Écrire, décrire, ordonner
Les actes et la légitimité du pouvoir à la fin du Moyen Âge
p. 299-315
Texte intégral
1Depuis plus de trois siècles, les actes dits « de la pratique », à commencer par les actes de souverains, n’ont cessé de susciter des questionnements progressivement enrichis de nouvelles dimensions. En schématisant à outrance, on peut dire qu’ils ont été vus, successivement, de différentes manières : d’abord comme des produits, dont on décrivait les formes visuelles et textuelles en vue de critiquer les faux et de démasquer leurs auteurs ; puis, dès la fin du xixe siècle, ils ont été analysés comme des témoins de la diffusion de modèles entre chancelleries, perçus comme autant de marqueurs de la circulation d’idéaux, d’hommes, d’allégeances : on a pu ainsi insister sur l’« influence » de l’acte pontifical ou impérial1, ou encore sur la diffusion de types iconographiques dans les sceaux, tel le type de majesté emprunté au sceau impérial2 ; plus tard encore, dès le milieu du xxe siècle, aux temps des propagandes, les recherches ont souligné que l’acte était un support de la communication politique, fonctionnant surtout dans une dialectique hiérarchique, au service d’un message diffusé essentiellement du haut vers le bas – c’est le sens de l’étude fondatrice de Heinrich Fichtenau sur les préambules, qui fut suivie de la belle série des colloques Intitulatio3 ; des messages textuels, l’enquête s’est ensuite étendue aux messages visuels, depuis les travaux pionniers de Peter Rück sur la mise en page et les signes graphiques4, jusqu’à l’enquête novatrice de Ghislain Brunel sur les chartes ornées des rois de France5 ; enfin, dans le renouvellement des enquêtes, l’acte a été étudié comme un matériau soumis, dans ses avatars séculaires, à relecture, à remaniement, à réappropriation : de la plus discrète des notes dorsales à la plus audacieuse des falsifications, du plus massif des cartulaires au plus aride des inventaires d’archives, ces avatars sont devenus, une fois mis en contexte, des jalons essentiels dans l’étude des usages et du besoin d’écrit, des horizons d’attente des lecteurs de l’acte, des stratégies de la conservation, de la réception, de la diffusion de l’acte au fil des siècles – une réception, convenons-en, plus difficile à percevoir au moment même de son émission6. Rares, mais alors troublants, des indices peuvent surgir, qui montrent que la « propagande » distillée par les actes peut être moins efficace et plus opaque que sa restitution par le chercheur7.
2À chacune de ces étapes, l’histoire politique, au sens le plus large, a été plus ou moins explicitement convoquée, le rôle des actes – et ses limites – évoqués, mais rarement de front. Devant la faiblesse des témoignages directs, nous allons reprendre ce chemin, pour tenter de dénouer le complexe d’opérations et de consensus qui semble appuyer la légitimité de l’acte sous la main de ses auteurs et, plus délicat, sous les yeux de ses destinataires. Sans prétendre à l’exhaustivité tant le sujet est considérable, nous rejetterons les découpages anachroniques entre actes publics et actes privés (ces derniers, dans leur enveloppe et leur contrôle, étant hautement publics) et, partant des grands acquis des siècles centraux du Moyen Âge, grosso modo les années 1150-1350, nous nous concentrerons sur la partie finale de la période.
3En contraste violent avec les actes mis en forme et validés, le deuxième cercle que constituent les documents dits « de gestion » a été largement et longtemps laissé de côté, comme produit présumé d’opérations mineures, répétitives et quotidiennes. Or nous entendons montrer que leur production, leur usage, leur conservation sont susceptibles de la même grille de lecture. Cette lecture se fera cette fois à partir d’un seul ensemble documentaire, les comptes, dont l’étude est depuis quelque temps en plein renouvellement8.
4Voyons pour commencer la fabrique de la légitimité de l’acte9. Fascinés par les formes, dont l’étude soutenait l’édification d’une critique raisonnée, propre à critiquer l’acte faux, mais aussi à défendre l’acte sincère, les diplomatistes ont depuis longtemps mis en corpus les pièces constitutives du message directement ou indirectement délivré par l’acte lui-même pour asseoir sa légitimité. Ces pièces empruntent, dans leur apparente immédiateté, à divers registres : la nature et la qualité de la langue (a-t-on affaire, par exemple, à un latin des tribunaux, à un latin des écoles, ou encore à un vernaculaire plus ou moins normalisé ?) ; la forme du discours (celui-ci est-il coulé dans un moule épistolaire, endosse-t-il la forme du procès-verbal ou d’un dialogue entre les parties ?) ; le détail et l’assemblage des formules ; la mise en page, ou encore les signes graphiques et objets (objets symboles de tradition – deniers, fragments de branche cousus à l’acte –, courroies nouées, sceaux…) dont le rôle va croissant dans le dévoilement, dans l’incarnation des volontés et des actions consignées par l’écrit, dernier recours de la machine mémorielle.
5Médiatisé dans un débat plus politique, parole d’une royauté immanente, l’acte royal, dès Philippe le Bel, multiplie et renouvelle, ouvertement ou allusivement, les marqueurs de légitimité, qui insistent tout à la fois sur la souveraineté, la « science certaine » (certa scientia10), la volonté (le « plaisir » qui rappelle le Quod principi placet11…), le pouvoir d’exception… La voie est ouverte au durcissement de la formule de légitimation « par la grâce de Dieu », marqueur flottant aux xe-xie siècles d’un ordre dynastique princier, revendiquée au xve siècle comme un monopole royal – même si certains princes n’hésitent pas à y recourir pour justifier leur titulature12 –, d’autant plus vivement qu’elle est seule à rattacher l’acte au divin depuis que les vieilles invocations initiales « Au nom de Dieu » sont sorties de mode.
6Plus loin, la légitimité de l’acte semble négociée dans un accord tacite, alternativement actif et passif, dans un processus de « compliment mutuel », pour emprunter la belle formule de Charles Coulson, reprise par Richard Kaeuper à propos des autorisations de fortifier13, processus qui se noue entre auteurs et destinataires, chacun étant grandi par la demande faite et par l’accord donné, comme chacun, homme et seigneur, est grandi par le service. D’abord pris dans un milieu très étroit d’élites de la culture et du pouvoir, les destinataires appartiennent à des cercles progressivement élargis – communautés d’habitants discutant leurs franchises, particuliers sollicitant une rémission royale… –, alors même que les actes se font plus denses dans l’espace et dans le temps.
