Écclesiastiques toscans et officiers de la curie romaine pendant la Renaissance

I

1Les études italiennes d’histoire de la formation de l’Etat moderne accordent une place centrale, depuis le célèbre essai de Federico Chabod Y-a-t’il un Etat de la Renaissance ?1, à l’analyse des bureaucraties, au sens weberien, c’est-à-dire des corps de fonctionnaires spécialisés, porteurs de valeurs et d’intérêts généraux face au clientélisme des systèmes de gouvernement féodaux, lato sensu. A ce propos, au cours des dernières années, l’historiographie italienne a connu une opposition très nette entre ceux qui, suivant plus ou moins fidèlement les traces de Chabod, ont poursuivi et développé l’étude des élites gouvernementales dans une optique étatiste, et ceux qui, au contraire, ont mis l’accent sur les forces de résistance privées, locales et périphériques à la logique d’affirmation de la souveraineté de l’Etat au moyen de ses bureaucraties ; ceux-là même qui se sont également efforcés de souligner dans la nature, la composition et le comportement de ces bureaucraties, ainsi que dans leurs rapports avec le Princeps, des éléments d’archaïsme féodal2.

2Le cas de la Papauté est d’un intérêt tout particulier de ce point de vue en raison du caractère double du pouvoir du Pape – souverain à la fois spirituel et temporel – qui implique une problématique complexe soulevée, entre autre, dans le livre de Paolo Prodi3. L’orientation générale de l’étude de Paolo Prodi consiste à souligner les éléments de modernité que, précisément, la double nature de la Papauté confère à l’organisation de l’Etat pontifical, dans la mesure où le modèle de l’Eglise, en tant que structure plus ancienne que l’Etat, et la possibilité de résoudre plus souplement (en théorie, au moins) les problèmes de juridiction auraient favorisé le développement et le fonctionnement d’une bureaucratie adaptée à un Etat moderne.

3 Aux thèses de Paolo Prodi s’opposent pourtant les travaux de divers historiens, parmi lesquels apparaît comme particulièrement significatif Mario Caravale, qui ont jugé la promiscuité entre spirituel et temporel comme un élément supplémentaire d’archaïsme et de retard dans le processus d’affirmation de la souveraineté et de renforcement de l’action bureaucratique gouvernementale dans l’Etat pontifical.

4Dans ce dernier courant, se situe, entre autre, un très récent livre de Peter Partner, The Pope’s men. The papal civil service in the Renaissance, sur lequel il vaut la peine de s’arrêter un instant, puisque il s’inspire précisément de l’approche prosopographique qui est au centre de l’intérêt de notre colloque. En apportant les fruits de ses nouvelles recherches et, surtout, en reprenant ceux de la glorieuse tradition de l’érudition allemande, à propos des kurialen Behürden, les offices de la Curie romaine, entre le Moyen Age et l’époque moderne, Peter Partner a ajouté de nouveaux éléments convaincants au discours déjà ébauché par von Hofmann et par d’autres4.

5A partir de la seconde moitié du XV^e siècle, en particulier à partir de Sixte IV, l’implication croissante de la Papauté comme puissance temporelle dans la politique italienne et européenne, et de la Papauté comme puissance spirituelle dans le gouvernement des Eglises locales de la Chrétienté (cette dernière n’étant que l’exaspération d’un processus bien plus ancien), provoqua un gonflement du personnel bureaucratique de la Curie et surtout son organisation en un certain nombre de collèges et d’offices vénaux. La participation à de tels offices était très importante à cause des privilèges et des avantages pratiques qu’elle accordait dans la chasse aux bénéfices ecclésiastiques conférés en Cour pontificale, elle réclamait, d’autre part, un fort investissement financier initial qui supposait, d’ailleurs, la constitution de véritables sociétés d’affaires entre le futur employé et ceux qui le finançaient. Même sans vouloir entrer plus profondément dans le sujet – gigantesque et, par ailleurs, bien connu sous tant d’aspects pour d’autres situations européennes – du rapport entre vénalité des offices, clientélisme et administration publique, je crois que l’on peut s’accorder avec Peter Partner sur le caractère très corporatif et patrimonial de la bureaucratie pontificale de la Renaissance. En ce qui concerne les officiers effectivement présents et actifs à la Curie, il me semble possible de parler d’une bureaucratie au service de l’Etat seulement si l’on abandonne la conception juridique, propre au XIX^e siècle, de l’Etat comme entité séparée de la société et porteuse de valeurs neutres et libres de toute contamination avec les intérêts privés issus du corps social : conception du reste encore plus présente dans l’historiographie italienne que dans d’autres.

