Les astrologues européens et la genèse de l’État moderne (xii^e-xvii^e siècle) : une première approche

1Le sujet que je me propose de traiter peut évidemment sembler incongru. L’astrologie est en effet encore parfois considérée par une tradition historiographique inspirée des écoles romantique et positiviste comme un simple pilier de l’obscurantisme, et l’on voit mal, dans cette perspective, en quoi les astrologues auraient pu jouer un rôle quelconque dans la genèse de l’Etat moderne.

2L’importance de l’astrologie dans la pensée des élites européennes, à la fin du Moyen Age et à la Renaissance, est pourtant reconnue depuis longtemps par les historiens1. Mais alors que les polémiques entre partisans et adversaires de la science des prédictions ont beaucoup retenu leur attention2, la place et le rôle effectifs des astrologues dans la société de leur temps, en particulier dans la société politique, sont encore très largement restés dans l’ombre3. Mon ambition n’est donc pas de faire une nouvelle histoire des conceptions astrales, mais d’étudier les hommes en eux-mêmes, d’un point de vue à la fois individuel et collectif, et d’essayer de mesurer les influences réciproques entre leur destinée et celle du monde qui les entoure Concrètement, il s’agit d’aboutir à la rédaction d’un dictionnaire biographique qui pourra servir de base de données à une étude d’ensemble sur les astrologues européens, une étude dans laquelle un sort particulier devra être réservé aux astrologues de cour4.

3Ce projet n’ayant fait l’objet pour l’instant que d’un travail préparatoire ne couvrant que la période médiévale, et d’une façon partielle, la prudence m’oblige à me limiter ici à définir mon champ d’investigation, à exposer globalement ma problématique et à faire part de quelques hypothèses et résultats provisoires. Même si mon propos peut s’inscrire dans une perspective de recherche assez large, celle de l’étude du rôle des savants dans l’histoire de l’Etat, et, d’une façon plus générale, de l’analyse des rapports entre la magie, la science et le pouvoir dans la civilisation du Moyen Age occidental et des Temps modernes, il serait donc prématuré de porter une appréciation globale sur ces lointains ancêtres de nos spécialistes de la prospective qu’étaient les astrologues. L’on essaiera simplement de voir dans quelle mesure certains progrès de l’Etat, du XII^e au XVII^e siècle, ont été effectués avec le concours de ces personnages, ou ont au contraire impliqué leur rejet.

***

4Le choix de ces limites chronologiques mérite une première explication. Il se fonde d’abord sur la cohérence d’une période de l’histoire de l’Europe durant laquelle l’astronomie et l’astrologie ont constitué, pour une large part, les deux faces complémentaires d’une même discipline scientifique. En Occident, du XII^e au XVII^e siècle, la prévision astrologique constituait l’une des finalités essentielles des calculs astronomiques et un auxiliaire jugé souvent indispensable à l’exercice de la médecine. En tant que science conjecturale, sinon en tant qu’art divinatoire, l’astrologie était donc jugée utile par une grande partie du public cultivé, à commencer par la majorité des savants eux-mêmes.

5L’astronomie faisait sans doute partie du quadrivium depuis la fin de l’Antiquité, mais il n’y a pas dans l’Occident chrétien au haut Moyen Age de véritable pratique astrologique, à l’exception de quelques prédictions liées au cours de la Lune. Mon point de départ se situe donc au XII^e siècle, à un moment où les traductions arabo-latines commencent à donner aux savants européens les règles de base des jugements astrologiques et leur fournissent des tables astronomiques permettant de placer la position des planètes sur les horoscopes. Le fait que près de la moitié des traductions scientifiques arabo-latines se rapporte directement à l’astronomie et à l’astrologie atteste d’ailleurs de la place considérable de la science du ciel dans la révolution des connaissances qui s’opère aux XII^e et XIII^e siècles5. Le statut scientifique de l’astrologie est alors renforcé par le fait que le déterminisme astral enseigné par la science arabe s’insère d’une façon relativement cohérente dans la théorie aristotélicienne de la causalité naturelle, justement redécouverte en Occident à partir du XII^e siècle6. On assiste ainsi à une lente montée de l’influence de l’astrologie parmi les intellectuels, de la première moitié du XII^e au début du XIV^e siècle, puis à une brusque extension de ses pratiques à partir de 1320, du fait de l’utilisation de nouvelles tables astronomiques, les tables alphonsines, qui améliorent considérablement les possibilités techniques de l’art de prédire7. Le déclin relatif de l’aristotélisme, qui se manifeste à la fin du Moyen Age, aboutit d’autre part à une contamination partielle de l’astrologie par la kabbale juive et à des tentatives d’intégration des théories sur l’influence des astres à une pensée néo-platonicienne, plus nettement tournée vers l’ésotérisme8.

