Le notariat, métier d’appoint pour les prêtres des monts du Forez (vers 1300-vers 1450)
p. 165-176
Texte intégral
1Grâce aux dix mille testaments enregistrés à Lyon et Montbrison au cours des xive et xve siècles1, on sait qu’un notaire sur cinq était prêtre dans les comtés de Lyonnais et de Forez2. Constat déroutant puisqu’en principe le droit canon interdit ce cumul3. Or l’official de Lyon investit des notaires dans tout le diocèse. Dans le comté de Forez, les notaires reçoivent pour la plupart la double investiture, celle du comte de Forez et celle de l’officialité4. Le prêtre notaire n’est donc pas dans la région une exception tolérée, mais un agent des pouvoirs ecclésiastique et civil.
2Les prêtres notaires se rencontrent surtout dans les villages, fort peu dans les villes et les bourgades. Leur densité est particulièrement élevée en montagne, comme on le constate en Lyonnais, en Beaujolais et en Forez. Les monts du Forez, qui bornent le comté à l’ouest, ont à la fois les plus fortes altitudes (1634 mètres à Pierre-sur-Haute) et la proportion de prêtres la plus élevée parmi les notaires (près de 40 %).
3Pentes escarpées, climat froid et humide, peu de prieurés5, peu de routes, aucune ville, une économie reposant sur l’élevage... Les « monts du Soir » sont un petit monde à part, et la visite pastorale de 1378-1379 témoigne de la rudesse de ses mœurs6. Pourtant, il faut se garder de taxer d’archaïsme la forte densité de prêtres notaires que l’on observe alors dans ces montagnes. C’est, bien au contraire, une nouveauté. Le réseau notarial ne se met en place dans le comté qu’au cours du xive siècle, et c’est entre 1370 et 1400 que le pourcentage de prêtres notaires est le plus fort. Il diminue par la suite. Aucun texte ne dit pourquoi il y a tant de prêtres notaires dans le comté ni pourquoi il y en a davantage en montagne qu’en plaine. Ces pages tenteront d’avancer quelques hypothèses, mais l’enquête est loin d’être achevée. Je rappellerai tout d’abord quelle est la répartition des prêtres notaires dans l’espace forézien, puis dans quel cadre juridique s’exerce le métier de notaire, en particulier comment s’élaborent les testaments.
4Le fait majeur semble être en effet le bouleversement de la pratique testamentaire qui accompagne la mise en place du réseau notarial : passage du testament oral au testament écrit, enregistrement obligatoire, recul de la coutume devant le droit savant... Ce qui renforce le contrôle du pouvoir sur les habitants7. On est donc tenté de voir dans les prêtres notaires les agents actifs d’un vaste effort d’encadrement poussé jusqu’aux villages où les notaires non-prêtres n’ont pas envie d’aller s’installer.
5J’esquisserai ensuite le rôle du prêtre notaire dans son village, et terminerai par quelques remarques sur l’évolution de ce cumul de fonctions.
Répartition des prêtres notaires
6Faute de registres notariés, l’observatoire privilégié de l’activité des hommes de loi est le corpus des testaments. Les quelques 6 000 actes enregistrés par la cour du comte de Forez entre 1300 et 1450 environ permettent de repérer environ 1754 notaires dont 336 étaient prêtres, soit 21,6 %8. Si l’on pointe sur la carte des 250 paroisses du comté les 336 prêtres notaires, on constate qu’il y en a partout, mais avec une plus forte densité sur la rive gauche de la Loire. Si l’on sélectionne parmi les praticiens ceux qui fournissent plus de cinq occurrences, on constate que les notaires non-prêtres, qui n’ont que les fonctions d’homme de loi, qui peuvent fonder une dynastie de notaires, dominent dans les principales agglomérations. Les petites villes sont à la fois carrefours routiers, lieux d’échanges et principales châtellenies comtales. Ce dynamisme attire9.
