1D’un point de vue territorial, le vieux royaume de Galice représente quelques 30 000 km² dans la marche nord-occidentale de l’ensemble formé par la péninsule Ibérique. Les 7000 km² qui délimitent la Galice intérieure présentent une personnalité propre, pas seulement pour être situé à plus de 500 mètres au-dessus du niveau de la mer, mais aussi en raison des caractéristiques de son peuplement, très diffus et constitué en général de petits villages, distants parfois de plusieurs kilomètres. On y pratiquait une agriculture de rotation biennale, basée sur la culture du seigle et sur l’exploitation extensive du bétail1. Il n’est donc pas surprenant de constater que cet espace était peu peuplé, à peine 35- 36 habitants par km² à la fin de l’Ancien Régime, ou que la famille-souche, observée dans 33 % des foyers en 1752, était la formule familiale dominante2. De même, le faible taux d’urbanisation ne surprend pas le chercheur, il est pratiquement réduit à la ville de Lugo, quelque 4 000 habitants en 1787, capitale provinciale, siège épiscopal et résidence privilégiée des groupes sociaux d’élite et des institutions rentières laïques et ecclésiastiques, et à la petite ville de Monforte, qui comptait 1655 habitants3.

2Mais, il ne faut pas croire pour autant que la Galice intérieure constituait une entité uniforme. Au contraire, d’un point de vue géographique, par exemple, nous pouvons distinguer jusqu’à quatre zones bien différentes. Ainsi, la moitié septentrionale se présente sous la forme d’une grande plaine au centre de laquelle se dresse la ville de Lugo, et dont la population au milieu du xviii^e siècle se regroupait en paroisses formées de petits villages fermés, compacts, disposés au centre de l’espace cultivé. Ceci explique que le peuplement ait pu atteindre une moyenne de 41 habitants par km². Dans la moitié méridionale, dans les vallées et dépressions méridionales, s’élève Monforte. La présence de trois cours d’eau, le Miño, le Sil et le Cabe favorisait alors la pratique de l’exploitation viticole et explique que cet espace présente 46 habitants par km².

3À l’ouest, les territoires de la Dorsale galicienne oscillent entre 800 et 1 200 mètres d’altitude ; on y accède après avoir traversé les vallées que le fleuve Miño dessine vers le sud, en suivant les bords de ladite Dorsale. Malgré tout, ces altitudes moyennes sont inférieures à celles des Montagnes orientales, qui se dressent à 1 600 mètres et qui ferment cet ensemble géographique particulier à l’est, limitant les contacts avec le reste de la péninsule Ibérique. À l’ouest comme à l’est, prédominent les grandes paroisses, avec une superficie moyenne de 10 km², constituées de petits villages isolés, séparés les uns des autres par d’immenses extensions de terres incultes. D’où la faible densité de peuplement qui caractérise ces deux espaces, 31-33 habitants au km² en 1752, légèrement inférieure à la moyenne calculée pour l’ensemble de la Galice intérieure4.

Le diocèse de Lugo et le recrutement sacerdotal, 1685-1859

4Ce contexte géographique sert alors de cadre à l’évêché de Lugo. Au milieu du xviii^e siècle, il occupait un cinquième de l’espace du vieux royaume de Galice et regroupait 20 % du clergé séculier galicien. D’un point de vue ecclésiastique, il se divisait en 40 archiprêtrés qui encadraient 635 paroisses, desquelles 58 % comptaient une ou plusieurs églises annexes. Ce pourcentage nous indique que la majorité des paroisses mentionnées présentait des dimensions réduites, dans 80 % des cas elles ne comptaient pas plus de 50-60 feux. De la structure paroissiale, comme de l’agriculture régnant dans la zone, il convient de distinguer la pauvreté économique des ressources paroissiales, et malgré tout, le nombre de clercs y a été très élevé5. En 1752 on comptait un clerc pour 28 feux, et en 1787 il y en avait un pour 112 habitants6. Ces moyennes sont alors supérieures à celles calculées pour les autres diocèses galiciens et elles montrent en majorité un clergé en attente de bénéfice ecclésiastique – 60 % du total du clergé séculier en 1703, et 66 % encore en 1787 – composé en général de patrimonistas et de chapelains. L’épicentre de la vie diocésaine se situe à Lugo, une enclave qui présente un caractère clérical très marqué, puisque 12 % des 759 foyers recensés en 1752 sont composés et dirigés par les clercs7.

