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Chapitre V. Marchand-drapier, je demeure
p. 139-160
Texte intégral
II est de la reconnaissance comme de la bonne foi des marchands, elle entretient le commerce et nous ne payons pas parce qu ’il est juste de nous acquitter mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prêtent.
François VI, duc de la Rochefoucauld, Maximes, 1665.
1Six fils au moins de Guillaume I Le Couteulx s’engagèrent dans la voie du commerce avec des réussites diverses et la majorité d’entre eux n’eut pas la chance de donner naissance à des dynasties familiales à l’exception de Jean IV et de Guillaume II Le Couteulx. En effet Pierre II devenu marchand à Rouen mourut sans postérité et ses frères héritèrent de ses biens1. Le jeune David mourut en même temps que son père tandis que des deux fils de Daniel I, l’un devint prêtre tandis que l’autre, après quelques années passées dans le commerce de la draperie parisienne acheta une charge de contrôleur des rentes de l’Hôtel de ville de Paris. Les deux fils de Jacques I morts prématurément ne semblent pas avoir désiré suivre les traces de leur père. En revanche, les cinq fils de Jean IV demeurèrent fidèles à la marchandise. Toutefois, on l’a vu, à partir des années 1670 ils s’orientèrent dans le domaine bancaire abandonnant peu à peu le commerce de la draperie. Il en sera tout autrement des descendants de Guillaume II Le Couteulx. Un de ses fils, son petit-fils, sa petite-fille, son arrière-petit-fils demeurèrent fidèles au commerce des draps et c’est seulement parce que la société dirigée par Denise Le Couteulx et son fils Antoine-Denis de France fut obligée de suspendre ses paiements en 1763 que cette branche de la famille Le Couteulx dû abandonner, contrainte et forcée, l’état de marchand-drapier, cent vingt ans après que Jean VII soit devenu marchand-drapier et bourgeois de Paris.
2On sait peu de chose sur Guillaume II, le père de ce dernier. Né en 1571, il serait devenu marchand à Rouen, mais il n’a pas appartenu à la société Le Couteulx et Cie fondée par David I, Jean IV et Jacques I. De son mariage avec Madeleine Besnières, il eut au moins trois enfants, Guillaume III, Clémence et Jean VIL D’après son parent, Dom Charles Le Couteulx, il aurait été très dévot et devenu aveugle, il aurait abandonné ses affaires et serait mort vers 16502. Son fils aîné, Guillaume III, serait devenu marchand-teinturier à Rouen et aurait épousé Marie Dufour qui appartenait à une grande famille marchande rouennaise et dont la sœur Geneviève, épouse de Jean VIII avait été l’associée pendant de nombreuses années de Le Couteulx et Cie. Il arrivait à Guillaume III de collaborer avec son oncle Jean IV notamment en faisant établir des protêts à l’encontre de marchands de Rouen comme Henry Cooke, un Anglais, qui devaient régler le montant de lettres de change dont Le Couteulx et Cie était endossataire3. Il mourut en 1650 et son épouse Marie Dufour prit sa suite. En 1658, elle faisait partie d’un groupe de marchands rouennais créanciers d’un marchand épicier parisien nommé Rodolphe Godeau qui avait suspendu ses paiements4.
3Fils cadet de Guillaume II et de Madeleine Besnières, Jean VII ne demeura pas longtemps dans sa ville de naissance. Très tôt, il partit pour Paris comme l’avaient fait plusieurs de ses oncles et comme le firent ses cousins. En 1639, à l’âge de seize ans, il entra en apprentissage chez le marchand-drapier parisien Jean Busselet demeurant sur le Pont Saint-Michel où résidait autrefois Jacques Lustin. C’est son oncle Jacques I qui assura la signature du contrat d’apprentissage et qui versa 300 1t. dont la plus grande partie fut payée comptant5. Un peu moins de trois ans plus tard alors qu’en théorie, il n’avait pas achevé son apprentissage, il s’associa avec Bonnaventure Brillet marchand-drapier demeurant rue Saint-Honoré dans une maison ayant pour enseigne Le Coq et François Parisot, frère de Nicolas Parisot, également marchand-drapier dans une entreprise de vente de draperies. La société qui devait débuter le 1er octobre 1642 pour une durée de six ans disposait d’un capital de 36000 lt. Bonnaventure Brillet en fournissait les deux tiers soit 24000 lt. composées essentiellement des marchandises qu’il détenait dans sa boutique. Les deux autres associés, Jean VII et François Parisot apportaient chacun 6000 1t. en espèces. Il est possible que les 6000 1t. versés par Jean Vil lui avaient été fournies par son père Guillaume II, lequel avait accordé cette somme à son fils aîné Guillaume III lors de son mariage en 1634 avec Marie Dufour6.
4Les 12 000 lt. devaient être destinés à l’achat de marchandises « propres à l’assortiment de leur boutique »7. La société qui ne s’est pas donnée de raison sociale envisage de recruter des apprentis et d’engager un ou deux serviteurs en cas de besoin, 2 000 lt. seront consacrés chaque année pendant la durée de la société aux dépenses de nourriture, à l’achat de bois, de chandelle, de linge de ménage et aux gages de la servante déjà présente chez Bonnaventure Brillet. Quant aux profits « qu’il plaira à Dieu de leur donner », ils seront partagés à raison d’une moitié pour Brillet et d’un quart pour chacun des deux autres associés. La société démarre effectivement à la date prévue puisque le 25 octobre 1642 Jean VII et François Parisot déclarent avoir reçu de la part de Bonnaventure Brillet des marchandises d’une valeur de 24000 lt. tandis qu’ils ont fourni leur part « en louis, pistoles et écus d’or »8.
5Cette société n’aura qu’une brève durée puisque Bonnaventure Brillet décéda en 1643. Les associés survivants remirent à ses héritiers les biens qui leur revenaient, le contrat avait d’ailleurs prévu qu’à l’expiration de la société, les marchandises et les effets seront partagés entre les trois dirigeants, toutefois, les armoires et les ustensiles appartiendraient à François Parisot et Jean VII Le Couteulx qui de plus récupérèrent la boutique de Brillet. Mais cette association fut aussi brève que la précédente puisque François Parisot passa de vie à trépas en 16449. Jean VII devint donc le seul détenteur de la boutique de la rue Saint-Honoré.
6Les débuts tourmentés n’ont pas découragé Jean VII qui n’abandonnera pas son état de marchand-drapier demeurant toujours rue Saint-Honoré, là où s’établissent le plus souvent les premiers des Six-Corps10.
7Quelles furent les activités de Jean VII ? Des informations qui permettraient de les préciser font le plus souvent défaut et cela ne permet ni de déterminer sa clientèle ni le montant de son chiffre d’affaires et de ses profits. On sait cependant qu’il demeurera toujours rue Saint-Honoré, artère où ont élus domicile les principaux membres de l’aristocratie marchande que constituent les marchands-drapiers parisiens11. Fait-il partie du sommet de la hiérarchie du premier des Six-Corps de la capitale ? Abraham du Pradel dans son « Livre commode » indique les noms de marchands-drapiers qui ont « de gros fonds et qui font de grandes fournitures » vers 1690. Ce sont Messieurs Devin au Grand Louis, les frères Berny au Château Couronné, Farc et Paris au Grand Monarque, Yon au Grand Turc, mais il ne mentionne pas Jean VII Le Couteulx12. Pourtant ce dernier n’est pas un modeste boutiquier. Il a en effet pour client en 1651, François de Vendôme, duc de Beaufort, l’ancien « roi des Halles » et l’un des dirigeants de la Fronde nobiliaire. Ce dernier lui devait ainsi qu’à un tailleur d’habits et un maître-boulanger 10000 lt., somme qu’il fut condamné à leur rembourser13. François VI, duc de la Rochefoucauld fut également en relation avec le marchand-drapier de la rue Saint-Honoré. En 1671, l’auteur des Maximes souscrivit une obligation en faveur de Jean V1114. Comme le duc de la Rochefoucauld ne remboursa pas sa dette, Jean VI décida de faire saisir une terre située à Fontaine-Française en Bourgogne que le duc avait vendu à Antoine Arnaud secrétaire du roi. Sans doute, La Rochefoucauld accepta-t-il en 1675 une mainlevée mettant ainsi fin aux effets de la saisie15.
