Chapitre 12. État, société, esprit public
p. 347-373
Texte intégral
1On ne peut qu’être frappé du mutisme du Recueil à l’égard de toute une série de problèmes qui font l’ordinaire des préoccupations de tout gouvernement, avant comme pendant la Révolution : les subsistances, le commerce des grains, la balance du commerce... Pour François de Neufchâteau, elles relèvent du secret d’Etat. La politique à l’égard des subsistances, parce que l’efficacité d’une intervention gouvernementale dépend de sa capacité à déjouer les anticipations spéculatives des acteurs du commerce, comme les effets autoréalisateurs des alarmes de l’opinion publique : on entend ici, sans surprise de la part d’un de ses lecteurs attentifs, la leçon de Necker. L’état de la balance du commerce, parce que, dans un pays non producteur de métaux précieux, le solde des échanges extérieurs détermine directement le volume du numéraire en circulation et, indirectement, la plus ou moins grande aisance des peuples à acquitter les contributions, est non seulement l’indicateur de la richesse, mais aussi de la puissance, politique et militaire, de la nation. Une telle conception interroge doublement l’ordre libéral supposé organiser la pensée et la pratique du ministre. Non seulement parce qu’elle légitime l’intervention directe du gouvernement dans les questions d’approvisionnement et de commerce des grains, en contradiction avec les principes réaffirmés en brumaire an V, mais aussi parce qu’elle admet par postulat la soustraction d’une part au moins de l’activité gouvernementale à toute forme de contrôle démocratique et de censure de l’opinion publique. Reste à savoir en quel sens s’exerce cette remise en question, et quel ordre révèlent les pratiques secrètes de gouvernement.
2Celui-ci ne trouve pas d’emblée ses coordonnées, et c’est au fil de l’exercice de ses responsabilités, dans la confrontation aux problèmes, tels qu’ils s’imposent à l’exécutif, que se dégagent les repères fondamentaux qui organisent la pensée et l’action du ministre. Grossièrement, mais assez logiquement, les trois phases de sa carrière au sein de l’exécutif coïncident avec trois moments d’apprentissage, de réflexion et d’orientations distinctes, dans une conjoncture en rapide évolution. De façon assez claire, les initiatives déployées dans les quarante jours de son premier ministère s’inscrivent de façon compréhensible dans le prolongement de son expérience vosgienne, témoignant des priorités que lui dictent son idéal de service et ses perceptions locales, elles-mêmes façonnées par sa sensibilité d’agronome ou de philanthrope. Quantitativement, l’investissement prescriptif se porte avant tout sur la reprise en main des corps administratifs et des commissaires du Directoire : pas moins d’une dizaine de circulaires ou de messages leur est destinée. Simultanément, il amorce une action en direction des secteurs sur lesquels il a tenté d’attirer l’attention en qualité de commissaire : la situation des prisons et des hôpitaux, celle de l’instruction publique, en particulier les écoles primaires, les épizooties et les ravages causés par les inondations, le nécessaire relèvement industriel. Investissement cognitif tout d’abord, afin de disposer de bilans homogènes, plus maniables et exploitables que les comptes des commissaires, si disparates en leur forme et leur contenu, investissement politique aussi en direction du législatif, par le moyen des messages adressés aux Cinq-Cents. Le tout représente une trentaine de messages et de circulaires. De grande politique et de grande planification européenne, il n’est pas question encore, ou presque.
3Trois semaines après l’accession de François de Neufchâteau au Directoire, son successeur, Letourneux, présente en effet un rapport sur un projet d’établissement d’une foire à Bruxelles, dont il attribue explicitement la paternité à son prédécesseur, « qui avait ordonné des recherches sur les moyens d’établir une foire générale dans la ci-devant Belgique »1. « Point central communiquant par canaux avec Anvers, offrant par sa population et ses vastes édifices, les moyens de faire d’un grand rassemblement un lieu de fêtes nationales où les arts déploieraient leurs sublimes et riches productions », Bruxelles apparaît comme la localisation idéale pour une manifestation qui doit, selon le rapporteur, contribuer à ranimer le commerce des départements annexés, porter un coup à la suprématie maritime britannique, et surtout faire de Paris, grâce à l’aménagement de liaisons fluviales, un entrepôt et un centre manufacturier ouvert sur les espaces maritimes du nord-ouest : thème cher à François de Neufchâteau, que nous avons déjà évoqué au chapitre précédent. Peut-être est-il permis de repérer, dans le rapprochement entre fête, foire et célébration des arts utiles, une première esquisse de la formule de l’exposition des produits de l’industrie, à l’origine conçue comme l’ornement utilitaire de la fête de la fondation de la République ? Le projet doit se lire avant tout comme la première contribution, inaperçue, de François de Neufchâteau à la grande ambition, portée notamment par Reubell au sein du Directoire, de constituer un espace économique continental intégré2.
4De fait, son élection au Directoire le 23 fructidor an V procure au provincial, à peine encore émancipé de ses perceptions politiques et gestionnaires locales, l’occasion de s’initier, en spectateur plus qu’en acteur s’il faut en croire les spécialistes, aux secrets et aux arcanes de la haute politique, celle des grands enjeux stratégiques, celle qui articule l’ensemble des dimensions et des points de vue, financier, militaire, diplomatique, économique ou politique, dont un ministre de l’Intérieur ne peut, par définition, et n’a pas, constitutionnellement, à saisir tous les paramètres3 Parvenu au ministère au moment de l’ouverture des pourparlers avec l’Angleterre, puis au Directoire quelques semaines avant la conclusion du traité de Campo-Formio, à un moment où l’hypothèse d’une paix de compromis peut encore passer pour crédible, François de Neufchâteau va cependant se trouver associé à l’engagement progressif du Directoire dans une politique belliqueuse, qui, de la reprise de la guerre contre l’Angleterre à la formation de la seconde coalition, s’affirme comme une volonté d’hégémonie française sur l’Europe, et d’éviction de la puissance anglaise du continent. Les détails complexes de cette politique n’ont pas à nous retenir, mais seulement les répercussions de cette inflexion sur l’itinéraire de l’intéressé. La guerre économique, de moyen de lutte contre les ennemis de la République, devient un objectif en soi. Or, sans y prendre une part prépondérante, François de Neufchâteau manifeste de multiples façons son adhésion aux ambitions expansionnistes du Directoire. Il leur prête non seulement son talent oratoire, en rédigeant par exemple la proclamation de reprise de la guerre contre l’Angleterre, à faire lire et afficher dans toutes les communes de la République, mais aussi son appui par ses efforts pour mettre en avant les avantages économiques que le gouvernement doit s’efforcer de tirer de ses conquêtes militaires et diplomatiques4. Le 5 vendémiaire an VI, il adresse au ministre des Relations extérieures, Talleyrand, une lettre, soumise au collectif directorial, pour lui faire part de ses réflexions « sur l’intérêt de faire marcher de front les négociations commerciales et les opérations militaires », et sur l’avantage « de quelques réformes touchant la mission des agents diplomatiques à l’étranger », qu’il voudrait orienter vers l’information économique5. La mission de négociateur à Selz, qu’il remplit à sa sortie du Directoire, couronne son initiation à la grande politique européenne. Il rapporte au surplus de son itinéraire de retour par la Belgique une vive impression à la vue de la densité des communications fluviales, une croyance renforcée dans la nécessaire intégration des départements réunis et de la façade maritime du nord-ouest à l’économie de la Grande Nation6 : Dès le 7 thermidor, redevenu ministre, il soumet un rapport au Directoire sur la nécessité de faire entrer dans les faits le rétablissement de la liberté de navigation sur l’Escaut, acquise en principe depuis le traité de La Haye, puis, quelques semaines plus tard, fait valoir l’exigence d’obtenir de la République batave le libre transit sur son territoire des marchandises destinées à la France7. Insensiblement, François de Neufchâteau glisse, pendant son directoriat, de la problématique « des améliorations dont la paix doit être l’époque », à celle des profits dont la conquête doit être la source.
5À l’été 1798, ce n’est donc plus un modeste commissaire départemental qui prend possession de « la maison de l’Intérieur », mais un directeur sorti de charge deux mois auparavant, qui a partagé pendant quelque huit mois tous les secrets d’État. À la faveur de sa position, il a acquis les moyens de relativiser les enjeux d’une conduite rigoureuse de son département, c’est-à-dire, au sens propre, de les mettre en relation avec l’ensemble des paramètres qui interviennent dans la gestion de l’exécutif, et de les resituer par rapport aux objectifs et aux priorités définies par l’équipe directoriale. De toute évidence, certains d’entre eux, hors de son champ de préoccupations réformatrices et amélioratrices lors de son premier ministère, deviennent prépondérants dans l’économie générale de son approche ministérielle. C’est ce que montrent les deux dossiers « secrets » des subsistances et de la balance du commerce, dont le traitement met en évidence la matrice à partir de laquelle s’organise désormais sa pratique de l’intérieur.
6Il est remarquable que les deux premiers rapports de synthèse soumis au Directoire par François de Neufchâteau dans les semaines qui suivent son retour à l’Intérieur concernent, l’un, du 19 thermidor an VI, l’état de la balance du commerce, l’autre, du 3 fructidor, la question des subsistances et des permis d’exporter des grains, deux champs d’intervention qui échappent au recensement de ses actes publics8. Très clairement, le premier champ se range désormais parmi ses préoccupations prioritaires. La production, le 19 nivôse an VII, d’un rapport intermédiaire sur les résultats du commerce extérieur pendant les six premiers mois de l’an VI témoigne de sa vigilance à cet égard : « L’importance dont il est de suivre le plus près possible dans les circonstances les mouvements du commerce extérieur me pousse à présenter aujourd’hui de semblables résultats pendant le premier semestre de l’an VI, en attendant que les états élémentaires fournis dans les ports et bureaux frontières soient terminés pour l’année entière. »9 La gestion des subsistances et la question de l’exportation des grains ne retiennent pas moins son attention. Le rapport du 3 fructidor est suivi de près par un deuxième, le 13 vendémiaire, puis d’un troisième, estampillé de sa main « rapport secret », le 29 frimaire10. L’analyse de ces deux séries de documents montre clairement que l’approche, par le ministre, des questions économiques s’organise alors en fonction de deux finalités ultimes : l’amélioration des rentrées fiscales d’une part, l’accroissement des rentrées de numéraire de l’autre, dont le fondement qui les relie s’inscrit résolument dans une lignée de pensée mercantiliste.
7Lorsque François de Neufchâteau est saisi du dossier des subsistances à l’été 1798, la situation frumentaire de la République est à peu près la réplique inverse de celle qui avait amené les Thermidoriens, puis le Directoire dans les premiers mois de son existence, à ressusciter, à l’exception du maximum, le plus clair de la réglementation du commerce des grains instaurée par le gouvernement révolutionnaire, et abolie en nivôse an 11111. Aux pénuries de 1794 et 1795 ont succédé deux très belles récoltes en 1796 et 1797, et celle de 1798 s’annonce encore excédentaire. L’appréciation globale de la situation masque cependant des disparités régionales que traduisent, mieux que les états approximatifs du produit des récoltes, le tableau récapitulatif des mercuriales, qui témoigne de tensions sur les prix dans les départements du Midi, déficitaires, tandis que les cours du froment s’effondrent au nord au-dessous de dix francs le quintal, notamment dans les départements belges. Dès l’an V, des pétitions de propriétaires et de négociants des départements de l’Escaut et de la Dyle sont adressées au ministre pour réclamer l’abrogation de la loi du 19 thermidor an IV, qui interdit l’exportation des grains. La réponse leur revient par l’intermédiaire des administrations centrales : « Je ne puis provoquer le rapport de cette loi tant que les grains seront chers dans plusieurs départements de la République. Une pareille mesure ne ferait qu’augmenter le prix de cette précieuse denrée, qui y est déjà excessif, et amènerait nécessairement des désordres. » Mieux vaut inciter le commerce à diriger les stocks vers la capitale, et vers les départements du Midi. La paix très prochaine, en rendant les mers libres, lui en donnera les moyens12. Cette réponse de François de Neufchâteau, rendue publique, vaut à la fois information auprès des intéressés, et profession d’orthodoxie à l’égard de la représentation nationale et de l’opinion publique : pas un sac de farine ne sortira de la République, mais, réciproquement, aucune intervention directe du gouvernement n’est envisagée pour approvisionner les départements méridionaux. Au contraire, la détermination ministérielle de « s’en remettre au Commerce » est affichée, sans toutefois assumer le risque de franchir la ligne rouge de la liberté d’exportation.
