La spécificité militaire conduit-elle à l’apolitisme ?
p. 475-493
Texte intégral
1Le propos qui suit n’est pas d’un historien. Il est celui d’un sociologue répondant à la sollicitation amicale de ses voisins. Pour qui n’est pas familier des mœurs de sa tribu, sa démarche pourra surprendre, et elle mérite sans doute d’être précisée d’entrée.
2La différence entre historiens et sociologues (dont les politistes ne sont guère éloignés sur ce point) tient moins à l’objet étudié, surtout qu’il est historique, qu’à l’approche à lui réserver. On peut la formuler ainsi : là où les premiers pratiquent l’induction du singulier au singulier, s’attachent aux caractères spécifiques de l’objet, et en poursuivent volontiers le détail jusque dans des nuances fines, les seconds recherchent des modèles généraux susceptibles de rendre compte des systèmes de relations sous-jacents, modèles transposables, sous réserve d’en moduler les paramètres, à d’autres objets parents ou voisins1. Ils le font souvent au moyen de types « idéaux » (idéels), selon la démarche enseignée au début du siècle par Max Weber. Une telle démarche consiste à définir un contexte, à spécifier des modes subjectifs rationnels d’adaptation des acteurs, puis à en déduire les conséquences objectives agrégées : les effets de système, voulus ou non, qu’on est en droit d’attendre dans ce contexte des logiques d’action homogènes ainsi envisagées2.
3Le type idéal n’est en rien un lit de Procuste : il est un instrument heuristique fondé sur une reconstitution du sens que les acteurs donnent à leur action. Sa validité se mesure à la capacité qui est la sienne d’expliquer des données macroscopiques, soit directement, par application du modèle, soit indirectement, par l’interprétation causale des contre-exemples : de la distance entre le modèle et la réalité à laquelle on le compare3. En d’autres termes, sa pertinence ne s’apprécie pas à l’aune de la nécessité – on ne saurait déduire le réel du concept –, mais (la question des fins étant toujours ouverte), à l’aune de la possibilité objective : dans le meilleur des cas à celle de la probabilité. C’est dire que sa démarche totalisante n’a qu’un statut hypothétique. Si elle vise à mettre en relief des cohérences significatives, elle ne s’en accommode pas moins de la part d’indétermination que recèle une réalité foisonnante. C’est cette démarche en deux temps, compréhension inductive, à partir d’une situation, explication et vérification causales, qui se trouve appliquée ci-dessous.
4La question posée ici – la spécificité militaire conduit-elle à l’apolitisme ? – n’a pas de réponse absolue, transhistorique. Il faut, pour y répondre, définir au préalable un contexte. Celui de la période 1871-1962, objet du colloque, soulève à cet égard le problème des mérites respectifs d’une vision qui privilégie son unité, et d’une autre qui oppose entre elles des sous-périodes : par exemple, les séquences (1871-1914, 1914-1945, 1945-1962) que ponctuent les deux guerres mondiales. Même si ces trois moments successifs sont loin de se ressembler en tous points, la thèse soutenue ici sera que les différences « externes »– celles qu’on peut relever entre la période de référence d’une part, les contextes antérieurs à 1871 et postérieurs à 1962 d’autre part – sont plus marquées que les disparités « internes ». De telles différences plaident ainsi, on y reviendra, en faveur d’un primat relatif de l’unité sur la diversité.
5La réponse à la question suppose par ailleurs qu’on ait défini ce qu’il faut entendre par « spécificité militaire » et par « apolitisme ».
6La spécificité militaire est d’abord fonctionnelle. Elle dérive de la finalité des armées : l’usage, réel ou virtuel, de la force pour la défense ou la promotion des intérêts de collectivités souveraines (ou aspirant à le devenir) dans des conflits politiques les opposant entre elles. Ces conflits se démarquent de tous les autres par le caractère plus ou moins anarchique du concert des souverainetés, partant d’une absence potentielle de limites dans l’usage de la violence4. Il en va ainsi parce que, contrairement à ce qu’on trouve ordinairement dans les conflits internes aux collectivités politiquement organisées, il n’existe pas d’autorité externe supérieure aux acteurs (ici, les États), capable de s’imposer à eux par un recours modéré et (au moins relativement) consensuel à la coercition. Les militaires sont donc les seuls détenteurs des moyens de la violence organisée légitime à pouvoir, sur ordre et de manière impersonnelle, faire un usage systématique de la force (et non, comme c’est le cas de la police, en dernier ressort ou pour les besoins de l’autodéfense).
7Si le recours à la force militaire résulte d’un calcul politique idéalement rationnel (« pur entendement »), la guerre ne se réduit pas pour ceux qui la livrent à un simple exercice d’ingénierie. Quand bien même la rationalité instrumentale (adéquation des moyens aux fins) n’en est pas absente, beaucoup des ingrédients indispensables au succès des armes sont d’essence non rationnelle. Face au risque de mort ou d’atteinte à son intégrité physique ou mentale, face à la transgression des tabous entourant la destruction des vies humaines, l’intérêt est pour le combattant un principe de motivation trop faible pour pouvoir, comme dans nombre d’activités civiles, servir de guide aux comportements. Il faut lui adjoindre la contrainte institutionnelle, des valeurs (honneur, patrie, idéaux politiques, religieux ou moraux), l’affectivité et les traditions particularistes qui nourrissent la cohésion des unités, le charisme des chefs, et une organisation permettant de faire face au danger, à l’urgence, à la nécessité et aux aléas du champ de bataille (« frictions », « brouillard de la guerre »). Une telle organisation privilégie la hiérarchie et la centralisation (unité de conception et de conduite), des normes disciplinaires strictes fondant l’autorité des chefs, une solidarité obligatoire, une loyauté et une obéissance de tous les instants, un formalisme qui tente de conjurer par la procédure le chaos né du fracas des armes, enfin le secret. Elle accorde souvent aux officiers, garants de la volonté de combattre et de l’exécution des missions, un statut quasi aristocratique5, sanctionné par un code d’honneur exigeant, et qui fait d’un sentiment de noblesse oblige le ressort d’une acceptation par avance de l’éventuel sacrifice de leur vie. La sociabilité militaire, en accordant à la société, à l’institution et au groupe un primat sur l’individu, se rattache par nombre d’aspects à un type de sociabilité traditionnelle, communautariste, qui n’est pas sans rappeler les sociétés d’Ancien régime. Ces valeurs et ces traits d’organisation sont fonctionnels en ce qu’ils ne sont pas purs ornements dont on pourrait faire l’économie : ils conditionnent très largement l’efficacité de l’institution au regard de sa finalité première.
8Si la dynamique d’ensemble de la société parente est, comme c’est le cas en France au cours de la période étudiée, au perfectionnement graduel d’une logique démocratique, libérale et sociale, les éléments de culture et de structure que l’efficacité fonctionnelle dicte aux armées sont souvent source de différences et de tensions naturelles entre l’institution militaire et son environnement civil. Certes, Auguste Comte et à sa suite Raymond Aron nous l’ont rappelé, tout ne sépare pas l’armée de la société : à l’âge des grandes organisations bureaucratiques, nombre de traits leur sont communs. Pourtant, quand bien même ces idéaux se réclament de la République jacobine plus que de la démocratie à l’anglo-saxonne, il n’est que d’en énumérer les valeurs centrales – émancipation individuelle, égalité, Raison, Progrès, bien-être économique et social, universalisme – pour constater qu’elles s’opposent trait pour trait, dans l’absolu, à celles énumérées plus haut. Une telle opposition explique pour une très large part l’aspiration libérale à séparer nettement société civile et société militaire, temps de paix et temps de guerre.