8À côté de ces aristocrates, Jean VII avait également pour clients des maîtres- tailleurs d’habits comme Mathieu Blard demeurant rue Beaubourg et qui lui devait 2 130 lt. 15 sols et qui fit appel pour rembourser sa créance, au chevalier de Plessis-Praslin qui était son débiteur16. L’importance des affaires menées par Jean VII explique que dès 1662 il parvint à se faire élire garde de la corporation des marchands-drapiers. En tant que tel, il était chargé avec cinq autres gardes élus par environ deux cents membres de la corporation de faire appliquer les statuts et de vérifier la qualité des tissus de laine mis en vente. Seuls les marchands-drapiers disposant d’une assise financière solide pouvaient être élus gardes ou grands gardes comme ce fut aussi le cas de Jean VII Le Couteulx en 166617.
9Un autre signe de la puissance économique de Jean VII émane de son élection le 30 janvier 1677 comme troisième consul de la juridiction commerciale de Paris. Celle-ci se composait d’un juge et de quatre consuls élus chaque année par une assemblée de soixante membres appartenant aux Six-Corps ainsi qu’à des membres des corporations des marchands de vin et des libraires-imprimeurs. Jean VII Le Couteulx avait eu le même nombre de voix que Louis Pihault mais il l’emporta grâce au tirage au sort. Plus d’une décennie plus tard, en 1690, Jean VII Le Couteulx qui s’attendait à être élu une nouvelle fois « en considération de son rang » déclina cette éventuelle élection sans doute à cause de son grand âge et présenta ses excuses à la juridiction consulaire18.
10Sept ans plus tard, en 1697, Jean VII, âgé de soixante-quatorze ans décéda dans la maison de l’un de ses fils Armand-Jean, rue Saint-Honoré. Il laissait deux héritiers, deux frères consanguins, Armand-Jean issu de son premier mariage en 1647 avec Anne Massebrun, fille de Marc Massebrun marchand-drapier, et Pierre III, fils du second mariage de Jean VII avec Geneviève Imbert, fille de Louis Imbert également marchand-drapier. Pierre III après être devenu docteur en Sorbonne avait obtenu une cure à Fry en Normandie alors que Armand-Jean avait suivi les traces de Jean VII et avait conservé l’état de son père et de son beau-père. Les deux frères se partagèrent les meubles meublants, la vaisselle d’argent et d’étain, le linge, les ustensiles, un contrat de rente et une maison située à Rouen rue Saint-Nicolas et qui avait d’abord appartenu à Clémence, la sœur de Jean VIL Ce fut Pierre III qui l’obtint19.
11Toujours établi rue Saint-Honoré, Armand-Jean s’engagea dans la voie tracée par son père, lequel l’avait aidé à débuter ses activités en lui fournissant en 1685 des marchandises d’une valeur de 882 lt. 14 sols puis en mai 1692, 5 000 lt. moyennant une rente de 250 lt. auquel il ajouta une créance de 3 237 1 10 que lui devait une certaine madame Saint-Rémy20. Marié en 1683 avec Denise Catherine de la Balle, fille de Simon de la Balle, un des grands marchands-drapiers parisiens, il avait bénéficié de la dot de 10 000 lt. que lui apportait son épouse21.
12Les activités de Armand-Jean sont pour une part comparables à celle de Jean VIL II a toujours pour clients des membres de l’aristocratie, entre autres, François VII, duc de la Rochefoucauld, prince de Marsillac, le fils de l’auteur des Maximes, grand-maître de la garde robe de Louis XIV qui, comme son père, ne réglait pas ses dettes. En 1703, le montant total de celles-ci s’élevait à 300000 lt. dont 14972 lt. dues à Armand-Jean et 7000 lt. à Jacques et Adrien Devin également marchands-drapiers, ainsi que des sommes moins importantes à des tailleurs d’habits comme Barthélemy Autrand demeurant à Versailles, créancier pour 138 1t. 12 sols ou Georges Autrand maître-tailleur à Paris possédant une créance de 155 lt. Ce fut le fils du duc de la Rochefoucauld, le duc de la Rocheguyon qui accepta de prendre à son compte avec l’aide de la monarchie ce que devait son père22.
13Toutefois, au cours des dernières guerres menées par Louis XIV, des marchands-drapiers dont Armand-Jean Le Couteulx s’orientèrent vers des opérations nouvelles. Ils conclurent des contrats de vente de tissus avec des officiers de l’armée française. Les guerres de la fin du règne de Louis XIV ont eu pour effet de diminuer les ventes des marchands-drapiers parisiens à leur clientèle habituelle, victime de l’augmentation des impôts levés par la monarchie mais elles ont pour résultat d’ouvrir un immense marché lié à l’augmentation considérable des effectifs des armées de Louis XIV.
14Comme l’indique Boisguilbert, les conflits ont eu pour conséquence une baisse de la consommation notamment en ce qui concerne les vêtements. Ce fut notamment le cas en 1709 où comme l’indique Savary des Brûlons, inspecteur des manufactures, au cours du second semestre, 17196 pièces de drap et 68 coupons furent envoyés à la Halle aux Draps de Paris pour y être marqués par les gardes de la corporation des drapiers alors que pendant les six derniers mois de 1708 leur nombre avait atteint 45497 pièces et 126 coupons. Très vraisemblablement, les marchands-drapiers parisiens avaient été dans l’obligation de diminuer leurs commandes faute de pouvoir les écouler pendant les années de crise23.
15Les sommes que la corporation des marchands-drapiers devait verser à la monarchie furent fortement augmentées pendant les deux dernières guerres du règne de Louis XIV. C’est ainsi qu’en 1691, le gouvernement érigea en offices les fonctions de gardes de la corporation lesquels devaient donc désormais les acheter. En 1703, le contrôleur général des Finances, Chamillart voulut imposer aux Six-Corps de Paris une contribution forcée de 500 000 It. Leurs représentants tentèrent d’obtenir qu’elle soit abaissée à 400000 lt. à cause de « l’état pitoyable du commerce » qui déjà leur rendait très difficile le paiement de la capitation. Ce à quoi Chamillart répliqua que « les besoins pressants de l’État » exigeaient qu’ils fissent un effort extraordinaire. Il leur promit cependant de transmettre leur supplique à son souverain mais celui-ci ne voulut rien entendre. Les marchands-drapiers parisiens se virent imposer de payer une taxe de 73 738 lt. à laquelle s’ajouta un supplément de 2 sols par livre soit 7 373 lt. Les gardes de la corporation des marchands-drapiers convoquèrent un certain nombre de marchands-drapiers dont Devin, Desplasses, Guiller, Yon et Armand-Jean Le Couteulx au bureau des marchands-drapiers, rue des Déchargeurs, et l’assemblée décida d’augmenter de 500 lt. les droits de réception des marchands-drapiers qui auraient fait apprentissage, de 400 lt. pour les fils de marchands qui n’auraient pas fait apprentissage, de 50 1t. le paiement des brevets d’apprentissage tandis que le droit de visite perçu par les gardes de la corporation serait accru de 10 lt. supplémentaires24. Comme il fallait régler immédiatement les sommes réclamées par le gouvernement, les deux grands gardes et les quatre gardes de la corporation constituèrent des titres de rente à tous ceux qui accepteraient de leur prêter de l’argent25.
16Les marchands-drapiers étaient donc dans une situation difficile. Heureusement pour un certain nombre d’entre eux, ils eurent la possibilité de vendre des quantités considérables de draps à de nombreux régiments, ce qui leur permit sans doute de compenser leurs pertes, voire même de réaliser d’importants bénéfices.
17Les ventes d’étoffes par des marchands-drapiers parisiens à des militaires n’étaient pas une chose nouvelle. En 1627 à l’occasion du siège de la Rochelle, Louis XIII avait commandé 2 500 uniformes destinés au régiment des gardes qui partait pour la ville protestante au prix de 18 lt. 10 sols chacun et ils avaient été adjugés à Claude Male marchand-drapier de Paris. 1800 paires de souliers à raison de 48 sols la paire avaient été attribuées à deux maîtres-cordonniers26.
18Au cours des décennies qui suivirent, il semble que les marchands-drapiers n’entrèrent pas en contact direct avec les officiers des régiments et que ce furent les financiers, les manieurs d’argent qui aient pris le contrôle des fournitures aux armées. Les grands munitionnaires dominaient le ravitaillement des soldats du roi ainsi que les « produits industriels » de guerre27. Ils étaient donc des intermédiaires obligés entre les fournisseurs de vêtements et les officiers des régiments.