8Un an plus tard, le dispositif mis en place entre fructidor an VI et frimaire an VII contredit subtilement celle-ci sur l’un comme l’autre point. D’emblée, le ministre justifie son caractère secret :
« Il est impossible et nuisible de solliciter une loi sur l’exportation des grains, parce que la moindre discussion, relative à une pareille loi, surtout à l’entrée d’une saison rigoureuse, et à plus forte raison dans un moment où les fortunes sont ébranlées, alarmerait la majorité des citoyens, effrayerait également ceux qui sont dans l’abondance en leur faisant craindre une disette, et ceux qui sont dans la disette en leur annonçant une situation plus funeste encore ; parce que cette discussion fournirait aux ennemis intérieurs du gouvernement une arme bien dangereuse ; parce que le résultat d’une mesure générale à cet égard ferait infailliblement baisser le prix des grains au dehors, ce qui nuirait essentiellement aux débouchés de l’intérieur. »13
9Pour déjouer les ruses de l’opinion, il faut donc agir, « sans blesser les lois existantes ». Devant l’inertie opposée à l’appel du ministre, et le refus de saisir les occasions de profit qui s’offrent à lui, il s’agit désormais de « forcer les spéculations du Commerce à seconder le gouvernement dans ses vues d’approvisionnement et à le dispenser de pourvoir directement les départements méridionaux, ce qui entraînerait des frais énormes, nuirait au commerce et serait contraire aux principes d’une sage administration »14. Dans cette intention, les permissions d’exporter, délivrées en contrepartie de l’engagement formel de diriger vers les départements du Midi une quantité de grains quatre fois supérieure à celle dont la sortie est autorisée, égale à 20000 quintaux, doivent lui assurer une sorte de prime, en lui procurant un débouché qui lui donne un bénéfice certain15. Le montage sophistiqué, destiné à « éviter les abus ordinairement inséparables de pareilles mesures », témoigne de la méfiance profonde qui guide la démarche. Les permissions, plafonnées pour limiter les risques, sont incessibles, pour prévenir toute tentative d’agiotage. Des délais rigoureux sont exigés pour l’exécution des contrats, au-delà desquels les permissions sont automatiquement annulées. Le degré de liberté accordé aux négociants est au demeurant étroit, puisque l’attribution des permis fait l’objet d’une planification prudente, à la recherche d’un équilibre idéal de la concurrence : « Quand les permis sont trop multipliés et qu’ils ne sont pas assez disséminés, il en résulte, dans les mêmes points, une concurrence désavantageuse », explique le ministre16. Après avoir évalué la quantité de grains dont on peut permettre la sortie, deux millions de quintaux au total, il faut donc « limiter approximativement la quantité que chaque département pourrait fournir à l’exportation... seul moyen d’éviter les réclamations fondées de ceux que leur situation ne mettrait pas également à portée de vendre, si l’exécution de cette mesure était abandonnée à l’arbitraire du commerce »17. Enfin, les directions commerciales sont strictement fixées en fonction d’objectifs qui n’ont pas davantage à voir avec une volonté d’élargissement de la latitude d’action du commerce : seules la République batave, la République helvétique et l’Espagne sont admises, les deux premières parce que l’exportation de grains facilitera l’approvisionnement des troupes, la dernière parce que les permissions y sont soumises à l’engagement de fournir en retour des matières premières : coton, laine, indigo et cochenille18. Le paradoxe du plan réside en ceci qu’il transgresse les limites assignées par la loi à la liberté commerciale, pour mieux en contrôler les marges de manœuvre et le champ d’application. Au même moment, le ministre recourt secrètement à des achats de précaution pour la capitale, en signant avec la compagnie Houard le traité du 29 fructidor, pour assurer le service journalier de la halle de Paris que des événements imprévus pourraient contrarier et exposer à manquer de grains, « s’il restait livré aux seules spéculations particulières du commerce »19.
10François de Neufchâteau, dont a souligné plus haut l’intérêt qu’il porte à la question des greniers d’abondance, et la part indirecte qu’il prend au printemps 1793 dans le débat sur les subsistances, a, semble-t-il, médité l’expérience dirigiste de l’an II, puisqu’à en croire l’inventaire de sa bibliothèque, il avait rassemblé trois volumes de pièces « rares et curieuses » relatives au Maximum20. Cependant, le plan conçu à la fin de l’an VI n’est pas le fruit de certitudes théoriques, comme le prouve à l’évidence le protocole pragmatique auquel le ministre entend soumettre sa mise en œuvre, guidée par la « prudence », principe de précaution qui impose, à chaque étape du processus d’application, de « tirer les enseignements des mesures engagées », et d’accompagner celui-ci par un ensemble de « précautions dictées par l’expérience déjà acquise »21. « Mon principal but, résume le ministre, est d’amener des grains dans les départements méridionaux privés des moyens d’approvisionnement ordinaire, de procurer aux manufactures des matières premières dont elles manquent, aux propriétaires et aux cultivateurs des moyens de continuer leurs cultures et de payer leurs contributions, au Trésor public les rentrées de ces mêmes contributions, devenues si nécessaires. »22 Si l’agronome prête une oreille attentive aux plaintes des fermiers et des propriétaires, embarrassés de leurs surplus, et qui menacent, les uns de dénoncer leurs baux, les autres d’abandonner leur culture, il est clair qu’à l’origine du projet, la préservation des rentrées fiscales, qui fondent la puissance de l’Etat et sa capacité d’intervention, subordonne la réflexion économique. Significativement, le ministre ouvre son long rapport du 29 frimaire par ce constat laconique : « Les contributions ne se payent point. » Quelques lignes plus loin, il poursuit : « Pour parvenir au recouvrement plus facile des contributions... le Directoire exécutif a pensé qu’il devait offrir aux cultivateurs et au Commerce un débouché de leurs denrées. » Ainsi, loin de rejeter l’activité économique dans la sphère du privé, en cantonnant le rôle de l’Etat au maintien du respect de la propriété, et de la liberté, pour les entrepreneurs, de déployer leur énergie à des fins d’intérêt individuel et de jouir sans contrainte de leurs profits, son approche, d’essence politique, ramène au contraire cette activité dans la sphère du public, et l’assujettit aux intérêts supérieurs de l’État, fondé à intervenir très directement pour forcer les intérêts privés à « seconder les vues du gouvernement ». La reconnaissance de l’intérêt individuel comme moteur de l’activité productive n’entraîne pas l’abandon de la sphère économique à l’intérêt privé. Celle-ci demeure dans la sphère politique, subordonnée à l’intérêt général, incarné par l’État souverain.
11L’aisance des peuples à acquitter les contributions ne peut cependant se soutenir sans une circulation active du numéraire. C’est pourquoi, le plan de François de Neufchâteau ne s’attache pas moins à considérer les avantages des permissions sous l’angle de l’accroissement des rentrées d’argent. Accroissement direct obtenu par l’échange denrées contre numéraire, dans le cas de la Hollande et de la Suisse, accroissement indirect obtenu par l’économie des sorties de numéraire, grâce à l’échange denrées contre matières premières imposé en Espagne et surtout par les gains attendus de l’exportation des productions manufacturières bénéficiaires de ces retours en nature : « Les besoins de nos manufactures en matières premières ne peuvent être remplis que par une sortie de numéraire devenue plus impolitique que jamais... Le numéraire n’est pas assez abondant dans la République pour qu’on se permette d’en faire le sacrifice. »23 L’attention portée à l’état de la balance du commerce relève d’un souci identique, que l’évolution de la situation extérieure au cours de l’an VII ne pouvait que renforcer. Les résultats du commerce extérieur pour l’an V, analysés en thermidor an VI, font état d’un solde négatif de 144 millions. « Voici donc une des causes majeures de la rareté du numéraire dans la circulation », commente le ministre. Les faibles signes de reprise qu’il décèle dans l’augmentation des entrées de matières premières, « pronostic favorable à l’activité prochaine de nos manufactures », et la satisfaction qu’il tire de la substitution de toiles de coton blanches destinées à être imprimées aux importations d’articles anglais manufacturés « nuisibles à nos propres fabriques », ne compensent pas l’inquiétude suscitée par l’hémorragie de numéraire qu’entraîne notamment l’effondrement, depuis 1792, du secteur colonial. Le rapport intermédiaire de nivôse an VII envisage, quant à lui, « l’influence qu’ont pu avoir sur notre situation monétaire métallique nos échanges respectifs en Europe », dont la balance, équilibrée à mi-parcours de l’exercice, laisse espérer un redressement : « Ce fait est majeur et indispensable à connaître pour le Directoire exécutif de la République, parce qu’il entre dans les éléments de ses combinaisons politiques de s’assurer des circonstances qui peuvent diminuer dans l’époque présente les difficultés de recouvrement des contributions, difficultés augmentées dans l’époque précédente par la nécessité où se trouvait la France de solder à l’étranger une somme au moins de 100 millions. »24
12À la lumière de cette dimension « secrète » de l’activité ministérielle, on aperçoit plus clairement les présupposés et les finalités qui la fondent, la logique qui l’organise. François de Neufchâteau tient un langage économique de la puissance, articulé sur les notions complémentaires d’hégémonie et d’autosuffisance. D’un côté, la recherche de l’hégémonie internationale passe par la capacité de l’Etat à évincer ses rivaux – c’est le cas de l’Angleterre – ou à leur imposer durablement un rapport inégal dans l’échange, par des traités dont nous avons dit quelle attention le ministre leur accorde, et par l’aptitude des négociants et des manufacturiers à « asservir le goût de l’Europe » à leurs productions, notamment celles de luxe, à haute valeur ajoutée. Signe monétaire de cette supériorité, le solde positif de la balance du commerce assure l’aisance des citoyens et leurs facultés contributives. Il alimente ainsi le Trésor d’un surcroît d’argent, gage à son tour de la sécurité du territoire et du maintien des positions hégémoniques. La richesse est donc une dimension de la puissance, et, réciproquement, la puissance source de richesse. C’est pourquoi, d’un autre côté, l’autosuffisance du territoire, condition de son indépendance et signe de sa prospérité, n’est pas moins importante. Par des voies originales, l’intervention du ministre en direction des subsistances vise précisément à rendre effective, en dépit des disparités régionales, l’autosuffisance globale de la République, et à en préserver les facultés à long terme. On retrouve là, transférée en quelque sorte sans dommage à l’Etat républicain, une des modalités d’expression traditionnelle de la justice du prince, fondé à intervenir pour garantir le bien être et l’unité de son royaume. À long terme, le plan de développement de la navigation intérieure, dont la publication s’intercale, presque sans surprise, entre le deuxième et le troisième rapport de François de Neufchâteau sur les subsistances, n’a pas d’autre objectif que d’assurer, sous l’invocation de Sully et Vauban, cette autosuffisance fondée sur la complémentarité des besoins et des ressources. Gage de moindres importations et donc de moindres sorties de numéraire, la capacité à se suffire à soi-même est aussi la garantie d’une population nombreuse, signe de santé de la nation et moyen à son tour de la puissance. Convictions populationnistes du fondateur de villages, attention portée par le ministre aux relevés de population : nous savons déjà que cette dimension n’est pas absente de son approche économique. À la faveur de cet éclairage apparaît un cadre de pensée d’inspiration clairement mercantiliste.