9Il convient d’ajouter tout de suite que cette spécificité fonctionnelle des militaires n’est pas uniformément égale à elle-même. Il lui arrive d’être renforcée ou diluée en fonction du contexte stratégique, des enjeux qu’il recèle, et des ressources humaines et surtout matérielles requises par les armées pour y faire face.
10La spécificité militaire est encore sociale et politique. Sociale, elle renvoie au recrutement, typé ou non, des soldats et surtout des officiers, qui encadrent et donnent le ton ; elle qualifie leur positionnement dans la société en termes de prestige, de rémunération, de style de vie, de distance ou de proximité avec divers groupes civils, toutes choses qui peuvent influer sur leurs attitudes. Politique, elle mesure leur accès au pouvoir ou à l’influence dans la Cité, le degré d’imbrication du domaine et des considérations qui sont ceux du chef militaire et de l’homme d’État, et la teneur, idéologique ou non, du conservatisme qu’on peut attendre d’un corps des officiers.
11Le conservatisme militaire peut se présumer s’il est purement formel : la fonction même des armées est de défendre les attributs centraux de la souveraineté des États, territoire, populations, institutions politiques. Elles sont le dernier rempart de ces dernières, indépendamment de la coloration du régime ou du gouvernement de l’heure, qu’elles se doivent de soutenir dans les moments critiques – sous la seule réserve pratique qu’il soit viable. Mais il peut arriver, notamment du fait d’une exacerbation des valeurs fonctionnelles ou d’un recrutement social porteur d’un désir de statu quo ou de réaction, que ce conservatisme prenne un contenu politique et idéologique. Il est possible, à l’inverse (comme on l’a vu au Portugal il y a quelque vingt-cinq ans, ou en nombre d’endroits du Tiers-monde), qu’en dépit des valeurs fonctionnelles, les militaires adoptent une idéologie progressiste voire révolutionnaire. En d’autres termes, l’armée peut en la matière faire l’objet du même traitement que celui que Max Weber réservait aux juristes : par leur fonction même gardiens de la légalité (sans laquelle leur profession perd sa raison d’être), ces derniers sont conservateurs au sens formel défini plus haut. Mais leurs inclinations politiques et idéologiques sont variables, et fluctuent avec le contexte (recrutement dominant, circonstances historiques, etc). C’est assez dire que la spécificité sociale et politique des militaires est peu susceptible – elle l’est moins encore que leur spécificité fonctionnelle – de demeurer identique à elle-même de période en période.
12Quant à l’apolitisme, il peut s’entendre au sens objectif ou subjectif : celui des comportements observés, ou celui des convictions intimes. Objectif, l’apolitisme n’est rien d’autre que le loyalisme envers les gouvernants du moment, c’est-à-dire le refus des militaires de tirer avantage de la détention des armes pour substituer à leur rôle normal d’instrument celui d’acteur autonome de la politique. La République démocratique libérale n’exige à cet égard que la stricte neutralité partisane du comportement des militaires, condition du pluralisme qui est en son principe même. Elle se démarque en cela des régimes autoritaires et totalitaires, qui n’hésitent pas à imposer l’allégeance personnelle des esprits à la politique suivie, à la classe dirigeante ou à l’idéologie officielle, et souvent à la faire respecter par la surveillance policière, voire par la terreur. A l’inverse, elle ne peut espérer des militaires qui la servent un encéphalogramme politique entièrement plat, et ses principes lui interdisent de contrôler ou d’influencer leurs convictions à l’égard du fonctionnement de la Cité, convictions ainsi renvoyées à la sphère du privé.
13L’argument central des développements qui suivent sera que l’apolitisme est, entre 1871 et 1962, favorisé par la spécificité militaire si l’on prend le terme au sens objectif et tant que les circonstances politiques internes sont « normales » ; il se trouve au contraire fragilisé à cette époque si on lui donne son sens subjectif, ce qui, dans des circonstances où les institutions politiques sont contestées, n’est pas sans poser problème.
Facteurs d’équilibre
14L’ensemble de la période est marqué, au regard des rapports armée-état-société, par une logique qui porte la marque de trois caractéristiques déterminantes : une contrainte forte d’efficacité militaire, une position sociale en marge, mais symboliquement centrale, des officiers, enfin une séparation stricte des compétences militaire et politique.
15I. La contrainte d’efficacité tient à l’insécurité que fait peser l’Allemagne sur le territoire national jusqu’en 1945, relayée dans ce rôle par l’URSS peu après cette date. A ces menaces s’ajoutent alors celles qui pèsent bientôt sur les colonies.
16Succédant à une période (1815-1865) où les guerres européennes ont été peu nombreuses, courtes et d’enjeux relativement faibles, les années 1871-1914 sont celles où le danger aux frontières (sinon toujours « la Revanche ») structure en partie les attitudes françaises. La nation passe de l’en-soi au pour-soi : jusque-là idée universaliste, associée dans les esprits à l’émancipation individuelle par transformation des sujets en citoyens, elle prend à ce moment certaines connotations particularistes. Celles-ci bandent les énergies en vue de la grande guerre éventuelle qu’un équilibre multipolaire des forces relativement instable rend possible à tout instant, et qu’on peut à bon droit juger probable, sinon inévitable, sur le long terme6. Le rêve libéral, celui de Mazzini en 1859, laissant entrevoir une famille harmonieuse de nations fondées sur le consentement des peuples, et vivant en paix dans le libre-échange, fait place à l’exacerbation des nationalismes distillés dans chaque pays par les visions ethnocentrées qu’impriment l’école, l’armée et la toute neuve presse populaire.
17La radicalisation des enjeux entraîne une course aux armements, la hausse des effectifs d’active (impliquant une conscription de plus en plus universelle) et plus encore des effectifs de réserve, qu’on comptera bientôt par millions. La guerre, combinant masse et puissance industrielle, sera totale (sans qu’on se représente toujours bien, a priori, ce que cela veut dire). Plutôt que des armées qui se combattent de manière discriminante, elle mettra aux prises des sociétés entières, engagées dans une lutte à mort selon le scénario entrevu par Clausewitz. Si malgré quelques chaudes alertes, elle n’intervient qu’après quarante-trois années de paix, c’est entre autres choses qu’on hésite à s’y laisser aller tant que les conditions optimales de puissance, d’alliances externes et de consensus interne ne semblent pas réunies. Lorsqu’elle survient, sa durée déjoue les pronostics optimistes dominants, et elle dépasse par l’ampleur et le désastre commun ce que les esprits les plus clairvoyants avaient pu imaginer.
18Après le premier conflit mondial, et après l’illusoire accalmie des années 1920 (Locamo, Briand, Traité de Paris), les nationalismes s’enflamment de nouveau dans la décennie suivante. La France ne fait pas exception – même si, exténuée, divisée et passée entre-temps du statut de puissance révisionniste à celui de puissance du statu quo, elle semble très en retrait sur ses adversaires potentiels. C’est le moment où, par excès de réalisme résigné et dur, on considère souvent avec Ludendorff, en inversant Clausewitz, que la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens entre deux périodes d’hostilités ouvertes...