5Les données observées nous renvoient à un évêché caractérisé par un grand nombre de clercs. Ces circonstances éveillent notre attention quant aux modèles de recrutement sacerdotal, que nous abordons grâce aux informations contenues dans les Libros de la Matricula de Órdenes élaborés entre 1685 et 18598. Nous apprenons que 35,9 % des ordinations du clergé séculier sont des individus d’origine extra-diocésaine (tableau 1). Un pourcentage qui ne procède pas de la naturelle osmose qui régnait entre sièges épiscopaux limitrophes au cours de l’Ancien Régime. Ainsi, les données du tableau 1 montrent que 36,8 % des personnes qui accèdent à la prêtrise sont forains, elles indiquent aussi que ces ordonnés tendaient à éviter la première tonsure en faveur des ordres mineurs ou du sous-diaconat. En d’autres termes, que l’objectif de ces individus en rejoignant Lugo était de brûler des étapes sur le chemin du sacerdoce. D’autre part, la présence d’extra-diocésains est de loin supérieure à celle que montrent les autres sièges espagnols9. Et, si les données du tableau 1 étaient transposées au territoire français, elles seraient plus proches de celles des sièges épiscopaux du bas Midi que de celles observées dans son Finistère atlantique. Paradoxe d’autant plus surprenant que, si nous prenons en compte les circonstances socioéconomiques de la Galice intérieure, celles-ci tendraient plus à évoquer certaines aires de la Bretagne française que des territoires du Midi qui regardent vers la Méditerranée10.

6Avant de nous intéresser à l’analyse des lieux d’origine déclarés de ces ordonnés, il serait opportun de souligner que nous ne prendrons pas en considération le clergé régulier, qui représente 5,6 % des ordinations entre 1685 et 1859, car dans la plupart des cas nous ignorons l’origine des personnes. Remarquons néanmoins que ce pourcentage est inférieur à celui observé dans les évêchés du centre et du sud de l’Espagne, ce qui pourrait être mis en relation à la fin du Moyen Âge avec l’action des ordres religieux dans l’évangélisation du Sud après la Reconquête.

7Pour en revenir à l’origine géographique du clergé séculier extra-diocésain, nous remarquons que 45,5 % des individus qui le constituent sont originaires des diocèses limitrophes. Concrètement, 32,3 % des ordonnés viennent d’autres évêchés galiciens, parmi lesquels se distinguent Saint-Jacques-de-Compostelle et Ourense, tandis que 13,2 % étaient originaires des diocèses non galiciens d’Oviedo, Astorga et Léon (tableau 2). La présence des uns et des autres à Lugo correspond, dans la majorité des cas, à des phases de siège vacant dans leurs diocèses d’origine. C’est ce que nous observons à Saint-Jacques-de-Compostelle entre 1726 et 1728, quand les clercs issus de cet archevêché représentent 41,2 % des ordinations de prêtres réalisées à Lugo.