13Cependant, ce socle de représentations qui gouverne en amont sa sensibilité et son approche économique ne résulte pas d’un choix théorique entre deux branches d’une alternative claire, conçue et posée comme telle, entre deux options nettes : mercantilisme d’un côté, libéralisme de l’autre, laisser-faire et harmonisation spontanée des intérêts individuels d’une part, valeur-puissance et régulations étatiques de l’autre. François de Neufchâteau, nous le savons, demeure largement étranger aux tentatives de compréhension et d’explication des faits économiques qui s’efforcent de considérer ceux-ci comme la résultante de mécanismes indépendants de la volonté des acteurs. Il est certain qu’il a ignoré Boisguilbert, qu’il n’a pas lu Mandeville. Nous savons aussi quelles raisons le rendent sourd à l’offensive physiocratique. Et si, comme la plupart de ses contemporains, il n’a pas ignoré la Richesse des nations, dont il possédait un exemplaire et qu’il a probablement lu, au moins par extraits, les indices qu’il nous laisse de cette lecture prouvent qu’à l’évidence, ni le message de la main invisible, ni la prétention à fonder l’économie comme science par l’éviction des catégories du pouvoir et de la puissance, à supposer qu’ils fussent perçus comme tels, ne sont au fondement de l’hommage, assez convenu, qu’il rend aux travaux du « savant Monsieur Smith ». Le point de vue, c’est-à-dire, au sens propre, le lieu d’où il considère les questions que nous autonomisons sous le terme d’économie, est, dès l’origine, et demeure, pour lui, le point de vue de l’État. Pour l’administrateur devenu ministre aucun frayage avec les milieux qui en formalisent l’expression n’a pu être à l’origine d’une interrogation sur le trop gouverner, qui constitue l’essence du combat libéral, aucune expérience autonome de la société civile n’a pu favoriser une mise à distance critique de ses propres instruments de pensée. François de Neufchâteau ne s’interroge pas, ni en 1788 à Saint-Domingue, ni en 1791 lorsqu’il considère les principes constitutionnels, ni en 1798 à son bureau ministériel, sur le champ et les limites du gouvernement, mais sur le bon gouvernement. La question pour lui ne s’est jamais posée de savoir si on gouverne trop. Il s’interroge sur les moyens de bien gouverner, et l’on ne gouverne jamais trop si on gouverne bien. Les catégories au moyen desquelles il appréhende et pense le champ de l’économie sont des catégories politiques, ou qui se subsument sous des catégories politiques. Il en va ainsi de l’entrepreneur qui, sous les figures du capitaliste, du négociant ou du manufacturier, n’est jamais envisagé du point de vue de sa particularité fonctionnelle à l’intérieur d’un circuit social de reproduction des richesses, mais en qualité de citoyen, pour la contribution qu’il apporte à la prospérité et à la grandeur nationales. En d’autres termes, la division du travail, dont il pressent pourtant l’importance dans le processus de développement des zones d’approvisionnement des villes, n’est pas identifiée par lui comme instrument privilégié de compréhension d’un processus de croissance, mais davantage perçue comme une catégorie statique de description des diverses modalités de l’être social, dont l’essence réside dans la citoyenneté. Et c’est précisément sa représentation de la citoyenneté, dénuée de toute contamination individualiste, qui rend possible la coexistence de deux types de discours concurrents : l’appel à l’énergie et à l’initiative individuelles, dont l’intérêt privé est le moteur, d’une part, la condamnation des intérêts égoïstes, cette « rage anti-sociale », de l’autre. L’intérêt individuel n’est légitime qu’autant « qu’il sert les vues du gouvernement », pour reprendre les termes de son rapport sur les subsistances, c’est-à-dire l’intérêt général, incarné dans l’État souverain. C’est bien pourquoi, les négociants, comme les manufacturiers ou les agriculteurs, doivent être « éclairés », voire « dirigés » ou même contraints par la ruse, dans laquelle l’appât du gain tient sa place, à coopérer à l’œuvre du pouvoir. Récompensés aussi, à la mesure de leur mérite civique. On ne peut mieux exprimer cet idéal d’interpénétration du pouvoir et de la société qu’il ne le fait en conclusion de son plan de développement de la navigation intérieure prometteur pour les entrepreneurs : « Il ne leur a manqué peut-être que cette encourageante facilité, pour tourner leurs vues et diriger l’emploi de leur fortune vers ces entreprises faites pour illustrer ceux qu’elles enrichissent, en associant leurs intérêts particuliers à l’intérêt national. »25
14Ces conclusions interrogent à leur tour la représentation de la société et des relations État-société donnée à voir par l’auteur du Recueil... Tandis que, d’un côté, la rhétorique des circulaires comme la stratégie de communication du ministre puisent leur substance dans la valorisation d’une raison citoyenne, exerçant sur le gouvernement un magistère d’influence et une censure critique, entretenus par une libre circulation des idées et des opinions, d’un autre côté, la revendication d’une dimension secrète de l’activité gouvernementale rabat celle-ci du côté de la raison d’État. Raison d’État ou raison citoyenne ? La question met en cause la nature de l’espace public construit par une pratique de l’intérieur, qui relève manifestement de modèles concurrents, dont les acteurs de la Révolution, toutes tendances confondues, quoique par des voies différentes, prétendent avoir assuré l’effacement du premier au profit du second. « Mon impression, inclinait à conclure Stuart Woolf du ministère Chaptal, est qu’il s’agit de l’unique moment, dans toute la période napoléonienne, où le secret d’État a cédé devant une publicité voulue, motivée par la recherche de collaborations. »26 Par des moyens et à des fins identiques, c’est la même impression que le ministre du Directoire, comme l’auteur du Recueil..., s’emploie à susciter auprès de ses contemporains et de la postérité, en multipliant les signes d’ouverture vers la société civile. L’examen des deux modalités privilégiées de cette ouverture, revendiquées comme telles par le ministre : l’appel aux élites éclairées de la nation d’une part, l’appel à l’opinion publique, au fondement même de l’institution de l’œuvre, de l’autre, vont nous permettre d’en sonder la profondeur et la signification. À la rencontre d’un idéal académique et d’un idéal de service dont nous avons évoqué les modalités d’intériorisation chez l’intéressé, la croyance en la nécessité d’asseoir une pratique politique rationnelle sur la recherche de collaborations savantes ou expertes s’inscrit sans hiatus dans la continuité du moment révolutionnaire, qui apparaît, rétrospectivement, comme un moment privilégié où se réalise l’alliance de la science et du pouvoir27. Au-delà des proclamations d’intention du ministre, deux questions doivent être envisagées : celle de la nature et de l’ampleur des collaborations impulsées par lui ; celle des pratiques effectivement développées, et des attentes dont elles se font l’écho.
15L’examen de l’organigramme du ministère, dans ses différentes composantes, centrales et périphériques, démontre d’emblée que François de Neufchâteau a trouvé, à son arrivée, de solides noyaux de compétences expertes qui ne lui sont en rien redevables de leur promotion au sein de l’appareil. En particulier, la plupart des conseils, chargés de missions d’expertise auprès des différentes divisions du ministère, sont en place dès la reconstitution de celui-ci, et le personnel qui les compose, formé dans les grandes institutions monarchiques, mobilisé dès la Constituante, témoigne d’une remarquable stabilité au travers des différentes configurations gouvernementales. Conseil des Mines, Conseil consultatif du commerce ou d’agriculture, Conseil des poids et mesures sont ainsi porteurs d’une expérience de collaboration avec le pouvoir instaurée bien avant son arrivée28. La contribution propre du ministre à cette mobilisation savante doit donc être relativisée, plus encore si l’on se penche sur les modifications qu’il introduit dans l’organigramme ministériel ou la composition de son personnel, notamment aux échelons supérieurs de la hiérarchie, davantage concernés par le présent propos. La reconstitution du « petit monde » de François de Neufchâteau ne saurait, faute de sources adéquates, se plier aux exigences d’une véritable analyse de réseau29. Néanmoins, la matrice des relations impliquées dans l’entourage ministériel fait apparaître clairement la prédominance de « liens forts », qui ne s’organisent pas spécifiquement autour d’une composante savante, mais autour de son enracinement lorrain, d’une part, de ses contacts avec les milieux du journalisme et des lettres, de l’autre30.
16Parcourons tout d’abord la hiérarchie des bureaux31. Dès l’an V, le ministre place à la tête du secrétariat général un proche, le citoyen Geoffroy, qui appartient à une famille « à laquelle je suis lié depuis ma tendre enfance », écrit-il quelques années plus tard32. La principale innovation du ministre est la création d’un « Conseil intérieur » ou « particulier », chargé de lui donner son « avis motivé sur les questions de droit public, d’économie politique et de sciences et d’arts »33. La compétence juridique de celui-ci n’est certainement pas étrangère au choix d’Ignace-Frédéric Mirbeck, ancien avocat au parlement de Nancy, puis avocat au Conseil à partir de 1774, recommandé par François de Neufchâteau pour sa succession au tribunal de cassation. Mais, avec l’un des plus anciens amis et appuis du ministre, c’est à nouveau le rameau lorrain de ses ramifications sociales que l’on retrouve, associé à l’aventure ministérielle. On est plus étonné par les nominations d’André François Miot, futur comte de Melito, et de Jean-Antoine Gallois, conseiller en matière d’économie politique pour le premier, de sciences et d’arts pour le second. Lié aux milieux d’affaires languedociens, pour lesquels il s’entremet auprès de ses puissants appuis politiques parisiens sous l’Empire, André François Miot, entré dans l’administration militaire à la fin des années quatre-vingt, a fait une carrière diplomatique pendant la Révolution, marquée par differentes missions en Italie34. Peut-être est-ce sur la recommandation de Joseph Bonaparte, dont il fut très proche, qu’il décroche cette place à l’intérieur, plutôt bien rémunérée ? La nature de ses liens avec le ministre reste obscure. Rien en tout cas dans son parcours ne signale une particulière compétence en matière d’économie politique. Quant au citoyen Gallois, son appartenance à la Société d’encouragement pour l’industrie nationale dès l’an IX ne doit pas faire préjuger de l’expérience de cet obscur littérateur en matière de sciences et d’arts35. Et en l’absence de relations antérieures attestées avec celui dont il devait devenir le conseiller particulier, celles qu’il entretint avec les habitués du salon de Madame Helvétius apparaissent comme le lien susceptible de l’introduire dans la proximité du ministre, par l’intermédiaire de Ginguené, chef de la cinquième division lors du premier passage de François de Neufchâteau à l’intérieur. Dans l’un comme l’autre cas, la volonté affichée par celui-ci de s’entourer de spécialistes aptes à lui prodiguer des « avis motivés » sur des questions relevant de champs de compétence bien identifiés, se traduit dans les faits par le recrutement de profanes sur des bases de recommandations probablement tout à la fois politiques et mondaines.