19Après 1945, la France, qui n’a eu qu’un strapontin parmi les vainqueurs, est en Europe occidentale le seul pays où le nationalisme joue encore un rôle dans la politique extérieure. Il s’agit d’effacer le désastre de 1940 et de rendre à la nation le rang qui était le sien avant-guerre. La Quatrième République, à cet effet, mise sur le rétablissement de l’autorité française là où elle est contestée dans l’Empire, et s’engage dans des guerres coloniales : elle ne peut guère espérer le renouveau de la grandeur en Centre-Europe, dans le cadre d’une situation bipolaire bloquée et d’une alliance où elle assume, de plus ou moins bon gré, le rôle de réserve générale.
20Au total, si l’on tient compte des opérations périphériques ou coloniales pendant le temps réputé de paix, l’armée française se trouve engagée pendant plus d’un tiers de la période 1871-1962 dans des guerres dont les enjeux, en termes de fierté nationale et de rang dans le concert des puissances, ne sont jamais véritablement secondaires. La contrainte d’efficacité n’est donc pas un vain mot. Même si la légitimité des moyens militaires mis au service de la défense du rang décline quelque peu à compter du milieu des années 1930, et si les guerres coloniales la ternissent assez sérieusement dans la décennie 1950, la force des sentiments qu’inspire la nation assurera longtemps à l’armée l’essentiel des ressources matérielles, humaines et morales dont elle a besoin pour y répondre.
21La tâche est complexe, et elle y fait face en parachevant un processus de bureaucratisation entamé de longue date (bien avant les grandes organisations civiles). Le temps n’est plus où l’art militaire était « simple et tout d’exécution » : il s’appuie désormais sur un corpus de science militaire et administrative. Il faut recruter, équiper, organiser, mobiliser, transporter, faire manœuvrer et combattre des forces nombreuses réparties en unités standardisées, entre lesquelles la division du travail s’approfondit. Il faut absorber les vagues successives de modernisation technologique (tour à tour : armes automatiques, artillerie à longue portée, motorisation, blindés, aviation, radio, etc), et y adapter la doctrine. Les états-majors grossissent, et avec eux grandit le rôle de la rationalité instrumentale, du calcul et de la spécialisation. La compétence, dûment mesurée par les concours et l’avancement au mérite, se substitue progressivement à l’amateurisme distingué, à l’idée caractéristique du xviiie siècle (mais qui se prolonge en France plus tard qu’ailleurs) selon laquelle le génie militaire est inné, et qu’il suffit pour le reste de savoir sabrer. Bref, il y a professionnalisation du corps des officiers, dont la manifestation la plus visible se situe après 1871, avec la création, sur le modèle prussien, d’écoles de guerre et d’état-major, auxquelles le xxe siècle ajoutera un étage supplémentaire.
22Là où les régimes successifs d’après 1815 se préoccupaient surtout de savoir qui étaient les officiers, la République, de par ses principes mais encore sous l’aiguillon de la contrainte d’efficacité, s’intéresse avant tout à ce qu’ils savent faire pour la défense des intérêts nationaux : l’affaire des fiches, par le scandale qu’elle déclenche, révélera que toute autre pratique est désormais illégitime.
23II. De cette image d’une armée toute entière tendue vers la préparation guerrière dans un contexte de risque d’invasion ou d’abaissement, et de la force du sentiment national qui en découle à cette époque, on peut déduire une forte légitimité de l’institution militaire, et un prestige élevé du corps des officiers dans la société. Bien sûr, il faut, pour nuancer le tableau, faire mention de quelques traces (littéraires) d’antimilitarisme bourgeois au tournant du siècle, de l’opposition déterminée des milieux d’extrême-gauche pendant une majeure partie de la période, et des conséquences sur le prestige militaire de l’impopularité relative des guerres coloniales dans les années 1950. Il reste que l’armée et ses officiers, si l’on compare leur situation à ce qu’elle était sous la Restauration ou la Monarchie de Juillet, ou à ce qu’elle sera sous la Cinquième République après 1962, bénéficient alors d’un capital de considération sociale dont la nostalgie s’est conservée jusqu’à ce jour.
24Il y a, à ce prestige, une raison autre que le contexte stratégique : l’armée est alors le vecteur d’une certaine modernité. C’est elle qui, la première, a mis en œuvre l’égalité des chances devant le recrutement, l’avancement méritocratique7, la carrière (sécurité de l’emploi et du statut) couronnée par une pension de retraite, les droits et garanties visant à favoriser l’exercice sine ira et studio, loyal, objectif et fiable de la fonction : toutes pratiques que les administrations publiques puis les grandes entreprises s’appliqueront à imiter, et qui serviront de référence implicite à plus d’une revendication syndicale au xxe siècle.
25L’armée, grâce à la conscription de masse instaurée graduellement par les lois de 1872, 1889 et 1905, est de plus le lieu du brassage social et géographique facteur de cohésion nationale, mais encore de l’apprentissage de l’hygiène, et de la découverte de techniques inconnues dans les campagnes. Elle est seule à offrir à tous des chaussures, de la viande à la plupart des repas, et la possibilité de s’arracher, en voyageant, au milieu d’origine. Bref, on comprend que même si certains jeunes bourgeois souffrent de l’égalitarisme et de la promiscuité des chambrées, si les militants révolutionnaires détestent la discipline, il y ait alors peu de Français pour qui, comme on dira plus tard, « faire son temps, c’est le perdre ». La transformation, qui date de cette époque, du service militaire en rite de passage à l’âge adulte et à la citoyenneté politique en dit long sur sa légitimité : nous sommes à l’âge d’or de ce que certains ont appelé le charisme de l’État-nation.
26Dans ce cas de figure, l’officier incarne au plus haut degré le patriotisme et la modernité ; il est l’agent de la démocratisation passive qu’induisent les organisations bureaucratiques de masse. Quand bien même sa maigre solde est peu faite pour compenser les sujétions particulières de son état (risque, inconfort, obéissance, prosaïsme monotone de la vie de garnison, disponibilité et mobilité, restrictions des libertés publiques), son prestige et sa sécurité d’emploi lui donnent une position jugée enviable par nombre de ses contemporains. Il en ira de même, quelques crans plus bas, des sous-officiers après la loi de 1928.
27Dès lors, les cadres militaires de métier tendent à idéaliser les traits qui les situent à part : plus ils cultivent leur identité militaire, un style de vie qui affecte, bien au-delà de ce qu’exige l’efficacité fonctionnelle, tous les aspects de leur existence (mariage, comportements privés), plus cela est générateur d’honneur social, forme essentielle de gratification8. L’officier met en œuvre ce que certains ont dénommé « professionnalisme radical » : il se considère en uniforme 24 heures sur 24, 365 jours par an, soulignant ainsi les sacrifices qu’il consent ; et s’il partage avec la population le culte de la patrie et de la modernisation9, il s’en démarque sur tout le reste ou presque. Cette pratique d’un état militaire à part est d’autant plus aisée que, sauf fortune personnelle, l’officier n’a pas un train de vie lui permettant de fréquenter assidûment et sur un pied d’égalité les élites sociales du cru (ce que la Troisième République naissante cherchera au surplus à décourager), et que les longues périodes de guerre tendent à l’éloigner de sa famille voire, après 1945, du territoire métropolitain. La condition des militaires est donc bien à cette époque symboliquement centrale, mais socialement en marge.
