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Capitalisme et catholicisme dans la France moderne

 | 
Michel Zylberberg

Chapitre VIII. Faire de la politique

Texte intégral

« On a beau faire, ce n ’est ni la différence des professions ni celle des Lumières qui divise les hommes, c ’est celle des intérêts ».
Emmanuel-Joseph Sieyès. Qu ’est-ce que le Tiers-État, 2e édition, 1789.

  • 1 M. Vovelle, La découverte de la politique, Paris, 1993, p. 23.

1Dans son Dictionnaire français publié en 1680, Pierre Richelet définissait la politique comme un « art de gouverner les États ». Pendant la plus grande partie de l’Ancien Régime, le gouvernement de la France est entre les mains du souverain qui désigne un petit nombre de subordonnés qui sont chargés d’appliquer ses décisions. La grande majorité de la population française, en particulier pendant le règne personnel de Louis XIV, est donc exclue du champ politique. Pourtant, avant même la Révolution Française, il existait, d’après Michel Vovelle, envers et contre tout, des acteurs politiques qui n’étaient pas tous des subalternes de la royauté1. Se révolter contre la politique fiscale de la monarchie, s’opposer aux édits en refusant de les enregistrer, c’était entrer dans le monde de la politique. Mais la politique ne consistait pas seulement à se dresser contre le monarque. On pouvait s’engager à ses côtés en espérant que cela permettrait une évolution que l’on souhaitait et c’est cette orientation qui a été choisie, surtout au cours du xviiie siècle, par les Le Couteulx.

2 Bien entendu, faute d’informations précises, on ne saurait être persuadé que tous les membres de la dynastie partageaient la même idéologie, si ce terme peut être utilisé avant la Révolution, mais il est indéniable que l’orientation familiale fut à l’origine du comportement de chacun de ses membres.

3Pour les Le Couteulx, bourgeois de Rouen et de Paris, c’est la conquête des charges municipales qui fut pendant longtemps leur principal objectif. Il faudra attendre le xviiie siècle pour qu’ils tentent d’influer, sans grand succès, sur les décisions du gouvernement monarchique. Et comme beaucoup de leurs homologues déçus par les incapacités et les faiblesses du pouvoir, ils s’engagèrent dans le mouvement révolutionnaire, du moins dans les premières années.

L’Ancien Régime

  • 2 E. Le Parquier, Le siège de Rouen en 1562, Sotteville, 1908, p. 62. Liste des membres des échevins (...)

4Entrés dans le protestantisme, les Le Couteulx n’ont joué, autant qu’on puisse le deviner, aucun rôle marquant dans les guerres de religion. En 1562, quand les Réformés s’emparent de la capitale de la Haute-Normandie, aucun d’entre eux ne fait partie de la municipalité calviniste mise en place en juillet 15622. Il est vrai que Guillaume I, l’aîné de la famille, n’avait que vingt-quatre ans.

  • 3 Ju. Félix, Comptes-rendus des échevins de Rouen avec des documents relatifs à leur élection 1409-17 (...)

5Il faudra attendre les premières décennies du xviie siècle alors que les conflits politico-religieux n’existent plus à Rouen pour voir un Le Couteulx accéder à une charge municipale. En 1619, David I Le Couteulx était devenu membre de la juridiction consulaire qu’on peut comparer à un marchepied pour entrer dans le corps municipal. L’année suivante, il est élu quartenier dans le quartier de Martainville. Il est certainement très loyal envers Louis XIII, ce qui n’est pas le cas d’un autre membre de la municipalité, le sieur de La Forest qui fut accusé par le souverain, entré à Rouen le 10 juillet 1620, d’être un proche de Marie de Médicis, sa mère, avec qui il s’opposait depuis plusieurs années. La Forest qui avait été élu quartenier trois ans auparavant, aurait dû très régulièrement devenir échevin moderne de Rouen. Or, au nom de Louis XIII, le colonel d’Ornano, lieutenant général du souverain en Normandie, s’y opposa. Il déclara au nom du roi que ce dernier était favorable à ce que la liberté de l’élection continue d’appartenir au peuple comme auparavant, mais il entendait que ne soient membres du corps de la cité, c’est-à-dire les échevins anciens et modernes, que ceux dont « la fidélité lui serait particulièrement connue et notoire ». En conséquence, une liste de noms fut exhibée, laquelle contenait les noms de ceux que le roi défendait d’élire. David I Le Couteulx n’en faisait pas partie contrairement à La Forest et il fut maintenu quartenier3. En principe, trois ans plus tard, en 1623, David I Le Couteulx serait devenu automatiquement échevin moderne mais il mourut en 1622.

  • 4 Sur ces désignations, cf. Ju. Félix, op. cit., pp. 167, 228, 253.

6Ce ne fut que partie remise pour les Le Couteulx. Le frère de David I, Jean IV qui avait été élu en 1630 membre de la juridiction consulaire fut choisi en 1638 comme quartenier toujours du quartier de Martainville où se trouvait la paroisse Saint-Maclou. S’il n’y avait pas eu la grande révolte des Nu-pieds et de plusieurs villes de Normandie, il serait devenu échevin moderne en 1641. Mais il fut contraint d’attendre quelques années pour y parvenir. En effet, le chancelier Séguier, envoyé à Rouen à la fin de l’année 1639 par Louis XIII et Richelieu, considéra que ni le Parlement ni le corps de ville n’avaient empêché les émeutes qui éclatèrent à Rouen au mois d’août 1639 et qu’ils firent preuve de laxisme, pour le moins. La municipalité fut donc suspendue provisoirement et c’est après sa levée, en 1644, que Jean IV Le Couteulx devint échevin moderne. Cela permet d’affirmer que la monarchie ne lui reprochait pas d’avoir soutenu les mouvements populaires en lutte contre la politique de Richelieu. On ne sait rien du comportement de Jean IV en tant que membre du corps de ville, mais cela devait permettre à d’autres membres de la famille Le Couteulx d’occuper à leur tour des charges municipales. Il en fut ainsi de son fils Jean VIII qui dirigeait la branche rouennaise et qui fut élu quartenier en 1659, mais qui mourut l’année suivante. Il fut remplacé quelques années plus tard par un de ses frères, Étienne I, qui devint quartenier puis échevin moderne. Un autre Étienne, petit-fils de Guillaume II et de Madeleine Besnière, avocat au parlement et capitaine des bourgeois de Rouen devint à son tour échevin en 16834.

  • 5 Ju. Félix, op. cit., p. 290.

7En 1680, Étienne I, alors premier échevin, présenta un compte rendu des activités du corps de ville. La guerre de Hollande venait de s’achever et Étienne I fit l’éloge de Louis XIV. Mais il n’hésita pas à affirmer que la guerre avait été pour la ville de Rouen une période difficile marquée par des dépenses extraordinaires, des passages de gens de guerre et des « suites qu’elle cause inévitablement ». Pendant le conflit, les échevins avaient été obligés de prendre « des octrois considérables sur le peuple ». Toutefois, grâce au retour de la paix, une grande partie en avait été supprimée. Ce qui demeurait, si l’on en croit Étienne I, était utilisé pour faire subsister les pauvres de la ville. Et, le banquier-échevin ajoutait qu’on ne pouvait refuser d’aider les pauvres, ceux-ci étant « les membres de notre corps, respirant le même air que nous respirons, étant nés où nous avons tous pris naissance, adorant le même Dieu, étant nos compatriotes et peut-être nos parents et nos alliés ». L’échevinage de Rouen, ajoutait Étienne I, n’avait pas seulement fourni des aliments aux pauvres de la ville, mais avait entretenu le pont sur la Seine, avait employé des dépenses suffisantes pour entretenir le patrimoine urbain et rembourser un certain nombre de dettes dues par la cité. Et il termina son intervention en déclarant que les échevins étaient toujours prêts à « exposer leurs personnes, leurs biens et leurs vies » pour le service du Roi et de la ville5.

8D’autres Le Couteulx prirent le relais dans les premières décennies du xviiie siècle espérant sans doute devenir maires, de la ville puisque la royauté qui avait supprimé cette fonction après la révolte de la Harelle de 1382, la rétablit en 1692. Mais ils durent attendre plus d’un demi-siècle pour l’obtenir.

  • 6 AJV. Le Roux de Lincy, L.C. Douet d’Arc (eds.). Registres de l’Hôtel de Ville de Paris pendant la F (...)

9Dans la capitale, la carrière politique des Le Couteulx fut moins brillante, peut-être parce qu’ils étaient d’origine normande. Ni Daniel I, ni Jacques I ne furent élus membres de la juridiction consulaire à supposer qu’ils aient souhaité le devenir. On ignore quel fut leur comportement pendant la Fronde. Daniel I et Jacques I étaient en 1648 fort vieux et leurs neveux, devenus Parisiens depuis peu d’années, étaient fort jeunes. Quand le 17 août 1648 se tint dans l’Hôtel de ville de Paris une assemblée générale décidée à procéder à l’élection d’un prévôt et de deux échevins nouveaux, aucun Le Couteulx ne figurait parmi les seize quarteniers de la ville, ni parmi les deux notables par quartier alors qu’on comptait de nombreux marchands aux côtés des conseillers du Parlement de Paris, des conseillers du Châtelet ou d’avocats6.

  • 7 G. Denière, La juridiction consulaire de Paris 1563-1792, Paris, 1872, p. 57.
  • 8 G. Denière, op. cit., p. 57.
  • 9 A.N.M.C. et XV/363. 26 novembre 1698. Inventaire après décès d’Antoine I Le Couteulx. Papiers.

10Ce n’est qu’en 1677 qu’un Le Couteulx, Jean VII, demeuré marchand-drapier et habitant rue Saint-Honoré, fut élu troisième consul. Et encore avait-il obtenu le même nombre de voix que Louis Pichault et ce fut le tirage au sort qui les départagea7. En 1681, ce fut au tour de Jacques III, son cousin, qui bénéficia également du tirage au sort pour devenir premier consul, poste qu’il retrouva en 16928. Mais cela ne leur permit pas, contrairement à leurs parents de Rouen, de devenir quarteniers, et à plus forte raison échevin de la capitale. Seul, Antoine I Le Couteulx accéda à la fonction de cinquantenier, mais parce qu’il avait acheté ce qui était devenu un office9.

  • 10 A.N. G/7/498. 23 mai 1706. De Courson au Contrôleur général des Finances Chamillart.

11Ce qui semble caractériser l’orientation politique des Le Couteulx, c’est la fidélité et l’obéissance à la monarchie. Ils vont maintenir cette attitude au cours du xviiie siècle en s’efforçant de trouver l’appui des hautes personnalités de l’État monarchique. Ce fut le cas en particulier pendant la guerre de Succession d’Espagne, où de Courson qui craignait qu’en cas de crise économique il arriverait de fâcheuses conséquences, c’est-à-dire des révoltes populaires, comptait s’appuyer sur les Le Couteulx car il ne pouvait « mieux se fier qu’à eux »10. Le Couteulx et Cie accepta, en effet, à la demande de l’intendant, d’avancer cent mille livres à la monarchie afin que le receveur général de Rouen ne souffre pas d’une pénurie d’argent.

  • 11 A.N. G/7/499. 17 juin 1709. De Courson au Contrôleur général des Finances. Desmarets.
  • 12 A.N. G/7/1650.

12En 1709, l’intendant fit à nouveau l’éloge d’un dirigeant de Le Couteulx et Cie « seule personne qui aide à empêcher que les manufactures ne tombent »11. Et cette même année Le Couteulx et Cie proposa aux autorités monarchiques d’importer du blé pour contribuer à réduire la crise frumentaire que connaissait la France, l’année du Grand Hiver12.

13À partir de 1715, alors que naît un début d’opinion publique, que les contestations politiques deviennent plus affirmées, notamment celles des Parlements, les Le Couteulx s’impliquent davantage dans les pratiques politiques. Sans devenir des opposants déterminés de la monarchie, ils prennent davantage de libertés vis-à-vis des décisions de l’administration royale. C’est ainsi que pendant la Régence, ils vont s’opposer au Régent, le duc d’Orléans, qui soutient la proposition de John Law de créer une Banque nationale et ils s’efforceront de ne pas s’engager dans le système de l’Ecossais.

  • 13 Ph. Minard, La fortune du colbertisme. Etat et industrie dans la France des Lumières, Paris, 1998, (...)
  • 14 Sur le libéralisme « égalitaire » de Vincent de Goumay, cf. S. Meyssonnier, L’Horloge et la Balance(...)
  • 15 Ph. Minard, op. cit., p. 316.

14Pendant le siècle des Lumières, une fraction de la bourgeoisie négociante attendait de la monarchie française qu’elle adopte un programme de réformes économiques ayant pour finalité de mettre fin au mercantilisme et de le remplacer par un libéralisme, même limité. Elle accueillit avec beaucoup d’espoir, et on peut penser qu’il en fut de même des Le Couteulx, la nomination en 1745 de Machault d’Amouville comme contrôleur général des Finances en remplacement de Philibert Orry. Avec lui, s’ouvrait une ère de réformes marquée par des changements dans l’appareil administratif français. Ami d’enfance de Machault d’Amouville, Daniel-Charles Trudaine, intendant des finances et responsable des Ponts et Chaussées fut nommé directeur du commerce13. Et Vincent de Goumay, ancien négociant de Cadix revenu en France devint intendant du Commerce en 1751. Le premier, selon Philippe Minard, était un industrialiste et le second un partisan du libéralisme économique. Les deux hommes s’entendirent et désirèrent appliquer un programme fondé sur la liberté du commerce, une réglementation beaucoup plus souple et la mise en place d’un certain libre-échange14. Ils rassemblèrent autour d’eux un groupe qui partageait leurs idées avec l’agronome Duhamel de Monceau, le négociant Véron de Forbonnais ou un administrateur comme Turgot15. Ils reçurent également l’appui du banquier Jean-Jacques-Vincent Le Couteulx dont ils firent un député du commerce.

15Au milieu du xviiie siècle, Jean-Jacques-Vincent Le Couteulx dirigeait en compagnie de Jacques VII, la maison de banque parisienne depuis plusieurs années. Il devint, grâce à l’appui de la haute administration monarchique qui entendait placer ses partisans dans des postes d’importance, député du Bureau de commerce pour la ville de Paris en 1752. Mais cela ne se fit pas sans mal en raison de l’opposition des Six-Corps parisiens.

  • 16 A.N. F/12/726. Nomination d’un député pour la ville de Paris en 1737 , Sur la tension entre la mona (...)

16Quand une place de député du commerce parisien était vacante, le contrôleur général des Finances demandait aux juges-consuls de Paris de s’assembler pour nommer six « sujets » et il en choisissait un au nom du roi sur la liste qui lui avait été communiquée. En 1737, on avait demandé aux grands électeurs d’inscrire sur la liste un ou plusieurs banquiers et négociants mais ils n’avaient choisi que des membres des Six-Corps et le pouvoir monarchique qui hésitait à les affronter accepta de désigner comme député le sieur Sorin marchand-épicier16.

  • 17 A.N. F/12/692. Lettre de Machault d’Amouville à Mr de Brou. 7 février 1752.

17En décembre 1751, le député Sorin, de sa propre initiative ou à la suite d’une pression du gouvernement, démissionna. Machault d’Amouville reprit le projet de 1737. Il déclara qu’il fallait désigner quelque négociant faisant la Banque et le commerce en gros quand même il ne serait pas un membre des Six-Corps. « Par ses talents et ses connaissances, il serait plus capable que les simples marchands de participer aux délibérations du Bureau du Commerce... ». Il proposa donc Jean-Jacques-Vincent Le Couteulx ou Jean Cottin, deux banquiers17.

18Le 11 janvier 1752, les électeurs, anciens juges-consuls, gardes des Six-Corps, syndics de la librairie, gardes de la corporation des marchands de vin se réunirent dans la salle du Consulat de Paris. Mais ils n’obéirent pas aux injonctions qu’on leur avait fait savoir. Ces marchands parisiens étaient en grande majorité hostiles à la politique libérale que voulait mettre en œuvre le trio Machault, Trudaine et Vincent de Gournay. En conséquence, les six qui obtinrent le plus de voix furent Charles Huet, marchand-mercier, ancien échevin (84), Jacques-Étienne Le Sourd, marchand-bonnetier, ancien juge-consul (72), Claude Villain, marchand-épicier (70), Jean-Jacques Vallat, marchand-orfèvre (58), Nicolas-Michel Le Duc, marchand-pelletier (58) et Marie-Antoine Nou, marchand-drapier, juge consul (51). Jean-Jacques-Vincent Le Couteulx n’avait bénéficié que de 31 voix et Jean Cottin de 9. Mince consolation pour Jean-Jacques-Vincent, son parent Jean-Armand Le Couteulx, marchand-drapier et ancien juge-consul avait réuni 11 suffrages. Même en supposant que les électeurs aient confondu les deux Le Couteulx, le négociant-banquier n’aurait eu au plus que 44 voix et n’aurait donc pas pu figurer sur la liste des six éligibles.

  • 18 Idem. Nicolas Berryer à Daniel-Charles Trudaine le 22 janvier 1752.

19Cette fois-ci le pouvoir, contrairement à ce qui s’était passé en 1737, n’accepta pas les résultats de l’assemblée des électeurs. Dans une lettre adressée à Trudaine en date du 22 janvier 1752, le lieutenant général de police de Paris, Nicolas Berryer, indiquait que les électeurs n’avaient aucune justification solide pour ne pas avoir obéi aux intentions du roi, alors que non seulement il leur avait adressé le texte écrit du monarque mais qu’il les avait informés verbalement. Il ajoutait que sur les vingt et un individus qui avaient obtenu des voix, il y avait des marchands retirés depuis peu du commerce, ce qui avait été pour lui « un nouveau sujet de surprise »18.

  • 19 A.N. F/12/692.

20Machault se fit malgré tout apporter le procès-verbal mais n’en tint aucun compte. Il écrivait ensuite à Berryer que le roi avait choisi « le Sieur Le Couteulx pour remplir cette place » et qu’il fallait convoquer une nouvelle assemblée pour le nommer. Ce fut réalisé le 5 février 1752 et Jean-Jacques-Vincent devint député du commerce de Paris, sans opposition. Afin de rendre cette élection moins amère pour ces Six-Corps, la corporation des drapiers accorda à Jean-Jacques-Vincent Le Couteulx « qui n’était d’aucun corps » des lettres de maîtrise » mais ils furent obligés de verser 4000 1t. par an à leur député19. Le pouvoir, au moins pour cette fois, avait contraint les Six-Corps à s’incliner.