19À partir de la guerre de la Ligue d’Augsbourg et peut-être quelques années auparavant, ce système fut modifié. Désormais, les contrats furent passés directement entre les marchands-drapiers parisiens et les officiers des régiments28. Les officiers et notamment les colonels responsables de l’équipement et de l’entretien de leurs soldats envoyaient à Paris des mandataires chargés de conclure des contrats de fournitures avec de nombreux marchands-drapiers de la capitale dont aucun ne bénéficie d’une quelconque exclusivité tant les demandes étaient considérables. Parmi les principaux fournisseurs des régiments, on trouve François Desplasses, Simon de la Balle, le beau-frère d’Armand-Jean Le Couteulx et Jacques Devin29. Ce dernier, par exemple, au cours de la guerre de la Ligue d’Augsbourg va livrer de très grandes quantités de marchandises au régiment d’Humières représenté à Paris par Joseph de Manissy, lieutenant-colonel du régiment. Chaque compagnie, le régiment en comportait vingt-six, se vit fournir soixante aunes de serges de Romorantin et autant de serges d’Aumale, soixante douzaines de boutons, cinquante calottes, les draps de meilleure qualité étant réservés aux sergents et aux tambours. En tout, chaque compagnie commanda des effets d’un montant de 680 lt. 17 s. 6 d. soit pour le régiment d’Humières le total de 17 168 lt. qui devait être payé à raison de 1 200 It. par mois30.
20Armand-Jean Le Couteulx n’est pas demeuré à l’écart de ce type d’affaires. En 1698, au lendemain de la paix de Ryswick, il conclut un contrat avec le régiment de Tourneforf31. Une dizaine d’années plus tard, il signa un contrat en janvier 1709 avec Charles de Courteille capitaine de cavalerie du régiment de la Motte-Houdancourt qui détient un pouvoir conféré par le colonel et les capitaines du régiment stationné à Philippeville. Armand-Jean Le Couteulx s’engageait à fournir « la quantité qu’il conviendra de draps et doublement pour l’habillement des officiers de cavalerie et ce le 15 mars prochain ». Les prix sont fixés au moment du contrat : une aune de drap de Lodève coûte 7 lt. 5 sols, le drap façon de sceau écarlate pour baudrier de juste-au-corps vaut 13 lt. 5 sols l’aune, le drap écarlate pour les housses de chevaux des officiers revient à 22 1t. l’aune, Armand-Jean Le Couteulx se chargeant de l’emballage. De son côté, Charles de Courteille s’engage à régler la moitié des sommes dues lors de la livraison fixée au 15 mars 1709 et l’autre moitié, un an plus tard le 15 mars 1710, le paiement devant se faire en billets de l’Extraordinaire des guerres, billets délivrés en abondance lors de la guerre de Succession d’Espagne par les trésoriers de l’Extraordinaire des guerres32. Armand-Jean Le Couteulx n’en est d’ailleurs pas à une première vente envers le régiment de la Motte-Houdancourt puisque de Courteille se déclare satisfait des fournitures faites pour l’habillement du régiment par Armand-Jean Le Couteulx en 170633.
21 Les guerres de la fin du règne de Louis XIV ont donc permis à plusieurs marchands-drapiers parisiens de résister à la crise dont ont été victimes un grand nombre de commerçants français. Armand-Jean est un de ceux qui en ont profité comme le démontre son inventaire après décès établi après sa mort en 1711 alors môme que la Guerre de Succession d’Espagne n’était pas encore achevée34. Sa boutique, son magasin et son logement sont situés dans une maison de quatre étages, rue Saint-Honoré35. Dans sa boutique, outre deux grandes armoires en bois de chêne, une grande et deux petites tables, il a entreposé « une presse avec sa visse », le pressage étant la dernière opération que peuvent réaliser les marchands-drapiers qui font venir des tissus fabriqués en province. Dans le magasin situé au premier étage, outre deux comptoirs, plusieurs tables et quatre chaises valant ensemble 75 lt. sont entassés des draperies représentant avec celles entreposées dans la boutique une longueur totale de 14500 aunes évaluées à environ 40000 lt. Il faut y ajouter 730 calottes pour soldats au prix unitaire de 32 sols soit 1 168 lt. L’origine des tissus de laine est extrêmement variée. On y trouve des draps de Sedan, de Rouen, d’Elbeuf, de Louviers, du Berry, de Vire, de Dreux, de Falaise, de Romorantin, de la manufacture Van Robais d’Abbeville, des serges de Mouy en Beauvaisis, d’Aumale, des droguets de Rouen, des tiretaines de Reims. Armand-Jean Le Couteulx s’est surtout adressé à des manufacturiers d’Aumale, il possède en effet plus de 7000 aunes de serges de cette ville située à la limite de la Normandie et de la Picardie, soit près de la moitié de ses stocks, représentant environ 6450 lt. Toutefois ce sont les draperies d’Elbeuf et de Romorantin avec celles de la manufacture d’Abbeville qui sont les plus coûteuses : 345 aunes de drap d’Elbeuf sont prisées à371412s6d. La plupart des tissus de laine possédés par Armand-Jean Le Couteulx sont d’origine française, il existe cependant des serges et des flanelles d’Angleterre d’une valeur d’une centaine de livres. Cela est sans doute l’effet de la montée en puissance sous le règne de Louis XIV de l’industrie drapière française.
22Les marchandises déposées dans la boutique et le magasin de Armand-Jean Le Couteulx ne représentent qu’une partie des achats opérés par le marchand-drapier parisien car beaucoup de tissus ont été vendus soit au comptant soit à crédit. Parmi les papiers retrouvés lors de l’établissement de l’inventaire figure un livre d’achats établissant leur montant à 66029 lt. 9 s. mais aucune précision n’est indiquée sur la période pendant lesquelles les acquisitions ont été opérées. Comme les ventes sont évaluées à 36359 lt. et que les marchandises en magasin et en boutique atteignent environ 40000 lt., on pouvait estimer que le profit brut atteindrait une dizaine de milliers de livres sans qu’on puisse en préciser la période.
23Les acheteurs qui font appel à Armand-Jean Le Couteulx sont très nombreux et de condition très diverse. Parmi les principaux clients figurent plusieurs aristocrates comme le marquis de Saint-Maur, débiteur de 178 lt., le marquis de Toumebue qui doit 180 lt., le marquis de Liancourt dont la dette s’élève à 6091 lt. (il a été condamné par un tribunal à la rembourser), le duc de la Rochefoucauld prince de Marcillac doit toujours de l’argent (une sentence du Châtelet daté du 2 juillet 1707 le condamne à verser 3 441 lt. 10 s.), le marquis de Vibraye et le comte de Livry sont débiteurs respectivement de 3 750 lt. et 1 657 lt. 6 s.
24L’analyse de l’inventaire après décès confirme les liens commerciaux existants entre Armand-Jean Le Couteulx et les régiments de l’armée française. Les représentants au régiment de la Motte-Houdancourt n’ont pas encore remboursé la totalité de leurs dettes, ils doivent encore 12677 lt. 10 s. 6 d. alors qu’ils n’ont versé à leur fournisseur que 5 000 lt. D’autres régiments se sont adressés à Armand-Jean Le Couteulx. Il s’agit du régiment de la cavalerie de Livry, du régiment d’infanterie du Boulonnais ainsi que du régiment de Bourgogne. Mais ce ne sont pas les seuls car ont été recensés dans l’inventaire après décès quinze lettres de change tirées sur Monsieur Duplessis Trésorier Général de l’Extraordinaire et un mandement signé la Rivière tiré sur Monsieur Moreau le Caissier Général des Vivres. Tout cela démontre le rôle crucial représenté par les fournitures de draps destinés à la confection des uniformes des troupes françaises pour un marchand-drapier comme Armand-Jean Le Couteulx.
25Deux ans après le décès de Armand-Jean Le Couteulx, la France mettait fin à la guerre qu’elle menait depuis 1702 contre la plupart des pays d’Europe. On peut s’interroger sur le point de savoir si cette fin du conflit allait provoquer pour les successeurs du défunt marchand-drapier à la tête de l’entreprise, à savoir sa veuve Denise-Catherine de la Balle et l’un de ses enfants Jean-Armand, de nouvelles difficultés à cause de la diminution éventuelle des commandes de l’armée.