28III. La séparation tranchée entre compétences politique et militaire qui se manifeste à cette période tient au fait qu’à l’exception de ce qui se passe dans les colonies, les deux domaines sont alors peu imbriqués. L’ennemi est clairement désigné, le consensus interne face à lui suffisamment fort, et le plan stratégique pour le combattre trop complexe pour être susceptible de se politiser. Le fait que les ministres de la Guerre d’alors soient souvent des généraux suggère assez, même si certains s’aventurent sur le terrain politique, le caractère essentiellement technique de leur ministère aux yeux des gouvernants et de l’opinion. La liberté de plume dont jouissent les officiers sur les sujets militaires tout au long de la période (contrairement à ce qu’on peut observer avant et après elle) tend à confirmer cette analyse.
29Les rapports entre chefs militaires et hommes d’État sont placés sous le signe d’une division du travail où l’ambiguïté n’est pas de mise : aux seconds reviennent la définition des fins ultimes, l’appréciation des opportunités, la mobilisation des ressources humaines, matérielles et symboliques pour les réaliser ; aux premiers, experts en stratégie, l’organisation des armées et le commandement opérationnel des forces en temps de guerre. En d’autres termes, le politique fixe les missions et les moyens jugés indispensables, et pour le reste s’en remet à l’expertise du corps des officiers. Il s’abstient d’intervenir dans un domaine où il n’est pas compétent (et où la distance et le volume des troupes lui interdisent de s’occuper du détail). A l’inverse, le militaire s’abstient d’introduire dans son raisonnement et son action des considérations politiques, économiques, sociales ou autres. Il met son point d’honneur à cultiver l’expertise que lui confère sa professionnalisation, et se veut l’instrument de la volonté nationale face aux périls externes. Il est donc subordonné au politique, au nom d’une éthique de service, mais il jouit en retour d’une autonomie interne et d’une certaine confiance a priori. Il sait qu’il sera jugé a posteriori sur les seuls effets militaires attendus de lui10. C’est ce que les politistes dénomment contrôle objectif.
30L’armée de masse fournit le cadre structurel de cette autonomie dans la subordination. Véritable contre-société possédant en son sein toutes les fonctions de soutien nécessaires aux combattants, elle est en pratique fort peu dépendante de son environnement civil dès lors que la légitimité sociopolitique et les ressources matérielles et humaines lui sont acquises.
31Une telle séparation entre armée et politique n’est qu’un cas particulier de celle qui affecte plus généralement à la même époque politique et administration11. et qui vise à dégager pour chaque activité une éthique propre, conforme à sa finalité. Elle est toutefois plus impérieuse dans le cas de l’armée, pour les raisons qu’on a dites : tension entre valeurs démocratiques et valeurs fonctionnelles militaires, nécessité de la neutralité partisane pour la sauvegarde du pluralisme, et ce alors même que la conscription universelle fait de l’institution militaire le miroir social de la nation.
32En faisant de lui un fonctionnaire zélé, compétent et honoré, ce modèle de rapports armée-État-société tend à dépolitiser le militaire de métier, qui se conçoit désormais, dans une vision clausewitzienne, comme pur instrument. Le politique, de son côté, tend à ne retenir, dans ses critères d’appréciation des officiers, que la compétence militaire – sous peine de scandale majeur lorsque, comme le général André, il s’aventure sur d’autres terrains. Si donc par apolitisme, on entend essentiellement loyalisme, obéissance et refus de transformer l’instrument militaire en acteur de la politique, alors toutes les pressions qui se font jour dans un contexte externe et interne comme celui qu’on a décrit inclinent à faire de la spécificité militaire, dès lors professionnalisée, un facteur d’apolitisme.
Sources de tension
33Un tel modèle, cependant, n’est pas sans tensions ni sans failles. Il en va ainsi pour l’essentiel parce qu’à la présomption de conservatisme formel des cadres militaires, qui est de tous les temps et de tous les lieux, s’ajoute de manière spécifique à l’époque (mais non à la seule France) l’apparition d’un conservatisme substantiel : des convictions politiques et idéologiques droitières dont la société civile et la classe politique ont quelques raisons de soupçonner qu’elles ne recoupent pas les leurs. De là procède, pour les républicains, le sentiment d’un danger qui, s’il ne donne pas lieu, de manière caractérisée, aux formes de césarisme ou de prétorianisme qu’on peut connaître ailleurs, n’en joue pas moins un rôle décisif à plusieurs moments critiques de la période.
34I. Il existe un écart entre la neutralité idéale, et le plus souvent effective, des comportements publics parmi les officiers, et la réalité des attitudes privées à l’égard de l’évolution sociale et politique à un moment où la société se libéralise, et où les clivages centraux opposent successivement modernistes républicains libéraux et traditionalistes (ou bonapartistes) partisans de l’autorité, puis ouvriers et bourgeois sous l’œil sceptique d’une paysannerie nombreuse mais en voie de contraction démographique.
35A cet écart, on peut trouver au moins deux raisons. La première est liée à l’exacerbation des valeurs fonctionnelles – hiérarchie univoque, discipline et devoir, charisme des chefs, traditions, cohésion, secret – dans un contexte où il est parfaitement rationnel de considérer la guerre comme inhérente à la condition humaine, et inévitable sur le long terme. La perspective d’un sacrifice de sa vie pour la patrie est omniprésente, et tend à absolutiser ces valeurs communautaristes, dont on a dit plus haut combien elles présentent de similitudes avec les sociabilités traditionnelles, au sens pré-révolutionnaire.
36La seconde raison est à chercher du côté des origines de recrutement social des officiers. Sous la Troisième République naissante, alors que se redistribuent les statuts sociaux, que montent les élites industrielles et commerciales, les vieilles élites terriennes trouvent dans l’armée, qu’elles avaient longtemps boudée après 1830, un refuge où leurs valeurs semblent moins anachroniques qu’ailleurs. Elles y trouvent aussi et surtout un moyen honorable et honoré d’échapper à l’insécurité économique et au déclin social. C’est le moment où le nombre d’officiers à particule augmente de manière sensible, notamment dans la cavalerie, où ils se concentrent à raison de plus de dix fois leur proportion nationale12. Il faut dire que la propriété terrienne, moins mobile que les actifs industriels, que les titres immobiliers urbains ou les valeurs financières, est considérée comme potentiellement moins « cosmopolite », plus « nationale », et bénéficie d’une prime symbolique de légitimité. Il faut dire encore que dans une armée où l’autorité bureaucratique s’exerce sans partage, où la troupe est constituée pour une part longtemps majoritaire de jeunes paysans conscrits, les pratiques sociales de ces représentants de l’ancienne petite noblesse ou de ceux qui s’identifient à elle paraissent à plus d’un égard parfaitement adaptées. Par la suite, après 1920, la lutte des classes qui structure la vie politique tendra à perpétuer le mécanisme, lequel ne s’enrayera (relativement) que dans la seconde partie de notre siècle.
