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L’apport de la prosopographie a la connaissance des carrieres des officiers de la chambre des comptes de Moulins (vers 1450-vers 1530)

p. 123-138


Texte intégral

1Au colloque de Bielefeld en 1982, Jean Kerhervé commençait sa communication en expliquant que si on tentait d’en appliquer les méthodes aux officiers des principautés françaises de la fin du Moyen Age, la prosopographie devait encore "convaincre de son utilité"1. Cet historien a brillamment montré depuis, dans sa thèse consacrée aux finances et aux officiers de finances du duché de Bretagne2, que la méthode prosopographique permettait sans conteste une meilleure compréhension du fonctionnement des institutions d’une principauté. Si son observation de 1982 n’est plus aujourd’hui valable – et pour cause – pour la Bretagne, elle le demeure en revanche pour d’autres principautés de la fin des temps médiévaux, et en particulier pour la principauté bourbonnaise. En effet, si les institutions de cet "Etat princier" ont fait l’objet de travaux importants3, les administrateurs bourbonnais, quant à eux, n’ont pas suscité d’études notables. Il est vrai que tout travail prosopographique se heurte, ici peut-être plus qu’ailleurs, à un problème de sources. La destruction de très nombreux documents, notamment des pièces comptables de la Chambre des comptes4, combinée à une dispersion des archives, rend le travail de recherche ingrat ; la prospection est souvent longue et difficile pour une moisson qui paraît toujours maigre. Cependant, cette quête débouche parfois sur des documents d’une grande valeur pour la constitution d’une base prosopographique, comme par exemple des registres de nominations5.

2Je voudrais ici essayer de comprendre, grâce à la méthode prosopographique, "le mécanisme des carrières" dans une des institutions les plus importantes de l’"Etat" bourbonnais, à savoir la Chambre des comptes de Moulins6. Mon propos se limitera à une période relativement courte, 1450- 1530 environ7, ce choix des limites chronologiques s’expliquant par l’exploitation d’une série documentaire particulièrement riche8 qui me permet de disposer d’un corpus de 75 officiers des comptes. Je ne prétends pas à l’exhaustivité. Je me propose seulement d’avancer quelques conclusions, provisoires, sur un nombre restreint de problèmes qui tournent autour des durées et du déroulement des carrières, et ce afin d’en dresser une typologie

3Si l’on reprend la proposition d’Alain Demurger, la Chambre des comptes serait de ces institutions "bien fixées, aux attributions clairement définies, ... comme le Parlement où les carrières peuvent être longues et constituer un aboutissement"9. Commençons par vérifier si la Chambre des comptes de Moulins répond bien à cette définition en examinant d’abord la durée des carrières. Sur le corpus de 75 personnes, seules les données concernant 25 individus sont réellement utilisables Pour ceux-là uniquement on dispose à la fois de leur date d’entrée à la Chambre et de leur date de sortie de charge II est toutefois possible d’élargir le champ d’analyse. On peut en effet retenir, en plus des 25 officiers susmentionnés, 13 autres officiers pour lesquels j’ai pu calculer une durée approximative de présence à la Chambre comprise dans une fourchette raisonnable d’erreur n’excédant pas 2 à 3 ans. Il m’a enfin semblé prudent d’écarter les officiers qui, nommés à la fin des années 1510 et dans les années 1520, ont vu leur carrière d’officier ducal s’arrêter brutalement avec la suppression de la Chambre par François Ier, et ce pour ne pas tenir compte des aléas de la conjoncture politique des années 1520 sur les durées des carrières. Ainsi, les résultats rassemblés dans le tableau I ne concernent au total que 38 individus (sur 75 personnes) et correspondent aux durées des carrières des officiers des comptes pour la période 1450-1520 maximum.

Tableau I Durée des carrières à la Chambre des comptes de Moulins

Nombre d’officiers Pourcentage
Moins de 10 ans 11 28,9 %
10-20 ans 18 47,4 %
20-30 ans 5 13,1 %
Plus de 30 ans 4 10,6 %
Total 38 100 %

4 La durée moyenne des carrières des officiers des comptes moulinois est d’un peu moins de 15 ans (14,4) en ne tenant compte pour le calcul que de la durée minimale de la carrière des 13 officiers dont on connaît la date d’exercice à la Chambre à deux ou trois années près ; elle est d’un peu plus de 12 années (12,6) si l’on s’en tient au premier corpus de 25 officiers. Si plus du quart des gens des comptes reste moins de 10 ans, le gros du personnel demeure en fonction entre 10 et 20 ans, et près du quart encore plus de 20 ans. Ainsi, comme à la Chambre des comptes du duché de Bretagne ou au Parlement de Paris10, la longévité des carrières est bien une donnée majeure à retenir. Quatre officiers comptent même plus de 30 années de fidélité à l’institution. Tel est le cas d’Antoine Comillier11 qui semble y avoir exercé au moins 44 années et de son fils Etienne12 qui y travailla au moins 31 ans, tous les deux engagés d’abord comme clercs puis promus conseillers-auditeurs13. Tel est encore le cas de Jean Daignet, conseiller-auditeur chargé plus spécialement de la garde des archives, qui resta en fonction entre 34 et 36 années14. Tel est enfin le cas d’Oudard Bellossier15 qui, tout en demeurant 38 ans maître des comptes, cumula cette fonction et celles de procureur général de Bourbonnais, de conseiller ducal et de commissaire aux Grands Jours. Cinq autres restèrent entre 20 et 30 ans, ce qui est également long, d’autant que pour trois d’entre eux, cette carrière aux Comptes venait après l’exercice d’une autre charge dans l’administration bourbonnaise. Leur cas n’est pas isolé Nombreux sont les officiers de la Chambre qui ont occupé un autre poste dans l’administration ducale avant ou après leur séjour aux Comptes (tableau II).

