1Les vicomtes tiennent dans l’administration royale des bailliages normands une place de premier plan, qu’éclaire une documentation exceptionnelle1. Je n’aborderai ici que l’étude des carrières, en m’appuyant sur la méthode prosopographique, et je l’envisagerai de deux points de vue : celui de l’institution, en examinant les conditions de nomination et d’exercice de la fonction vicomtale, en rapport avec les règles administratives en vigueur ou les aléas de la conjoncture politique ; celui de l’homme, en situant l’exercice de la fonction vicomtale dans le déroulement d’une carrière individuelle. Mais je laisse provisoirement de côté les aspects sociaux dont je sais toute l’importance.

2Le cadre administratif retenu est naturellement celui des six bailliages normands : Caux, Rouen, Gisors, Evreux, Caen et Cotentin. Il fallait une période suffisamment longue pour faire apparaître, au delà des aléas de la conjoncture, des tendances plus profondes, d’où le choix du siècle 1350-1450 ; ce n’est qu’à partir de 1350 que les notices de la Gallia Regia commencent à fournir quelques renseignements sur les vicomtes2 ; et 1451 marque la fin de la Normandie "anglaise", ce qui constitue une coupure nette et intéressante.

3 Quelques précisions doivent être données sur l’évolution de la géographie politico-administrative des circonscriptions normandes entre 1350 et 1450. Dans le bailliage de Caux les vicomtés d’Arques, de Caudebec et de Montivilliers sont stables, mais celle de Gournay et celle de Neufchâtel, dont les titulaires sont parfois communs, font parties du douaire de la reine Blanche jusqu’en 1398 ; des vicomtes royaux cohabitent toutefois avec ceux de la reine. Dans le bailliage de Caen, les quatre vicomtés de Bayeux, Caen, Falaise et Vire ne bougent pas durant toute la période. En Cotentin on compte cinq vicomtés principales : Avranches, Carentan, Coutances, Mortain et Valognes Elles ont été sous le gouvernement de Charles le Mauvais, roi de Navarre jusqu’à 1378 ; là aussi le roi a parfois nommé un vicomte, car il n’a jamais abandonné tous ses droits : c’est le cas à Avranches, à Coutances ; les vicomtés de Saint-Sauveur-Lendelin et Saint-Sauveur-le-Vicomte ont une histoire éphémère liée à la présence dans ce secteur des ducs d’Orléans Louis et Charles, la vicomté de Valognes prend le nom de vicomté de Cherbourg en mai 14193. Les vicomtés des bailliages de Rouen, Evreux et Gisors ont une histoire compliquée par les intérêts navarrais et anglais. Ordinairement le bailliage de Rouen comprend les vicomtés d’Auge, Rouen, Pont-de-l’Arche, Pont-Audemer et Pont Authou, ces deux dernières étant réunies sous l’autorité d’un même vicomte à partir de 1387. Le bailliage d’Evreux comprend les vicomtés de Beaumont-le-Roger, Breteuil et Conches (réunies en 1416), Evreux, Orbec et, enclavée dans celle-ci, la vicomté de Bernay et Montreuil ; or un bailliage fut formé, au profit de Charles de Navarre, qui réunissait les vicomtés du Pont-Audemer, d’Orbec et de Beaumont-le-Roger. Naturellement ce bailliage disparut en 1378, lorsqu’il fut mis fin aux ambitions du Navarrais. Mais l’occupation anglaise entraîna, de 1420 à 1444 le transfert d’Orbec du bailliage d’Evreux à celui de Rouen. Enfin le bailli de Rouen cumule son emploi avec celui de bailli de Gisors (avec ses vicomtés de Gisors, Vernon, unie à Gisors, et Verneuil), pendant pratiquement toute la période J’ai retenu les seules vicomtés qui ont une existence continue de 1350 à 1450, soit 274.