7Cet élargissement, partout notable, concourt à un phénomène progressif, encore partiel à la fin du Moyen Âge, de formalisation des circuits d’établissement des actes, depuis le formulaire de la supplique jusqu’aux procédures d’écriture et de délivrance des actes, en passant par le durcissement et la simplification des profils de recrutement, par les contrôles imposés à chaque étape du circuit, par l’homogénéisation des signes « de validation ». Aux xiie et xiiie siècles, les responsabilités dans l’établissement de l’acte, les codes graphiques (iconographie du sceau, préhistoire de la signature), les repères chronologiques (dernières étapes de la diffusion de l’ère chrétienne), les faciès linguistiques tendent déjà à se simplifier, peut-être surtout, en dépit des apparences, par le bas : si les grandes chancelleries souveraines, les pôles ecclésiastiques (officialités en tête), le corps notarial encore très bigarré imposent à première vue les changements de fond, ils donnent aussi le sentiment de suivre le mouvement de mutation et de convergence des formes, un mouvement de diffusion plus capillaire que délibéré, à la source de multiples hybridations, si l’on met à part les actifs creusets de modernité, prêts à toutes les captations, que représentent la chancellerie pontificale depuis les temps grégoriens, ou, à plus court rayon, la chancellerie royale française depuis la fin du xiiie siècle. Les écrivains « publics » qui se hissent sur le devant de la scène tout au long du xiiie siècle sont promoteurs de nouveautés : citons, pêle-mêle, la réintroduction d’un latin scolaire remis en harmonie avec la langue antique, l’imposition d’un vernaculaire promu langue de communication écrite pour être déjà adossé à une carrière littéraire solide, les emprunts au vocabulaire et aux concepts sinon aux textes du droit, la démultiplication des clauses savantes telles les renonciations, l’emploi combiné et structuré de signes visuels doublant la parole transcrite comme le seing manuel ou les proto-signatures… Ces écrivains promeuvent aussi une profonde unification, soutenue par la circulation et le brassage des modèles, répondant aux exigences des juristes et aux demandes des instances judiciaires. Le contraste est profond avec la production du haut Moyen Âge, outil de communication entre élites cultivées, dans les premiers siècles, du reste, aussi bien laïques qu’ecclésiastiques.
8À s’en tenir à la forme, la production et l’acceptation de l’acte semblent finalement tenir à un mélange subtil d’adhérence au présent et de rémanence du passé, de pratiques locales et de solutions extérieures, de conformisme et de variation. La légitimité de l’acte, qui entraîne légitimation de son auteur, se bâtit sans doute comme celle du tribunal, pour offrir un horizon plus large au dépassement ou au règlement des conflits. Mais il faut peut-être réincorporer une dose de violence ou de résistance aux constatations lisses et iréniques faites sur la forme des documents, telle qu’elle nous apparaît hors contexte : la démultiplication et la conservation de l’acte, outre qu’elles rentrent souvent dans une logique fiscale – la production, la copie, l’enregistrement, la réfection parfois forcée d’actes entraînent une ponction rien moins que négligeable au bénéfice des autorités émettrices –, sont plus qu’à leur tour imposées aux parties ou à l’une d’elles. Dès le xiie siècle, la pratique du chirographe semble avoir joué en ce sens, l’initiateur ecclésiastique incitant, dans une sorte de pédagogie documentaire, le co-contractant laïque à conserver sa partie du parchemin14. On pourrait en dire autant de l’adoption du sceau, « suggérée » à des barons par des abbayes dans les années 1150, ou indirectement imposée à des consulats convoqués aux grandes assemblées royales des années 1300-1310. Et il faut supposer une pression plus opiniâtre encore quand on voit se tarir la fréquentation des officialités aux dernières décennies du xiiie siècle ; ou décliner des pratiques régionales traditionnelles face à l’acte de juridiction gracieuse princière ou royale : les « petits mondes », analysés pour la Bretagne des ixe-xie siècles par Wendy Davis, « petits mondes » diplomatiques, fonctionnaient au sein de groupes d’interconnaissance peu décloisonnés, et tiraient leur force du témoignage de boni homines à l’autorité implicite ; autant de pratiques qui ne soutiennent pas, à terme, la concurrence des interventions extérieures qui promeuvent l’unité des formes au temps de l’ouverture des communautés15. Ainsi s’interprètent aussi la disparition en Normandie, au xiiie siècle, de l’acte passé coram parrochia16, ou encore la guerre d’usure que mènent les autorités royales contre les échevinages ruraux et urbains à partir du xve siècle, une guerre qui se prolonge jusqu’au xviie siècle.
9Il reste que la légitimité de l’acte, parfois contestée, parfois attaquée, peine à s’imposer ou se heurte à des résistances qui ne sont pas vaines. Déniée, elle a besoin alors d’être ressourcée. C’est sur cette question des légitimités reconstruites et déniées qu’il faut maintenant nous arrêter.
10Même légitime dans son enveloppe formelle, tout puissant à nos yeux qui discernent mal le contexte de son émission, l’acte n’est pas forcément accepté et doit subir, comme la monnaie, une série de mises à l’épreuve, dont les mieux attestées concernent les traitements imposés aux actes anciens.
11C’est d’abord sous la main de l’autorité émettrice que se reconstruisent les légitimités de l’acte premier. Le jeu ne se limite pas à des interventions, plus ou moins actives et délibérées, pour soutenir la légitimité des actes contemporains, produits en son nom ou sous son contrôle. Elle ne cesse de perfectionner les moyens de recharger, de redynamiser la légitimité d’actes anciens. Les convergences chronologiques sont frappantes : dans les années 1150-1250, sous la pression de la demande, la chancellerie royale française met au point, avec le vidimus, un outil efficace pour ré-autoriser des actes souverains des temps passés, ceux des Carolingiens en tête. D’un Louis VII sollicité lors de son périple méridional à un Louis IX harcelé par les moines de Saint-Denis en diverses étapes de sa seconde croisade17, se met en place une technique de duplication répondant aux exigences tant modernes – avec respect littéral du texte, description notariale de l’état physique de l’original vidimé – que traditionnelles – avec fréquente copie figurée du monogramme ou encore validation par le sceau de majesté… Manifestation forte, matérielle, de la continuité royale que proclamaient auparavant les préambules (le roi marche dans les traces de ses prédécesseurs en comblant les églises ou en récompensant ses fidèles), le vidimus va bientôt, dans un jeu encore ici contraint, se transformer en outil fiscal et juridique servant à confirmer d’un roi à l’autre, en cascade, sur un siècle ou plus, des statuts ou privilèges vulnérables. Le vidimus, appuyé par des effets graphiques croissants (comme par exemple les noms des rois grossis), organise un aller-retour temporel, où la reproduction des protocoles remonte le temps, avant que le cœur du dispositif ne précède la suite descendante des validations et des dates, progressant vers le présent.
