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Militaires en République, 1870-1962

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Olivier Forcade
, 
Éric Duhamel
, 
Philippe Vial

2. Les militaires et les Assemblées délibératives

Amiraux et généraux au parlement (1899-1940)

Gilles Le Béguec

Texte intégral

1Vingt-quatre officiers généraux ont siégé au sein d’une assemblée parlementaire au cours de la période 1899-1940, Adolphe Messimy constituant un cas un peu particulier dans la mesure où cet ancien ministre de la guerre a été élevé au grade de général, durant le conflit de 1914-1918, de longues années après avoir conquis son premier mandat législatif. La liste, bien modeste sur le plan numérique, comprend dix-huit généraux et six amiraux. Avec quinze sénateurs issus de la couche supérieure de l’élite militaire institutionnelle, la Haute Assemblée se taille la part du lion. Face à ces quinze « Pères conscrits », en effet, la petite escouade des huit généraux ou amiraux cantonnés dans les travées de la Chambre basse fait assez pâle figure. Ici encore, la carrière de l’entreprenant Adolphe Messimy échappe à la règle commune. Plus civil que militaire, le général Messimy a trouvé le temps, contrairement à tous ses autres camarades, de parcourir l’ensemble du « cursus honorum », depuis le Palais Bourbon (1902-1919) jusqu’au Palais du Luxembourg (1923-1935).

  • 1 Voir à ce sujet la notice consacrée au général Billot par Gilbert Beaubatie dans l’ouvrage dirigé p (...)

2On ajoutera que la coupure de 1899, empruntée à une périodisation familière aux historiens de la vie politique sous la Troisième république, ne manque pas de pertinence en matière de prosopographie des élites parlementaires. L’examen de la liste des vingt-quatre députés et sénateurs évoqués plus haut fait apparaître, en effet, une incontestable unité de temps. On compte seulement deux personnalités entrées dans une enceinte parlementaire avant les bouleversements de l’année 1899-1900 : le vieux général Billot (1828-1907), représentant à l’Assemblée nationale désignée en 1871, élu sénateur inamovible dès le mois de décembre 18751, et le général Paul Grévy, frère du défunt Président de la République, sénateur du Jura de 1880 à 1906. On ne repère aucun cas de carrière publique poursuivie au-delà des événements de 1939-1945.

3L’exploitation de ces données brutes appelle quatre groupes de commentaires.

Tropismes politiques

  • 2 Critère contestable, sans aucun doute, en particulier pour la période de l’entre-deux-guerres. Il a (...)

4La prise en compte des critères d’appartenance propres au milieu parlementaire – le critère de l’affiliation aux groupes en particulier2 – impose l’idée d’une répartition politique plus équilibrée qu’on ne le pense de manière assez commune. En schématisant à l’extrême, on peut dire que la petite armée des vingt-quatre officiers généraux promus législateurs est divisée en trois corps d’importance inégale. Un gros tiers est constitué par des parlementaires de la droite conservatrice (d’affinités plus ou moins monarchistes, dans l’Ouest breton essentiellement), catholique et nationaliste. Un deuxième tiers, d’importance plus modeste, correspond à l’ensemble disparate des républicains modérés, depuis les vétérans de l’opportunisme façon 1880 (les généraux Billot et Grévy) jusqu’aux proches de la Fédération républicaine de l’entre-deux-guerres (le général Hirschauer, sénateur de la Moselle de 1920 à 1940) en passant par les progressistes du début du siècle (le général Langlois, sénateur, très actif, de la Meurthe-et-Moselle dans les années 1906-1912). Le petit tiers restant peut être rangé sous la bannière d’une gauche laïque et démocratique, radicale ou radicalisante. Le Parti républicain radical et radical-socialiste de la rue de Valois a disposé de deux porte-parole, à la fois tenaces et talentueux, dans les personnes du général Messimy et du général Pédoya, député de l’Ariège de 1909 à 1919. Un peu plus à gauche – en théorie tout au moins –, l’amiral Louis Jaurès, élu député de la Seine en 1924, membre du groupe « républicain socialiste français », frère de l’ancien fondateur de L’Humanité, est le seul officier général inscrit à une formation parlementaire située dans la mouvance socialiste.

5On doit faire état de deux observations complémentaires.

