Les officiers de l’ancienne ville impériale et leurs activités culturelles : le cas de Prague au xvii^e et xviii^e siècles

1Après la mort de l’Empereur Rodolphe II, Prague a perdu l’éclat d’une résidence impériale. L’essor de l’époque précédente a cependant duré plusieurs années avant de s’éteindre complètement. C’est seulement la sédition des états non catholiques de Bohême, après 1618, l’élection du roi palatin et, en fin de compte, la victoire des Habsbourg à la Montagne-Blanche qui ont entraîné une vraie rupture. L’administration du pays s’est retrouvée dans une situation exceptionnelle, l’autonomie municipale étant totalement paralysée. La vie de la ville de Prague n’a d’ailleurs jamais pu redevenir ce qu’elle était auparavant Après 1628, Prague commence à se réveiller, mais ce ne sera plus la même ville car l’ordre n’est plus le même. Une recatholicisation très dure est en cours qui est la cause du départ des 1300 émigrés. Leurs biens retrouveront tout de suite de nouveaux maîtres.

2Les états supérieurs sont touchés de la même façon Le roi se réserve le privilège d’accorder l’incolat. Cet instrument, ainsi que de nouvelles "nobilitations" créent des conditions permettant une profonde transformation des élites des différents états. Les institutions des états ont été apparemment conservées mais, quant au rapport entre les nobles du pays et le pouvoir central, on remarquera que la balance s’est mise à pencher du côté du souverain. Les anciens offices supérieurs du pays perdent leur indépendance et, comme les officiers du sommet de la hiérarchie deviennent automatiquement membres du gouvernement du pays – et très souvent aussi membres du Conseil secret –, la limite entre les deux sphères du pouvoir, nette dans le cadre du système dualiste, s’efface au fur et à mesure. Le Premier Chancelier, qui est à la tête de la Chancellerie de Bohême, premier organe du gouvernement, devient officier au service de l’Empereur. Une intense migration des officiers entre les institutions de la cour et celles du pays se fait ressentir, tout autant que celle qui se développe entre les chancelleries municipales et les organes centraux. Au niveau de la municipalité, même si en apparence les choses ont très peu changé, l’autonomie communale a été mise sous la tutelle d’un officier de l’Empereur, le bailli royal. Tous ces changements préparaient en effet l’arrivée des spécialistes aux offices d’administration.

3Une bureaucratisation progressive nécessitait une formation juridique des officiers. En Bohême, les transformations se poursuivirent durant tout le XVII^e siècle, passant quasiment inaperçues, mais pourtant irrévocables. On ne peut pas parler d’une nouvelle "noblesse de robe" typique : c’était la vieille aristocratie qui, pour sa plus sa grande part, s’est conformée aux exigences de la nouvelle époque, sans oublier quelques esprits opportunistes et entrepreneurs du côté de la petite noblesse (qui, tout comme l’état, a définitivement perdu sa position à la suite des confiscations opérées Après la Montagne-Blanche). C’est seulement après eux que les "nouveaux" ont eu leur tour. Le même processus est à observer dans l’administration municipale. Là, la nouvelle bureaucratie se recrute surtout dans les familles patriciennes et, à Prague notamment, elle fait appel à des immigrés venant des villes de province de Bohême, des villes de l’Empire, et même du Nord de l’Italie ; ainsi que, quelquefois, à des officiers quittant des propriétés seigneuriales. Ces changements se font surtout dans la seconde moitié du XVII^e siècle, après cette pénode, la situation devient plus stable.

4Je me propose d’observer les officiers à deux niveaux, celui du pays et celui de la municipalité, et d’étudier leur formation et leurs activités culturelles. J’ai choisi comme modèle le conseil municipal de la Vieille-Cité de Prague entre les années 1650-1715 [1740] et, au niveau du pays, le corps des juges assesseurs de la Cour du pays.