17Globalement, le personnel des différentes divisions, à l’échelon supérieur de la hiérarchie administrative, subit quant à lui peu de renouvellement pendant les deux ministères François de Neufchâteau. La plupart des chefs de bureaux sont en place lors de son arrivée et le restent au-delà de son propre retrait. Parmi les chefs de division en poste dès 1796, trois seulement traversent les années 1797- 1799 : Devèze, à la division des affaires administratives, Dubois de Jancigny, ancien membre de la Société d’agriculture de Paris et rédacteur de la Feuille du cultivateur, à la quatrième division des affaires économiques, et Bergeron, à la division de la comptabilité36. Quatre promotions sont imputables au ministre. Celle de Leclerc de Montlinot, employé comme chef de bureau à la seconde division depuis 1796, nommé à la direction de celle-ci au début de son second ministère37 ; celle de Le Camus, ingénieur des Ponts et Chaussées, chef de la seconde division des Travaux publics sous les ministères Roland et Garat, directeur et administrateur de l’Ecole polytechnique de novembre 1795 au 28 août 1797, date à laquelle François de Neufchâteau le rappelle pour diriger la seconde division ; celle de Venceslas Jacquemont, qui succède à Ginguené, nommé ambassadeur à Turin, à la tête de la cinquième division de l’instruction publique ; celle de Raup de Baptestin enfin, qui fait son entrée au ministère en qualité de chef de la sixième division de la navigation intérieure, à l’automne 1798. Si les deux premières nominations apparaissent indiscutablement comme une prime à la compétence et à l’expérience, reconnues par le ministre lors de son premier passage à l’intérieur, celle de Jacquemont, extérieur au ministère, apparaît clairement liée aux relations amicales que celui-ci entretient avec Ginguené. Membre correspondant de l’Institut depuis 1796, collaborateur occasionnel de la Décade philosophique, aucune publication ne le signale comme un spécialiste des questions d’éducation. Ancien chanoine de la collégiale d’Hesdin, il n’a comme expérience de l’instruction publique que sa participation fugitive au jury du district de Montreuil-sur-Mer, et, en matière d’administration, celle qu’il a acquise en qualité de chef du bureau de la Liquidation générale des Emigrés38. Tout à fait étonnant apparaît enfin le choix de Raup de Baptestin, obscur littérateur dont on ne connaît que la mention qu’en font les Siècles littéraires de Le Moyne Des Essarts, à la direction d’une division hautement technique, stratégique dans le dispositif conçu par le ministre pour assurer les bases du redressement économique39. À la veille de sa rentrée rue de Grenelle, François de Neufchâteau s’interroge négligemment à son sujet : « Savoir ce que c’est que Raup Baptestin. » Une seule certitude à cet égard, l’appartenance de celui-ci à la maçonnerie dès avant la Révolution40.
18En réalité, chacune de ces promotions permet d’établir un pont avec différents cercles ou différentes mouvances, qui ne sont pas sans liens entre eux. Avec Leclerc de Montlinot, un premier fil nous conduit au journal de Panckoucke, La clé du cabinet des souverains, où il assume la rubrique d’économie politique, aux côtés d’Amalric, sous-chef de bureau dans sa propre division, et de Garat. Or, François de Neufchâteau, nous l’avons mentionné, est en rapport avec le journal dès 179641. Avec Jacquemont et Ginguené, qui en est le fondateur, un deuxième fil nous conduit vers la Décade philosophique, à laquelle participent également en qualité de rédacteurs fondateurs Amaury-Duval, chef de bureau à la cinquième division, et Lebreton, membre du Conseil d’instruction publique42. Faisant largement état des initiatives ministérielles en matière d’instruction publique, le journal accueille également plusieurs contributions de François de Neufchâteau pendant son ministériat et son directoriat, et bénéficie de son soutien par la voie d’une souscription ministérielle à six cents exemplaires du périodique43. D’un périodique à l’autre, d’un cercle de collaborateurs à l’autre, le lien s’établit par l’intermédiaire de Garat et de Ginguené, qui fréquentent tout deux la Société d’Auteuil, jetant du même coup les ponts vers la mouvance des Idéologues, dont la pénétration au ministère n’est pas moins attestée, avec la présence de Destutt de Tracy ou Daunou au sein du Conseil d’instruction publique. Les deux pivots de ces connexions multiples, qui créent les conditions d’une circulation entre l’espace clos du ministère, forme agissante de l’Etat, et la société éclairée, organisée autour de ces différents pôles de réflexion et d’expression, sont indiscutablement Garat et Ginguené, marqueurs permanents de toutes les relations qui tissent le réseau social dans lequel s’inscrivent les collaborations ministérielles44. Tous deux partagent avec François de Neufchâteau une commune appartenance au monde des lettres et du journalisme de l’Ancien Régime finissant, une fraternité éprouvée dans la loge des Neufs Sœurs. Garat, protégé de Madame Suard, sœur de celui-ci, gravitait déjà dans la galaxie Panckoucke, en qualité de rédacteur au Mercure, au temps où le journal se faisait l’écho des performances littéraires du magistrat poète. Ginguené s’est vu pour sa part confier la rédaction du volume « Musique » de l’Encyclopédie méthodique. Les parcours des trois hommes s’entrecroisent dans le cours de la Révolution : en 1792, Garat accepte le poste de ministre de la justice après la dérobade de François de Neufchâteau, et la démission de Danton ; en 1793, c’est François de Neufchâteau, peut-être sollicité par celui-ci, qui prétend à la succession à l’Intérieur de Garat, démissionnaire le 29 août. Dans la tourmente du printemps 1799, ce dernier est encore l’un des seuls députés à monter en ligne aux Anciens pour défendre la réputation du ministre mis en cause après le 30 prairial. En l’an III, Garat et Ginguené ont assumé conjointement la direction exécutive de l’Instruction publique en qualité de commissaire et commissaire adjoint, le second succédant au premier dans ses fonctions.
19Quelle que soit la façon dont on considère le petit monde ministériel de François de Neufchâteau, l’impression dominante est que les mouvements de personnel qui l’affectent doivent à des relations sur lesquelles s’étend l’ombre portée d’affinités et de solidarités anciennes, d’où émergent quelques figures confuses. Celle des amitiés lorraines, celle des Neuf Sœurs, celle de l’empire de Panckoucke, qui pèsent davantage que la recherche systématique de collaborations scientifiques ou expertes fondée sur un réseau établi de relations savantes. Au-delà du cercle étroit des personnels salariés du ministère, François de Neufchâteau a cependant cherché à réunir des personnalités susceptibles d’apporter un concours et une garantie savante ou institutionnelle à la réalisation d’initiatives qui lui reviennent en propre. Tel est le cas du Conseil d’instruction publique, créé dans une certaine improvisation par arrêté ministériel le 17 vendémiaire an VII, et investi d’une mission d’expertise pédagogique, aux fins d’introduire une certaine uniformité dans les méthodes et les manuels d’enseignement45. Dans cette intention précise, il était normal qu’il songeât à puiser dans les ressources de l’Institut national, qui couronne l’édifice scolaire mis en place par la loi du 3 brumaire an IV, et qui relève de la tutelle directe de la cinquième division du ministère. Compte tenu de la mission particulière assignée au Conseil, il paraissait également logique de privilégier les individualités particulièrement au fait des problèmes relatifs à l’enseignement. Garat et Ginguené, anciens commissaires de la commission exécutive de l’Instruction publique, étaient à ce titre tout désignés, notamment par leur connaissance de la délicate question de la rédaction des manuels scolaires. Le premier, de surcroît, avait enseigné en l’an III à l’École normale, dont la vocation primitive était de former des enseignants, et siège au jury central d’instruction publique de Paris, aux côtés de Lagrange, responsable avec Darcet de la partie mathématique et physique au sein du Conseil. Urbain Domergue et Lebreton enseignent, le premier la grammaire, le second la logique à l’École centrale de Paris, dont François de Neufchâteau souhaite faire un établissement pilote pour la formation des instituteurs. Daunou enfin, ex-professeur dans les collèges de l’Oratoire, avait été le rapporteur de la loi du 3 brumaire an IV et avait contribué à définir les programmes des écoles centrales. Cet intérêt partagé pour les questions d’acquisition et de transmission des connaissances explique le rapprochement du ministre avec les animateurs de la Décade et avec les Idéologues, dont il ne partage pas nécessairement par ailleurs les partis pris théoriques et ne fréquente apparemment pas les terres d’élection46. En la circonstance cependant, il est clair qu’il a pu s’assurer d’autant plus facilement le concours de collaborateurs prestigieux, comme Destutt de Tracy, qu’il siège lui-même à l’Institut depuis le 5 frimaire an VI, dans la classe de Littérature et Beaux-Arts, et que plusieurs des personnalités pressenties appartiennent de longue ou plus récente date au cercle de ses familiers. C’est le cas de Palissot, bien sûr, mais aussi d’Urbain Domergue, côtoyé dès 1791 à la Société des amateurs de la langue française, de Garat et de Ginguené, déjà mentionnés, de Daunou, habitué du salon de François de Neufchâteau pendant son directoriat. La composition du Conseil témoigne en outre de la plus grande aisance, sinon de la propension du ministre, à mobiliser l’élite littéraire de son temps qu’à attirer à lui des collaborations scientifiques proprement dites, en dépit des occasions que lui procurent son élection à l’institut, ou son accession à l’exécutif directorial.
20Comme la plupart des directeurs, François de Neufchâteau tint salon au Luxembourg, et, s’il faut en croire la principale source de renseignements sur ces réunions décadaires, Laure d’Abrantès, « salon fort remarquable pour l’époque, parce qu’il offrit tout à coup un lieu de réunion pour les arts et les muses... Il avait le droit d’être remercié, prononce-t-elle, pour le soin qu’il prenait d’y réunir les littérateurs distingués du temps. »47 L’orientation littéraire du salon paraît confirmée si l’on en juge par les noms et les informations lâchées par la chroniqueuse : « On y faisait des lectures, on y essayait des pièces, lui-même qui, au fait, disait fort bien les vers, en récitait souvent... C’est ainsi qu’on connut Paméla. Longtemps, les soirées intimes furent aussi destinées à une autre lecture réservée aux élus ; c’était une traduction de l’Arioste... fort exacte et fort belle à ce que m’ont assuré plusieurs personnes qui l’ont entendue. » Dans ce salon, où se retrouvaient, aux côtés de ses intimes, « toutes les notabilités littéraires » de l’époque, Chénier, Lebrun, Ducis, Parny, Bernardin de Saint-Pierre, celles des Beaux Arts, comme Laïs ou Chéron, mais aussi Ginguené, Garat, Daunou, Sieyes, François de Neufchâteau a manifestement tenté de ressusciter les mœurs, fait revivre les manières et jusqu’aux œuvres qui assuraient vingt ans plus tôt ses succès mondains. « On y causait », observe avec gratitude l’aristocrate nostalgique, qui reconnaît là le trait distinctif d’un authentique salon littéraire, lieu de survivance d’une culture de la conversation étrangère à ses yeux aux parvenus de la Révolution. Si l’on surprend, à la faveur d’un dîner offert en l’honneur de Bonaparte après Campo-Formio, les noms de Laplace et de Lagrange, la participation scientifique, celle des sciences de la nature, occasionnelle, s’efface derrière celle du monde politico-littéraire et artistique de l’époque48.
21En réunissant autour de lui les principales notabilités littéraires de son temps, et en puisant ainsi dans son réservoir de relations sociales d’homme de lettres, l’homme d’État ne cède pas seulement à ses propres inclinations ou à un réflexe d’habitudes acquises. Il entend donner corps à l’orientation politique impulsée depuis thermidor, notamment par les voix de Grégoire, de Chénier ou de Daunou, qui tend à réhabiliter l’image de l’écrivain et de l’artiste, mise à mal pendant le régime terroriste, et à réunir les sciences, les lettres et les arts au service de l’affermissement du régime républicain et de la nécessaire clôture de la Révolution. Au même titre que les savants, et en échange de commandes officielles ou de l’expression de la reconnaissance publique, écrivains et artistes sont invités à mettre leur talent au service de la grandeur nationale et de l’utilité commune. Par sa position et sa trajectoire propre, François de Neufchâteau incarnait lui-même la figure de l’homme de lettres régénéré. Il en renforce le prestige et la légitimité en assumant la tâche de ralliement des lettres et des arts à l’œuvre de réconciliation du régime constitutionnel. Aussi s’emploie-t-il à rassembler autour du ministère tout un aréopage d’hommes de sa génération, issus pour l’essentiel du demi-monde des lettres parisiennes côtoyé avant la Révolution, des hommes promus comme lui à la faveur de celle-ci, et qui travaillent, sur sa demande, à la production d’œuvres éducatives et édifiantes49 : Evariste Parny, ami de jeunesse de Ginguené, poète satirique et léger, peut-être connu au tout début des années soixante-dix, s’attelle à un « Parnasse républicain »50 ; Joseph Lavallée, poète habitué de l’Almanach des Muses, qui a obtenu quelques succès dans le roman, avant de devenir un théoricien de l’esthétique, prête sa plume à un Recueil des belles actions civiles 51 ; tandis que Ginguené lui-même prépare la publication d’un Choix des moralistes français-, Dieudonné Thiébault, littérateur, chef de bureau à la direction de la Librairie à la fin des années quatre-vingt, secrétaire général du Directoire avant Lagarde, est attaché à la rédaction d’un « manuel municipal », sorte de recueil de discours types, d’hymnes et de cantiques républicains à usage des municipalités52. Le citoyen Demoy enfin est chargé du dépouillement des procès-verbaux relatifs aux fêtes nationales, afin d’en composer un florilège édifiant53.