  • 20 J.C. Ph. Trudaine de Montigny, Éloge de Trudaine, Paris, 1772, p. 281 , A.N.A E III B 460. Trudaine (...)

21Entre les principaux dirigeants favorables aux réformes et le banquier Le Couteulx, des relations étroites s’instaurèrent. Daniel-Charles Trudaine entretenait avec les députés du Conseil du commerce « une correspondance intime » et il aimait converser avec les négociants. Quant à son fils, Trudaine de Montigny, qui à partir de 1759, en raison de la maladie de son père, le remplaça dans une partie de ses attributions, il considérait Jean-Jacques-Vincent Le Couteulx de la Noraye comme « un négociant de la première distinction » avec qui il était particulièrement lié20.

22De son côté, Jean-Jacques-Vincent Le Couteulx affirmait qu’il partageait les idées de Vincent de Goumay. Dans une lettre à la maison Roux de Marseille, il déclarait :

  • 21 A.C.C. M. LIX/478. Le Couteulx et Cie à Roux frères, Paris, 20 septembre 1753.

« nous lui connaissons de très bonnes dispositions pour l’avantage du commerce et nous sommes persuadés qu’il contribuera à tout ce qui pourra dépendre de lui »21.

23Et dans une autre lettre à la même maison marseillaise, il affirmait à nouveau son soutien aux idées de Vincent de Goumay :

  • 22 A.C.C. M. LIX/478. Le Couteulx et Cie à Roux frères, Paris, 10 octobre 1753.

« Nous voyons avec plaisir que vous avez été satisfait ainsi que Mrs les négociants de votre place, des Lumières et des bonnes intentions de M. de Goumay pour ce qui regarde le commerce, nous sommes bien persuadés que son voyage n’a eu pour but que de s’instruire par lui-même de tout ce qui se passe pour en informer les ministres et procurer au commerce les avantages qu’il peut désirer en connaissant la nécessité par lui-même puisqu’il a été commerçant »22.

24La maison Le Couteulx et Cie ne se contentait pas de faire l’éloge de Vincent de Goumay, elle entendait lui permettre de séjourner à Marseille sans difficultés financières. Après avoir déclaré à la maison Roux de bien vouloir faire à Vincent de Gournay « nos compliments et bien des amitiés », elle ajoutait « vous pourrez prendre sa traite sur nous de la somme dont il pourra avoir besoin et nous y ferons bon accueil ».

25L’éviction de Machault d’Amouville du contrôle général des Finances en 1754, la mort de Vincent de Gournay en 1759, la maladie de Daniel-Charles Trudaine la même année qui l’écarta en partie de l’activité politique ne furent pas dommageables pour Jean-Jacques-Vincent Le Couteulx appuyé par Trudaine de Montigny. En 1760, lors de l’élection des syndics de la Ferme générale, il obtint la majorité des voix, mais il décida de s’effacer en laissant le poste à Bouffé, un des plus anciens marchands-merciers parisiens arrivé en seconde position. En 1764, il ne déclina pas, en revanche, sa désignation, en compagnie d’un partenaire habituel de Le Couteulx et Cie, Dominique Béhic, comme syndic de la compagnie des Indes Orientales. Toutefois, en raison des problèmes de santé comme l’indique Philippe Haudrère, il démissionna au début de 1765, l’année de sa mort.

  • 23 M. Antoine, Le gouvernement et l’administration de Louis XV. Dictionnaire biographique, Paris, 1975

26Au début des années 1760, Jean-Jacques-Vincent Le Couteulx avait bénéficié comme d’autres parents de l’arrivée au contrôle général des Finances en 1763 de Clément de L’Averdy, alors conseiller du Parlement de Paris. Ce dernier en effet était apparenté aux Le Couteulx puisqu’il avait épousé en 1751 Catherine-Élisabeth Devin fille de Jacques-René Devin et de Marguerite-Élisabeth Le Couteulx et petite-fille maternelle de Jean X Le Couteulx, un des dirigeants de Le Couteulx et Cie de Paris et de Catherine Brochant23.

  • 24 P. Jubert, « Les élections municipales à Rouen de 1662 à 1764 » dans Bulletin de la Société d Emula (...)

27C’est probablement à l’arrivée au pouvoir de Clément de L’Averdy que Jean-Jacques-Vincent obtint, comme on l’a vu, son poste de syndic de la Compagnie des Indes en 1764, que la même année, son frère Antoine-Louis fut choisi sur une liste de trois noms pour être désigné comme maire de Rouen, qu’en 1767 le troisième frère Thomas-Barthélemy eut la possibilité d’acheter l’office de Premier président de la Cour des Comptes Aides et Finances de Normandie24.

  • 25 J.F. Bosher, The simple duty project. A study ofthe mouvement for a French customs union in the Eig (...)
  • 26 Cussy, Premier rapport fait au nom du Comité des monnaies, Paris, 1790, cité par M. Morineau, « Les (...)
  • 27 B.N. Fonds Joly de Fleury, n° 384 f° 34.

28Sur les interventions de Jean-Jacques-Vincent Le Couteulx dans la politique économique française depuis sa nomination comme député de Paris au Bureau du Commerce en 1752 jusqu’à sa mort en 1765, on connaît peu de chose. Il s’intéressa certainement aux questions des relations commerciales avec l’étranger. N’avait-il pas rédigé un manuscrit non publié sur les douanes ? Il avait d’ailleurs travaillé avec Forbonnais et sous la direction de Bertin pour mettre au point un plan de réformes du système douanier français afin de simplifier les taxes douanières25. Favorable à l’élargissement des échanges, il fut avec Vincent de Gournay « tous deux jugés élevés dans la pratique comme dans la théorie des échanges et du commerce » un des promoteurs de la baisse du droit dit de traite sur les entrées des métaux précieux en France, lesquels venaient surtout de l’Espagne, ce qui eut pour effet de hausser le change en faveur de la France et donc de faire pénétrer dans le pays des quantités élevées d’or et d’argent26. Il fut également l’auteur en tant que syndic de la compagnie des Indes Orientales d’un projet de réforme qu’il entendait présenter en novembre 1764 à Joly de Fleury27. Ce projet n’a pas été conservé mais on peut penser que le libéral Jean-Jacques-Vincent Le Couteulx entendait affaiblir le monopole de la compagnie.

  • 28 P. Léon, op. cit., p. 648.
  • 29 H. Lafosse, La juridiction consulaire de Rouen, 1556-1791, Rouen, 1922, p. 51.

29Comme la plus grande partie de la bourgeoisie française, les Le Couteulx étaient donc favorables à l’accentuation de la liberté économique. Mais, comme l’avait écrit Pierre Léon, ils ne sont pas des partisans de l’égalité, du moins avant la Révolution28. C’est ce que démontre le comportement du marchand-banquier rouennais, Barthélemy I. En 1714, il était procureur-syndic de la juridiction consulaire de sa ville. Jusqu’à cette date les membres de ce tribunal commercial étaient élus par l’ensemble des marchands de la cité, ce qui déplaisait aux négociants les plus fortunés. Dans l’esprit de ces derniers, Barthélemy I présenta une requête au Parlement de Normandie en vertu de laquelle pour l’élection des prieurs, des juges consuls et des procureurs-syndics, il ne serait plus appelé que les cent principaux marchands et négociants de Rouen ainsi que les gardes, alors en charge, d’une quinzaine de corps et de communautés, les cent marchands et négociants étant choisis par les dirigeants de la juridiction consulaire. Le projet de Barthélemy I Le Couteulx suscita, bien entendu, des protestations des membres de plusieurs corporations dont celles des marchands-orfèvres, des bonnetiers et des fourreurs. Cela impressionna le Parlement de Normandie qui, par une décision du 9 février 1715, sans revenir au suffrage universel, décida de porter le nombre des marchands et négociants électeurs à 250 alors qu’au xviie siècle leur nombre dépassait fréquemment les 500. Comme l’avait proposé Barthélemy I, ce fut bien les membres en place de la juridiction consulaire qui choisirent les électeurs29.

  • 30 M. Vovelle, La découverte de la politique, Paris, 1993, p. 23.

30Un des aspects de la vie politique sous l’Ancien Régime consistait à infléchir les orientations de la monarchie sans s’y opposer de front. Mais il arrivait que le pouvoir dût affronter des contestations qui entendaient le déstabiliser, émeutes populaires qui, au xviiie siècle, sont plus nombreuses qu’on ne l’a affirmé, mais aussi structures de contestations intermédiaires dont les Parlementaires sont les plus représentatifs depuis que le Régent en 1715 leur a redonné les droits de remontrance30.

  • 31 B.M.R.Y 228. Voilà un exemple d’une chanson, le 27 janvier 1737 à la fin de la guerre de Succession (...)

31L’une des Cours souveraines qui manifesta la plus ardente opposition à partir des années 1750 à la politique de la monarchie fut le Parlement de Normandie. Or, Thomas-Barthélemy Le Couteulx en était membre depuis 1739. À cette époque c’était un jeune homme âgé de 25 ans qui aimait les chansons un peu lestes qu’il réclamait à un de ses amis, l’avocat Le Chevalier31.

  • 32 A.P. Floquet, Histoire au Parlement de Normandie, Rouen, 1842.

32Avec l’âge, il devint plus sérieux et à partir du moment où Hue de Miromesnil devint en 1757 Premier Président au Parlement de Normandie, il s’engagea dans les combats de son institution avec toutefois une certaine retenue32.

  • 33 A.P. Floquet, op. cit., t. VI, pp. 381-382.

33En 1760, le Parlement de Normandie prit la défense de la Cour des Comptes Aides et Finances de Rouen qui avait dénoncé la création de la corvée destinée à la construction des routes décidée par Philibert Orry en 1738 et qui exigeait non seulement sa suppression, mais encore une levée d’impôts pour les remplacer. Le Parlement de Normandie envoya à Versailles sous la direction de Miromesnil une délégation chargée de présenter ses remontrances au souverain. En faisaient partie Thomas du Fossé, Piperay de Marolles, un époux d’une Le Couteulx et Thomas-Barthélemy. Ils furent accueillis le 30 juillet 1760 avec sévérité par Louis XV qui manifesta son mécontentement et les invita à retourner à Rouen et à ne plus s’opposer au pouvoir33.

  • 34 A.P. Floquet, op. cit., t. VI, pp. 554-555. M. Antoine, Louis XV, Paris, 1989, p. 796.

34La tension entre le gouvernement monarchique et le Parlement de Rouen s’accentua en 1763. Le prétexte en fut l’édit du cadastre d’avril 1763 qui ordonnait l’établissement d’un cadastre général définissant la surface et la valeur des propriétés foncières, y compris celles appartenant aux ordres privilégiés. Les parlementaires de la province s’opposèrent violemment au lieutenant général de Normandie, le duc d’Harcourt, qui voulait les obliger à enregistrer l’édit. Considéré comme un des plus fermes opposants à la politique royale, convoqué avec une dizaine de conseillers à Versailles pour rendre compte de leur conduite, Thomas-Barthélemy fut consigné comme eux jusqu’en octobre 1763 à Neauphle et à Villepreux34. Cette brimade n’affaiblit en rien les parlementaires rouennais. Lors de la rentrée du Parlement le 19 novembre 1763 tous démissionnèrent y compris Thomas-Barthélemy à l’exception du premier président Miromesnil.

  • 35 Correspondance politique et administrative de Miromesnil (éd. P. Le Verdier), Rouen, 1899-1903, t. (...)
  • 36 Idem, op. cit., t. III, p. 164. Miromesnil à L’Averdy, 10 février 1764.
  • 37 Idem, op. cit., t. III, p. 415. Miromesnil à L’Averdy, 15 décembre 1764.

35Pourtant, Thomas-Barthélemy allait, à partir de la fin de Tannée 1763, modifier son comportement. En effet, en décembre 1763, Clément de l’Averdy remplaçait Bertin comme contrôleur général des Finances. Clément de l’Averdy était un conseiller au Parlement de Paris et les deux hommes auraient noué des relations étroites avant même que Clément de l’Averdy n’épousât une des parentes des Le Couteulx35. Thomas-Barthélemy qui était parti pour Oissel après sa démission du Parlement entra donc en correspondance avec le contrôleur général des Finances en lui faisant part de ses idées « sur l’état présent des choses ». L’Averdy lui répondit convenablement, ce qui permit à Thomas-Barthélemy de lui écrire à nouveau en lui donnant des leçons « pour faire un bon contrôleur général des Finances » et lui réclamant des mesures pour tout ce qui pouvait être utile à sa ville et à la province de Normandie, demandant en particulier des fonds destinés à soutenir les Hôpitaux de Rouen. Mais il aborda également la question du rétablissement du Parlement de Normandie. Y étant favorable, L’Averdy lui répondit avec obligeance d’autant plus que comme le disait Miromesnil, Thomas-Barthélemy Le Couteulx était plus en état que lui de « pénétrer la façon de penser d’un grand nombre des Mrs du Parlement »36. Étant considéré comme un modéré, et ayant une forte influence sur un grand nombre de parlementaires de Rouen, Thomas-Barthélemy fit partie d’une commission qui partit pour Versailles en mars 1764 pour négocier le rétablissement du Parlement. Le 14 mars 1764, le Parlement de Normandie décidait de reprendre ses fonctions, ce qui pouvait être considéré comme un succès du nouveau contrôleur général des Finances qui avait bénéficié du soutien de Miromesnil et de Thomas-Barthélemy Le Couteulx. Celui-ci ne s’était pas seulement impliqué dans les affrontements entre les parlementaires et la monarchie, il était également intervenu vigoureusement dans l’affaire des Jésuites. Le Parlement de Rouen avait été la première Cour souveraine à réclamer qu’on lui remette les constitutions de la Compagnie de Jésus et à rendre un arrêt, le 12 février 1762, qui enjoignait les membres de la Compagnie à abandonner leurs collèges et leurs maisons dans le ressort du Parlement de Normandie. Thomas-Barthélemy après le rétablissement au Parlement fut avec Thomas du Fossé, sympathisant janséniste et petit-fils d’un solitaire de Port-Royal, l’un des plus hostiles à la Compagnie de Jésus. C’est ainsi qu’il estimait après la suppression de l’ordre que le serment prononcé par les ex-Jésuites était « incomplet et équivoque ». Comme le disait Miromesnil, il était « un franc honnête homme, mais ferme dans ses sentiments et lorsqu’il est persuadé d’une chose il est difficile de le faire changer »37.

  • 38 Idem, op. cit., t. III, p. 168. Thomas-Barthélemy Le Couteulx à Miromesnil, 13 février 1764 et 3 ma (...)

36Ce qui préoccupait également Thomas-Barthélemy, c’était la politique économique et financière de la monarchie ainsi que cela apparaît dans une lettre adressée à Miromesnil et dans laquelle il déclarait qu’il voulait bien payer mais qu’il faut « qu’on nous mette en état de le faire », il insistait sur la nécessité de soulager le peuple et qu’il fallait pour cela mettre en œuvre des réformes qui feraient disparaître « un nombre infini d’abus, de gênes, de vexations, que sans être utiles ni profitables à l’amélioration des revenus du roi ruinent les peuples ». En réalité, c’était moins au souverain qu’il s’en prenait qu’à la Ferme générale responsable, selon lui, de « l’épuisement » du peuple. Il préconisait donc la suppression des entraves à la liberté du commerce dont il rendait responsable au moins partiellement la Ferme générale et il s’efforçait de persuader ses collègues comme Du Fossé « qu’il fallait en terminer avec le « système onéreux » de la Ferme générale et que la liberté de circulation des grains à l’intérieur devait être suivie de celle des exportations. Il se prononçait également pour la libre circulation des eaux de vie, ce que le Parlement de Bordeaux refusait d’accepter et la suppression de la caisse de Poissy qui empêchait la liberté du commerce des bestiaux38. Peut-être ces propos influencèrent-ils L’Averdy qui, en 1764 décréta la libre circulation des grains à l’intérieur du pays.

  • 39 Idem, op. cit., t. IV, p. 4 et 6. Miromesnil à L’Averdy, 24 et 26 janvier 1765.

37L’hostilité de Thomas-Barthélemy envers la Ferme générale ne se démentira pas. En 1765, il dénonçait cette institution de « gens de finance » qu’il soupçonnait de vouloir s’emparer du monopole du commerce des eaux-de vie alors qu’elle détenait déjà celui du tabac. Pourtant, il ne s’engagea pas trop violemment contre la Ferme générale parce que, Selon Miromesnil, son attachement envers L’Averdy « l’engage à préférer le parti de la modération »39.

  • 40 Idem, op. cit., t. III, p. 296. Le duc d’Harcourt à Miromesnil, 21 juin 1764.
  • 41 Idem, op. cit., t. V, p. 57. Miromesnil à L’Averdy, 8 décembre 1767 , t. V, p. 73 Miromesnil à L’Av (...)

38Son appui à L’Averdy valut à Thomas-Barthélemy, comme on l’a vu, des avantages pour lui et ses proches. Le lieutenant général de la Normandie s’était entendu avec Miromesnil pour désigner Antoine-Louis Le Couteulx « qui l’était déjà un petto » maire de Rouen en 176440. Et il en fut de même pour le choix de Thomas-Barthélemy comme Premier président de la Chambre des Comptes. Miromesnil invitait L’Averdy à ce que « Mr. Le Couteulx soit bientôt reçu premier président de la Chambre des Comptes » et après qu’il soit entré en fonction, que le contrôleur général des Finances lui donne « du relief et de la considération »41.

  • 42 « Lettre de Le Couteulx, premier président de la Chambre des Comptes de Normandie à M. Lemoyne de B (...)

39Une fois L’Averdy obligé d’abandonner en septembre 1768 sa charge de contrôleur général des Finances, Thomas-Barthélemy repassa du côté de l’opposition. Lorsque le Triumvirat animé par le chancelier Maupeou décida de supprimer en 1771 les Parlements et les Cours des Comptes, il en fut une victime. Dans une lettre envoyée à Lemoyne de Belle-Isle, secrétaire des commandements du duc d’Orléans et parent des Le Couteulx, il lui faisait part de son attitude lors de la suppression de la Cour des Comptes de Rouen42. Il avait reçu une lettre de cachet daté du 2 octobre 1771 alors qu’il était à Verclives qui lui ordonnait de revenir à Rouen et « de n’y prendre aucune délibération, ni de former aucun vœu ». Pourtant, arrivé dans la capitale de la Normandie, il reçut une vingtaine de membres de la Cour des Comptes pour essayer de trouver un moyen de résister aux décisions du roi. Lorsque deux jours plus tard, le 4 octobre 1771, le duc d’Harcourt, lieutenant général de Normandie, remit à tous les membres de la Chambre des Comptes, des lettres de cachet leur interdisant toute délibération, Thomas-Barthélemy intervint pour protester contre le fait que la Chambre n’avait pas délibéré sur ces lettres, ni même ordonné qu’elles lui furent communiquées. Il s’opposa encore une fois au lieutenant général quand celui-ci voulut lire publiquement l’édit portant suppression de tous les officiers de la Chambre des Comptes car pour lui c’était « une forme irrégulière » parce qu’il n’avait pas été enregistré avant sa publication. Ses différentes interventions furent très mal reçues par les représentants de la monarchie, le duc d’Harcourt l’interrompit « avec une espèce de menace » tandis que l’intendant Thiroux de Crosne lui enjoignit « amicalement » de se taire.