Tableau I. Nombre de notaires fournissant chacun plus de cinq occurrences
Notaires non-prêtres | Prêtres notaires | Total | |
Villes | |||
Montbrison | 23 | 5 | 28 |
Feurs | 19 | 2 | 20 |
Saint-Haon-le-Châtel | 18 | 3 | 21 |
Saint-Germain-Laval | 16 | 1 | 17 |
76 | 11 | 87 | |
= 87,3 % | = 12,6 % | = 100 % | |
Campagnes | 179 | 61 | 240 |
= 76,2 % | = 23,7 % | = 100 % | |
dont monts du Forez | 47 | 30 | 77 |
= 61,0 % | = 38,9 % | = 100 % |
7Dans les campagnes, les prêtres notaires représentent un peu moins de cinq occurrences (23,7 %). Il en est de même dans le comté de Lyonnais, proche voisin, du moins dans les secteurs ruraux où tous les testaments ont pu être utilisés10.
8Le prêtre notaire est donc dans la région un personnage avant tout campagnard. Mais d’un village à l’autre, d’une châtellenie à l’autre sa place est fort variable. Un des facteurs de variation est l’altitude. C’est dans les monts du Forez, lieu le plus élevé de l’ensemble formé par le Lyonnais et le Forez, qu’elle est la plus remarquable : 38,9 %. Aussi les exemples seront-ils pris de préférence dans ce massif.
Les monts du Forez
9Ils tiennent peu de place sur la carte de France. Leur altitude est modeste (1634 mètres à Pierre-sur-Haute). Mais ils s’élèvent brusquement au contact des fossés d’effondrement qui les jouxtent (plaines d’Ambert, du Forez, de Roanne). La barrière se prolonge au nord par les Bois Noirs et les monts de la Madeleine, au sud elle se soude au Velay. Les pentes sont rudes et les vallées tortueuses. La route de Lyon à Clermont se faufile entre monts du Forez et Bois Noirs, imitée de nos jours par l’autoroute. Le comte de Forez créa la châtellenie de Cervière pour contrôler cet important passage.
10Car de l’autre côté, c’est l’Auvergne, et les Auvergnats, tantôt souhaités, tantôt redoutés. Même en temps de paix, leur voisinage n’est pas toujours pacifique. Quand les visiteurs épiscopaux arrivèrent dans la paroisse de Sauvain, les paroissiens leur racontèrent que lors de la dernière fête de la Nativité de la Vierge, le curé cacha sa concubine dans le clocher de l’église par crainte des vachers de Valcivières qui auraient pu la suborner et l’emmener de force avec eux11.
11Au sud de la route de Clermont, la montagne est plus isolée. Il n’y a pas de châtellenie comtale, il faut descendre à Montbrison, qui se trouve au contact de la plaine et des monts, à 375 mètres d’altitude. Les paroisses dont le terroir s’étend entre 850 mètres et les sommets forment un monde à part qui n’a ni route, ni bourg, ni prieuré. Ce petit monde présente maint trait particulier, tel le partage, plus connu des voisins auvergnats que du reste du Forez. Les 35 paroisses où les testateurs ont coutume de léguer les « vaches dotales », étudiées par Marguerite Gonon, se trouvent presque toutes dans les monts du Soir12. La zone où les testateurs indiquent couramment les noms des vaches qu’ils lèguent est encore plus restreinte. Signes que la montagne vivait déjà de l’élevage bovin. Sa partie supérieure, qui fut pendant des siècles le domaine des estives, est jalonnée par les ruines des jasseries.
12Les villages de la montagne n’admirent pas sans réticence le droit savant que les notaires étaient chargés de promouvoir. Ils conservèrent plus longtemps que les autres le testament oral.
Notariat et testaments. Le cadre juridique
13La cour comtale de Forez décida dès la fin du xiie siècle d’enregistrer les testaments. Cet usage s’installa peu à peu et c’est ce qui permet de suivre l’évolution de la procédure en même temps que le développement du notariat. La place manque ici pour retracer en détail ce mouvement dont voici les traits essentiels.