22Si, avec cette entreprise de républicanisation des lettres, on atteint les limites caricaturales des formes de collaboration entre les élites savantes et le pouvoir, le constat ne doit pas masquer l’objectif poursuivi au moyen de cette mobilisation littéraire : promouvoir pour tous une instruction publique et une éducation républicaine. En cela, François de Neufchâteau rencontre les préoccupations du monde de la philanthropie parisienne, en voie de résurgence et de réorganisation sous le Directoire et dont plusieurs représentants éminents, comme Leclerc de Montlinot ou Parmentier, sont actifs au sein même du ministère54. François de Neufchâteau y rencontre un terreau favorable à l’impulsion d’initiatives philanthropiques pour lesquelles il sollicite diverses participations. On a déjà évoqué celle de Duquesnoy, son compatriote lorrain, à la publication de la collection des Mémoires sur les établissements d’humanité, véritable bibliothèque philanthropique dont l’idée lui fut peut-être suggérée par Montlinot, ancien membre associé du comité de mendicité qui en avait le premier souhaité la réunion. Sur la suggestion de Parmentier peut-être, avec son appui sûrement, il sollicite le chimiste Baumé, rencontré avant la Révolution par l’intermédiaire de l’abbé Bexon, et Darcet, membre de l’Institut et du Conseil d’instruction publique, pour des expériences sur la nutrition et les soupes économiques55. À à l’architecte Cointereaux, il réclame un modèle de construction bon marché, à usage des petits propriétaires. Dans le domaine éducatif, il songe faire appel à Didot, primé à l’exposition des produits de l’industrie, pour la production bon marché d’une méthode pratique de lecture, à la rédaction de laquelle il a convié les professeurs des écoles centrales et qu’il donne finalement lui-même en l’an VII. À Le Couteulx de Canteleu enfin, le banquier philanthrope, il demande de réfléchir sur les moyens d’implanter à Paris un établissement d’accueil pour les étudiants étrangers56.
23Au sommet de l’État, François de Neufchâteau a donc suscité peu de collaborations scientifiques, soit en attirant au ministère des personnalités extérieures choisies ès qualités, soit en provoquant leurs contributions, bénévoles ou subventionnées, par le biais des encouragements aux savants et aux hommes de lettres. Le profil de son réseau social ne l’y prédisposait guère, et ses propres contributions, limitées à une agronomie pratique, ne le mettaient guère à portée de formuler les offres ou les demandes précises qui auraient pu les motiver. Sans en modifier ou en élargir le recrutement, il s’en est tenu à s’appuyer largement, à des fins d’expertise ou de diffusion des connaissances surtout, sur les organes consultatifs du ministère déjà en place, comme le groupe des agronomes rattaché au bureau d’agriculture de la quatrième division, auquel il commande la rédaction d’instructions techniques à usage des administrateurs et des cultivateurs, ou sur les grands établissements publics qui, soumis à sa tutelle et subventionnés par lui, apparaissent comme un appendice du ministère. Il en va ainsi des relations entretenues par le ministre avec l’Institut national, qui, tout en témoignant au plan symbolique, notamment à l’occasion des célébrations officielles, du respect accordé par le ministre à l’institution et à sa mission pour l’avancement des sciences et des arts, tendent, dans la pratique, à lui faire jouer le rôle d’un bureau consultatif ou de chambre d’écho des initiatives ministérielles57. Au quotidien, les relations prennent forme à travers les multiples demandes d’avis et de rapports, concernant des produits ou des procédés, les récompenses et les médailles à décerner aux manufacturiers ou aux inventeurs méritants... Subordonnées à des finalités d’utilité immédiate, les relations nouées par le ministre avec le monde des savants ne requièrent ni l’élargissement de sa sphère de recrutement, ni la remise en cause des structures et des modes de fonctionnement instaurés avant lui.
24En revanche, le ministre s’est efforcé d’aspirer dans l’orbite du ministère des individualités, issues pour l’essentiel du monde des lettres, en vue d’accroître l’efficacité de la machine administrative, soit en les associant à la production des instruments symboliques d’affermissement du régime constitutionnel et d’unification idéologique de la nation, soit en les impliquant dans des projets à caractère philanthropique et à forte connotation de réforme sociale. Bénéficiant de l’impulsion, de l’appui, plus moral que financier, et de la publicité ministériels, ces véritables projets expérimentaux occupent, sous le contrôle de l’Etat, le terrain insuffisamment couvert par le législateur ou l’administration, et visent à combler, dans l’urgence, des besoins sociaux non satisfaits en faisant appel aux ressources de la société civile. Ces efforts pour susciter la collaboration des citoyens à l’œuvre du pouvoir trouvent leur prolongement au niveau local, dans l’incitation des corps administratifs ou des personnels qui en dépendent – les ingénieurs civils ou les professeurs par exemple – à recourir aux compétences ou aux bonnes volontés, individuelles ou collectives dans le cas des sociétés libres, de leurs concitoyens, afin de mener à bien les entreprises de connaissance et de maîtrise du territoire, ou de promouvoir l’instruction publique. Parallèlement à son action vigoureuse sur les rouages administratifs dans le but de renforcer leur emprise sur le territoire et les hommes, il est donc clair que le ministre a tenté de réunir autour de l’appareil administratif les forces, extérieures à celui-ci, susceptibles de l’épauler dans sa tâche de gestion de la société. A un mode de gestion directe et coercitif de celle-ci – la soumission aux lois – il juxtapose un mode de gestion indirect appuyé sur les pôles, individuels ou collectifs, qui peuvent contribuer à renforcer la cohésion sociale par leur action régulatrice et modératrice des tensions sociales. Cependant, loin de favoriser l’autonomie de formes d’organisations sociales séparées de l’État, cette modalité de gestion participative, dictée par un souci d’efficacité, vise au contraire à promouvoir l’interpénétration de l’Etat et de la société. Ce que prouvent bien les modalités d’échange entre l’administration et les citoyens envisagées par le ministre, qui subordonnent l’intervention de ceux-ci aux demandes du gouvernement et à l’encadrement administratif propre à l’orienter et la canaliser. Loin de s’en remettre aux capacités d’auto-organisation des citoyens en leur abandonnant certains segments de la gestion du social, il s’agit de provoquer et d’orienter leur zèle dans le sens indiqué par les instructions et les directives ministérielles. C’est précisément l’exactitude des individus à se soumettre aux lois et à s’impliquer de façon active aux côtés de l’administration dans la gestion des affaires communes qui réalise pleinement leur statut de citoyen. Le mode de gestion vers lequel tend cette pratique ministérielle ne vient donc pas combler un déficit d’expression publique des acteurs sociaux, ressenti comme tel, thème de la critique anti-bureaucratique à la fin de l’Ancien Régime ou au temps de la Constituante. Elle ne répond pas davantage à une interrogation sur les moyens de faire coexister un régime de liberté avec les mécanismes de la centralisation administrative, défi que se lanceront les libéraux du siècle à venir. Ce mode de gestion tire les conséquences de l’impuissance de l’appareil administratif à assurer, par ses seules forces, la restauration de l’ordre et de la prospérité intérieure, et, plus encore, à promouvoir les améliorations dont l’ajournement de la paix ne doit pas détourner le gouvernement. Dans ces limites, l’ouverture de l’administration vers la société conçue par François de Neufchâteau s’apparente bien à un effort pour susciter une véritable collaboration de celle-ci à l’œuvre gouvernementale, davantage qu’elle ne concourt à instaurer un espace public autonome. Elle ne préjuge pas d’une véritable autonomie de la société civile, mais exprime au contraire une conception organiciste de la société et de l’État.
25La capacité des citoyens à s’inscrire dans cette problématique est précisément ce que François de Neufchâteau rassemble sous le terme d’« esprit public ». L’histoire de la notion n’a pas été écrite. À la recherche de l’esprit public au xviiie siècle, Charles Aubertin, en 1889, identifie celui-ci à « l’esprit du siècle », qui se reconnaît selon lui dans l’opinion publique du pays, les mœurs de la société, le mouvement littéraire58. Par là, il rejoint assez la définition qu’en donne Dieudonné Thiébault en l’an VI : « L’esprit public, dans sa plus grande acception, explique-t-il, est la totalité des opinions nationales », c’est-à-dire « la totalité des opinions admises pour vraies par la majeure partie de la nation, et qui touchent la forme du gouvernement, les principes de la justice, la sainteté de la morale, la bienfaisance, la culture des sciences et des arts, l’empire du goût, des usages, des convenances, les vices et les vertus privées et publiques. »59 D’emblée, la relation entre opinion et esprit public est établie. Le second apparaît comme la résultante de la première et celle-ci comme le produit d’une logique majoritaire. Pour Mona Ozouf, au contraire, l’esprit public occupe une place symétrique de celle de l’opinion publique dans le champ du lexique révolutionnaire60. Porteurs d’une représentation contradictoire de l’opinion publique, pensée au xviiie siècle comme moteur de la dynamique historique, mais difficilement conceptualisée comme produit d’une agrégation des opinions individuelles, les révolutionnaires se font une idée cohésive de l’opinion publique. Réticents à concevoir celle-ci comme l’émanation du monde social, autonome et indépendante de toute volonté politique, ils lui préfèrent selon elle à partir de 1792, année tournant avec la création du Bureau du même nom, le concept d’esprit public, figure d’une opinion unifiée, « faite de la rectification autoritaire des opinions individuelles » et d’une vie civique unanime, tendue vers l’unité sociale et nationale. À ses yeux, nul n’illustre mieux que François de Neufchâteau cette préférence des révolutionnaires et n’apporte plus clairement la démonstration de l’aporie du concept, par l’embarras qu’il manifeste lorsqu’il se propose de recueillir le témoignage des commissaires sur l’état de l’esprit public de leur département. Qu’est-ce en effet que l’esprit public ? La soumission aux lois, comme semble l’indiquer la grille de questions que Mona Ozouf croit reconnaître dans les réponses adressées par les commissaires61 ? Un élan de soutien au régime et au gouvernement ? Une opinion cohésive ?
26En réalité, pas plus que son prédécesseur Bénézech, François de Neufchâteau n’a jamais rassemblé en une grille d’observation les signes descriptifs de l’esprit public62. En revanche, il prête une vive attention à l’opinion publique, dont les commissaires sont régulièrement priés de tracer le tableau. Et c’est justement pour prévenir les risques d’une perception médiatisée de l’opinion, potentiellement erronée, qu’il leur rappelle en l’an VI l’obligation qui leur est faite d’accomplir une tournée dans leurs départements : « Le Directoire a pensé, Citoyens, que la correspondance active que vous devez entretenir avec les administrations municipales et les commissaires [des cantons], ne suffisait pas pour vous procurer les renseignements sur la vraie situation de vos départements : il a voulu que chaque année et à différentes époques, vous visitassiez les cantons pour voir par vous-mêmes si les autorités secondaires exécutent les lois et interroger la véritable opinion publique. »63 Loin d’être une réponse ironique à la requête ministérielle d’une impossible description de l’esprit public, la typologie des opinions établie dans les comptes des commissaires répond donc à une exigence précise. Loin de manifester « l’antinomie de l’opinion publique et de l’esprit public », les comptes suggèrent un autre type d’articulation.