61) La gauche laïque et républicaine n’a pratiquement pas cessé de perdre du terrain depuis le début du siècle. Grâce au général Pédoya et à une poignée de sénateurs inscrits au groupe de la Gauche démocratique ou au groupe de l’Union républicaine, cette famille d’esprit faisait encore honnête figure aux beaux jours de la République radicale. Les années 1919-1939, en revanche, sonnent le glas de son influence. Au Palais-Bourbon, l’amiral Jaurès perpétue, l’espace d’une unique législature, une double tradition politique et familiale dans un état de total isolement. Avec la mort du général Messimy, survenue en 1935, le bastion sénatorial tombe définitivement.

72) La frontière séparant les droites, nouvelles ou traditionnelles, et un centre regroupé autour des valeurs de la modération politique s’est beaucoup estompée après la guerre de 1914-1918. Au sein des assemblées parlementaires de l’extrême fin du xixe siècle, il n’était pas très difficile d’opérer la distinction entre les officiers généraux appartenant au camp des républicains de gouvernement – type Billot ou Grévy, pour emprunter deux exemples à la seule catégorie des élus appelés à poursuivre leur carrière de législateur dans les années postérieures à la crise de 1899-1900 – et leurs anciens camarades liés au monde royaliste ou au monde bonapartiste. A l’évidence, le caractère spécifique de ce courant républicain modéré a été, dans ce secteur bien particulier de la société française, gravement remis en cause par la conjonction de deux facteurs : les troubles suscités par l’Affaire Dreyfus, l’effacement de la génération qui avait connu le gouvernement de Défense nationale, les affrontements de la période 1871-1879 et l’œuvre de reconstruction conduite par les grandes figures de l’« opportunisme ». En ce qui concerne le court terme, il ne faut toutefois rien exagérer. Vers 1910, par exemple, quantité de choses continuent toujours à opposer un homme comme le général Langlois, sénateur modéré de la Meurthe-et-Moselle, collaborateur épisodique du journal Le Temps, animateur de la rédaction de la Revue militaire générale, fort bien introduit dans les cercles officiels, à des gentilshommes issus de l’ancienne société monarchiste (l’amiral de La Jaille ou le général Audren de Kerdrel) ou aux protestataires portés par la vague nationaliste du début du siècle (le général Mercier et, dans une moindre mesure, l’amiral Bienaimé). A partir de 1919, en revanche, les lignes du paysage ont tendance à se brouiller. Certes, le profil politique, très « républicain national », d’un général Bourgeois ou d’un général Hirschauer ne correspond pas exactement à celui des héritiers de vieilles lignées de notables, viscéralement attachés à la cause de la « défense religieuse », que sont le général de Castelnau ou le général de Maud’huy. Mais la multiplication des points de convergence rejette ces nuances à l’arrière-plan. Le général Bourgeois et le général de Castelnau appartiennent l’un et l’autre – le second davantage il est vrai que le premier – à l’équipe rédactionnelle de L’Écho de Paris. Président du comité mosellan de la Ligue des Patriotes, le général Hirschauer anime à l’échelon départemental une organisation dirigée, sur le plan national, depuis 1924 par le même général de Castelnau.

Déclin historique

8L’histoire de la présence des officiers généraux au sein des assemblées parlementaires de la République est celle d’un très long déclin. Dès les premières années du siècle, cette présence naguère considérable peut légitimement être tenue pour une présence de caractère résiduel. Dans la Chambre élue en 1910, par exemple, les officiers généraux sont réduits à la portion congrue correspondant à l’occupation de deux sièges : le siège de l’amiral Bienaimé, député nationaliste de Paris, et le siège du général Pédoya, député radical-socialiste de l’Ariège. Vaille que vaille, le Sénat tente de rester fidèle à sa vieille tradition d’accueil des personnalités issues de la haute société militaire et de continuer à incarner l’idéal de « représentation des capacités » cher à quelques-uns des pères des lois constitutionnelles de 1875. En cette même année 1910, cinq officiers généraux participent ainsi aux travaux de la seconde Chambre : les amiraux de Cuverville (Finistère) et de La Jaille (Loire-Inférieure), les généraux Audren de Kerdrel (Morbihan), Langlois (Meurthe-et-Moselle) et Mercier (Loire-Inférieure). Trois d’entre eux – Cuverville, Langlois et, dans une moindre mesure, Mercier, dont l’image est peu à peu assimilée à celle d’un champion des causes perdues de l’agitation antidreyfusiste – jouissent d’une réelle notoriété. L’amiral de Cuverville et le général Langlois, élu à l’Académie française en 1911, sont des parlementaires actifs, estimés de la majorité de leurs collègues et relativement influents.

