L’alliance républicaine démocratique et les militaires
p. 387-394
Texte intégral
1L’Alliance républicaine démocratique naît en 1901 et perdure sous des appellations diverses, en particulier celle d’Alliance démocratique, jusqu’en 1940. Elle regroupe des hommes, parlementaires ou non, qui se disent républicains de gauche, mais en réalité appartiennent à la mouvance modérée. C’est un parti de cadres d’une importance politique incontestable. N’a-t-il pas compté en ses rangs six Présidents de la République et près d’une centaine de ministres ? Il rassemble en ses instances dirigeantes environ une centaine de députés d’une législature à l’autre, et près d’une cinquantaine de sénateurs, des représentants du monde des affaires, auquel il est étroitement lié, des élites intellectuelles, membres de l’Institut, de différentes académies. Mais, force est de constater qu’une toute petite minorité d’officiers supérieurs, et ce, tout au cours de la période, s’affilie à la formation1.
2Qui sont ces militaires qui adhèrent à l’Alliance ? Pourquoi cette inappétence des officiers envers la formation modérée ? Après avoir répondu à ces deux interrogations, il conviendra de s’attarder sur le cas exceptionnel du colonel Fabry, qui, lui, de 1919 à 1939, a assumé d’importantes responsabilités au sein du parti.
Recensement des officiers supérieurs membres des instances dirigeantes de l’Alliance
3Deux phases doivent être distinguées : la période antérieure à la Grande Guerre, puis l’entre-deux-guerres.
4Deux colonels et un amiral ont porté l’Alliance sur les fonts baptismaux : les colonels Victor Mannheim et Émile Schaller et l’amiral Paul La Reveillère. Anciens élèves de Polytechnique ou de l’École Navale, tous trois, en 1901, ont accédé à la retraite. Le premier, jugé par ses pairs « de constitution et de santé fragiles », mais « ayant un goût prononcé pour les mathématiques » a fait carrière comme professeur de géométrie descriptive à Polytechnique. Le second, qui a suivi ses études grâce à une bourse, a gagné ses grades comme officier d’active2. Quant à l’amiral, il passa pour un « officier intrépide », ayant bourlingué sur toutes les mers, et quelque peu insoumis : n’essuya-t-il pas un blâme du ministre de la Marine et des Colonies pour avoir, au cours de 1890, publié sans autorisation des articles techniques ou pro-républicains3.
5Ces condisciples ou congénères de Sadi et Adolphe Carnot, anciens polytechniciens, l’un ancien Président de la République, l’autre président de l’Alliance républicaine démocratique, sont des officiers atypiques. Le premier est juif, le deuxième alsacien d’origine et protestant, le troisième profondément républicain. L’adhésion de ces trois officiers supérieurs, commandeurs ou officiers de la Légion d’honneur, apporte une caution de bon patriotisme à une formation politique où se retrouvent d’anciens progressistes ardemment dreyfusards et ralliés au waldeckisme. Ils dédouanent ainsi l’Alliance de tout antimilitarisme. Leur adhésion a-t-elle été sollicitée ? On peut le supposer, sans apporter de réponse sûre en l’absence d’archives4. En tout cas, l’hebdomadaire LARD ne mentionne jamais leurs noms ultérieurement. Enfin, la recension se poursuit avec les noms de l’Intendant général Thoumazou, délégué des Hautes-Alpes5, département où il a ses assises familiales, et d’un ancien de Saint-Cyr, le député de l’Indre Paul Bénazet. Ce jeune officier, qui quitta l’armée pour ne pas être « briseur de grève » et entra en politique, joue un rôle effacé au sein de l’Alliance.
6Pendant l’entre-deux-guerres, si la liste des officiers affiliés à l’Alliance s’allonge quelque peu, le corps militaire reste cependant sous-représenté. On recense dix officiers supérieurs, six non-parlementaires et quatre parlementaires. A la première catégorie appartiennent les généraux Malleterre, directeur du Musée de l’Armée6, Famin, ancien organisateur de l’expédition de Chine et Bajolle, ainsi que le colonel Meyer et le commandant Varenne, en réalité professeur agrégé d’allemand, mais sous-officier de réserve, qui gagna ses galons comme interprète valeureux sur le terrain des opérations entre 1914 et 1918 ; enfin, le capitaine Salmon7, officier d’administration. Les quatre parlementaires ont nom Paul Bénazet, qui se sépare de l’Alliance en 1924, Émile Guepratte, ancien amiral, député du Finistère (1919-1924), Emile Taufflieb, général devenu sénateur du Bas-Rhin (1920-1927), enfin Jean Fabry, ancien colonel, député de la Seine de 1919 à 1936, puis sénateur du Doubs. On pourrait ajouter à cette liste le général Pedoya. Cet ancien député radical-socialiste cautionne la naissance du Parti républicain démocratique et social, P.R.D.S., nouveau titre de l’Alliance en 1920, né de la fusion des modérés de l’ARD et de radicaux.
