1Cette contribution vise moins à exposer un exemple concret qu’à poser des questions et présenter des réflexions méthodologiques qui me sont venues dans le cadre de mes recherches actuelles1.

La Franconie, l’Etat et le lignage

2Les diverses tables rondes et colloques qui ont eu lieu ces dernières années sur le thème de la "Genèse de l’Etat moderne", ont notamment souligné l’impact de cette genèse sur les structures de la noblesse, la construction de l’Etat passant par la déstructuration (sinon la destruction) des réseaux de pouvoir antérieurs et/ou "parallèles" (ou, en termes bourdieusiens, animant d’autres champs que celui du politique et leur restructuration autour de ou par rapport à l’Etat ; et, dans la mesure où l’on peut supputer que la genèse de l’Etat a résulté d’un but premier qui serait la mise au pas de l’aristocratie (de plus en plus mal contenue par un système féodal en pleine mutation) les premiers concernés par la dite genèse ont sans doute été ceux que l’on regroupe sous le terme incertain d’élites (ce qui justifie donc pleinement le présent colloque)

3Si, dans le contexte de mes recherches sur la noblesse allemande et dans le cadre de ce colloque, j’évoque la non-genèse de l’Etat, ce n’est pas par provocation ou en raison d’un désir immodéré d’originalité, même si les termes de non-genèse de l’Etat doivent être précisés et nuancés : il se trouve, dans certaines régions du Sud de l’Empire, notamment la Franconie, que les efforts de construction étatique n’ont pas réussi à résoudre pleinement ou à dépasser complètement des problèmes qui ont ailleurs pu être finalement réglés, en particulier l’opposition d’une partie de la noblesse, son refus de reconnaître sa sujétion en plus de sa vassalité, et donc de se laisser enrégimenter L’Etat a donc dû se construire en renonçant à son principe unificateur, à sa volonté universaliste voire absolutiste, et laisser des groupes s’organiser en dehors de lui : ce fut ainsi le cas de la chevalerie (Ritterschaft) du Sud-Ouest de l’Empire, dont la large autonomie politique, puis aussi religieuse, a finalement été garantie par l’Empereur au milieu du XVI^e siècle (elle constitue alors la Reichsritterschaft, la Chevalerie Impériale).

4Si je m’occupe de cette exception à la règle, c’est qu’elle ne doit pas être traitée comme une simple curiosité, une bizarrerie d’outre-Rhin, ni jetée aux oubliettes de l’histoire de l’Etat, pas plus que ne doivent être négligés les autres cas atypiques : s’il est bien connu que "l’exception confirme la règle", c’est justement parce que l’on apprend beaucoup sur un système en examinant les cas limites de celui-ci, qui mettent en oeuvre des mécanismes qui sans cela auraient pu ne jamais apparaître, voire signalent les "valeurs repoussoirs" du système et donc son credo "en creux" : c’est pourquoi Françoise Autrand ou Jean-Philippe Genet ont été parfaitement justifiés d’appeler à l’étude des ennemis de l’Etat dans le cadre d’une histoire de la genèse de l’Etat2.

5Cette opposition victorieuse d’une partie de la noblesse conduit naturellement à poser la question du "comment", en l’occurrence un double "comment ?". Quels sont les moyens que cette noblesse a utilisés, et comment ceux-ci s’articulent-ils avec ce que l’on désigne traditionnellement comme la structure fondamentale de l’action nobiliaire, le lignage ?

6Et si je mets en correspondance histoire lignagère et non-genèse de l’Etat, ce n’est cependant pas pour opposer dans l’absolu la parenté et l’Etat : les travaux de Françoise Autrand sur les parlementaires parisiens à la fin du Moyen Age, ou ceux de Karl Ernst Demandt sur les officiers hessois au début de l’époque moderne3, pour ne citer qu’eux, ont bien montré que le fonctionnement de la parenté peut s’adapter parfaitement à celui des rouages de l’Etat ; il n’y aurait donc pas opposition radicale et fondamentale entre parenté et Etat.