***

5La transformation des élites dans la Prague du XVIIe siècle n’a entraîné presqu’aucun changement des symboles de leur statut social. Il s’agit de la nobilitation, un signe réel, ouvrant l’accès à la noblesse ou, et mieux encore, de la promotion au rang de chevalier ainsi que de l’obtention d’un allodial. Pour accéder à l’élite, il existe toujours des voies traditionnelles, à savoir, le placement du capital dans les biens immobiliers, comme les maisons ou les fonds (le capital commercial étant depuis toujours relativement faible à Prague). Il s’y ajoute maintenant une nouvelle voie passant par les offices du pays, supposant, bien sûr, une formation juridique au moins partielle. Or, les Praguois ont bien saisi cette chance, car ils en avaient la possibilité de la façon la plus évidente. N’oublions pas que la ville de Prague restait malgré tout un grand centre administratif, avec nombre d’offices et, en fin de compte, elle restait l’une des villes résidentielles de deuxième catégorie. Tandis que sur le total des anciens élèves de la faculté des lettres – qui restait toujours la faculté préparatoire de l’Université de Prague – 20 % seulement ont choisi de poursuivre leurs études à la faculté de droit, ce pourcentage s’élève à 37 % chez les Praguois. Les étudiants de province optent plus souvent pour une carrière religieuse, tandis que les Praguois donnent la priorité à la carrière de bureaucrate. Ainsi, une analyse professionnelle des habitants nouvellement installés à Prague au XVII^e siècle a-t-elle montré une augmentation du nombre des professions "intellectuelles".

6Les études de droit, ou plutôt un minimum d’études, sous forme, le plus souvent d’une année, passée à la faculté de droit à Prague (les études à l’étranger étant exceptionnelles Après 1648), devenaient donc une condition nécessaire pour une nomination au conseil. Le plus grand nombre des futurs conseillers étaient inscrits à la faculté de droit dans le années 50 et 60, puis ensuite dans les années 80 du XVII^e siècle. Etant donné qu’après la fin de leurs études ils devaient compter en moyenne 12-13 ans avant d’être nommés au Conseil de la Vieille-Cité, la proportion des conseillers formés comme juristes n’a commencé à s’agrandir que dans le dernier quart du XVII^e siècle (entre 1650 et 1715, 35 % ; de 1681 à 1700, 48 % et en 1721-1740, jusqu’à 63 %). A partir de la fin du XVII^e siècle, une formation universitaire était presqu’une obligation pour le personnel de la chancellerie de la Vieille-cité, notamment pour le Chancelier lui-même. Ainsi, le personnel de la première chancellerie municipale de l’Etat de Bohême se composait, au XVIIIe siècle, uniquement des "professionnels".

7Comme exemple d’une réussite, prenons la famille Macht de Löwenmacht. Matthias Maximihan Macht, originaire du domaine des Chlumczansky dans l’Ouest de la Bohême, est venu s’installer à Prague. Après avoir obtenu son doctorat en droit en 1651, il obtient le droit de cité en 1652. En tant que juriste instruit, membre de la légion académique de 1648, il lui était relativement facile d’être nommé conseiller impérial, d’obtenir le titre d’avocat du pays en 1656 et, en 1659, d’être promu au rang de chevalier. Matthias Maximilian Macht a acheté trois maisons dans la Vieille-Cité de Prague en 1656-1660 et un allodial à proximité de la ville en 1670. A la tête de la chancellerie municipale depuis 1656, il a été nommé au conseil pour en devenir tout de suite le maire (primat). L’un de ses fils, Johann Adam, a poursuivi la carrière juridique de son père : docteur en droit en 1677, il est conseiller de la Cour d’Appel à partir de 1684 ; le second fils, Maximilian Adalbert, a choisi quant à lui une carrière ecclésiastique. Ayant achevé ses études de théologie en 1688, il a obtenu une paroisse dans la Nouvelle-Cité de Prague et, en 1706, il est devenu doyen du chapitre de Vysehrad à Prague Réputé pour le soutien qu’il accordait à l’historiographie de son époque, il a offert une statue pour le Pont Charles en 1714. Les héritiers de Johann Adam, propriétaires déjà d’un assez grande domaine allodial dans la région de Pribram, ont fait commencer des travaux de construction importants, dont une chapelle dédiée à Saint Jean Népomucène près de Dobris, oeuvre du célèbre Johann Santin-Aichl.

8La formation de cette nouvelle couche moderne dans les villes, couche de bureaucrates, était accompagnée de toute une gamme d’activités culturelles, ayant surtout une fonction de représentation. Dans les inventaires après décès de plusieurs conseillers de la Vieille-cité on peut trouver des traces de bibliothèques remarquables. Ainsi, la bibliothèque de Franz Joseph Mascotti (1740, originaire de la minorité italienne de la ville de Ceské Budejovice) comptait plus de 3100 volumes, dont 700 ont pu être identifiés. Une telle bibliothèque est comparable à celles des représentants réputés de l’intelligentsia universitaire (Malanotte de Caldes, Löw de Erlsfeld). Quant à la structure des bibliothèques de Prague au XVII^e siècle, il faut constater qu’en général la part des ouvrages écrits en tchèque a baissé par rapport au siècle précédent : vers la fin du siècle, il fallait compter à peu près un livre tchèque pour deux en allemand, dont beaucoup d’ouvrages importés surtout du Sud de l’Allemagne. La part des oeuvres juridiques, historiques et politiques a grandi au dépens des écrits religieux -tout cela dans le cadre des grands ensembles.