  • 3 Sur la carrière politique assez terne du général Victor de Saint-Just, on peut consulter le petit e (...)

9La période de l’entre-deux-guerres marque le franchissement d’une nouvelle étape dans le processus de dégradation. De 1919 à 1939 – il faudrait dire, pour être tout à fait exact, de 1919 à 1924 –, neuf anciens officiers généraux seulement ont opéré leur entrée dans l’une ou l’autre des deux assemblées composant le Parlement. Faute de renouvellement, la place des généraux et des amiraux a donc fini par se réduire à presque rien. Mort en 1933, le général de Saint-Just, député fort discret du Pas-de-Calais, est le dernier militaire de haut rang présent dans l’enceinte du Palais-Bourbon sous la Troisième République3, la Chambre élue au printemps 1936 ne comptant plus aucun représentant de ce secteur de l’élite nationale dans ses rangs. Le Sénat lui-même ne parvient plus à sauver l’honneur. Avec la disparition du général Messimy, président de la Commission de l’Armée, et la retraite – quasiment forcée – du général Bourgeois, vice-président de la Haute Assemblée, la fatidique année 1935 s’achève en effet par une réduction des effectifs de moitié. A la veille du second conflit mondial, le Palais du Luxembourg se contente d’abriter deux généraux, les généraux Stuhl et Hirschauer, élus l’un et l’autre en 1920, élus l’un et l’autre dans le même département de la Moselle. C’est la fin d’une époque.

10En lui-même, ce déclin n’a rien de surprenant. Il est clair – à condition d’y regarder d’un peu près – que le processus d’amenuisement de l’influence électorale et de réduction de la présence parlementaire est un processus commun à l’ensemble des notabilités traditionnelles, processus, aujourd’hui bien connu, obéissant à la double logique de la démocratisation du recrutement et de la professionnalisation de l’activité. De ce point de vue, les généraux et les amiraux ont été traités, et ont réagi, comme les académiciens, les hauts magistrats, les membres des grands corps de l’État ou les représentants attitrés de l’établissement industriel et financier. La question intéressante est donc la question des occasions manquées, c’est-à-dire des facteurs historiques spécifiques qui auraient pu, comme c’est arrivé dans quelques-uns des cas mentionnés ci-dessus, inverser la tendance sur le moyen terme ou apporter de vigoureux correctifs sur le court terme.

11A deux reprises, l’Histoire a paru modifier le cours des choses en donnant aux militaires de haut rang de nouvelles raisons de descendre dans l’arène politique et de nouveaux titres à faire valoir pour conquérir les faveurs du corps électoral.

  • 4 Ce qui veut dire que les choses ont été différentes pour les officiers de rang inférieur. L’exemple (...)
  • 5 Le général André, qui avait quitté le ministère de la guerre en 1905, briguait un siège de sénateur

12Le premier de ces moments privilégiés correspond aux suites immédiates de l’Affaire Dreyfus, avec le développement des controverses, de tour très politique, portant sur la place de F Armée dans la Nation et sur la redéfinition des rapports entre les autorités civiles et les autorités militaires. Les années 1900-1906, les consultations législatives de 1902 et 1906 en particulier, ont vu ainsi un certain nombre de généraux et d’amiraux briguer les suffrages de leurs concitoyens, le plus souvent sous le drapeau des ligues nationalistes ou de la catholique Action libérale populaire (A.L.P.). Mais le phénomène a revêtu une ampleur relativement limitée, du moins pour ce qui concerne les officiers généraux, et le bilan d’ensemble est tout à fait modeste4. Quelques succès – celui du général Mercier dans le département de la Loire-Inférieure en 1900, celui de l’amiral Bienaimé à Paris en 1905 – ont revêtu, à des moments différents et dans des registres différents, un caractère symbolique. Mais ces victoires ont été compensées par des défaites tout aussi retentissantes et tout aussi symboliques : celles du général de Tarradel, membre du comité directeur de l’Association antimaçonnique de France, battu en 1902, et du général Zurlinden, ancien ministre de la guerre, battu dans le Territoire de Belfort en 1906, du côté nationaliste, celle du général André, l’entreprenant ministre de la guerre du Bloc des gauches, contrarié dans ses projets d’implantation électorale, en Côte d’Or, en 1907, du côté radical. Surtout, cette vague de candidatures n’a pas suffi, loin de là, à annuler les effets de la dynamique du reflux perceptible depuis les années 1880-1890. Sans rechercher systématiquement le paradoxe, on peut même se poser la question de savoir si une pareille mobilisation, liée à une situation d’affrontement, n’a pas eu des conséquences négatives à moyen terme. Les mésaventures du général André semblent avoir aussi beaucoup donné à réfléchir dans le monde des officiers « républicains » de haut rang, suscitant une prise de conscience des risques inhérents à ce qui pouvait être stigmatisé comme un mélange des genres ou comme une dérive politicienne5.