7Mais dans le cas présent, celui d’une opposition de la noblesse à l’Etat, et étant donné les liens conflictuels qui ont pu exister entre lignage et Etat (Dominique Barthélémy évoque ainsi l’opposition de l’Etat au lignage qui a accompagné les progrès du pouvoir royal en France entre le XI^e et le XIII^e siècles)4, on ne saurait éluder l’hypothèse que les liens parentélaires fondés sur le lignage ont pu avoir une efficace spécifique et déterminante à un niveau ou à un autre du conflit. En d’autres termes, le lignage est-il la base sur laquelle une certaine noblesse du Sud de l’Allemagne a engagé sa lutte contre l’Etat ? Ou encore : qu’est-ce qui s’est opposé à l’Etat : des nobles, des lignées, des lignages ou des groupements aristocratiques ?

Prosopographie et Etat

8Face à cette problématique, deux solutions semblent possibles ; la première consiste à faire une prosopographie des ennemis de l’Etat dans le cadre d’une principauté donnée présentant des vélléités étatiques (celles des princes-évêques de Wurtzbourg ou des margraves de Brandebourg, par exemple), pour repérer dans quelle structure ils se recrutent et ils agissent : le lignage ou non ?

9Mais on se heurterait la à deux difficultés majeures : la Franconie est caractérisée par le fait d’avoir constitué une mosaïque de territoires enchevêtrés, truffés d’enclaves et distordus par les redans de leurs limites ; dans ces conditions, se limiter à une seule principauté risquerait d’aboutir à laisser de côté, dans une autre principauté, des comportements globalement inverses à ceux observés et, interpréter comme un comportement anti-étatique ce qui pourrait bien n’être que la conséquence d’une fidélité reconnue à un prince concurrent, pour dépasser ce problème, il faudrait donc mener l’enquête sur toutes les principautés de Franconie, tâche qui excède les forces d’un chercheur moyen comme moi.

10De toute façon, se pose un problème autrement épineux : à partir de quel degré de résistance ou de collaboration peut-on être qualifié "objectivement" d’ennemi ou de partisan de l’Etat ? La vie d’un chevalier franconien peut présenter une succession serrée de phases de heurts et de collaboration avec le prince, sans parler des variations de politique des princes eux-mêmes, surtout lorsqu’il s’agit de princes-évêques sans succession dynastique, et encore moins de la résistance passive ou de la force d’inertie évoquée par Françoise Autrand5.

11Une prosopographie des ennemis de l’Etat est donc sans doute fort difficile à réaliser voire impossible si l’on estime en outre que c’est peut-être presque toute la population qu’il faudrait en fait prendre en compte, l’Etat ayant dû piétiner les coutumes et franchises, notamment dans le domaine fiscal de beaucoup de ceux qu’il voulait transformer en sujets ; mais la nature même de la prosopographie est dirimante dans le cas de ce projet : puisque celle-ci est la "biographie collective d’une collection d’individus à partir de caractéristiques observables"6, elle peut difficilement s’attaquer à des individus marqués par une caractéristique aussi peu "objective" et clairement circonscrite que l’est celle d’"ennemi de l’Etat" Il faut donc aborder ces ennemis à travers un autre filtre, sans doute moins bien ciblé sur eux, mais mieux défini et permettant d’approcher indirectement des "ennemis de l’Etat patentés".

12La deuxième solution consiste donc à renverser la démarche, c’est-à-dire à partir des lignages et envisager leurs rapports avec la construction étatique et ses effets secondaires. Neithard Bulst remarque avec raison que "les études prosopographiques sur les groupements de nobles ou sur la noblesse de toute une région ne sont qu’à leurs débuts", l’histoire de la noblesse étant dominée par "des études sur des familles ou des réseaux familiaux"7 : on pouvait donc envisager de procéder à la prosopographie de la noblese franconienne à la fin du Moyen Age dans ses rapports avec les projets étatistes des princes locaux

13Il faut cependant aussitôt remarquer que c’est là un pan extrêmement difficile à tenir : comme partout ailleurs, les sources deviennent innombrables à la fin du Moyen Age, mais surtout la Franconie est dotée d’une noblesse fort nombreuse (cette région est parfois qualifiée d’Adelsland par les médiévistes), si bien qu’il est difficilement envisageable de faire sur la noblesse de Franconie à la fin du Moyen Age ce qu’a fait Roger Sablonier sur la Suisse orientale à la fin du XIII^e siècle ; seul un travail d’équipe appuyé sur un traitement automatique des données pourrait peut-être en venir à bout.