26Né en 1689, Jean-Armand n’avait que vingt-deux ans à la mort de son père. Il n’était donc pas encore majeur puisque sous l’Ancien Régime les roturiers n’atteignaient leur majorité qu’à vingt-cinq ans. C’est peut-être pour cette raison que Denise Catherine de la Balle semble être la seule, en théorie, à diriger pendant plusieurs années la boutique de la rue Saint-Honoré. Le 1er octobre 1719, elle s’associait officiellement avec son fils, Jean-Armand, tenant seul la caisse. Leur association dura huit ans puisqu’à la fin de l’année 1727, Denise Catherine décida de se retirer36. À cette date, l’actif de la société s’élevait à 749965 1t. 13 s. dont 622257 lt. 10 s. 10 d. pour les ventes au comptant et à crédit des marchandises de la société, 64399 1t. de dettes actives et un fonds de marchandises détenu dans la boutique et le magasin de la rue Saint-Honoré d’une valeur de 60911 lt. Le passif de la société comportait les achats de marchandises soit 513 572 lt. 15 s., les dépenses courantes comme la nourriture, les loyers (les Le Couteulx de la rue Saint-Honoré n’étaient donc toujours pas propriétaires), les gages des domestiques, la capitation et « autres choses » dont des dettes dues par la société et encore impayées atteignant 75420 lt. 16 s. Le bénéfice net au cours des huit années serait donc élevé à 96219 lt. 7 s. soit un profit moyen annuel de 12028 lt. En admettant que le chiffre d’affaires ait été de 686656 lt. en huit ans (en retranchant la valeur des marchandises en magasin et dans la boutique), soit 85 832 lt. par an, le profit d’exploitation annuel moyen atteignait donc 14 % ce qui constituait un résultat très honorable.
27En comparant la valeur des marchandises détenues en stock par la société Denise Catherine de la Balle – Jean-Armand Le Couteulx avec celle d’Armand-Jean Le Couteulx, on s’aperçoit qu’elle a augmenté d’environ 50 % passant de près de 40000 lt. en 1711 à 60000 1t. en 1727. Il est vrai cependant que la livre tournois en 1727 n’a pas la même valeur intrinsèque que celle de 1711. Les tissus proviennent pour l’essentiel des mêmes lieux de fabrication : Abbeville pour celles de la maison Van Robais, Louviers, Elbcuf, Rouen, Châteauroux du Berry, Sedan, les camelots sont originaires de Lille et d’Amiens, les serges d’Aumale et de Blicourt dans le Beauvaisis. Néanmoins, on constate quelques nouveautés. Le stock comprend des draperies venant du Languedoc, 63 aunes et demi de drap de Lodève à 7 lt. 10 s. l’aune soit 466 lt. 5 s., 23 aunes de molletons du Languedoc à 3 lt. l’aune. Les draperies d’origine étrangère ont été achetées en plus grande quantité, il s’agit outre des droguets et des flanelles d’Angleterre, des burattes de Segovie pour un total de 513 lt. et 102 aunes ½ des camelots de Hollande prisées à raison de 13 lt. l’aune, 1 333 lt. 10 s. Toutefois, l’essentiel est toujours représenté par des tissus de laine en provenance de la Picardie et de la Normandie. Quant aux draps de luxe, ce sont toujours ceux fabriqués à Abbeville par la manufacture de Van Robais qui sont les plus chers. Les 398 aunes ½ conservées en magasin prisées 8 169 lt. 5 s. à raison de 20 1 10 s représentent 13,4 % du montant total des marchandises, viennent ensuite les 308 aunes ½ de drap de Louviers au prix unitaire de 17 lt. qui sont estimées à 5 248 lt. 15 s. Les serges d’Aumale représentent toujours les plus grandes quantités mais elles ont un prix très bas, soit 24 sols l’aune, donc dix sept fois moins que celui des draps de la manufacture Van Robais.
28 Il est difficile d’établir d’après le bilan après le délaissement quels sont les producteurs de tissus auxquels la maison de la Balle – Le Couteulx fait appel. Quelques noms, en dehors de celui de Van Robais, apparaissent, il s’agit de Delacroix d’Elbeuf, de Lemonnier et fils de Leyde, de Salze l’aîné de Lodève, de Paignon de Sedan. Par ailleurs, la maison pour les derniers apprêts des tissus fait appel à un presseur, trois tondeurs, un épouteur chargé de débarrasser les étoffes de corps étrangers, un empaqueteur, à qui clic doit des sommes minimes ne dépassant pas quelques dizaines de livres. Si l’on ajoute que la société emploie au moins un commis de magasin, on peut la comparer à une petite entreprise.
29Les débiteurs de la maison sont en très grande majorité des nobles mais il n’est pas précisé s’ils doivent de l’argent en tant qu’officiers ou comme acheteurs de tissus pour leur propre consommation. Ainsi le comte de Polignac doit 2 820 lt., le duc de Livry 6665 lt., le marquis de Vaucourt 1 800 1t., un duc de la Rochefoucauld est encore débiteur de 1 969 lt. 10 s. (s’agit-il d’une ancienne dette ?), le marquis de Surgères, 2 801 lt. Figurent également parmi les débiteurs l’abbé de Livry, sans doute parent du duc de Livry et « Monsieur Barbe » avocat. Et la maison de la rue Saint-Honoré continue à être en rapport avec l’armée puisque le régiment de Livry lui doit 2344 lt. 14 s. et il n’est probablement pas le seul dans ce cas.
30Ce n’est pas seulement en raison de son grand âge que Denise Catherine de la Balle, elle ne mourut d’ailleurs que quinze plus tard en laissant des biens évalués à 160890 lt. et 10 s. 1 d.37, se sépara de la société qu’elle avait formée avec son fds en emportant immédiatement la moitié des profits soit 48 109 lt. 13 s. 10 d. En fait, elle avait un successeur en la personne de Denis de France originaire de Reims, fils de Jean de France, marchand-drapier de la ville du sacre. Le 22 janvier 1728, Denise Le Couteulx, fille de feu Armand-Jean et de Denise Catherine de la Balle, épousa à l’église Saint-Eustache, Denis de France, quelques jours après la signature de leur contrat de mariage devant le notaire Dclaballe, la jeune mariée apportait à son futur époux une dot de 15 000 lt.38. Puis, après son mariage, Denis de France s’associait avec Jean-Armand Le Couteulx qui avait bénéficié de la part de sa mère de 30000 lt. moyennant une rente de 1 500 lt., ce qui lui permit d’acheter pour 32 000 lt. une maison rue Saint-Honoré et la moitié des marchandises de draperies de leur société. Le contrat de société daté du 12 mars 1728 fixait le capital de l’entreprise à 47 126 lt. 9 s. 4 d. dont 11 070 lt. 9 s. 4 d. pour Denis de France et 36056 lt. pour Jean-Armand Le Couteulx. De plus, Charles Baudouin des Petits-Bois chevalier de l’ordre de Saint Louis leur avançait 15 000 lt.39. En vertu du contrat, la société devait durer six années mais elle fut ensuite prolongée de « bonne foi » jusqu’au 1er juillet 1743, date où elle fut résiliée40. Alors âgé de cinquante-quatre ans, Jean-Armand Le Couteulx décidait de se retirer abandonnant l’entreprise à son beau-frère tout en demeurant dans la maison de la rue Saint-Honoré, moyennant le paiement de 700 lt. par an pour sa pension. Denis de France demeurait donc le seul dirigeant de la maison de draperies et à ce titre était le seul responsable du paiement des « appointements et gages des garçons de magasin et des domestiques ». En revanche, le salaire des laquais tant que Jean-Armand n’en aurait pas à son seul service personnel, devait être partagé entre les deux anciens associés.
31Ceux-ci s’étaient engagés à faire dresser un bilan de tous leurs actifs. Il eut lieu le 1er juillet 1743 mais fut repris et complété lors du partage accompli en février 174541. D’après le premier bilan, l’actif de la société Le Couteulx – de France s’élevait à 353 425 lt. 18 s. soit 72502 lt. 10 s. 4 d. en marchandises, 28937 lt. 2 d. en effets de caisse et 229638 lt. 1 s. 1 d. en dettes actives bonnes tandis que les dettes actives douteuses et mauvaises étaient évaluées à 22 347 lt. 5 s.
