1Depuis le début du xviii^e siècle, beaucoup de voix se sont élevées au Portugal contre le poids excessif du clergé dans la société portugaise, mettant en avant la nécessité de prendre des mesures en vue de restreindre son influence et de réduire les pertes subies par l’économie nationale à cause de ses privilèges.

2Des témoignages des voyageurs étrangers aux enquêtes du gouvernement pour évaluer la situation réelle du pays, tous les rapports, bien que divergeant sur les chiffres, se sont révélés unanimes dans la dénonciation de la grande quantité d’établissements ecclésiastiques et du nombre élevé de religieux qu’ils abritaient (86 moines par couvent en moyenne). Toutefois, selon les auteurs qui ont étudié ces sources, les chiffres qu’elles présentent semblent excessifs et l’analyse détaillée des données permet de déceler de grandes oscillations, entre les différentes familles religieuses comme d’une région à l’autre. Aussi, selon Fernando da Fonseca, l’extrême variété du nombre d’occupants des couvents ne permet pas leur utilisation pour atteindre les effectifs globaux des religieux1.

3Au début du xix^e siècle, alors que des mesures législatives cherchant à restreindre l’admission de nouveaux membres avaient déjà été prises, les sources qui nous fournissent les chiffres de population portugaise continuent à avancer une forte proportion de clercs réguliers dans notre société, maintenant la polémique jusqu’en 1834, date du décret ordonnant l’extinction des ordres religieux2.

4La question de l’importance des maisons religieuses, mais surtout du nombre d’habitants de celles-ci, a suscité à l’époque un si grand nombre de témoignages qu’elle a fini par provoquer au sein de l’historiographie un intérêt particulier pour l’analyse des vocations sous une perspective religieuse mais aussi sociologique et économique. À travers des études de cas, il est possible de confirmer la forte croissance du corps clérical jusqu’à la deuxième moitié du xviii^e siècle et de détecter en même temps l’hétérogénéité existant « entre l’une et l’autre des familles religieuses et même à l’intérieur de celles-ci en ce qui concerne la dimension humaine des maisons qui les intégraient »3. Oratoriens, Hiéronymites, Clarisses ou moniales de Cîteaux sont quelques-uns des cas particuliers « nous permettant d’avoir une perception plus aiguë des tendances évolutives du nombre de religieux et qui confirment les xvi^e et xvii^e siècles comme des périodes de croissance, la première moitié du xviii^e siècle comme l’âge d’or du point de vue du nombre de réguliers existants et le déclin des entrées rapides qui s’en est suivi »4.

5Les bénédictins portugais n’ont pas fait jusqu’à présent, l’objet de pareilles études. Installés sur notre territoire depuis les temps antérieurs à la fondation de la monarchie portugaise, leurs monastères ont joué un rôle important dans la fixation de la population et le développement agricole du nord du Portugal5. Toutefois, la grave crise démographique, économique, sociale et politique qui s’est abattue sur le pays aux xiv^e et xv^e siècles les a profondément touchés, les faisant tomber dans une léthargie profonde, due au manque de vocations et à la mauvaise administration des maisons6, à tel point que beaucoup de celles-ci furent abandonnées et plus tard frappées d’extinction ou transformées en simples églises paroissiales7.

6Au xvi^e siècle, à la suite de l’action disciplinaire du Concile de Trente, les mouvements réformistes qui luttaient pour le retour à l’esprit évangélique d’austérité et de pauvreté contribuèrent à l’apparition de nouveaux ordres religieux et à la réforme des plus anciens8. Après des demandes insistantes faites par plusieurs abbés et même par l’autorité royale, le pape émit le 30 avril 1566 la bulle In Eminenti qui permit de consolider la réforme des monastères bénédictins par moyen de la création, en 1567, de la Congrégation portugaise, dont le siège fut fixé au monastère de Tibães9.

7Il s’en est suivi, selon Geraldo Dias, un long processus de prise de possession des différents monastères, au fur et à mesure que les abbés commendataires mouraient ou abdiquaient moyennant l’attribution de pensions, jusqu’en 158810. À partir de cette date, la Congrégation bénédictine fut constituée par vingt-deux monastères (plus le collège de Coïmbre et deux autres maisons mineures, Braga et Foz du Douro), relativement concentrés dans la région d’Entre-Douro-e-Minho, comme il était de règle depuis son implantation au Portugal11.