Tableau 2. Origine géographique du clergé séculier extra-diocésain dans l’évêché de Lugo, 1685-1859

8La part restante, 54,5 %, est composée d’individus issus – selon leur propre déclaration – de sièges épiscopaux situés dans la moitié nord du Portugal, plus particulièrement de Braga (48,7 %) et dans un moindre nombre de Porto ou de Lamego. Les raisons nous échappent qui, entre 1685 et 1859, incitent 4 102 ecclésiastiques qui reçoivent les ordres mineurs et 2 488 qui accèdent à la prêtrise à abandonner Braga, à parcourir entre 275 et 300 kilomètres, en dehors d’un siège vacant, tel que l’indiquent les données, qui montrent que la majorité de ces ordinations se produit entre 1731 et 1734. Surtout, du fait que, pour atteindre les mêmes objectifs, il aurait pu suffire à ces mêmes individus de se mettre en route vers l’évêché portugais le plus proche : vers le diocèse galicien de Tui, situé aux limites occidentales de la frontière septentrionale qui sépare le Portugal de la Galice et à une soixantaine de kilomètres de Braga, ou vers le diocèse de Ourense, lui aussi frontalier, quoique un peu plus distant vers l’est de Braga, à 120-150 kilomètres. Pourtant, il ne faut pas être surpris d’une telle mobilité, quand nous savons que les migrations de cette nature étaient communes dans le monde ecclésiastique d’Ancien Régime11.

9Une donnée attire cependant notre attention : ces déplacements se sont effectués vers un évêché qui se caractérise par un faible peuplement, une économie archaïque d’agriculture et d’élevage, la faible importance des villages et villes et la présence d’un pourcentage élevé d’ecclésiastiques par rapport au total de la population. C’est-à-dire vers un diocèse pauvre, tant au niveau économique qu’au niveau du prestige spirituel de ses prélats et membres du bas clergé12. Il convient donc de se demander pourquoi à conditions égales, et étant données les distances parcourues, les clercs portugais n’ont pas choisi l’archevêché de Saint-Jacques-de-Compostelle, d’accès plus facile et d’un plus grand prestige spirituel et ecclésiastique que l’évêché de Lugo. Peut-être, pouvons-nous trouver une réponse dans les conditions qui régissaient l’accès au sacerdoce à Lugo : les portions congrues exigées pour être ordonné étaient moindres à Lugo que dans les autres diocèses galiciens.

10Ce tableau que nous venons d’esquisser, dans lequel la moitié des ordinations est le fait d’individus d’origine portugaise, un tiers d’origine galicienne et un peu plus d’un dixième de personnes issues d’aires géographiques limitrophes du vieux royaume galicien, s’observe dans toutes les étapes qui constituent la carrière sacerdotale. Exception faite de ceux qui prennent la première tonsure. Dans ce cas, les moyennes changent considérablement. Ainsi 77,9 % des tonsurés déclarent être originaires des évêchés limitrophes de Lugo. Concrètement, 55,7 % des individus sont issus d’autres siéges galiciens, essentiellement de Saint-Jacques-de-Compostelle, tandis que 22,2 % des individus sont venus de diocèses situés hors des limites géographiques de la Galice. Quant aux tonsurés d’origine portugaise, ils ne représentent que 22,1 % du total (tableau 2). Ceci indique que ceux-ci recevaient en même temps la première tonsure et les ordres mineurs. Ainsi, 71 % des clercs portugais accèdent de façon directe aux ordres mineurs, ce qui montre qu’ils cherchent à rentabiliser au maximum le déplacement effectué.

11Cette structure séculière des ordinations ne s’est pas toujours maintenue au même niveau. Comme nous pouvons l’apprécier dans le graphique 1, la participation des extra-diocésains tend à diminuer au cours du xviii^e siècle. Dans les diocèses d’origine, celui de Lugo inclus, les autorités séculières accompagnent les efforts des évêques pour contrôler et réduire l’intensité des flux migratoires des ecclésiastiques. De fait, la convergence qui durant les trente premières années du siècle a maintenu ces flux vers le diocèse de Lugo explique l’évolution suivie jusqu’à cet instant précis par les tonsurés et les prêtres. Dans le cas de ces derniers, et entre 1702 et 1707, semble avoir dominé un courant composé d’individus originaires essentiellement de Ourense, Astorga et Saint-Jacques-de-Compostelle, responsable de 73,6 % des ordinations de prêtres à Lugo. De même, les individus venus de Mondoñedo, Saint-Jacques-de-Compostelle et Porto, ont occupé 82 % de ce même type d’ordinations entre 1726 et 1728, tandis que les individus originaires de Porto, Braga et Lamego, représentent 91 % de celles-ci entre 1731 et 1734. Après 1730-1739, la présence d’extra-diocésains diminue jusqu’en 1780-1789, pour se limiter aux effets dérivés de l’osmose naturelle entre sièges voisins. À partir de 1790, il y eut une tentative de récupération de cette présence, gelée par les événements de la guerre d’Indépendance et ensuite, par le Trieno Liberal (1820-1823), les Désamortissements successifs de la décennie 1830-1839 et les guerres carlistes13.