6Le gonflement bureaucratique et l’introduction de la vénalité des offices à la Curie provoquèrent, du point de vue de la souveraineté spirituelle, une grave croissance de la corruption dans la pratique de la provision des bénéfices, parce que les employés souhaitaient amortir et faire fructifier le plus rapidement possible le très lourd investissement initial. Ils aboutirent également, du point de vue de la souveraineté temporelle, à de véritables négociations sur les prérogatives étatiques entre Princeps et corporations bureaucratiques. Un exemple : la concession de la part d’Alexandre VI, en 1502, de la juridiction sur Cesi et son territoire, en Ombrie, au collège des clercs de la Chambre Apostolique, comme moyen d’enrichir leurs rentes grâce aux prélèvements fiscaux qui passaient ainsi sous leur contrôle. Comme commente Peter Partner à ce propos – en accentuant peut-être le caractère négatif de son appréciation par la confrontation avec l’idée de l’Etat propre au XIX^e siècle :

"That a group of bureaucrats should be allowed to usurp State rights and to take a profit on the operations of central government in this way is typical of the organization of the papal State at this time".5

II

7Cette introduction sur le rapport entre élite bureaucratique et souveraineté pontificale était nécessaire pour définir le contexte général dans lequel s’inscrit ma communication dont l’orientation est un peu particulière. En effet, j’utilise la prosopographie pour étudier la genèse de l’Etat moderne non pas à travers l’exemple de rapports entre une bureaucratie gouvernementale et son Princeps, mais à travers l’exemple de rapports, à la fois juridictionnels et politico-sociaux, entre un Etat italien de la Renaissance – la Toscane florentine (c’est-à-dire sans Lucques et Sienne) – et une élite – l’élite ecclésiastique – qui lui est, en un sens, soumise mais qui, par ailleurs, gravite dans l’orbite curiale et romaine.

8Je dois avouer que, en particulier face à certains projets qui nous ont été exposés pendant ce colloque, le terme prosopographie est peut-être un peu trop solennel pour définir la collecte de données que j’effectue de façon empirique afin de me constituer un fichier des ecclésiastiques et des officiers cunaux toscans du XV^e siècle. C’est le caractère artisanal et, de plus, encore provisoire de ce fichier qui m’invite – bien que l’on dispose de l’aide de catalogues plus raffinés et systématiques, tel celui récent de Thomas Frenz -6 à renoncer à présenter ici des données numériques trop précises, me contentant d’évaluations grossières qui me semblent néanmoins suffisantes pour soutenir les réflexions que je souhaite développer sur l’utilité d’une approche, au sens large, prosopographique de mon sujet.

9Aucune région de la Chrétienté ne fut aussi représentée dans les offices cunaux, au cours du XV^e et du premier tiers du XVI^e siècle, que la Toscane florentine, sachant que l’Etat pontifical, dans sa totalité plus représenté que la Toscane, englobait en fait quatre régions. Dans certains collèges-clés, la présence toscane atteignit parfois presque un cinquième du nombre total des employés. Et pour citer un exemple, plus limité mais de grande importance, entre les années soixante-dix du XV^e siècle et le début du XVI^e siècle, c’est-à-dire lors d’une phase de forte expansion de l’activité judiciaire à la Cour pontificale, l’Audientia Litterarum Contradictarum, un organe dont le livre de Peter Herde a montré les très vastes prérogatives7, fut présidée sans interruption par des prélats florentins ou que l’on peut considérer comme tels : ainsi Rinaldo Orsini, un Romain mais beau-frère de Laurent le Magnifique et archevêque de Florence, Francesco Soderini, évêque de Volterra ou encore Niccolo Pandolfini, évêque de Pistoia.