Tableau II Nombre d’offices occupés avant, pendant et/ou après le passage à la Chambre des comptes

Nombre d’offices Nombre d’officiers
0 27
Plus de 1 48, répartis comme suit :
1 14
2 11
3 11
4 4
5 2
6 5
7 1
Total 75 = 27+48

5Ce constat m’amène à vérifier la deuxième partie de l’affirmation d’Alain Demurger : l’entrée aux Comptes constitue-t-elle l’aboutissement d’une carrière ? Pour répondre à cette interrogation, il faut s’efforcer de dénombrer les individus qui finissent à la Chambre leur carrière d’officier ducal16 Faisons une place à part aux 27 officiers qui n’ont travaillé qu’aux Comptes et pour lesquels on ne peut pas véritablement parler de "cursus professionnel". Arrêtons-nous en revanche sur les 48 autres. Parmi eux, on compte 42 personnes dont le poste à la Chambre des comptes est le dernier de leur carrière, celui-ci gardé seul ou concurremment avec un autre. Seuls 6 individus, après avoir exercé à la Chambre, terminent leur vie d’officier ducal dans une autre charge (tableau III)17. Incontestablement donc, la Chambre des comptes est bien l’aboutissement d’une carrière.

6Si finir à la Chambre apparaît par conséquent comme un objectif pour bon nombre d’officiers, la démarche pour y parvenir n’est pas uniforme. On peut en effet commencer par faire "ses classes" ailleurs comme le montre le tableau III. On peut aussi entrer directement aux Comptes, soit, pour les plus chanceux, les mieux introduits ou les plus capables, en se faisant nommer conseiller-auditeur – ce qui laisse éventuellement espérer un jour terminer vice-président ou président –, soit en commençant au bas de l’échelle, comme clerc, avec l’espoir d’être plus tard promu maître des comptes, à l’instar du père et du fils Comillier précédemment cités en exemple.

Tableau III Période d’occupation des autres offices par rapport au passage à la Chambre des comptes

Nombre d’officiers
Avant 6
Avant et pendant 31
Avant, pendant et après 2 Avant = 39
Pendant 5
Pendant et après 1 Pendant = 39
Après 3
Total 48

7Une fois à la Chambre, et dans l’attente d’une éventuelle promotion, le nouvel arrivant a la possibilité d’étoffer sa carte de visite et de parfaire son expérience professionnelle en consacrant une partie de son temps à une autre occupation. La fonction d’officier des comptes n’empêche pas en effet l’exercice simultané d’une autre activité au service du duc. On a déjà donné l’exemple d’Oudard Bellossier. Avec lui, ce sont 39 individus (sur 75), soit plus de la moitié de l’effectif (52 % exactement), qui sont en même temps officiers à la Chambre et détenteurs d’un autre office (tableau III). Certes, l’emploi détenu en cumul n’implique pas forcément qu’on doive lui consacrer plusieurs heures par semaine. Etre secrétaire du duc par exemple – au cas où on le demeure après avoir accédé à la Chambre – ne constitue qu’une activité ponctuelle qui ne doit pas en définitive trop perturber l’emploi du temps d’un conseiller-auditeur. Il en va tout différemment quand celui-ci est, en même temps, châtelain, ou bailli, ou bien lieutenant d’une châtellenie, ou même encore arpenteur des bois et des forêts du Bourbonnais. S’il est loisible de penser que la charge de conseiller-auditeur – car ce sont surtout les auditeurs qui cumulent – prime les autres fonctions, il n’en reste pas moins que le cumul occasionne des absences qui, même brèves et espacées, ont des répercussions sur le fonctionnement de l’institution A la lumière de cet élément, il me semble que l’on comprend mieux un phénomène insuffisamment expliqué : la multiplication des offices de la Chambre dans la seconde moitié du XVe siècle En effet, primitivement fixé à 4 conseillers et 2 clercs par le duc Louis II lors de sa fondation en 137418, l’effectif de la Chambre n’a cessé d’augmenter dans la seconde moitié du XVe siècle, et particulièrement sous le principat de Jean II (1456-1488). En dépit d’une ordonnance promulguée par ce duc en 1469 pour limiter le nombre des officiers des Comptes "au nombre ancien d’un président, quatre conseillers maîtres et auditeurs, dont deux clercs et deux lais, avec deux clercs greffiers"19, soit à un total de 7 officiers, toute la politique de nomination de ce prince et de ses successeurs a contredit cette volonté de réforme20. Ainsi, en 1488, l’effectif de la Chambre était de 12 officiers21. Il était identique en 150322. Au début de 1523, il se montait à 1423 Il faut attendre 1528 pour observer une diminution et voir ramener à 9 le nombre des offices, cette diminution s’expliquant par un contexte politique nouveau puisque les territoires de la principauté avaient été confisqués par la royauté un an auparavant24. Bien sûr, il est incontestable que le surcroît de travail qui incombe à la Chambre des comptes de Moulins dans la seconde moitié du XVe siècle, en raison de la centralisation de nombreuses affaires administratives dans la capitale bourbonnaise, justifie en partie ce gonflement de l’effectif. De même, on ne peut totalement écarter l’idée selon laquelle certaines nominations n’étaient que des récompenses données à des serviteurs qui, ne se présentant jamais à la Chambre, concevaient alors leur office uniquement comme un supplément de gages, à l’image de ce qui se pratiquait à la Chambre des comptes de Paris25. Nonobstant, je reste persuadé que cet accroissement du nombre des offices trouve aussi sa raison d’être dans le cumul autorisé des officiers des comptes. Comment en effet ne pas voir dans la multiplication des postes un moyen de faire face aux dysfonctionnements (absences principalement) découlant du cumul des officiers des comptes, les maîtres-auditeurs nommés en surnombre s’acquittant alors du travail du personnel occupé pendant un temps à d’autres tâches26 ?