6A partir de 1470, la diffusion de l’imprimerie donne un nouveau coup de fouet à la production astrologique. Celle-ci se vulgarise au moyen des almanachs et des prédictions annuelles et se popularise, au point de toucher l’ensemble du public cultivé. Mais l’apogée de l’influence des astrologues semble ne devoir se situer qu’au XVI^e siècle, ce qui tend à mettre une nouvelle fois en cause la coupure artificielle entre Moyen Age et Renaissance9. Sans parler de l’évidente continuité de la faveur de la science du ciel dans l’Italie du quattrocento et celle du cinquecento et contrairement à ce que l’on pourrait croire, la révolution copernicienne aboutit en effet davantage, au moins dans un premier temps, à des tentatives de réforme internes à l’astrologie qu’à une remise en cause de ses principes essentiels10. J’ai donc choisi de ne placer mon terminus ad quem qu’à la fin du XVII^e siècle, à un moment où la conception géocentrique du monde est abandonnée par la plupart des savants et où le crépuscule des astrologues est consacré par la découverte newtonienne de la gravitation universelle, découverte qui brise le socle épistémologique sur lequel reposait l’astrologie d’une façon beaucoup plus irréversible que ne pouvait le faire le copernicianisme.

7Or, sans trop m’attarder sur la question difficile de l’éventuel parallélisme entre l’évolution des structures et des idées politiques et celle de la pensée scientifique, l’on peut constater que la chronologie de l’influence de l’astrologie chez les intellectuels et dans les sphères du pouvoir est grossièrement la même. Aux XIII^e et XIV^e siècles, le mécénat princier d’un Frédéric II, d’un Alphonse X de Castille et d’un Charles V a joué un rôle important dans la diffusion des doctrines astrologiques11. En France, et plus encore en Italie et dans l’Empire, la période 1450-1600 paraît constituer un relatif âge d’or des astrologues universitaires et des astrologues de cour12, et ce n’est qu’au XVII^e siècle que les pouvoirs politiques réduisent enfin officiellement l’astrologie au rang des superstitions.

8Si l’on observe cette évolution d’une façon plus fine, la prise en charge de la répression contre la magie et la divination par le roi de France à partir de la fin du XV^e siècle -tâche qui était auparavant réservée exclusivement à l’Eglise- mérite tout particulièrement notre attention. Les ordonnances de 1490 et de 1493 de Charles VIII contre les magiciens et les devins13 inaugurent une série d’ordonnances du même type, dont la répétition semble attester à la fois leur inefficacité et le fait que l’épanouissement de l’astrologie s’accorde apparemment assez mal avec la montée en puissance de l’Etat. Dans les ordonnances de 1560 et de 1579, il est encore dit que les almanachs et prédictions astrologiques doivent être censurés et mis sous le contrôle des autorités de l’Eglise. Mais dans celle de 1629, ce sont "les prédictions concernant les Etats et personnes, les affaires publiques et particulières" qui sont interdites, et ne sont tolérées dans les almanachs que les mentions de "lunaisons, éclipses et diverses dispositions et tempéramens de l’air et déréglements d’icelui". Quant au fameux édit de 1682, publié à la suite de l’affaire des poisons, il ordonne l’expulsion des devins du royaume et interdit totalement les almanachs astrologiques14.