12Au fil des siècles, le bénéficiaire lui-même peut décider, ou laisser faire, la conservation passive, le lent dépérissement voire la destruction de textes dont le seul intérêt tangible reste d’offrir, comme les reliques, un lien matériel avec le passé, ainsi les carte antique et antique permutationes à l’abbaye de Saint-Denis : les moines y conservent ceux des actes de Charles le Chauve qui échappent à toute transcription et à tout inventoriage avant le xviie siècle, et qui représentent pas moins du tiers des originaux du roi encore conservés dans le fonds monastique ; il en est de même pour les carte putrefacte de l’archevêché de Cologne18, ou les fameux registres « inutiles » (voire « presque inutiles ») des archives royales françaises aux années 1370, que Gérard de Montaigu décide de laisser de côté, sans pour autant les détruire19, ou encore, dans le même ordre d’idées, un siècle plus tard, les prescriptions de Jean de Bourbon, dans son projet d’inventaires général des archives ducales, pour que « les lectres faisans mention de plusieurs faiz anciens quasi extra memoriam » ne soient pas inventoriées « particulierement », mais placées tout simplement dans un coffre20… Opération symétrique, le garde des archives peut redynamiser l’autorité de l’acte, en produisant des copies qui captent les formes et les signes de l’original mutilé ou effacé (copies figurées), en scellant ou rescellant le document, en magnifiant, dans des notes dorsales, la figure historique de l’auteur ou la portée de la concession : la frontière est alors poreuse avec les entreprises de falsification, assoiffées de légitimité.
13L’opération de re-légitimation obtenue par la copie ou l’annotation peut aussi prendre des voies plus radicales, plus voyantes, plus massives aussi, toujours aux soins des bénéficiaires des actes. Les délicates manipulations qu’impose la mise des actes en livres ou en listes, cartulaires et inventaires d’archives, concourent après déchiffrement, datation ou attribution, sélection, interprétation, transcription et/ou condensation du texte, remise au moins partielle en contexte, à la création d’un outil d’appropriation et de recherche des originaux, mais encore d’un monument légitimant l’édification d’une seigneurie, la prééminence d’une église, voire l’ascension d’un lignage, comme l’a montré un puissant mouvement de recherche sur les cartulaires. Plus ou moins voyants, les indices abondent : textes historiographiques parfois joints, comme pour l’abbaye de Saint-Chaffre du Monastier dont le récit, qui vient juste après le prologue, fait remonter la fondation de la communauté à un sénateur romain ; prologues même stéréotypés ; départ fait entre actes transcrits et actes rejetés ; plan suivi ; choix de réécriture en « bon latin » ; parfois même, comme à Cluny, retouches de la forme diplomatique qui font de l’abbaye non plus le partenaire d’une transaction mais le maillon d’une chaîne verticale qui monte du donateur à Dieu21. L’affaire est entendue pour les cartulaires ecclésiastiques. Les compilations laïques ne sont pas moins édifiantes, tel le cartulaire de Jean et Robert Mignon, outil d’un apprentissage seigneurial et féodal22, tel encore cet inventaire du xve siècle des archives de la famille Bouvier, récemment doté d’une belle étude et d’une édition malheureusement partielle, habilement disposé pour appuyer à la fois la gestion patrimoniale, la défense de l’activité administrative d’un officier du duc de Savoie, et encore la chronique de l’ascension sociale du lignage23.
14Il est infiniment plus délicat de se prononcer sur la réception de l’acte au moment de sa production effective ou potentielle, devant la rareté des indices directs, l’éparpillement et la fragilité des mentions.
15Cependant, dans de rares cas, l’écho de résistances nous parvient, ainsi face à la tentative d’imposer le sceau aux actes notariés méridionaux sous Philippe le Bel. Plus feutrées, des attestations concordantes montrent qu’il peut falloir attendre quelques décennies, une génération, pour voir décoller la demande en actes dotés des plus beaux atours de la modernité diplomatique (formulaires savants) et sigillographique (sceaux dépersonnalisés), comme les lettres d’officialité, disponibles dès les années 1190, rarement sollicitées avant les années 1220.
16Débordées par les sollicitations et la crise de croissance de chancelleries encore peu institutionnalisées, les administrations souveraines du xive siècle empilent des procédures qui viennent nier la toute puissance d’un acte parfait au plan diplomatique, mais qui au fond sont faillibles : c’est le cas des lettres pontificales passant l’épreuve de l’Audience des lettres contredites, où des tiers peuvent les attaquer ; c’est le cas encore des actes du roi de France régulièrement émis et qui, une fois scellés du grand sceau de majesté, doivent encore obtenir un laisser-passer, ou plutôt un « faites exécuter » de contrôleurs a posteriori, responsables financiers (lettre d’attache liée à l’acte) ou tribunaux locaux (enregistrement de la grâce après enquête de terrain).
17Un autre facteur est à prendre en compte : dans l’émission de la volonté, l’oralité garde toujours une place, modelable mais effective. Les effets sont d’ailleurs ambivalents, de la « lettre de bouche » royale et de l’acte pontifical commandé oraculo vive vocis, renforcés par l’implication physique de l’auteur, à la configuration inverse de ces lettres pontificales disqualifiées, en l’absence de registres exhaustifs, par le trou de mémoire, simulé ou réel, du pontife qui déclare ne pas s’en souvenir.
18La diffusion depuis la Curie de la pratique du registre de chancellerie ne change que progressivement la donne, car ce nouveau type de compilation est longtemps sélectif, puis lourd à manier24. Comme pour le cartulaire, il a une utilité pratique, de conservation préventive, révolutionnaire même car il ouvre une nouvelle ère, où l’État prend sa place dans l’organisation et la préservation d’une mémoire de gouvernement dans l’intérêt commun. Mais il a d’autres fonctions encore : ouvert à l’avenir, il met en monument un corps de décisions qui complètent la norme.
19De norme justement, il est aussi largement question dans les documents de gestion. Pour les aborder, nous avons fait choix de réfléchir à partir d’un seul type documentaire, les comptes. Il s’agit ici pour nous d’envisager comment ces documents, dont on verra d’ailleurs qu’ils ne peuvent être seulement définis comme des instruments de gestion – en tout cas tels qu’ils se sont diffusés dans les administrations royale et princières auxquelles nous nous limiterons –, ont pu aider, par leur présentation, organisation et discours, à traduire la légitimité des autorités qui en étaient les commanditaires. Mais il s’agira tout autant de réfléchir à la légitimité même du document. Comment celle-ci se construit-elle ? Sur quels éléments s’appuie-t-elle ? Comment finalement s’impose-t-elle ?