8Trente-neuf officiers dont l’entrée à la Chambre a été précédée d’un autre office ducal, 39 officiers – pas forcément les mêmes que les 39 précédents – qui cumulent leur poste aux Comptes avec une autre charge, ce sont en définitive 45 personnes qui ont exercé avant et/ou pendant leur passage à la Chambre une ou plusieurs autres fonctions dans l’administration de la principauté (tableau III). A ce stade de la réflexion, il n’est pas inutile de s’intéresser aux offices que les gens des comptes ont détenus, ce qui nous éclairera sur les qualités demandées à un officier désireux de faire carrière à la Chambre (tableau IV).

Tableau IV Nature des fonctions et offices occupés avant et/ou pendant le passage à la Chambre des comptes

Nombre d’officiers
Secrétaire et/ou conseiller27 31
Administration 26
Finances 16
Justice 8
Office d’écriture28 6
Médecin 3
Total 9029

9 On constate d’abord et surtout que, paradoxalement, l’entrée à la Chambre n’est pas réservée aux seuls spécialistes des finances : 16 personnes seulement ont des compétences en matière financière. Il s’agit d’anciens trésoriers de Bourbonnais ou de Forez, de contrôleurs et de gouverneurs généraux des finances, de maîtres de la chambre aux deniers de l’Hôtel ducal Le gros du bataillon (31 officiers des comptes) est surtout composé d’anciens secrétaires et/ou de conseillers du duc – ou de personnes portant ce titre – c’est-à-dire de gens choisis pour la confiance que leur témoigne le prince et vraisemblablement aussi pour leurs qualités politiques. Viennent ensuite, dans une proportion importante, ceux qui sont versés dans les affaires administratives : on totalise 26 personnes qui ont détenu, précédemment à leur entrée à la Chambre ou conjointement avec leur office aux Comptes, un poste de type administratif dans la principauté (châtelain, garde des sceaux, etc.) ou dans l’Hôtel ducal Ceci ne doit pas surprendre quand on connaît la nature du travail des officiers de la Chambre. Si l’audition des comptes occupait une grande partie de leur temps, leur tâche ne se limitait pas à cette seule activité L’enregistrement des ordonnances et des lettres de nomination des officiers dont ils devaient par ailleurs recevoir le serment, la garde des archives, les enquêtes étaient autant de missions qui leur incombaient et qui ne nécessitaient pas de compétences financières précises mais bien plutôt des aptitudes en matière administrative30. Enfin, quelques juges trouvaient une place aux Comptes, ce qui, là encore, n’est guère étonnant puisque la Chambre était aussi un tribunal recevant les causes du domaine En somme, c’est toutes les compétences qui étaient requises. Or, il n’était pas rare de les trouver rassemblées en un même individu qui, en raison des nombreuses charges qu’il avait pu exercer, pouvait réunir des qualités de nature à la fois financière et administrative, voire judiciaire et politique, à l’image de Philippe du Croset successivement secrétaire, trésorier de Beaujolais, capitaine de Beauregard, maître des Eaux et Forêts, maître de la Chambre aux deniers de la duchesse de Bourbon, ou encore à l’exemple de Guillaume de Marillac tour à tour secrétaire, trésorier et châtelain de Montpensier, contrôleur général des finances ducales31. Ainsi, sur les 45 officiers des comptes retenus ici, près des deux tiers (29, soit 64,4 %) peuvent décliner au moins deux qualifications : 13 ont deux spécialités, 14 trois et 2 quatre. Ce qui atténue l’impression de trop grande spécialisation dans un même type d’offices qui a pu se dégager de l’analyse précédente. Si l’on reprend, par exemple, le cas des 16 "financiers" qui se retrouvent aux Comptes et qui ont tous exercé dans un office de cette nature avant de parvenir à la Chambre, on constate que 12 d’entre eux ont des compétences dans au moins un autre domaine32. D’où un problème impossible à résoudre : est-ce d’abord pour leur connaissance des affaires financières ou pour leur autre spécialité professionnelle, ou bien pour les deux que ces officiers ont été retenus à la Chambre ? La même question se pose pour tous les autres individus qui ont une double compétence acquise antérieurement à leur entrée aux Comptes. Une chose est néanmoins sûre : avoir des compétences variées ne pouvait que faciliter l’admission à la Chambre.

10S’il est donc clair qu’une expérience simple ou multiple dans le domaine administratif, financier ou judiciaire constituait une bonne carte de visite pour accéder aux Comptes, on peut penser qu’il n’était pas non plus inutile de pouvoir justifier d’un savoir théorique acquis à l’université. Quelle est à ce sujet la situation des gens des Comptes moulinois (tableau V) ?

Tableau V Le niveau intellectuel des gens des comptes moulinois33

Nombre d’officiers
Indéterminés 35
Gradués 23
Secrétaires et/ou notaires 17
Total 75

11Les résultats réunis dans le tableau V soulèvent un problème majeur Faut-il considérer les 35 individus pour lesquels on ne possède pas d’indications comme des non-gradués ? Cette éventualité n’est pas à exclure, car il était d’usage, dans les lettres de nomination, de décliner les titres universitaires du bénéficiaire. Si ces 35 officiers en possédaient, on comprend mal le silence des sources sur ce point34. Dans cette hypothèse, et en ne manquant pas d’ajouter au groupe des indéterminés celui des notaires et secrétaires, ce serait plus des deux tiers de l’effectif (69,3 %) qui ne seraient pas titulaires d’un diplôme. Les gradués de l’université, quant à eux, représentent près d’un tiers de l’ensemble (23 personnes, c’est-à-dire 30,7 %), soit une proportion supérieure à celle de la Chambre des comptes du duché de Bretagne (10 à 17 %)35. L’analyse de leurs spécialités ne révèle aucune surprise. Les études juridiques l’emportent nettement (20 personnes sur 23). Tous les juristes sont gradués en droit civil. Seuls deux d’entre eux sont en même temps diplômés en droit canon. On trouve ensuite trois médecins. Enfin, le niveau des grades est de bonne tenue, en ce sens que l’on recense 17 licenciés pour 2 bacheliers et 4 docteurs36.