1. L’occupation des postes de vicomte

4Vingt-sept vicomtés et 263 vicomtes sur lesquels nous sommes très inégalement renseignés, il faut se résigner, pour nombre d’entre eux, à ne posséder qu’un nom et une date incertaine. Le contraste est de toutes façons évident entre des vicomtes qui ne font que passer – et sur lequel nous ne savons quasiment rien – et des personnages solidement établis dans la carrière, celle-ci étant largement documentée. J’ai pu établir malgré tout des listes presque continues et à peu près fiables, corrigeant sans les modifier en profondeur, les listes établies par G. Dupont-Ferrier5 des 263 vicomtes qui occupent 417 postes durant la période 1350-14506. On relève quelques belles et longues carrières : Simon de Baigneux est durant 33 ans vicomte de Rouen, entre 1355 et 1387/1388 et Jean Auber occupe six postes de vicomte de 1376 à 1417 ; ne serait-ce pas les beaux arbres qui cachent la forêt ? Deux tableaux permettent de donner une image plus précise de la réalité : la durée d’occupation d’un poste (il y en a donc 417) ; la durée de passage dans la carrière vicomtale des 263 vicomtes.

Durée d’occupation de chaque poste

Durée de carrière

5Je me borne pour l’instant à un simple constat à partir de ce dernier tableau : près de 44 % des vicomtes (115) sont restés 5 ans et moins dans la fonction vicomtale ; 16 % seulement y font une longue carrière (16 ans et plus). Il faut donc envisager les règles qui prévalent alors dans le fonctionnement de cette institution pour tenter de donner une explication satisfaisante à une situation de prime abord anormale, étant donnée l’importance du vicomte dans l’administration normande.

2. Les aléas de la conjoncture

6Faut-il invoquer les aléas d’une conjoncture politique passablement agitée durant ce siècle ? Les luttes politiques qui ont marqué le royaume durant le règne de Charles VI ont eu des conséquences parfois fâcheuses sur le déroulement des carrières des baillis et sénéchaux, notamment entre 1405 et 1420 ; les baillis normands toutefois ont dans une large mesure échappé à ces purges de nature politique, même en 1411 et 14137. On peut donc légitimement penser que les vicomtes, voués aux tâches administratives, éloignés du pouvoir central et protégés des luttes d’influence qui caractérisent celui-ci par l’écran des baillis, sont encore mieux protégés des mutations et révocations arbitraires que leurs supérieurs hiérarchiques. De fait, seuls deux vicomtes semblent avoir été inquiétés pour leurs opinions "armagnaques" au début de 1412 : Jean Germé, à Arques et Jean Planterose à Caudebec. Le premier, natif d’Orléans, proche du duc d’Orléans, fut suspendu au début 1412 ; cette suspension ne dut pas être longue (elle ne fut peut-être même pas effective) puisqu’en 1413 il est muté d’Arques à Breteuil8. Pour le second, le dossier est plus précis. A la demande de la Chambre des Comptes, le bailli de Caux, l’inamovible Jean de Saint-Sauflieu (il fut bailli sans discontinuer de 1398 à 1417), ordonne, le 23 novembre 1411, une enquête pour savoir si, malgré les défenses faites par le roi à ce sujet, Jean Planterose ne s’est pas rendu, le 1er juillet 1411, au devant du duc de Bourbon qui venait de franchir la Seine à Lillebonne. Dix-huit témoins furent interrogés qui ne savaient rien de précis mais croyaient bien qu’il favorisait le duc d’Orléans et qu’il parlait mal du duc de Bourgogne Le 15 février 1412, le bailli, avec l’accord du procureur et de l’avocat du roi du bailliage décidait de suspendre Jean Planterose et de l’arrêter. Mais Planterose obtint du roi des lettres d’opposition et fut restitué en son office "ne savons pourquoi"9.