32Comme le passif constitué pour l’essentiel de dettes atteignait 236270 lt. 10 s. 4 d. le bénéfice théorique aurait atteint 117 155 lt. 7 s. 8 d. En réalité, on ne pouvait avoir une véritable idée des profits réels qu’après avoir apuré tous les comptes, payé les dettes passives y compris le capital des deux associés et récupérer la totalité des dettes actives. D’où la formation en février 1745 d’un nouvel état de l’ancienne société qui fut dressé devant notaire. Les dettes actives douteuses et mauvaises furent abandonnées tandis que sur les dettes actives bonnes d’un montant de 229638 lt. 1 s. 1 d. les ex-associés n’avaient pu récupérer que 117 107 lt., il leur restait donc à percevoir approximativement 112 530 lt. Comme ils avaient réglé une partie de leurs dettes passives soit 170342 lt. et bien qu’ils devaient encore 65 928 lt., ils décidèrent de fixer leur bénéfice à 94 807 lt. 2 s. à partager par moitié entre eux. Mais ce bénéfice était-il indiqué ne pourrait être perçu qu’après l’apuration définitive de leurs comptes. Ils décidèrent pour y parvenir de se partager entre eux ce qui demeurait à percevoir et à payer. Jean-Armand Le Couteulx reçut pour 19 029 lt. 16 s. de dettes passives à payer et 42 011 lt. 10 s. de créances à recevoir tandis que Denis de France obtenait 70496 lt. 17 s. de créances et 46897 lt. 11 s. à payer : le bénéfice théorique de Jean-Armand était donc de 22 982 lt. tandis que celui de Denis de France aurait atteint 23 589 lt. Mais on ignore s’ils parvinrent à récupérer la totalité de ce qu’on leur devait. Enfin, Jean-Armand Le Couteulx abandonnait à son ex-associé la totalité des marchandises détenues par leur société. Elles n’étaient guère différentes de celles qui avaient été entreposées dans la boutique et le magasin de Denise Catherine de la Balle et de Jean-Armand Le Couteulx. On retrouvait les draps de la manufacture Van Robais d’Abbeville, ceux de Louviers, d’Elbeuf, des ratines de Sedan et de Darnétal et de Romorantin, des droguets d’Abbeville et du Languedoc, des camelots de Hollande, des burattes de Ségovie...
33Les produits nouveaux étaient rares. Les tissus les plus coûteux avec les ratines de Hollande évaluées à 23 lt. l’aune étaient désormais les draps de la manufacture des Andelys créée au xviiie siècle par des manufacturiers d’Elbeuf à 19 lt. l’aune alors que le prix de l’aune de la manufacture Van Robais avait baissé et ne valait plus que 18 lt. L’inventaire dressé à cette date permettait de dresser une liste plus précise qu’auparavant des fabricants de tissus de laine auxquels s’était adressée la maison Le Couteulx – de France. Il s’agissait de Durand de Louviers, de Paulet d’Elbeuf, de Flavigny des Andelys, de Fabreguette de Lodève, de Prothais de Beauvais, de Van Robais d’Abbeville déjà énoncé en 1727 comme Delacroix et Flambart d’Elbeuf ou Pitou de Louviers. Parmi les autres créanciers de la société, on retrouvait les artisans qui achevaient le travail de fabrication des tissus comme le teinturier Jullienne chargé de donner la dernière teinture à qui l’on devait 1 502 lt., une blanchisseuse de Boulogne à qui était due 710 lt. ou un presseur appelé Lefevre créancier de 751 lt.
34Les débiteurs étaient fort nombreux et le plus grand nombre appartenait à la noblesse et à l’armée.
35On trouvait plusieurs titrés comme les marquis de Créquy, de Rouvray, de Vibraye, de Colbert, de Lignères ou le comte de Razilly, des officiers de judicature étaient également clients de la société comme M. de Moras, maître des requêtes ou Monsieur de Pontcarré, premier président du Parlement de Paris, ainsi que plusieurs procureurs et avocats. La maison Le Couteulx – de France ne se limitait pas à une clientèle parisienne (l’origine rémoise de Denis de France pourrait l’expliquer), elle était en rapport avec de nombreux acheteurs provinciaux qui limitaient leurs achats à quelques dizaines ou à quelques centaines de lt. On en trouvait à Reims, Versailles, Le Havre, Le Mans et à Compiègne qui comportait dix clients.
36La maison n’avait évidemment pas abandonné le marché parisien. En dehors de la noblesse, sa clientèle comprenait plusieurs tailleurs, un marchand de vins, des horlogers, un peintre, un chirurgien, un orfèvre, un valet de chambre...
37Enfin, la dernière partie de la clientèle de la maison Le Couteulx – de France était composée par des officiers représentant des régiments de l’armée royale. Ces derniers n’avaient jamais abandonné comme fournisseurs les marchands-drapiers parisiens pour faire appel exclusivement à des fabricants provinciaux. Les officiers continuèrent à passer de nombreux contrats avec les successeurs d’Armand-Jean Le Couteulx et il ne semble pas que cela soit une exception même si des maisons de province ont ouvert des succursales dans la capitale42.
38On trouve de très nombreux régiments qui se sont adressés à la maison Le Couteulx – de France pour se fournir en tissus. Il s’agit des régiments de Livry, d’Egmont, de Vibraye, de Mailly, de Rozier, de Pons. Plusieurs officiers et sous-officiers sont également débiteurs à l’instar de Monsieur Blot du régiment de Livry, de Monsieur de la Fontaine du régiment de Saint-Maurice, de Monsieur de Najac capitaine d’un régiment non précisé, de Messieurs Hermand et La Volonté sergents, de Monsieur de Bussy, officier des gardes... L’importance de cette clientèle militaire s’expliquait sans doute par l’implication de la France depuis 1741 dans la guerre de la Succession d’Autriche, mais on peut penser que même en temps de paix les responsables des régiments n’avaient pas totalement déserté le marché parisien.
39Après la dissolution de la société, Jean-Armand quitta assez rapidement la maison où demeurait Denis de France pour aller s’installer non loin de là, dans un immeuble situé rue du Four. Ancien garde de la corporation des marchands-drapiers dès 1722, puis juge-consul de la juridiction consulaire parisienne en 1737 et enfin grand-garde de sa corporation en 1738, c’était un homme d’une grande aisance. Il était ainsi devenu propriétaire de deux maisons adjacentes situées l’une rue du Four et l’autre rue Saint-Honoré qu’il loua en 1759 à Claude-François Julliot marchand-bijoutier de Paris. Celle de la rue Saint-Honoré consistait en une boutique et cinq étages au-dessus de la boutique tandis que celle ayant vue sur la rue du Four comportait une boutique, une cuisine, des caves sous la cuisine et six étages de chambres. Moyennant ce versement de 3 600 lt. par an, Claude-François Julliot en devint locataire bénéficiant en outre au renoncement de Jean-Armand du droit qu’avaient « les bourgeois de cette ville de pouvoir expulser leurs locataires pour occuper eux-mêmes leurs maisons »43. Jean-Armand vint habiter rue Montmartre dans une maison appartenant à la fabrique Saint-Eustache où il accueillit une de ses sœurs et où il mourut en 1775, âgé de 86 ans. Mais il eut la peine de voir disparaître une dizaine d’années plus tôt son ancienne société qui, sous sa direction, était devenue une des plus puissantes de la capitale.
40Il avait pourtant décidé d’aider, après sa séparation, son beau-frère Denis de France en lui octroyant une somme de vingt mille livres en échange d’une rente de 1 200 lt44. En partie grâce à ce soutien, Denis de France dirigea donc seul son entreprise puisqu’à sa mort survenue en 1752. L’analyse de son inventaire après décès et le partage de sa succession permettent de penser qu’il n’a guère modifié la stratégie engagée par ses prédécesseurs45. La plupart des tissus de laine sont achetés auprès des mêmes fabricants qu’auparavant. Les draps de Van Robais figurent toujours parmi les tissus les plus coûteux. Il en existait 523 aunes dans le magasin et la boutique de Denis de France situés rue Saint-Honoré46 au prix unitaire de 19 lt. l’aune soit un total de 9937 lt. Les draperies de Louviers, Elbeuf, les Andelys, Damétal et Rouen étaient présentes comme celles de Sedan, de Châteauroux ou de Romorantin. Les serges venaient toujours d’Aumale et on trouvait en nombre important des camelots de Lille et de Reims, des tricots bleus de Beauvais. Au total, ces marchandises d’après la prisée opérée au moment de la confection de l’inventaire atteignaient la somme de 119 142 lt. 7 s. 8 d. mais au moment du partage de la succession, elles furent portées à 134513 lt. Ainsi, les stocks des sociétés successives depuis celles de Armand-Jean Le Couteulx avaient régulièrement augmenté puisqu’ils avaient été évalués à 40000 lt. en 1711, à 60991 lt. en 1727, à 72502 lt. 10 s. 4 d. en 1743. En une quarantaine d’années, la valeur des marchandises détenues par ces marchands-drapiers avait été presque quadruplée.