10On peut également envisager le phénomène du point de vue inverse : j’ai calculé qu’entre 1417 et la fin du siècle la moitié environ des cent soixante-douze chanoines du chapitre cathédral de Florence (appartenant pour les 4/5^e à l’aristocratie florentine) étaient aussi employés dans la bureaucratie curiale ou, au moins, gravitaient à divers titres autour de la Cour romaine, comme membre d’une familia cardinalice par exemple. Du reste, la présence des Florentins dans la Rome de la Renaissance (officiers curiaux certes, mais également marchands, banquiers et leurs entourages) fut suffisamment marquante pour provoquer un significatif phénomène linguistique : ce que les philologues allemands qui l’ont étudié ont nommé Toskanisierung, c’est-à-dire la toscanisation du dialecte romain qui, au Moyen Age, était beaucoup plus proche des dialectes méridionaux qu’il ne l’est aujourd’hui.

11Rappelons à présent que le nombre et la composition du corps curial, lato sensu, est un phénomène directement hé à la remarquable concentration du pouvoir à la Cour de Rome qui, s’étant esquissée à partir de la fin du XIII^e siècle, se poursuivit avec force pendant la Papauté d’Avignon, reprit après la crise schismatique au début du XV^e siècle et fut, enfin, sanctionnée au milieu du siècle par la série de concordats officiels ou d’accords tacites conclus entre Rome et les Etats italiens et européens8. Quant à la politique concordataire avec les Etats italiens, elle reconnaissait au Pape comme souverain spirituel une très vaste marge d’intervention dans les réalités locales. Intervention en principe exclusivement spirituelle, mais qui, en raison de la confusion entre les différentes sphères, intéressait en réalité également les questions temporelles. La collation des bénéfices ecclésiastiques impliquait des intérêts patrimoniaux énormes : le droit d’imposer des taxes et d’administrer la justice se traduisait en effet en interventions qui dépassaient largement la simple défense des prérogatives ecclésiastiques, pour devenir de véritables invasions dans des champs plus ou moins clairement profanes. C’est cette implication toujours croissante du centre de la Chrétienté dans le gouvernement des réalités périphériques, au spirituel et, indirectement, en partie au temporel, qui alimentait le gonflement du personnel bureaucratique de la Curie.

12Même comparé à la situation du reste de l’Italie, situation d’interdépendance extrêmement accentuée vis-à-vis de la politique ecclésiastique de la Papauté, l’Etat toscan – comme j’ai tenté de le démontrer il y a quelques années -9 représentait, au XV^e siècle déjà, l’exemple de l’ouverture la plus grande à l’exercice de la juridiction pontificale et de l’acceptation la plus remarquable du condominium avec Rome – créé par la politique concordataire – sur une considérable part des sujets, des richesses et de certaines prérogatives de l’Etat Les liens entre la Curie pontificale et les élites toscanes, surtout florentines, remontaient aux rapports politiques et financiers tissés au XIII^e siècle, lors de la lutte commune en faveur des Anjou contre les Souabes. Les grandes banques toscanes, en particulier florentines, avaient ensuite été les protagonistes, en fournissant les crédits nécessaires, du processus de concentration du pouvoir pontifical, que j’ai mentionné.

13Conformément à cette tradition, dès mai 1427, donc bien avant la période des concordats du milieu du siècle, la République florentine avait unilatéralement ouvert la voie à l’exercice de l’autorité pontificale en promulgant une loi qui éliminait de ses statuts tout résidu de législation juridictionnelle Cette tendance s’accentua encore au cours des décennies suivantes lorsque les Médicis, étroitement liés à la finance et à la politique romaines à travers le contrôle de la Trésorerie de la Chambre Apostolique, choisirent de renforcer au moyen de Rome leur pouvoir, effectif mais pas encore légitimé ni stabilisé, sur Florence. Un épisode comme la conjuration des Pazzi n’est ni un démenti, ni une exception à la règle, mais la pleine confirmation de la situation que j’ai décrite ; en effet, elle ne fut pas la tentative d’un groupe de pouvoir florentin de renverser la politique ecclésiastique des Médicis, mais la tentative d’un groupe de pouvoir romano-florentin (comme l’était également le groupe Médicis) de prendre leur place à la tête de la même politique ecclésiastique. Les pontificats de Léon X et Clément VII, au début du XVI^e siècle, pendant lesquels fut achevée la stabilisation dynastique du pouvoir des Médicis en Toscane, ne furent pas tant un point de départ que le couronnement d’un processus d’interaction et d’interdépendance.

