò a Petrarca », dans M. Gentile (éd.), Guelfi e ghibellini nell’Italia del Rinascimento, Rome, Viella, 2005, p. 3-78 ; R. Comba (éd.), Gli Angiò nell’Italia nord-occidentale (1259-1382), Milan, UNICOPLI, 2006 ; G. Milani, « Sulle relazioni politiche e ideologiche tra Carlo I d’Angiò e i comuni italiani : una nota », dans A. Lemonde, I. Taddei (éd.), Circulation des idées et des pratiques politiques : France et Italie (xiiie-xvie siècle), Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 478), 2013, p. 115-128.
17 Nombre de cas florentins, dont celui des Cerchi – grands marchands-banquiers, proches du premier popolo avant que d’être comptabilisés parmi les magnats – sont (ré)étudiés dans la récente thèse de S. Diacciati, Popolani e magnati…, op. cit., part. p. 197-203, 286-297.
18 Voir maintenant les actes du colloque Il bene comune : forme di governo e gerarchie sociali nel basso Medioevo, actes du colloque de Todi, 9-12 octobre 2011, Spolète, Fondazione Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 2012 (Atti dei Convegni dell’Accademia tudertina e del Centro di studi sulla spiritualità medievale, NS, 25).
19 Cf., à tout le moins, J.-L. Gaulin, « Les registres de bannis pour dettes à Bologne au xiiie siècle : une nouvelle source pour l’histoire de l’endettement », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 109/2, 1997, p. 479-499 ; G. Milani, L’esclusione dal comune. Conflitti e bandi politici a Bologna e in altre città italiane fra XII e XIV secolo, Rome, Istutito storico italiano per il Medioevo (Nuovi studi storici, 63), 2003.
20 Pour une première approche de la question magnatice, essentiellement centrée sur le cas florentin mais s’ouvrant aussi à différentes perspectives institutionnelles, culturelles et sociales de longue durée, voir au moins, à partir du grand classique de G. Salvemini (G. Salvemini, Magnati e popolani in Firenze dal 1280 al 1295, Florence, s. n., 1899 ; 2e éd., sans annexes, éd. par E. Sestan, Milan, Feltrinelli, 1974) : C. Lansing, The Florentine Magnates. Lineage and Faction in a Medieval Commune, Princeton, Princeton University Press, 1991 ; G. Dameron, « Revisiting the Italian Magnates : Church Property, Social Conflict and Political Legitimization in the Thirteenth-Century Florence », Viator, 23, 1992, p. 167-187 ; C. Klapisch-Zuber, « Honneur de noble, renommée de puissant : la définition des magnats italiens (1280-1400) », Médiévales, 24, 1993, p. 81-100 ; Magnati e popolani nell’Italia comunale : quindicesimo convegno di studi, Pistoia, 15-18 maggio 1995, Pistoia, Centro italiano di studi di storia e d’arte, 1997 ; C. Klapisch-Zuber, « Nobles or Pariahs ? The Exclusion of Florentines Magnates from the 13th to the 15th Centuries », Comparative Studies in Society and History, 19, 1997, p. 159-172 ; id., Retour à la cité. Les magnats de Florence (1340-1440), Paris, Éditions de l’EHESS (Civilisations et sociétés, 123), 2006 ; G. Castelnuovo, « Bons nobles, mauvais nobles, nobles marchands ? Réflexions autour des noblesses italiennes en milieu communal (xiie-début xvie siècle) », Cahiers de recherches médiévales, 13, La noblesse en question (xiiie-xve siècle), 2006, p. 85-103 ; A. Zorzi, La trasformazione di un quadro politico. Ricerche su politica e giustizia a Firenze dal comune allo Stato territoriale, Florence, Firenze University Press, 2008 ; S. Diacciati, Popolani e magnati…, op. cit.
21 C’est ainsi qu’à la fin des années 1370 le juriste, noble et populaire florentin Lapo de Castiglionchio, en transposant en italien le De dignitatibus de Bartole (env. 1340), écrira, à propos des magnats, qu’il apparaît che costoro non possono esser detti nobili, con cio’ sia cosa ch’essi non sieno più accetti, anzi meno. Voilà pourquoi, conclut Lapo sur les pas de Bartole, la diffinitione predetta della nobiltà non si confà a loro : renvois et interprétations dans G. Castelnuovo, « Vivre dans l’ambiguïté : être noble dans la cité communale du xive siècle », dans A. Bellavitis, I. Chabot (éd.), Famiglie e poteri in Italia tra Medioevo ed età moderna, colloque international de Lucques (juin 2005), Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 422), 2009, p. 95-116 ; G. Castelnuovo, « Bartole de Sassoferrato et Le Songe du Vergier. Les noblesses de la cité à l’aune du royaume », dans A. Lemonde, I. Taddei (éd.), Circulation des idées et des pratiques politiques, op. cit., p. 59-71.