40Ce n’est pas seulement aux membres de la haute administration normande que s’en prenait Thomas-Barthélemy Le Couteulx. Pour lui, le chancelier Maupeou et même Louis XV devaient être critiqués. Il affirmait que Maupeou mettait en place « un plan de destruction générale » et que lui, Thomas-Barthélemy, allait « être abîmé ainsi que bien d’autres par les effets de la bienfaisance du Roy pour ses sujets ».

  • 43 A.P. Floquet, op. cit., t. VI, pp. 470-471. L’année précédente, Thomas-Barthélemy avait réclamé une (...)
  • 44 A.P. Floquet, op. cit., t. VI, p. 471.
  • 45 Journal de voyage fait à Versailles par une délégation d’échevins de Rouen (1775) cité par G. Darid (...)

41Pourtant, le chancelier Maupeou fit pression sur lui. Il lui proposa de devenir premier président du Conseil supérieur créé à Rouen en remplacement du Parlement en le menaçant s’il refusait, de faire condamner un de ses parents, un certain Billard, frère utérin de son épouse Catherine Garnier, caissier des Postes alors en faillite43. Mais Thomas-Barthélemy ne fléchit pas. Ce fut donc l’intendant Thiroux de Crosne qui fut placé à la tête du Conseil Supérieur de la généralité de Normandie tandis que Billard fut exposé au carcan sur la place de Grève44. L’avènement de Louis XVI en 1774 modifia provisoirement la politique menée par le Triumvirat et les Le Couteulx ne purent qu’être satisfaits des premières décisions du monarque. Le libéral Turgot qui avait fait partie du groupe Trudaine-Vincent de Goumay devint contrôleur général des Finances en remplacement de l’abbé Terray, lequel avait remis en cause les mesures libérales de L’Averdy. À la suite de la disgrâce du chancelier Maupeou, ce fut Miromesnil, l’ami de Thomas-Barthélemy qui devint garde des sceaux et comme le système des cours souveraines fut rétabli, Thomas-Barthélemy Le Couteulx reprit sa charge de premier président de la Cour des Comptes de Normandie. Cet espoir dans les orientations du nouveau souverain était partagé par Antoine IV Le Couteulx de Verclives, devenu maire de Rouen et qui rencontra avec les échevins de la ville Louis XVI en décembre 1775 pour lui rendre hommage45.

  • 46 G. Daridan, op. cit., p. 17.

42Lors d’une rencontre de la plupart des membres de la famille Le Couteulx, à la Malmaison en 1776, ces derniers, une nouvelle fois, affirmèrent leur appui aux grandes réformes opérées par Turgot. Et comme lui, s’ils étaient favorables à l’indépendance des 13 colonies américaines, ils n’entendaient pas que la France intervienne militairement dans le conflit entre la Grande-Bretagne et les Insurgeants américains46.

43Après la disgrâce de Turgot survenue quelques semaines après leur rencontre à la Malmaison, les Le Couteulx prirent quelques distances avec la monarchie qui remettait en cause la plupart des réformes entamées par le successeur de l’abbé Terray. Toutefois, ils n’entrèrent pas dans les rangs d’une opposition, encore peu vigoureuse. S’ils critiquaient certaines décisions du pouvoir, ils en approuvaient d’autres espérant toujours pouvoir peser grâce à leur puissance financière sur certaines orientations de Louis XVI et de ses ministres.

44Ce fut le cas lors de l’arrivée de Necker aux affaires, le banquier calviniste ne pouvait inquiéter les Le Couteulx en relation avec un grand nombre de protestants anglais, hollandais ou suisses. La politique d’emprunts lancée par le Directeur général des Finances ne pouvait que les satisfaire et on a vu que Jacques-Jean Le Couteulx du Molay avait accepté la proposition de Necker de faire partie des administrateurs de la Caisse d’Escompte. Sans doute, l’opposition menée par la maison de banque Girardot Haller et Cie soutenue par Necker qui était peut-être encore présent dans le capital de cette société contre les emprunts levés en France par François Cabarrus pour permettre la création des vales reales, dut les inquiéter mais sous la pression du gouvernement espagnol qui menaçait d’abandonner son allié français pendant la guerre d’indépendance américaine, Necker fut contraint de ne pas contrecarrer les opérations en France de François Cabarrus qui obtint assez rapidement le soutien des Le Couteulx.

  • 47 M. Zylberberg, op. cit., p. 304.
  • 48 H.G. de Mirabeau, Lettre du comte de Mirabeau à Mr Le Couteulx de la Noraye, Bruxelles, 1785, p. 2.
  • 49 M. Zylberberg, op. cit., p. 307.

45L’arrivée de Calonne à la tête du contrôle général des Finances en 1783 fut l’objet d’une nouvelle tension entre le pouvoir et les Le Couteulx. En 1784, Le Couteulx et Cie s’était engagée dans une grande spéculation sur les actions de la Banque Saint-Charles, ce qui inquiéta Calonne qui refusait de voir des fonds français s’investir dans des actions étrangères alors que la Couronne avait besoin, étant donné son endettement, qu’ils soient dirigés vers l’achat de titres de rentes viagères. D’où le soutien apporté par Calonne à un groupe favorable à la montée du cours des rentes viagères et qui comprenait Isaac Panchaud, le banquier anglo-suisse, Étienne Clavière, un financier helvétique, Jacques-Pierre Brissot, un publiciste français et Mirabeau qui venait de rédiger un brûlot contre la Caisse d’Escompte. Mirabeau, à la demande de Calonne écrivit en une dizaine de jours un libelle contre les spéculations menées sur les actions de la Banque Saint-Charles intitulé De la Banque d’Espagne dite de Saint-Charles qui sortit des presses en juin 178547. Un des dirigeants de Le Couteulx et Cie, Barthélemy-Jean-Louis le critiqua vigoureusement. D’après Mirabeau, il aurait déclaré le 24 juin 1785 chez un secrétaire d’État en présence de vingt-cinq personnes « qu’on pouvait opposer un grand nombre de raisons et de faits » à l’ouvrage de Mirabeau et que « les gens de métier n’en seraient pas dupes »48. Barthélemy-Jean-Louis parvint à rencontrer Calonne pour le persuader de changer d’attitude et le contrôleur général des Finances tenant compte également de la pression du gouvernement espagnol changea de camp. Non seulement il fit interdire l’ouvrage de Mirabeau sur la banque Saint-Charles mais critiqua également celui qui s’en prenait aux Le Couteulx49. Désormais, les relations entre Calonne et les Le Couteulx furent beaucoup moins conflictuelles. Quelques mois avant sa démission, Calonne confiait à Barthélemy-Jean-Louis Le Couteulx conjointement avec Emmanuel Haller, de mettre un terme à la spéculation sur les actions de la Nouvelle Compagnie des Indes.

46Au cours des dernières années de l’Ancien Régime, les Le Couteulx vont entrer en conflit avec la monarchie lorsque celle-ci décida en septembre 1786 de conclure un traité de commerce avec l’Angleterre et de l’appliquer le 1er mai 1787. Ce traité abaissait les droits de douane français sur les produits manufacturés anglais, tandis que l’Angleterre acceptait de réduire ses taxes douanières sur les exportations agricoles françaises, notamment sur les vins du Bordelais. Ce traité contribua dans une mesure difficile à déterminer à l’aggravation de la crise économique que connut la France à la veille de la Révolution. Une des provinces les plus affectées par la récession que connurent les manufactures fut la Haute-Normandie, proche géographiquement de l’Angleterre, et dont les articles textiles et les faïences furent concurrencés très aisément par les manufactures britanniques qui bénéficiaient par ailleurs de frais de circulation réduits.

  • 50 H. Wallon, La Chambre de commerce de la province de Normandie, Rouen, 1903, pp. 95- 96-97.

47Parmi les institutions normandes qui réagirent contre le traité de 1786, on comptait la Chambre de Commerce de Rouen dont Jean-Barthélemy Le Couteulx de Canteleu était un des principaux animateurs. Il avait succédé à d’autres membres de sa dynastie qui y étaient entrés depuis les premières décennies du xviiie siècle. En avaient été membres avant lui Jean-Étienne I, Barthélemy I, Antoine III, Barthélemy-Félix, Antoine IV Le Couteulx de Verclives et Antoine-Louis50.

  • 51 Notes manuscrites d’un conseiller du Parlement de Normandie (d’Estaintot éd.), Rouen, 1889, p. 53. (...)
  • 52 A.D.S.M.C. 1092. Observations préliminaires de la Chambre de commerce de Normandie sur le traité de (...)
  • 53 A.N. F/4/1032/1. Lettre de Jean-Barthélemy Le Couteulx au garde des Sceaux, Paris, le 16 octobre 17 (...)

48Depuis son retour de Cadix, Jean-Barthélemy Le Couteulx avait non seulement pris la direction de la maison de Rouen mais il avait occupé plusieurs fonctions publiques. En 1784, il avait été élu procureur-syndic de la juridiction consulaire puis prieur. Il fut également premier échevin de la ville de Rouen en 1787. Lorsque Louis XVI, après avoir visité le port de Cherbourg, séjourna quelques heures à Rouen le 28 juin 1786, il rencontra les membres de la Chambre de commerce et ce fut Jean-Barthélemy Le Couteulx qui lui présenta un compliment51. Cela n’empêcha pas ce dernier de critiquer le traité de commerce franco-anglais au nom de la Chambre de commerce. Celle-ci rédigea pour commencer des Observations préliminaires sur le traité de commerce52. Elle s’était appuyée sur un rapport de deux de ses représentants, Mrs Murard et Rabasse qui étaient partis en Angleterre enquêter sur les manufactures anglaises. Revenus en France, ils avaient présenté des conclusions selon lesquelles les manufactures anglaises, notamment celles de Manchester étaient beaucoup plus perfectionnées que celles de la France. La Chambre de commerce chargea Jean-Barthélemy Le Couteulx de rédiger un second rapport afin « d’étendre ce travail pour faire connaître avec plus de détails l’étendue et l’utilité des manufactures de Normandie et successivement faire des rapprochements instructifs de notre industrie avec celle de nos rivaux » ainsi qu’il l’écrivait en 1787 au garde des Sceaux53. Ce nouveau mémoire que Jean-Barthélemy adressa au garde des Sceaux et la lettre qui l’accompagnait ne se limitaient pas à ce genre de comparaisons. Ils contenaient des critiques implicites du comportement de la monarchie française et des éloges du fonctionnement du gouvernement britannique. Jean-Barthélemy Le Couteulx reprochait l’interdiction d’imprimer les Observations préliminaires décidée par l’ordre des syndics de la librairie de Paris qui avait averti le 29 décembre 1786 la Chambre de Commerce de Rouen que « l’impression de tout mémoire ou représentation qui pourrait se faire sur le traité de commerce avec l’Angleterre » était hors de question. Jean-Barthélemy réclamait donc au garde des Sceaux qu’il accorde l’autorisation de publication du premier et du second mémoire sur le traité de commerce.

49Mais les critiques de Jean-Barthélemy en tant que porte-parole de la Chambre de commerce ne se limitaient pas à cela. Dans son mémoire, il mettait en relief les manières différentes dont l’Angleterre et la France avaient préparé et adopté le traité de commerce. Dans le pays voisin « les diverses corporations des négociants et des fabricants » avaient été consultées par le gouvernement, avaient été entendues par la Chambre des communes. Les négociants et fabricants anglais avaient pu obtenir que certains articles du traité qui auraient pu nuire au commerce britannique soient écartés. En Angleterre, d’après Jean-Barthélemy « l’énergie et l’industrie des Anglais sont toujours guidées par la connaissance la plus éclairée de leurs vrais intérêts ».

50À l’inverse, les Chambres de commerce et les manufactures françaises n’avaient été instruites du traité que lorsqu’il avait été « consommé ». En conséquence, il ne pouvait que faire du tort au négoce et à l’industrie française. Mais, puisque le souverain l’avait approuvé, Jean-Barthélemy déclarait qu’il fallait faire preuve de modération et ne pas présenter trop rapidement les effets néfastes qu’éprouverait l’économie de la Normandie.

  • 54 Sur la façon dont les notables et l’opinion populaire considéraient ce traité. Cf. G. Lemarchand, C (...)

51La conséquence la plus affligeante du traité selon son rapport serait la mise au chômage par les fabricants de la Haute-Normandie d’une partie des 40000 ouvriers qui travaillaient à Rouen et dans ses banlieues. De plus, les premières constatations des effets du traité de 1786 indiqueraient qu’il se produisait une inondation des produits manufacturés anglais qui se substituaient en particulier aux produits textiles normands tandis que l’Angleterre n’aurait pas augmenté ses importations de vins et d’eaux-de-vie. Or, la monarchie avait espéré que les ventes de vins en Angleterre auraient permis de faire rentrer en France des quantités importantes de numéraire. Or c’était le contraire qui se produisait54.

  • 55 A.N. F/4/1032/1. Observations de la Chambre de commerce de Normandie sur le traité de commerce entr (...)

52Après avoir décrit les principaux secteurs de l’industrie normande (toiles, lainages, cotonnades, faïences, métallurgie non ferreuse) et les difficultés qu’ils éprouvaient du fait de la concurrence anglaise, Jean-Barthélemy se prononçait pour un certain nombre de réformes sans exiger la remise en cause du traité de 1786. Il réclamait l’abandon d’une grande partie des règlements qui entravaient la liberté d’agir des manufacturiers normands, la suppression des droits de douane intérieurs qui étaient nuisibles au commerce, l’abandon de la capitation qui était ignorée en Angleterre, la consultation des négociants pour prendre leur avis sur toutes les affaires qui avaient trait au commerce comme le faisait le gouvernement anglais, l’octroi de gratifications à tous ceux qui, en France, établiront des industries nouvelles, la délivrance de primes aux fabricants proportionnellement au nombre des ouvriers qu’ils emploieront, enfin et surtout consulter régulièrement les Chambres de commerce et les négociants en leur accordant liberté et protection55.

53Ces propositions ne furent pas reprises par la monarchie qui, en 1787, avait d’autres préoccupations. Mais le banquier rouennais ne fut pas mis à l’écart à cause de ses remontrances. En effet, en 1787, il fut désigné comme membre de l’Assemblée provinciale de la Haute-Normandie créée par un édit de juin 1787 qui généralisait ce qui avait été amorcé dans les années 1778 et 1779 par les créations des Assemblées du Berry et de la Haute-Guyenne.

  • 56 G. Coeuret, L’assemblée provinciale de Haute-Normandie, Rouen, 1927, p. 34. En avril 1790 Jean-Bart (...)

54Le roi nomma six ecclésiastiques, sept nobles et douze membres du Tiers-État, lesquels devaient en désigner vingt-six autres. Or le premier des membres du Tiers-État à être désigné fut « Le Couteulx, écuyer, seigneur de Canteleu, premier échevin » suivi par Thouret, avocat au Parlement. Deux autres écuyers du nom de Levé, ancien échevin de la ville de Paris et de Feray, négociant au Havre firent partie du Tiers-État. Manifestement pour l’administration monarchique, Jean-Barthélemy, écuyer et seigneur de Canteleu n’appartenait pas à la noblesse56.

  • 57 G. Coeueret, op. cit., p. 215.

55Toujours comme représentant du Tiers-État, Jean-Barthélemy Le Couteulx fut nommé membre de la Commission intermédiaire présidé par le cardinal de la Rochefoucauld, archevêque de Rouen qui continua à siéger après la clôture de la session de l’Assemblée provinciale. Jean-Barthélemy Le Couteulx y intervint rarement, sans doute parce que depuis le début de l’année 1788 il s’était établi à Paris où il travaillait rue Montorgueil chez Le Couteulx et Cie. Mais malgré son absence, la commission intermédiaire s’inspira des Observations sur le traité de commerce. L’avocat Thouret qui était à cette date un de ses proches, proposa d’octroyer des subventions aux manufactures afin de permettre à l’industrie normande de se relever et de créer un Bureau d’encouragement pour le commerce et les manufactures. La Commission obtint en partie ce qu’elle cherchait : une subvention de 300000 lt. lui fut accordée par l’intermédiaire du Bureau d’Encouragement « pour établir, multiplier et répandre les machines nécessaires pour mettre l’industrie française au niveau de celle de l’anglaise »57.

56Mais en 1788, le traité de commerce franco-anglais n’était plus au centre des préoccupations de la plus grande partie de l’opinion publique. C’était le système absolutiste qui était mis en cause par une partie de la noblesse, les parlementaires et la bourgeoisie.

Les premières années de la Révolution

57Devenu le principal ministre de Louis XVI en mai 1787, Loménie de Brienne décida le 5 juillet 1788 de convoquer les États-généraux pour le 1er mai 1789. Un grand mouvement politique s’amorce auquel participent non seulement la bourgeoisie à talents mais aussi la bourgeoisie capitaliste dont les Le Couteulx sont un des principaux fleurons. L’un d’entre eux, Jean-Barthélemy Le Couteulx de Canteleu va d’ailleurs être élu député des États-généraux et va mener une carrière politique pendant toute la durée de l’Assemblée nationale constituante mais il n’est pas le seul membre de la dynastie à s’engager aux côtés des adversaires de la société d’ordres et du système politique absolutiste.

  • 58 Le Couteulx de Canteleu (sic). Discours du premier président de la Cour des comptes le 7 du courant (...)
  • 59 Mémoire que présentent à Mrs Le maire et échevins de la ville de Rouen, les communautés, corporatio (...)