37Il est peu probable que ce type de recrutement social des officiers soit porteur de valeurs sociopolitiques progressistes : les sentiments réactionnaires13 ont plus de chances d’y être dominants que les sentiments républicains, ou que l’acquiescement à l’émancipation des classes laborieuses par montée des droits sociaux ou par la révolution. Ce n’est pas que ce type d’officier soit nécessairement majoritaire, mais c’est lui qui bien souvent, par le prestige d’une famille ancienne, de son réseau de relations, des manières et de l’étiquette, ou encore de l’appartenance à des régiments d’élite, donne le ton à une bonne partie du corps14.
38Une seconde composante du recrutement officier renvoie, en France beaucoup plus nettement qu’ailleurs, aux boursiers et aux anciens sous-officiers. Ces derniers, depuis Gouvion Saint-Cyr, on le sait, alimentent le corps des officiers dans des proportions larges, parfois majoritaires (ce qui constitue une spécificité française puisqu’on n’en rencontre l’équivalent dans aucun pays du premier rang). Ces hommes, qui n’auraient pas connu de semblable promotion sociale sans les forts besoins d’une armée de masse, doivent tout à l’institution militaire et à la méritocratie relative mais réelle qui y règne. On peut, sans forcer l’analyse, penser qu’ils n’ont aucune peine à en idéaliser les valeurs et les pratiques. On peut fort bien imaginer aussi que nombre d’entre eux empruntent leurs attitudes au modèle que leur offrent les officiers à particule qui sont au centre du système de prestige15.
39Il n’est aucunement question d’affirmer ici que l’ensemble du corps est, de manière uniforme, acquis aux seules idées de la réaction. Les ex-boursiers et les officiers sortis du rang, à en croire les historiens, mènent dès qu’ils ont charge d’âmes une existence matérielle suffisamment étriquée pour que se pose à eux, à tout le moins de temps à autre, la question de savoir de qui ils doivent être solidaires socialement et politiquement. Il faut compter aussi, notamment dans les armes savantes, avec ces officiers issus de la moyenne bourgeoisie intellectuelle, et dont les sympathies pour la République sont souvent plus affirmées. On ne peut exclure par ailleurs – les exemples ne manquent pas – que l’opportunisme carriériste ne joue un rôle de frein à l’affirmation de certaines convictions. Enfin, des circonstances troublées ou critiques peuvent servir de filtre aux attitudes politiques, et les faire pencher d’un côté qu’on n’attendait pas : ainsi du mémorandum Gambetta après les élections de 1876, ou de tous ceux qui résistent à l’occupant, soit dès 1940, soit après novembre 1942, ou qui reprennent les armes contre lui à l’extérieur en 1943 et 1944, et dont nombre étaient classés assez loin à droite avant-guerre.
40Il demeure qu’à la possible exception des années 1870 et 1945-1952, les milieux conservateurs dominent, sinon en chiffres absolus (que personne ne connaît16), du moins en influence au sein du corps des officiers. On le voit au nombre (restreint) de ceux qui s’engagent en politique la retraite venue, et qui le font majoritairement à droite tout au long de la période. On le voit au fait que certains peuvent afficher leurs convictions pendant que d’autres doivent les dissimuler s’ils ne veulent pas stagner dans les grades subalternes du fait non des politiques, mais de leurs supérieurs militaires. A cet égard, des travaux futurs pourraient fort bien montrer que l’armée n’a pas été aussi antidreyfusarde17 qu’on l’a dit : il reste que sans un centre de gravité des attitudes politiques plus à droite parmi les officiers que dans la population, ni l’ampleur ni la durée des controverses qui entourent l’Affaire ne sont pensables. Et l’on imagine mal, sauf à supposer la classe politique de l’époque paranoïaque au point d’être irrationnelle, ce qui a pu conduire au luxe de précautions dont s’entoure la Troisième République dans le cadre de ce que le doyen Hauriou appellera le « cantonnement juridique » des militaires, si aucun porte-à-faux idéologique n’existe au plan des attitudes entre la nation et ses officiers, non pas individuellement mais en tant que groupe social soumis à une norme collective18.
41Bien sûr, et toute la première partie de ce propos va dans ce sens, rien de tout cela n’a de véritable importance politique tant que les institutions fonctionnent normalement : la Grande Muette sait faire taire ses états d’âme, et servir loyalement sans murmurer. A défaut, ses officiers savent démissionner. Gaetano Mosca, contre les apparences mais non sans quelques raisons, fait remarquer qu’une république démocratique n’est jamais mieux servie que par un corps d’officiers soumis à une tradition de type aristocratique. Dans le contexte de cette longue période, la notion de service, mais aussi, en cas de désobéissance, la menace d’une perte de légitimité et de considération sociale, le risque d’un affaiblissement du consensus national, d’une division de l’armée, suffisent à limiter les effets de ce porte-à-faux idéologique.
42II. Pour autant, le problème n’est pas résolu : la sécurité de l’ordre établi n’est pas à toute épreuve. Si derrière l’apolitisme des comportements se profilent des attitudes politiques privées par trop typées, alors la moindre faiblesse du régime, la moindre défaillance des institutions est susceptible, dans ce contexte, de remettre en cause l’équilibre républicain des relations armée-État-société.
43La tentation est grande, en effet, pour ceux que leurs valeurs fonctionnelles, leurs origines sociales ou leurs modèles de comportement inclinent à la nostalgie de régimes anciens plus autoritaires, d’interpréter la neutralité partisane qu’exige la République non pas comme la condition d’un pluralisme libéral qu’on accepte, mais comme la manifestation naturelle d’une supériorité supraconstitutionnelle de l’armée sur les institutions politiques. En d’autres termes, dans cette vision des choses, les militaires ne sont pas, ou pas seulement, par vocation en dehors de la politique, mais au-dessus. Une telle tentation est d’autant plus grande que les régimes, comme cela a été le cas dans la France du xixe siècle, se sont succédé à un rythme rapide : les gouvernements, les constitutions passent, l’armée demeure... Elle peut expliquer une lecture courante, mais erronée, de Clausewitz, qui n’est pas particulière à la France (on la trouve en Allemagne, et par certains aspects jusqu’aux États-Unis dans la première moitié de ce siècle) : si la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, alors les gouvernants civils gouvernent en temps de paix, les chefs militaires en temps de guerre totale19.
44Le véritable danger survient en cas de panne de régime. Le nationalisme ambiant, en quoi dégénère le sentiment national à certains moments ou dans certains milieux, peut engendrer des mouvements antiparlementaristes et antirépublicains s’appuyant sur les secteurs les plus radicalisés de l’opinion, qui font alors de l’armée un point de ralliement symbolique, et une planche de salut. Lorsque, bien que mis en difficulté, le régime tient, les militaires les plus exposés s’arrêtent au seuil de la désobéissance ou de la sédition. C’est ce qu’on voit lors de l’accès de fièvre boulangiste, de l’épisode Déroulède, de l’Affaire Dreyfus, puis des ligues dans les années 1930, ou de certaines séquences algériennes des années 1950. Si le régime est – ou semble – en perdition, la porte est ouverte à l’aventure20, et le sort de la République dépend de la personnalité forte qui émerge de la situation, comme en juillet 1940 ou mai 1958, ou encore du rapport de forces entre loyalistes et séditieux, comme en 1961-1962.