14Et se limiter à un nombre arbitraire de lignages ne mènerait pas très loin : au prix d’une illusion de représentativité, on sacrifirait la règle prosopographique qui veut qu’on ne travaille pas sur une population réunie par hasard8.

Prosopographie et lignage

15Nous voilà donc parvenus à ce constat : pour des raisons pratiques mais aussi méthodologiques, il est peu concevable de mener à bien une prosopographie des ennemis de l’Etat ou de l’ensemble des lignages nobles de Franconie à la fin du Moyen Age afin d’éclairer les difficultés créées par l’opposition nobiliaire à la genèse de l’Etat.

16La solution prosopographique ne laisse plus qu’un seul choix : et si on se focalisait d’entrée sur un seul lignage, soigneusement choisi en fonction de caractéristiques externes déjà reconnues par l’histoire érudite (en l’occurrence sa participation active aux diverses formes d’organisation parallèles et/ou antagonistes à l’Etat) et qui en feraient un objet expérimental répondant aux exigences de représentativité, surface sociale, délimitation et documentation ? Autrement dit, et si, au lieu de faire de l’appartenance au lignage une variable de la prosopographie, on en faisait une constante ? L’appartenance au lignage deviendrait ainsi ce "quelque chose en commun" (Françoise Autrand) qui permet de définir les limites d’un groupe-objet prosopographique, au lieu de n’en être qu’une donnée parmi d’autres.

17A priori, le choix d’une "prosopographie lignagère" paraît strictement possible au regard des diverses définitions proposées pour la prosopographie9, qui s’appliquent parfaitement au lignage en tant que groupe en question. Mais une telle démarche permettrait-elle de répondre à la question plus générale que l’on s’est posée (qu’est-ce-qui s’est opposé à l’Etat etc.) ? Comment éviter de n’avoir en définitive qu’une monographie familiale, ou au mieux un noeud sur un réseau ?

18Il existe ainsi, sur une des lignées du lignage von Thüngen, sur lequel je travaille, un ouvrage qui n’est pas vraiment une monographie familiale, mais plutôt une prosopographie "avortée"10 : il s’agit certes d’une collection de fiches, plus ou moins longues, consacrées chacune à un membre de la lignée ludovicienne (cadette), selon un schéma à peu près fixe à défaut d’être constant : dates généalogiques, activité militaire, biens, éventuellement appartenance a des listes de témoins ou appositions de sceau gracieuses, autres données. Mais outre que les sources utilisées sont très incomplètes, il manque toute exploitation de l’ensemble (un troisième volume prévu à l’origine et devant traiter quelques thèmes transversaux, a été abandonné en cours de route) et surtout les personnages agissant en relation avec des Thüngen sont très irrégulièrement notés. Il n’est donc pas question de prétendre reconstituer valablement un réseau à partir des données fourmes.

19Or, considérant que ce choix d’une prosopographie lignagère procède des difficultés à atteindre autrement les structures de l’action anti-étatique nobiliaire, donc que cette démarche a pour objet véritable les réseaux auxquels appartiennent les membres du lignage, elle doit donc ne viser ni les membres du lignage pour eux-mêmes (c’est-à-dire se contenter de rassembler des données sur eux sans les mettre autrement en relation que par la généalogie) ni seulement les membres du lignage (c’est-à-dire faire comme si ceux-ci agissaient indépendamment des autres acteurs historiques en-dehors des cas de mariages ou de "bras-de-fer" directs contre eux)11. Ainsi, le lignage cesse d’être une simple entité vaguement ouverte sur l’extérieur, pour se constituer en un "point de vue", un observatoire sur les réseaux auxquels appartiennent un ou plusieurs membres du lignage à des moments différents.