20Sur les comptes, il faut rappeler que la période finale du Moyen Âge se caractérise par une formalisation partout notable, en même temps que s’élabore, sous l’impulsion d’instances de contrôle, principalement, dans l’espace français, de Chambres des comptes qui voient alors le jour, un « style » qui conditionne l’organisation d’une information25. Or le respect du « style » de la Chambre – en d’autres termes de la norme en matière de présentation des comptes – auquel les officiers, les maîtres des comptes, tiennent tant en raison de la valeur de soumission qui y est attachée, signifie d’abord garantie des droits du prince ; il permet de limiter la dissipation des biens et la déperdition des revenus. Lors du contrôle, une attention toute particulière est ainsi prêtée à ce que les rubriques de recettes et de dépenses soient renseignées au plus précis, et dans l’ordre dans lequel elles doivent l’être. La modification dans la présentation, le remuement même minime de l’ordonnancement des rubriques, pouvaient donner lieu de la part des contrôleurs à des remarques lors de la vérification, demandant que l’on revînt à la présentation traditionnelle, voire annulant l’entrée d’articles nouveaux au motif qu’il y avait là des entorses à la coutume. Pour les contrôleurs, il s’agissait d’éviter que ne s’instaurent des pratiques jusqu’alors inconnues et dangereuses pour la sauvegarde du patrimoine princier26. On peut bien sûr s’interroger sur ce formalisme que Rabelais ne manquera pas de tourner en dérision dans le Dernier livre de Pantagruel27.
21C’est qu’aux yeux des autorités, le compte n’est pas qu’un simple bilan de dépenses et de recettes. À travers la perception des redevances, des cens, des taxes, des impôts qu’il énumère, le compte dit finalement autre chose : il affirme les droits du prince, il en conforte les fondements. Parfaitement structuré, il répond à des normes de présentation, qui ont d’ailleurs pu évoluer au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge. Le passage du rouleau au registre entraîna ainsi une adaptation au nouveau format, et, à certains endroits, une modification des rubriques est perceptible28. Cela étant, d’un espace à l’autre, d’une Chambre à l’autre, une relative uniformité caractérise les comptes qui déclinent, dans une même architecture, d’abord les recettes, puis les dépenses avec, au sein de chaque ensemble, un classement qui peut varier. Les normes à suivre touchaient aussi la taille des registres, le support, la réglure des pages, et les études récentes sur les comptes bourguignons ont montré que les exigences en la matière, sans toujours être rigoureusement respectées, existaient bel et bien29. Ainsi, par son ordonnancement, sa structuration, le classement en chapitres et en rubriques des différents types de revenus et de dépenses, et la hiérarchie qui en découle, le compte d’un receveur ou d’un trésorier peut être défini comme un titre de propriété et, mieux encore, une déclinaison de pouvoir. Le compte est porteur d’une légitimité qui vaut bien sûr par la validation qui en est faite par les juges au terme de la procédure de vérification. Mais celle-ci valide aussi un ordre d’énonciation, qui renvoie à un ordre d’organisation des choses et du monde, dont le prince est tout à la fois l’acteur et le garant. Or cet ordonnancement était parfois hautement symbolique. Voici les comptes des receveurs de Bretagne. D’après la description que nous en livre Jean Kerhervé, l’ordre des bénéficiaires, pour les mises ou dépenses, s’organisait de la manière suivante : les premiers cités étaient les établissements religieux qui recevaient « fiefs et aumônes » pour entretenir les fondations dont les ducs étaient à l’origine ou les héritiers ; venait ensuite le duc lui-même à travers les assignations qu’il faisait peser sur les receveurs locaux et centraux pour payer les pensions et les dons nécessaires à l’entretien de la fidélité ; à la suite, étaient enregistrés les gages, en premier, ceux des officiers de l’administration centrale, en second, ceux des officiers locaux. Assez nettement, cet ordonnancement établit une « hiérarchie des paiements, qui place Dieu en tête à travers ses représentants sur terre », et ensuite le duc, qui en est le protecteur30. On ne peut manquer de rapprocher cette vision hiérarchique des pouvoirs des prétentions politiques des ducs de Bretagne au xve siècle. En s’intitulant « ducs par la grâce de Dieu » et en usant de l’arme de la lèse-majesté contre leurs adversaires politiques, les ducs se voulaient souverains en leurs terres31. Ne peut-on voir dans cet agencement des comptes comme le reflet de leurs revendications, une façon d’appuyer et de conforter une légitimité quand bien même, formellement, la place et la formulation des « fiefs et aumônes » reprenait par-delà les siècles une formulation anglo-normande qui devait aussi influencer les Capétiens ?En exaltant Dieu en premier, n’est-ce pas pour les agents ducaux une manière d’exalter aussi la nature divine du pouvoir de leur maître ?
22Le choix des rubriques, la classification des bénéficiaires, la distribution interne des articles ne sont donc en rien aléatoires. Ils le sont d’autant moins que l’ordonnancement du compte pouvait encore être davantage mis en valeur par le décor et l’ornementation dont les comptes, pour une part d’entre eux en tout cas, se dotent alors. En effet, les trésoriers et autres receveurs ont pu parfois, sans que rien ne les y obligeât – le style des Chambres ne mentionne rien de tel –, agrémenter leur compte, et notamment le préambule mais aussi les têtes de chapitre, de décors constitués de majuscules ornées et de motifs calligraphiés, qui ne sont pas sans rappeler ceux qui se déploient sur certaines chartes royales ou princières. Des comparaisons, qu’il faudrait d’ailleurs prolonger et nourrir par des enquêtes plus systématiques, ont montré que des similitudes existent dans les choix d’ornementation de lettres et de mots entre actes de la chancellerie et comptabilités32. La proximité entre cercles de la chancellerie et de la trésorerie n’est sans doute pas étrangère à la diffusion de types iconographiques et de choix ornementaux. Les travaux récents sur les chartes ornées nous ont appris que les images, les décors qu’elles déployaient prenaient sens, mais pas systématiquement, dans la relation qu’ils entretenaient avec le texte33. Comme pour les actes, l’iconographie des comptes « met en scène », soit le destinataire du compte, le maître, le prince, l’institution, en reproduisant un emblème, une devise, à quoi se mêlent parfois des grotesques ou des motifs végétaux, soit le comptable, qui peut être tenté de signer son œuvre par des marques personnelles. Ces « images en comptes », à l’égal des « images en actes », doivent donc s’entendre dans un processus de « compliment mutuel », comme évoqué plus haut, entre le comptable et son prince ou son autorité de tutelle, auquel il doit son office et pour lequel il agit34. Le choix des motifs est donc souvent pensé en fonction du discours que l’on entend mettre en valeur.