9L’astrologie judiciaire, qui n’était visée qu’indirectement dans les ordonnances de Charles VIII, est donc condamnée d’une manière explicite, radicale et définitive sous le Roi-Soleil, le dernier roi de France dont on ait dressé un horoscope officiel. Et il n’y a là aucun paradoxe. Le Soleil de Louis XIV n’avait un sens astrologique que lors de sa naissance, au seul moment où il était envisageable que sa personne physique puisse à la rigueur être soumise à l’influence des astres. Passé ce moment, c’est le corps mystique du roi qui l’emportait, et celui-ci ne pouvait avoir d’autre signification que religieuse et mythologique15. Privée de son statut scientifique par les savants eux-mêmes et de l’essentiel de son prestige social par les prétentions idéologiques de l’absolutisme, l’astrologie devient, à la fin du XVII^e siècle, la pseudo-science occulte et charlatanesque qu’elle est encore aujourd’hui.

***

10Ce cadre général une fois défini, reste l’essentiel : l’établissement d’une base de données prosopographiques des astrologues médiévaux et des XVI^e et XVII^e siècles. Le travail que je viens d’achever sur le Recueil des plus célèbres astrologues, rédigé entre 1494 et 1498 par Simon de Phares, lui-même astrologue occasionnel de Charles VIII, permet de poser une première pierre à cet édifice16. Étonnante histoire apologétique des praticiens et des amateurs de la science du ciel des origines à la fin du XV^e siècle, composée de 1094 notices bio-bibliographiques, le Recueil a effectivement le double privilège de représenter un phénomène historiographique unique en son genre et de constituer une source fondamentale de notre connaissance des astrologiens du Moyen Age occidental.

11Le témoignage de l’astrologue de Charles VIII doit cependant être apprécié avec un grand luxe de précaution. La composition du Recueil s’est inscrite dans un contexte répressif propice à une surenchère idéologique dans laquelle, face aux condamnations dont il fut la victime, l’auteur s’est trouvé contraint de répliquer par une apologie outrancière qui visait en premier lieu à rétablir sa pleine liberté et à assurer son gagne-pain17. L’accumulation des précédents historiques tendant à prouver l’utilité de la science du ciel, notamment sur le plan politique, a ainsi abouti à l’élaboration d’un catalogue prosopographique très largement fantaisiste.

12Une appréciation chiffrée de la part d’authenticité de l’ouvrage, bien que schématique et arbitraire, permet déjà de se faire une idée de sa valeur documentaire, très diverse selon les périodes et les sources utilisées. Globalement, sur 1226 personnages qui sont qualifiés d’astrologues, d’astronomes ou d’amateurs de la science du ciel dans le Recueil, la part de ceux qui peuvent effectivement être considérés comme tels représente environ le quart, la part des personnages réels qui n’ont jamais été astrologues ou astronomes est de la moitié, alors que les individus qui sont ou paraissent imaginés purement et simplement par l’auteur constitue un autre quart de l’ensemble. On constate ainsi que les trois-cinquièmes des notices consacrées par Simon de Phares aux astrologiens du XII^e au XV^e siècle – soit 250 notices sur 405 – concernent des personnages fantomatiques, dont l’existence même est, smon totalement imaginaire, du moins invérifiable18.

13Il reste cependant que le Recueil est une source fort précieuse lorsque l’auteur a pu exploiter le grand nombre d’informations contenues dans sa bibliothèque scientifique. Simon de Phares a effectué une recherche de grande ampleur, qui lui a permis de repérer plus de trois cents véritables adeptes de la science du ciel au total, et il nous livre environ cent-cinquante notices consacrées à des astrologues et astronomes médiévaux authentiques, dont une centaine sont des partisans ou des praticiens de l’astrologie judiciaire. Mais la mise en situation largement fictive de ces personnages diminue d’une façon considérable le profit que l’on pourrait tirer du Recueil La prosopographie des astrologues médiévaux que j’ai amorcée, dont l’ouvrage de Simon de Phares constitue une inévitable base de départ, se fonde donc en partie sur sa liste de noms, mais son contenu repose sur tout ce que l’on sait par ailleurs de ces personnages et beaucoup moins, sauf dans certains cas particuliers et pour la seconde moitié du XV^e siècle, sur ce qu’il en dit lui-même. C’est un peu malgré lui que Simon nous renseigne, notamment, sur la spécialisation relative, mais croissante, entre l’exercice de la médecine, de l’astrologie et de l’astronomie qui peut être observée à la fin du Moyen Age, et qui était d’ailleurs déjà visible dans le monde arabe.