14J’espère qu’il ne vous semblera pas trop mécanique de mettre en relation la donnée prosopographique du grand nombre des Toscans à la Curie, avec la donnée institutionnelle de la forte intervention de la Curie sur la sphère souveraine de l’Etat florentin. Bien que la République de Florence fût l’Etat de la Chrétienté le plus concerné par la collation pontificale des bénéfices, le plus ouvert aux prélèvements fiscaux des papes, le plus touché par la pratique du recours aux tribunaux de la Curie, en appel mais aussi en première instance, et pour des causes parfois plus temporelles que spirituelles, ses sujets n’en siégeaient pas moins en abondance parmi les bureaucrates, protagonistes et éventuellement bénéficiaires des interventions romaines dans la réalité toscane. On comprend facilement, à travers cet exemple, qu’il vaut mieux renoncer à l’opposition (caractéristique de tant d’ouvrages anciens sur les rapports entre Etat et Eglise avant la Réforme) entre la tutelle des prérogatives juridictionnelles de l’Etat et la défense des intérêts politiques des élites locales, d’une part, et l’intrusion rapace de la Curie et de ses membres dans les affaires régionales, d’autre part. Une étude prosopographique combinée de la bureaucratie de la Curie romaine et de l’élite ecclésiastique toscane, en mettant en valeur la large superposition entre les deux groupes, montre que, s’il existe sur le plan institutionnel une opposition abstraite entre pratiques locales de l’Etat et pratiques de la Curie, dans la routine concrète des rapports politiques, les élites toscanes utilisaient les voies curiales comme un des modes physiologiques de gestion de cette part si importante du pouvoir inscrite dans la sphère juridique de l’Eglise.

15Le cas toscan est certes trop restreint pour permettre de tirer des conclusions générales, fussent-elles provisoires. Sans envisager des situations plus complexes, telles les monarchies nationales ou l’Empire, soulignons qu’en Italie même existaient différents modèles de politique ecclésiastique : qu’il suffise de penser, pour trouver un exemple éloigné de celui de Florence, à Venise, bien avant l’époque de Sarpi et de l’affrontement avec Rome sur l’interdit. Je crois qu’il est toutefois possible de proposer, à partir de ce que nous avons dit, une piste de réflexion sur la spécificité du rapport entre la genèse de l’Etat moderne et la formation des élites dingeantes, dans le cas italien

16 En Italie, l’Etat pontifical, en raison de sa situation ambiguë d’enchevêtrement avec l’Eglise universelle, dut, plus que tout autre, s’adapter aux difficultés créées par une bureaucratie recrutée selon des critères étrangers à ceux de l’administration étatique ; les Etats laïcs, d’autre part, durent tenir compte, plus que partout ailleurs, de la présence de l’Eglise, de ses immunités et de ses prétentions. Et ils purent le faire d’autant plus naturellement que la gestion du condominium de pouvoir, créée par ce que nous appellerions en termes modernes intrusions curiales, était largement contrôlée par les délégations en Cour de Rome des élites détenant les pouvoirs locaux. A Rome, comme l’écrit Montaigne, tous les Italiens se sentent un peu chez eux Pour le meilleur comme pour le pire, Rome commença alors à devenir, ou à redevenir, capitale. La situation italienne suggère, quoi qu’il en soit, de nombreux éléments de révision du paradigme juridique de la formation de l’Etat moderne, comme affirmation d’une souveraineté neutre et absolue – particulièrement vis-à-vis de l’Eglise – grâce à une bureaucratie au service de l’intérêt public.