22 Il s’agit du gouvernement des listes dont la genèse, l’essor et le succès grandissant sont subtilement étudiés dans le beau livre de G. Milani, L’esclusione dal comune…, op. cit.
23 Acte de 1277 (25-28 mai), Sienne, éd. par U. Mondolfo, Il Populus a Siena nella vita della città e nel governo del comune fino alla riforma antimagnatizia del 1277, Genève, A. F. Formiggini, 1911, p. 82-85, ainsi que A. Giorgi, « Quando honore et cingulo militie se hornavit. Riflessioni sull’aquisizione della dignità cavalleresca a Siena nel Duecento », dans G. Piccini (éd.), Fedeltà ghibellina, affari guelfi. Saggi e riletture intorno alla storia di Siena fra Due e Trecento, Pise, Pacini, 2008, p. 133-207, cit. à p. 197 : Et quia de casatis insurgit dubitatio et error frequenter circa casata, duxerunt illi sapientes viri expressis nominibus exprimenda, ut de illis expressis casatis nullus deinceps esse possit in dicto offitio nec de numero XXXVI, suit la liste, ordonnée par terçerius ; cf. P. Cammarosano, Tradizione documentaria e storia cittadina. Introduzione al « Caleffo vecchio » del Comune di Siena, Sienne, Accademia senese degli intronati, 1988, p. 72 ; R. Mucciarelli, Piccolomini a Siena, XIII-XIV secolo. Ritratti possibili, Pise, Pacini, 2005, p. 271, n. 61.
24 Statuti del comune di Perugia dell’anno 1279, I, Testo, éd. par S. Caprioli, Pérouse, Deputazione di storia patria per l’Umbria (Fonti per la storia dell’Umbria, 21), 1996, 364, p. 342-343 : Item si quis ex magnatibus, de quo sinistra suspicio haberetur, vel alius inventus fuerit per potestatem vel capitaneum quod iuverit vel vadat ad partes Regni, vel aliquam civitatem Tuscie vel Marchie occasione faciendi colloquium seu parlamentum, sive aliquem tractatum sine expressa licentia potestatis vel capitanei, solvat communi Perusii duecentas libras.
25 Les occurrences de ce véritable topos idéologique de matrice populaire s’accroissent à l’envi dans les sources statutaires du dernier tiers du Duecento. Je cite simplement quelques cas à titre d’exemple : à Bologne, en 1270, le statut de la societas de la Branca se réfère ainsi au bonum statum pacifficum et tranquillum civitatis et populi et communis Bononie (Statuti delle società del popolo di Bologna. I. le società delle armi, Statuti della società della Branca, éd. par A. Gaudenzi, Rome, Tipogr. del Senato [Fonti per la storia d’Italia, 3], 1889, p. 458) ; à Pérouse en 1279, la nécessité est de punir tous ceux facientes vel ordinantes aliquid, quod esset contra pacificum statum communis Perusii (Statuti del comune di Perugia…, op. cit., I, 364, p. 342) ; à Florence en 1295, l’on interdit formellement aux magnats de participer à aliquo consilio domini capitanei vel capitudinibus artium, de peur que, sans cela, le statum tranquillum et pacificum populi et comunis soit durablement remis en question : éd. dans G. Salvemini, Magnati e popolani in Firenze…, op. cit., XXXIV, p. 419-420 ; cf. A. Zorzi, La trasformazione di un quadro politico…, op. cit., p. 149 ; S. Diacciati, Popolani e magnati…, op. cit., part. p. 309-337.
26 Cf. V. Braidi, G. Lorenzoni, Consorterie nobiliari sul confine tra Modena e Bologna. I Boccadiferro e i Grassoni (secc. XI-XIV), Modène, Aedes Muratoriana, 2003.
27 Breve et ordinamenta populi Pistorii, éd. par L. Zdekauer, Milan, Hoepli, 1891 (rééd. Pistoia, Società Pistoiese di Storia Patria, 2002), II, 175, p. 129-130.