14L’apologie historique de Simon de Phares se fonde cependant sur des réalités de son temps : l’intégration de l’astrologie à la pratique de la médecine, à la philosophie naturelle et à l’enseignement des arts libéraux, la promotion des astrologues de cour. Mais le premier phénomène est beaucoup moins évident et général qu’il veut nous le faire croire, et les deux autres sont bien mieux représentés en Italie et dans l’Empire que dans le royaume de France, sur lequel Simon dispose naturellement de la majeure partie de ses renseignements de première main.

15Qui sont en effet les quelque cent-cinquante véritables astrologues et astronomes médiévaux mentionnés dans le Recueil ? La documentation est bien évidemment fort partielle, mais son examen ne réserve aucune surprise. La quasi-totalité d’entre eux sont des clercs d’un rang moyen. A l’exception de Pierre d’Ailly, que l’on ne peut considérer comme un véritable astrologue, d’Angelo Cato, archevêque de Vienne par la grâce de Louis XI, et de Paul de Middlebourg, promu à l’épiscopat à la fin de sa longue carrière, les membres du haut clergé séculier qui s’intéressent à la science des astres sont des amateurs en la matière et non pas de véritables praticiens. Parmi ces derniers, on trouve une douzaine de chanoines, une dizaine de représentants des ordres mendiants, et une demi-douzaine de membres d’autres branches du clergé régulier. La plupart ont visiblement reçu la tonsure au début de leurs études universitaires et ne sont guère allés beaucoup plus loin dans leur carrière ecclésiastique.

16Quelles études ont-ils fait ? Tout simplement celles qui étaient nécessaires à l’exercice de la profession à laquelle ils se destinaient. Nos astrologues et astronomes, au moins pour une cinquantaine d’entre eux – et la documentation est très lacunaire – sont en effet avant tout des médecins, et des médecins de qualité moyenne, puisque la moitié de ces cinquante personnages a obtenu au moins la licence.

17Est-ce-à-dire qu’ils mêlaient constamment l’astrologie à leur pratique médicale ? Ce n’est pas sûr. La moitié seulement d’entre ces médecins sont en effet des partisans déclarés de la médecine astrologique, que cette opinion soit avérée dans leurs ouvrages ou dans leur participation à la confection d’almanachs médicaux fondés principalement sur le cours de la Lune. Il n’est donc pas impossible qu’un certain nombre d’entre eux aient exercé parallèlement la médecine et l’astrologie, sans que ces deux branches de leurs activités aient été constamment imbriquées entre elles.

18C’est donc habituellement parce qu’ils sont médecins que nos astrologues se trouvent bien souvent attachés au service d’un prince d’une façon permanente. A l’inverse, les astrologues professionnels sont rares. Le cas type est celui, à la fin du XIII^e siècle, de Guido Bonatti, visiblement ignare en médecine mais astrologue de haute volée, perpétuellement sollicité au sujet des moments favorables à telle ou telle entreprise par Guido de Montefeltro, duc d’Urbino. Deux siècles plus tard, à la cour de Frédéric III de Habsbourg, Jean Canter et Jean Lichtenberger apparaissent bien comme des spécialistes de l’astrologie, mais nous sommes mal renseignés sur la pratique quotidienne de leurs activités. La majorité des astrologues sont utilisés en tant que tels par les princes à titre temporaire. Dans la seconde moitié du XV^e siècle, les professionnels permanents de l’astrologie ne se rencontrent pour ainsi dire qu’à la cour du roi de France et parmi les universitaires castillans, italiens, allemands et d’Europe centrale, auteurs de prédictions annuelles dans lesquelles ils se posent en porte-paroles officiels des universités et des cités-états qui les emploient19. La méthode prosopographique trouve d’ailleurs ici une bonne occasion de mesurer ses limites, puisqu’une proportion non négligeable de ces jugements astrologiques, en particulier à Cracovie, sont publiés sous une forme délibérément anonyme, comme s’ils émanaient de l’ensemble de la communauté universitaire, et non pas du travail individuel de tel ou tel savant reconnu20.