14Les notaires sont institués par le chancelier de Forez qui reçoit leur serment et fait consigner dans ses registres le seing manuel de chacun d’eux. Les notaires, qu’ils soient prêtres ou simples clercs, et même lorsqu’ils portent le titre de notaire public, ne peuvent pas instrumenter en toute indépendance. Ils doivent porter à la cour les actes qu’ils ont reçus pour scellement. Ceux de la montagne doivent, comme les autres, descendre de temps à autre à Montbrison avec une pleine sacoche de lettres à authentiquer. Ainsi fait par exemple dom Jean de Châteauneuf, prêtre juré de la cour de Forez, qui instrumente à Chalmazel, paroisse située à 900 mètres d’altitude qui reçoit entre 1349 et 1376 au moins sept testaments de Chalmazel et Saint-Just-en-Bas, dont cinq publics et deux nuncupatifs oraux.
15Le Forez connut en effet trois procédures testamentaires13. Le testament solennel ne fut guère utilisé que par les nobles et des bourgeois de Montbrison voulant ordonner leur succession longtemps à l’avance. Il est écrit sur un parchemin qui est scellé et présenté clos à des témoins qui y apposent leurs propres sceaux sans en connaître la teneur. Cette forme de testament disparut rapidement, bien avant la fin du xive siècle. Le testament nuncupatif oral est dit par le testateur qui est le plus souvent « sain d’esprit mais malade de son corps » et s’attend à mourir bientôt. Le groupe des parents et voisins rassemblés autour de lui écoute. On compte uniquement sur la mémoire des témoins, dont le nombre et la qualité importent peu, pour faire appliquer les volontés du testateur après le décès de celui-ci.
16Nous ne connaîtrions rien des testaments de ce genre si le comte de Forez, aussi bien que les autorités ecclésiastiques, n’avaient fait pression sur les habitants pour que les volontés du testateur soient mises par écrit et le tout transformé en un document authentique par les soins d’un notaire. Les proches du défunt prennent donc l’habitude de faire les démarches nécessaires, mais ce peut-être longtemps après. Ainsi, Jean Girard, paroissien de Saint-Just-en-Bas, teste le 29 septembre 1370. Sollicité par la famille, le juge de Forez charge un sergent de convoquer les témoins qui comparaissent le mardi suivant la fête du Corps du Christ (le 6 juin 1374), devant Mathieu Poyet, clerc juré de la cour. Ce dernier note les dépositions des témoins, rédige le testament, qui est mis en forma publica à Montbrison le 10 juin suivant et sera recopié par les soins du scribe de la cour dans le registre où nous le lisons14.
17L’official du diocèse surveille lui aussi l’élaboration des testaments. Un statut synodal de Guillaume de Bourg, qui fut official entre 1331 et 1326, enjoint aux curés et vicaires d’enquêter dans leurs paroisses car les testaments de certains défunts n’ont pas été publiés. Il faut donc interroger les habitants, rédiger le testament et en apporter le texte au prochain synode pour le faire authentiquer15. Ce statut est valable pour tout le diocèse, donc doit être observé en Forez aussi. Il pourrait y avoir concurrence entre le pouvoir comtal et l’officialité. En fait l’accord dut se faire très vite, car la majorité des notaires du Forez sont jurés des deux cours à la fois et font authentiquer leurs actes à Montbrison.
18Une troisième procédure s’introduisit au début du xive siècle et ne tarda pas à devenir celle de la majorité des testaments. C’est le testament que les juristes appellent public, le testament conforme au droit romain. Il se fait devant sept témoins « mâles et pubères » dont le rôle est passif, car le testament est mis par écrit de suite et par un notaire habilité. Procédure qui bouleverse les habitudes : le témoignage écrit remplace le témoignage oral. Changement appréciable car les témoins mouraient parfois trop tôt, ou se contredisaient... Le latin prend la place du franco-provençal que parlent les habitants, le droit savant remplace la coutume. Ceux qui veulent tester doivent s’adresser à un notaire, et le contrôle de cet acte privé par les pouvoirs civil et ecclésiastique s’en trouve renforcé.