27Opinions et esprit public ne s’opposent pas terme à terme dans le dispositif conceptuel du ministre, pas plus qu’ils ne sont équivalents dans son dispositif rhétorique : « L’on confond trop souvent l’esprit public, l’opinion publique et l’esprit national. »64 Les deux notions ne sont tout simplement pas du même ordre. Nul texte ne le fait à mon sens mieux comprendre que la lettre adressée au Moniteur par François de Neufchâteau, en congé temporaire de ses fonctions de commissaire, malade et réfugié à Vicherey au lendemain des élections de l’an V65.
« Je ne conçois rien, mon ami, au déchaînement réciproque des papiers publics, écrits dans les deux sens, contre les députés nouvellement élus. Avant même qu’ils soient connus, on les noircit, on les déchire à tort et à travers ! Je vois traiter de royalistes, de réacteurs et de chouans des administrateurs, des juges, qui ont lié leur cause, leur fortune et leur vie, au succès de la République. En revanche, je vois qualifier de montagnards, voire même de terroristes, d’autres hommes qui ont été persécutés eux-mêmes mais qui n’ont pas cessé d’aimer la Révolution. Mais pourquoi, je vous prie, calomnier d’avance ? Pourquoi suspecter au hasard des intentions ignorées ? Quelle est cette fureur de semer les préventions, de juger sans entendre, et d’aigrir toujours les esprits en parlant de les calmer ?... La diffamation est-elle donc le seul accueil que les écrivains de Paris réservent à nos envoyés et sera-t-on livré aux bêtes, par la seule raison que l’on a eu la confiance de son département ?... On voudrait qu’ils ne fissent qu’un, et l’on voudrait une chimère ; non seulement une chimère, mais une chose dangereuse autant qu’elle est impraticable. Nous voulons être libres, et nous ne savons pas nous faire à la discussion, ni souffrir qu’on nous contredise ! Ce parfait accord, qu’on demande au Corps législatif, serait la perte de la France et la mort de la République ! Cette unité du despotisme existait sous les rois comme sous Robespierre ; le monde n’était qu’un couvent, il fallait pratiquer la maxime, qui consiste à laisser aller le monde comme il va, et dire toujours du bien de M. le Prieur. Sous Robespierre et sous les rois, il n’y avait qu’un seul avis ; félicitons-nous qu’il y en ait plusieurs ; désirons seulement qu’on les exprime avec décence, lorsqu’on s’énonce à la tribune : car on ne saurait approuver que des représentants du peuple se disent des choses grossières et se traitent en journalistes... Pour l’intérêt général, il est très bon qu’ils se partagent, que les opinions se croisent, que le pour et le contre s’agite et se balance franchement, solennellement, et que la constitution soit sous la sauvegarde de l’émulation, ou même de la jalousie de ses adorateurs. »
28Dans son contexte, le texte peut naturellement s’interpréter comme l’expression républicaine modérée d’une ouverture vers les monarchistes constitutionnels dont d’autres se font les porte-parole. À la lumière de ces lignes, il est cependant difficile de soutenir que toute problématique de l’esprit public est exclusive de celle de l’opinion publique. Pour lever le malentendu, peut-être faut-il revenir aux sources de l’apparition en France de la notion d’esprit public. Pour l’abbé Coyer, rappelle Mona Ozouf, c’est en Angleterre « que l’esprit public se montre à chaque pas » et cet esprit gagne la France au fur et à mesure qu’y pénètrent les « papiers publics »66. Le rappel est d’autant plus légitime que François de Neufchâteau invoque lui-même, comme on l’a vu, le parallèle dès 1790, et que le thème des papiers publics est au cœur du propos énoncé en l’an V. Par la lecture des journaux, ou, mieux encore, la correspondance entretenue avec leurs rédacteurs, le citoyen entretient et manifeste son intérêt pour la chose publique. L’esprit public est, précisément, cette disposition d’esprit tournée vers la chose publique, opposée à tout repli sur le privé ou le particulier. Par la curiosité et les attentes qu’elle suscite, la presse est le vecteur puissant d’un éveil de l’esprit public, parce qu’elle brise l’enfermement de l’individu dans sa sphère particulière, et l’ouvre à celle du public, où se traitent et se débattent les affaires communes. C’est donc bien en référence à la sphère littéraire que François de Neufchâteau invite à penser la sphère publique politique. Or nous savons quelles expériences de la première et quelles hantises en structurent pour lui la représentation, celle d’une presse épargnée par la polémique, celle d’une république idéale des lettres, soudée par un consensus préalable qui fonde des règles de communication, un respect mutuel de ses membres, un investissement commun dans le progrès des lettres, des sciences et des arts. Cette représentation s’incarne dans un modèle, celui des académies. De la même façon, l’apparition et la survie d’une sphère publique politique, à l’intérieur de laquelle peuvent être publiquement débattues les affaires communes, est suspendue à des conditions équivalentes : l’adhésion préalable à un consensus dont les termes sont inscrits dans les principes du régime constitutionnel, la reconnaissance de règles de fonctionnement qui présupposent la bonne foi dans l’échange et le respect mutuel des interlocuteurs, enfin une disposition de la volonté à s’investir dans les affaires communes, en dépassant l’horizon des intérêts particuliers ou partisans. À ce prix, entre le législateur qui les représente, le gouvernement qui impulse l’application des lois et les citoyens, peut ainsi s’instaurer un dialogue participatif par la médiation de l’administration, à l’écoute des besoins, des sensibilités et des « opinions vraies ». François de Neufchâteau pense ainsi la sphère publique politique en faisant l’économie de la conception d’une sphère civile autonome. Il pense la sphère publique sur le modèle d’une vaste académie, au sein de laquelle l’esprit public stimule l’émulation de chacun au service de l’intérêt général, et motive en retour les encouragements et les récompenses légitimes du mérite de chacun.
29C’est bien pourquoi, réciproquement, le concept d’esprit public est non seulement opératoire dans le champ politique, mais aussi dans la sphère académique, à l’intérieur de laquelle il inscrit ses activités après sa révocation, et pourquoi la catégorie de l’esprit public survit non seulement à Thermidor, mais aussi à Brumaire. Ainsi, remerciant Verneilh-Puyraveau pour l’envoi des quatre volumes qui réunissent les résultats de la consultation nationale sur le code rural, lancée à son initiative par Chaptal, François de Neufchâteau se félicite-t-il de la large participation des commissions au débat, et y reconnaît le signe des progrès de l’esprit public en France67. La diversité des opinions qui en émane et que les vifs débats poursuivis au sein de la Société d’agriculture pouvaient laisser présager, n’est pas un obstacle. L’unanimité des opinions n’est pas requise. L’esprit public se manifeste d’une autre manière, dans la disposition de chacun à collaborer à une entreprise dont l’enjeu dépasse les intérêts particuliers de chacun, encore une fois par la médiation éclairée de l’administration. C’est bien ainsi que l’entendent Silvestre, secrétaire de la Société d’agriculture de la Seine et Degérando, secrétaire de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, deux des institutions auxquelles François de Neufchâteau fut le plus lié après sa sortie du ministère. Je crois bien que pas un seul des rapports d’activité du premier, qui fut aussi appelé par Chaptal pour diriger le bureau d’agriculture du ministère, ne s’ouvre ou ne se clôt sans un éloge du zèle des sociétaires, qui contribue au perfectionnement de l’esprit public. Quant au second, auteur du programme de la Société d’encouragement, on lui doit sans doute le plus bel acte de foi dans les vertus et la puissance de l’esprit public :
« Quels que soient les efforts qu’un Gouvernement bienfaisant et éclairé fasse pour y parvenir, il ne peut ni tout voir, ni tout faire. Le concours libre et spontané des bons citoyens peut l’y aider, le suppléer, et même faire encore plus que lui. En effet, un tel concours unit la puissance de l’opinion à celle des autres moyens. Il peut exciter, diriger l’esprit public, et c’est surtout en appelant l’esprit public au secours de l’industrie, qu’on déterminera de sa part un plus énergique effort. L’esprit public produit naturellement ce que la puissance et l’autorité politique n’obtiennent que lentement et avec peine. L’esprit public en France n’a besoin que d’un premier moteur pour se diriger avec ardeur vers les progrès de l’industrie. Telles sont les vues qui ont engagé un grand nombre d’amis du bien public à se réunir pour former une Société d’encouragement pour l’industrie nationale. »68
30Décidément, l’esprit public appartient bien au langage des Lumières et il paraît difficile, au mépris de la largeur du spectre de ses emplois, de le ranger exclusivement parmi les instruments rhétoriques d’un projet jacobin, totalitaire en puissance.
31Que la conception de l’espace public politique qui se dégage de la pratique du ministre signale une impuissance à assumer jusqu’à son terme la pluralité agonistique du politique, et souligne sa préférence pour un modèle consensuel dans lequel le débat ne dégénère jamais en conflit d’opinions ou en affrontement de factions, mais prend la forme d’un dialogue éclairé sur la base de prémisses partagées, est peu contestable. Le constat doit être apprécié à la lumière des difficultés éprouvées par tous les contemporains de François de Neufchâteau pour penser un espace politique structuré, et articuler théorie de la souveraineté populaire et théorie de la représentation69. Il invite pour le moins à reconsidérer la filiation admise par Augustin Cochin entre l’espace politique tel qu’il s’organise dans l’Ancien Régime autour des sociétés de pensée, et l’espace politique moderne dont le premier constituerait en somme à ses yeux la matrice70. Au contraire, la trajectoire exemplaire et l’expérience propre de l’académicien devenu ministre porte plutôt à marquer les limites d’un tel modèle et celles d’une démarche qui tend à aligner la rationalité politique sur la rationalité scientifique revendiquée dans les académies. Les coordonnées d’un espace démocratique stabilisé restent alors à inventer.
32Le ministre devait d’ailleurs en administrer par lui-même la preuve au moment des élections de l’an VII, dont la préparation passe dans l’historiographie pour un exemple de manipulation, point d’orgue mis par l’exécutif directorial à ses empiétements sur les prérogatives du législatif. Lorsque se dérobe le consensus, lorsque le socle des vérités de fait n’est plus reconnu par l’ensemble de la communauté, nul échange éclairé n’est plus possible, et celui-ci cède la place à une logique binaire d’affrontement, négation de la pluralité. L’étude approfondie consacrée récemment par Bernard Gainot à cette séquence électorale nous dispense de revenir sur l’épisode71. On le suivra dans ses conclusions, à une réserve près. Celle-ci tient en partie à une méprise qui le conduit à imputer les proclamations et les interventions du ministre à la théorie monolithique de la représentation dont il serait porteur72. Or, à s’en tenir aux textes qui peuvent lui être en toute rigueur attribués, il est bien difficile d’en découvrir un seul qui lève le voile sur sa conception profonde de la représentation. François de Neufchâteau ne pense pas en théoricien politique, mais en administrateur. Son point de vue se situe en aval des questions de souveraineté et de représentation. Seul le problème de l’exécution de la loi l’amène à penser en amont celui de son réexamen ou de ses prolongements réglementaires. Là, réside bien la transgression, inacceptable au regard des conceptions contemporaines dominantes, liées au destin particulier de l’exécutif pendant la Révolution73. Sa pratique, ses « initiatives », tendaient inévitablement à revendiquer pour l’exécutif, appuyé sur l’expertise ministérielle, une part d’initiative des lois. En ce sens, le ralliement à Brumaire par la médiation de Sieyès était inscrit dans la logique de son ministère. Et c’est bien à cette mise en cause, à mon sens plus radicale encore que celle de son dévoiement de la pratique électorale, qui en avait vu d’autres sous le Directoire, et à laquelle il eut beau jeu de répliquer en renvoyant les conseils à leurs propres capitulations antérieures, que répond la publication des « actes de son ministère »74.