7La conquête anglaise se traduit par un renouvellement complet des vicomtes sauf à Neufchâtel et Evreux où Henri Le Cat et Colart Anquetin sont respectivement maintenus en place par les nouveaux maîtres10. Il y eut quelques tâtonnements de la part de la nouvelle administration et l’on vit se succéder plusieurs vicomtes en quelques mois dans maintes vicomtés. Les nouveaux vicomtes sont français (on ne relève qu’une dizaine de vicomtes anglais au cours des trente années de domination lancastrienne, surtout vers la fin de la période), et ce sont des hommes nouveaux (dans l’administration). Leurs prédécesseurs, nommés par le gouvernement armagnac, sont souvent partis (Jean Auber, Nicolas Potier, Jacques Le Renvoisié qui quitta Orbec pour Orléans, Benoît Le Coutelier à Carentan) et ont vu leurs biens confisqués au profit de l’occupant. Dès 1420 cependant on observe quelques ralliements : Allespée à Caen, peut-être Jean Monnet à Falaise, Pierre de la Roque à Valognes, Nicolas Henry à Conches. Le cas de Benoît Le Coutelier ou Catelain nommé à Caen par les Anglais est problématique car il semble peu vraisemblable que ce soit le même que le vicomte évincé à Carentan cité ci-dessus . le 23 mars 1418 Henri V donne à l’un de ses fidèles la terre de Vaux-sur-mer qui appartenait à Benoît Le Coutellier, rebelle11 ; et le 12 avril 1419 il donne à Benoît Le Coutellier, nouveau vicomte de Caen, les terres et biens d’un autre rebelle12.

8La reconquête de Charles VU se traduit par un mouvement exactement inverse. En 1449-1450, sitôt qu’il a repris le contrôle d’un chef-lieu de vicomté, le roi de France nomme un de ses fidèles ; mais là encore, quelques ralliés refont surface dans les années suivantes (Jean Le Mercier à Goumay, Thomas de Louraille à Caen, Thomas Pellevé et Raoul Gourdel à Avranches et Carentan, Jean Le Muet qui dut sans doute à l’amitié de l’évêque de Lisieux Thomas Basin de conserver, ou de récupérer très vite son poste de vicomte d’Auge. Le cas de Guillaume Gombaut, vicomte de Pont-de-l’Arche avant 1418 et dont la belle-fille défend la mémoire de résistant dans une supplique à Louis XI en 1461 est intéressant car il semble bien que Guillaume ait commencé par accepter de servir les Anglais en devenant receveur du domaine et des aides de la ville et vicomté de Rouen en 1419-1420 ; mais il se fâcha avec eux à cette date13 ; son fils en tout cas devient le premier vicomte de Charles VII dans Rouen reconquise en 144914.

9En somme, en 1418 comme en 1450, les vainqueurs agissent de même : on installe des hommes sûrs d’abord ; puis, le temps et les ralliements venant, on reprend quelques titulaires anciens, pas toujours dans la même fonction Cette politique de pacification assez systématique a été bien étudiée pour Charles V1115.

10On notait davantage de continuité en 1378 lorsque les vicomtés contrôlées jusque là par roi de Navarre sont revenues dans le domaine royal à la suite de la confiscation opérée par Charles V : Guillaume de Charuel, vicomte de Valognes en 1370/1371 pour Charles le Mauvais, le demeure pour le compte du roi de France de 1378 à 1382 ; de même Jean Gontier à Orbec. Quant à Thomas Pierre, au service du roi de Navarre de 1376 à 1378 à Coutances, il passe alors à Carentan où il poursuit pendant 18 ans une carrière de vicomte pour le roi de France. En revanche Girart de Crepon, vicomte de Carentan puis de Valognes pour le roi de France, reste dans ce dernier poste pour le compte du navarrais en 1354 et jusqu’à sa mort survenue en 137016.