41Denis de France avait conservé une partie de la clientèle de sa précédente société, le marquis de Vibraye, le sieur de Moras, le comte de Polignac faisaient toujours partie de ses acheteurs, mais il en avait recruté d’autres comme le comte de Polastron, la marquise de Berville, la vidame de Vassue ou Victor Amédée de Savoie, prince de Carignan, premier prince de sang de Sardaigne, qui en 1751 demeurait à Paris au Palais du Petit Luxembourg47.
42Il en allait de même en ce qui concernait les officiers des régiments avec qui alors que la France était revenue en paix, il avait toujours d’étroites relations. Parmi ses débiteurs figuraient plusieurs officiers du régiment d’Egmont, un major du régiment d’Harcourt, un capitaine du régiment des Bons cavaliers, le trésorier des troupes de Strasbourg et celui des troupes de Caen, un capitaine du régiment de Wurtemberg. Parmi les papiers de Denis de France avaient été inscrites des lettres de change tirées sur le trésorier de l’ Extraordinaire des guerres datées de 1752.
43Il est difficile d’évaluer le total des actifs nets de l’entreprise de Denis de France. En effet, lors du partage de la succession en novembre 1762, il était indiqué que le montant des marchandises de draperies « prisées à leur juste prix et sans crue » s’élevait à 134513 lt., les dettes actives et les comptes courants créditeurs inscrits dans un Grand Livre atteignaient 266581 lt., les dettes actives réputées douteuses ou mauvaises étaient évaluées à 82438 lt. tandis que les effets en caisse montaient à 27 800 lt. 5 s. 5 d. Il fallait réduire les dettes passives soit 139442 lt. 6 s. ce qui donnait un actif net d’environ 371 890 lt. Mais, lors du partage final en 1762, la masse de la succession de Denis de France qui comportait également 10406 lt. 15 s, valeur des meubles et ustensiles de la boutique et de l’argenterie était réduite à 342 938 lt. avant qu’on procède à divers prélèvements en fonction des dots apportées à ses enfants.
44Au moment de sa disparition, Denis de France avait laissé quatre enfants : deux filles Armande Élisabeth Reine et Madeleine Victoire et deux fils Antoine-Denis et Armand-Jacques âgés respectivement de vingt-deux et quinze ans. Le cadet allait partir quelques années plus tard pour Amsterdam où après avoir travaillé dans plusieurs maisons de commerce, il allait s’associer avec un de ses parents éloignés Jean-Alexandre Botereau pour former de France Botereau et Cie commanditée par la maison de banque parisienne Le Couteulx et Cie. C’est donc Antoine-Denis qui allait prendre en charge, avec sa mère Denise Le Couteulx, veuve de France, la vieille maison de la rue Saint-Honoré.
45La société Veuve de France et fils qui vit le jour en juillet 1754 semblait bénéficier des meilleurs auspices. En se mariant quelques semaines après cette fondation, le 10 août 1754, avec Marie Françoise Henriette Le Couteulx, fille de Barthélemy III Le Couteulx, l’ancien associé jusqu’en 1745 de la maison parisienne Antoine-Denis recevait 50000 lt., dot que lui apporta son épouse et qui fut payée en deniers comptants à la veille de la bénédiction nuptiale. De son côté, sa mère Denise Le Couteulx lui donnait 30000 lt. imputées sur la succession de son père. Quant à Jean-Armand Le Couteulx, « receveur général charitable à l’Hôtel-Dieu de Paris », il offrait 10000 lt. à son neveu48. Deux jours auparavant, le môme Jean-Armand avait fait une donation d’une grande importance à sa sœur Denise en lui cédant une maison située au coin de la rue Saint-Honoré et de la rue du Four à l’enseigne du Paon, immeuble estimé à 60000 lt. en conservant cependant l’usufruit, mais il était prévu qu’après la mort du frère et de la sœur, la maison appartiendrait à Antoine-Denis de France49.
46La société Veuve de France et fils disposait lors de sa naissance d’un fond évalué à 255410 lt. 7 s. 3 d. composé de « bonnes dettes actives, marchandises, effets de caisse, espèces, meubles et ustensiles ». En principe, chacun des associés devait en apporter la moitié, soit 127 505 lt. 3 s. 7 d. En réalité, ce fut Denise Le Couteulx qui avança la totalité du capital à l’exception de 30000 lt. qu’elle avait accordé à son fils. En attendant qu’il soit capable de verser le reste de son capital, soit 87 705 lt. 3 s. 7 d., il devait payer un intérêt annuel de 4 % par an, jusqu’à ce qu’il y soit parvenu. La dot apportée par son épouse lui aura permis sans doute de diminuer le montant des intérêts qui lui étaient imposés.
47En 1755, alors âgé de 25 ans et devenu majeur, Antoine-Denis de France est inscrit sur la liste des membres de la corporation des marchands-drapiers de Paris. La Guerre de Sept Ans qui débute en 1756 semble avoir été une aubaine pour la société Veuve de France et fils qui va pouvoir bénéficier d’un immense marché. Le 1er juillet 1760, Denise Le Couteulx décide d’abandonner la société et se retirer chez son frère Jean-Armand qui demeurait alors rue Montmartre en laissant son fils aux commandes, mais ce dernier ne prévint pas les juges-consuls de ce retrait comme c’était une obligation, ce qui aura de funestes conséquences pour sa mère quand la société sera obligée de suspendre ses paiements, ce qui se produira en 1763.
48La documentation conservée ne permet pas de comprendre quelles ont été les causes qui ont été à l’origine de la disparition involontaire d’une des plus importantes sociétés de marchands-drapiers parisiens du xviiie siècle. Sans doute est-ce lié au fait que les régiments qui étaient les principaux débiteurs de Veuve de France et fils avec la haute aristocratie parisienne ont été incapables de rembourser leurs dettes.
49C’est devant les juges-consuls de Paris qu’est déposé le bilan de faillite de Veuve de France et fils50 , les créances actives de la société sont évaluées à 828 813 lt. 8 d. alors que les dettes passives montent à 996543 lt. 13 s. 6 d. Sa perte est donc d’environ 167730 lt. 12 s. ce qui évidemment est considérable.
50Les principaux créanciers sont comme d’habitude les manufacturiers du textile. On retrouve les anciens fournisseurs avec lesquels les différentes sociétés Le Couteulx – de France étaient attachés. Il s’agit des maisons de Sedan, Rousseau et Cie, représenté lors de la signature du concordat par Jean-Venant Rousseau et Paignon et Cie représenté par Étienne-Jean Paignon au nom de son oncle et associé Gilbert Paignon. Ces deux sociétés font partie des quatre manufactures royales et privilégiées de Sedan et celle de Paignon dont la manufacture de Dijonval a été reconstruite en 1755 est considérée comme la plus moderne de la ville51. Pierre Van Robais représente la manufacture Van Robais d’Abbeville d’une existence presque séculaire. Martin Jullienne est désigné comme étant l’entrepreneur de la manufacture de drap et de teinture des Gobelins, Louis Joseph Flavigny, dirigeant de la manufacture des Andelys, est également présent.
51 À ces manufactures s’en ajoutent désormais d’autres créées plus récemment et qui fabriquent des tissus de coton. Il s’agit de la manufacture de velours de coton de Saint-Sever fondée en 1752 et qui a pour raison sociale Holker Guillibaud et Morris dont le principal protagoniste John Holker a fait venir clandestinement des métiers d’Angleterre52. Cette manufacture est représentée lors du concordat par Philibert- Martin Guillibaud par ailleurs propriétaire d’une manufacture de faïence située également à Saint-Sever, faubourg de Rouen. Louis-Charles Pelletier, un marchand parisien représente la manufacture de velours de coton de Sens dont John Holker a également été un des initiateurs et qui comme celle de Saint-Sever utilise des métiers anglais53.
52Nombreux sont les fabricants dont les entreprises n’atteignent pas la taille des manufactures citées précédemment qui figurent parmi les créanciers. C’est le cas de Pierre Bourdon, d’Alexandre et Pierre Delacroix d’Elbeuf, de François Le Camus de Louviers, ce dernier étant considéré comme le plus actif des fabricants de draps de la ville.