9Un examen des inventaires des collections privées de peinture nous permet de constater que, dans la première moitié du XVII^e siècle, la Vieille-cité de Prague voit se former dans ses murs des collections, et notamment celles des maires. Dans la seconde moitié de ce même siècle, il s’agissait surtout de la collection du "primat" Jiri Jan Reissmann de Riesenberg (1694, 136 peintures), comprenant des oeuvres de Karel Skreta. Rappelons également des collections exceptionnelles, appartenant à deux conseillers-pharmaciens : Caspar le Jeune Schwenkfelder de Schwvenkfeld (1675, 118 peintures) ; son père, pharmacien, arrivé de Greifenberg-Gryfów en Silésie, avait été en 1626 élevé au rang de la noblesse. Et Jan Pavel Dirix, élevé en 1672 au rang de la noblesse, dont l’inventaire de la veuve Veronika en 1700 révèle une collection de 113 peintures ; son père, le pharmacien Jan Severin Dirix, issu d’une famille pragoise de Mala Strana, avait fait ses études en Italie, son grand-père, Jan Jiri Dyrynk, pharmacien de Mala Strana, luthérien, avait émigré à Pirna. D’autres collections remarquables se trouvaient en possession des Italiens naturalisés et résidant à Prague, par exemple celle de Johann (Giovanni) Pizzini de Türnberg, conseiller de la Cour d’Appel (1686), qui comporte 97 peintures ; originaire de Roveredo en Tyrol, il a été cinq fois élu recteur de la Congrégation italienne de Prague entre 1665 et 1682. Après 1700, il faut noter une augmentation du nombre des bureaucrates parmi les collectionneurs pragois.

10Quant aux moyens extérieurs de représentation, les fondations des autels restent fréquentes (ces fondations-là, cependant, n’ayant aucun rapport avec la "nouvelle" bureaucratie). Il convient de rappeler le nom de Marek Bernard Joanelli, arrivé à Prague du bourg Dobris, propriété des Mansfeld-Fondi, qui s’est occupé de sa représentation avec une énergie particulière Ainsi, entre 1709 et 1719, il a fondé trois sculptures publiques (dont une pour le Pont Charles) et entrepris, cela entre 1722 et 1736, la construction d’un palais destiné à devenir sa résidence pragoise, qu’il a fait décorer des statues de quatre Empereurs de la dynastie des Habsbourg.

***

11A partir de la seconde moitié du XVI^e siècle, on commence à parler de la soi-disant crise de la noblesse. C’est-à-dire que la traditionnelle carrière militaire de l’aristocratie cède la place à d’autres types de carrières, le plus souvent dans la fonction publique. Par conséquent, le rapport de la noblesse à l’égard de l’instruction change, la situation dans les pays tchèques ne faisant pas exception. Au milieu du XVI^e siècle, le modèle du Grand Tour y a été établi, comme une sorte d’éducation spécifique. L’importance de ce modèle ne consistait pas tellement dans le programme des études, mais bien plutôt dans celui de l’instruction des manières. Le pays le plus recherché restait toujours l’Italie. Parmi les centres universitaires, le plus fréquenté était jusqu’en 1630 l’Université de Padoue ; après 1580, les inscriptions se multipliaient à Sienne, et dans le dernier quart du XVI^e siècle, une partie des étudiants catholiques se faisaient inscrire dans la Bologne pontificale, et la conjoncture a brièvement été favorable à Pérouse aux environs de 1600. A partir du commencement des années 30 du XVII^e siècle, l’Université de Sienne devient la plus réputée Les nobles Tchèques s’inscrivaient sur les registres de la nation allemande.

12En analysant le monde estudiantin de Sienne, on découvre qu’être envoyé à l’étranger pour y faire des études était dans une certaine mesure l’affaire de la tradition familiale. Après la bataille de la Montagne-Blanche apparaissent régulièrement les membres de familles telles que les Waldstein, Wratislav, Kolowrat, Czernin et Kotz, auxquelles plus tard s’ajoutent d’autres familles marquantes, les Bubna, Martinitz, Pachta, et certaines autres familles nouvellement installées en Bohême, comme les Trauttmannsdorf et les Nostitz. Il est évident qu’il s’agissait dans la plupart des cas de familles accédant aux postes de prestige (tel est le cas par exemple des "rapporteurs" de la Diète du pays), sans que l’on puisse parler vraiment de proportionnalité directe, bien entendu. Certaines familles, influentes du point de vue politique, n’étaient pas à un tel point attirées par les voyages à l’étranger (cas des Kinsky), alors que d’autre part les séjours a l’étranger créaient pour certaines familles les conditions nécessaires à leur prochaine carrière (cas des Pachta) Dans les années 1577-1749, un tiers des officiers suprêmes du pays avait fait ses études dans les universités italiennes (37 % des officiers issus de l’ordre des seigneurs, et 10 % des officiers issus de la petite noblesse) Concernant les hommes politiques non-catholiques, le pourcentage d’avant la bataille de la Montagne-Blanche était, logiquement, inférieur.