Graphique 1. Ordinations du clergé séculier extradiocésain à la première tonsure et à la Prêtrise dans le diocèse de Lugo, 1690-1859 (1690-9 : 100)

12L’évolution des ordinations du clergé séculier d’origine diocésaine a suivi un rythme bien différent. La trajectoire de la courbe de ceux qui accèdent à la condition de prêtre, jusqu’en 1740-1749, semble avoir été conditionnée par cette présence de clercs extra-diocésains à laquelle nous nous référions dans le paragraphe précédent. Pourtant, après 1740-1749, la courbe remonte et atteint son zénith en 1750-1759. Vient ensuite une lente régression qui dure jusqu’à la fin du xviii^e siècle. Dans la récupération qui suit les années 1800 jouent, de même que dans d’autres évêchés hispaniques, les effets dérivés de deux crises14. D’un côté, la crise agricole des années 1790-1799, et d’un autre, la crise liée à la guerre d’Indépendance. Les années 1810-1819 précèdent une chute associée aux événements du Trieno Liberal de 1820-1823 et aux Désamortissements des années 1830. Dans tous les cas, et quant à ceux qui accèdent aux ordres majeurs, tout se résume à un avant et à un après 1750-1759, ce qui ne surprend pas, puisque ce fut le rythme suivi par les ordinations de prêtres, non seulement dans les autres évêchés galiciens, mais aussi dans la majeure partie de la chrétienté catholique du sud de l’Europe au cours du xviii^e siècle15.

Graphique 2. Ordinations du clergé séculier d’origine diocésaine à la première tonsure et à la Prêtrise dans le diocèse de Lugo, 1690-1859 (1690-9 : 100)

13Dès lors, les raisons qui expliqueraient cette courbe ressemblent aux hypothèses aujourd’hui présentées pour le reste de l’Espagne et du continent : transformations de la spiritualité baroque, efforts des prélats pour améliorer la qualité du sacerdoce16. Des deux raisons, nous savons que la première s’est concrétisée dans la marge occidentale de la Galice, grâce à une série de mesures prises par les hiérarchies ecclésiastiques des diocèses de Saint-Jacques-de-Compostelle et de Tui, menées à bien pendant le deuxième tiers du xviii^e siècle afin d’épurer les conduites pieuses de leurs fidèles17. Quant à cette observation, les indicateurs que nous possédons pour l’intérieur galicien nous renvoient à l’existence d’un certain retard dans la mise en pratique de mesures conduisant à la purification de la foi, ce qui est à mettre en relation avec la tardive sacerdotalisation des règles de conduite morale et sociale du bas clergé de Lugo18. Pour comprendre cette courbe il est fondamental de considérer l’action menée par les évêques dans ce sens. Actions qui ont commencé à peser avec force dans le diocèse de Lugo à partir des décennies centrales du xviii^e siècle. Ce n’est pas en vain que pendant la deuxième moitié du xviii^e siècle, la durée des épiscopats a été multipliée par deux, passant ainsi d’une moyenne de 8,4 ans entre 1685 et 1749, à 15,2 ans entre 1749 et 1811. Ce qui permit alors un contact plus étroit avec les problèmes réels du diocèse et occasionna les mesures destinées à améliorer la qualité morale et spirituelle du clergé séculier.