53Tous les créanciers de Veuve de France et fils n’avaient pas gagné Paris pour y signer le concordat, la maison de la rue Saint-Honoré n’en est pas moins débitrice envers eux de sommes considérables, elle doit ainsi 30415 lt. 9 s. à la maison Fabreguette de Lodève, 6013 lt. à Boufflers de Beauvais, tandis que plusieurs fabricants de Romorantin disposent d’une créance globale de 119563 lt. 2 s.
54Les fabricants de tissus de laine ou de coton ne sont pas les seuls créanciers de la maison. Celle-ci doit des sommes certes moins importantes à plusieurs marchands parisiens, à un maître boutonnier, un marchand de galons tandis que 4 837 lt. 9 s. sont dus à des ouvriers apprêteurs.
55Au moment où elle s’effondre, la société Veuve de France et fils avait emprunté des fonds considérables à plusieurs membres de la famille Le Couteulx à l’exception des dirigeants des maisons de Paris et de Rouen. C’est ainsi qu’elle devait en vertu d’une créance portant intérêt 91 007 lt. à Jean-Armand Le Couteulx, 112037 lt. à Botereau et Cie de Rouen animée par Marie-Marguerite Le Couteulx et son fils Jean-Philippe Botereau, une demoiselle Le Couteulx probablement Marguerite, la sœur de Denise et de Jean-Armand était créancière de 11000 lt. prêtées par billets tandis que Barthélemy III Le Couteulx, le beau-père d’Antoine-Denis de France possédait une créance de 25 000 lt. et son fils Barthélémy-Etienne trésorier du Bureau des Finances de Paris 25420 lt. Au total, ces différents membres de la dynastie Le Couteulx avaient placé près de 265 000 lt. dans une société qui devait leur être chère.
56 Parmi les actifs de Veuve de France et fds on trouve deux placements apparemment étrangers aux activités traditionnelles d’un marchand-drapier. Le premier, d’un montant de 1 000 lt., a été placé sur un navire corsaire nommé le Maréchal duc de Biron dont le responsable est un armateur de Boulogne54. Le second, d’un montant de 7 500 lt., a été investi dans une manufacture de savon d’une « composition nouvelle » fondée en 1755 par des banquiers parisiens Vollaire et Mongirod en compagnie de Jean-Louis Bethman, de Jean Couturier ainsi que de François Gondot, avocat au Parlement de Paris, qui à l’origine devait être établie à Libourne en Guyenne mais qui fut ensuite transférée à Sète55. François Gondot qui disposait d’un sol d’un montant de 15 000 lt. en revendit la moitié soit six deniers ou 7 500 lt. à Antoine-Denis de France.
57La clientèle de Veuve de France et fils est comparable à celle de ses prédécesseurs. Elle est divisée pour l’essentiel en trois catégories : la noblesse, les officiers et les régiments et les tailleurs. Mais ce qui semble avoir changé considérablement c’est l’importance de la clientèle militaire, ce qui s’explique par le contexte de la Guerre de Sept Ans.
58L’aristocratie nobiliaire est demeurée fidèle à Veuve de France et fils. Parmi les débiteurs de la maison de la rue Saint-Honoré, on trouve Armand du Plessis duc de Richelieu et le duc de Fronsac devant respectivement 7219 lt. et 6441 1t. pour des fournitures reçues, le comte de Touwianski, grand chambellan du roi de Pologne (840 lt. 15 s.), le duc d’Aiguillon (3 651 lt.), le marquis d’Antigny (2769 1t. 4 s.), le marquis de Cambil (3460 lt.), le marquis de Villeroy (9239 1t. 8 s.), le comte de Choiseul (1 764 lt.), la duchesse de Lauraguais (2421 1t. 9s. 2 d.)... Le plus souvent les nobles doivent fréquemment plus de 1 000 lt. mais il arrive que des femmes soient moins endettées. La créance de la comtesse de Breteuil n’atteint que 352 lt., tandis que celle de la comtesse de Bleirac ne se monte qu’à 453 lt.
59Il n’existe que quelques membres du clergé qui aient été en relation avec Veuve de France et fils. Il s’agit du cardinal de Luynes débiteur pour 4926 lt. ou l’évêque de Condom.
60La plupart des roturiers ont le plus souvent des dettes inférieures au millier de livres, mais ce n’est pas toujours le cas, ainsi les tailleurs Friot, Driolat et Le Roux de Paris ont acheté des étoffes d’un montant respectif de 1 005 lt. 10 s. 3 d., 2 862 lt. 17 s. 6 d. et 2 498 lt. 15 s. et un certain Parmentier leur doit 30933 lt. Parmi les débiteurs appartenant au Tiers État figurent plusieurs notaires et chirurgiens, un procureur, un peintre...
61La plus grande partie de la clientèle de Veuve de France et Fils est, comme on l’a indiqué, constituée par les officiers et les régiments de l’armée française qui doivent 397920 lt. 12 s. Il faut ajouter les bonnes dettes de 149 officiers qui semblent avoir agi individuellement qui se montent à 62 128 lt. et les dettes douteuses de 47 autres officiers atteignant 12454 lt. 9 s. 8 d. Ces trois chapitres atteignent 471 503 lt. 9 s. soit plus de la moitié des dettes dues à la maison Veuve de France et fils. Il s’agit en fait d’un minimum car on devrait y ajouter une partie des effets bons solides qui comprennent les billets de régiments et d’officiers.
62Les régiments avec lesquels Veuve de France et fils sont en relation sont beaucoup plus nombreux que ceux qui l’étaient avec Le Couteulx – de France ou Denis de France. La société a fourni des tissus à cinq régiments d’infanterie dite française, quatre régiments d’infanterie dite étrangère, dix régiments suisses, cinq régiments de dragons, cinq régiments de cavalerie, le régiment des gardes-françaises, celui des gardes-suisses, la gendarmerie de la Tournelle... Cela témoigne qu’un conflit de grande ampleur comme celui de la Guerre de Sept Ans permet à un grand nombre de marchands et de négociants de disposer de marchés considérables. Mais il existe un danger auquel ne semble pas avoir échappé la société Veuve de France et fils : on n’est pas payé suffisamment tôt pour rembourser ses propres fournisseurs ou ceux qui vous ont offert des crédits.
63Le concordat fut signé entre Denise Le Couteulx qui représentait malgré elle la société qu’elle avait désiré quitter en 1760 alors que Antoine-Denis de France avait disparu. Elle s’engageait à régler 50 % de ses dettes passives en donnant la priorité aux créanciers n’appartenant pas à sa famille. Par ailleurs, les ouvriers apprêteurs à qui la maison devait 4387 lt. 9 s. reçurent la totalité de leurs créances.
64La faillite de Veuve de France et fils n’entraîna pas la ruine de Denise Le Couteulx. Peu avant sa mort, elle rédigea un testament le 18 juillet 1765 dans lequel elle réduisait Antoine-Denis à sa légitime en lui reprochant toujours de ne pas avoir mis fin à sa participation dans la société à laquelle elle était engagée pendant six années56. Un de ses gendres Charles-Julien Quevanne fut chargé par elle de récupérer les sommes dues à la société et de les partager entre les trois autres enfants de Denise Le Couteulx qui en avait fait ses légataires universels. En 1768, ils reçurent chacun 40000 lt. puis 8000 lt. en 1772 et 1 500 1t. soit un total de 148 500 lt., somme importante et il restait encore quelques créances à récupérer57.
65On manque de précisions sur la destinée ultérieure de Antoine-Denis de France. Sa mère avait espéré qu’il continuerait à poursuivre ses activités de marchand-drapier afin de pouvoir régler les dettes de la société. Il n’en fut rien puisque Antoine-Denis qui vécut quelques années rue de Paradis fut qualifié de « ci-devant » marchand-drapier et absent en raison de sa « retraite » bien qu’il fût âgé de trente-cinq ans seulement58.
66Plus de cent vingt ans après l’établissement à une société de marchand-drapier par cette branche des Le Couteulx, la vieille maison de la rue Saint-Honoré disparaissait. Toutefois, il ne s’agissait pas d’un choix délibéré afin de pouvoir quitter le monde du commerce mais du résultat d’une orientation, la fourniture de tissus aux armées qui en fin de compte s’était révélée téméraire.