7La plupart de ces anciens officiers se cantonnent à traiter de questions militaires, soit comme président ou membres des commissions d’études militaires ou d’études coloniales créées par le P.R.D.S. en 1920, soit comme rapporteur lors des congrès8. Deux exceptions cependant : le colonel Meyer s’aventure à interpeller sur l’application de la loi d’assurances sociales au Congrès de 1929, et Gaston Varenne intervient sur des sujets divers. Au passage, une remarque s’impose : le P.R.D.S., puis l’A.D. désignent tous ses adhérents par leur grade militaire. Ainsi, pour Gaston Varenne, le titre de commandant est jugé, sans nul doute, plus valorisant que celui de professeur agrégé, par un parti qui compte peu d’officiers par rapport aux formations politiques situées sur sa droite. Le recensement effectué ne peut prétendre à l’exhaustivité. Quoi qu’il en soit, la sous-représentation du corps militaire est patente. Il importe d’en rechercher les causes.
Les raisons de la sous-représentation du corps des officiers à l’Alliance
8Aux raisons générales évoquées par Mattéi Dogan dans un article de synthèse : incompatibilité entre carrière militaire et mandat parlementaire, répugnance envers « les mentalités parlementaires », ralliement minoritaire à la République9, s’ajoutent des motifs afférents à l’Alliance démocratique.
9Les alliancistes de la première heure ont pris la défense de Dreyfus. Or le révisionnisme a été alors reçu par une grande partie de l’opinion comme une remise en cause de l’armée, « l’arche sainte ». Nombre d’entre eux appartiennent à la Ligue des Droits de l’Homme, à la Franc-Maçonnerie aussi, et/ou comptent parmi les « fous de la République »10. Après les élections de 1902, les parlementaires de l’Alliance font partie intégrante du Bloc des gauches. Les alliancistes prônent une politique laïque, voire anticléricale, et se rallient, il est vrai avec quelque réticence, au combisme. Même s’il convient de ne pas céder aux stéréotypes trop longtemps colportés, d’une armée univoque, anti-dreyfusarde, antisémite au tournant du siècle, et cléricale11, on comprend cependant que les prises de position des alliancistes aient suscité des résistances chez des militaires décidés à entrer en politique. Par ailleurs, le ralliement temporaire de l’Alliance à une politique d’arbitrage internationale préconisée par d’Estournelles de Constant avant son engagement en faveur de la loi des trois ans défendue par Barthou, un de ses vice-présidents, enfin l’indiscipline inhérente à une formation qui fonctionne comme association avant de se muer en parti ouvert en 1911, ont pu également heurter les sensibilités des militaires.
10D’autres facteurs répulsifs peuvent être évoqués pour la période de l’après-guerre. D’une part, les formations partidaires de droite et les mouvements fascisants à l’organisation para-militaire constituent des foyers d’accueil concurrentiels. D’autre part, pendant les années vingt, l’Alliance démocratique, mal dirigée, se délite, connaît des dissensions internes. Elles s’exacerbent au congrès de Dijon de 1929 entre un P. Reynaud qui préconise la bipolarisation et plaide pour la création d’un parti conservateur, et un P . E. Flandin qui prône la concentration républicaine et œuvre à la renaissance d’un parti centriste. Flandin, prenant la présidence de l’AD en 1933, sa théorie prévaut. Mais le centrisme, parfois assimilé à un marais, peut paraître antinomique du militantisme. Or, les ex-officiers, le plus souvent, ou répugnent à l’entrée en politique, ou la vivent comme un engagement militant. D’ailleurs, à cette époque, les officiers adhérant à l’Alliance soit sont tentés par le radicalisme (Bénazet, Taufflieb), soit se situent à son aile droite, tel G. Varenne, ou se rattachent à la mouvance des républicains nationaux, tel Fabry. Il n’empêche que celui-ci compte parmi les leaders de la formation centriste.