19Mais le testament nuncupatif oral était adapté à une société rurale peu familiarisée avec l’écrit, il ne coûtait rien puisqu’il suffisait de rassembler autour du testateur la famille et les voisins... Aussi ne disparut-il jamais définitivement. Chaque épidémie de peste, chaque cas d’urgence où il est difficile de trouver un notaire, lui valut un regain de faveur.
20Les statuts synodaux du xiiie siècle interdisent aux fidèles de tester hors de la présence d’un prêtre. Injonction répétée encore au début du siècle suivant dans le diocèse de Lyon16. Le prêtre, dans la plupart des cas, est là, puisqu’il vient administrer le malade. Aussi est-il mentionné parmi les témoins dans les testaments nuncupatifs oraux. Ainsi, dans l’exemple donné plus haut, dom Michel Pitaval, curé de Saint-Just-en-Bas, qui a donné les derniers sacrements à Jean Girard, est le premier témoin nommé. Mais lui n’était pas notaire et ne pouvait rédiger le testament dans les formes légales.
Les activités du prêtre notaire
21Le corpus des testaments du Forez permet de compter et de localiser 336 prêtres notaires qui ont instrumenté entre 1300 et 1450 environ. Mais cette source sérielle, précieuse à plus d’un titre, renseigne peu sur la carrière et les activités de ces notaires prêtres, sur leur vie au contact des fidèles et clients. Seuls 41 d’entre eux figurent dans la série B en tant que testateurs, dont sept seulement vivaient dans la montagne au moment de tester. Tous font preuve d’une grande discrétion : quatre sur 41 seulement signalent en testant leur qualité de notaire. On repère les autres, grâce aux testaments qu’ils ont reçus en tant que jurés de la cour comtale et/ou de la cour de l’official, sans être assuré de les répertorier tous.
22Comme le Forez n’a conservé que des bribes de registres notariés, dont aucun de notaire prêtre, seule émerge une petite partie de l’iceberg et il faudrait mettre à contribution beaucoup d’autres documents17. La Visite Pastorale de 1378-1379 dresse le portrait sommaire d’environ 400 paroisses, abbayes et prieurés examinés en six mois. Portrait dans l’ensemble consternant. Il n’en apporte pas moins des données intéressantes sur les prêtres notaires. En confrontant ce texte au corpus des testaments du Forez et du Lyonnais, l’abbé Merle a identifié parmi les membres du clergé 23 prêtres notaires, dont 19 en Forez et quatre en Lyonnais. Sur 23, 17 sont curés, quatre vicaires et deux prébendiers. Cinq sont curés dans les monts du Forez.
Tableau 2. Prêtres notaires des monts du Forez en 1378-1379
Nom | Activités | Observations |
Pierre de Croso. Curé de Cervières. Juré de la cour de Forez | reçoit 17 testaments | pas de feu dans l’église |
Hugues Flayat. Curé d’Essertines dès 1358. Juré de la cour de Forez. Teste en 1397 | reçoit 9 testaments | bon état, sauf absence d’eau dans les fonts |
Thomas Doyvon. Curé de Rochefort. Juré des deux cours | reçoit 20 testaments | concubine et enfants |
Pierre Perreton. Curé de Saint-Just-en-Bas dès 1369. Juré des deux cours | reçoit 2 testaments. Fait un terrier pour le chapitre en 1369-1370 | concubine et enfants |
Jean Philippon. Curé de Saint-Just-en-Chevalet. Teste en 1392 | reçoit 10 testaments | église neuve et cure en reconstruction |
23Chacun de ces prêtres notaires réside dans la paroisse dont il est chargé et il est présent au moment de la visite. Leurs églises sont relativement bien tenues. Tous ne respectent pas le célibat : deux d’entre eux vivent en famille dans la maison de la cure. C’est alors un moindre mal.