12Ainsi énoncés, tous ces résultats permettent de dresser une typologie des carrières à la Chambre des comptes de Moulins37. Le type le plus simple correspond aux carrières d’hommes qui n’ont exercé qu’à la Chambre. Ces individus sont par exemple entrés comme clercs ou correcteurs, ont travaillé durement pour obtenir une promotion et, dans le meilleur des cas, ont terminé leur parcours professionnel dans un siège de conseiller-auditeur : c’est la situation déjà évoquée d’Antoine et d’Etienne Corniller, c’est celle de Charles Malicome38. D’autres ont commencé directement comme maîtres des comptes avec peut-être le désir de terminer leur carrière dans le fauteuil de président. Cependant, ces espoirs d’avancement ne se concrétisèrent pas toujours. Les clercs-secrétaires se trouvaient en effet en concurrence, pour une promotion, avec tous les individus entrés directement comme conseillers-auditeurs, et qui, ayant fait leurs classes ailleurs, dans d’autres fonctions, pouvaient afficher des compétences plus variées que les leurs. Aussi n’étaient-ils pas assurés d’obtenir l’avancement qui aurait fait d’eux des conseillers-maîtres. Gilbert Comillier, par exemple, n’a pas eu la chance de son père ou de son frère de terminer maître des comptes : il est resté 23 ans clerc39. Il en était de même pour les conseillers-auditeurs s’ils espéraient un jour briguer le poste de président ou de vice-président car ils se trouvaient alors en compétition avec des personnages n’appartenant généralement pas au sérail, ou, si c’est le cas, ayant un passé professionnel fourni qui ne se limitait pas à leur seul service à la Chambre des comptes. Ainsi, pour la période retenue, on ne trouve aucun conseiller-auditeur qui accéda à la présidence ou à la vice-présidence en ayant seulement exercé à la Chambre. Si l’on remonte dans le passé des 9 présidents et vice-présidents qui se sont succédé entre 1450 et 1530, l’on s’aperçoit que tous ont eu un parcours bien rempli et ont fait montre de qualités multiples ainsi que d’une forte personnalité40 On ne s’étonnera pas, dès lors, de ce que de nombreux conseillers-auditeurs soient restés toute leur vie à leur poste, tels Jean Cadier ou Claude Sombrier41. Il n’est pas sûr d’ailleurs que cette situation ait été vécue comme un échec. Pour beaucoup d’entre eux, la charge qu’ils détenaient constituait un aboutissement. Et dans le cas où ils n’eussent pas été satisfaits de leur sort, il leur était toujours possible de se faire pourvoir en plus d’une autre fonction en dehors de la Chambre.

13On peut ensuite distinguer un deuxième type de carnères : celles d’officiers qui ont tenu une charge préalablement à leur accession aux Comptes. Il s’agit principalement de secrétaires que le duc nomme conseillers-auditeurs en remerciement des services rendus. Cependant, une fois à la Chambre, ces individus suivent le même itinéraire que les officiers classés dans la première catégorie.

14Restent enfin les carnères plus complexes. Elles sont le fait des officiers les plus importants de la Chambre, présidents et vice-présidents, et de quelques conseillers-auditeurs. Plutôt que d’abstraites généralisations, bornons-nous à décrire quelques profils A tout seigneur, tout honneur, commençons par l’itinéraire de deux présidents : Jean de La Goute et Charles Popillon

15Jean de la Goute (1418-1487) est nommé correcteur et maître des comptes le 20 août 1464. On sait qu’à cette date il est châtelain de Chavroches. Il cède son siège de correcteur le 18 octobre 1466, celui de maître-auditeur le 9 mai 1469. Entre-temps, il avait été promu au poste de gouverneur général de toutes les finances du duc. C’était le 10 octobre 1466, il avait 48 ans. Ses efforts, ses services mais également ses talents furent récompensés le 21 août 1473 quand Jean II le désigna président de la Chambre des comptes et garde du domaine ducal. Il avait alors 55 ans. Il demeura en fonction jusqu’à sa mort même si, sur la fin de sa vie, en raison d’un état de santé qui l’empêchait de "bonnement exercer" – ce qui obligea le duc à lui adjoindre un vice-président –, son activité fut vraisemblablement réduite. Néanmoins, il trouva les ressources nécessaires pour conserver sa charge de président tout en remplissant les fonctions de "garde du scel aux contrats de la chancellerie de Bourbonnais", de 1473 au moins à 148542

16Avec Charles Popillon, le profil de carrière apparaît quelque peu différent. Si son curriculum vitae n’a rien à envier à celui de Jean de La Goute, il dévoile une carrière tout axée sur les finances. Charles Popillon a commencé ses classes en 1466 comme maître de la Chambre aux deniers de la duchesse de Bourbon. Nommé argentier de ladite duchesse en 1474, il est propulsé ensuite vers les offices centraux des finances. Le duc crée en sa faveur, le 2 septembre 1483, une nouvelle charge, celle de contrôleur général de toutes les finances ducales, tant ordinaires qu’extraordinaires. Il reste en la place trois années, jusqu’en novembre 1486. Il est alors promu gouverneur général de toutes les finances. Ce poste ne le retient même pas une année. Il l’abandonne le 20 mai 1487 quand il est nommé président de la Chambre des comptes. Il meurt lui aussi en fonction après 20 années de bons et loyaux services à la tête de l’institution43.