58La convocation des États-généraux par la monarchie marque le début d’une Révolution, c’est du moins ce qu’affirme Thomas-Barthélemy dans son discours de rentrée tenu devant la Cour des comptes de Rouen à la fin de 1788 après le rappel de Necker58. Pour lui, « lorsque le désordre est parvenu à son comble, il faut une révolution ». Pour que cette révolution soit heureuse, il ne suffit pas que la nation ait à sa tête un prince juste et sage secondé par un ministre ami du bien public mais il est nécessaire qu’elle s’engage dans des réformes portant en premier lieu sur le système fiscal et qu’elle mette fin aux abus. D’après Thomas-Barthélemy, seule la nation représentée par les États-généraux a le droit de consentir à l’impôt, ce qui selon lui, ne pouvait être affirmé, peu de temps auparavant. Mais les États-généraux ne devront pas se contenter de voter les impôts, ils devront, comme le souverain y a consenti, se réunir régulièrement. La réunion des États-généraux mettra donc un terme au despotisme car ils ne se limiteront au problème des impôts, mais à tous les objets « que l’universalité de ses membres puisse avoir à discuter ». Le discours du premier président est encore bien vague et il ne se prononce pas sur la question dominante discutée au cours de la seconde moitié de l’année 1788, à savoir le doublement des membres du Tiers-État et surtout le vote par tête et non par ordre. C’est son fils, Jean-Barthélemy qui va prendre position en faveur de ce qui est la principale revendication des membres des différentes bourgeoisies. En compagnie de l’avocat Jacques-Guillaume Thouret, membre comme lui de l’Assemblée provinciale de la Haute-Normandie, il rédige un mémoire adressé aux maire et échevins de la ville de Rouen censé être présenté par les communautés, corporations et citoyens particuliers du Tiers-État de la ville de Rouen59.

59Le mémoire réclamait en premier lieu la double représentation du Tiers avec la délibération des trois ordres en commun et le vote par tête. Il traitait également de la question du privilège opposant les privilégiés qui bénéficiaient des exemptions d’impôts et des non-privilégiés sur lesquels l’impôt pesait sans adoucissement. Il se prononçait pour la transformation des États-généraux en Assemblée nationale. Chaque individu possédant « un droit essentiel et inaltérable celui de l’homme libre », tous les individus devaient voter et l’auteur critiquait un grand nombre de privilégiés qui voulaient interdire « l’égalité du suffrage » en se fondant sur une Constitution contraire à l’égalité entre les hommes. Or, pour l’auteur du mémoire, l’existence d’une telle Constitution était fort peu probable. Il aurait fallu montrer « la charte ou le diplôme de cette constitution opposée aux principes de l’équité naturelle qui forme le droit commun de la Nation ».

  • 60 Le mémoire comprenait également l’obligation de choisir les députés du Tiers-État parmi les membres (...)
  • 61 E. Lebègue, Thouret (1746-1794), Paris, 1910, p. 94.

60Le texte adopté, la municipalité l’envoya aux principales villes du royaume et chargea Jean-Barthélemy Le Couteulx, premier échevin et Delépine, échevin moderne de partir pour Versailles pour le présenter au pouvoir60. Les deux hommes furent reçus par Necker, mais ce dernier refusa de prendre position61. Ce n’est qu’au début de l’année 1789 que le doublement du nombre des députés du Tiers-État fut acquis mais le vote par tête demeurait en suspens.

  • 62 C. Mazauric, « La politique de la noblesse à Rouen en 1789. Un document », Etudes Normandes, 1979, (...)
  • 63 E.H. Lemay, Dictionnaire des Constituants 1789-1791, Paris, 1991, t. Il, p. 566.

61En avril 1789, les représentants des trois ordres se réunirent à Rouen. 533 nobles des bailliages de Rouen, Gisors, Pont-l’Évêque, Honfleur, Pont-Audemer et Pont-de-l’Arche furent présents dans la salle de l’Assemblée provinciale. Et parmi eux figuraient Thomas-Barthélemy, premier président de la Cour des Comptes, son fils Jean-Barthélemy, seigneur de Canteleu et leur cousin, Antoine IV Le Couteulx, seigneur de Verclives. Les Le Couteulx auraient désiré comme une minorité de nobles, que les représentants des trois ordres délibèrent en commun comme l’avait proposé à nouveau Thouret62. Mais la majorité des membres du Second ordre refusèrent le vote par tête ainsi que l’égalité devant l’impôt. La minorité ne s’inclina pas. 106 représentants dont les trois Le Couteulx déposèrent une déclaration devant le notaire Delabarre contestant la décision de la majorité de l’ordre. Tout en se montrant favorables à une distinction de rang, ils déclarèrent ne pas vouloir maintenir les privilèges pécuniaires. Selon eux, l’impôt devait être supporté par tous les citoyens. Pour sauver une partie de leurs privilèges, une fraction minoritaire de la noblesse acceptait les propositions de compromis des membres du Tiers-État. Mais un banquier anobli comme Jean-Barthélemy Le Couteulx qui avait un pied dans la noblesse, un pied dans le Tiers-État, était-il vraiment favorable aux droits seigneuriaux et n’avait-il pas agi par souci tactique ? En tout cas, étant donné le comportement de la majorité de la noblesse, il n’avait plus aucune chance d’être élu par elle. Il abandonna donc sans la moindre difficulté cet ordre et se présenta devant les représentants du Tiers-État du bailliage principal de Rouen, lesquels l’élirent député aux États généraux au deuxième rang derrière son partenaire Thouret63.

  • 64 M. Thénard, Bailliage de Versailles et de Meudon. Les cahiers des paroisses, Versailles, 1889, pp.  (...)

62Propriétaire du château de Voisins à Louveciennes, Laurent-Vincent Le Couteulx choisit cette paroisse plutôt que la capitale pour jouer un rôle politique. Il fit donc partie de l’assemblée électorale de Louveciennes qui élabora un cahier de doléances dont le principal auteur fut Laurent-Vincent et dont l’assemblée se contenta, le 15 avril 1789 de le signer64.

63Ce cahier de doléances reprend le plus souvent les principaux thèmes inscrits dans d’autres cahiers de doléances, notamment ceux de Rouen, mais présente quelques innovations. Il réclame que les États généraux soient convoqués tous les trois ans et immédiatement après le renouvellement d’un règne. Le Tiers-État qui représente au moins les quatre-cinquièmes de la population française doit avoir droit à la moitié des voix. Sur trois députés du Tiers, l’un doit appartenir à la classe des agriculteurs, le second à celle des négociants ou des manufacturiers, le troisième à celle des hommes de loi. Bien entendu, les impôts devront être supportés par tous les citoyens sans distinction de rang ou d’état. Les privilèges pécuniaires devront disparaître et Laurent-Vincent préconise la fusion de tous les impôts existants en un seul qu’il dénomme impôt territorial.

64Laurent-Vincent aborde également la question de la dérogeance. Le commerce et les arts libéraux ne doivent plus être dérogeants comme le souhaitait l’abbé Coyer, quelques décennies auparavant. Il déplore que les membres du Tiers-État dès que leur fortune est faite aspirent à quitter leur état. En conséquence, les capitaux et les connaissances du père sont perdus pour ses enfants et la nation, ce qui n’a pas été le cas de la dynastie Le Couteulx. Donc, le cahier de doléances de la paroisse de Louveciennes dont les habitants sont des paysans, souhaite que la noblesse soit accordée à des membres du Tiers-État mais elle ne sera transmissible que si les enfants de l’anobli demeurent dans l’état qui avait permis à leur père de l’obtenir. Le cahier de Louveciennes se prononce également et cela est également un trait des Le Couteulx que chaque village puisse avoir un maître d’école, une bibliothèque et deux sœurs grises relevant de la municipalité. Il réclame aussi qu’un impôt connu sous le nom de côte personnelle qui existe dans le village et qui pesait sur les pauvres journaliers soit aboli. Enfin, faisant l’éloge de Louis XVI considéré comme l’Ami du Peuple, il demande qu’une statue le représentant soit érigée sur la place de la Bastille, la forteresse devant être préalablement détruite et rasée, la démolition de la Bastille après le 14 juillet 1789 n’est donc pas quelque chose de soudain, le cahier de doléances du bailliage de Rouen ayant présenté le même vœu. Les trois ordres étaient invités à concourir à cet hommage, mais au cas où les privilégiés le refuseraient, le Tiers-État l’élèverait seul. À Louis XVI est associé Necker « le nouveau Sully » pour qui on réclame un médaillon et un titre de naturalisation afin qu’il devienne citoyen français.

  • 65 Ch. L. Chassin, Les élections et les cahiers de Paris en 1789, t. IV, Hors les murs, Paris, 1889, p (...)
  • 66 A. Cobban, Le sens de la Révolution française, Paris, 1964, p. 52.
  • 67 Ch. L. Chassin, op. cit., t. IV, p. 163.

65L’Assemblée électorale de Louveciennes désigna Laurent-Vincent Le Couteulx et Louis-Nicolas Thuilleaux pour le représenter à l’assemblée du bailliage secondaire de Versailles. Laurent-Vincent fut nommé un des sept commissaires chargés de rédiger le cahier de doléances de ce bailliage secondaire65. Il entendait faire du cahier de Louveciennes qu’il avait confectionné la matrice de celui de Versailles, mais il se heurta à un autre commissaire, François Legrand de Boislandry, négociant à Versailles, et qui avait fait adopter par sa ville un cahier différent, et celui-ci l’emporta. Le cahier adopté, les représentants du bailliage de Versailles commencèrent à élire, le 18 avril 1789, leurs députés à la Prévôté et vicomté de Paris hors-les-murs. Laurent-Vincent Le Couteulx était en troisième position et Boislandry en cinquième. Celui-ci lorsque l’assemblée de Paris hors les murs débuta fit élever des protestations contre la présence de nobles présents parmi les représentants du Tiers-État. Il s’agissait du bailli de Versailles, d’un procureur du roi dans le bailliage de Versailles, d’un chevalier de Saint-Louis et de Laurent-Vincent Le Couteulx. Si deux d’entre eux se retirèrent sans protester, Laurent-Vincent résista pour se maintenir. C’est lui qu’Alfred Cobban désigne sans le nommer comme un noble66. Ayant demandé à être entendu, il ne put intervenir qu’avec difficulté étant donné les fréquentes interruptions dont il fut l’objet. Il déclara qu’il avait été nommé par l’assemblée d’un bailliage secondaire appartenant au Tiers-État et qu’il n’avait pas été mis en cause par l’Assemblée de la Prévôté et de la vicomté de Paris hors-les-murs. Surtout, il affirma qu’il se croyait d’être dans le droit d’être admis parmi le Tiers-État parce qu’il était dans le commerce et qu’un de ses parents, en l’occurrence, Jean-Barthélemy Le Couteulx avait été élu député de l’Assemblée du Tiers-État du bailliage de Rouen « quoique noble au même degré que lui » et il ajoutait que « ses ancêtres n’avaient point acheté la noblesse mais qu’ils l’avaient obtenue pour services rendus à l’État »67.

  • 68 Ch. L. Chassin, op. cit., t. IV, p. 164.

66Rien n’y fit. Ayant été toujours interrompu par les mêmes clameurs, il fut contraint de se retirer en protestant. Il ne s’avoua pas vaincu. En compagnie du chevalier de Saint-Louis, il participa à la rédaction d’un mémoire dans lequel Boislandry fut accusé d’avoir employé « un moyen incendiaire pour faire exclure les quatre membres de la députation de Versailles qui avaient le plus de suffrages »68. De fait, Boislandry après l’exclusion de ces « nobles » fut élu député aux États-généraux.

  • 69 A.N. F/7/4774/10. Déclaration de Jacques-Jean Le Couteulx (1794), sur l’élection dans le district d (...)
  • 70 J.S. Bailly et H.M. Duveyrier, Procès-verbal des séances et délibérations de l’Assemblée générale d (...)

67Deux autres membres de la dynastie Le Couteulx participèrent eux aussi aux joutes électorales qui précédèrent la réunion des États généraux. Il s’agit de Jacques-Jean Le Couteulx du Molay et de Barthélemy-Jean-Louis Le Couteulx qui avaient quitté la banque à la fin de 1788. Ils choisirent Paris comme théâtre d’opérations bien qu’ils possédaient des domaines à Rueil et à Noisy-le-Grand. Jacques-Jean semble dans un premier temps s’être peu intéressé aux activités de l’Assemblée parisienne. Faisant partie des 158 électeurs du district de Saint-Leu, il avait été un des sept du district qui avaient été élus pour figurer dans le groupe des électeurs du Tiers-État de la ville et des faubourgs de Paris. Mais il partit très tôt pour la Malmaison où il s’occupait des récoltes69. En revanche, Barthélemy-Jean-Louis Le Couteulx se montra plus actif. Membre comme lui des électeurs du district de Saint-Leu et désigné également comme membre de l’électorat du Tiers-État de la ville de Paris, il fit partie des trente-huit commissaires de la ville, dont un tiers était des négociants ou des banquiers comme Perrégaux et Tassin, chargés de rédiger le cahier de doléances du Tiers-État de Paris. Pourtant son appartenance à la noblesse avait failli dès le début de la réunion de l’Assemblée l’en écarté. Elle avait en effet délibéré sur la question de savoir s’il fallait exclure les nobles qui se trouvaient dans l’Assemblée du Tiers, mais il avait été décidé, ce qui arrangeait Barthélemy-Jean-Louis, de ne pas confondre ceux qui avaient acquis la noblesse à prix d’argent et qui devaient être écartés et les négociants à qui elle avait été accordée pour services rendus à l’État. Ceux-ci à condition qu’ils soient encore attachés au commerce étaient considérés comme appartenant au Tiers-État et demeureraient dans l’Assemblée70.

  • 71 Avis intéressant à Mrs les électeurs du Tiers-État avec la liste des commissaires pour la rédaction (...)

68Pourtant ce ne fut que partie remise. En effet, on attaqua Barthélemy-Jean-Louis sous un autre angle. Un « citoyen zélé » fit part aux électeurs du Tiers-État de Paris de l’étonnement qu’il ressentait de voir qu’il y avait dans la liste des commissionnaires de trop nombreux banquiers, financiers et... académiciens. Les banquiers n’étaient pas moins dangereux que les financiers, c’étaient des usuriers du commerce, des vampires de l’État. Sous le ministère Terray, ils avaient fait des « fortunes scandaleuses et immorales ». Ensuite, ils avaient facilité « les emprunts perfides » qui avaient creusé l’abîme, c’est-à-dire l’endettement de l’État qu’il s’agissait de combler, enfin, ils avaient multiplié les « funestes services » qui avaient dévoré par anticipation le budget de l’État. Une conséquence s’imposait, il n’aurait pas fallu de même pour les financiers, les avoir appelés à la confection des cahiers et il serait encore plus « impolitique » de les élire comme membres des États généraux. Ceux qui devaient être choisis, c’étaient surtout « les Juriconsultes patriotes qui ayant fait une étude particulière du droit public étaient aussi éclairés qu’incorruptibles »71.

  • 72 Ch. L. Chassin, op. cit., t. III, p. 362.
  • 73 Ch. L. Chassin, op. cit., t. III, p. 299.

69Une offensive menée par les avocats fut mise en place le 14 mai 1789 alors que l’on éprouvait de grandes difficultés à élire la totalité des députés de Paris aux États généraux qui étaient en place depuis le 5 mai. Jacques-Jean Le Couteulx et Barthélemy-Jean-Louis auraient été exclus comme nobles de l’Assemblée du Tiers-État de Paris72. Pourtant cette décision ne semble pas avoir été suivie d’effets car lorsque l’Assemblée adopta le 22 mai 1789 son cahier de doléances, Barthélemy-Jean-Louis figurait parmi les vingt-trois commissaires qui avaient inscrit leurs signatures dans le cahier de vingt-cinq feuillets73.

  • 74 J.S. Bailly, H.S. Duvéyrier, op. cit., t. I, p. 125 (A.C. Morris ed.).
  • 75 G. Morris, The diary and letters (Morris éd.), New-York, 1888, t. I, p. 57 « An abbe declaims viole (...)

70Lors de l’élection des députés de Paris aux États généraux, Barthélemy-Jean-Louis ne semble pas avoir été candidat, même s’il avait été décidé que les membres de « la noblesse commerçante » pourraient être éligibles74. Mais il dut se réjouir de constater que l’abbé Sieyès fut élu le 19 mai 1789 même s’il était au dernier rang avec 127 voix alors que Jean-Sylvain Bailly devenu député le 12 mai en rassemblait 173. En effet, l’auteur de Qu ’est-ce que le Tiers-État fréquentait les Le Couteulx pendant le printemps 1789, comme l’indiquaient Gouverneur Morris et Élisabeth Vigée-Lebrun. L’associé de Robert Morris arrivé en France séjourna en avril 1789 à Villeflix, la propriété de Barthélemy-Jean-Louis où il rencontra un abbé qui déclamait violemment contre les modérés en politique et qui affirmait qu’il enlèverait le poste d’assaut75. Sans doute pensait-il que l’appui d’un banquier au moment de l’élection des députés de Paris aux États généraux lui permettrait de l’emporter. Peut-être ne s’est-il pas trompé...

  • 76 E. Vigée-Lebrun, op. cit., t. 1, p. 173.

71En tout cas, les liens entre l’abbé Sieyès et la dynastie Le Couteulx devait être durables. En juin 1789, quand Madame Vigée-Lebrun se rendit une nouvelle fois à la Malmaison, elle y trouva l’abbé Sieyès et plusieurs autres « amateurs » de la Révolution. Tandis que Jacques-Jean Le Couteulx du Molay « hurlait contre les nobles », elle ajoutait que chacun criait, pérorait sur toutes choses propres à opérer un bouleversement général. Elle eut l’impression de se trouver dans « un vrai club » même si l’abbé Sieyès s’inquiétait du fait que les partisans de la Révolution pourraient aller trop loin76.

72À partir de l’ouverture des États-généraux à Versailles le 5 mai 1789, la France entre en révolution et les Le Couteulx vont y participer tant qu’elle permettra aux bourgeoisies et en premier lieu à la bourgeoisie capitaliste de devenir la classe dirigeante. Les membres de la dynastie opèrent à plusieurs niveaux. Jean-Barthélemy dans celui des États-généraux devenus à partir de juin 1789 l’Assemblée nationale constituante et ses cousins dans la capitale en s’adossant au mouvement urbain.

  • 77 Jean-Barthélemy figure dans le tableau de David sur le serment du Jeu de Paume. Sur le serment de J (...)
  • 78 Cité par G. Daridan, op. cit., p. 148.