23On l’a dit : le compte n’est pas qu’un simple bilan de recettes et de dépenses. Mieux même : les données chiffrées – recettes de taxes, d’impôts, de redevances ; dépenses de toutes sortes selon les types de comptes – y sont finalement réduites. Le plus gros d’un compte est constitué de textes, de mots, qui peuvent être considérés comme éléments à part entière d’un discours. À ce titre, la partie textuelle du compte répond à des règles précises, qui ont pour but de mettre d’abord en évidence une information. Mais le discours du compte est aussi un discours de justification. Deux espaces plus précisément laissent se déployer ce discours : d’une part le début du compte, d’autre part les justifications de dépenses. Concernant la partie qui ouvre le compte, elle constitue un élément indispensable à la légitimation de l’action de l’agent comptable. Mais cette légitimation est quelquefois plus nettement affirmée par la copie de la lettre de nomination qui institue l’officier dans son office ou dans la mission à laquelle le prince le destine. Voici le compte du trésorier général de Bourgogne pour l’exercice du 3 octobre 1419 au 2 octobre 1420, rendu par Guy Guilbaut, compte qui correspond à son premier exercice comme receveur général de toutes les finances ducales : la lettre de nomination y est transcrite en son entier après le titre dans lequel sont données les dates de son exercice comptable35. Comme il se doit, la lettre détaille les qualités supposées du trésorier, le processus de désignation – une désignation après l’avis et délibération du conseil –, les prérogatives qui sont attachées à la charge déléguée. Avec les différentes clauses qu’elle comprend à la fin, la lettre vaut pour la caution juridique qu’elle donne à l’action du receveur. La transcription fournit aussi la teneur de ce qui est écrit au dos de la lettre, en l’occurrence la mention du serment du nouveau receveur, lequel a été effectué dans les mains mêmes du duc le 19 octobre 141936. On ne manquera pas ici de faire le rapprochement avec la réflexion des juristes du temps lorsqu’ils récapitulent les éléments qui font du livre de comptes des marchands un instrument juridique. Parmi eux, il y a l’inscription portée en son début, qui donne l’identité du marchand37.
24Mais c’est dans les dépenses que le discours de justification se déploie dans des proportions souvent considérables, donnant lieu à de véritables paragraphes explicatifs. Cela est particulièrement vrai pour les dépenses militaires, les paiements de gens d’armes, les frais de mise en défense dans les comptes royaux et princiers, ou dans certains comptes urbains. Chaque fois, les articles, qui peuvent se déployer sur des dizaines de lignes, entrent dans les détails, décrivent les opérations, distinguent les protagonistes. On est frappé par la précision de la narration, qui renvoie à un authentique « savoir-faire rhétorique ». Pour alimenter le récit, allusion est faite aux mandements délivrés, aux lettres reçues, aux quittances présentées, aux confessions entendues38. Par les couleurs de l’exposé, les justifications de dépenses offrent au linguiste un extraordinaire cas d’école qui combine intratextualité (avec des citations internes à la trésorerie et au vocabulaire comptable) et intertextualité (avec citations d’autres genres documentaires, en l’occurrence les lettres, les mandements, les ordonnances). Le même constat vaut pour les dépenses liées à des dons effectués par le prince à des fidèles. Dans ce cas, il s’agit de valoriser la grâce princière qui octroie, là une pension, ici un cadeau, ailleurs une faveur. Au lieu d’un inventaire froid des sommes payées, le compte précise, raconte, met en scène un pouvoir en action, des officiers au travail, des hommes de guerres au combat. Il en est de même pour les descriptions d’objets dont le luxe de détails fournis fait du compte comme un complément de l’inventaire du « trésor ». On peut s’interroger sur cette volonté de consigner des informations si longues alors que les dépenses sont justifiées par des preuves de paiement (quittances et mandements). Bien sûr, des considérations matérielles sont prises en compte. Il n’est pas sûr, par exemple, que les quittances soient conservées longtemps après le contrôle, alors que le compte, lui, l’était. L’enregistrement détaillé des dépenses permet de garder mémoire des faits, des événements, ce qui donne au compte une dimension « mémorielle » manifeste. De ce point de vue, le compte n’est pas seulement un état des recettes et des dépenses. Il consigne une information. Une information que le contrôle du compte effectué à la Chambre des comptes permet en quelque sorte de valider, mieux encore, d’approuver. Le contrôle des comptes est en effet une procédure de nature judiciaire39. Si ce sont d’abord des sommes, des calculs, et derrière des recettes et des dépenses qui sont vérifiées lors de l’audition, ce sont aussi des mots qui portent et justifient ces dépenses. La parole du compte est revêtue d’une force symbolique. Le jugement lui donne légitimation. Fort de l’autorité de la chose jugée, le compte est bien un document de pouvoir, qui dit une vérité. Instrument d’une politique, il est également justification de cette politique. La légitimité de l’action du prince s’en trouvait d’autant plus confortée que le jugement des comptes était, comme tout jugement, placé sous le sceau de l’autorité divine.
25Les représentations de séances de jugement des comptes que l’on possède pour la Chambre des comptes du roi de France sont sur ce point particulièrement éclairantes. Ainsi la miniature qui ouvre le registre des protocoles de la Chambre de Paris, rédigé au début du xvie siècle. On y voit un tableau de la Crucifixion qui domine le bureau du jugement. Le tableau est accroché au mur du fond de la pièce, entre deux fenêtres, au-dessus de l’emplacement dévolu traditionnellement au président de l’institution ou, quand il est présent à la Chambre, au roi40. Une autre miniature, du milieu du xve siècle, montre le roi présidant une séance de jugement des comptes41. Couronné, vêtu d’une robe azur fleurdelisée, le roi tient, dans sa main gauche, la main de justice, alors que sa main droite enserre le sceptre royal. À l’évidence, c’est le roi justicier que la miniature met en exergue. Représentant de Dieu sur terre, le roi symbolise la forme idéale de la justice. En son absence, c’est sous le regard du Christ que les maîtres des comptes exercent. La force qui se dégage de telles représentations iconographiques est claire. Elles affirment que les fondements de la justice en matière comptable sont les mêmes que pour la justice civile ou criminelle42.
26Ainsi, les éléments de validation du compte sont complexes et sa légitimé fondée tout à la fois sur le droit et la sacralité. Mais n’avons-nous pas là réunis les deux éléments principaux qui donnent plus généralement aux actes dits « de la pratique » leur valeur légitimatrice ? Cette double polarisation vaut au-delà du Moyen Âge, jusqu’à la Révolution française qui voit un autre ordre de la légitimité s’imposer. Avec la Révolution, en effet, la légitimité se fonde dans l’opération de vote des représentants du peuple. La représentation nationale crée pour l’écriture des lois un ordre diplomatique nouveau. Constitution mise à part, les lois ne sont plus justifiées par un préambule, la légitimité se fondant implicitement dans l’opération même du vote. Les choses ne sont cependant pas si simples, tant il est difficile de s’extraire d’un passé plus que millénaire. La loi et sa promulgation continuent de se nourrir de symboles et d’artifices diplomatiques (formulaires, enregistrement), qui contribuent, in fine, à toujours asseoir une partie de leur légitimité. À sa façon, Marianne a remplacé le sceau43.