17Le troisième exemple n’est pas celui d’un président, mais d’un conseiller-auditeur. Toutefois, quel conseiller-auditeur ! Son nom : François Robertet, connu bien au-delà des frontières du Forez d’où il est originaire et du Bourbonnais où il a en partie fait sa carrière. Il appartient à l’une des plus brillantes familles de la principauté. Fils du "grand rhétoriqueur" Jean Robertet à propos duquel Chastellain écrivait " (tu) es le tresor du Bourbonnais", il est, comme son père, doué d’un véritable talent littéraire. Mais il est aussi très compétent en matière administrative, ainsi qu’en témoigne son parcours professionnel au service du duc de Bourbon. Qu’on en juge. Secrétaire du duc Pierre II et du roi, il reprend l’office de greffier des Grands Jours généraux d’Auvergne à la mort de son père, en 1490. Il cumule cette charge et celle de capitaine-châtelain de Montsupt en Forez, qu’avait également exercée son père Son ascension se poursuit avec l’accession à la Trésorerie de Bourbonnais le 28 février 1495. La fonction de trésorier qu’il remplit jusqu’en 1506 fut pour lui la planche d’accès à la Chambre des comptes. Il en franchit les portes en 1510. Il y restera jusqu’en 1522. Son entrée aux Comptes ne fut cependant pas un obstacle à la poursuite d’autres activités. Il est toujours cité secrétaire et conseiller du duc Charles III en 1511, châtelain de Montbrison en 151744.

18Ces trois carrières présentent des traits communs : une riche expérience des affaires administratives et financières acquise dans plusieurs postes occupés avant de rejoindre la Chambre et une extrême mobilité. Il faudrait aussi considérer un autre paramètre que malheureusement la sécheresse d’une nomination sur un registre et, par voie de conséquence, la prosopographie, ne nous permettent guère de saisir : c’est la somme de travail fournie par ces hommes. A n’en pas douter Jean de La Goute, Charles Popillon et François Robertet étaient compétents, efficaces et travailleurs. Ils avaient des qualités incontestables que leurs itinéraires respectifs révèlent bien. Et là se trouve assurément la grande différence entre ces carrières très étoffées et les autres, précédemment étudiées. La fonction de président de la Chambre des comptes ne pouvait être confiée au premier venu. Dans le choix du duc, la valeur des individus était indubitablement prise en compte même s’il est clair qu’elle n’était pas le seul critère qui motivait sa décision. Celle-ci était aussi dictée par la parenté, les réseaux de clientèle, le statut social de ceux qu’il retenait à son service, autant d’éléments bien évidemment primordiaux mais dont l’étude n’entre pas dans le cadre de cet exposé45.

19 Pour conclure, qu’il me soit permis de bien mettre en lumière ce que la méthode prosopographique a apporté à cette recherche. L’analyse prosopographique a montré, d’une part, que le cumul était une pratique fréquente à la Chambre des comptes et, d’autre part, que les possibilités de promotion interne étaient réduites. J’ai également avancé l’idée que le cumul pouvait en partie expliquer la multiplication des offices de la Chambre. Ne convient-il pas aussi de faire le lien entre ce cumul et le manque de promotion interne ? Les ducs de Bourbon n’ont-ils pas vu dans l’autorisation du cumul la seule solution pour satisfaire le compréhensible désir d’avancement professionnel de leur personnel, désir que la faiblesse de la promotion interne laissait inassouvi ? C’est une simple hypothèse, mais elle n’a pu être formulée que grâce aux enseignements livrés par l’approche prosopographique. Pour être étayée, cette hypothèse implique que soit menée une étude de ce qu’était la réalité du travail des officiers des comptes moulinois. Car selon qu’un conseiller-auditeur est occupé toute l’année à la Chambre ou seulement une partie, l’interprétation de la pratique du cumul n’est pas la même. En particulier, il convient de voir si l’on assiste, à la Chambre des comptes de Moulins, à la même évolution soulignée pour d’autres Chambres, à savoir la prise en charge par les clercs d’une partie du travail d’audition des comptes46 ? Si tel fut le cas, cela signifie-t-il pour autant que les conseillers-auditeurs avaient plus de temps à accorder aux offices qu’ils détenaient en dehors de la Chambre ? Une réponse positive à cette interrogation n’est pas certaine. Les conseillers-auditeurs n’en profitaient-ils pas, justement, pour consacrer ce temps gagné à une meilleure exécution des autres obligations qui leur incombaient dans le cadre de leurs attributions d’auditeurs47 ? Voilà en définitive des questions auxquelles il faudra apporter des réponses, même si ces dernières seront difficiles à donner en raison des importantes lacunes de la documentation. Mais, plus généralement, ces réflexions montrent que toute étude prosopographique, pour être réellement efficace, nécessite d’avoir une bonne connaissance des institutions et surtout de leur fonctionnement. Comme l’a rappelé Jacques Verger en conclusion du colloque Prosopographie et genèse de l’Etat moderne : "La seule statistique prosopographique ne peut faire surgir que des hypothèses qui ne seront explicitées et vérifiées que dans une démarche d’histoire totale"48.

Notes de bas de page

1 J. KERHERVÉ, "Prosopographie des officiers de finances : l’exemple des trésoriers de l’Epargne bretons du XVe siècle", in Medieval Lives and the Historian. Studies in Médiéval Prosopography, N. BULST et J.-Ph. GENET éd., Kalamazoo, 1986 (Proceedings of the First International Interdisciplinary Conference on Médiéval Prosopography, University of Bielefeld, 3-5 december 1982), p. 267.