8 La nouvelle Congrégation exerça une activité considérable au xvi^e et xvii^e siècles. Avec l’adoption des réformes, « les Constitutions et une liturgie propre furent établies, les études organisées, les chartriers et les propriétés reconstitués »12 et, sous l’orientation de maîtres de novices compétents, de nouvelles vocations furent admises, remplissant les vides laissés par la crise des siècles antérieurs.

9La question est de savoir si, suite à cette réforme, les Bénédictins portugais ont contribué au poids excessif du clergé régulier dans la société portugaise par le surpeuplement de leurs monastères, comme cela s’est produit chez leurs confrères des autres ordres religieux. Dans le même temps, nous chercherons à identifier les groupes sociaux et les lieux de provenance des religieux et à analyser les exigences et les étapes de la formation religieuse et intellectuelle de ceux-ci.

Les sources

10Les mesures imposées aux monastères bénédictins ont impliqué l’élaboration et la rédaction d’un ensemble de règles destinées à organiser la vie en commun des différentes maisons qui virent le jour sous le titre de Constitutions des Moines Noirs de l’Ordre de Saint Benoît du Royaume de Portugal13. Dans ce règlement général de la Congrégation bénédictine, nous avons obtenu des informations sur les exigences qui pesaient sur les nouveaux membres et les procédures d’admission, ainsi que sur les différentes étapes de leur formation. Il s’agissait d’un long processus qui s’étendait sur une période de sept ans au minimum, dont la première phase – l’admission et l’entrée au noviciat – est la mieux documentée, ce qui nous a permis d’utiliser dans cette étude des informations tirées du Livre des Professions et des Inquisitiones de Genere, Moribus et Vita.

11Ces enquêtes étaient produites dans le contexte d’examens minutieux auxquels on procédait pour évaluer la conformité aux normes et les capacités des candidats14. En vertu des Constitutions qui ordonnaient que « en ce qui concerne la réception de novices, nous admonestons et prions beaucoup notre Révérendissime de ne pas remplir la religion de novices inutiles, la chargeant de sujets qui par la suite ne la serviront point, les choisissant plutôt tels que l’on puisse en attendre des fruits dans la vigne du Seigneur »15, les candidats devaient être soigneusement interrogés sur leurs intentions concernant le choix de la vie religieuse, leurs capacités intellectuelles et physiques, leur niveau d’instruction et leurs talents artistiques, en plus de leur âge, de leur état civil et de leur filiation.

12Après cet examen préalable et l’approbation en « la science ou l’art pour lesquels il aura été examiné et qui soient en lui de la meilleure qualité », les Constitutions ordonnaient encore que soit faite « pleine et exacte enquête de la génération, vie et mœurs dudit prétendant »16 pour en vérifier la véracité. Il s’agissait d’une enquête rigoureuse, menée par deux moines mandatés par l’abbé général et incluant plusieurs personnes résidant dans le voisinage du candidat et de ses grands-parents paternels et maternels ; ces personnes devant témoigner non seulement de ses bonnes mœurs et de son éducation mais aussi de la pureté du sang de sa famille. Grâce à ces questionnaires et aux réponses obtenues, nous avons pu relever des informations importantes sur les candidats : l’identité de leurs parents et de leurs grands-parents, leur provenance géographique et sociale, le cercle de relations de leurs familles ainsi que leurs aptitudes intellectuelles et physiques et les caractéristiques les plus marquantes de leur comportement.

13Après avoir été admis à la préparation à la vie religieuse, les candidats devaient être enregistrés dans le Livre des Professions, puisque les Constitutions ordonnaient que dans les monastères « où les novices devaient être formés » il y ait un livre en possession du maître « dans lequel il fasse écrire avec diligence le mois, le jour et l’heure de l’année en lesquels chacun a pris l’habit et l’âge naturel qu’il avait alors »17.

14Le Livre des Professions que nous avons consulté recouvre la période 1630 – 1746, et concerne 787 novices, dont seuls 756 ont persévéré en poursuivant leurs études et leur préparation, alors que 25 ont abandonné le couvent avant la fin de la première année du noviciat et 6 sont décédés durant la même période. La série des Inquisitiones est composée de 1 472 enquêtes appartenant à autant de candidats et recouvre une période plus longue, s’étendant de 1603 à 1816.

Des gens « de qualité » et « d’habileté »

15Connaître le latin, être de sang illustre et doué pour le chant et la musique étaient les trois exigences principales. C’est peut-être à cause de la rigueur de ces critères de sélection que les bénédictins ont été taxés d’élitistes et considérés comme l’un des principaux ordres récepteurs des cadets de la noblesse portugaise18.