Notes de bas de page
1 P. Herde, H. Jakobs (éd.), Papsturkunde und europäisches Urkundenwesen. Studien zu ihrer formalen und rechtlichen Kohärenz vom 11. bis 15. Jahrhundert, Cologne, Böhlau (Archiv für Diplomatik, Schriftgeschichte, Siegel- und Wappenkunde, Beiheft 7), 1999.
2 R.-H. Bautier, « Échanges d’influences dans les chancelleries souveraines du Moyen Âge d’après les types des sceaux de majesté », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 112/2, 1968, p. 192-220 ; reproduit dans id., Chartes, sceaux et chancelleries, Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 34), 1990, t. 1, p. 563-591.
3 H. Fichtenau, Arenga, Späntantike und Mittelalter im Spiegel von Urkundenformeln, Graz, H. Böhlaus Nachfolger, 1957 (Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, Ergänzungsband, 18) ; H. Wolfram, Intitulatio, t. 1, Lateinische Königs- und Fürstentitel bis zum Ende des 8. Jahrhunderts, Graz/Vienne/Cologne, H. Böhlaus Nachfolger, 1967 (Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung der Universität Wien, Ergänzungsbände, 21) ; H. Wolfram (éd.), Intitulatio, t. 2, Lateinische Herrscher- und Fürstentitel im 9. und 10. Jahrhundert, Graz/Vienne/Cologne, H. Böhlaus Nachfolger, 1973 (Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, Ergänzungsbände, 24) ; H. Wolfram, A. Scharer (éd.), Intitulatio, t. 3, Lateinische Herrschertitel und Herrschertitulaturen vom 7. bis zum 13. Jahrhundert, Vienne, H. Böhlaus Nachfolger, 1988 (Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, Ergänzungsbände, 29).
4 Orientation commode à partir d’articles reproduits : E. Eisenlohr, P. Worm (éd.), Fachgebiet Historische Hilfswissenschaften. Ausgewählte Aufsätze zum 65. Geburtstag von Peter Rück, Marbourg, Universitätsbibliothek (Elementa diplomatica, 9), 2000. Voir aussi le colloque fondateur : Graphische Symbole in mittelalterlichen Urkunden. Beiträge zur diplomatischen Semiotik, P. Rück (éd.), Sigmaringen, J. Thorbecke (Historische Hilfswissenchaften, 3), 1996.
5 G. Brunel, Images du pouvoir royal. Les chartes décorées des Archives nationales, xiiie-xve siècle, Paris, Somogy/Centre historique des Archives nationales, 2005. À compléter, pour une belle extension comparatiste, par les actes de la journée d’étude « Chartes ornées » organisée par Ghislain Brunel, dans un numéro spécial de la Bibliothèque de l’École des chartes : Les chartes ornées dans l’Europe romane et gothique, 169/1, 2011.
6 Première orientation dans O. Guyotjeannin, L. Morelle, « Tradition et réception de l’acte médiéval : jalons pour un bilan des recherches », Archiv für Diplomatik, 53, 2007, p. 367-403. Très belle mise au point sur les notes dorsales par C. Carbonetti Vendittelli, « Scrivere e riscrivere. Usi propri e impropri degli spazi tergali in alcuni documenti romani del xii secolo », dans L. Pani (éd.), In uno volumine. Studi in onore di Cesare Scalon, Udine, Forum, 2009, p. 35-52.
7 C’est le cas, pour un sceau du comte de Provence, dont l’emblématique est en partie incomprise par deux archivaires de sa Chambre des comptes : N. Coulet, « “Designatio sigilli” : le sceau de majesté de Louis II d’Anjou décrit par les archivaires de la Chambre des comptes de Provence », Bibliothèque de l’École des chartes, 150/1, 1992, p. 109-114.
8 Voir l’enquête internationale dirigée par Patrice Beck et Olivier Mattéoni, avec le soutien de l’IRHIS et du LAMOP, dont les actes des deux premières tables rondes ont été publiés dans la revue électronique Comptabilité(S). Revue d’histoire des comptabilités en 2011 (Approche codicologique des documents comptables du Moyen Âge, http ://comptabilites.revues.org/364) et en 2012 (Le vocabulaire et la rhétorique des comptabilités médiévales, http ://comptabilites.revues.org/838). Les actes de la troisième table ronde paraîtront prochainement sous le titre : Savoir et savoir-faire comptables au Moyen Âge. Les actes du colloque terminal de cette enquête, qui s’est tenu en octobre 2012 aux Archives nationales et à la Cour des comptes, paraîtront au printemps 2015, aux soins du Comité pour l’histoire économique et financière de la France, sous le titre : Classer, dire, compter. Discipline du chiffre et fabrique d’une norme comptable à la fin du Moyen Âge.
9 On n’envisage pas ici les questions relatives à l’autorité de l’auteur de l’acte, ni aux rapports complexes de l’acte au temps et au passé : O. Guyotjeannin, « Écrire en chancellerie », dans M. Zimmermann (dir.), Auctor et auctoritas : invention et conformisme dans l’écriture médiévale. Actes du colloque tenu à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (14-16 juin 1999), Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 59), 2001, p. 17-35 ; id., « Antiqua et authentica praedecessorum nostrorum nos ammonent. Appel et rejet du passé chez les rédacteurs d’actes occidentaux (viiie-xive siècle) », dans L’autorité du passé dans les sociétés médiévales, J.-M. Sansterre (dir.), Rome/Bruxelles, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 333) / Institut historique belge de Rome (Bibliothèque de l’Institut historique belge de Rome, 52), 2004, p. 9-25.
10 O. Hageneder, « Die Rechtskraft spätmittelalterlicher Papst- und Herrscherurkunden “ex certa scientia”, “non obstantibus” und “propter importunitatem petentium” », dans P. Herde, H. Jakobs (éd.), Papsturkunde…, op. cit., p. 401-429. Sur les fondements juridiques, J. Krynen, « “De notre certaine science”. Remarques sur l’absolutisme législatif de la monarchie médiévale française », dans A. Gouron et A. Rigaudière (dir.), Renaissance du pouvoir législatif et genèse de l’État, Montpellier/Perpignan, Société d’histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit/Socapress, 1988, p. 131-144 ; J. Krynen, L’Empire du roi. Idées et croyances politiques en France, xiiie-xve siècle, Paris, Gallimard, 1993, p. 395-402. Voir aussi A. Boureau, La loi du royaume, Paris, Les Belles Lettres, 2001, p. 171-180.
11 A. Rigaudière, « Princeps legibus solutus est (Dig. I, 3, 31) et Quod principi placuit legis habet vigorem (Dig. I, 4, 1 et Inst. I, 2, 6) à travers trois coutumiers du xiiie siècle », dans Hommages à Gérard Boulvert, Nice, Centre d’histoire du droit, 1987, p. 427-452 [reproduit dans id., Penser et construire l’État dans la France du Moyen Âge (xiiie-xve siècle), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2003, p. 39-66] ; voir aussi Y. Sassier, « Autorité, pouvoir, souveraineté : archéologie des notions », dans E. Marguin-Hamon (dir.), Le pouvoir en actes. Fonder, dire, montrer, contrefaire l’autorité, Paris, Somogy/Archives nationales, 2013, p. 14-25, en particulier p. 20-23.