Le colonel Jean Fabry, un des leaders de l’Alliance démocratique
11Il ne s’agit pas ici de brosser une notice biographique de Jean Fabry. Il faut rappeler cependant qu’engagé volontaire à dix-neuf ans, il fait ses classes en Algérie avant de suivre, de 1904 à 1906, les cours de l’École supérieure de Guerre. Gravement blessé au front en 1915, promu lieutenant-colonel en janvier 1917, il est mis à la disposition du maréchal Joffre, qui écrit à son propos : « Je ne pouvais trouver un meilleur collaborateur12. » Réformé comme grand invalide de guerre, il mène dès lors la double carrière de journaliste et de politicien. Élu député à Paris en novembre 1919, il se voit confier de hautes responsabilités : représentant de la France à la S.D.N., rapporteur puis président de la commission de l’armée à la Chambre, ministre des Colonies dans le troisième cabinet Poincaré (mars-juin 1924), puis de la Défense nationale et de la Guerre dans le cabinet Daladier du 30 janvier 1934 dont il démissionne quatre jours plus tard, puis dans le cabinet Laval (juin 1935- janvier 1936).
12Au sein de l’Alliance démocratique, Jean Fabry effectue un parcours de combattant en zigzag. L’Alliance soutient sa candidature aux élections de 1919 et le recense parmi « ses » élus. Curieusement, son nom ne figure pas sur la liste des membres du Comité directeur en mars 192413. Pourtant, au Congrès suivant, tenu en avril 1925, il prononce un important discours lors du banquet de clôture. Il y dénonce la discorde intérieure suscitée par la victoire du Cartel, et la pusillanimité d’un Herriot face à l’Allemagne. « Nous voici entrés bon gré, mal gré, sur le chemin de l’insécurité. Il peut mener à la servitude si vous n’y veillez pas », avertit-il, avant de conclure : « Notre parti continuera la lutte pour le bien de la République et le salut de la France14. » Au vrai, d’emblée Fabry est promu porte-parole du P.R.D. Ainsi il rapporte sur la sécurité et la paix au Congrès de Rouen en novembre 1927. Puis il s’est tenu à l’écart des congrès, de 1928 à 1934. Républicain national, membre puis président de la Ligue républicaine nationale créée par Millerand en novembre 1924, auquel il a apporté tout son soutien lors de la crise l’opposant, en juin 1924, aux radicaux et dans une moindre mesure à Poincaré15, ami et conseiller de Maginot, qui ambitionne dès la fin de l’année 1927 de former un parti national16, J. Fabry n’est plus en communion d’idées avec une Alliance démocratique déliquescente et divisée, où les thèses de concentration républicaine, c’est-à-dire d’entente avec les radicaux, finissent par l’emporter. C’est pourtant, d’une façon paradoxale, lorsque le plus ardent défenseur de cette thèse, P.E. Flandin, prend la présidence de l’Alliance, que Jean Fabry assume de nouveau des responsabilités et devient un des leaders du parti. Cet homme d’ordre a dû être sensible aux efforts de réorganisation opérés par Flandin pour muer l’Alliance en un parti structuré.
13Dès 1934, Jean Fabry accepte la vice-présidence de la Fédération des comités parisiens et de la Seine de l’A.D., avant d’en prendre la présidence. Dès 1934 aussi, il préside la Commission de la guerre du parti. Bien que ministre, il tient à assister au congrès de Bordeaux en novembre 1935, qui voit l’importante fédération de Gironde, de tendance radicalisante, se rattacher de nouveau à l’Alliance. En 1937, il se voit confier le rapport sur la Défense nationale. Ses interventions se multiplient au cours des années 1938-39, moment où il accède à la vice-présidence du parti.
14Le colonel Fabry, au parti de Flandin, apparaît comme un expert des questions militaires, de la Défense nationale, et, en conséquence, un analyste des relations internationales. Dans son livre, De la place de la Concorde au cours de l’Intendance, publié en 194217, ouvrage polémique et plaidoyer pro domo, Jean Fabry écrit : « Pour avoir craint la guerre, j’ai lutté sans répit pour garder une armée à la France ». Cette phrase instruit de la thématique ambivalente du colonel Fabry. En novembre 1926, à la Chambre, il mettait déjà en garde Poincaré et Briand : « La recherche de la paix et la préparation d’une solide Défense nationale n’ont rien d’incompatible. Elles sont complémentaires18. » Il expose cette problématique duale aux congressistes de l’Alliance aussi bien en 1927 dans son rapport intitulé « Sécurité et paix » – titre symbolique – que dans son rapport sur la Défense nationale en 1937.