45On retrouve ici la conclusion générale à laquelle parviennent les politistes au terme de plusieurs décennies d’études comparatives : ce n’est pas la force des armées, mais le vide ou la faiblesse du pouvoir, qui crée le risque ou la réalité des séditions militaires. Ce n’est là, pourtant, que la condition suffisante. Le contexte externe et interne commun, dans ses grandes lignes, aux années 1871-1962 fournit la condition nécessaire à une possible sortie de l’apolitisme objectif : elle y prend la forme d’un conservatisme de nature idéologique, dont on a tenté de cerner les sources. On comprend mieux, dès lors, le caractère draconien, qui singularise la période, des restrictions apportées aux libertés publiques des militaires, et le rôle sociopolitique de garde-fou qu’on fait jouer à la conscription universelle21, par ailleurs nécessaire à l’armée de masse requise par le contexte stratégique. La spécificité militaire, dont en ces circonstances les dimensions fonctionnelle et sociopolitique s’additionnent, ne conduit guère – il faut ici faire droit à la thèse que défend Pierre Dabezies – à l’apolitisme subjectif.
Comparaisons avec d’autres périodes et remarques finales
46Il peut sembler trop ambitieux d’appliquer un modèle unique, fondé sur un nombre restreint de variables, à une période aussi longue. On a d’ailleurs esquissé la modulation des paramètres à laquelle il faudrait recourir (notamment à propos de la séquence 1945-1962 qui à plus d’un égard fait figure d’appendice partiellement soumis à des logiques nouvelles), si l’on devait pousser l’analyse, pour faire que ce modèle épouse d’un peu plus près les contours de la réalité historique de chaque séquence. Mais, et c’est par là qu’on terminera, le contraste observable entre la période de référence et celles qui l’encadrent permet de justifier le primat accordé ici à l’unité sur la diversité interne.
47La Restauration, la Monarchie de Juillet et, pour partie, le Second Empire ne connaissent, par comparaison, ni contrainte d’efficacité militaire aussi forte, ni prestige aussi élevé des officiers, dont nombre sont volontiers soupçonnés en haut lieu d’être marqués à gauche. Leur professionnalisation n’est pas encore assez affirmée pour justifier un contrôle purement objectif, et l’identification réciproque armée-nation, par la conscription universelle, la modernisation sociale et technique et les périls extérieurs, reste à réaliser. La spécificité militaire y semble moins marquée, et l’apolitisme des comportements publics plus incertain. Passé les excès de la Restauration (dont l’origine se situe dans une volonté politique extérieure à l’armée), le conservatisme substantiel né d’une exacerbation des valeurs fonctionnelles et d’une inflexion du recrutement social n’est guère la caractéristique dominante de ce demi-siècle.
48Plus riche et plus instructive, par l’éclairage qu’elle donne aux débats en cours sur l’armée professionnelle annoncée, est la comparaison avec l’après-1962. Le nationalisme, rétrospectivement rendu responsable des conflits mondiaux et de guerres coloniales dont on a désormais plus ou moins honte, tué par l’individualisation et l’ethos hédoniste nés de la prospérité économique, de la protection sociale et de l’enseignement de masse, a disparu : on chercherait en vain des secteurs de l’opinion décidés à abattre la République en faisant appel à l’armée. Celle-ci, « veuve de la guerre » et désacralisée par son statut d’auxiliaire de la dissuasion nucléaire, a appris à vivre sans l’idée que des hostilités sont inévitables en Europe. Le blocage d’une grande guerre éventuelle par l’atome, la délégitimation de la force au service des égoïsmes nationaux (qui est allée crescendo depuis Verdun et la Somme, Coventry et Dresde, puis Hiroshima et Nagasaki) lui ont enlevé une large part de son prestige ancien, et il n’est plus question pour les cadres de métier de cultiver une identité à part au-delà des quelques sujétions garantes de l’efficacité fonctionnelle. Avec le lent déclin de l’armée de masse, la conscription fait figure de tradition de plus en plus difficile à justifier rationnellement : les jeunes gens n’en attendent plus guère de bénéfices, et n’hésitent pas à la fuir quand ils le peuvent. La rationalité technicienne et gestionnaire, fille d’une modernisation continue qui en trente ans rend l’armée méconnaissable, a marginalisé des combattants qui ne représentent plus qu’une minorité des effectifs ; elle a considérablement rapproché les militaires des civils, dont ils sont plus dépendants qu’autrefois pour ce qui est du soutien, et avec lesquels ils peuvent maintenant se comparer par les rôles joués et la formation requise pour les tenir.
49Le niveau d’éducation et la comparabilité avec les cadres civils deviennent, à compter des années 1970, le principe d’un positionnement social nouveau des militaires. Le recrutement des cadres, puisant à des viviers sociaux relativement moins typés qu’auparavant, s’est lui-même recentré. Le statut général de 1972 prend acte de ces évolutions en distinguant beaucoup plus nettement qu’autrefois entre devoirs du soldat et droits du citoyen, temps de service et vie hors service : le cantonnement juridique n’a pas disparu, mais il s’est considérablement adouci.
50Les rapports entre chefs militaires et hommes d’État, pour des raisons dans lesquelles on ne peut entrer ici, sont marqués par une imbrication étroite des domaines qui sont normalement du ressort des uns et des autres. On voit les politiques intervenir jusque dans le détail de l’organisation et des opérations militaires ; en retour, les débats de doctrine sont désormais hautement susceptibles de se politiser. Les institutions stables et fortes de la Cinquième République, et une stricte orthodoxie doctrinale (qui paradoxalement restreint la liberté d’expression des militaires plus qu’elle ne l’était au début du siècle) n’ont aucune peine à contenir ce risque de politisation. L’autonomie professionnelle du corps des officiers s’en trouve réduite, sans que la frustration qu’on peut en attendre ne débouche sur autre chose qu’un vague malaise dont la presse et l’édition se font parfois l’écho, mais que les données d’enquête ont le plus grand mal à saisir (du moins après la revalorisation matérielle, intervenue au milieu de la décennie 1970, de la condition militaire). La machine fonctionne sur un mode virtuel, mais la complexité de son fonctionnement suffit à absorber l’essentiel des énergies selon le schéma du divertissement pascalien.
51Les cadres militaires, hommes et désormais femmes (dont le nombre grandit lentement), tirent leurs satisfactions professionnelles de la mise en œuvre de techniques et de connaissances acquises au cours de périodes de formation initiale et continue dont la durée peut atteindre jusqu’à un tiers du temps passé sous l’uniforme. Les chances de servir outre-mer sont considérablement réduites, et ils vivent pour l’essentiel en France (ou en Allemagne), avec leurs familles. Celles-ci aspirent au demeurant à mener une existence « normale » : les épouses travaillent en nombre grandissant, et les enfants tolèrent moins bien de voir leur cursus scolaire ou universitaire perturbé par des déracinements trop fréquents. Le style de vie ne se sépare plus de celui des civils, à niveau comparable, que par la mobilité géographique et la disponibilité22. A cette intégration sociale plus prononcée sans doute qu’elle ne l’a jamais été, répond une intégration culturelle à peine moins marquée : le conservatisme idéologique est devenu minoritaire sinon tout à fait marginal, et les données d’enquête disponibles ne permettent guère de mettre en relief des écarts significatifs entre le centre de gravité des attitudes politiques parmi les militaires de métier et celui qui caractérise l’opinion civile23.