2 J. KERHERVÉ, L’Etat breton aux XIVe et XVe siècles. Les ducs, l’argent et les hommes, 2 t., Pans, 1987

3 En particulier la thèse d’André LEGUAI portant sur le seul duché de Bourbonnais, publiée sous le titre : De la seigneurie à l’Etat. Le Bourbonnais pendant la guerre de Cent ans, Moulins, 1969.

4 L’incendie, en octobre 1737, de la Chambre des comptes de Paris où étaient conservés depuis 1532 les documents des anciennes Chambres des comptes de Moulins, Montbrison et Villefranche, est à l’origine de la perte d’une importante série de registres de transcrits. Il faut ajouter à ces disparitions les destructions d’archives opérées à Moulins en 1793 Pour une présentation de l’état des sources de l’ancien duché de Bourbonnais, se reporter à l’introduction des Chartes du Bourbonnais, 918-1522, J. MONICAT et B. de FOURNOUX éd., Moulins, 1952, p. XV-XXV.

5 En conclusion de la table ronde consacrée au sujet Prosopographie et Genèse de l’Etat moderne, Jacques VERGER rappelait que, en dépit des "réserves et (des) risques..., il était difficile de ne pas s’appuyer malgré tout sur une source sinon unique, du moins première, sorte de source-souche, qui permet la délimitation initiale de la population à étudier, même si des dépouillements complémentaires viennent ensuite en élargir l’effectif et surtout en enrichir la connaissance" : Prosopographie et genèse de l’Etat moderne, Fr. AUTRAND éd., Paris, 1986 (Actes de la table ronde organisée par le CNRS et l’ENS de jeunes filles, Paris, 22-23 octobre 1984), p. 351. Cette démarche correspond tout à fait à la mienne, puisque pour l’étude des officiers de la principauté bourbonnaise, les premières sources exploitées sont des registres de nominations d’officiers ou des documents équivalents, qui peuvent ainsi être considérées comme la "source-souche".

6 La Chambre des comptes de Moulins coiffait les deux autres Chambres de la principauté, à savoir la Chambre des comptes de Montbrison et celle de Villefranche-en-Beaujolais. Elle était ainsi "chief de toutes les autres chambres des seignories de monseigneur le duc" pour reprendre l’expression de l’évêque du Puy, Jean, bâtard de Bourbon dans ses instructions du 20 août 1474 pour la confection d’un inventaire général des titres de la maison de Bourbon : A. HUILLARD-BRÉHOLLES, Titres de la maison ducale de Bourbon, I, Paris, 1867, p. 33. La création des Chambres des comptes de Montbrison et de Villefranche est antérieure au rattachement au Bourbonnais des territoires dans lesquels elles se situaient. Rappelons que l’annexion du Forez date officiellement de 1372 et la réunion du Beaujolais au Bourbonnais de 1400. Seule la Chambre des comptes de Forez a fait l’objet jusqu’à ce jour d’une recherche importante. Il s’agit de l’étude d’Étienne FOURNIAL, Les Mémoriaux de la Chambre des comptes de Forez. Restitution du registre des années 1349-1356, Mâcon, 1964, p. 9-140.

7 La date de 1530 a bien évidemment une signification politique en ce sens qu’elle marque la fin de la principauté bourbonnaise : les biens du connétable furent saisis en 1523 et la confiscation des territoires fut déclarée par arrêt du Parlement en 1527. La Chambre des comptes de Moulins fut supprimée en 1532.

8 Pour la recherche présentée ici, la "source-souche" est un manuscrit de la Bibliothèque nationale, ms. fr. 22299 (ancienne collection Gaignières), qui contient les copies, faites au XVIIe siècle, d’extraits, sous forme de mentions analytiques, d’actes émanant des ducs de Bourbon. Les plus nombreux de ces extraits concernent des provisions d’offices. Suffisamment précis, même s’ils présentent quelquefois des imperfections (date incomplète par exemple), ils permettent de connaître d’une manière assez détaillée les carrières des officiers ducaux. 11 convient toutefois de compléter ces renseignements par d’autres informations recueillies ailleurs, en particulier dans le fonds des archives de l’ancienne Chambre des comptes de Moulms déposé aujourd’hui aux Archives nationales, série P, dans les Pièces Originales de la Bibliothèque nationale, ainsi que dans le fonds des archives départementales de l’Allier.

9 A. DEMURGER, "L’apport de la prosopographie à l’étude des mécanismes du pouvoir (XIIIe-XVe siècles)", in Prosopographie et Genèse de l’Etat moderne, op. cit., p. 292.

10 En 1468 par exemple, à la Chambre des comptes du duché de Bretagne, 12 officiers connus sur 16 totalisent 181 années d’ancienneté, soit 15 années chacun en moyenne : J. KERHERVÉ op. cit., II, p. 792. Au Parlement de Paris, en 1413, 35,1 % du personnel a moins de 10 ans d’ancienneté, 25,5 % de 10 à 20 ans, 28,7 % de 20 à 30 ans, 10,6 % plus de 30 ans. En 1430, 36,2 % des parlementaires ont entre 0 et 10 ans de fidélité à l’institution, 39,4 % de 10 à 20 ans, 10,6 % de 20 à 30 ans, 13,8 % plus de 30 ans. En 1460 enfin, 43 % des officiers comptabilisent entre 0 et 10 années de service, 24,4 % entre 10 et 20 années, 23,25 % entre 20 et 30 années, 9,3 % plus de 30 années : Fr. AUTRAND, Naissance d’un grand corps de l’Etat. Les gens du Parlement de Paris, 1345-1454, Paris, 1981, p. 28 et 411- 416.