73Membre du Tiers-État, Jean-Barthélemy Le Couteulx fait partie de la grande majorité qui entend transformer comme le souhaitait Sieyès les États généraux en Assemblée constituante. Quand Louis XVI décide de remettre en cause la décision des députés, Jean-Barthélemy gagne la salle du Jeu de Paume le 20 juin et prête le serment en vertu duquel les députés décident de ne jamais se séparer jusqu’à ce que la Constitution soit établie et affermie sur des fondements solides77. Lorsqu’après la séance du 23 juin 1789, Louis XVI renonce provisoirement à recourir à la force contre le Tiers, Laurent-Vincent Le Couteulx dans une lettre au premier président de la Cour des Comptes de Normandie s’en prend aux aristocrates qui « ont transformé leur triomphe éphémère en honte et chagrin »78.

74D’après Gouverneur Morris, Jean-Barthélemy, le 3 juillet, est « tout à la politique » et interroge l’Américain qu’il soupçonne d’être un partisan des aristocrates. Gouverneur Morris reprend l’argumentation qu’il avait exposée à La Fayette qui lui reprochait d’être contre « le bon parti ». Il lui avait répondu qu’il était « opposé à la démocratie par amour de la liberté ». D’après Gouverneur Morris, son interlocuteur fut enchanté d’apprendre qu’ils avaient les mêmes opinions.

  • 79 G. Morris, op. cit., t. I., p. 117.
  • 80 A.N. F/7/6504.
  • 81 Archives parlementaires de 1787 à 1860 (Mudival et Laurent eds.), t. VIII, p. 238.

75Le 8 juillet, les Le Couteulx apprennent à Gouverneur Morris une triste nouvelle « Les États-généraux vont être dissous »79. D’où leur accueil très favorable à la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Le lendemain, Jean-Barthélemy qui avait entendu à l’Assemblée dans la matinée Louis XVI annoncer qu’il allait donner l’ordre à ses troupes de s’éloigner de Paris et de Versailles et qu’il n’avait pas l’intention de s’en prendre aux députés et qu’au contraire il entendait se concerter avec eux pour ramener la tranquillité de la ville de Paris, fut chargé en compagnie du marquis de Lusignan, député de la noblesse, de faire connaître par un écrit à la ville de Paris, les intentions du roi80. Il fit partie en outre avec Sieyès, La Fayette, Guillotin, Pierre d’Allarde, Barère et le marquis Gouy d’Arcy d’une députation chargée de contribuer au rétablissement au calme de la ville de Paris. Partie de Versailles le 15 juillet à trois heures et demi de l’après-midi, la députation, à son arrivée à l’Hôtel de ville, fut acclamée aux cris de « Vive le Roi. Vive la Nation. Vive les députés »81. On leur demanda d’intervenir auprès de Louis XVI pour qu’il rappelle Necker. De leur côté, ils sollicitèrent les électeurs de Paris qui les avaient reçus de désigner un certain nombre d’entre eux afin de conférer ensemble sur les moyens d’assurer la tranquillité dans la capitale. Parmi les commissaires désignés par les électeurs figurait Barthélemy-Jean-Louis Le Couteulx.

  • 82 J.S. Bailly, Mémoires d’un témoin de la Révolution, Paris, 1804, t. I, p. 107, P. Robiquet, Le pers (...)
  • 83 Ch. L. Chassin, op. cit., t. III, p. 510.

76Ce dernier qu’on peut qualifier d’ex-banquier est entré dans le comité permanent de la ville de Paris le 13 juillet 1789 après la réunion de l’Assemblée des électeurs parmi lesquels on retrouvait Jacques-Jean Le Couteulx revenu de la Malmaison et qui s’était réunie le 13 juillet à quatre heures de l’après-midi82. Le comité permanent qui voulait s’appuyer sur une force armée envoya quatre de ses membres dont Ganilh et Barthélemy-Jean-Louis Le Couteulx gagner les casernes des gardes françaises afin de ramener les soldats à l’Hôtel de ville et de leur faire distribuer des armes. Seul, Le Couteulx qui s’était dirigé vers la rue Poissonnière eut la capacité de ramener des gardes françaises en nombre suffisant, ce qui lui valut d’être remercié par le Comité permanent83.

  • 84 J.S. Bailly, op. cit., t. III, p. 5.
  • 85 P. Robiquet, op. cit., t. II, p. 255.

77Il en fut récompensé quand le Comité permanent insurrectionnel fut remplacé par la Commune de Paris provisoire dont le premier maire fut désigné le 15 juillet 1789 par acclamations. Les institutions de cette première Commune furent préparées, semble-t-il, par Brissot qui communiqua son projet aux commissaires du Comité permanent dont faisait partie Barthélemy-Jean-Louis Le Couteulx. Celui-ci s’entretint ensuite avec Jean-Sylvain Bailly et lui indiqua que la municipalité serait partagée en huit départements dirigés par huit lieutenants du maire, ce dernier n’en possédant aucun. Cela déplaisait au maire qui avait l’impression de bénéficier de pouvoirs trop limités, mais il fut convaincu par Barthélemy-Jean-Louis qui lui indiqua qu’il avait le droit de surveiller les lieutenants et donc qu’il aurait une grande autorité sur eux84. Lorsque les institutions furent définitivement adoptées, elles comprenaient un maire, huit échevins, un procureur général, huit lieutenants de départements et trente-neuf conseillers de ville, Barthélemy-Jean-Louis Le Couteulx fut élu au premier tour lieutenant du maire du département des domaines, un poste de première importance85.

  • 86 A.N. F/7/4774/10. Interrogatoire de Jacques-Jean Le Couteulx (1794).

78Jacques-Jean le Couteulx du Molay participa également au mouvement révolutionnaire de l’été 1789, c’était du moins ce qu’il indiquait alors qu’il était emprisonné pendant la Terreur86. Après être devenu électeur de l’ordre du Tiers dans le district de Saint-Leu, il était parti pour la Malmaison. Il revint à Paris le 13 juillet à cause des graves événements qui s’y déroulaient et il prit les armes, sans doute s’enrôla-t-il dans la milice bourgeoise. Il fit des patrouilles puis quitta à nouveau la capitale pour suivre les récoltes mais revint une nouvelle fois après qu’il ait appris qu’il avait été désigné comme commandant du bataillon du district de Saint-Leu avec comme tâche essentielle de protéger la Halle aux blés contre d’éventuelles attaques. Le 5 octobre, il serait parti pour Versailles à la tête de son bataillon de la garde nationale sous la direction de La Fayette et il demeura ensuite pendant vingt mois à la tête de son bataillon. Ces affirmations correspondaient-elles à la réalité ? De fait, son implication dans le mouvement révolutionnaire de 1789 a été mise en lumière par Antoine de Rivarol, contre-révolutionnaire et collaborateur du Journal des Apôtres qui, dans un ouvrage publié pour la première fois en 1790 le Petit dictionnaire des grands hommes de la Révolution ne donnait une place qu’à ses ennemis politiques. Voilà ce qu’il disait de Jacques-Jean Le Couteulx du Molay :

  • 87 A. de Rivarol, Petit dictionnaire des grands hommes de la Révolution par un citoyen actif ci-devant (...)

« Brave financier qui s’est mis dans la garde nationale pour mieux défendre sa fortune et celle de ses parents. Il n’a pas négligé pour cela les intérêts du peuple et il a souvent emmené ses soldats qui voulaient s’opposer aux divertissements de la nation. Tant de prudence l’a déjà fait nommer chef de bataillon et à la première occasion périlleuse sûrement il ne restera pas là »87.

79Ainsi ces quatre membres éminents de la bourgeoisie capitaliste qui se voulaient membres du Tiers-État malgré leur anoblissement ont joué un rôle plus ou moins important mais réel dans la ou les Révolutions de 1789.

  • 88 G. Morris, op. cit., t. L, p. 188.

80Après le retour de Louis XVI à Paris en conséquence des journées du 5 et du 6 octobre 1789 et de l’installation de l’Assemblée constituante dans la capitale, les Le Couteulx vont continuer leur participation à la vie politique même s’ils commencent à s’inquiéter du tour pris par les événements. Un des membres de la dynastie, sans doute Laurent-Vincent, aurait avoué le 13 octobre 1789 à Gouverneur Morris qu’il n’espérait plus de constitution que de la main du roi tandis que quelques jours plus tard, Jean-Barthélemy semblait découragé « comme tout le monde sur ces affaires publiques » et affirmait que Jacques Necker revenu au pouvoir après la prise de la Bastille n’avait pas les capacités voulues pour s’acquitter de ses fonctions88.

  • 89 Sur les activités de Jean-Barthélemy Le Couteulx à l’Assemblée constituante, cf. A. Cortès, Jean-Ba (...)

81Pourtant, Jean-Barthélemy Le Couteulx devenu membre de la Commission des Finances et élu par elle pour faire partie d’un groupe chargé de conférer avec le principal ministre va soutenir plusieurs projets de Necker dont celui destiné à transformer la Caisse d’Escompte dont les Le Couteulx furent administrateurs en Banque nationale89.

  • 90 Rapport des commissaires cité par M. Vovelle, La chute de la Monarchie, 1787-1792, Paris, 1972, p.  (...)

82La tâche principale de Necker consistait à trouver des moyens pour mettre fin à la crise financière qui avait été à l’origine de la convocation des États généraux. En août 1789, il avait lancé deux emprunts qui n’avaient guère eu de succès et en septembre 1789 il proposait de créer un emprunt forcé sur les riches. Mais de nombreux députés de la Constituante étaient très sceptiques sur les rentrées que cela pourrait permettre. C’est pourquoi au début du mois d’octobre 1789, Talleyrand émit l’idée que l’État devrait s’approprier les biens du clergé pour les mettre à la disposition de la nation. Malgré l’opposition de Necker et de Sieyès, l’Assemblée constituante décida le 2 novembre 1789 de transférer les biens du clergé à la nation. Bien que proche de Sieyès, Jean-Barthélemy ne s’y opposa pas. N’avait-il pas déclaré dans un rapport des commissaires de la commission des Finances « qu’il fallait suivre les procédés des propriétaires qui ont de la probité et qui se trouvent dans un cas semblable : il faut aliéner les héritages »90.

83Pour Necker, si l’on entendait mettre un terme à la crise financière il fallait plutôt transformer la Caisse d’Escompte qui avait déjà fait des avances importantes au Trésor royal en Banque Nationale qui aurait le privilège d’émettre des billets de banque dont une partie serait fournie à l’État. Cette proposition fut combattue par Mirabeau qui considérait que ce projet n’était pas viable et reprit les critiques qu’il avait formulées contre la Caisse d’Escompte quelques années auparavant. Intervenant à son tour, Jean-Barthélemy Le Couteulx s’en prit à Mirabeau, réclama qu’il fallait d’abord entendre les administrateurs de la Caisse d’Escompte et proposa de nommer six commissaires chargés d’écouter les représentants de la Caisse d’Escompte.

  • 91 A. Duquesnoy, Journal sur l’Assemblée constituante, 3 mai 1789 – 3 avril 1790, Paris, 1894.

84Le 5 décembre 1789, il revint à la charge pour défendre le plan de Necker dont il fit l’éloge de ce qui lui valut de vifs applaudissements91. L’Assemblée décida alors de nommer dix commissaires chargés d’examiner le dessein du Genevois.

  • 92 A. Duquesnoy, op. cit., t. II, p. 140.
  • 93 Rapport des commissaires nommés pour l’examen des projets de Banque nationale, Paris, 1789.
  • 94 D’après Adrien Duquesnoy, Jean-Barthélemy Le Couteulx se serait joint « par faiblesse à l’abbé Maur (...)

85Jean-Barthélemy Le Couteulx en fut le premier élu avec 582 voix alors que Dupont de Nemours n’en obtenait que 435 et Talleyrand, l’évêque d’Autun, seulement 22292. Manifestement, il était considéré par la majorité de l’Assemblée constituante comme étant l’homme le plus capable d’évaluer le projet de Necker comme le contre-projet de Laborde de Mereville, le fils du grand banquier Laborde, qui venait de le présenter. C’est donc lui qui fut chargé de lire à la tribune le rapport des commissaires et de le faire imprimer93. Or, il apparaît qu’il n’est pas parvenu à convaincre ses autres collègues puisque le rapport ne se prononçait pas clairement pour la mise sur pied d’une Banque nationale se contentant de maintenir la Caisse d’Escompte en tant que telle, laquelle continuerait à émettre des billets de banque et de fournir de nouvelles avances au Trésor. La commission se prononçait contre l’émission d’un papier-monnaie à cours forcé car cela pourrait « s’opposer à jamais au retour de la confiance ». Mais elle émettait l’idée de mettre en place une Caisse de T Extraordinaire qui bénéficierait de fonds provenant soit de la Contribution patriotique, soit des biens-fonds du domaine royal et des biens ecclésiastiques. Cette caisse émettrait des assignats d’une valeur nominale de 1 000 lt. avec un intérêt de 5 % pour un montant total de 400 millions de livres dont 170 millions seraient remis au Trésor. Les 19 et 21 décembre 1789, l’Assemblée vota deux décrets qui reprenaient pour l’essentiel les propositions de la commission des Finances94.

  • 95 A. Duquesnoy, op. cit., t. II, p. 318. Deux autres députés, Naurrissart et Volney furent l’objet de (...)
  • 96 Archives Parlementaires, op. cit., t. XI, 27 janvier 1790.
  • 97 F. Bosher, « Déclaration de J.B. Le Couteulx », French Finances 1770-1795, Cambridge, 1970, p. 271.

86Son projet de Banque nationale ayant échoué, Necker n’en rendit pas responsable Jean-Barthélemy. En effet, celui-ci fut nommé le 8 janvier 1790 trésorier de la Caisse de l’Extraordinaire. Mais cette nomination fut contestée notamment par Adrien Duport, un des chefs du parti patriote parce que les membres de l’Assemblée constituante estimaient en majorité qu’un député ne pouvait se voir attribuer aucune autre fonction même après avoir démissionné de l’Assemblée95. En conséquence, Jean-Barthélemy qui avait déjà prêté serment comme trésorier de la Caisse de l’Extraordinaire entre les mains du Garde des Sceaux fut contraint de donner, le 27 janvier 1790 sa démission avec beaucoup de regret déclarant « Si j’ai mis quelque prix à cette place c’est par le sentiment que j’avais d’être utile à ma patrie dans une institution qui présente à la nation les moyens d’un nouveau crédit »96. Toutefois ce poste n’allait pas échapper à la dynastie Le Couteulx. En avril 1790, son cousin, Jacques-Jean le Couteulx du Molay était nommé à sa place97.

  • 98 Archives Parlementaires, op. cit., t. XI, p. 231, 18 janvier 1790.
  • 99 A. Cortès, op. cit., p. 47 , G. Morris, op. cit., t. I, p. 271, 16 janvier 1790.

87Considéré comme un des principaux orateurs de la Constituante, Jean-Barthélemy Le Couteulx continua jusqu’à la séparation de T Assemblée le 30 septembre 1791 à participer à ses débats et à intervenir au sein de la commission des Finances. Ses discours portèrent essentiellement sur les questions financières mais il ne se limita pas à ce domaine. Il s’en était pris avant même d’avoir été écarté du poste de Trésorier de l’Extraordinaire à l’abbé Maury qui voulait créer un impôt sur le luxe. Pour lui, ce type d’impôt tendrait à ruiner le peuple qu’on voudrait soulager parce qu’il existait dans la capitale et le royaume au moins 250 000 individus qui ne travaillaient que dans l’industrie du luxe98. En avril 1790, il soutint à nouveau Necker qui réclamait l’autorisation d’émettre un nouvel emprunt de 40 millions de livre. En ce qui concerne une nouvelle émission d’assignats, il manifesta, en 1790, une attitude prudente alors que ceux-ci devenaient du papier-monnaie. Défendue par Mirabeau, cette modification fut combattue par Dupont de Nemours, Lavoisier, Forbonnais et Condorcet, tous partisans du libéralisme économique. Dans son rapport en 1789 sur la Banque nationale, Jean-Barthélemy avait pris position contre la création du papier-monnaie reprenant le point de vue de son prédécesseur lors de l’expérience Law. L’assignat première manière n’étant pas un papier-monnaie, il l’avait approuvé alors que son associé Laurent-Vincent interrogé par Gouverneur Morris sur la solidité des assignats lui avait répondu qu’il était impossible de se faire une opinion à leurs égards avant cinq ou six mois99.

  • 100 M. Marion, Histoire financière de la France depuis 1715, Paris, 1919, t. 2, pp. 167-169.
  • 101 M. Marion, op. cit., t. 2, p. 270.

88Le député de Rouen accepta cependant en avril 1790 la proposition d’Anson de transformer les assignats en moyens de paiement et d’abaisser leur intérêt de 5 % à 3 %. Ils devaient être échangés contre les billets de la Caisse d’Escompte qui circulaient dans Paris. En septembre 1790, l’Assemblée dut se prononcer sur la création de nouveaux assignats désormais sans intérêt et à cours forcé d’un montant total de 800 millions de livres s’ajoutant aux 400 millions déjà en circulation. Mirabeau s’y montrait encore une fois favorable alors que Talleyrand, Dupont de Nemours et Boislandry s’y opposaient appuyés par Lavoisier et Condorcet. Jean-Barthélemy adopta une position intermédiaire. Il se prononça pour une nouvelle émission de 400 millions de livres en assignats et non 800 millions mais à condition qu’on se limite définitivement à cette somme. De plus, ces assignats devraient être utilisés pour le service courant des dépenses publiques, mais ils ne devraient pas servir au remboursement des emprunts de l’État100. En mai 1791, il modifia partiellement son point de vue sur les assignats. Il estimait que l’essentiel était de mettre sur pied un système fiscal efficace. En l’absence de celui-ci, on assisterait à une baisse de la valeur de l’assignat. Seul ce système fiscal permettrait le règlement du déficit et des dépenses occasionnées par la Révolution et il fallait empêcher que la vente des biens nationaux ne serve pas aux dépenses courantes. Mais Jean-Barthélemy estimait que la situation financière de la France ne serait redressée qu’à condition « que la paix et le bon ordre soient établis dans le Royaume et la force publique affermie101.

  • 102 C. Bloch (éd.), Procès-verbaux du Comité des Finances de l’Assemblée constituante, Paris, 1922.

89En tant que membre de la commission des Finances, Jean-Barthélemy a abordé d’autres thèmes que celui du système fiscal, des assignats ou des biens nationaux. Il s’est prononcé à de nombreuses reprises sur des questions portant sur la contribution patriotique, l’utilisation des cloches de cuivre qu’on retire des églises (il souhaiterait qu’on ne les utilise pas pour fabriquer de la monnaie, ce qui contribuerait à l’inflation. Sans doute voulait-il qu’elles puissent être rachetées par les Fonderies de Romilly). Sa dernière intervention devant la Commission des Finances date du 2 septembre 1791, quelques semaines avant la séparation de la Constituante, il a demandé que les entrepreneurs des murs de clôture de Paris soient payés le plus rapidement pour « soulager le plus tôt possible les ouvriers »102.