11Peut-on mettre en rapport avec les affaires navarraises les révocations ou suspensions qui touchent Jehan Peudelet, vicomte de Beaumont-le-Roger17 et Robert Assire, vicomte de Falaise en 1369, ou Jean Auber en 1380 ? Ce dernier fut un temps emprisonné "pour soupeçon d’avoir esté ennemi du roy et du royaume" ; le 15 septembre le bailli de Rouen s’étonne auprès du vicomte du Pontauthou que Jean Auber soit hors de prison et ordonne de l’arrêter de nouveau18 ; on pense naturellement à une participation au complot navarrais, mais ce que l’on sait de la carrière d’Auber (la plus longue et l’une des mieux documentée) rend la chose improbable ; d’ailleurs il est mentionné, le 7 janvier 1380 comme vicomte du Pont-de-l’Arche et receveur général des forfaitures de ceux qui tiennent le parti du roi de Navarre19. Véritables raisons politiques ou erreur, manoeuvre malveillante, règlement de comptes à l’occasion des intrigues navarraises ? Il n’eût pas le temps de se plaindre longtemps puisqu’il continue une longue carrière jusqu’en 1417. N’est-ce-pas aussi le cas pour Robert Assire, destitué en septembre 1369, mais qui retrouve le poste de vicomte d’Auge peu après et poursuit une belle carrière de trésorier puis maître et enquêteur des eaux et forêts dans les années qui suivent20 ?

12Ce sont des abus ou des négligences qui semblent devoir expliquer la déposition de Nicolas Mane, vicomte de Caen le 22 mai 139421, ou la suspension de Richard de Brumare, vicomte du Pontauthou en 138122.

3. Les mouvements administratifs

13Les mutations les plus importantes ne sont pas toutefois, d’ordre politique, du moins pas directement. Il s’agit en effet des mouvements administratifs, effectués en vertu de règles de la fonction publique déjà anciennes, dont l’une, – qu’on peut appeler la règle des trois ans –, appliquée de façon irrégulière, est évoquée par les gouvernants anglais en 1448 pour justifier la mutation de l’obscur Nicolas Le Normant de la vicomté de Domfront (dans l’ancien comté d’Argentan) à la vicomté plus huppée du Pont-de-l’Arche23. Constatons d’ailleurs que les Anglais se sont efforcés de respecter cette règle, surtout entre 1422 et 1435.

14En fait on ne relève que quatre mouvements d’envergure de ce type24. Le plus régulier est assurément celui qui intervient en 1413, pendant le mouvement cabochien (et on ne peut manquer d’y voir la volonté d’appliquer l’ordonnance réformatrice issue de ce mouvement), puisqu’il affecte presque la forme d’un anneau (tableau 3).

15Le mouvement de 1403 (tableau 2) est beaucoup plus ample, puisqu’il concerne toutes les vicomtés, mais plus complexe, car il recouvre différentes mutations : deux permutations ; une courte chaîne, avec l’entrée d’un nouveau venu, Guillaume Gombaut à Beaumont-le-Roger, un anneau comprenant 6 vicomtés ; un vaste mouvement affectant 10 vicomtés, provoqué par le départ à Pans, comme receveur, du vicomte de Vire Jean Bourreau25 ; par ricochet, le mouvement remonte jusqu’à Mortain, mais on ignore le nom du nouveau titulaire. Une sortie par décès ; une sortie par promotion. Deux entrées, celle de G. Gombaut à Beaumont et celle d’un inconnu à Mortain. Aucune sanction, aucune révocation : le pur mouvement administratif en somme !

16Le mouvement de 1389 intervient au moment de la prise de pouvoir par Charles VI et les Marmousets. Il concerne 7 vicomtés et 8 vicomtes (tableau 1). On peut naturellement faire le lien avec l’influence des Marmousets, si forte en Normandie : Nicolas du Bosc, évêque de Bayeux, Guy Chrétien, vicomte de Bayeux devenu bailli de Rouen en 1370 font partie de l’équipe au pouvoir ; mais il n’y a aucune sanction ; les Marmousets entendent peut-être montrer leur détermination à renouer avec la pratique des mouvements administratifs largement abandonnée depuis la fin du règne de Charles V.