24De proches paroisses de la montagne connaissent des situations plus difficiles. Le curé de Saint-Jean-la-Vestre est tavernier, ivrogne, de mauvaise vie et conversation déshonnête. Les visiteurs épiscopaux le font enfermer dans les prisons du château de Chalmazel. Le précédent curé de Saint-Just-en-Chevalet, devenu depuis chanoine à Montbrison, est accusé d’avoir violé une femme enceinte et d’avoir enterré au cimetière un insensé. Le curé de Saint-Romain-d’Urfé a couché avec une de ses paroissiennes dans l’église même ; celui de Sauvain a incendié la maison de la cure18. Dans l’ensemble de la visite pastorale, les prêtres notaires sont parmi ceux qui ont le comportement le plus raisonnable et qui s’occupent mieux de leur paroisse. Leur double fonction contribue sans doute à les fixer.
25Les testaments que reçoit le prêtre notaire proviennent des environs immédiats. Dom Étienne Mochon, qui teste à Saint-Bonnet-le-Courreau en 1427, reçut cinq testaments de la paroisse même, un de Châtelneuf, un de Sauvain et un de Roche19. Il s’agit là, bien entendu, d’un minimum : les testaments ne nous sont pas tous parvenus. D’autre part, les notaires non-prêtres, dont beaucoup sont installés dans les localités les plus importantes, en reçoivent davantage.
Tableau 3. Notaires recevant chacun plus de dix testaments
115 notaires non-prêtres sur 1639 soit un sur 14 37 prêtres notaires sur 336 soit un sur 9 115 notaires non-prêtres reçoivent 2124 testaments soit 18,4 chacun 37 prêtres notaires reçoivent 564 testaments soit 15,2 chacun |
26Ce n’est pas faute de temps libre que les prêtres notaires reçoivent moins de testaments que les autres. Certains en effet confectionnent des terriers, besogne longue et absorbante s’il en fut. Ainsi, le vicaire de Luriecq, paroisse située non loin de Saint-Bonnet-le-Château, réalisa en 1370 un terrier au profit de la commanderie de Montfaucon20.
27Deux terriers des biens que détenait dans les monts du Forez le chapitre collégial de Saint-Just de Lyon furent confectionnés par des prêtres notaires habitant sur place21. Le premier, daté de 1369, a pour auteur dom Pierre Perreton, curé de Saint-Just-en-Bas et juré de deux cours. Ce terrier est presque un objet d’art : parchemin, écriture, formules, etc., tout est d’excellente qualité. Il contient 78 reconnaissances dont 51 de Saint-Just-en-Bas, centre de l’obéance canoniale. Les autres paroisses sont toutes dans la montagne, la plus éloignée, Saint-Julien-d’Oddes, n’est qu’à 12 kilomètres à vol d’oiseau. Le notaire fut-il amené à vérifier sur place ? On ne le sait pas ; chaque tenancier est, selon l’usage, obligé de se présenter en personne devant le praticien. Les deux testaments que reçut Pierre Perreton en 1374 et 1375 sont de Saint-Just et de la paroisse mitoyenne de Palogneux.
28Le terrier suivant, daté de 1410, fut préparé par dom Mathieu Brunel, prêtre juré de la cour de Forez, connu par quatorze testaments reçus entre 1381 et 1410 dans huit paroisses situées dans les châtellenies de Cervières et de Saint-Just-en-Chevallet. Il mourut en laissant force documents, signés mais non grossoyés. Le juge de Forez confia à Pierre de Charbonnières, clerc juré de la même cour, le soin de terminer l’ouvrage, dont le terrier de l’obéance canoniale.
29Les testaments que laissent les prêtres qui furent notaires ne diffèrent point des testaments de ceux qui ne le furent pas : dons rituels à l’archevêque, choix de la sépulture, préférence pour les collatéraux, attachement à leur paroisse dont ils adoptent les rites et les bénéficiaires, c’est ce que l’on observe dans les testaments de l’ensemble du clergé des campagnes, tant en Forez qu’en Lyonnais22. Quand ils lèguent des livres, ce sont des bréviaires et missels, non des ouvrages de droit. Leurs légataires préférés sont, outre les frères, sœurs et neveux, d’autres membres du clergé. Les confréries qu’ils mentionnent sont soit les confréries paroissiales, soit des sociétés de prêtres, et non de notaires.