  • 103 Opinion de Mr. Le Couteulx de Canteleu sur le commerce de France aux Indes Orientales, Paris, 1790.

90Il aborda également la question de la suppression du monopole de la Compagnie française des Indes Orientales. Accusé de s’être opposé à la dissolution de cette compagnie pour « des intérêts particuliers », il répondit en déclarant qu’il fallait maintenir les compagnies par actions et que défendre les intérêts de la Compagnie des Indes, c’était défendre les intérêts des manufactures françaises. Se présentant comme un partisan de la liberté du commerce, il déclarait cependant qu’une fois celle-ci obtenue, il en résulterait très peu de succès pour les particuliers. En fait pour Jean-Barthélemy Le Couteulx, à cause des difficultés que rencontrait l’économie française, la France se trouvait avec des ateliers sans activité et des ouvriers sans travail, ces circonstances n’étaient pas favorables à l’octroi d’une liberté de commerce sans restriction avec l’Inde. Enfin, son dernier argument consistait à déclarer que la suppression du monopole de la compagnie mettrait fin à l’influence politique que la France possédait, selon lui, en Inde103. Cette argumentation fut sans effet puisque la Constituante mit fin au monopole de la Compagnie des Indes.

  • 104 A. D. XV, 48. Observations sur la réclamation faite par le roi d’Espagne... et communiquée à l’Asse (...)

91Il rencontra le même insuccès lorsqu’il voulut que la France soutienne l’Espagne menacée d’un conflit avec l’Angleterre. Cette dernière avait entrepris de prendre le contrôle d’une partie du littoral pacifique de l’Amérique du Nord. Un affrontement s’était produit dans le Nootka Sound, où se trouve l’actuelle ville de Vancouver, entre les deux pays. L’Espagne projetait d’entrer en guerre contre l’Angleterre mais elle avait voulu savoir si la France allait respecter le traité de famille de 1761 et s’engager à ses côtés. Jean-Barthélemy Le Couteulx ne voulut pas intervenir dans le débat qui s’engagea à l’Assemblée constituante, mais rédigea des observations sur la réclamation du roi d’Espagne qu’il communiqua à l’Assemblée le 3 août 1790. Il mettait en cause le Comité diplomatique qu’il accusait de ne comporter aucun négociant alors qu’au contraire en Angleterre la politique étrangère s’élaborait à partir de ce qui pouvait être utile au commerce, à l’industrie et à la navigation. Pour lui, l’Espagne demeurait encore le débouché le plus considérable pour les manufactures françaises et de très nombreux ouvriers, « une classe » pour laquelle les membres de l’Assemblée constituante devaient avoir une prenante sollicitude, seraient victimes du refus de la France de respecter le traité de famille car les Espagnols dans ce cas prendraient des mesures sévères contre le commerce français. Décidément, ce banquier était plein de sollicitude pour les ouvriers français. Mais une nouvelle fois, il n’obtint pas satisfaction et l’Assemblée constituante refusa de s’engager aux côtés de l’Espagne104.

  • 105 T. Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Pa (...)
  • 106 A. Challamel, Les clubs contre-révolutionnaires, Paris, 1895, p. 53. On y trouve d’autres banquiers (...)

92Le peu de succès de la plupart de ses interventions est difficile à comprendre. En effet, il appartenait à un groupe politique très influent dans l’Assemblée constituante et qu’on a pu désigner comme celui des patriotes modérés dont une des figures de proue était l’abbé Sieyès105. Déjà, en février 1789, Jean-Barthélemy avait adhéré au club de Valois dont Sieyès était un des fondateurs et qui siégeait au Palais Royal. En 1790, il comptait 626 membres dont plusieurs banquiers comme Boyd et Cottin fils, Perregaux, Greffulhe, et trois Le Couteulx, Jean-Barthélemy, Barthélemy-Jean-Louis et Jacques-Jean en faisaient partie106.

  • 107 A. Challamel, op. cit., p. 417.

93Un autre club les attira dès 1790. Il s’agissait de la Société de 1789 dont Sieyès fut également un des fondateurs. Ses membres s’inquiétaient des orientations du club des Jacobins qu’ils jugeaient trop proche du peuple et plusieurs membres au club tels Sieyès, La Fayette et Mirabeau qui y avaient adhéré, le quittèrent. La Société de 1789 compta bientôt près de 200 députés ainsi qu’un très grand nombre de négociants et de banquiers : il s’agit de Abbema, Bérard l’aîné et Bérard le jeune, Bidermann, Boyd, Boscary, Cottin père et fils, Dangirard, Decrétot, Deprez, Fulchiron, Grand fils, Greffulhe, Haller, Hogguer, Jauge, Junca, Ker, Labhart, La Frète, Lalanne, Mallet fils, Monneron, Montz, Pomaret fils, Louis Ravel, Rilliet l’aîné, Rilliet le jeune, Rougemont, Sabatier, Tassin l’aîné, trois Vandenyver, Villeminot. Quatre Le Couteulx en firent partie dont bien sûr Jean-Barthélemy et des proches comme Pilos « rue Saint Apolline », c’est-à-dire Pablo de Olavide et d’Arthenay. La Société de 1789 tenta de peser sur les décisions de l’Assemblée constituante et elle y parvint pendant un temps. Elle se voulait favorable à une Constitution mais était hostile à la démocratie. Elle édita un journal dans lequel écrirent Condorcet et André Chénier et se dota d’une trésorerie composée du négociant Boscary, du notaire d’affaires Duclos-Dufresnoy et de deux banquiers Vandenyver et Le Couteulx, mais on ne sait lequel107.

94Pourtant, la Société de 1789 perdit dès les premiers mois de 1791 une grande partie de sa popularité et de son pouvoir. Et elle était déjà exsangue lors de la fuite du roi en juin 1791 et son retour à Paris après qu’il ait été arrêté à Varennes.

  • 108 A.D.S.M., L 319. Lettres de Le Couteulx Canteleu à la municipalité de Rouen, 23 et 25 juin 1791.
  • 109 Archives Parlementaires, op. cit., t. XXV11, p. 527.
  • 110 Archives Le Couteulx. Copie de la lettre au duc de Richelieu.
  • 111 A. Challamel, op. cit., pp. 293 et 310. Parmi les membres on remarque André Chénier et Coquebert-Mo (...)

95Le comportement de Jean-Barthélemy lors de la fuite de Louis XVI demeure incertain. Dans deux lettres envoyées à la municipalité de Rouen, il semble condamner l’attitude du souverain, il décrit le 23 juin ce qui s’est passé après « l’arrestation » de Louis XVI à Varennes. Le roi a été promptement environné et gardé par toutes les gardes nationales du pays renforcé successivement par toutes celles que le Directoire du département de Châlons y a fait passer. Il se réjouit de voir que « Paris se maintient dans une tranquillité parfaite et tout y obéit à la loi avec une soumission et une confiance qui affermit à jamais notre constitution et notre liberté ». Et dans une lettre écrite deux jours plus tard, il est satisfait de voir que le roi ne soit pas passé hors du royaume car il aurait bénéficié de l’aide des troupes étrangères, ce qui n’aurait pas été une déclaration de guerre, mais « un acte particulier du roy de France avec les troupes à sa solde »108. Mais lorsque le souverain revint aux Tuileries, il demanda qu’on désigne une commission de six députés dont il fit partie chargée de protéger les courriers qui étaient placés sur le siège du roi et que la foule accusait d’avoir accompagné le roi et qu’elle menaçait109. Bien plus tard, il déclara dans une lettre rédigée pendant la Restauration au duc de Richelieu, principal ministre de Louis XVIII qu’il avait empêché les émeutiers d’attaquer Louis XVI quand celui-ci rentra dans le château des Tuileries110. Après la suspension temporaire du roi et la fusillade du Champ-de-Mars, le 17 juillet 1791, la bourgeoisie entend finir la Révolution et affaiblir le club des Jacobins qui veut la poursuivre. C’est pourquoi il est fondé le 17 juillet un nouveau club, celui des Feuillants qui regroupe ce jour-là 365 individus dont le plus grand nombre avait appartenu au club des Jacobins. Le 18 juillet, ils furent suivis par un nombre moins important de nouveaux adhérents parmi lesquels Le Couteulx-Canteley (sic) qui lui, n’avait jamais appartenu au club des Jacobins. En octobre 1791, le nombre des membres du club modéré atteint 798 adhérents. On y trouvait dans une liste mal conçue, Le Couteulx-Canteleu présenté comme commissaire à la Caisse de l’Extraordinaire, Laurent Le Couteulx, Le Couteulx La Noraye, place Vendôme, et comme dans la société de 1789 un grand nombre d’hommes d’affaires111.

  • 112 Laurent-Vincent Le Couteulx La Noraye, Observations sur la vente des biens nationaux, Paris, 1790.

96L’appartenance de plusieurs membres de la dynastie Le Couteulx aux différents clubs politiques fondés dans les premières années de la Révolution démontre bien que ce n’est pas seulement le député de l’Assemblée constituante qui joua un rôle dans la France révolutionnaire née le 14 juillet 1789. Même Laurent-Vincent Le Couteulx, seul dirigeant en poste de la branche parisienne de Le Couteulx et Cie entre 1789 et 1791 souhaita intervenir dans les grands débats qui agitèrent la France. C’est ainsi qu’il publia en 1790 un opuscule intitulé Observations sur la vente des biens nationaux par lequel il entendait réfuter les faux principes de Talleyrand à qui il reprochait de vouloir tout rembourser immédiatement et donc de vendre le plus rapidement possible les biens nationaux. Après avoir énuméré la dette de l’État, il distinguait les dettes remboursables à terme et celles exigibles immédiatement qui devaient l’être en espèces et il concluait que le remboursement était parfaitement possible sans qu’on veuille le faire immédiatement et que « notre position n’est pas désespérée »112.

97Cette analyse sera accueillie très favorablement par une certaine Madame Plumard de Bellanger inquiète de la poussée contre-révolutionnaire et qui s’en confia à Thomas Jefferson :

  • 113 Papers Jefferson, t. 17, p. 265. Madame Plumard de Bellanger à Thomas Jefferson, le 25 juillet 1790

« La lecture que je viens de faire des Observations sur la vente des biens nationaux et sur la dette publique me rassurent beaucoup sur la prétendue banqueroute. Il n’y a que les ennemis de la Révolution, qui malheureusement sont en grand nombre, qui cherchent les moyens de la faire en l’annonçant »113.

  • 114 P. Goubert, Familles marchandes sous l’Ancien Régime. Les Danse et les Motte de Beauvais, Paris, 19 (...)

98Partisans d’une vente échelonnée des biens nationaux, Laurent-Vincent Le Couteulx ainsi que d’autres Le Couteulx en ont été acheteurs. Ce ne fut pas d’ailleurs, cette seule dynastie qui s’intéressa aux biens de l’Église. Un membre de la dynastie Danse de Beauvais adopta le même comportement et il ne fut pas le seul114.

  • 115 Sur les achats de biens nationaux. AN. M.C. Et. CXV111/705. 28 brumaire an III. Inventaire de Laure (...)

99Les achats de biens nationaux par les Le Couteulx furent très importants. Laurent-Vincent acquit le domaine de Grandmont qui appartenait à l’archevêque de Tours, Jacques-Jean Le Couteulx, après avoir acheté des biens fonciers à Rueil appartenant aux Mathurins, profita d’une vente aux enchères du château et du domaine de Meung sur Loire qui avait appartenu à l’évêque d’Orléans pour s’en emparer moyennant 300000 lt. Barthélemy-Jean-Louis qui voulait également acquérir des biens nationaux dans le district de Gonesse obtint de sa mère Hélène-Olympe et de son cousin Jacques-Jean Le Couteulx un prêt de 80000 1t. pour y parvenir. Le 25 août 1791, Laurent-Vincent et Jean-Barthélemy achetèrent sous seing privé des biens nationaux de la ci-devant baronnie de Neuilly dépendant de l’évêché de Bayeux et situés à cette date dans les départements du Calvados et de la Manche, plus de 300 hectares de biens-fonds pour 750184 lt. Ils sont revendus en 1804. Enfin un Le Couteulx, Jean-Barthélemy ou Antoine IV Le Couteulx de Verclives put acheter 18,8 hectares de biens nationaux dans le département de l’Eure115.

100Les interventions de Laurent-Vincent dans la vie politique furent apparemment inexistantes après 1790 jusqu’à la déchéance de Louis XVI en août 1792, peut-être parce qu’il continuait à diriger la banque familiale qui était dans une situation difficile ou peut-être parce qu’il souffrait de maladie. En revanche, son frère Barthélemy-Jean-Louis et son cousin Jacques-Jean ne se désintéressèrent pas de la vie politique et s’y engagèrent, mais sans y jouer un rôle de premier plan contrairement à Jean-Barthélemy Le Couteulx.

  • 116 Archives Parlementaires, t. XXXV, 9 décembre 1791.
  • 117 Archives Parlementaires, t. XLVIII, pp. 310-311, 17 août 1792 , A.N.C. 161 (C 354), lettre de Le Co (...)

101On ne dispose que fort peu d’informations sur les activités de la Caisse de l’Extraordinaire dont les principaux dirigeants furent Amelot de Chaillou, commissaire du roi et Jacques-Jean Le Couteulx qui devint trésorier en avril 1790 et qui y demeura jusqu’à la fusion de la Caisse avec la Trésorerie générale en décembre 1792. La Caisse émettait des assignats gagés en principe sur les biens nationaux afin d’éteindre la dette. Jacques-Jean Le Couteulx, trésorier mais également chargé de faire imprimer pendant toute la durée de sa présence à la Caisse 2 700000000 lt. d’assignats dirigeait 72 commis et 9 garçons de bureau et recevait un salaire annuel de 40000 lt., ce qui, d’après lui, se justifiait par le fait que la distribution de l’énorme quantité d’assignats pouvait s’accompagner de pertes dont il était responsable116. Jacques-Jean n’a jamais précisé quel fut son rôle exact en tant que trésorier de la Caisse. On ne sait s’il se contentait d’appliquer à la lettre les instructions des ministres des Finances et des Assemblées ou s’il avait une certaine liberté d’action. Mais son maintien de trésorier de la Caisse de l’Extraordinaire, y compris après le 10 août 1792, permet de supposer qu’il n’entendait pas rompre avec les dirigeants de la Révolution française. Son comportement lors de la déchéance de Louis XVI est éclairant. Tous les fonctionnaires durent approuver ce qui avait été fait et prêter un serment en faveur de la liberté et de l’égalité. Le 17 août 1792, les employés de la Caisse de l’Extraordinaire se présentèrent à la barre de l’Assemblée législative et prêtèrent ce serment. Jacques-Jean Le Couteulx n’était pas présent parce que, déclarait-il, dans une lettre lue par un de ses employés, il était retenu au lit par une maladie, peut-être s’agissait-il d’une maladie diplomatique, mais dans son écrit, il déclarait que c’était « avec le zèle patriotique le plus pur » qu’il renouvelait ce serment qu’il s’était déjà empressé de « prêter dans sa section ». Suite à ces serments, le Président de l’Assemblée lui accorda ainsi qu’à ses employés les honneurs de la séance117.

  • 118 Sur la Caisse de l’Extraordinaire, cf. M. Bruguière, Gestionnaires et profiteurs de la Révolution, (...)

102Toutefois, les dirigeants de la Caisse de l’Extraordinaire furent mis rapidement en cause par les commissaires de la Commune insurrectionnelle de Paris qui accusaient Amelot de Chaillou de posséder des faux assignats. Des scellés furent placés sur les bureaux de la Caisse ainsi que ceux de Jacques-Jean Le Couteulx qui habitait, en 1792, rue de Richelieu. Amelot et Jacques-Jean Le Couteulx se présentèrent devant l’Assemblée protestant de leur innocence et demandant que leurs comptes fussent examinés afin de faire disparaître tout soupçon. Mais la Caisse n’avait plus que quelques mois à vivre et à partir de janvier 1793, Jacques-Jean quitta la capitale pour se retirer à Meung où il prit en main la force armée de la bourgade118.

103C’est Barthélemy-Jean-Louis Le Couteulx qui va mener pendant les premières années de la Révolution la carrière politique la plus longue de tous les membres de la dynastie. Commencée au printemps 1789, elle se terminera pendant l’été 1793.

  • 119 P. Robiquet, op. cit., pp. 269 et 280 , A.N.Q. 1110. Rapport de Mr Le Couteulx de la Noraye sur la (...)

104Devenu lieutenant des domaines et des revenus de la municipalité de Paris, il était responsable de la vente des biens ecclésiastiques comme biens nationaux. Il fut donc chargé de désigner les administrateurs de la Commune de Paris qui devaient visiter les couvents d’hommes et de religieuses dont Barthélemy-Jean-Louis établit la liste. Il fut également responsable de la surveillance des entrées de marchandises dans la capitale afin d’éviter qu’elles ne paient aucun droit. Pour éviter la contrebande, il autorisera, en février 1790, les fermiers généraux, avant que la Ferme générale ne disparaisse, d’établir des postes d’observation avancés au-devant de la nouvelle enceinte. Il mettra en place sept brigades appuyées par des chasseurs autorisés à réprimer la contrebande119.

  • 120 P. Robiquet, op. cit., p. 307. Le service de nuit sera suspendu car la tranquillité publique paraît (...)

105Que Barthélemy-Jean-Louis Le Couteulx soit favorable au renforcement de l’ordre dans le Paris révolutionnaire, un autre fait le prouve. Lorsqu’on mai 1790, les administrateurs de la Commune de Paris, craignant que l’agitation dans la ville reprenne, envisagent de créer une commission de trois membres qui se succéderaient y compris la nuit, de huit heures en huit heures chargée de la sécurité urbaine, Barthélemy-Jean-Louis se porte volontaire et comme l’administration parisienne avait pour lui une grande confiance, elle le désigna120.

  • 121 A.N.M. C, et CXVII/988. 2 vendémiaire an VIII (24 septembre 1799). Inventaire après décès de Barthé (...)

106Lors de la formation de ce qu’on a baptisé la commune constitutionnelle de Paris qui débute en octobre 1790, Barthélemy-Jean-Louis ne figure pas parmi les 144 citoyens élus en août par les 48 sections pour composer le Conseil général de la municipalité. A-t-il été battu ou bien n’a-t-il pas été candidat, ayant choisi un autre engagement ? Cette seconde hypothèse paraît plus vraisemblable puisqu’à partir du mois d’octobre 1790, il devient surintendant de la maison, domaines et finances de Monsieur, le frère du roi, ayant acheté sa charge pour 97 500 lt. avec des gages annuels de 26000 lt.121.