28 Statuti di Bologna dell’anno 1288, éd. par G. Fasoli et P. Sella, Cité du Vatican, Biblioteca apostolica vaticana (Studi e testi, 73), 1937, II, livre VI (« Droit et procédure civile »), 45, p. 34-36 : De privilegio popularium contra magnates debitores eorum.
29 Cité par G. Fasoli, « Ricerche sulla legislazione antimagnatizia nei comuni dell’alta e media Italia », Rivista di storia del diritto italiano, 12, 1939, p. 71.
30 Cette fama/renommée va, d’ailleurs, toujours plus de pair avec sa lecture avilissante, celle qui voit dans la vie et les œuvres de tout magnat la quintessence même du péché noble par excellence, à savoir l’orgueil et la superbe : voir maintenant G. Castelnuovo, « La noblesse et son orgueil dans l’Italie urbaine (fin xiiie-milieu xvie siècle) : discipliner une pulsion pour sauvegarder une identité », dans B. Andenmatten et al. (éd.), Passions, pulsions et violence à la cour, Florence, Sismel, Edizioni del Galluzzo, sous presse.
31 Je me permets de renvoyer à G. Castelnuovo, « Revisiter un classique : noblesse, hérédité et vertu d’Aristote à Dante et à Bartole (Italie communale, début xiiie-milieu xive siècle) », dans M. Van der Lugt, C. de Miramon (éd.), L’hérédité entre Moyen Âge et époque moderne. Perspectives historiques, Florence, Sismel, Edizioni del Galluzzo (Micrologus’ Library, 27), 2008, p. 105-155 ainsi que, très bientôt et de manière plus approfondie, à G. Castelnuovo, Être noble dans la cité…, op. cit.
32 Oculus pastoralis, éd. par D. Franceschi, Turin, Accademia delle scienze, 1966, p. 23. Cf. E. Artifoni, « L’oratoria politica comunale e i “laici rudes et modice literati” », dans C. Dartmann, T. Scharff, C. F. Weber (éd.), Zwischen Pragmatik und Performanz : Dimensionen mittelalterlicher Schriftkultur, Turnhout, Brepols (Utrecht Studies in Medieval Literacy, 18), 2011, p. 237-262.
33 Voir maintenant les bibliographies détaillées de la vie, des œuvres et des recherches brunétiennes dans Brunetto Latini, Tresor, éd. par P. G. Beltrami et al., Turin, Einaudi, 2007, p. xxxv-xlvi, ainsi que dans C. Mabboux-Sutton, « Être auteur aux côtés de l’auctoritas : Brunet Latin, Cicéron et la Commune », Bullettino dell’Istituto italiano per il Medioevo e Archivio muratoriano, 115, 2013, p. 287-325.
34 Cf. les travaux récents de P. Borsa parmi lesquels P. Borsa, « Foll’è chi crede sol veder lo vero : la tenzone tra Bonagiunta Orbicciani e Guido Guinizzelli », dans F. Brugnolo, G. Peron (éd.), Da Guido Guinizzelli a Dante. Nuove prospettive sulla lirica del Duecento. Atti del Convegno di studi, Padova-Monselice, 10-12 maggio 2002, Padoue, Il poligrafo, 2004, p. 171-188 ; P. Borsa, « Sub nomine nobilitatis : Dante e Bartolo da Sassoferrato », dans C. Berra, M. Mari (éd.), Studi dedicati a Gennaro Barbarisi, Milan, CUEM, 2007, p. 59-121 ; P. Borsa, « La noblesse de Guinizelli. Héritage troubadour et actualité politique dans la chanson Al cor gentil », dans id., Saggi di letteratura italiana, Milan, Ledizioni, 2012. Voir aussi la stimulante synthèse de E. Coccia, S. Piron, « Poésie, sciences et politique. Une génération d’intellectuels italiens (1290-1330) », Revue de synthèse, 129/4, Le travail intellectuel au Moyen Âge. Institutions et circulation, 2008, p. 549-586, ainsi que A. A. Robiglio, « The Thinker as a Noble Man (bene natus) and Preliminary Remarks on the Medieval Concepts of Nobility », Vivarium, 44/2-3, 2006, p. 205-247.
Auteur
Université d’Avignon, CIHAM (UMR 5648)
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