52Pour dire les choses autrement, la spécificité fonctionnelle s’est quelque peu affadie, et la spécificité sociale et politique passe un nadir : au lieu de s’additionner, elles se retranchent. Le professionnalisme militaire, autrefois « radical », devient « pragmatique ». En un peu moins de quatre décennies, l’officier français a échangé une position symboliquement centrale mais socialement en marge, contre une autre, symétriquement inverse. Ce faisant, il a rejoint, avec un temps de retard (pour l’essentiel dû aux guerres coloniales), ses homologues des pays voisins ou alliés comparables.
53Le modèle ébauché pour le derniers tiers de notre siècle est donc aux antipodes de celui qu’on s’est attaché à construire pour la période 1871-1962. Le contraste violent qui oppose leurs logiques sous-jacentes et les cristallisations auxquelles elles conduisent dans leurs contextes respectifs appelle plusieurs remarques finales. La première, sur laquelle on passera rapidement, a trait aux risques politiques supposés de l’armée professionnelle à venir, dont les craintes qu’elle inspire font figure de contresens anachronique : les quelques inflexions enregistrées depuis l’après-Guerre froide nous éloignent plus encore du modèle de rapports Armée-État-Société de 1871-1962 que cela n’était le cas entre 1962 et 1990.
54La seconde fait référence au caractère transposable des modèles présentés ici. Il n’est pas indifférent que, de manière analytiquement utile, l’on puisse les appliquer, comme il se doit en en modulant les paramètres, à d’autres pays partageant avec la France certaines caractéristiques contextuelles générales, période par période (et parfois avec quelques distorsions temporelles dont on doit pouvoir rendre compte). Ces modèles, et d’autres du même genre qui n’en diffèrent que par le vocabulaire, le détail et le degré de généralité, sont ainsi apparus chez nombre d’auteurs européens et américains24 depuis la fin des années 1950. Il est intéressant d’observer que la tendance, pour ce qui les concerne, est à une certaines unification, objet de consensus, depuis deux décennies.
55Finalement, bien que par nature simplificateurs, ces modèles ont les qualités de leurs défauts : ils proposent des interprétations générales non contradictoires, présentant une certaine économie, et non strictement ad hoc – c’est-à-dire répondant aux normes de la scientificité – de réalités sociales complexes. Ils paient l’intelligibilité, la précision conceptuelle, la généralité et l’économie au prix d’une possible distance avec des faits datés et situés. Mais, dans cette vision des choses, les modèles ne sont que des modèles : ils ne sont pas à prendre ou à laisser sur un mode ontologiquement réaliste. Si la sociologie ne dispense pas de l’histoire, rien n’interdit de penser que les modèles du sociologue puissent servir à l’historien, dans l’analyse du singulier comme dans la synthèse25.
« Professionnalisme radical » – 1880-1960
(I) Facteurs d’équilibre

« Professionnalisme radical » – 1880-1960
(II) Tensions et failles

« Professionnalisme pragmatique » – 1960-1990

Notes de bas de page
1 Pour être contrastées, les deux démarches n’en connaissent pas moins des points de contact : il arrive à l’historien de se livrer à la synthèse, au sociologue de pousser plus loin l’analyse du détail. Elles s’avèrent moins incompatibles que complémentaires : le sociologue a besoin des faits mis au jour par l’historien ; ce dernier peut se servir de la modélisation du premier pour interroger le réel. Il le fait d’ailleurs assez souvent, même si les contemporéanistes français (sans doute échaudés naguère par des modélisations dogmatiques) semblent en avoir perdu l’habitude ou le goût.
2 Le type idéal n’est donc pas une moyenne ou un plus grand commun dénominateur décrivant une pluralité de cas en eux-mêmes uniques mais qui présentent un air de parenté. Il est pure construction, visant à la précision conceptuelle, à une mise en ordre intelligible de la réalité observée (par accord, que médiatise le contexte, du sens imputé à l’action et des faits à expliquer), plus qu’à l’appréhension des nuances singulières. Les notions de féodalité, de capitalisme ou de monarchie absolue, par exemple, sont des types idéaux, susceptibles de s’incarner différemment, ou pas du tout, selon les circonstances datées et situées qui donnent au réel sa contexture historique.
3 Les sources possibles d’une telle distance sont diverses : imparfaite adéquation du contexte réel au contexte hypothétique, facteurs aléatoires, rôle de l’enracinement culturel, incohérence des acteurs, interférence d’autres logiques d’action, créativité irrationnelle.
4 Toutes les guerres ne sont pas totales : une majorité d’entre elles sont limitées dans les faits par la faiblesse des enjeux et (ou) des ressources qui permettent de les livrer. Cependant, comme nous l’a appris Clausewitz, aucune guerre (à la différence du maintien de l’ordre) n’est à l’abri d’une dynamique d’escalade aux extrêmes.
5 Ce statut est réel à l’intérieur de l’institution militaire, même si les pratiques démocratiques tendent à en limiter les effets. Il n’est que symbolique vis-à-vis de l’extérieur, et parfois contredit par des origines sociales fort modestes (comme ce sera le cas en France) d’une bonne partie du corps des officiers. Il reste que la vieille idée selon laquelle an officer is a gentleman (ou encore Das Portepee adelt) a longtemps survécu à l’avènement de régimes démocratiques, et influé sur la motivation et l’éthique des officiers. Il n’est pas difficile, aujourd’hui encore, d’en mettre en évidence la trace dans des résultats d’enquêtes sociologiques portant sur ce milieu.
6 Ce sentiment est indirectement attesté par les efforts, à la fin du xixe siècle et au début du nôtre, de la diplomatie libérale et des mouvements pacifistes internationaux (en Europe, Nicolas II et la campagne en faveur de l’arbitrage des conflits entre Etats ; en Amérique, Andrew Carnegie et le Business pacifism, conférences de La Haye, etc.) pour exorciser le spectre de la grande guerre ou pour en limiter par avance les effets.
7 Ce principe se heurtera longtemps à l’influence du statut social d’origine : naissance, fortune, relations favorisent la promotion au choix (notamment en raison de la composition des commissions d’avancement). Il faut attendre 1914 et le redoublement des contraintes d’efficacité militaire et de légitimité démocratique pour voir ces pratiques perdre de leur importance.
8 Les décrets de 1949 instituant une rémunération élevée pour les campagnes sur les théâtres d’opérations extérieures suivent d’assez près l’abaissement indiciaire entré dans les faits sur les recommandations de la Commission Laîné de 1947, déclassant les militaires par rapport à certaines catégories de fonctionnaires civils avec lesquels ils étaient jusque-là à parité. On peut voir dans cette hausse des rémunérations, en même temps qu’un moyen de mieux faire accepter des séjours à répétition en Indochine, une compensation à la perte relative de prestige qui se fait jour après 1945. On retrouve ce mécanisme bien plus tard, lorsqu’en 1975-1976 la revalorisation indiciaire vient compenser un déficit de considération sociale alors problématique.
9 Cela semble vrai surtout de la période 1871-1918. La victoire, comme souvent facteur de conservatisme fonctionnel, rendra la vie moins facile aux novateurs de l’entre-deux-guerres. Les guerres coloniales, guerres de lieutenants et capitaines n’exigeant qu’un armement relativement léger, seront considérées comme une catastrophe par les modernistes tournés vers le Centre-Europe, qui s’inquiètent du retard pris sur les armées comparables au sein de l’O.T.A.N.