19Les informations de première main de Simon de Phares concernant surtout le royaume de France, c’est dans le cadre volontairement limité de ce royaume que la place et le rôle des astrologues dans la société politique de leur temps ont fait, dans ma thèse, l’objet d’une étude aussi précise que possible21.

20Le règne fondateur en la matière est celui de Charles V, dont la réputation de "roy astrologien" n’était effectivement pas usurpée. Tout indique même que c’est à la suite de la crise politique de 1356-1358 que les pratiques astrologiques se sont affirmées, dans l’esprit du dauphin Charles, comme des instruments potentiels de conquête et d’exercice du pouvoir. Mais l’astrologie judiciaire, sous Charles V, n’a jamais été vraiment reconnue d’utilité publique. Elle est essentiellement réservée à l’usage privé du souverain.

21Ce n’est en effet qu’en 1451 qu’apparaît pour la première fois, dans les comptes de l’Hôtel du roi de France, un personnage qualifié d’astrologien, rémunéré régulièrement en tant que tel et non plus sous le label de médecin22. Cette nouveauté représente, semble-t-il, une sorte de consécration politique pour l’astrologie. Voici donc Charles VII, en pleine période de reconstruction de l’Etat, qui, après avoir voulu, avec la création, en 1437, de la charge d’historiographe du roi23 se donner les moyens d’une connaissance officielle du passé, cherche maintenant, en 1451, à s’assurer de la présence à ses côtés d’un spécialiste de la prévision de l’avenir. La création successive des offices d’historiographe et d’astrologue du roi pourrait même d’ailleurs être considérée comme l’aboutissement logique de la décision prise en 1370 par Charles V de calquer le rythme de la sonnerie des cloches des églises parisiennes sur celui de l’horloge du Palais-Royal24. Ces mesures semblent relever d’une tentative commune d’appropriation de la maîtrise du temps par l’Etat, une tentative dont il ne faut toutefois certainement pas exagérer la cohérence. Les motivations précises du changement de statut des astrologues de cour, entre celui de physicien et celui d’astrologien proprement dit, ne sont pas si évidentes à percevoir. Peut-être faut-il y voir au moins autant une manifestation de la bureaucratisation et de la spécialisation croissante des serviteurs de l’Etat que le résultat d’un choix délibéré de la part du souverain. On peut seulement constater que les astrologues paraissent bien avoir été considérés par les rois de France du XV^e siècle comme des techniciens dont le savoir faisait désormais partie de la panoplie nécessaire à l’art de gouverner. A cet égard, on observera que la politique de Louis XI se situe, comme de coutume, dans le droit fil de celle de Charles VII, puisque le nombre des astrologiens du roi passe de un à deux en 1470.

22Ces astrologues de cour constituent-ils, d’autre part, des instruments de prestige, des signes de luxe et de magnificence dont peuvent ne bénéficier, d’une manière permanente, que les princes les plus riches ? C’est effectivement probable, mais il faut relativiser les choses. Pendant toute la seconde moitié du XV^e siècle, les astrologues ne sont jamais, en tant que tels, les mieux payés parmi les officiers de l’Hôtel qui s’occupent de la santé du roi de France. Dotés d’une pension annuelle habituellement comprise entre 200 et 240 livres tournois, ils occupent, au sein des officiers de l’Hôtel du roi, un rang bien moyen, équivalent à peu près à celui des barbiers, et leur place dans les "dons et recompensations" n’est pas meilleure, certains devant arrondir leur pécule en se plaçant au service de plusieurs princes à la fois. L’astrologie qu’ils pratiquent quotidiennement semble avoir le statut d’une simple science auxiliaire de la médecine et de la politique