33À la fin du printemps de l’an VII, alors que l’orage gronde et que les victimes de Prairial, directeurs et ministres évincés, sont sous le coup d’une menace de mise en accusation publique, Reubell, l’un des plus exposés, prépare sa défense. En douze points, il argumente par avance, justifiant pied à pied sa politique et sa conduite, répondant coup pour coup à ses accusateurs75. En avocat, il plaide déjà sa cause. Au même moment, François de Neufchâteau rassemble des « pièces justificatives » et rajoute des notes de bas de page. Il réunit les actes sur lesquels il entend qu’on juge de ses intentions. Il ne polémique pas. Il ne plaide pas non plus. Il explicite, il commente. Son geste n’est ni celui d’un avocat, ni celui d’un politique, mais celui d’un homme de lettres qui revendique son droit d’auteur. Patiemment, il construit son tombeau pour la postérité : « Le temps mettra tout à sa place », prophétise-t-il. À considérer son destin dans la mémoire collective, il semble qu’il ait gagné son pari.
Notes de bas de page
1 Rapport au Directoire exécutif sur l’établissement d’une foire à Bruxelles, 13 vendémiaire an VI, AN AF III 469.
2 G. Lefebvre, La France sous le Directoire, 1795-1799, Paris, Editions sociales, 1977 ; J.-R. Suratteau et A. Bischoff, Reubell. L’Alsacien de la Révolution française, (s.l.), Éditions du Rhin, 1995.
3 Sur la hiérarchie et la répartition des rôles au sein du Directoire, voir J.-R. Suratteau et A. Bischoff, op. cit., en particulier p. 214-215.
4 Proclamation de la reprise de la guerre avec l’Angleterre, rédigée de la main de François de Neufchâteau, 1er frimaire an VII, AN, AF III 480 dossier 2970, pièces 45-49. Pour les contributions manuscrites de François de Neufchâteau aux actes diplomatiques du Directoire, voir R. Guyot, Le Directoire et la paix de l’Europe, Paris, Alcan, 1911.
5 Mention et analyse de la lettre de François de Neufchâteau dans AN AF III 9, fol. 15, mais le document ne figure pas dans le dossier de séance.
6 Sur la mission de François de Neufchâteau à Selz, qui fait au moins la preuve de la confiance que lui témoignait Reubell en la circonstance, cf. R. Guyot, op. cit., p. 700-710. Sur son voyage de retour, Tables chronologiques, op. cit., p. 362.
7 AN AF III 557, dossier 3766, pièces 33-38.
8 Rapport présenté au Directoire exécutif sur l’état de la balance du commerce en l’an V, 19 thermidor an VI, AN AF III 93, dossier 400. Le rapport du 3 fructidor sur les subsistances n’a pas été conservé. Nous connaissons son contenu, résumé par François de Neufchâteau, par les deux rapports postérieurs dont il est question ci-après.
9 Rapport présenté au Directoire exécutif sur les résultats du commerce extérieur de la France pour les six premiers mois de l’an VI, 19 nivôse an VII, AN AF III 93, dossier 401.
10 Rapport présenté au Directoire exécutif sur les permissions d’exporter des grains, 13 vendémiaire an VII, AN AF III 93, dossier 400. Ce rapport est rédigé de la main de François de Neufchâteau. Rapport du 29 frimaire an VII, ibid.
11 La loi du 7 vendémiaire an IV résume dans un texte unique l’ensemble des arrêtés pris depuis la loi du 4 nivôse an III abolissant le maximum et qui rétablissent les réquisitions, le recensement des grains, les ventes forcées sur les marchés. Elle est complétée par les arrêtés des 24 et 25 brumaire relatifs à l’approvisionnement de la capitale.
12 Le ministre de l’Intérieur à l’administration centrale du département de la Dyle, lettre insérée dans Le Rédacteur, n° 608, 28 thermidor an V.
13 Rapport du 29 frimaire, op. cit., p. 6.
14 Rapport du 13 vendémiaire an VII, op. cit., p. 1.
15 Rapport du 29 frimaire, op. cit., p. 5.
16 Ibid., p. 8.
17 Ibid., p. 18-19.
18 Quarante permis sont accordés pour la Hollande, pour un total de 800000 quintaux ; douze pour la République helvétique, équivalent à 275000 quintaux. Huit enfin pour l’Espagne, pour un montant de 184000 quintaux.
19 Traité passé le 29 fructidor an VI, imprimé par ordre des Cinq-Cents le 19 germinal an VII. La compagnie Houard obtient par ailleurs une permission d’exportation de 50000 quintaux vers la Hollande.
20 Catalogue de la bibliothèque de M. le comte François de Neufchâteau, op. cit., appréciation portée par les libraires chargés de l’inventaire, peut-être inspirée par François de Neufchâteau lui-même.
21 Le rapport du 29 frimaire dresse un premier bilan des mesures engagées deux mois auparavant : évaluation des effets sur les prix des grains dans les départements, qui le conduit à préconiser une suspension des permis lorsque le relèvement des prix est supérieur à 10 francs par quintal ; évaluation de l’efficacité des plafonnements, qui le conduit à relever la quantité maximale autorisée : « Il y a tel négociant dont 20000 quintaux de grains excèdent les moyens, et tel autre dont les facultés et les lumières sont renommées, et qui ne s’occupe point de cette spéculation parce qu’elle est au-dessous de ses combinaisons » ; enfin le rapport analyse des tentatives de fraudes, et les moyens de les neutraliser.
22 Rapport du 29 frimaire, op. cit., p. 15.
23 Ibid., p. 1 et 15.
24 Rapport du 19 nivôse an VII, p. 4.
25 Recueil..., op. cit., t. 1, p. 348.
26 S. Woolf, La statistique en France à l’époque napoléonienne, op. cit., p. 134.
27 Voir N. et J. Dhombres, Naissance d’un nouveau pouvoir : sciences et savants en France 1793-1824, Paris, Payot, 1989, ou J. Langins, La République avait besoin de savants. Les débuts de l’Ecole polytechnique : l’Ecole centrale des travaux publics et les cours révolutionnaires de l’an III, Paris, Belin, 1987.
28 En vendémiaire an VII, la composition des bureaux consultatifs est la suivante : Bureau consultatif d’agriculture : Cels, Tessier, Huzard, Gilbert, Vilmorin, Desprez. Bureau consultatif des arts : Molard, Costaz, Clouet, Savoye-Rollin remplacé par Degérando, Humbert. Bureau consultatif du commerce : Abeille, Allard, Lancel, Vallée. Chaque membre d’un conseil reçoit un traitement annuel de 3000 francs. AN FlbI/24.
29 Sur la notion de réseau, Alain Degenne et Michel Forsé, Les réseaux sociaux. Une analyse structurale en sociologie, Paris, Armand Colin, 1994. Les sources ne permettent pas d’appliquer une méthode d’analyse de réseau egocentré. Sur cette méthode, M. Gribaudi, « Des catégories aux liens individuels : l’analyse statistique de l’espace social », Annales ESC, 1990, p. 1365-1402.
30 Les liens forts désignent dans une analyse de réseau de relations interpersonnelles les liens qui résultent d’une « chaîne courte », c’est-à-dire d’une connaissance directe entre deux individus, permettant un contact immédiat. Sur ce point, M. Granovetter, « Network sampling, some First steps », American Journal of Sociology, 1976, p. 1287-1303 et « La force des liens faibles » dans Le marché autrement. Essais de Mark Granovetter, Paris, Desclée de Brouwer, 2000.
31 L’étude du personnel du ministère s’appuie sur le dictionnaire électronique donné par Catherine Kawa en annexe de sa thèse, Les ronds de cuir en Révolution, op. cit. (Dictionnaire accessible sur Internet). Néanmoins, la présentation des carrières selon une chronologie annuelle qui suit le calendrier grégorien ne permet pas toujours d’établir la correspondance avec les différents ministères de 1797 à 1799. Certaines personnalités, pourtant appointées au titre de leur collaboration à des organes consultatifs, comme Lansel ou Vallée, cités plus haut, ou les membres du conseil particulier du ministre, dont il va être question, n’y figurent pas. Voir, pour l’organisation des bureaux du ministère les dossiers dans AN F1bl5 et Flbl*531. Un état du personnel dressé en brumaire an VII procure un tableau précis au début du second ministère, AN AF III 93, dossier 400, pièce 17. Pour les développements qui suivent, sauf référence d’archives, les informations biographiques sont tirées des instruments de travail recensés dans la bibliographie, dont l’utilisation est grandement facilitée par celle de l’Index de biographie française, K.G. Saur dit., 2’édition, Munich, 1998.
32 Nicolas Geoffroy, 1753-1827, l’un des intimes de François de Neufchâteau, fut son condisciple au collège de Neufchâteau. Employé dans les bureaux de Vergennes avant la Révolution, il est recruté au Moniteur par Panckoucke dès sa création, et s’occupe de la partie politique jusqu’à sa rentrée dans l’administration sous le ministère Bénézech. Lors de la mission de François de Neufchâteau à Selz, Geoffroy l’accompagne en qualité de secrétaire. En l’an VIII, il obtient une place de secrétaire à la Caisse d’amortissement qu’il occupe jusqu’en 1816. Notice la plus complète dans P. Marot, op. cit., p. 147, n. 2
33 François de Neufchâteau s’explique sur cette création dans un rapport au Directoire, sans date, AN AF III 93, dossier 401. Il annonce la composition du conseil dans l’Ordre de travail des bureaux du ministre de l’Intérieur en thermidor an VI.
34 Miot de Melito mentionne sa collaboration avec François de Neufchâteau dans ses Mémoires, Paris, 1873, 3 volumes. Sur ses liens avec les milieux d’affaires, cf. L. Bergeron, Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l’Empire, Paris, EHESS, 1978, p. 308. Sur sa carrière en Italie, cf. J. Tulard, Le grand Empire, Paris, Albin Michel, 1982 et Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, 1987.
35 Jean Antoine Gauvin, dit Gallois. Notice biographique dans le Dictionnaire de biographie française, Paris, 1933- 1998. Son appartenance à la SEIN est attestée par sa présence sur les listes de souscripteurs dont il est question infra, chap. 15.
36 En réalité, Devèze, chef de la première division, décède avant le retrait de François de Neufchâteau. Celui-ci choisit pour son successeur Dieudonné, qui est élu dans la foulée aux Anciens. Une fois encore, le ministre fait appel à l’un des proches de son entourage lorrain, et, en l’occurrence, lui procure probablement un tremplin pour son élection au Corps législatif.
37 Charles Antoine Joseph Leclerc de Montlinot, 1732-1801. Chanoine de la collégiale Saint-Pierre de Lille, il résigne son bénéfice à la suite d’une querelle littéraire en 1765. Relégué à Soissons, il est accueilli par l’intendant qui le met à la tête du dépôt de mendicité de la ville, puis le nomme inspecteur des dépôts de mendicité de la généralité. Il est lauréat en 1779 du concours ouvert par la Société d’agriculture de Soissons en 1777 pour son Discours, sur cette question : Quels sont les moyens de détruire la mendicité dans la ville de Soissons ? (Soissons, 1779). Il y produit l’un des premiers budgets de famille populaire, les comptes de la famille Pilon. En 1789, il publie un État actuel du dépôt de Soissons et, en 1790, des Observations sur les enfants trouvés de la généralité de Soissons. Il n’est donc pas étonnant de le retrouver associé externe au Comité de mendicité de la Constituante, puis commissaire des Hospices civils de Paris. Il entre en qualité de commis à la division des secours publics du ministère en 1795. Chef de bureau lors du premier ministère Neufchâteau, il est promu par celui-ci à la tête de la division en 1798. Sur ce personnage, cf. supra, chap. 6, n. 29 et chap. 11, n. 49.