14C’est donc dans ce contexte qu’il faut mentionner le cycle de visites pastorales effectuées par l’évêque Fr. Francisco Yzquierdo entre 1749 et 1761 : 1749-1750, 1751, 1752, 1753, 1754, 1756, 1757, 1758, 1759 et 1761. Un effort poursuivi par son successeur don Juan Saenz de Buruaga, qui en 1765 établit l’obligation faite à tous les prêtres, comme à tous les aspirants au sacerdoce, d’assister aux conférences morales, puisque, dans le cas contraire, « [...] ils ne recevraient pas les licences de célébrer et confesser, ni les Ordres in sacris aux Ordres Supérieurs... » Ces mesures se complètent en 1770 des exigences du nouveau prélat, Fr. Francisco Armanyá, qui stipule qu’une personne qui souhaite gravir un échelon dans la carrière sacerdotale doit réaliser des exercices spirituels au couvent de Santo Domingo de Lugo. Quatre ans plus tard, ladite exigence fut suivie d’un cycle de visites pastorales qui se prolongea de 1774 à 1779, et pendant lequel on a examiné la conduite morale et les connaissances doctrinales de tout clerc du diocèse. Ce processus aboutit en 1778, quand Armanyá réforma le plan d’études du séminaire de Lugo. Dès lors, et contre des pratiques habituelles, on mettait fin à l’obtention automatique des matières de philosophie, chaire et académie de morale à quiconque avait reçu des cours dans des écoles particulières. Et, pour terminer, toutes ces mesures furent accompagnées d’une intensification de l’action de l’official diocésain contre des conduites déviantes du bas clergé. Ainsi, entre 1755 et 1805 ont été assignés au tribunal 10 à 15 % des clercs de l’évêché, alors qu’entre 1680 et 1754 seuls 7 à 8 % y avaient été appelés19. Il est évident que le plus grand contrôle des autorités exercé sur le clergé diocésain à partir de 1749 contribue à expliquer l’évolution suivie par la courbe des ordinations de prêtres durant la seconde moitié du xviii^e siècle20.

15Si l’on mentionne l’amélioration de la conjoncture économique de la zone à partir des années 1770, nous comprenons la trajectoire suivie par la courbe de ceux qui reçoivent la première tonsure (graphique 2). Ainsi, après 1750-1760, nous remarquons une ascension, prolongée jusqu’en 1820-1829. Ascension qui contraste avec les résultats observés dans la plus grande partie des diocèses français et espagnols au cours du dernier tiers du xviii^e siècle, et qui indique que, si la hiérarchie épiscopale a mis en place des mécanismes pour contrôler l’accès au sacerdoce, ceci n’a pas supposé une perte de valeur réelle du titre clérical dans la société de la Galice intérieure21. Alors, les familles des jeunes qui désiraient entrer dans l’Église profitaient des facilités que leur procurait la conjoncture économique pour fonder patrimoines et chapellenies au titre desquels ils pouvaient faire ordonner leur progéniture. Il faut rappeler qu’avant de procéder à la réforme des conduites religieuses de ses fidèles, l’Église de Lugo a dû d’abord affronter sa propre réforme interne : elle devait procéder à la sacerdotalisation des modèles de comportement moral et social de son bas clergé22.