16Les Constitutions stipulaient en effet que, après l’appréciation de la volonté de servir Dieu, la capacité intellectuelle, la santé et le maintien du candidat, ses connaissances en latin devaient être examinées, celle-ci devenant une des conditions privilégiées d’accès à la Congrégation bénédictine. L’absence de ces qualités pouvait cependant être compensée par d’autres dons, « comme être de sang illustre, avoir une excellente voix, être un grand musicien ou un joueur d’orgue ou de harpe »19. Les Constitutions ordonnaient encore que l’on n’admette que des garçons célibataires âgés de quinze ans au minimum et de naissance légitime. Mais, à l’égal de ce qui se passait avec le manque de connaissances en latin, les défauts d’illégitimité, de mariage ou de veuvage, d’âge trop bas ou trop élevé pouvaient être compensés par « de bonnes démonstrations de vertu et d’autres qualités et mérites personnels »20.

17Ceci étant, nous pouvons affirmer que la Congrégation bénédictine n’était pas aussi sélective qu’on pourrait le penser de prime abord, l’admission de candidats d’origine sociale diversifiée étant possible pourvu qu’ils possèdent des qualités et des aptitudes fondamentales pour le bon fonctionnement de la vie conventuelle et l’accomplissement de la Règle bénédictine. À ce sujet, les données synthétisées dans le tableau I sont significatives.

18Nous avons l’indication explicite de la situation socioprofessionnelle du père uniquement pour 1136 des 1472 candidats soumis à une Inquisitione de Genere par ordre de l’abbé général. Parmi eux, environ 82 % sont fils de personnes, désignées génériquement comme « de qualité », quoiqu’on ne puisse confirmer le « sang illustre » que pour les 15,4 % environ, dont les parents sont désignés comme gentilshommes ou nobles. Il ne fait pas de doute que les groupes privilégiés se trouvent bien représentés au sein des bénédictins, puisque nous trouvons encore un nombre significatif de candidats descendant de lettrés et de membres des gouvernements municipaux (11 %), ainsi que de chefs militaires (9 %), de familiers du Saint-Office (45 %) et de membres des ordres militaires (4 %).

19C’est au sein de ce groupe que la méconnaissance du latin pouvait être la plus douteuse, car les candidats possédaient une qualité du sang qui permettait de surmonter un tel handicap. C’est également dans ce groupe que nous trouvons les presque 5 % d’illégitimes, défaut suppléé par la naissance et par leurs qualités personnelles.

Tableau 2. Origine socioprofessionnelle des candidats ayant un défaut d’illégitimité (1603-1816)

20Il semble donc assuré que la carrière ecclésiastique, garantie par l’entrée au couvent, ait été une des solutions trouvées par les gentilshommes portugais pour résoudre le problème du placement de leurs cadets et de leurs bâtards au cours des xvii^e et xviii^e siècles.

21Ce comportement a pourtant été suivi par des groupes sociaux inférieurs : le nombre élevé de fils de laboureurs (12,4 %) semble suggérer que leurs parents cherchaient également dans la carrière une alternative pour les enfants qui devaient être placés à l’extérieur de la maison paysanne, pour ne pas compromettre l’équilibre de celle-ci. Implantés dans les milieux ruraux, ce furent surtout les monastères bénédictins qui offrirent aux familles paysannes de la région de Minho un moyen de promotion sociale et une forme de placement pour ceux de leurs descendants qui devaient être privés de l’accès à la terre pour que celle-ci ne soit pas trop fragmentée.

22Toutefois, ce type de solution n’était pas à la portée de tous car le manque de « sang illustre » devait être compensé par de solides connaissances en latin, en musique et en chant, de façon à ce que les portes du couvent ne se ferment pas à l’arrivée de ces candidats d’origine paysanne. L’investissement dans l’éducation et le placement des garçons au couvent étaient trop lourds pour la majorité des familles, seuls les détenteurs des exploitations agricoles de grande dimension et disposant d’une excellente assise financière pouvaient les supporter.