20Mais dans la mesure où l’on ne travaille pas sur le réseau entier, donc où le risque est grand de ne présenter qu’un noeud et quelqueslinéaments effilochés d’un coin de réseau, il importe de procéder à un dépouillement si possible exhaustif des sources où apparaissent un ou plusieurs membres du lignage, afin de mettre à jour le plus grand nombre possible de liens susceptibles de se ramifier en réseaux actifs et durables : comme le souligne Françoise Autrand, "il y a les alliés d’une saison qui n’apparaissent qu’une fois, mais peut-être d’une façon décisive"12, l’action personnelle a en effet une efficace sans doute plus grande dans la société féodale "où les liens personnels d’homme à homme sont la forme d’organisation dominante"13, que dans une société moderne où les institutions ont une force d’inertie qui peut (voire est faite pour) brider les actions individuelles.

21Ce faisant, on se retrouve dans une situation paradoxale : on applique les méthodes de la prosopographie (i.e. la mise à plat de toutes les relations qui enserrent un individu dans un but d’étude globale de ces relations au sein d’un groupe et à une période définis) à un objet restreint à l’échelle du réseau – parce que ce réseau est difficilement accessible – et pour lequel il faut pousser très loin le dépouillement des archives, comme s’il s’agissait d’un objet de micro-histoire. Car c’est bien de micro-histoire qu’il s’agit si l’on s’en tient à la présentation qu’en ont faite Carlo Ginzburg et Carlo Poni14 : "analyse à la loupe de phénomènes circonscrits" afin de restituer "les relations complexes qui unissent un individu à une société donnée" et "composent une sorte de toile d’araignée aux mailles étroites proposant à l’observateur la représentation graphique du réseau des rapports sociaux dans lequel l’individu est pris", en suivant pas à pas les noms propres qui apparaissent dans les documents émanant de toutes origines, sans compter que les cas marginaux sont un objet privilégié de la micro-histoire15.

Prosopographie et micro-histoire

22Suis-je donc en train de tout mélanger, ou les démarches respectives de la prosopographie et de la micro-histoire sont-elles moins éloignées qu’on ne le dit parfois ? L’une et l’autre travaillent en effet sur la base d’un repérage de noms précis et sélectionnés afin de reconstruire les réseaux de relations réels et non nécessairement visibles. Certes, la prosopographie a jusqu’à présent surtout concerné les élites mais c’est parce qu’elles sont les mieux documentées (Carlo Ginzburg et Carlo Poni l’admettent), ce n’est pas propre à la prosopographie ni, surtout, ne s’oppose à l’existence d’une prosopographie d’un "au-delà des élites", comme celle de Claude Gauvard sur les criminels

23S’il y a opposition, ce n’est pas, en bonne logique, entre prosopographie (qui est une méthode) et micro-histoire (qui est à la fois un choix d’objet – le vécu et les structures du quotidien et, de toute façon, une méthode prosopographique)16. Y a-t-il alors opposition entre micro-histoire et histoire de l’Etat ? L’échelle micro-historique est, certes, celle des structures du quotidien et du temps long, les progrès décisifs de l’Etat moderne ne se font sentir, certes, que lentement à cette échelle (encore que le cas de l’impôt permanent ou des troubles guerriers qui accompagnent partout les efforts étatiques puissent donner à réfléchir), mais cette force d’inertie ne figure-telle pas au rang des "ennemis de l’Etat" dont Françoise Autrand envisageait l’étude dans le cadre de l’histoire de la genèse de l’Etat.

24Et l’étude des micro-réseaux de pouvoirs (couple, famille, paroisse, village etc.) que met à jour la micro-histoire n’est-elle pas à la limite aussi importante, dans l’histoire de la genèse de l’Etat moderne, que celle des macro-réseaux (administrations, cours, clientèles etc), dans la mesure où la première permet de repérer d’éventuels indices de la "conscience d’Etat" chez les administrés, la genèse de l’Etat n’étant arrivée à son terme que lorsque tous ceux-là sont persuadés de la nécessité de celui-ci ?