38 Venceslas Jacquemont, 1757-1836. Notice biographique dans le Dictionnaire de biographie française, op. cit.
39 Antoine-Joseph Raup de Baptestin de Moulières, mention unique dans l’index de biographie française, op. cit., qui renvoie à Le Moyne des Essarts, Les siècles littéraires de la France, Paris, 1800-1801. Le catalogue de la Bibliothèque nationale de France signale de lui une quinzaine de publications. Jusqu’en 1789, il se signale seulement par une ode A M. le comte de Vergennes à l’occasion de la paix (s.l., n.d.) et un Mémoire sur un moyen infaillible de faire renaître le patriotisme en France, Amsterdam-Paris, Desenne, 1789. Outre les mémoires sur la navigation que nous avons évoqués (cf. supra chap. 11), il est également l’auteur de plusieurs pièces historiques publiées sous l’Empire ou la Restauration.
40 Cette appartenance n’est pas mentionnée par Le Moyne des Essarts mais se déduit des titres de ses publications. Par exemple : Extrait de la Pl... des travaux du G... O... de France, du 27e jour du 10 mois de l’an de la V... L... 5805, jour où l’on célébrait la fête de l’ordre, s.l.n.d. (1806).
41 Cf. supra, chap. 11, note 49.
42 Sur la Décade philosophique, voir M. Regaldo, Un milieu intellectuel : la Décade philosophique (1794-1807), Lille, Atelier de reproduction des thèses de l’Université Lille III, 1976, en particulier le chap. 1, et Joanna Kitchin, Un journal philosophique : La Décade (1794-1807), Paris, M.J. Minard, 1965.
43 Le journal mentionne assez régulièrement le nom de François de Neufchâteau et applaudit son retour au ministère (n° 31, 10 thermidor an VI, t. 18, p. 256). Dans son numéro du 30 germinal an VII, alors que les attaques se déchaînent contre le ministre, le journal publie un échange de lettres croisées entre celui-ci et divers correspondants au sujet de plantations et de canaux, dont l’effet de diversion, prémédité ou non, apparaît tout de même saisissant.
44 Joseph-Dominique Garat, 1749-1833, avocat, installé à Paris en 1773 ou 1774 où il loge chez Madame Suard. Il rencontre Diderot, Helvétius, d’Alembert, Grimm, Condorcet, et entre comme rédacteur au Mercure. Député du bailliage de Labourd aux États généraux, il collabore au Journal de Paris sous la Constituante. Ministre de la Justice après la démission de Danton en 1792, il occupe le fauteuil de l’Intérieur de janvier 1793 à août 1793. Ambassadeur à Naples en 1796, il est élu aux Anciens en 1798. Cf. M. Dorigny, notice dans le Dictionnaire historique de la Révolution française, op. cit., J. Sgard, Dictionnaire des journalistes, op. cit., et J. Kitchin, op. cit. Ses Mémoires sur la Révolution, publiés en l’an III n’apportent aucune lumière sur ses relations avec François de Neufchâteau. Pierre-Louis Ginguené, 1748-1816, originaire de Rennes, monte à Paris en 1772. Poète et littérateur, il occupe une place au Contrôle général. Il publie en 1791 une Pétition à l’Assemblée nationale contenant la demande de la translation des cendres de J.-J. Rousseau au Panthéon français. Proche des Girondins, emprisonné sous la Terreur, il est surtout connu pour être le fondateur de la Décade philosophique aux côtés d’Horace et Jean-Baptiste Say en 1794. Nommé ambassadeur à Turin en mars 1798, il est membre de l’Institut, cf. M. Régaldo, op. cit. et J. Kitchin, op. cit. Sur l’homme de lettres, Ginguené. Idéologue et médiateur, É. Guitton dir., Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1995. Son Journal (Paris, Hachette, 1910) n’apporte pas non plus de précision sur ses relations avec François de Neufchâteau.
45 La lettre privée par laquelle le ministre sollicite la collaboration de Daunou au Conseil d’instruction publique date du 13 vendémiaire an VII, et ne précède donc l’annonce de la formation et de la composition de celui-ci que de quatre jours. BnF, N.A.F. 21882, fol. 485. François de Neufchâteau pensait primitivement faire appel au corps de l’Institut pour remplir cette mission, ce qui s’avère impossible, l’Institut n’étant doté d’aucune autorité administrative. Sur ce point, cf. supra, chap. 10.
46 A. Guillois, Le salon de Mme Helvétius 1789-1799, op. cit., et J.-P. de Lagrave, M.-T. Inguenaud et D. Smith, Madame Helvétius et la Société d’Auteuil, Oxford, SVEC 374, 1999.
47 Laure d’Abrantès, Histoire des salons de Paris, Paris, Ladvocat, 1836-1838, t. 3, p. 213-274.
48 Le Narrateur universel, 24 frimaire an VI. L’article fait état de vingt convives.
49 Chacun reçoit un traitement de 250 francs par mois. État des traitements littéraires donnés pour le mois de vendémiaire an VII aux hommes de lettres chargés de travaux littéraires, AN Flbl/24.
50 Sur Parny, cf. C. Seth, « Ginguené et Parny » dans Ginguené. Idéologue et médiateur, op. cit., p. 97-110.
51 Le signalement des « belles actions civiles » est confié aux commissaires du Directoire qui répercutent les consignes auprès des commissaires de canton. Cf. AD Seine, VD* 14 pièce 2533.
52 Joseph Lavallée, 1747-1816, noble, officier dans l’armée, s’illustre avant la Révolution dans la poésie légère et le roman. Membre avant la Révolution du Musée de Paris et de la Société philotechnique dont il fut le secrétaire. Il se livre à des études approfondies sur la théorie des arts. cf. É. Pommier, op. cit., p. 381 et 465. Il écrit après la Révolution pour les Annales de Statistique. Dieudonné Thiébault, 1733-1807, originaire des Vosges. Jésuite, il enseigne le latin à Nancy. De 1764 à 1784, il séjourne à Berlin en qualité de lecteur de Frédéric II, recommandé par d’Alembert et Cerutti. À son retour à Paris il devient chef de bureau à la direction de la Librairie sous Vidaud de la Tour. Il semble occuper une place dans l’administration révolutionnaire, mais c’est sous le Directoire qu’il émerge en qualité de chef du secrétariat général du Directoire, avant Lagarde. Nous le retrouverons plus loin comme auteur d’un Traité de l’esprit public publié en l’an VI.
53 Aucune indication biographique sur Demoy, qui émarge au ministère comme les autres personnalités citées au titre des travaux littéraires. Sur les fêtes républicaines à l’époque du Directoire, cf. M. Ozouf, La fête révolutionnaire 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976, chap. 5.
54 Sur cet aspect, cf. C. Duprat, op. cit.
55 Ibid. Cette contribution lui vaut sans doute son siège d’administrateur du Comité des soupes, organisé en l’an IX.
56 Sur ce personnage, cf. M. Zylberberg, Capitalisme et catholicisme dans la France moderne : la dynastie Le Couteulx, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001.
57 Les séances générales, qu’il honore occasionnellement de sa présence en l’an VII, sont l’occasion de présenter les productions imprimées sur l’ordre du ministère (mémoires statistiques, collection des Mémoires sur les établissements d’humanité, Manuel républicain...) ou de rendre compte devant la communauté des savants de l’efficacité des relais que trouvent au sein des bureaux ministériels leurs initiatives ou leurs recommandations. Archives de l’Académie française, Institut national : Procès-verbaux des séances générales pour l’an VI et l’an VII, registres 3A2 et 3A3.
58 C. Aubertin, L’esprit public au xviiie siècle, Paris, Didier, Perrin et Cie, 1889.
59 D. Thiébault, Traité de l’esprit public, Strasbourg, F.G. Levrault, an VI.
60 M. Ozouf, article « Esprit public » dans Dictionnaire critique de la Révolution française, F. Furet et M. Ozouf dir., Paris, Flammarion, 1988, p. 711-719.
61 Ibid., p. 717.
62 La méprise provient ici de ce que les questions du ministre identifiées par Mona Ozouf sont déduites du canevas, éminemment variable, des réponses produites par les commissaires eux-mêmes. Sur ce point cf. L. Albrecht, Les comptes des commissaires..., op. cit.
63 Souligné par l’auteur. Circulaire du 27 fructidor an VI, reprenant et développant l’instruction du Directoire du 12 frimaire an IV, Recueil..., op. cit., t. 1, p. 160-175. Rappelons ce que l’auteur de la circulaire dit lui-même de sa propre tournée entreprise au printemps de l’an V : il s’agit de recueillir ces « lumières personnelles auxquelles ne saurait jamais suppléer qu’imparfaitement la foi qu’on peut avoir dans les rapports d’autrui ». Sur ce point, cf. supra, chap. 9.
64 Projet de compte à rendre par les administrations centrales de département, Recueil..., op. cit., t. 2, p. 476. A ne pas confondre avec les comptes des commissaires du Directoire, sur ce point, cf. supra, chap. 9.
65 Moniteur, n° 225, 15 floréal an V, p. 899-902.
66 M. Ozouf, op. cit., p. 712.
67 Lettre de François de Neufchâteau à Verneilh-Puyraveau, 14 novembre 1811, AN 27 AP 1, dossier 1. Sur le recueil lui-même et la question du code rural, cf. infra, chapitre 16.
68 Société d’encouragement pour l’industrie nationale. Programme. Paris, Mme Huzard, an IX. Sur cette société, cf. infra, chap. 16.
69 Différentes approches de cette vaste question dans L. Jaume, Le discours jacobin et la démocratie, Paris, Fayard, 1989 ; P. Rosanvallon, Le peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France, Paris, Gallimard, 1998 ; F. Brunel, « Partis politiques en Révolution », La Pensée, juillet-aout 1985, p. 3-25.
70 Augustin Cochin, Les sociétés de pensée et la démocratie, Études d’histoire révolutionnaire, Paris, 1921, résumé et commenté dans F. Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978. Pour une interrogation critique de cette filiation, cf. D. Roche, dans The political culture of the Old Regime, Keith M. Baker ed., Oxford, Pergamon Press, 1987 (French Revolution and the creation of moderne political culture, Vol 1).
71 B. Gainot, 1799, un nouveau jacobinisme ? La démocratie représentative, une alternative à brumaire, Paris, CTHS, 2001.
72 La méprise provient de l’attribution fautive d’un texte manuscrit à François de Neufchâteau qui tient une place importante dans le dispositif argumentatif de B. Gainot. Il s’agit de la « Lettre d’un ancien membre de la Convention nationale à un membre du Conseil des Cinq-Cents », AN AF III 99. Lettre anonyme dont « le style, l’écriture, les allusions à ses fonctions de commissaire central autorisent l’identification », selon Bernard Gainot. Un premier argument est opposable à cette affirmation : François de Neufchâteau n’a jamais été conventionnel, ayant renoncé à siéger dès son élection. Il pourrait s’agir d’un masque. Mais la matérialité du texte s’y oppose. L’écriture n’est pas celle de François de Neufchâteau et ne présente même aucun point commun avec celle-ci. Le style, truffé de considérations théoriques assez confuses, n’est pas le sien. Enfin, p. 6, l’auteur évoque ses nombreux voyages. Or le ministre n’a jamais « voyagé » au sens où on l’entend au XVIIIe siècle.
73 Sur ce point cf. supra, chap. 8.
74 Voir la réplique de François de Neufchâteau, tenu pour responsable de l’intrusion de Baudet-Dubourg, commissaire de la Sarthe, dans la tenue des assemblées primaires et électorales, dans le brouillon, seul conservé, de sa réponse transmise aux Cinq-Cents par le Directoire datée du 3 germinal an VIL La circulaire imprimée par laquelle Baudet-Dubourg invitant les commissaires de canton à peser sur les assemblées se trouve dans le même dossier, AN 27 AP 13, dossier 4. Sur l’affaire, cf. M. Reinhart, Le département de la Sarthe..., op. cit. L’auteur ne mentionne pas le texte de François de Neufchâteau.
75 B. Narbonne, « Le mémoire justificatif de Reubell », Revue d’histoire diplomatique, 1949, p. 75-103, résumé dans B. Narbonne, La diplomatie du Directoire et Bonaparte d’après les papiers inédits de Reubell, Paris, La Nouvelle Édition, 1951.
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