  • 122 E. Lever, Louis XVIII, Paris, 1993, p. 115.
  • 123 E. Lever, op. cit., pp. 144-145. Quant à Jean-Barthélemy Le Couteulx de Canteleu dans un discours d (...)

107Quel peut être le sens de cette nouvelle orientation de l’ancien lieutenant du maire de Paris, Jean-Sylvain Bailly ? Rejoindrait-il le camp des monarchiens ? Cela n’est pas certain. En effet, Monsieur, le futur Louis XVIII, au cours de la seconde Assemblée des notables en novembre 1788 avait plaidé la cause du Tiers-État et son bureau avait été le seul à se prononcer pour le doublement du Tiers122. Cela lui avait permis, malgré ses réticences envers le mouvement révolutionnaire, de conserver une certaine popularité au sein des milieux libéraux. Il fut cependant soupçonné d’être à l’origine d’un complot organisé par le marquis de Favras pour éliminer Bailly et La Fayette. Pour se laver de ces soupçons, il se présenta devant l’Assemblée de la Commune de Paris en décembre 1789 et prononça un discours rédigé par le marquis de Saisseval, ancien actionnaire de la Compagnie de la Guyane et proche de Barthélemy-Jean-Louis où il affirma que l’autorité royale devait être le rempart de la liberté nationale, ce qui lui valut un tonnerre d’applaudissements et un compliment de Bailly pour qui Monsieur « s’était montré le premier citoyen du royaume »123. L’ancien lieutenant du maire de Paris ne pouvait donc être critiqué de se mettre au service du comte de Provence. Il le demeura jusqu’au 21 juin 1791 quand son maître émigra au moment où son frère s’échappait de Paris.

  • 124 A.D. Yvelines, L. 22. Délibérations du Conseil général de Seine et Oise. En mai 1793, il fut adjoin (...)
  • 125 A.D. Yvelines. L. 23 Délibération du Conseil général de Seine et Oise, 6 septembre 1793.
  • 126 A.N. F/7/4774/10.

108Ce coup de théâtre ne le découragea pas trop longtemps. À la fin de l’année 1792, après la déchéance de Louis XVI, il se présenta comme candidat à un poste de conseiller général du département de la Seine-et-Oise dont Noisy-le-Grand faisait partie. Il fut élu et prêta serment le 13 décembre 1792 à Versailles, au siège du Conseil général124. Immédiatement, il fut chargé d’importantes missions. Il fut nommé à plusieurs reprises commissaire pour examiner les pièces de la gestion de l’Ancien Directoire du département, pour délimiter quelle devait être la démarcation des droits et des devoirs du Directoire et des membres du Conseil général pendant le temps de la permanence. Le 11 décembre 1792, il fut désigné commissaire pour l’entretien des routes au département et il se rendit à Paris pour voir le ministre de l’intérieur qui fut convaincu de la justesse des demandes financières du département pour assurer cet entretien. On le chargea également de faire parvenir les 500000 lt. qui appartenaient au département et qui étaient entre les mains d’un ancien receveur général des finances. Il fut également envoyé au ministère de la guerre en mai 1793 pour solliciter des armes et des pièces de canon pour les volontaires d’une armée que le Conseil général avait décidé d’envoyer pour combattre les Vendéens. Sa dernière mission fut d’organiser des réquisitions de blés dans les districts de Dourdan et d’Étampes dont une partie devait être livrée à Paris et il fut nommé par le Conseil général pour porter au ministre de l’intérieur les dispositions du département de Seine et Oise pour l’approvisionnement de Paris. Mais, c’était le 6 septembre 1793, il déclina cette offre car il informa le Conseil général que l’on avait mis des scellés chez lui et chez sa mère et il demandait un congé à l’Administration. Le Conseil général le lui accorda en ajoutant « Le citoyen Le Couteulx a toujours paru dans les bons principes et il s’est toujours rendu utile et même nécessaire à l’Administration par son zèle, son activité et ses aptitudes dans les affaires »125. Quelques jours plus tard, le 17 septembre 1793, il fut emprisonné126.

  • 127 A.N. F/7/4774/10. Déclaration de Jean-Barthélemy Le Couteulx.

109Si Jacques-Jean Le Couteulx approuva, peut-être du bout des lèvres, la déchéance de Louis XVI, il n’en fut pas de même, semble-t-il, de Laurent-Vincent et de Jean-Barthélemy encore que ce dernier ait affirmé lors de son incarcération pendant la Terreur, qu’il était attaché ainsi que son cousin (Laurent-Vincent) aux principes populaires et républicains et qu’il combattit le 10 août avec le bataillon de la section des Piques où était située la place Vendôme, sur la place de la Révolution contre les Suisses qui soutenaient le tyran127. On peut mettre en doute cette affirmation en observant son attitude après l’emprisonnement de Louis XVI. Jean-Barthélemy et son cousin étaient en vérité partisans d’une monarchie constitutionnelle et ils allaient s’efforcer d’empêcher la condamnation du roi.

  • 128 A. D. XV 48.

110Comme on le sait, Ocariz, le chargé d’affaire d’Espagne à Paris, fit appel à eux en octobre 1792 afin que Louis XVI ne soit pas jugé par la Convention, mais qu’on fasse appel au peuple. Pour y parvenir, il était nécessaire d’obtenir un vote positif des députés de la Convention. Ocariz estimait, qu’en achetant un certain nombre d’entre eux, il parviendrait à ses fins. Il demanda donc aux dirigeants de Le Couteulx et Cie de lui procurer deux millions de livres. La maison de banque emprunta ces deux millions à la Caisse d’Escompte moyennant un nantissement des rentes sur l’État d’un capital de 2348 311 lt. Il aurait été dit que la Banque Saint-Charles avec laquelle Le Couteulx et Cie était toujours en relation serait chargée du remboursement, ce que cette institution madrilène refusa d’admettre128.

  • 129 A.N. F/12/501. Mémoire pour la banque Saint-Charles, 10 germinal an XIII (31 mars 1805). Sur cette (...)

111Ocariz eut-il la possibilité d’utiliser les fonds que lui fournirent les Le Couteulx ? Il aurait obtenu l’accord du député Chabot moyennant 500 000 lt. ainsi que celui de plusieurs députés. Mais ceci ne fut pas repris par les dirigeants de la Banque Saint-Charles selon lesquels Ocariz n’aurait pas utilisé les fonds que lui avait avancés Le Couteulx et Cie et qu’en conséquence il aurait restitué aux Le Couteulx les deux millions129.

  • 130 A.H.N. Estado leg 2817.

112Un haut fonctionnaire espagnol, Bernardo de Yriarte, déclarait pour sa part qu’Ocariz n’avait pas eu la possibilité d’acheter des députés contrairement à la Grande-Bretagne, mais qu’il avait fait appel à « l’avocat » André de Saint-Chenier, c’est-à-dire le poète André Chénier qui fréquentait les Le Couteulx à Louveciennes130.

  • 131 A.H.M. Estado leg 3972. Cuentos de gastos extraordinarios. Le Couteulx et Cie.

113En tout état de cause, les Le Couteulx ne se contentèrent pas de prêter de l’argent à Ocariz pour sauver le roi, ils intervinrent directement comme l’a démontré le compte des frais extraordinaires pour les mois de septembre, octobre, novembre, décembre 1792 et janvier, février, mars 1793 qu’ils adressèrent à la banque Saint-Charles. Outre l’argent fourni aux diplomates espagnols encore présents à Paris pour qu’ils assument le deuil de Louis XVI (Ocariz reçut 782 lt.) ils indiquèrent qu’ils avaient dépensé 15 245 lt. pour divers frais secrets sur le sujet du Roi très chrétien et 19 478 lt. pour l’impression de la Défense du Roi très chrétien131.

  • 132 Le Cri de la Conscience ou réflexion d’un François ami de la justice adressé à la Convention nation (...)

114L’opuscule que les Le Couteulx dénomment la Défense du Roi très chrétien c’est sans doute le Cri de la conscience ou Réflexion d’un François ami de la justice adressé à la Convention nationale et aux citoyens français sur le procès de Louis XVI qui fut rédigé par Laurent-Vincent et Jean-Barthélemy, peut-être en collaboration avec André Chénier. Dans cet ouvrage, l’auteur anonyme dénonce le fait que les représentants du peuple puissent vouloir être en même temps juges et parties, faiseurs de lois et exécuteurs de ces lois dans la cause de Louis XVI. Se déclarant « franc républicain » partisan du rétablissement de l’ordre et dénonçant d’un côté les « anarchistes » et de l’autre les aristocrates hostiles à la Constitution de 1791 et à Louis XVI car ce dernier a mis fin à leur joug, l’auteur invite donc les représentants du peuple qui seraient assurés du soutien du peuple de Paris « le véritable peuple » d’adopter un décret créant un jury national composé d’un citoyen par département nommé par les Assemblées primaires et que ce jury national ait la possibilité de casser le jugement de la Convention et de juger le roi en dernier ressort. En attendant cette création, il est nécessaire d’adoucir la détention de Louis XVI, de lui permettre de communiquer sans difficultés avec ses conseils et sa famille. Enfin que ce ne soit plus la municipalité de Paris qui soit chargée de l’inspection du souverain, mais des commissaires nommés par la Convention132.

115Le Cri de la conscience n’aura guère d’effets. La Convention jugera le roi, il ne sera pas constitué un jury national et il ne sera pas fait appel devant les Assemblées primaires.

116Ocariz aurait alors demandé à nouveau aux Le Couteulx un prêt de 500 000 lt. pour empêcher la condamnation de Louis XVI. Il aurait voulu obtenir l’acquiescement de Chabot, mais celui-ci aurait déclaré lors des procès des Girondins qu’il n’avait pas accepté ce que lui proposait Ocariz. Louis XVI fut donc condamné à mort et exécuté le 21 janvier 1793.

  • 133 Archives Parlementaires, t. LXX, 3 août 1793, p. 129.

117L’année 1793 allait être pour les Le Couteulx l’année de leur arrestation et une menace pour leur vie, mais pas parce qu’ils avaient voulu sauver le roi, ce que le comité de sûreté générale et le comité de salut public ignorèrent. Dès le mois d’août 1793, Cambon présenta un projet de décret tendant à faire mettre en arrestation Laurent-Vincent et son beau-père Louis Pourrat à la suite de réclamations d’actionnaires de la Régie des Eaux de Paris133.

  • 134 A.N.W. 437.
  • 135 B.M.R. 13 A. Barthélemy-Pierre Le Couteulx au Comité de Sûreté générale, 9 thermidor an II (27 juil (...)

118C’est cependant après le mouvement populaire parisien du 5 septembre 1793 que les Le Couteulx furent victimes de ce qu’on dénomme la première Terreur. Le 7 septembre 1793, des scellés furent apposés sur le siège social de le Couteulx et Cie, place Vendôme. Le but principal de cette décision était de connaître les sommes dues par le Couteulx et Cie aux individus faisant partie des gouvernements et des pays en guerre contre la République française. Tous leurs livres comptables furent examinés, leurs caisses ouvertes, leurs correspondances déchiffrées. Cette première mise en cause dura cinquante-cinq jours, mais ne conduisit pas à l’arrestation des Le Couteulx. Il en alla autrement lors d’une seconde mise en accusation. Le Comité de Sûreté générale accusant les dirigeants de Le Couteulx et Cie d’avoir entretenu des intelligences avec des ennemis de la République pour leur procurer des secours, donna l’ordre le 9 frimaire an II (29 novembre 1793) d’arrêter Jean-Barthélemy Le Couteulx, Laurent-Vincent Le Couteulx, le beau-père de ce dernier, Louis Pourrat, et deux Espagnols, les frères Llovera qui avaient représenté autrefois le Giro Real espagnol à Paris. Jacques-Jean Le Couteulx du Molay, son épouse et Pablo de Olavide, ces deux derniers vivant à Meung furent également incarcérés ainsi que Barthélemy-Jean-Louis134. En revanche, les Le Couteulx de Rouen furent épargnés même si Barthélemy-Pierre Le Couteulx qui avait succédé à son père à la tête de la branche rouennaise fut obligé de quitter la ville en raison des lois du 26 et 27 germinal an II (15-16 mars 1794) qui interdisaient aux nobles de résider dans les places de guerre et de s’établir dans le domaine de Canteleu qu’il avait acheté à Jean-Barthélemy Le Couteulx135.

  • 136 A.N. F/7/4774/10. Mémoire des femmes Le Couteulx.

119Laurent-Vincent et Jean-Barthélemy Le Couteulx se défendirent énergiquement, avec l’appui de leurs épouses, contre les accusations qu’on leur portait et qui consistaient pour l’essentiel à leur reprocher d’avoir versé le montant d’une rente à un certain Le Brun, Français demeurant en Espagne, après l’entrée en guerre de l’Espagne contre la France en mars 1793. Accusation grave certes, mais leurs accusateurs ignoraient leur rôle pour sauver Louis XVI. Leurs épouses publièrent un texte tiré à 200 exemplaires où leurs époux étaient présentés comme des républicains qui avaient participé au mouvement révolutionnaire depuis le 14 juillet 1789 jusqu’au 10 août 1792 et qui avaient placé leurs excédents de fonds dans les biens nationaux. Elles ajoutaient que bien loin d’être des banquiers fortement mis en cause après la journée du 5 septembre 1793, ils étaient exclusivement des négociants et des manufacturiers. Enfin, d’après ces épouses qui défendaient vaillamment leurs maris, ils n’avaient jamais été des agents de l’Espagne, mais de simples correspondants de la Banque Saint-Charles à laquelle ils devaient de fortes sommes, ce qu’ils avaient déclaré à leur section136.

  • 137 A.N.W. 437. Rapport de Braham-Ducange.
  • 138 A.N. F/7/4774/10. Rapport du Comité de Surveillance d’Auteuil.
  • 139 P.N. Berryer, op. cit., t. 1, p. 170.

120Demeurés d’abord dans la prison du Port-Libre puis ensuite dans celle de la Conciergerie, manifestant « leur patriotisme et amour constant pour la Patrie et la République », les deux Le Couteulx ainsi que leurs autres parents à l’exception de Louis Pourrat, pourtant membre du club des Jacobins depuis 1790, ne furent pas exécutés. On s’est souvent demandé pourquoi avaient-ils été épargnés alors que Jean-Baptiste Magon de la Balue, un financier un temps associé à eux et la plupart des membres de sa famille furent guillotinés. Sans doute est-ce du au fait qu’ils eurent de nombreux défenseurs en dehors de leurs femmes. Brahain-Ducange, un agent du Comité de Sûreté générale qui avait été chargé d’inventorier une nouvelle fois les livres et la correspondance de Le Couteulx et Cie, ce qu’il fit pendant 48 jours déclara n’avoir rien trouvé dans la correspondance de quelque chose de contraire aux intérêts de la patrie, même s’il ajoutait qu’il n’avait pas consulté des lettres hors de leur maison137. Le Comité de surveillance de la commune d’Auteuil où Jean-Barthélemy possédait une maison de campagne déclara le 17 floréal an II (16 mai 1794) qu’il ne connaissait « rien que de louable dans le caractère et les opinions de celui-ci »138. Mais ce qui semble avoir été décisif, c’est l’attitude de Fouquier-Tinville, l’accusateur public au Tribunal Révolutionnaire. D’après Berryer, l’avocat des Le Couteulx, il aurait, parce qu’il avait reçu de fortes sommes des Le Couteulx, retardé en déplaçant leur dossier le moment où ils devaient être jugés. Un autre révolutionnaire, Barère de Vieuzac, membre du Comité de Salut public déclara dans ses Mémoires que c’était lui avait joué le rôle essentiel dans le sauvetage des Le Couteulx. Ayant appris qu’ils allaient être jugés avec Loménie de Brienne, l’ancien ministre de Louis XVI, il rencontra par hasard, affirmait-il, devant les Tuileries, Fouquier-Tinville et lui fit part de son indignation. À la suite de quoi l’Accusateur public ajourna la date de leur jugement, ce qui valut à Barère d’être remercié plus tard par un Le Couteulx139.

121Après la journée du 9 thermidor an II, tous les Le Couteulx furent rapidement libérés mais on pouvait s’interroger après cet ébranlement s’ils allaient pouvoir reprendre leurs activités bancaires, manufacturières et politiques dans une France toujours en guerre et profondément modifiée.

Notes

1 M. Vovelle, La découverte de la politique, Paris, 1993, p. 23.

2 E. Le Parquier, Le siège de Rouen en 1562, Sotteville, 1908, p. 62. Liste des membres des échevins et quarteniers élus le 4 juillet 1562.

3 Ju. Félix, Comptes-rendus des échevins de Rouen avec des documents relatifs à leur élection 1409-1701, Rouen, p. 10.

4 Sur ces désignations, cf. Ju. Félix, op. cit., pp. 167, 228, 253.

5 Ju. Félix, op. cit., p. 290.

6 AJV. Le Roux de Lincy, L.C. Douet d’Arc (eds.). Registres de l’Hôtel de Ville de Paris pendant la Fronde, Paris, 1848, t. I, p. 3.

7 G. Denière, La juridiction consulaire de Paris 1563-1792, Paris, 1872, p. 57.

8 G. Denière, op. cit., p. 57.

9 A.N.M.C. et XV/363. 26 novembre 1698. Inventaire après décès d’Antoine I Le Couteulx. Papiers.

10 A.N. G/7/498. 23 mai 1706. De Courson au Contrôleur général des Finances Chamillart.

11 A.N. G/7/499. 17 juin 1709. De Courson au Contrôleur général des Finances. Desmarets.

12 A.N. G/7/1650.

13 Ph. Minard, La fortune du colbertisme. Etat et industrie dans la France des Lumières, Paris, 1998, p. 316.

14 Sur le libéralisme « égalitaire » de Vincent de Goumay, cf. S. Meyssonnier, L’Horloge et la Balance, Paris, 1989.

15 Ph. Minard, op. cit., p. 316.

16 A.N. F/12/726. Nomination d’un député pour la ville de Paris en 1737 , Sur la tension entre la monarchie et les marchands, membres des Six-Corps, cf. J.M. Constant, La Société Française xvie-xviie-xviiiie- siècles, Paris, 1994, p. 53.