30Les legs en nature, les mêmes que ceux que font les fidèles du secteur, laissent voir quelles sont les ressources complémentaires dont ils disposent : bien fonciers accensés ou affermés à des paysans, bétail placé en commande, voire produit de leur travail. Dom Jean Philippon, qui teste en 1392, lègue à son oncle une maison et un pré, à sa cousine Catherine une vache et son veau, à des parents et amis des prés, un jardin, des vaches, et toutes les ruches d’abeilles23.
31L’unique occasion donnée aux prêtres notaires de révéler leur seconde fonction est de léguer des litteras, grossoyées ou non, tel dom Jean de Sagnelongue en 1403. Il lègue à un clerc juré de la cour de Forez, omnes notulas sive prothocolla eiusdem testatoris que grossate non fuerint. À son neveu Jean, fils de Pierre de Sagnelongue, il lègue omnes litteras, cartas et instrumenta per dicto testatore signalas pro morando in studiis24. Mais le fait est exceptionnel. On ne sait dans quelle mesure le notaire avait le droit de disposer de ses archives sur lesquelles la cour comtale et l’officialité avaient toutes deux droit de regard25. Quoi qu’il en soit, il n’est pas rare de voir le travail commencé par un prêtre achevé par un clerc ou vice versa.
32Dans les paroisses des monts du Forez étudiées de plus près, les prêtres notaires sont une minorité (14 sur les 59 prêtres cités)26. Ils forment une minorité, mais c’est une minorité agissante. Ils reçoivent seulement 9 % des testaments nuncupatifs oraux, mais 53,8 % des testaments publics. Eux-mêmes donnent l’exemple : les prêtres notaires qui testent font, tous sauf un, des testaments publics. Ils sont de zélés propagateurs des nouvelles normes testamentaires, du témoignage écrit et du droit savant. La visite pastorale faite en 1378, au cœur de la dépression, montre en eux des pasteurs d’un niveau intellectuel et moral plutôt au-dessus de la moyenne. Pour en dire davantage, il faudrait exploiter à fond le corpus entier des testaments.
33Il n’est pas certain que les prêtres notaires aient assumé longtemps ce rôle dynamique. Leur place s’amenuise devant la concurrence des autres notaires, de plus en plus nombreux et bien organisés. En Forez, l’apogée des prêtres notaires se situe entre 1390 et 1400. Ils reçoivent alors 29 % des testaments enregistrés. Ce pourcentage tombe à 15 % entre 1440 et 1450. On ne sait, faute de testaments, ce qu’ils deviennent par la suite.
34Peut-être s’est-il produit un glissement analogue à celui que l’on constate en d’autres régions. Dans le Beaujolais voisin par exemple, les notaires recensés en 1494 sont au nombre de 266 dont 90 prêtres, soit le tiers. Mais sur ces 90 prêtres, cinq seulement sont des curés. Le notariat paraît être alors non plus réservé à une élite de prêtres, mais simplement un gagne-pain supplémentaire comme les chapellenies et les messes à dire recherchées par des prêtres en surnombre. En vertu des ordonnances de Louis XII, Anne de Beaujeu ordonna en 1510 la réduction du nombre des notaires et interdit aux prêtres d’exercer ce métier27.
35Le point commun à ces deux moments qu’un bon siècle sépare est que le prêtre notaire est toujours plus présent en montagne qu’ailleurs. En Beaujolais en 1494, ils sont 17 % dans la châtellenie de Villefranche-sur-Saône, mais 57 % dans celle de Montmelas. Est-ce dû à la répugnance persistante des autres notaires à s’installer dans les lieux défavorisés par leur relief et leur climat ?28
Carte 1. Le Forez à la fin du Moyen Âge

Carte 2. Nombre de notaires fournissant plus de dix occurrences dans le corpus des testaments (1330-1440 environ)

Notes de bas de page
1 Arch. dép. du Rhône, série 4G ; Arch. dép. de la Loire, série B.
2 Marie-Thérèse Lorcin, « Notaires et prêtres notaires : concurrence ou partage d’influence ? Une première enquête à poursuivre », Revue historique, t. 186, 2,1992, p. 265-281.