12 D. Vondrus-Reissner, « La formule “Par la grâce de Dieu” dans les actes de Jean IV d’Armagnac », Bibliothèque de l’École des chartes, 151/1, 1993, p. 171-184 ; M. Jones, « “En son habit royal” : le duc de Bretagne et son image vers la fin du Moyen Âge », dans J. Blanchard (éd.), Représentation, pouvoir et royauté à la fin du Moyen Âge, Paris, Picard, 1995, p. 253-278.
13 R. W. Kaeuper, Guerre, justice et ordre public. L’Angleterre et la France à la fin du Moyen Âge, N. Genet et J.-P. Genet (trad.), Paris, Aubier (Collection historique), 1994, en particulier p. 208-221, citation à la p. 214.
14 Telle est l’une des conclusions de Laurent Morelle à l’issue d’une recherche qui doit être publiée sous la forme d’un album de documents commentés sur le sujet.
15 W. Davies, Small Worlds. The Village Community in Early Medieval Brittany, Los Angeles, University of California Press, 1988.
16 M. Arnoux, « Essor et déclin d’un type diplomatique : les actes passés coram parrochia en Normandie (xiie-xiiie siècles) », Bibliothèque de l’École des chartes, 154/2, 1996, p. 323-357.
17 L’ébauche de la pratique sous Louis VII, où la copie n’est pas encore intégrale, est décrite par A. Giry, Manuel de diplomatique, Paris, Hachette, 1894, spécialement p. 21. Pour Louis IX, nous sommes redevables à l’itinéraire établi par J.-F. Moufflet, Autour de l’Hôtel de Saint Louis (1226-1270). Le cadre, les hommes, les itinéraires d’un pouvoir, thèse de l’École nationale des chartes, Paris, 2007 (résumé dans École nationale des chartes, Positions des thèses…, p. 143-153).
18 D. Lohrmann, « Évolution et organisation interne des cartulaires rhénans du Moyen Âge », dans O. Guyotjeannin, L. Morelle et M. Parissse (éd.), Les cartulaires. Actes de la table ronde (Paris, 5-7 décembre 1991), Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 39), 1993, p. 79-90, en particulier p. 88.
19 O. Guyotjeannin, « Les méthodes de travail des archivistes du roi de France (fin xiiie-début xvie siècle) », Archiv für Diplomatik, 42, 1996, p. 295-373, en particulier p. 318 ; et id., « Un archiviste du xive siècle entre érudition et service du prince : les Notabilia de Gérard de Montaigu », dans Histoires d’archives. Recueil d’articles offert à Lucie Favier par ses collègues et amis, Paris, Société des amis des archives de France, 1997, p. 299-316.
20 Arch. nat., P 1386, fol. 1, édition des instructions de Jean de Bourbon dans J.-M. L. A. Huillard-Bréholles, « Notice sur les archives des anciens ducs de Bourbon », dans Titres de la maison ducale de Bourbon, t. 1, Paris, Plon, 1867, p. 34 ; O. Mattéoni, Un prince face à Louis XI. Jean II de Bourbon, une politique en procès, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 114-120.
21 Exemple présenté par O. Guyotjeannin, « Moines et chanoines : la gestion des ordres et des maisons », dans A. Vauchez, C. Caby (dir.), L’histoire des moines, chanoines et religieux au Moyen Âge : guide de recherche et documents, Turnhout, Brepols (L’Atelier du médiéviste, 9), 2003, p. 99-131, aux p. 127-131.
22 P. Guyard, La politique foncière d’une famille d’Île-de-France, les Mignon (xive-xve siècles), thèse de doctorat, université Paris IV-Sorbonne, 1997 ; id., « La gestion de l’écrit dans une famille de serviteurs du roi : le cartulaire et le chartrier des Mignon (XIVe-XVe siècles) », Bibliothèque de l'École des chartes, 157/2, 1999, p. 523-553.
23 V. von Kaenel, Histoire patrimoniale et mémoire familiale. L’inventaire des archives de la famille Bouvier (1445), Lausanne, université de Lausanne/Faculté des lettres, section d’histoire (Cahiers lausannois d’histoire médiévale, 31), 2003.
24 Sur la question des registres, voir les actes à paraître des deux journées d’études organisées par l’École nationale des chartes et les Archives nationales en 2009 et 2011 sur « L’art du registre en France, xiiie-xvie siècle, I. Registres de la chancellerie royale ; II. Registres princiers du Moyen Âge ».
25 O. Mattéoni, « Vérifier, corriger, juger. Les Chambres des comptes et le contrôle des officiers en France à la fin du Moyen Âge », Revue historique, 641, 2007, p. 31-69 (repris dans id., Institutions et pouvoirs en France, xive-xve siècles, Paris, Picard, 2010, p. 123-152).
26 Ce qui est en jeu ici est la conservation du domaine. Sur cette question, G. Leyte, Domaine et domanialité publique dans la France médiévale (xiie-xve siècles), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1996.
27 F. Rabelais, Œuvres complètes, G. Demerson (éd.), Paris, Seuil, 1973, p. 783 et p. 918-923. Rabelais fait des habitants de l’île des Apedeftes une allégorie des gens des comptes, et il ironise sur le caractère abscons du langage qu’ils utilisent. Or ce langage est celui auquel recourent les gens des comptes du roi de France pour procéder au contrôle des comptabilités des officiers de la couronne. Composé de formules latines brèves, ce langage est un langage d’initiés pour initiés, « une parole autorisée qui fait autorité », pour emprunter à P. Bourdieu dans Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982, p. 64.
28 O. Mattéoni, « Codicologie des documents comptables (xiiie-xve siècles). Remarques introductives », dans Approches codicologiques des documents comptables du Moyen Âge, Comptabilité(S). Revue d’histoire des comptabilités, 2, 2011 : http ://comptabilites.revues.org/382.
29 P. Beck, « Codicologie d’un compte de châtelain bourguignon : Michelet Girost et les pressoirs de Chenôve (1401-1404) », Comptabilité(S). Revue d’histoire des comptabilités, 1, 2010 : http ://comptabilites.revues.org/76 ; id., Archéologie d’un document d’archives. Approche codicologique et diplomatique des cherches des feux bourguignonnes (1285-1543), Paris, École des chartes (Études et rencontres de l’École des chartes, 20), 2006. Aussi S. Bepoix, F. Couvel et M. Leguil, « Entre exercice imposé et particularismes locaux : étude codicologique des comptes de châtellenie des duché et comté de Bourgogne de 1384 à 1450 », dans Approche codicologique des documents comptables du Moyen Âge, Comptabilité(S). Revue d’histoire des comptabilités, 2, 2011 : http ://comptabilites.revues.org/491. Voir aussi M. Leguil, « “Faire et ordonner ses comptes” dans les États bourguignons méridionaux aux xive et xve siècles : uniformité ou diversité des comptabilités duchoises et comtoises ? », dans Classer, dire, compter…, op. cit.