17 A.N. F/12/692. Lettre de Machault d’Amouville à Mr de Brou. 7 février 1752.

18 Idem. Nicolas Berryer à Daniel-Charles Trudaine le 22 janvier 1752.

19 A.N. F/12/692.

20 J.C. Ph. Trudaine de Montigny, Éloge de Trudaine, Paris, 1772, p. 281 , A.N.A E III B 460. Trudaine de Montigny au duc de Praslin, Paris le 2 juin 1769.

21 A.C.C. M. LIX/478. Le Couteulx et Cie à Roux frères, Paris, 20 septembre 1753.

22 A.C.C. M. LIX/478. Le Couteulx et Cie à Roux frères, Paris, 10 octobre 1753.

23 M. Antoine, Le gouvernement et l’administration de Louis XV. Dictionnaire biographique, Paris, 1975.

24 P. Jubert, « Les élections municipales à Rouen de 1662 à 1764 » dans Bulletin de la Société d Emulation de la Seine-Inférieure, Rouen, 1934, p. 69. Sur le rôle de L’Averdy, cf. Jo. Felix, Finances et politique au siècle des Lumières. Le ministère L’Averdy 1763-1768, Paris, 1999, p. 90.

25 J.F. Bosher, The simple duty project. A study ofthe mouvement for a French customs union in the Eighteenth century, London, 1964, p. 53. Il est vrai que sa maison, selon Montesquieu, avait souffert du système douanier français.

26 Cussy, Premier rapport fait au nom du Comité des monnaies, Paris, 1790, cité par M. Morineau, « Les frappes monétaires françaises de 1726 à 1793. Premières considérations » dans J. Day éd., Études d’histoire monétaire xiie-xixe siècles, Lille, 1984, note 130, p. 139.

27 B.N. Fonds Joly de Fleury, n° 384 f° 34.

28 P. Léon, op. cit., p. 648.

29 H. Lafosse, La juridiction consulaire de Rouen, 1556-1791, Rouen, 1922, p. 51.

30 M. Vovelle, La découverte de la politique, Paris, 1993, p. 23.

31 B.M.R.Y 228. Voilà un exemple d’une chanson, le 27 janvier 1737 à la fin de la guerre de Succession de Pologne qu’il réclama à son ami « Le Roi dit à l’Empereur Je t’aime de tout mon cœur. Baise mon eu, la paix est faite Turlurette ma turlurette ».

32 A.P. Floquet, Histoire au Parlement de Normandie, Rouen, 1842.

33 A.P. Floquet, op. cit., t. VI, pp. 381-382.

34 A.P. Floquet, op. cit., t. VI, pp. 554-555. M. Antoine, Louis XV, Paris, 1989, p. 796.

35 Correspondance politique et administrative de Miromesnil (éd. P. Le Verdier), Rouen, 1899-1903, t. III, p. 159. Thomas-Barthélemy Le Couteulx à Miromesnil, 3 février 1764.

36 Idem, op. cit., t. III, p. 164. Miromesnil à L’Averdy, 10 février 1764.

37 Idem, op. cit., t. III, p. 415. Miromesnil à L’Averdy, 15 décembre 1764.

38 Idem, op. cit., t. III, p. 168. Thomas-Barthélemy Le Couteulx à Miromesnil, 13 février 1764 et 3 mai 1764.

39 Idem, op. cit., t. IV, p. 4 et 6. Miromesnil à L’Averdy, 24 et 26 janvier 1765.

40 Idem, op. cit., t. III, p. 296. Le duc d’Harcourt à Miromesnil, 21 juin 1764.

41 Idem, op. cit., t. V, p. 57. Miromesnil à L’Averdy, 8 décembre 1767 , t. V, p. 73 Miromesnil à L’Averdy, t. V, p. 73.

42 « Lettre de Le Couteulx, premier président de la Chambre des Comptes de Normandie à M. Lemoyne de Belle-Isle, 7 octobre 1771 » dans Bulletin de la Société d Histoire de Normandie, 1905-1909, t. X, pp. 179-184.

43 A.P. Floquet, op. cit., t. VI, pp. 470-471. L’année précédente, Thomas-Barthélemy avait réclamé une mesure de clémence pour ce parent. B.N. Fonds Joly de Fleury, n° 1148. Lettre de Thomas-Barthélemy, juin 1770.

44 A.P. Floquet, op. cit., t. VI, p. 471.

45 Journal de voyage fait à Versailles par une délégation d’échevins de Rouen (1775) cité par G. Daridan, op. cit., p. 15. Antoine IV Le Couteulx de Verclives avait été nommé maire en 1773. La rupture entre la monarchie et les Le Couteulx n’était donc pas totale.

46 G. Daridan, op. cit., p. 17.

47 M. Zylberberg, op. cit., p. 304.

48 H.G. de Mirabeau, Lettre du comte de Mirabeau à Mr Le Couteulx de la Noraye, Bruxelles, 1785, p. 2.

49 M. Zylberberg, op. cit., p. 307.

50 H. Wallon, La Chambre de commerce de la province de Normandie, Rouen, 1903, pp. 95- 96-97.

51 Notes manuscrites d’un conseiller du Parlement de Normandie (d’Estaintot éd.), Rouen, 1889, p. 53. Un tableau de Lemonnier illustra cette rencontre. Il fut détruit en 1944.

52 A.D.S.M.C. 1092. Observations préliminaires de la Chambre de commerce de Normandie sur le traité de commerce entre la France et l’Angleterre.

53 A.N. F/4/1032/1. Lettre de Jean-Barthélemy Le Couteulx au garde des Sceaux, Paris, le 16 octobre 1787.

54 Sur la façon dont les notables et l’opinion populaire considéraient ce traité. Cf. G. Lemarchand, C. Mazauric, « L’Angleterre fauteur de « crise ». L’opinion vis-à-vis de la Grande Bretagne en Haute-Normandie », Études Normandes, n° 4, 1983, pp. 27-35.

55 A.N. F/4/1032/1. Observations de la Chambre de commerce de Normandie sur le traité de commerce entre la France et l’Angleterre.

56 G. Coeuret, L’assemblée provinciale de Haute-Normandie, Rouen, 1927, p. 34. En avril 1790 Jean-Barthélemy Le Couteulx comme Lézurier, ou Elie Lefebvre se considèrent, bien qu’écuyers, comme n’appartenant pas à la noblesse pour ne pas être imposés par la paroisse de Canteleu comme privilégiés. Mais cette requête fut considérée comme « non avenante » par les dirigeants de la paroisse pour qui être écuyer, c’est être noble. Cf. S. Hélaine, « Politique et mentalités à Canteleu (1789-1799) » dans A travers la Haute-Normandie en Révolution, Rouen, 1992, p. 89.

57 G. Coeueret, op. cit., p. 215.

58 Le Couteulx de Canteleu (sic). Discours du premier président de la Cour des comptes le 7 du courant. Rouen, 1788.

59 Mémoire que présentent à Mrs Le maire et échevins de la ville de Rouen, les communautés, corporations et citoyens particuliers de l’Ordre du Tiers-État de cette ville. En fait, d’après un conseiller du Parlement, le texte avait été envoyé par la municipalité dont Le Couteulx était le premier échevin et le rédacteur aux corporations pour qu’il fut adopté par elles. Cf. D’Estaintot, Notes manuscrites d’un conseiller du Parlement de Normandie, Rouen, 1889, p. 63.

60 Le mémoire comprenait également l’obligation de choisir les députés du Tiers-État parmi les membres du Tiers. On ne comprend pas les motivations de Le Couteulx de Canteleu qui était anobli à moins qu’il se considérait comme membre du Tiers-Etat comme il avait été désigné dans l’Assemblée provinciale.

61 E. Lebègue, Thouret (1746-1794), Paris, 1910, p. 94.

62 C. Mazauric, « La politique de la noblesse à Rouen en 1789. Un document », Etudes Normandes, 1979, n° 2.

63 E.H. Lemay, Dictionnaire des Constituants 1789-1791, Paris, 1991, t. Il, p. 566.

64 M. Thénard, Bailliage de Versailles et de Meudon. Les cahiers des paroisses, Versailles, 1889, pp. 100-111.

65 Ch. L. Chassin, Les élections et les cahiers de Paris en 1789, t. IV, Hors les murs, Paris, 1889, p. 151.

66 A. Cobban, Le sens de la Révolution française, Paris, 1964, p. 52.

67 Ch. L. Chassin, op. cit., t. IV, p. 163.

68 Ch. L. Chassin, op. cit., t. IV, p. 164.

69 A.N. F/7/4774/10. Déclaration de Jacques-Jean Le Couteulx (1794), sur l’élection dans le district de Saint-Leu, cf. J. Tulard, La Révolution, Nouvelle histoire de Paris – La Révolution, Paris, 1989, p. 76.

70 J.S. Bailly et H.M. Duveyrier, Procès-verbal des séances et délibérations de l’Assemblée générale des électeurs, Paris, 1790, t. I, pp. 7 et 8.

71 Avis intéressant à Mrs les électeurs du Tiers-État avec la liste des commissaires pour la rédaction des cahiers, s.l. n.d. (1789). Parmi les commissaires, il y a sept négociants et quatre banquiers Le Couteulx, Tassin, Boscary et Perrégaux.

72 Ch. L. Chassin, op. cit., t. III, p. 362.

73 Ch. L. Chassin, op. cit., t. III, p. 299.

74 J.S. Bailly, H.S. Duvéyrier, op. cit., t. I, p. 125 (A.C. Morris ed.).

75 G. Morris, The diary and letters (Morris éd.), New-York, 1888, t. I, p. 57 « An abbe declaims violently against modération in politics, he will, he says carry the post by assault.

76 E. Vigée-Lebrun, op. cit., t. 1, p. 173.

77 Jean-Barthélemy figure dans le tableau de David sur le serment du Jeu de Paume. Sur le serment de Jean-Barthélemy, cf. E.H. Lemay, op. cit., t. Il, p. 566.

78 Cité par G. Daridan, op. cit., p. 148.

79 G. Morris, op. cit., t. I., p. 117.

80 A.N. F/7/6504.

81 Archives parlementaires de 1787 à 1860 (Mudival et Laurent eds.), t. VIII, p. 238.

82 J.S. Bailly, Mémoires d’un témoin de la Révolution, Paris, 1804, t. I, p. 107, P. Robiquet, Le personnel municipal de Paris pendant la Révolution, Paris, 1890, note 1, p. 29.

83 Ch. L. Chassin, op. cit., t. III, p. 510.

84 J.S. Bailly, op. cit., t. III, p. 5.

85 P. Robiquet, op. cit., t. II, p. 255.

86 A.N. F/7/4774/10. Interrogatoire de Jacques-Jean Le Couteulx (1794).

87 A. de Rivarol, Petit dictionnaire des grands hommes de la Révolution par un citoyen actif ci-devant rien, Paris, édition 1790, nouvelle édition 1987, pp. 75-76.

88 G. Morris, op. cit., t. L, p. 188.

89 Sur les activités de Jean-Barthélemy Le Couteulx à l’Assemblée constituante, cf. A. Cortès, Jean-Barthélemy Le Couteulx de Canteleu, Banquier et député à l’Assemblée Constituante, Mémoire de maîtrise (C. Mazauric dir.), Université de Rouen, 1989, 75 p.

90 Rapport des commissaires cité par M. Vovelle, La chute de la Monarchie, 1787-1792, Paris, 1972, p. 150.

91 A. Duquesnoy, Journal sur l’Assemblée constituante, 3 mai 1789 – 3 avril 1790, Paris, 1894.

92 A. Duquesnoy, op. cit., t. II, p. 140.

93 Rapport des commissaires nommés pour l’examen des projets de Banque nationale, Paris, 1789.

94 D’après Adrien Duquesnoy, Jean-Barthélemy Le Couteulx se serait joint « par faiblesse à l’abbé Maury et à Cazalès, deux chefs de file du parti aristocrate qui entendaient que ce soit le clergé lui-même qui vendrait ses biens ». Cf. A. Duquesnoy, op. cit., t. II, p. 318.

95 A. Duquesnoy, op. cit., t. II, p. 318. Deux autres députés, Naurrissart et Volney furent l’objet de la même interdiction.

96 Archives Parlementaires, op. cit., t. XI, 27 janvier 1790.

97 F. Bosher, « Déclaration de J.B. Le Couteulx », French Finances 1770-1795, Cambridge, 1970, p. 271.

98 Archives Parlementaires, op. cit., t. XI, p. 231, 18 janvier 1790.

99 A. Cortès, op. cit., p. 47 , G. Morris, op. cit., t. I, p. 271, 16 janvier 1790.

100 M. Marion, Histoire financière de la France depuis 1715, Paris, 1919, t. 2, pp. 167-169.

101 M. Marion, op. cit., t. 2, p. 270.

102 C. Bloch (éd.), Procès-verbaux du Comité des Finances de l’Assemblée constituante, Paris, 1922.

103 Opinion de Mr. Le Couteulx de Canteleu sur le commerce de France aux Indes Orientales, Paris, 1790.

104 A. D. XV, 48. Observations sur la réclamation faite par le roi d’Espagne... et communiquée à l’Assemblée nationale le 3 août 1790 par Le Couteulx de Canteleu. Sur la question de Nootka Sound, cf. A. Foucrier, « Rivalités européennes dans le Pacifique. L’affaire de Nootka Sound 1789-1790 », A.H.R.F., 1997, n° 307, pp. 17-30.

105 T. Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Paris, 1997, p. 261.

106 A. Challamel, Les clubs contre-révolutionnaires, Paris, 1895, p. 53. On y trouve d’autres banquiers comme Perrégaux, Jauge, Greffulhe.

107 A. Challamel, op. cit., p. 417.

108 A.D.S.M., L 319. Lettres de Le Couteulx Canteleu à la municipalité de Rouen, 23 et 25 juin 1791.

109 Archives Parlementaires, op. cit., t. XXV11, p. 527.

110 Archives Le Couteulx. Copie de la lettre au duc de Richelieu.

111 A. Challamel, op. cit., pp. 293 et 310. Parmi les membres on remarque André Chénier et Coquebert-Montbret rue de Tournon.

112 Laurent-Vincent Le Couteulx La Noraye, Observations sur la vente des biens nationaux, Paris, 1790.

113 Papers Jefferson, t. 17, p. 265. Madame Plumard de Bellanger à Thomas Jefferson, le 25 juillet 1790.

114 P. Goubert, Familles marchandes sous l’Ancien Régime. Les Danse et les Motte de Beauvais, Paris, 1959, p. 166.

115 Sur les achats de biens nationaux. AN. M.C. Et. CXV111/705. 28 brumaire an III. Inventaire de Laurent-Vincent Le Couteulx, M. Charoy, Étude historique sur le château de Meung-sur-Loire, Orléans, 1908, p. 170 , A.N.M.C. et XCV111/603. 30 août 1792, prêt de Jacques-Jean Le Couteulx à Barthélemy-Jean-Louis, A.N.M.C. Et. XCLV111. 8 nivôse an XIII (29 décembre 1804). B. Bodinier, « La noblesse et les biens nationaux dans le département de l’Eure » dans Révolution et mouvement révolutionnaire en Normandie, Actes du XXIVe Congrès des Sociétés historiques et archéologiques de Normandie, Le Havre, 1990, p. 72.

116 Archives Parlementaires, t. XXXV, 9 décembre 1791.

117 Archives Parlementaires, t. XLVIII, pp. 310-311, 17 août 1792 , A.N.C. 161 (C 354), lettre de Le Couteulx, trésorier de l’Extraordinaire à Monsieur le Président, Paris, le 17 août 1792 l’an quatrième de la liberté.

118 Sur la Caisse de l’Extraordinaire, cf. M. Bruguière, Gestionnaires et profiteurs de la Révolution, Paris, 1986, p. 63. A.N.D VII, Caisse de l’Extraordinaire.

119 P. Robiquet, op. cit., pp. 269 et 280 , A.N.Q. 1110. Rapport de Mr Le Couteulx de la Noraye sur la répression de la contrebande, 12 février 1790.

120 P. Robiquet, op. cit., p. 307. Le service de nuit sera suspendu car la tranquillité publique paraît rétablie aux yeux de la municipalité.

121 A.N.M. C, et CXVII/988. 2 vendémiaire an VIII (24 septembre 1799). Inventaire après décès de Barthélemy-Jean-Louis Le Couteulx. Papiers.

122 E. Lever, Louis XVIII, Paris, 1993, p. 115.

123 E. Lever, op. cit., pp. 144-145. Quant à Jean-Barthélemy Le Couteulx de Canteleu dans un discours devant la Constituante, il félicita en juin 1790 Monsieur d’avoir versé une contribution patriotique de 500 000 lt. soit le quart de son revenu. Cf. Archives parlementaires, t. XVII, p. 470, 26 juin 1790.

124 A.D. Yvelines, L. 22. Délibérations du Conseil général de Seine et Oise. En mai 1793, il fut adjoint au Directoire du département avec voix consultative. A.D. Yvelines L. 60 Assemblée du Directoire, 30 mai 1793.

125 A.D. Yvelines. L. 23 Délibération du Conseil général de Seine et Oise, 6 septembre 1793.

126 A.N. F/7/4774/10.

127 A.N. F/7/4774/10. Déclaration de Jean-Barthélemy Le Couteulx.

128 A. D. XV 48.

129 A.N. F/12/501. Mémoire pour la banque Saint-Charles, 10 germinal an XIII (31 mars 1805). Sur cette tentative d’Ocariz, cf. M. Le Couteulx de Caumont, Une tentative en faveur de Louis XVI, Gisors, 1909 , A. Soboul, Le procès de Louis XVI, Paris, 1966, p. 203.

130 A.H.N. Estado leg 2817.

131 A.H.M. Estado leg 3972. Cuentos de gastos extraordinarios. Le Couteulx et Cie.

132 Le Cri de la Conscience ou réflexion d’un François ami de la justice adressé à la Convention nationale et à ses concitoyens sur le procès de Louis XVI, Paris, 1792.

133 Archives Parlementaires, t. LXX, 3 août 1793, p. 129.

134 A.N.W. 437.

135 B.M.R. 13 A. Barthélemy-Pierre Le Couteulx au Comité de Sûreté générale, 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Dans sa lettre, il réclamait de pouvoir revenir à Rouen car sa maison de commerce, grâce à ses marchandises, pourrait être utile aux manufactures de la ville.

136 A.N. F/7/4774/10. Mémoire des femmes Le Couteulx.

137 A.N.W. 437. Rapport de Braham-Ducange.

138 A.N. F/7/4774/10. Rapport du Comité de Surveillance d’Auteuil.

139 P.N. Berryer, op. cit., t. 1, p. 170.

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