23Les bénédictins admirent également parmi eux les fils d’autres roturiers, tels que des marchands (3 %) ou des artisans, ne leur fermant même pas l’accès aux postes de gouvernement à l’intérieur des couvents, comme nous pouvons l’observer dans le tableau 3 :

Tableau 3. Origine socioprofessionnelle des moines devenus abbés (1603-1816)

24Après l’admission au noviciat, tous les candidats étaient soumis à une préparation religieuse et intellectuelle exigeante qui devait débuter à quinze ans, âge imposé par les Constitutions et effectivement respecté dans la pratique, comme nous pouvons le constater grâce au graphique 1. Bien que nous ayons rencontré un cas d’entrée à treize ans, quelques-uns uns à quatorze ans et quatre candidats admis exceptionnellement après quarante ans, la grande majorité des novices qui entraient au couvent avait entre quinze et vingt ans. C’était la période idéale de la vie pour mouler le corps et l’esprit au service de Dieu ainsi que pour faire les premiers pas dans le chemin du sacerdoce.

Graphique 1. Distribution des âges des candidats à l’entrée du noviciat (1630-1746)

25Le long processus de formation des candidats commençait par une année d’épreuves au cours de laquelle, à travers la prière et le sacrifice, on évaluait leurs véritables intentions religieuses en même temps qu’on leur apprenait la Règle bénédictine et les Constitutions. Passée cette étape, ceux qui étaient considérés « habiles » et avaient plus de seize ans étaient admis à la profession et à la prise de l’habit. Six ans durant, ils devaient ensuite se préparer à recevoir les ordres mineurs, puis à être promus au sous-diaconat et au diaconat, pour accéder finalement au sacerdoce quand ils auraient vingt-cinq ans dont sept sous l’habit bénédictin. Durant ces six années ils devaient également perfectionner leurs connaissances en latin, en chant, en orgue ou en n’importe quel autre instrument musical enseigné au couvent, devant recevoir à cette fin des leçons quotidiennes de maîtres nommés par l’abbé.

26À la fin de cette période et avant d’être promus à la prêtrise, ils devaient être à nouveau examinés par tous les prêtres du couvent « en ce qui touchait à leur science » ainsi qu’à leur vita et moribus21.

Une maison pleine : la Congrégation bénédictine

27Jeunes, lettrés, illustres. C’est ainsi que nous pouvons définir les moines bénédictins. Il n’est donc pas surprenant que ces religieux aient joui « d’un bon nom »22 et d’un prestige extraordinaire dans le panorama socioreligieux du Portugal moderne. Toutefois, pour notre propos il est important de connaître le nombre de religieux portant l’habit noir, ainsi que les rythmes et les périodes d’entrée dans la Congrégation. Combien y avait-il de bénédictins, après tout ?

28En 1569, quand débuta la prise de possession des monastères qui allaient former la Congrégation, le nombre de religieux ne dépassait pas les 85 individus, répartis de la façon suivante : Pombeiro, 7 moines et un novice ; Travanca, 7 ; Refojos de Basto, 14 ; Rendufe, 10 ; Ganfei, 4+1 ; Tibães, 15 + 5 ; Arnóia, 3 ; Neiva, 5 ; Alpendurada, 6 ; Santo Tirso, 1323.

29Vingt ans plus tard, en 1588-158924, quand cette prise de possession fut terminée, le nombre de moines avoisinait les deux cents25, la moyenne se fixant à 11 individus par couvent, mais avec de fortes variations entre les différentes maisons26. D’ailleurs, l’article 5 des Constitutions déterminait que le nombre de moines de chaque monastère devrait être établi au sein du chapitre respectif, « selon le revenu qu’il y aurait en eux pour les entretenir ». Mais il y était également ordonné que de petits monastères comme Ganfei, S. Romão, Palme, Carvoeiro, Arnoia, Alpendorada et Couto aient au moins treize moines pour que la discipline régulière puisse y être menée. Le nombre de religieux dans les maisons bénédictines était donc conditionné par les revenus dont elles disposaient pour leur maintien27, comme d’ailleurs le cas dans tous les autres ordres.

30Ces informations nous permettent de conclure que, vers la fin du xvi^e siècle, les monastères bénédictins n’étaient pas surpeuplés. Bien au contraire ! Il fallait plutôt renforcer leur composante humaine en admettant de nouveaux membres, non seulement pour confirmer la possession des maisons qui leur avaient été attribuées mais aussi pour peupler les nouveaux monastères de Porto et de Lisbonne, dont la construction avait commencé au xvii^e siècle. Un siècle qui, en ce qui concerne l’admission de novices, débuta timidement, comme nous le montre le graphique 2, pour atteindre un recrutement d’ampleur extraordinaire à partir des années 1655-1657 et ce jusqu’au début du xix^e siècle.