30 J. Kerhervé, L’État breton aux 14e et 15e siècles. Les ducs, l’argent et les hommes, t. 1, Paris, Maloine, 1987, p. 412. Il est intéressant de rapprocher ce classement de celui proposé par Christine de Pisan dans le Livre des faits et bonnes mœurs du sage roi Charles V, qui distingue, pour les dépenses du roi, cinq postes principaux : l’armée et la guerre, l’état du roi et de sa famille, les dons aux familiers et aux serviteurs, les aumônes aux pauvres, les travaux de construction et d’aménagement : D. Ancelet-Netter, La dette, la dîme et le denier. Une analyse sémantique du vocabulaire économique et financier au Moyen Âge, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2010, p. 323-324.
31 M. Jones, « Trahison et l’idée de lèse-majesté dans la Bretagne du xve siècle », dans La faute, la répression et le pardon. Actes du 107e Congrès national des Sociétés savantes (Brest 1982). Bulletin philologique et historique (jusqu’en 1610), t. 1, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1984, p. 91-106, et J.-M. Guillouët, Les portails de la cathédrale de Nantes. Un grand programme sculpté du xve siècle et son public, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 117-145.
32 C. Jéhanno, « Le compte et son décor : entre norme comptable et liberté du scribe », dans Classer, dire, compter…, op. cit.
33 G. Brunel, « Le roi, le scribe et l’artiste. Quelques réflexions sur les chartes décorées des Archives nationales », dans id., Images du pouvoir royal. Les chartes décorées…, op. cit., p. 35-53. À compléter par O. Guyotjeannin, « Images en actes », dans ibid., p. 13-33. Une première enquête sur les initiales et lettrines ornées dans le fonds du Parlement de Paris a récemment été initiée par M. Morgat-Bonnet et G. Brunel. Elle a donné lieu à une exposition itinérante qui s’est d’abord tenue à l’université de Lille II, du 1er au 26 octobre 2012, ensuite à la médiathèque de Luçon, du 1er au 20 février 2013, enfin à Paris, sous le titre : « Plume de greffier. La lettre et l’image dans les archives du Parlement de Paris ». Le texte de présentation est téléchargeable à l’adresse suivante : http ://scd.univ-lille2.fr/fileadmin/user_upload/Bibliographies/plume_de_greffier.pdf.
34 Pour un exemple précis, voir le décor qui ouvre le compte d’un fouage de 1392, dû à Étienne d’Entraigues, trésorier de Forez, pour le duc de Bourbon. Le trésorier reproduit la devise de son maître, la ceinture « Espérance », usant de rouge et de feuille d’or. Figure aussi un chien, symbole de fidélité. Reproduction et lecture de ce décor dans O. Mattéoni, « Mots, langue et discours dans les comptes d’Étienne d’Entraigues, trésorier de Forez (2de moitié du xive siècle) », Le vocabulaire et la rhétorique des comptabilités médiévales, Comptabilité(S). Revue d’histoire des comptabilités, 4, 2012 : http ://comptabilites.revues.org/1156. De nombreux exemples sont analysés dans C. Jéhanno, « Le compte et son décor : entre norme comptable et liberté du scribe », art. cité, qui constitue à ce jour la première synthèse sur le sujet.
35 Arch. dép. Nord, B 1920, fol. 1r-v, transcrit dans M. Mollat (éd.), Comptes généraux de l’État bourguignon entre 1416 et 1420, 1re partie, Paris, Imprimerie nationale/Klincksieck 1965, p. 219-220.
36 Ibid., p. 220. Plus largement, en terre bourguignonne, les lettres de nomination des officiers comptables sont copiées en début de compte, ce qui est loin d’être le cas ailleurs : S. Bepoix, F. Couvel, « Rendre bon compte en Bourgogne à la fin du Moyen Âge : le dire au travers des ordonnances et le faire selon les mots du receveur », Le vocabulaire et la rhétorique des comptabilités médiévales, Comptabilité(S). Revue d’histoire des comptabilités, 4, 2012 : http://compabilites.revues.org/1195.
37 G. Minaud, « Les juristes médiévaux italiens et la comptabilité commerciale avant sa formalisation en partie double de 1494 », Revue historique, 660, 2011, p. 781-810, spéc. p. 799-800.
38 Sur cette narrativité des comptes, O. Mattéoni, « Mots, langue et discours dans les comptes d’Étienne d’Entraigues… », art. cité, dont le présent développement reprend une partie des conclusions.
39 O. Mattéoni, « Vérifier, corriger, juger… », art. cité, p. 33-34 et p. 51-55 (repris dans id., Institutions et pouvoirs en France…, op. cit., p. 125-126 et p. 138-141).
40 Arch. nat., PP 96, cote Musée AE II 634, fol. 1.
41 Arch. nat., KK 889, cote Musée AE II 523, fol. 40. Sur ce registre, O. Mattéoni, « La Chambre des comptes du roi de France et l’affirmation de l’État au milieu du xve siècle : le registre KK 889 (Musée AE II 523) des Archives nationales de France », dans C. Leveleux-Teixeira, A. Rousselet-Pimont, P. Bonin et F. Garnier (éd.), Le gouvernement des communautés politiques à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle). Entre puissance et négociation : État, ville, finances. Actes du colloque en l’honneur d’Albert Rigaudière, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2011, p. 279-292 et p. 564 pour la reproduction de la miniature (repris dans id., Institutions et pouvoirs en France…, op. cit., p. 153-169, et p. 165 pour la reproduction).
42 Sur la force symbolique de ces représentations, A. Garapon, Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 28. Voir aussi R. Jacob, Images de la justice. Essai sur l’iconographie judiciaire du Moyen Âge à l’âge classique, Paris, Le Léopard d’or, 1994, p. 12-13.
43 C’est l’image d’une Marianne sur fond d’un acte d’Henri VIII, « roi de France et d’Angleterre », qui orne la couverture de l’ouvrage publié à l’occasion de l’exposition des Archives nationales (27 mars-24 juin 2013) : Le pouvoir en actes. Fonder, dire, montrer, contrefaire l’autorité. Cette passionnante exposition et le riche ouvrage qui l’accompagne fournissent bien des prolongements à notre réflexion forcément limitée.
Auteurs
École nationale des chartes/Centre Jean-Mabillon
Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne/LAMOP-UMR 8589
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