Notes de bas de page
1 A.N.M.C. et XX/351, 1er janvier 1678. Compte des biens de Jacques I Le Couteulx établi par Daniel II Le Couteulx et Jacques II Le Couteulx.
2 Dom Charles Le Couteulx, Remarques généalogiques...
3 A.D.S.M. 2 E 1/1153. 19 avril 1640.
4 A.N.M.C. Et. XX/290, 4 août 1658.
5 A.N.M.C. Et. LXXIII, 355, 6 décembre 1639.
6 Idem.
7 Archives Le Couteulx. Généalogie de 1786.
8 A.N.M.C. Et. LXI/198, 10 juillet 1642. Contrat de société Brillet, Le Couteulx, Parisot. Jacques I Le Couteulx qui est présent lors de la signature du contrat s’engage à le faire ratifier par son neveu encore incapable de s’engager car il n’a pas encore vingt-cinq ans.
9 A.N.M.C. Et. LXI/202, 19 décembre 1644.
10 A.P. Fichier des baptêmes, mariages et sépultures des paroissiens de Saint-Eustache. À sa mort en avril 1697 il est toujours désigné comme marchand-drapier.
11 A. Pardailhé-Galabrun, op. cit., p. 93. En 1684 Jean VII Le Couteulx réside rue Saint-Honoré au coin de la rue des Prouvaires, maison louée au Sieur Chassebrac. B.N.M.F. 8603 État de Paris en 1684.
12 Abraham du Pradel, op. cit., t. I, p. 10.
13 A.N.M.C. Et. X : 109, 25 avril 1656. Sur ces 10000 lt. Jean VII reçut 2 500 lt.
14 A.N.M.C. Et. CXIII, 5 mai 1671. La minute a disparu, elle est indiquée dans le répertoire n° 6.
15 A.N.M.C. Et. XC/212, 25 novembre 1675.
16 A.N.M.C. Et. IX, 447, 11 septembre 1673.
17 D. Saint-Joanny, Registre des délibérations et ordonnances des marchands-merciers de Paris, Paris, 1878, p. 224.
18 G. Denière, La juridiction consulaire de Paris 1563-1792, Paris, 1872, p. 57.
19 A.N.M.C. Et. IX/532, 9 mai 1697. Partage de la succession de Jean Vil Le Couteulx.
20 A.N.M.C. Et. IX/513, 7 mai 1692.
21 A.N.M.C. Et. IX/582, 29 octobre 1711. Inventaire après décès d’Armand-Jean Le Couteulx. Le contrat de mariage avait été signé le 6 juin 1683 devant le notaire De la Balle mais la minute comme d’autres de ce notaire a disparu.
22 Sur les dettes de François Vil duc de la Rochefoucauld, cf. A.N.M.C. Et. XLII/324, 3 août 1703 et A.N. 01 47, 31 août 1703. L’ensemble de la dette due à Armand-Jean Le Couteulx ne sera pas réglée puisque par une sentence du 14 février 1716, le duc de la Rochefoucauld est condamné à payer à Denise Catherine de la Balle veuve d’Armand-Jean 2 800 lt. 16 s. 6 d.
23 A.N. G/7/1692. État des marchandises de draperie et autres étoffes de laine envoyées à la Halle aux Draps pour y être marqués par Savary des Brulons. 1709. Ces pièces de draps proviennent essentiellement d’Aumale (2315 pièces 1/2), d’Amiens (1312 pièces), Beauvais (2710 pièces), Châteauroux (565 pièces), Elbeuf (689 pièces 1/2).
24 A.N.M.C. Et. XL/VIII/17, 10 juillet 1703. Extrait des délibérations du corps des marchands-drapiers de Paris.
25 Ces titres sont constitués devant le notaire Ballu (étude XLVII) à partir du 10 juillet 1703.
26 Registre des délibérations du Bureau de la Ville de Paris, t. XIX. 1624-1628, Paris, 1958, p. 385. L’échantillon présenté par Claude Male n’ayant pas été accepté, ce fut un autre marchand-drapier qui fut chargé de remplir le contrat.
27 D. Dessert, op. cit., p. 384.
28 J. Chagnot, Paris et l’ ’armée au xviiie siècle. Étude politique et sociale, Paris, 1985, p. 255.
29 Cf. A.N.M.C. Et. XLV111. répertoire 1. La quasi-totalité des minutes a disparu.
30 A.N.M.C. Et. XVI/606, 12 octobre 1695.
31 A.N.M.C. Et. XLVIII, répertoire 1. Minute du 23 août 1698. Elle manque.
32 J. Chagnot, op. cit., p. 255.
33 A.N.M.C. Et. IX/574, 25 janvier 1709. Contrat Armand-Jean Le Couteulx – Charles de Courteille.
34 A.N.M.C. Et. IX/582, 29 octobre 1711. Inventaire après décès de Armand-Jean Le Couteulx.
35 Ce type de situation est très répandu chez les marchands-drapiers. Cf. A. Pardailhé-Galabrun, op. cit., p. 327.
36 A.N.M.C. Et. CXIII/315, 30 décembre 1727. Délaissement de société par Denise Catherine de la Balle. Il est indiqué qu’il lui était du pour son compte particulier la somme de 126369 1t. 2 s. comprenant ce qu’on lui devait au moment de la constitution de la société en 1719 auxquels s’ajoutaient des billets de banque et des rentes sur l’Hôtel de ville.
37 A.N.M.C. Et. XVI/706, 7 novembre 1742.
38 Sur le mariage, B.N.M.F. 32587. Mariages de Saint-Eustache, la minute du mariage manque mais la dot est indiquée dans les papiers de l’inventaire après décès de Denis de France. AN. M.C. Et. LXXXVI/654, 6 novembre 1752. Inventaire après décès de Denis de France.
39 A.N.M.C. Et. CXIII, la minute du 12 mars 1728 contenant l’établissement de la société entre Jean-Armand Le Couteulx et Denis de France manque mais son résumé figure dans la dissolution et le partage de la société. A.N.M.C. Et. LXXXVI/623, 23 février 1745.
40 A.N.M.C. Et. LXXX111/385, 17 juillet 1743. Désistement de société Mrs Le Couteulx et de France.
41 A.N.M.C. Et. LXXXVI/623, 23 février 1745.
42 J. Chagnot estimait lui que les régiments après la Guerre de Succession d’Espagne avaient abandonné les marchands-drapiers parisiens. Cf. J. Chagnot, op. cit., p. 273.
43 A.N.M.C. Et. LXXVII/735, 30 juillet 1759.
44 A.N.M.C. Et. LXXXVI/623, 23 février 1745.
45 A.N.M.C. Et. LXXXVI/654, 4 décembre 1752. Inventaire après décès de Denis de France, A.N.M.C. Et. XVI/754, 16 novembre 1762. Partage de la succession de Denis de France.
46 Dans la boutique au rez-de-chaussée sont entreposés deux corps d’armoires où sont empilés les tissus avec 20 guichets fermant à clef. Dans le magasin au 1er étage deux comptoirs, une table de bois, un marchepied en forme d’échelle, etc., le tout pour 120 lt.
47 A.N.M.C. Et. LXXXVIII/619, 1er juin 1751.
48 A.N.M.C. Et. XCVIII/754, 10 août 1754.
49 A.N.M.C. Et. XCVIII/754, 8 août 1754.
50 A.D. Paris D4 Bg 25 – 1285. Bilan de faillite de Veuve de France et Cie 25 juin 1763. Il existe également le concordat établi avec les créanciers. AN. M.C. Et. XVI/756, 22 avril 1763. Il diffère du bilan de faillite.
51 Sur les manufactures de Sedan, Cf. G. Gayot, Les draps de Sedan 1646-1870, Paris, 1998.
52 P. Dardel, op. cit., p. 124.
53 P. Butel, L’économie française au xviiie siècle, Paris, 1993, p. 215.
54 Il figure dans l’inventaire après-décès de Denise Le Couteulx veuve de France. AN. M.C. Et. LXXVII/754, 19 septembre 1765.
55 A.N.M.C. et LXXXIII/444, 21 octobre 1755.
56 Testament déposé 1 8 octobre 1765. AN. M.C. Et. LXXVIII/754.
57 A.N.M.C. Et. XXVI/628, 31 mars 1775.
58 C’est ainsi qu’il est qualifié lors de la première tentative d’inventaire de sa mère. Cf. A.N. M.C. Et. LXXVIII/754, 11 septembre 1765.
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Capitalisme et catholicisme dans la France moderne
Ce livre est cité par
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