11 B.N., ms. fr. 22299, p. 43, 135-136, 185 et Les affaires de Jacques Coeur Journal du procureur Dauvet. Procès-verbaux de séquestre et d’adjudication, M. MOLLAT éd., Il, Paris, 1953, p. 450.

12 B.N., ms. fr. 22299, p. 136, 185, 194 et 210.

13 A la Chambre des comptes de Moulins, les conseillers-auditeurs ont rang de maîtres Ils sont d’ailleurs très souvent dénommés "conseillers-maîtres et auditeurs".

14 B.N., ms. fr. 22299, p. 38, 135 et A. HUILLARD-BRÉHOLLES, op. cit., I, p. XXVII.

15 B.N., ms. fr. 22299, p. 78, 177, 188, 240, 247 et A.N., P 1356/2, cotes 246 et 250.

16 J’englobe dans le corpus des 75 officiers les 9 individus confirmés en 1528 par Louise de Savoie mais dont la carrière à la Chambre s’arrêta avec la suppression de cette institution par François Ier, en 1532.

17 Ainsi en est-il, à titre d’exemples, de Geoffroy Pinelle, qui résigne son office de conseiller-auditeur quand il est nommé lieutenant général de la châtellenie de Montluçon, le 25 février 1492, ou encore de Nicolas Lapelin, qui abandonne sa charge de conseiller-maître, après être resté 16 années dans cette fonction, pour l’office de procureur général de Bourbonnais, le 11 septembre 1518 : B.N., ms. fr. 22299, p. 164 et 240

18 A.N., P. 1386, sans cote de pièce. Ordonnance publiée dans A. HUILLARD-BRÉHOLLES, op. cit., I, p. 574-576.

19 B.N., ms. fr. 22299, p. 44.

20 Jean Daignet est nommé conseiller-auditeur le 6 février 1467 "par dessus le nombre ancien”. De nouveaux offices sont institués. Ainsi le poste de conseiller-maître auquel est nommé Jean Carsin le 24 mai 1505 est "nouvellement créé" : Ibidem, p. 38 et 199.

21 Ibid., p. 128 et 135-136. L’office d’huissier n’a pas été comptabilisé dans ces résultats

22 Ibid., p. 194.

23 Ibid., p. 253-254.

24 Ibid., p. 264-265. Les biens de Charles de Bourbon, tué en mai 1527 au cours du siège de Rome, furent confisqués d’une manière irrévocable par arrêt du Parlement le 27 juillet suivant. Toutefois, les territoires du connétable avaient été mis sous séquestre en 1523. La principauté bourbonnaise allait ainsi être réunie à la couronne. Le duché de Bourbon, qui avait été donné en jouissance viagère à Louise de Savoie dès 1523, fut définitivement rattaché en 1531.

25 Contrairement à l’institution parisienne, on ne rencontre pas de chambellans ou de maîtres d’hôtel introduits par les ducs de Bourbon à la Chambre des comptes de Moulins : H. JASSEMIN, La Chambre des comptes de Paris au XVe siècle, Paris, 1933, p. 11 et 32.

26 On ne possède aucun renseignement sur la manière dont pouvaient s’organiser les autorisations d’absence de la Chambre. On ne sait donc pas si les pratiques qui avaient cours à la Chambre des comptes de Paris (permissions de s’absenter données par le bureau, lettres de non-résidence fournies par le roi) se retrouvaient en Bourbonnais : H. JASSEMIN, op. cit., p. 61-64.

27 Seules les qualifications de conseillers attribuées aux officiers des comptes avant leur entrée à la Chambre ont été retenues.

28 Par office d’écriture, j’entends la fonction de greffier, et plus précisément de greffier des Grands Jours, de greffier de bailliage, etc

29 Une remarque préalable à la lecture de ces résultats s’impose. Comme 34 officiers ont occupé plus de deux offices en sus de leur poste à la Chambre (tableau II), il n’est pas étonnant d’obtenir un total (90) bien supérieur au nombre des officiers des comptes qui ont exercé une autre fonction avant et/ou pendant leur séjour à la Chambre des comptes (45). N’oublions pas que certains ont eu jusqu’à 6 et même 7 offices. Par ailleurs, eu égard au fait que certaines fonctions avaient des attributions souvent larges touchant à plusieurs domaines (châtelain, lieutenant, etc.), il a fallu opérer des choix et classer ces offices sous la rubrique qui correspondait à l’activité principale de la fonction concernée : ainsi le châtelain a été placé dans le groupe "administration", même s’il est clair qu’il était plus qu’un administrateur. Par conséquent, le tableau est à lire de la manière suivante : sur les 45 officiers, 31 sont des secrétaires ; sur les 45 officiers, 26 ont tenu un poste de nature administrative, etc. A titre d’exemple, un secrétaire qui a occupé un poste de trésorier et un office de châtelain sera comptabilisé sous trois rubriques différentes : une fois comme secrétaire, une fois comme financier, une fois enfin comme spécialiste des affaires admmistratives.

30 Sur les prérogatives de la Chambre, se reporter à A. LEGUAI, op. cit., p. 244-248 et à H. de SURIREY de SAINT REMY, Jean II de Bourbon, duc de Bourbonnais et d’Auvergne, 1426-1488, Paris, 1944, p. 85-86

31 Sur la carrière de ces deux conseillers-auditeurs, voir B.N., ms. fr. 22299, p. 176, 215, 234 et 253 (Ph. du Croset), 204, 205, 229, 236, 248, 251, 259, 261 et 265 (G. Marillac)

32 Sur ces 12 individus, on relève 4 officiers qui ont une spécialité en plus de leur compétence financière, 6 deux et 2 trois.