  • 6 Cf., Paul Reynaud, Mémoires, t. I, Paris, 1960, 507 p., p. 141. Amusants portraits du général de Ca (...)

13Un deuxième ensemble de circonstances favorables a été provoqué par le conflit mondial de 1914-1918, l’atmosphère patriotique présidant à la campagne électorale de l’automne 1919 et la dynamique politique du Bloc national. Les anciens combattants par excellence qu’étaient les officiers généraux de la Grande guerre auraient donc pu – en théorie tout au moins – saisir l’occasion pour revendiquer et pour obtenir une place sensiblement accrue au sein des assemblées parlementaires. Dans la réalité, il n’en fut rien : la Chambre dite « bleu horizon » n’a pas été la Chambre des chefs militaires de la période 1914-1918. Trois officiers généraux sont entrés pour la première fois au Palais-Bourbon en novembre 1919 : le général de Castelnau, installé assez vite dans le rôle de figure emblématique de l’aile conservatrice du Bloc national, l’amiral Guépratte, « si représentatif d’un type qu’on ne lui en voulait pas de ne rien comprendre à la politique » dira bien plus tard son collègue Paul Reynaud6, et le général de Maud’huy. Ces arrivées ont tout juste compensé les départs dûs aux hasards de la vie personnelle ou de la compétition électorale : le retrait du général Pédoya – qui avait déployé une intense activité tout au long de la législature 1914- 1919 –, la défaite du général Messimy et l’échec, plus surprenant, de l’amiral Bienaimé. On notera par ailleurs qu’aucun de ces nouveaux élus de la Chambre bleu horizon n’a été en mesure d’accomplir un second mandat. Le général de Maud’huy est mort prématurément. L’amiral Guépratte a tiré les leçons de son inexpérience politique et a choisi d’abandonner la partie lors de l’échéance du printemps 1924. Le général de Castelnau a payé au prix fort son refus de travailler la pâte électorale aveyronnaise avec un minimum d’application.

14Sur ce point précis comme sur quantité d’autres points, les choses ont revêtu un visage un peu différent du côté du Palais du Luxembourg. Le renouvellement électoral de 1920 a permis, en effet, à quatre officiers généraux de faire leur entrée au Sénat. Il s’agit des généraux Bourgeois (Haut-Rhin), Hirschauer (Moselle), Stuhl (Moselle) et Taufflieb (Bas-Rhin). Deux d’entre eux – Bourgeois et Hirschauer – jouèrent, comme on le verra, un rôle important dans les travaux de la Haute Assemblée. Mais les quatre nouveaux pères conscrits représentaient tous les départements recouvrés d’Alsace-Lorraine, et cette extrême concentration géographique oblitère beaucoup la signification générale du phénomène.

Polarisation géographique

15Le caractère résiduel de la présence parlementaire des généraux et des amiraux apparaît dans une vive lumière quand on examine les choses sous l’angle de la géographie. Au fil des années, comme on sait, les progrès de la démocratie républicaine avaient mis en relief, par un effet de contraste, l’existence d’une France électorale persistant à manifester, en dépit de l’air du temps, sa confiance aux grands notables traditionnels, aux nobles en particulier. On se gardera de pousser ici trop avant la comparaison, encore qu’elle s’impose, comme on le verra un peu plus loin, dans le cas de certains départements de l’Ouest armoricain. Mais le parallèle entre les ducs et les généraux ou amiraux a le mérite d’orienter la réflexion sur l’imbrication de deux logiques : la logique du reflux général, la logique du repli sur des bastions plus ou moins bien sauvegardés.