15Sur le plan militaire, pour s’en tenir à l’essentiel de ses interventions dans le cadre de l’Alliance, il propose deux solutions pour l’amélioration de la Défense nationale. La première concerne la direction de cette défense. Collaborateur du maréchal Joffre en 1917-1918, thuriféraire inlassable de son génie coordinateur19, le colonel Fabry est hanté par le principe décisionnel. Fort aussi de son expérience des conférences internationales, il n’a de cesse d’insister pour une direction suprême de la Défense nationale. Selon lui, elle incombe au chef du gouvernement : « Le ministre de la Défense nationale existe, c’est le Président du Conseil ». Il fait voter par les alliancistes réunis au congrès de Nice en 1937 deux résolutions en ce sens : « que le Président du Conseil agisse et décide de la Défense nationale [...] qu’il assure les coordinations des moyens qu’elle met en œuvre ». Certes, il assortit ce vœu d’un autre : « Que, dès le temps de paix, un chef militaire soit installé pour exercer les fonctions de chef d’état-major de la Défense nationale et de conseiller technique du gouvernement auprès du Président du Conseil »20. La seconde solution intéresse la stratégie. Conseiller et collaborateur d’André Maginot, le colonel Fabry aurait inspiré la stratégie défensive, soit la fortification des frontières de l’Est, préconisée par le ministre de la Guerre des années 1922 à 1924, puis de 1929 à 193221. Appelé à son tour par Laval, rue Saint-Dominique, il établit un plan de construction de chars et de batteries anti-chars, ayant pris conscience que l’armement « était loin d’être satisfaisant ». Pourtant, au congrès de Bordeaux de novembre 1935, le colonel Fabry, alors ministre de la Guerre, met en garde les alliancistes contre les « matériels modernes » qui engendrent « une guerre totale »22. Les civils et l’arrière en seraient les victimes tout autant que les militaires au front. Il souligne aussi que ce type de guerre implique un engagement de toutes les forces économiques et morales du pays. Deux ans plus tard, à Nice, il reconnaît : « La construction des fortifications a coûté cinq milliards, on en pouvait pas l’interrompre sans rendre celles-ci inutiles », mais il poursuit avec une pointe de regret : « Pendant ce temps, évidemment, la France a dû négliger un peu la fabrication des chars d’assaut et de l’artillerie23. » Au cours des années 1938-1939, décidément gagné à la rénovation de l’armement sur le modèle allemand, Jean Fabry, tant au Sénat que dans le cadre de l’Alliance, va répétant, en abusant des adverbes, qu’il faut être prêts « politiquement, moralement, industriellement, organiquement »24. La réitération du thème se veut exorcisme et surtout dénonciation du Front populaire, fauteur de dissensions entre Français et du retard du plan d’armement arrêté sous son ministère.
16Jean Fabry prétend avoir « constamment écrit et parlé contre la guerre ». D’un pacifisme d’ancien combattant – il porte en son corps les stigmates de la guerre – il est, de fait, passé à un pacifisme motivé par la crainte de la subversion bolchévique et de son antenne en France, le parti communiste. Il prévient ses amis de l’Alliance : « Il faut donc faire extrêmement attention à la condition politique de la Russie, en pleine évolution, qui peut nous entraîner à des aventures. La Russie craint l’Allemagne et essaie de détourner l’orage. Et puis, la Russie des Soviets qui est sortie de la guerre de 1914 peut penser que, d’une nouvelle guerre européenne, sortirait l’Europe des Soviets25. »
17Le colonel Fabry a-t-il influé sur les prises de position des dirigeants de l’Alliance démocratique en politique de Défense nationale et en politique étrangère ? Si les congressistes présents à Nice en 1937 entérinent ses propositions concernant l’unité de direction de la Défense nationale, le projet n’a pas retenu l’attention des publicistes de l’A.D. Nul doute que, par son canal, les leaders de l’Alliance n’aient été instruits de l’infériorité de l’armement français face à l’Allemagne. Mais l’attachement de J. Fabry à une stratégie défensive, puis sa conversion conditionnelle à un armement moderne assorti de mises en garde contre le péril d’une guerre totale peuvent en partie expliquer les atermoiements d’une Alliance qui regrette « l’impréparation de la France », sans pour autant se rallier aux thèses d’une stratégie offensive préconisée par Paul Reynaud, séduit par les visions d’un autre colonel, Charles de Gaulle. Incontestablement, l’Alliance s’est ralliée à sa définition de la puissance d’une nation. Lors d’allocutions, ou dans des articles, les alliancistes répètent que la force d’une nation ne se mesure pas seulement à l’état de son matériel militaire – vision passéiste – mais repose aussi sur les potentialités économiques du pays, et surtout sur la cohésion nationale. Mais les arrière-pensées de politique intérieure, au temps du Front populaire, sous-tendent le ralliement à la thèse de Fabry, voire la dramatisent. Ainsi, si, à la veille de Munich, Fabry reconnaît avoir écrit dans l’Intransigeant : « Si nous devons nous battre, il faut savoir pourquoi », titre faisant écho à l’affiche de P.E. Flandin intitulée « Peuple français, on te trompe », il souligne qu’en officier responsable, il s’est interdit de mettre en danger la mobilisation26. Le président de l’Alliance lançait, lui, une véritable invite au défaitisme.