3 E. Petrucci, « An clerici artem notarial possint exercere », dans Studi storici in onore di Ottorino Bertolini, t. II, Pise, 1972, p. 553-598.
4 L. Boyer, Introduction à l’étude du testament Jorézien, Mâcon, 1964 ; Marguerite Gonon, Les institutions et la société en Forez au xive siècle d’après les testaments, Mâcon, 1960.
5 Marion Debout, « Les routes et l’implantation des monastères en Forez du xe au xiiie siècle », dans 98e Congrès National des Sociétés Savantes, Saint-Étienne, 1973, philosophie et histoire, t. II, p. 49-62.
6 Visite pastorale du diocèse de Lyon (1378-1379) publiée par M. l’abbé Merle, extrait du Bulletin de la Diana, 1937, t. XXVI, p. 217-356.
7 M.-Th. Lorcin, « Un temps pour tester, un temps pour mourir : du testament oral au testament public dans les campagnes foréziennes de la fin du Moyen Âge », Revue historique, t. CCXCIX, 3, 1998, p. 489-514.
8 Cf. n. 2.
9 Étienne Fournial, Les villes et l’économie d’échange en Forez aux xiiie et xive siècles, Paris, 1967. Montbrison, la capitale du comté, atteint à peine 5 000 habitants.
10 Lyon : 5,1 % ; Anse : 5,8 % ; 960 testaments de zones rurales : 22,5 %. Les chiffres correspondent ici à la place que tiennent les prêtres notaires dans la réception des testaments. Cf. note 2.
11 Le cirque de Valcivières se trouve sur le flanc ouest de la montagne, juste de l’autre côté de la crête. Cf. Visite pastorale, op. cit., p. 329.
12 Marguerite Gonon, Les institutions..., op. cit., p. 183-187.
13 Cf. note 7.
14 Arch. dép. de la Loire, B 1868, f° 35v.
15 Statuta ecclesie lugdunensia, Lyon, Guillaume Le Roy, c. 1485, Lyon, bibl. municipale, Incunable, 265, f° 152.
16 Statuta, op. cit., f° 32.
17 Étienne Fournial, « Les archives notariales du Forez au Moyen Âge », Bulletin de la Diana, t. XLVI, 1979.
18 Visite pastorale, op. cit., p. 327-334.
19 Arch. dép. de la Loire, B 1895, f° 195.
20 Visite pastorale, op. cit., p. 320.
21 Arch. dép. du Rhône, 12 G 1187 et 1189. Il faudrait examiner les centaines de terriers conservés pour avoir une idée plus précise du travail accompli par les prêtres notaires. Les catalogues se contentent de la mention « terrier signé X ».
22 Marie-Thérèse Lorcin, « Le clergé de l’archidiocèse de Lyon d’après les testaments des xive et xve siècles », Cahiers d’Histoire, t. XXVIII, 1982, 2, p. 125-168.
23 Arch. dép. de la Loire, B 1878, f° 53v.
24 Arch. dép. de la Loire, B 1885, f° 9v.
25 Cf. l’ordonnance sur le fait des notaires publiée dès 1319 dans le Beaujolais voisin ; Valentin-Smith, Bibliotheca Dumbensis, Trévoux, 1854, p. 266.
26 Paroisses de Chalmazel, Roche, Sauvain, Saint-Just-en-Bas et Saint-Bonnet-le-Courreau.
27 Édouard Perroy, « Une liste de notaires au xve siècle », Bulletin de la Diana, t. XXII, 1924, p. 44-54.
28 Cela fait irrésistiblement penser à la carte de répartition actuelle des médecins en France sur laquelle le Massif central figure comme zone répulsive.
Auteur
-
Marie-Thérèse Lorcin
Université Lumière-Lyon 2
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