13Parallèlement à cet intérêt accru pour les études à l’étranger, on constate des tentatives visant à perfectionner le niveau de l’enseignement dans le pays lui-même. Après la recatholicisation, l’Université praguoise a rétabli les quatre facultés. Celles de médecine et de droit ont reçu en héritage les biens de collèges utraquistes (non-catholiques). Après le règlement de la situation par le décret d’union, adopté en 1654, elles fonctionnaient en tant que parties ayant les mêmes droits au sein de l’Université, en symbiose avec les deux facultés jésuites, les faculté des lettres et de théologie. Faire les études à la faculté des lettres était une condition indispensable pour pouvoir être admis aux facultés supérieures. Ainsi, la faculté de droit s’est bientôt assurée un niveau dépassant le standard centre-européen (comme en témoigne une proportion de plus de la moitié d’étudiants étrangers dans les années 1654-1704). Une part de plus en plus importante revenait à la noblesse et aux bourgeois nobiliaires. Tandis que parmi les gradués en philosophie (les registres des inscriptions ne s’étant pas conservés) dans les années 1654-1730, 5,9 % revenait à la noblesse et 11,8 % aux bourgeois nobiliaires, ces deux couches sociales constituaient à la faculté de droit environ 50 % des étudiants.

14Dans les années 1626-1725, treize fondations relevant de l’université praguoise sont nées à l’initiative des deux états nobles. Ces fondations étaient réservées soit aux membres des familles des fondateurs, soit aux états supérieurs en général. Quelques-uns des fils de nobles profitaient des "académies de nobles" centre-européennes nouvellement fondées : depuis 1663 l’académie de Vienne, depuis 1708 celle de Liegnitz/Legnica en Silésie, et, depuis 1711, l’académie des bénédictins à Ettal en Bavière (l’intérêt des aristocrates de Bohême pour cette académie se situe dans les années 20-30 du XVIIIe siècle). Pour ce qui est des pays tchèques eux-mêmes, les tendances de fonder des "académies de nobles (chevaliers)" datent du XVIII^e siècle. Ainsi, en 1712, le surintendant de l’Université praguoise (un officier du souverain), Birelli, a formulé le projet de réforme de l’Université zur besseren Excolirung der Noblesse En 1717 a été fondée à Prague l’école des Etats pour les ingénieurs. Depuis le XVII^e siècle, il existait déjà un collège pour nobles auprès de l’Université d’Olomouc en Moravie, transformé par Franz Michael Subir en 1725 en école pour la noblesse.

15Jusqu’ici, nous avons prêté attention aux conditions externes de formation spécialisée de la noblesse dans les pays tchèques durant le XVII^e et la première moitié du XVIII^e siècle. Parlons à présent de groupe des juges assesseurs de la Cour du pays dans les années 1701-1749. La traditionnelle Haute cour dans les pays tchèques s’est vue privée, après 1627, de sa position de cour sans appel. Conformément à la nouvelle constitution, elle a été désormais subordonnée à la Chancellerie de Bohême à Vienne, puis, à partir de 1719, à son Sénat de la justice. A partir de 1627, les procédures judiciaires se faisaient sous forme écrite uniquement, dans l’esprit des principes du droit romain. La cour siégeait trois fois par an, pour quinze jours à chaque fois, en présence de vingt juges assesseurs, dont douze appartenaient à l’état des seigneurs, et huit à l’état des chevaliers (i.e. la petite noblesse). Les nouveaux assesseurs étaient nommés par le souverain, sur proposition du Premier Juge, et d’Après des critères tels que la pratique antérieure exercée dans les tribunaux régionaux et la Cour d’Appel. Parmi les 139 personnes qui se sont succédées aux postes d’assesseurs au cours de la première moitié du XVIII^e siècle, les deux tiers environ avaient reçu une formation universitaire, dont presque 70 % avaient fréquenté l’Université praguoise, le reste ayant étudié à l’étranger. Sur le total de tous ceux qui avaient eu une formation universitaire, 22 % (31) étaient inscrits à l’Université de Sienne. On remarquera qu’il s’agit-là de la génération née dans les années 60-70 du XVII^e siècle. Ces jeunes gens arrivaient à Sienne à l’âge de 20-21 ans (c’est la médiane) ; la majorité y faisait ses études dans les années 90 du XVII^e siècle, à l’époque du dernier grand essor des études italiennes. Ils étaient nommés juges 10 ou 20 ans Après leur séjour en Italie. Pour ce qui est des autres postes qu’occupaient les aristocrates ayant fait leurs études à Sienne, on constate une corrélation étroite avec les postes de conseiller de la Cour d’Appel (Cour d’Appel royale du Royaume de Bohême) et bien évidemment avec la carrière de diplomate