17Quant au mouvement opéré par les autorités anglaises en 1426, que je connais par la seule mention des Mémoriaux de la Chambre des Comptes, il est à première vue moins régulier, ou plus "décousu" (mais il y a des lacunes dans ma documentation). Pourtant il est de même nature que les mouvements précédents, aussi bien par son origine, – une mesure d’ordre purement administrative –, que dans ses modalités, même si les départs et les arrivées sont un peu plus nombreuses : 4 de chaque. Mais on relève aussi une chaîne affectant 8 vicomtés, d’Evreux à Valognes, une autre 4, de Caudebec à Pont-de-l’Arche.

18Bien entendu on ne saurait réduire ces mouvements à la simple routine administrative. Celui de 1413 résulte de la pression cabochienne et du désir d’appliquer la grande ordonnance réformatrice ; d’autres que les vicomtes furent touchés. On note d’ailleurs que dans les années 1411-1413, marquées par une lutte aiguë pour le pouvoir entre Armagnacs et Bourguignons et par une véritable purge des baillis et des sénéchaux sur des critères exclusivement politiques, les vicomtes "tournent" plus vite : en 1410, 1411, 1412, 1413, les mutations sont nombreuses ; mais elles n’affectent pas les personnes : même Jean Planterose, vicomte de Caudebec de 1406 à 1411/1412, un temps suspendu pour ses opinions armagnaques, a retrouvé sa place avant même la défaite des cabochiens en 1413. Jean Monnet remplace à Falaise en 1412 Nicolas Potier, lequel prend le poste de Bayeux que le même Monnet venait d’occuper quelques mois.

19Le mouvement de 1403 a peut-être quelques rapports avec la tentative faite alors par Philippe le Hardi, aidé par la reine et le duc de Berry, pour écarter Louis d’Orléans, tentative qui se traduit par la publication des ordonnances d’avril 1403 sur la succession du roi fou au cas où il décèderait en laissant un Dauphin mineur ; on sait que les officiers royaux furent requis de prêter serment à cette date26. Là encore il est impossible d’établir un lien direct avec les luttes politiques, mais on ne peut qu’être frappé par la "nervosité" qui gagne la fonction publique et le corps des vicomtes en particulier dans les années 1403-1407 : mouvement administratif généralisé en 1403, nombreuses mutations en 1405, puis 1406/1407 ; mais sans révocation, sans purge politique.

20Même s’il faudrait nuancer le propos, ne peut-on pas fixer comme règle que, de 1350 à 1418, les luttes politiques se traduisent par des révocationssanctions sur les personnels "politiques" du gouvernement royal (les baillis et sénéchaux sont du nombre) et par de simples mutations, sans caractère de sanction, pour le personnel administratif (j’y range les vicomtes), prenant parfois le caractère spectaculaire d’un vaste mouvement administratif ? Dans la Normandie anglaise, un mouvement du genre de celui de 1426, renouvelé avec une certaine régularité, quoiqu’avec moins d’ampleur en 1429/1430 et 1432-1434, peut s’expliquer certes par le souci de bonne gestion du pays, mais peut aussi traduire une certaine méfiance à l’égard de fidélités chancelantes : Louis Leclerc, vicomte d’Auge de 1425/1426 à 1430 rejoint alors "les ennemis et adversaires du roi" (d’Angleterre) et Jean de Cintray, dit Fleury, vicomte de Conches de 1431 à 1434, se place "hors de l’obéissance du roi" à cette date27. Directement ou indirectement, le Politique finit toujours par rejoindre l’administrateur consciencieux !