33 J’ai retenu les notaires et les secrétaires du duc car ces deux offices impliquent un minimum de connaissances. Certains de ces secrétaires sont d’ailleurs connus pour leur talent littéraire puisque ce sont des poètes. Citons à titre d’exemple Guillaume Cadier : cf. D. POIRION, Le poète et le prince. L’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d’Orléans, Grenoble, 1965, p 52. Ce qui tend à prouver, s’il est encore utile de le souligner, qu’il ne faut pas s’en tenir aux seuls grades universitaires pour évaluer le niveau de culture des officiers.

34 On ne peut mettre ici en cause, me semble-t-il, la fiabilité des copies du manuscrit de Gaignières (B N., ms. fr. 22299) qui paraissent mentionner d’une manière systématique les grades des individus retenus à un office chaque fois qu’ils étaient notés dans les actes originaux de nomination. Seuls les grades des trois médecins ne sont pas indiqués dans les copies de ce manuscrit.

35 J. KERHERVÉ, op. cil., II, p. 719.

36 Un docteur en droit, trois docteurs en médecine.

37 II est bien évident que je fais miennes les remarques de Jean Kerhervé au sujet des carrières des officiers de finances quand il écrit : "Lorsque l’on parle de carrière dans le monde des finances médiévales, il convient d’être prudent. Pour nombre d’individus, l’office ne fut pas nécessairement un but, mais plutôt un moyen d’obtenir certains avantages – privilèges juridiques, profits matériels, appuis haut placés – dont le bénéfice durait au-delà de la cessation des fonctions". Il ajoute qu’il ne faut "pas assimiler systématiquement brigue des charges financières et désir d’intégrer durablement le monde de l’administration". Ces observations générales visent l’ensemble des officiers de finances. On peut toutefois supposer qu’elles concernent moins directement les officiers d’une institution centrale comme la Chambre des comptes où l’esprit de corps était assez développé, la conscience de servir l’Etat forte et l’attachement à la fonction important : cf. J. KERHERVE, op. cit., II, p. 797-798.

38 Charles Malicorne fut retenu correcteur des comptes le 29 décembre 1488. En 1498, il fut promu au grade de maître et confirmé en 1503. II mourut en fonction en 1505 : B.N., ms. fr. 22299, p. 136, 183, 194 et 199.

39 Ibidem, p. 185, 194 et 247.

40 A titre d’exemple, citons Jean de La Goute, président de la Chambre de 1473 à sa mort, en 1487, connu pour avoir fait dresser par Conrad Heingarter une "nativité" : M. PRÉAUD, Les astrologues à la fin du Moyen Age, Paris, 1984, p. 73-74 et B. GUENÉE, Entre l’Eglise et l’Etat. Quatre vies de prélats à la fin du Moyen Age (XIIIe-XVe siècle), Paris, 1987, p. 39. Sur ce personnage, voir infra.

41 Jean Cadier et Claude Sombrier entrèrent comme conseillers-auditeurs et le demeurèrent tous les deux jusqu’à leur mort : B.N., ms. fr. 22299, p. 136, 194 et 204 (J. Cadier), 166 et 191 (Cl. Sombrier).

42 Ibidem, p. 33, 37, 43, 53, 54, 57, 82, 84, 89, 90 et 97 pour les grandes étapes de sa carrière.

43 Ibid., p. 36, 54, 77, 81, 87, 102, 103, 109, 110, 128, 153, 170, 174, 184 et 208 pour les temps forts de sa vie d’officier.

44 Sur ce personnage et sur son père, se reporter à C. M. ZSUPPAN, "Jean Robertet’s life and career : a reassessment", Bibliothèque d’humanisme et de Renaissance, 31 (1969), p. 333-342 et L. TURLIN, "Notes sur Jean Robertet, grand rhétoriqueur, secrétaire de Jean II de Bourbon", Bulletin de la Société d’Emulation du Bourbonnais, 1979, p. 231-249 ; également B N., ms. fr. 22299, p. 152, 174, 203, 218, 220, 236 et 250 pour tout ce qui concerne sa carrière.

45 Ces points ont été développés depuis dans ma thèse : Servir le prince. Les officiers des ducs de Bourbon à la fin du Moyen Age (1356-1523). Etude d’une société politique, thèse Université de Paris I, 4 vol., 1994 ; à paraître aux Publications de la Sorbonne en 1996.

46 Cette évolution est très nette à la Chambre des comptes de Paris où "au XVe siècle, l’examen des comptes était uniquement confié, semble-t-il, aux clercs de la Chambre" : H. JASSEMIN, op. cit., p. 116. Jean Kerhervé souligne le même phénomène à la Chambre des comptes du duché de Bretagne, mais il semble plus tardif et moins complet qu’à Paris : J. KERHERVÉ, op. cit., I, p. 363, qui rappelle également que les clercs de la Chambre de Dijon pouvaient examiner les comptes au XVe siècle sans pour autant avoir le titre d’auditeur.

47 C’est ce qui semble se passer à la Chambre des comptes du duché de Bretagne. Toutefois, une comparaison sur ce point avec cette dernière institution est rendue malaisée par le fait qu’après 1460 on trouve deux types d’auditeurs en Bretagne : les auditeurs "de première catégorie" que Jean Kerhervé assimile aux maîtres parisiens, et les auditeurs "de seconde catégorie", qu’il était d’usage d’appeler clercs et auditeurs et qui étaient d’anciens clercs promus. Cette distinction n’apparaît pas dans les sources bourbonnaises : J. KERHERVÉ, op. cit., I, p. 363-364.

48 Prosopographie et Genèse de l’Etat moderne, op. cit., p. 350.

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