III

17Pour finir, j’ajouterai une apostille, de caractère plus spécifique et littéraire, mais qui n’est peut-être pas absolument étrangère à notre propos, puisqu’elle concerne, d’une manière ou d’une autre, une prosopographie, celle des intellectuels. Florence avait été, pendant la période communale, le lieu par excellence de la culture du vivere civile, idéologie d’égalitarisme aristocratico-républicain imprégnée de l’esprit d’entreprise marchand, activisme, vif sens d’appartenance à la communauté citadine, ainsi que simplicité des habitudes et sincérité des manières, sur le modèle de l’idéalisation classique de la sobre vie dans l’antique République romaine. Une idéologie fortement antiseigneuriale et anticourtisane, dans la mesure où à la cour des princes est adopté un code de comportement absolument opposé à celui du bon citoyen : lâcheté, servilité, opportunisme, dissimulation10

18Il n’y aurait aucun sens de choisir quelques citations parmi les innombrables que l’on pourrait trouver dans la littérature florentine des XIV^e et XV^e siècles. Mieux vaut noter comment dans un texte toscan, mais participant d’un climat culturel désormais different, le De Cardinalatu de Paolo Cortesi des premières années du XVI^e siècle, on parle encore des Florentins comme des moins adaptés à la vie de la Cour romaine et à l’appartenance à une familia cardinalice11 :

"comme les Florentins ont l’habitude de mesurer le temps sur la base de l’utilité et pensent tirer plus d’avantages des affaires que de la recherche des offices, il est impossible de les convaincre de vivre dans l’attente de grâces futures".

19En réalité, la situation était en tram de changer, en raison, principalement, de l’importante présence des Florentins dans la Cour par excellence et par antonomase, la Curie romaine. Citons à ce propos le témoignage de Francesco Guicciardini, le grand historien, encore élevé dans le climat du vivere civile, mais ayant accédé par la suite à sa plus grande fortune politique précisément comme serviteur des papes. C’est l’expérience même des brigues de la Curie qui apparaît au détour d’une de ses remarques, écrite vers 1530, sur le moyen d’obtenir des faveurs des puissants, et qui constitue un démenti du lieu commun encore véhiculé par Cortesi12 :

"Qui se trouve auprès des princes et souhaite obtenir grâces et faveurs pour soi ou pour des amis, doit s’efforcer autant que possible de ne pas avoir à les demander trop souvent directement, mais doit chercher ou attendre les occasions de les proposer ou de les introduire avec habileté ; lorsque ces occasions se présentent, il faut les saisir aussitôt et ne pas les laisser passer. Qui agit ainsi mène les choses avec beaucoup plus de facilité et beaucoup moins d’ennui pour le prince et, une fois acquise une grâce, reste plus léger et libre de pouvoir en obtenir une autre".

20Nous devons également à Guicciardini une réflexion plus générale, que je cite ici comme un bilan particulièrement perspicace des mutations culturelles vécues par l’élite florentine au cours de la Renaissance13 :

"Je me moquai, étant jeune, de savoir jouer d’un instrument, danser, chanter, et pareilles petites grâces : mais aussi de savoir bien écrire, chevaucher, m’habiller comme il se doit, et toutes ces choses encore qui donnent aux hommes ornement plus que valeur. J’ai ensuite souhaité avoir agi autrement car, bien qu’il ne soit pas bon de consacrer trop de temps à ces petites grâces, surtout dans l’éducation d’un jeune homme qui risquerait de s’y perdre, j’ai pourtant appris par expérience que ces ornements et le savoir-faire donnent dignité et renommée mêmes aux hommes de valeur, au point que l’on peut dire que ceux qui en manquent, manquent de quelque chose. Sans compter que l’abondance des qualités courtisanes ouvre la porte aux faveurs des princes et que pour qui en dispose, c’est parfois l’origine ou la cause de grand profit et ascension".

21Les qualités courtisanes étaient sans doute acclimatées depuis longtemps dans la Lombardie de Castiglione et dans l’Urbino de son chef-d’oeuvre Qu’un Florentin comme Guicciardini en apprenne l’importance à la Cour romaine est un aspect non négligeable de la substitution, réalisée au cours de la Renaissance, de Rome à Florence comme pôle d’attraction, y compris d’un point du vue quantitatif, pour les intellectuels, hommes de lettres et artistes italiens.14