4. Carrières et cumuls

21Je dispose d’informations sur la carnère de 63 vicomtes, mais des recherches plus fines accroîtraient très sûrement ce nombre. Le vicomte cumule très souvent sa fonction avec celle de receveur du domaine de sa vicomté (d’où les nombreuses mentions de vicomtes que l’on trouve dans les quittances) ; c’est même pratiquement la règle qui naturellement souffre quelques exceptions : le 6 février 1419, Henri V nomme Jacques Poignant vicomte et receveur de Rouen, mais dès le 1er avril il le décharge de ce dernier poste parce que la tâche est trop lourde28. Moins souvent il est receveur des aides, ou élu des aides. Dans quelques rares cas, il exerce aussi la fonction de procureur du roi au siège de sa vicomté, ou de substitut du procureur. Enfin, selon un usage très fréquent dans l’administration française de ce temps, le vicomte peut être souvent appelé, avec le titre de commissaire, à accomplir une tâche ponctuelle, dans le temps et l’espace : administrateur de régales, administrateur des revenus d’une forêt, ou des biens d’un vassal mineur du roi ; avec ce même titre le vicomte est amené, vu le contexte de guerre du temps, à exercer des fonctions militaires et financières particulièrement nombreuses et diversifiées, mais presque toujours de type administratif ("garnisons" des forteresses, rassemblement d’hommes et d’armes, logistique d’un siège, etc). Bref, tout concourt à faire du vicomte la pièce maîtresse de l’administration royale locale normande29.

22Il est moins rare, en revanche que, dans la succession des postes occupés, un vicomte puisse avoir été ou devienne ensuite, receveur des aides, ou élu, voire qu’il occupe des fonctions financières plus importantes comme celle de trésorier (Assire, Bourgoise, Bourreau, Brumare) ou de général des aides (Villette). Ceci étant dit, la carrière vicomtale reste une carrière locale et essentiellement domaniale. Aubery Lévêque a d’abord été garde du scel des obligations d’une vicomté avant de devenir vicomte, de même Guillaume Osber, sous les Anglais ; d’autres débutèrent comme lieutenant de vicomte ; Massot du Boulay commença comme procureur du roi et Colart Anquetin comme avocat. Comme postes supérieurs un vicomte peut envisager outre celui de receveur des aides dans un diocèse, ceux de lieutenant de bailli, lieutenant particulier le plus souvent, lieutenant général parfois.

23Il est bien entendu quelques carrières plus éclatantes Sept vicomtes ont occupé des postes de baillis, en Normandie, pas au-delà : Guy Chrétien, vicomte de Bayeux pendant un an, en 1369-1370, devint successivement bailli de Cotentin et de Rouen ; il n’en resta pas là et devint maître de la Chambre des Comptes à Pans puis Trésorier ; son engagement politique marmouset lui valut quelques mois de prison avec son compère Jean Le Mercier lors du retour des oncles en 1392. Quentin Cochet qui, avant de devenir vicomte de Vire en 1370, avait été bailli de Beaumont-le-Roger, Mantes et Meulan, pour le compte du roi de Navarre ; Robert de Hommet, vicomte de Montivilliers de 1345 à 1357, lieutenant du bailli de Caux ensuite, puis bailli de Caux en 1360-1361 ; Renier Le Coutellier, vicomte de Bayeux jusqu’en 1369, bailli de Caen, puis de Chartres ; Thomas de Louraille, bel exemple de rallié puisqu’il fut vicomte de Caen puis dernier vicomte "anglais" de Rouen avant de devenir lieutenant général du bailli de Caen pour Charles VII et plus tard bailli de Caen pour Charles de France (1367-1369)30 ; Raven Pinchon, vicomte de Valognes, de Coutances, puis bailli de Cotentin sous Jean le Bon ; Aimery Renouf enfin, vicomte de Coutances, pour le roi de France, de 1365 à 1369, bailli de Cotentin et général visiteur des aides dans les diocèses de Basse Normandie en 1369-1370, date à laquelle il fut tué dans un combat31. Sous le gouvernement anglais, Michel Durant, vicomte de Rouen, devint Receveur général de Normandie et son successeur dans la vicomté, Guy de la Villette général sur le fait de la justice des aides.

24Au total les carrières vicomtales sont des carrières médiocres et, même lorsqu’elles sont plus relevées, exclusivement normandes, à de rares exceptions près, le vicomte est un notable de sous préfecture. D’où l’importance de l’étude de son milieu social et de son enracinement local. Cette étude, esquissée dans certaines monographies de vicomtés normandes32, devrait être entreprise systématiquement.

Tableau 1 : le mouvement de 1389

Tableau 3 : Mouvement de 1413