La montagne et les vocations religieuses, 1740-1759

16Étant donnée la trajectoire suivie à moyen et à long terme par les autochtones qui accèdent à la tonsure, et leurs liens particuliers avec des aspects déterminés de la culture et de la religiosité populaire, il convient d’étudier maintenant les caractéristiques du recrutement clérical dans ces premières étapes de la carrière ecclésiastique23. Pour ce faire, nous utiliserons l’information que nous possédons entre 1740 et 1759 à propos des individus qui ont reçu la première tonsure ou la première tonsure et les ordres mineurs en même temps. La distribution en pourcentage de leur lieu de naissance nous montre une nette majorité d’origine rurale, 91 % des cas, tandis que la différence proportionnelle entre Lugo (7 %) et Monforte (2 %) renvoie évidemment à la taille de la cité et à l’importance des institutions ecclésiastiques que ces deux villes accueillent. D’autre part, la cartographie de ces lieux de naissance montre comment un tiers des individus tonsurés était originaire des terres montagneuses de la Dorsale (tableau 3, A). De cette façon, de même que dans d’autres diocèses européens, il semble évident ici que des relations existent entre vocations religieuses et espace géographique en général, et entre vocations religieuses et montagne en particulier24. Une relation qui n’est pas cependant causale et déterminante. En effet, les moyennes des montagnes orientales sont proches des données fournies par la plaine du Nord, et en même temps loin des vallées et dépressions du Sud et de celles de la Dorsale, ce qui invite à ne pas tirer de conclusions trop hâtives (tableau 3, A).

Tableau 3. Caractéristiques du recrutement des autochtones du diocèse de Lugo qui prennent la première tonsure, 1740-1759

17Pourtant, et pour nous assurer de la particularité de la Dorsale, nous avons mis en rapport le nombre de tonsurés à Lugo entre 1740 et 1759 et la population de 1752 dans les diverses zones géographiques présentées dans la première partie de cette étude. De cette façon, comme d’autres chercheurs l’ont fait, nous espérons obtenir un indice qui nous rapproche, bien que de façon indirecte, de la capacité que présentaient lesdites populations à générer des vocations dans chaque zone (tableau 3, B)25. Nous constatons alors que le nombre d’habitants par rapport au total des ordonnés est le plus bas dans les régions de plaine du Nord qui entouraient la ville de Lugo, ou, ce qui revient au même, que le nombre d’ordonnés à la première tonsure par rapport à la totalité des habitants y était le plus haut de tout le diocèse. La proximité du siège épiscopal, et de tout ce que cela implique, explique ce fait. C’est le cas, par exemple, de l’importante concentration en son sein des organismes et institutions religieux, dont la projection sur l’hinterland de Lugo à différents moments de l’Ancien Régime a contribué, d’une part, à établir et à maintenir une présence spirituelle déterminée, et d’autre part, à l’existence de mécanismes et de possibilités matérielles pour la subsistance et la promotion de ceux qui voyaient dans le sacerdoce une issue professionnelle.

18Hors de ce cadre géographique, et face au reste de l’évêché, les communautés rurales situées dans les terres montagneuses de la Dorsale manifestent une énorme capacité à générer des vocations. Il faudrait avoir recours à de nombreuses clés pour expliquer un tel phénomène, en particulier la forme de la structure paroissiale dans cette aire géographique, puisque, vers 1755, elle se caractérisait par le fait que 70 % des paroisses disposait d’une ou plusieurs églises annexes. Le phénomène se remarquait d’ailleurs aussi dans la plaine du Nord que nous venons de mentionner (tableau 3, C).

19Par conséquent, dans les deux cas, il faudrait prendre en considération cette caractéristique, pour comprendre les raisons de l’abondance des vocations, même si son incidence n’est pas comparable. Ainsi, dans les territoires de la Dorsale, les églises annexes facilitaient la fondation de patrimoines et bénéfices au titre desquels les aspirants au sacerdoce prenaient la tonsure, tandis qu’au contraire, et comme nous l’avons remarqué, dans l’hinterland de la ville de Lugo ceux-ci avaient de nombreuses possibilités d’obtenir une portion congrue. L’existence de chapellenies dans les églises visitées par don Pedro Busto en 1703 facilite la clarification de nos propos. Il est vrai qu’entre les années 1703 et 1740-1759, la distribution spatiale de ces chapellenies peut avoir changé, mais rien ne nous interdit d’utiliser ces données pour offrir un exemple qui étaye l’affirmation qui précède. Ceci dit, on constate qu’en 1703, 38 % des chapellenies que compte l’évêché sont concentrées dans la Dorsale (tableau 3, G). On peut émettre l’hypothèse que la zone peut être un authentique réservoir à vocations, ce qui ne serait pas comparable avec la plaine du Nord, puisque, par exemple, les densités de peuplement y étaient, en 1752, en moyenne 25 % plus basses que dans les alentours de la ville de Lugo (tableau 3, D). Pour conforter cette dernière affirmation, nous avons calculé le nombre d’ecclésiastiques par habitant en 1787 (tableau 3, E).