31Au cours de la deuxième moitié du xvii^e siècle (1655-1696), les noviciats de la Congrégation (situés à Tibães, Porto et Lisbonne) reçurent près de 452 novices. Si nous prenons en compte le temps de formation, nous pouvons avancer que, à intervalles réguliers, 75 nouveaux religieux détenteurs de la prêtrise furent distribués par les différents monastères. Ce flux s’interrompit de façon nette lors des années 1697-1702 pour reprendre dans les trois premières décennies du xviii^e siècle, avec l’entrée de 402 novices, ce qui donne une moyenne de 80 nouveaux prêtres tous les sept ans.

Graphique 2. Rythme d’entrée des novices (1603-1816)

32Une phase d’instabilité s’ensuivit, surtout dans les années 1760 et 1770, qui coïncide avec le début des interférences de l’autorité royale dans la vie interne des communautés religieuses. Mais une fois ce danger écarté, les bénédictins purent introduire des réformes par l’entremise de « plusieurs mesures de rationalisation des obligations religieuses et de dynamisation économique, éducationnelle et culturelle »28, ce qui permit l’entrée de 199 novices au couvent entre 1778 et 1789, soit une moyenne de 124 nouveaux prêtres. Une fois ceux-ci placés dans les différentes maisons religieuses, 175 nouveaux novices furent admis pour la période 1793-1807.

33Le rythme d’entrée enregistré tout au long de la deuxième moitié du xvii^e siècle (9 novices par an), pendant le xviii^e siècle (8,8 novices par an) et les premières années du xix^e siècle (9,6 novices par an) révèle un dynamisme extraordinaire dans le recrutement de nouveaux bénédictins, en dépit de la crise politique, sociale et religieuse vécue au Portugal dans les années qui ont précédé la révolution libérale, à l’inverse de ce qui se produisit avec les autres ordres religieux étudiés jusqu’à présent.

34Bien qu’ils viennent d’un peu partout dans le pays, la majorité des religieux de la Congrégation bénédictine provenait toutefois des zones rurales des diocèses de Braga (920) et de Porto (288), dans le nord du Portugal. Si nous descendons de ces grandes circonscriptions au niveau des communes (concelhos), les principales régions d’origine se trouvent autour de cités comme Braga et Porto, et de villes comme Penafiel, Amarante, Guimarães, Ponte de Lima et Viana do Castelo ; puis on trouve des villes plus petites comme Barcelos, Felgueiras, Lousada, Marco de Canavezes, Póvoa de Lanhoso, Santo Tirso et Vila Nova de Famalicão. La capitale, Lisbonne, située beaucoup plus au sud, se trouve également bien positionnée.

35Cette dispersion nous permet de mesurer, en premier lieu, l’influence des monastères bénédictins dans l’organisation de la vie matérielle des habitants de leurs seigneuries (coutas), mais révèle aussi l’énorme rayonnement spirituel de cette Congrégation qui, par son action formative et évangélisatrice, a transformé ses maisons en des pôles d’attraction de vocations.

36À la fin du xviii^e siècle et au début du xix^e siècle, le nombre de membres du clergé régulier demeure très significatif selon les témoins, la Congrégation bénédictine comptant parmi les plus riches et peuplées. Les données présentées antérieurement permettent de confirmer les chiffres avancés par Balbi dans son Essai Statistique, et nous pouvons même ajouter qu’ils pêchent par défaut puisque dans les vingt-cinq dernières années, environ 300 novices ont été admis.

37Bien que rien dans ces données ne fasse prévoir la décadence qui s’installera dans les années vingt du xix^e siècle, des signes avant-coureurs se font pourtant sentir dès la deuxième moitié du xviii^e siècle29. Le manque de vocation d’un grand nombre de moines, les insuffisances de la formation, le favoritisme des supérieurs dans le choix des candidats, les manquements à la discipline de quelques religieux, la vie opulente de certaines communautés face à la dégradation de quelques autres, la négligence révélée dans l’administration de nombreux monastères, l’intervention des monarques dans les affaires intérieures de la Congrégation et les exigences fiscales de la Couronne sont quelques-uns des motifs qui provoquèrent de graves dissensions entre les religieux, empêchant la Congrégation de faire face aux nouveaux éléments de division surgis lors des invasions françaises et de l’introduction des idées libérales au Portugal.

38Quand le décret d’extinction des ordres religieux vint mettre fin à la Congrégation portugaise, en 1834, la plupart de ses monastères étaient dépeuplés et désorganisés, ne trouvant plus d’élan pour surmonter les défis posés par le nouvel ordre politique, social et économique.