23C’est en tout cas à partir du milieu du XV^e siècle, alors que la présence des astrologues est officialisée à la cour du roi de France, qu’ils jouent un rôle de plus en plus important dans la vie publique du royaume par le biais de la diffusion des almanachs médicaux, des prédictions annuelles et des jugements sur les comètes et les conjonctions astrales. Il apparaît cependant que leur promotion relative dans la société politique ne doit pas faire croire à leur triomphe. L’astrologie, dans la France du XV^e siècle, est un moyen d’information, de propagande, de prestige et de pouvoir, certes, mais parmi bien d’autres. Son intégration à l’enseignement universitaire y est d’autre part beaucoup moins poussée que dans l’Europe centrale et en Italie. Dans le cadre français, le Recueil de Simon de Phares arrivait donc apparemment trop tôt pour décrire un âge d’or de la science du ciel qui n’avait pas encore eu lieu.

***

24Cet âge d’or qu’est censé être le XVI^e siècle mérite t-il d’ailleurs sa réputation ? Là encore, un premier examen des sources permet de nuancer le tableau, au moins pour ce qui concerne le royaume de France Les comptes de l’Hôtel semblent indiquer que la présence des astrologues, à la cour des derniers Valois, ne fut qu’épisodique25. Les procès de Pierre Turrel au Parlement de Dijon en 152826, les attaques portées contre les ouvrages astrologiques de Michel Servet par la Faculté de théologie et le Parlement de Paris dix ans plus tard27, se situent dans la lignée de la condamnation de Simon de Phares par ces deux dernières institutions en 1494. En 1560, l’étudiant allemand Lorenz Tubbe s’étonne de voir à quel point l’astrologie est négligée dans les universités françaises28. La faveur dont Nostradamus a pu jouir auprès de Catherine de Médicis et de riches bourgeois de Lyon et d’Augsbourg est significative ; elle ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt.

25L’essentiel de l’enquête reste donc à faire. Même pour le Moyen Age, il faut l’approfondir sur les régions motrices en matière astrologique que furent l’Espagne, l’Italie, l’Empire et l’Europe centrale. Pour les XVI^e et XVII^e siècles, si l’on excepte les nombreuses études consacrées aux quelques ténors de ce paysage historique (Cardan, Nostradamus, Kepler...), le terrain est largement en friche et la documentation particulièrement abondante. Même si mon intention est de travailler en collaboration avec plusieurs équipes de recherche postées en France et à l’étranger, il sera donc impossible d’aboutir, en un temps raisonnable, à une complète exhaustivité, mais il faudrait au moins dépouiller le plus grand nombre possible de sources imprimées et manuscrites et faire plusieurs sondages dans les principaux fonds d’archives européens, notamment dans les registres de comptes des hôtels princiers.

26Ce travail de dépouillement une fois achevé, il sera possible de réaliser une étude reposant sur une analyse quantifiée des données du dictionnaire en ayant recours aux techniques de traitement informatique en cours d’élaboration, peut-être au fameux logiciel PROSOP de Jean-Philippe Genet, s’il se montre d’ici là pleinement opérationnel. La formule choisie pourrait être celle d’un questionnaire, rendant compte du plus grand nombre possible de renseignements, afin non seulement d’établir des statistiques sur les données les plus souvent rencontrées dans les notices biographiques, mais aussi de mettre en valeur l’évolution des profils de carrière au cours des siècles, sans oublier les cas particuliers et exceptionnels. Ce questionnaire porterait, pour chaque individu et dans la mesure des informations disponibles, sur les années de naissance, de mort et d’activité connue de l’astrologue, sur son origine géographique et sociale, sa formation intellectuelle, sa condition personnelle et son statut social, ses fonctions officielles, ses ressources... et enfin sur sa production scientifique et littéraire, analysée selon une typologie préétablie. Le but étant naturellement de vérifier la principale hypothèse de départ : la montée de l’influence des astrologues dans les sociétés politiques européennes du XII^e au XV^e siècle, son apogée au XVI^e et son déclin au siècle de Louis XIV