20Pour ce faire, nous avons utilisé l’information fournie par le Censo de Floridablanca relatif à l’ancienne province de Lugo, mais ses limites géographiques ne correspondent pas, stricto sensu, à celles du diocèse, puisque n’y figurent pas les régions les plus septentrionales de la plaine du Nord. Pour cela, et nous tenons à insister, les résultats que nous présentons ne sont qu’indicatifs. Ainsi, ils nous aident à montrer comment la Dorsale ne se caractérise pas seulement par une certaine tendance à générer de nombreuses vocations au milieu du xviii^e siècle, mais aussi par la plus forte concentration de clercs par habitant de toute la Galice intérieure en 1787. Cette concentration, n’en doutons pas, aura contribué à stimuler le recrutement d’individus pour l’Église.

21D’un autre côté, cette abondance relative d’ecclésiastiques par rapport à la population totale ne signifie pas qu’en terme absolu leur nombre fut suffisant pour s’occuper de toutes les paroisses de la zone. De fait, et paradoxalement, si l’on compare avec d’autres zones de l’évêché, il apparaît que la moyenne d’ecclésiastiques par paroisse accuse un léger déficit (tableau 3, F). Cette observation nous place devant la véritable dimension des territoires de la Dorsale en tant que générateurs de vocations religieuses, ce qui, et si l’on compare avec les autres aires de montagne européennes à la même époque, semble limité26.

22En tout cas, le déficit signalé explique les plaintes exprimées par les curés de la Dorsale à l’évêque à différents moments des xviii^e et xix^e siècles, à propos du besoin de prêtres pour assurer les nécessités spirituelles d’une population que nous savons dispersée dans des villages distants parfois de plusieurs kilomètres. Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner qu’une des raisons qui expliqueraient le grand nombre de vocations issues de cette zone, ait été sa possible stimulation par ces curés. Sans aucun doute, la situation socio-familiale de cette aire montagneuse, où prédomine la famille-souche et où les formules de succession héréditaire ne sont pas égalitaires, a favorisé l’action desdits curés. Cependant, l’intervention de Joseph Goy dans une des sessions de ce congrès, à propos de la communication de Véronique Castagnet et de Christine Lacanette-Pommel, nous a conduit à penser que la partition héréditaire dans les territoires de la Dorsale n’a pas été aussi inégalitaire que dans les autres zones de l’intérieur galicien. Dans ce sens, les faibles données statistiques dont nous disposons en ce moment semblent confirmer cette hypothèse, puisque, par exemple, au milieu du xviii^e siècle dans ladite Dorsale, les moyennes des foyers dont le chef de famille exerce une profession non agricole sont supérieures aux résultats observés pour le reste de l’intérieur galicien, c’est-à-dire, 16 % contre 7 %, tandis que ceux qui étaient aux mains de la petite noblesse se situent un peu en dessous, 4 % contre 7 %. De la même façon, on observe que les individus de la petite noblesse qui ont reçu la première tonsure représentent ici 25 % du total face à 31 % dans les autres zones de l’intérieur galicien.

23Par conséquent, et pour dépasser le strict cadre des caractères du recrutement sacerdotal entre 1685 et 1859, en grande partie assuré par les nombreuses vocations religieuses issues des terres montagneuses relativement peuplées de clercs et de leur possible stimulation par le particulier intérêt des propres curés, il faudrait considérer aussi le fonctionnement de certaines logiques et stratégies socio-familiales, dont les clefs matérielles et spirituelles restent encore aujourd’hui à préciser pour la Galice intérieure de l’Ancien Régime.