16Le groupe des assesseurs de la Cour du pays peut être caractérisé comme étant un groupe de membres appartenant à des familles anciennes, siégeant au collège et dont le prestige restait toujours très élevé, comparé à celui des autres institutions relevant de la noblesse. Il s’agissait en même temps de personnes qui, en principe, avaient su s’adapter aux nouvelles exigences en matière de formation juridique. Comment se présentaient les activités culturelles de cette élite de nobles à la période du baroque culminant ? En premier heu, soulignons les activités dans le bâtiment. L’un des bâtisseurs les plus remarquables de l’époque était Franz Karl Prehorovsky de Kvasejovic, lequel a couronné sa brillante carrière en construisant l’un des plus beaux palais du quartier praguois Mala Strana (palais nommé plus tard de Lobkowitz, de l’architecte Alliprandi). Sur les plans de Johann Lucas von Hildebrandt, Franz Anton Berka de Duba a construit l’église de Jablonné-Deutsch Gabel. Les éléments les plus radicaux du baroque romain en Bohême ont trouvé leur expression dans l’oeuvre de Johann Santin-Aichl, connu pour ses constructions d’églises (construction des églises de piaristes à Rychnov/Reichenau et à Litomysl, commandées par Franz Karl Liebsteinsky-Kolowrat et Franz Wenzel Trauttmannsdorf) et de palais (palais praguois de Rudolf de Lissau, lequel était en même temps donateur de l’une des statues sur le pont Charles). Un autre des assesseurs était Johann Joseph de Wrtby, bâtisseur de l’un des plus splendides jardins en terrasses à Prague, et à la fois mécène des peintres Brandl, Kupecky et Reiner, et fondateur de la galerie familiale. D’autres prestigieuses galeries présentant la peinture importée étaient fondées grâce à Kolowrat et à Berka déjà mentionnés (ce dernier était l’un des clients permanents de la succursale viennoise de la firme artistique Forchondt d’Anvers). Pour sa part, Trauttmannsdorf de Litomysl entretenait l’un des meilleurs orchestres des nobles en Bohême et aussi le théâtre de château. Et on pourrait ainsi continuer l’énumération des activités culturelles des juges assesseurs avec l’érudition juridique.

***

17Deux exemples à retenir, donc, à savoir la tendance à perfectionner le niveau de l’administration municipale au sein du Conseil municipal de la Vieille-cité de Prague, d’une part, et d’autre part, l’évolution du niveau de l’érudition du corps des assesseurs à la Cour du Pays : ils sont significatifs de la situation qui prévalait en Bohême au XVII^e siècle et durant la première moitié du XVIII^e siècle. Les conditions de l’administration centralisée ont conduit à l’augmentation sans précédent du poids de l’érudition, en particulier juridique. Un rôle de plus en plus irremplaçable de garant de l’instruction était joué par l’Université praguoise, qui complétait souvent le "Grand Tour". Ces tendances ont atteint leur apogée au dernier quart du XVII^e siècle, de telle sorte qu’un tournant qualitatif au niveau des administrations est patent vers 1700 environ. Ces couches, patriciennes où nobles, se recrutent en grande partie parmi les anciennes familles et les nouvelles personnes douées. Une confirmation de l’authenticité de ces élites vieilles et nouvelles est leur représentation culturelle qui coïncide avec le début du baroque culminant chez nous et avant l’apogée, au premier quart du XVIII^e siècle. La restructuration des élites dirigeantes en Bohême se fait progressivement, sans rupture visible. Ce n’est que dans le courant du XVIII^e siècle que la bureaucratie "professionnelle" cherche à s’assurer une position sociale, sans que les attaches aux élites traditionnelles soient rompues avant la fin du XVIII^e siècle.