10 Telle est du moins la logique qui se met en place, prospère (inégalement), puis décline lentement au cours de la période considérée dans la plupart des pays en Europe occidentale et en Amérique. Il arrive pourtant que les tensions de la guerre totale la mettent à mal : les politiques abdiquent une partie importante de leur autorité en faveur des militaires. Il en va ainsi en Allemagne au cours du premier conflit mondial, aux États-Unis pendant le second. Le cas de la France est contrasté : si en 1940 la République remet son sort entre les mains d’un militaire, dans la dernière partie du conflit mondial précédent, au contraire, le pouvoir civil réaffirme son autorité.
11 Cf. Max Weber, Le Savant et le politique, Paris, Plon, 1959 [Politik als Beruf, 1919].
12 D’une moyenne générale qui n’excède guère 4 à 6 % de lieutenants à particule entre 1840 et 1860, on passe à 11 % entre 1885 et 1900. Dans la cavalerie, la proportion d’officiers nobles monte de 16 % avant 1870 à 38 % en 1885 ; elle augmente parallèlement de 5 à 8 % dans l’infanterie, mais diminue de 8 à 2 % dans les armes savantes (artillerie, génie). Cf. William Serman, Les Officiers français dans la nation, 1848-1914, Paris, Aubier, 1982, p. 8.
13 Le cléricalisme, qui n’avait jamais brillé dans l’armée, y fait son apparition dans certains milieux militaires au tournant du siècle.
14 « Quant aux fils de famille qui restent dans l’armée et qui y font carrière, ils donnent longtemps le ton au corps des officiers, qui se recrute pourtant en majorité dans les classes moyennes (prépondérantes à Polytechnique et à Saint-Cyr) et dans les classes populaires, principales bénéficiaires des promotions par le rang [...] ». Serman, op. cit, p. 8.
15 Or, celui-ci est longtemps dominé par des aristocrates : vers 1900 encore, 28 % des généraux ont un nom à particule, et – on l’a vu – ils sont surreprésentés dans la cavalerie, arme d’élite jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Au nombre des exceptions notables à l’image suggérée ici, il faut citer l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale où l’anti-élitisme de la Libération et l’intégration de résistants parmi les cadres de l’armée de terre produiront en Indochine des chefs charismatiques de profil plus plébéien que ce n’était le cas depuis plus d’un siècle : certains modèles de rôle proposés aux jeunes officiers sont à cette époque des sous-officiers.
16 Contrairement à la période récente, où l’on dispose de quelques rares données d’enquêtes par sondage sur les convictions et valeurs intimes des officiers, une représentation statistiquement fidèle de celles de leurs prédécesseurs demeure inaccessible, malgré les travaux de F. Bédarida, G. Gugliotta ou J.C. Jauffret. Rien ne garantit que les officiers qui affichent leurs sentiments politiques soient représentatifs du corps dans son ensemble. Les documents sur lesquels on s’appuie pour en juger, tel le célèbre mémorandum tiré d’un des deux manuscrits secrets du fonds Gambetta (archives des affaires étrangères), ne concernent qu’un nombre très restreint d’individus (un peu plus de 300), et les méthodes ou canaux auxquels on a recours pour établir les chiffres dont ils font état peuvent à bon droit être jugés peu fiables.
17 Les classements à droite ou à gauche de telle ou telle attitude politique n’échappent pas à une certaine équivoque. Il a existé au xixe siècle un antisémitisme de gauche. Certaines figures de la droite radicale, tel Déroulède, ont entamé leur parcours politique à l’autre bout de l’éventail (comme Mussolini). Les tendances fascisantes qui se font jour dans les années 1930, ainsi que l’a montré récemment François Furet, ne sont pas réactionnaires : elles tentent de concilier modernité et solidarisme en empruntant nombre d’idées à la gauche révolutionnaire du tournant du siècle. Il reste que les luttes politiques finiront par clarifier le clivage central : celui qui oppose partisans et adversaires de l’universalisme républicain.
18 « L’épaulette oblige, comme jadis la noblesse. Tout officier doit donner à sa vie un style conforme au modèle collectif que les traditions du groupe ont façonné au fil des décennies, en marge de la société civile et de son évolution depuis 1789 ». « En endossant l’habit militaire », observe Gaboriau, on se croit « forcé d’adopter un code de convention, des opinions, des usages, des façons de penser, des ridicules de tradition », W. Serman, op. cit., p. 14-15.
19 Cf. note 10 supra.
20 Il est vrai que les acteurs militaires de ces drames politiques n’agissent pas au nom de l’armée, dont ils sont souvent peu représentatifs (cf. Boulanger, pour ne citer que lui). En ce sens, l’armée française n’a jamais été une armée de pronunciamiento. Les républicains ont pourtant quelques bonnes raisons de se souvenir que des militaires ont joué un rôle dans le naufrage de la Ire, de la IIe, de la IIIe et de la IVe Républiques...
21 Ce rôle d’assurance contre une possible sédition militaire apparaît en pleine lumière dans les Mémoires que Léon Blum rédige pendant la Seconde Guerre mondiale (cf. les extraits reproduits récemment par la revue Commentaire, n° 74, été 1996, p. 460-462), où l’auteur explique pourquoi, bien que fortement impressionné en 1934 par l’argumentation du lieutenant-colonel de Gaulle en faveur d’une force blindée professionnelle, il lui semblait qu’on ne pouvait y donner suite sans mettre en péril la République. On tient là un exemple dramatique de conflit entre l’impératif fonctionnel et l’impératif sociopolitique.
22 Jacques Thouvenin, « La spécificité militaire à l’épreuve du quotidien : la vie hors service », p. 150-176, in Bernard Boëne (dir.), La spécificité militaire, Paris, Armand Colin, 1990.
23 ERGOMAS Working Group VI, Séminaire Armée et Société & Centre de recherche des Écoles militaires de Saint-Cyr-Coëtquidan, Enquête européenne « Officiers », volet français (sous la direction de B. Boëne), Coëtquidan, PIR, juin 1993.
24 On en trouvera une présentation récente dans la première livraison pour 1996 de la Revue Tocqueville, consacrée au champ militaire en sociologie et science politique.
25 L’auteur souhaite remercier Olivier Forcade, Frédéric Guelton et Jean-Charles Jauffret pour les commentaires critiques, attentifs et toujours féconds (même quand, à l’occasion, ils semblaient sceptiques...), qu’ils ont bien voulu formuler sur la version initiale de ce chapitre.
Auteur
-
Bernard Boëne
Agrégé de l’Université, diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, est professeur à l’université de Toulouse-II-Le Mirail et aux Écoles militaires de Saint-Cyr-Coëtquidan. Sociologue, sa thèse d’État porte sur Conditions d’émergence et développement d’une sociologie spécialisée : le cas de la sociologie militaire aux États-Unis, 1995. Il a publié La Spécificité militaire, Armand Colin, 1990 ; Conscription et armée de métier, F.E.D.N., 1991 avec Michel-Louis Martin ; Les Armées en Europe aujourd’hui, La Découverte, 1998, avec Christophe Dandeker.
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