18Sur le plan diplomatique, le colonel Fabry n’a guère inspiré la ligne directrice du parti. Mais la politique étrangère est souvent sujet de discorde entre les membres de l’A.D.A des degrés divers, les dirigeants de l’Alliance ne partagent ni l’aversion d’un Fabry envers la Grande-Bretagne, ni la même défiance envers Briand. L’arrivée au pouvoir du Front populaire gomme les divergences entre Fabry et la majorité flandiniste. On relève un même rejet des sanctions contre l’Italie au moment de la guerre d’Ethiopie, un même refus de se laisser entraîner dans une guerre contre l’Allemagne nazie, une même dénonciation du bellicisme d’une gauche inféodée à Moscou. Au moment de la crise tchécoslovaque et des accords de Munich, les flandinistes soutiennent que l’on n’avait pas le droit de déclarer la guerre, car « c’eût été faire le jeu de ceux qui servent une puissance étrangère, l’U.R.S.S., et désirent susciter un conflit à l’Ouest afin que l’Allemagne n’attaque pas à l’Est »27. En revanche, la minorité du parti, emmenée par Paul Reynaud, continuait à s’opposer aux vues de Flandin, puis rompait avec le parti après que le président de l’Alliance démocratique eut envoyé le télégramme de félicitations aux acteurs des accords de Munich, donc à Hitler.
19Le conflit déclenché, comme d’autres partis politiques, l’Alliance démocratique eut ses résistants et ses vichyssois. Jean Fabry se range dans cette dernière catégorie. Il se vante d’exercer quelques influence sur Pétain. Toujours hanté par le bolchévisme dans une note envoyée à Laval en 1943, il désigne Moscou comme l’ennemi n° 128.
20Jean Fabry, lors de ses interventions aux congrès de 1925 et 1937, désigne l’Alliance démocratique par le terme chaleureux « notre parti ». En vérité, bien peu d’officiers entrés en politique ont reconnu en cette formation « leur » parti. Les alliancistes revendiquent deux étiquettes : celle de « républicains de gauche » en tant que partisans de la « défense républicaine » et de la laïcité avant la Grande Guerre, puis comme tenants du parlementarisme, très décrié dans les années Trente, et celle de « centristes » parce qu’ils se veulent pivot d’une majorité de gouvernement et ennemis des extrêmes, de gauche ou de droite. Le premier qualificatif ne convainc pas une minorité d’officiers prêts à témoigner d’une républicanisme radical et social ou, a contrario, répugne à la majorité d’entre eux, nostalgique d’un traditionalisme et du nationalisme, donc encline à rallier les partis nationaux. Quant au centrisme, il engendre moins le militantisme – c’est un truisme – que les extrêmes. D’autres communications présentées lors du colloque confirment d’ailleurs les vues de Mattéi Dogan qui avance que « la majorité des officiers élus députés entre 1900 et 1940 siègent dans les rangs de la droite »29. Bref, force est de conclure que le centrisme de l’Alliance démocratique qui bascule pourtant du centre gauche vers le centre droit entre 1901 et 1933, a exercé une faible attraction sur les officiers engagés en politique. Le modérantisme sied mal à des hommes épris de militantisme.
Notes de bas de page
1 Sur l’Alliance : Pour une présentation synthétique se reporter à Sanson Rosemonde, « L’Alliance républicaine démocratique (1901-1978) », in Dictionnaire historique de la vie politique française au xxe siècle, Paris, J-Fr. Sirinelli, 1995, 1 067 p. (p. 47-54), et quelques articles du même auteur pouvant éclairer cette communication, R. Sanson : « L’alliance démocratique sous le gouvernement Daladier », in La France et les Français 1938-1939, R. Rémond et J. Bourdin, Presses de la Fondation des Sciences politiques, 1978, 364 p. (p. 327-341) ; « La perception de la puissance de la France 1938-1939 par l’ Alliance démocratique », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, octobre-décembre 1984. « Centre et Gauche 1901-1914 », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 1992.