25Micro-histoire et histoire de l’Etat sont donc complémentaires, tout comme micro-histoire et prosopographie sont des démarches analogues En fin de compte, s’il y a quelque part opposition, n’est-ce-pas "simplement" entre prosopographie micro-histonque et prosopographie de l’Etat, non pas essentiellement, mais telle qu’elle est mise en pratique. Une fiche prosopographique sur un serviteur del’Etat peut théoriquement présenter des champs de données très nombreux et très précis pour faire face à toute la complexité du réel appréhendé au travers des sources, si bien qu’elle ne le céderait en rien à une fiche micro-historique.

26Mais le problème est celui de la quantité de fiches à traiter : ce n’est pas un hasard si Carlo Ginzburg et Carlo Poni estiment que "les enquêtes microhistoriques offrent la démarche [...] la plus praticable pour ceux qui usent de méthodes d’exploitation artisanales"17.

27En effet, le traitement approfondi d’un groupe humain un tant soit peu étendu suppose, dans un premier temps, le recours à l’informatique et, si le groupe et le nombre des sources sont vraiment étendus, une limitation du nombre de questions : Neithard Bulst insiste sur cette condition de faisabilité que constitue le choix préliminaire des données à traiter en fonction d’une problématique déterminée, estimant même qu’une recherche de type prosopographique non menée sur la base d’un tel préliminaire mérite à peine le nom de "recherche prosopographique inconsciente"18.

28C’est là la différence notable entre la micro-histoire telle que la conçoivent C. Ginzburg et C. Poni et la prosopographie telle que la définit N. Bulst : dans le premier cas, on privilégie la multiplicité des approches contre la dimension du groupe, dans le second la dimension du groupe contre les multiples approches offertes par les sources. Mais, répétons-le, cette différence n’est pas essentielle, elle procède des conditions matérielles de la recherche historique (solitude du chercheur ou exigence de rentabilité dans les programmes collectifs, dans tous les cas course à la dimension de l’objet) et non plus de l’épistémologie de ces démarches.

29Ceci conduit à d’autres interrogations : la micro-histoire est-elle ontologiquement liée à l’étude des mentalités et du quotidien ? Et la prosopographie est-elle indissociable d’une recherche sur des grands nombres d’acteurs et des traitements statistiques ?

30En fin de compte, c’est la question du lien entre prosopographie et histoire de l’Etat qui réapparaît. Selon Jean-Philippe Genet, ce lien est à la fois empinque (c’est dans le cadre de recherches sur l’Etat moderne que la méthode prosopographique a été éprouvée) et théorique (la méthode prosopographique est le meilleur moyen d’appréhender la construction étatique, par la connaissance qu’elle permet de la sociographie de l’Etat)19 ; mais il faut remarquer que ce lien théorique est un lien orienté : que l’histoire de la genèse de l’Etat ne puisse peut-être se passer de la démarche prosopographique n’implique pas que cette méthode se réalise pleinement dans l’histoire de l’Etat.

31En d’autres termes, il n’est pas sûr que l’histoire prosopographique de l’Etat tire le meilleur parti de la méthode prosopographique : les multiples doutes exprimés par Françoise Autrand quant à la démarche prosopographique employée pour l’étude de la genèse de l’Etat20 sont tout-à-fait légitimes, mais me semblent mettre injustement en cause la méthode elle-même, alors que ce sont les choix des historiens prosopographes qui sont à mettre en doute, choix eux-mêmes dictés par les impératifs de l’économie du travail historique. Il est plus que probable que, dans les conditions "courantes" de la recherche, la prosopographie de l’Etat, médiéval ou moderne, gagnerait en profondeur et en richesse si elle était menée comme une recherche micro-historique, sur des groupes point trop étendus mais plus larges que ceux de la micro-histoire (éventuellement grâce à un travail collectif) et correctement choisis par rapport à l’ensemble (avec toute la part de risque que comporte un tel choix). Où l’on voit que la connaissance historique est étroitement dépendante des conditions dans lesquelles s’exerce le métier d’historien.

32La prosopographie lignagère telle que je l’ai présentée précédemment me semble correspondre à cette possibilité d’une prosopographie participant de l’étude de la genèse de l’Etat, mais appliquée à un groupe restreint. Small is beautiful.