Voir aussi, François Audigier : « L’anachronisme de F Alliance démocratique », xxe siècle, juillet-septembre 1995, p. 147-157.
2 S.H.A.T., dossiers n° 61427 et 1173 (4e série).
3 Archives de la Marine, dossier La Reveillère.
4 A la B.N., salle des manuscrits, il existe bien un important fonds Flandin et six cartons déposés par Mme Privat, dernière secrétaire de l’Alliance, contenant des dossiers de l’Alliance démocratique, mais on ne dispose pas d’un fonds continu d’archives sur le mouvement.
5 S.H.A.T., dossier aimablement communiqué grâce à l’intervention du colonel Guelton et du général J.L. Mourrut.
6 Idem.
7 S.H.A.T., dossier 136195, Salmon et n° 48073 : Varenne.
8 Cf. en particulier République démocratique, 28 mars 1920, 6 février et 4 décembre 1921, 19 mars 1922.
9 Mattéi Dogan, « Les officiers dans la carrière politique de Mac Mahon au général de Gaulle », Revue française de sociologie, 1961, p. 88 à 99.
10 Cf. livre de Pierre Bimbaum, « Les Fous de la République. Histoire politique des juifs d’État de Gambetta à Vichy », Paris, Fayard, 1992, 512 p.
11 Cf. Jérôme Hélie, « L’arche sainte fracturée », in « La France de l’affaire Dreyfus », Pierre Bimbaum (dir.), Paris, Gallimard, 1994, 594 p, p. 226-250.
12 S.H.A.T., dossier n° 126269.
13 B.D.I.C., La politique générale du P.R.D.S., rapport d’André François-Poncet, mars 1924. La brochure contient la liste des membres du comité directeur.
14 B.D.I.C., Le Congrès de 1925 du P.R.D.S., brochure de 144 p.
15 S.H.A.T., Fonds Fabry, 1K93, carton 6.
16 Le Rappel, divers n° de décembre 1927.
17 Jean Fabry, « De la place de la Concorde au cours de l’intendance », Édition de France, 1942, 246 p.
18 L’Avenir, 28 novembre 1928 : L’avertissement de Jean Fabry, A. François-Poncet.
19 S.H.A.T., Fonds Fabry, carton n° 5 et Jean Fabry, « Joffre et son destin », Paris, 1931, 372 p.
20 S.H.A.T., Fonds Fabry, carton n° 6.
21 Cf. communication de Marc Sorlot.
22 L’Alliance démocratique, 22 novembre 1935.
23 S.H.A.T., Fonds Fabry, carton n° 6 ; cf. A.D., 3 décembre 1937.
24 A.D., 29 juillet – 5 août 1938.
25 Discours de J. Fabry au congrès de l’A.D. en 1937. Cf. A.D., 3 décembre 1937.
26 Jean Fabry, De la place..., op. cit., p. 172.
27 A.D., 30 septembre, 14 octobre, 14 novembre 1938.
28 Note adressée à Laval, 16 mai 1943, in Fonds Fabry, carton n° 6. Il écrit : « Si le péril communiste dont Moscou, avant-garde de l’Asie et le formidable animateur, est bien le péril n° 1, alors il n’y a que l’armée allemande capable à l’Est et en France de nous en préserver, donc il faut l’aider à abattre Moscou et recueillir les avantages de cette aide ainsi apportée ».
29 Mattéi Dogan, op. cit.
Auteur
-
Rosemonde Sanson
Agrégée d’histoire et géographie, docteur en histoire, est maître de conférences à l’université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Spécialiste du politique, elle s’intéresse aussi bien aux fêtes (Les 14 juillet, fête et conscience nationale, 1789-1975, Flammarion, 1976) qu’aux formations politiques. Elle a publié divers articles ou contributions, en particulier sur l’Alliance républicaine démocratique (« Centre et gauche », in R.H.M.C., 1992, ou « L’A.R.D. », in La vie politique française au xxe siècle, sous la direction de Jean-François Sirinelli, PUF, 1995). Elle achève la rédaction d’une thèse d’État portant sur ce mouvement.
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