  • 7 Rappelons toutefois que le général Billot a représenté le département de la Corrèze à l’Assemblée n (...)
  • 8 On pense aussi aux deux cas du général Corniglion-Molinier et du général Aubert. Ancien ministre de (...)

16La statistique d’ensemble est tout à fait éloquente. Sur les vingt-trois amiraux et généraux envoyés au Parlement dans le cadre des départements – on laisse de côté ici le cas du général Billot, sénateur inamovible, élu par la Haute Assemblée elle-même7 –, dix-huit représentent en effet trois ensembles géographiques assez bien délimités : l’Est, alsacien, lorrain et accessoirement jurassien (huit élus, dont quatre par les seuls départements lorrains), l’Ouest armoricain, désormais réduit à l’élément breton (sept élus), et le département de la Seine (trois élus), toujours sensible à l’attrait des noms illustres (l’amiral Louis Jaurès, frère du grand Jean Jaurès) et des autorités consacrées (l’amiral Bienaimé). Pour le reste du territoire national, on ne voit plus apparaître de véritables lignes de force. On remarquera, en particulier, que les anciens bastions du Centre et du Sud-Ouest aquitain ont à peu près disparu avec l’effondrement électoral de la droite bonapartiste, l’héritage du maréchal Canrobert (élu successivement dans le Lot et en Charente) et du général de Ladmirault (Nièvre) étant en quelque sorte tombé en déshérence. Si l’on examine les comportements sur la plus longue durée, on peut toutefois décerner une mention spéciale à l’extrême Sud-Est de la France. Avec l’élection au Sénat, en 1900, du général Bérenger, le département des Alpes-Maritimes inaugure une tradition destinée à s’affirmer de façon plus vigoureuse au lendemain de la Seconde Guerre mondiale8. Mais le cas du général Bérenger, qui sort de la scène politique dès 1903, demeure un cas isolé pour toute la période allant de 1899 à 1940.

17On en terminera avec ces considérations géographiques en s’arrêtant rapidement sur ce qui oppose le bastion alsacien-lorrain au bastion de l’Ouest armoricain.

18Dans les départements alsaciens et lorrains, le goût des électeurs – c’est-à-dire en règle générale, ne l’oublions pas, des grands électeurs – pour les hautes personnalités militaires revêt une signification essentiellement politique. En effectuant ce type de choix, les notables, les groupements organisés et, le cas échéant, la masse des citoyens ordinaires, tiennent à affirmer, dans un même mouvement, leur attachement à la patrie et leur souci des choses de la défense nationale. Bien évidemment, d’autres considérations peuvent entrer en ligne de compte, la déférence morale, par exemple, ou encore la fidélité à certaines lignées ou à certains réseaux familiaux (telle la famille Japy, représentée dans notre liste par le général Japy, sénateur du Territoire de Belfort de 1891 à 1904). Mais il s’agit d’abord d’un vote national, l’épithète national convenant d’ailleurs ici infiniment mieux que l’épithète nationaliste.

19Les choses se présentent sous un jour quelque peu différent dans le cas breton. Certes, l’exemple du général Mercier – dont les succès furent salués, à juste titre, comme une grande victoire de la coalition nationaliste – invite à ne pas négliger l’importance des facteurs patriotiques. Mais les causes profondes doivent sans doute être recherchées ailleurs. En premier lieu, la confiance généreusement accordée par le corps électoral aux officiers généraux – aux amiraux plus particulièrement – exprime un besoin d’affirmation identitaire (rappeler, aux yeux de la Nation, la force des liens historiques noués entre une province, d’une part, le métier des armes et la marine militaire, d’autre part) et correspond, de façon plus prosaïque, à la nécessité de disposer de porte-parole autorisés au sein des assemblées parlementaires, c’est-à-dire de personnalités capable de prendre en charge, « ès-qualités », la défense d’une part jugée essentielle des intérêts matériels et moraux du pays breton. De manière plus profonde encore, la Bretagne catholique et monarchiste trouvait en ce faisant un moyen, particulièrement approprié, de proclamer son attachement aux valeurs d’ordre, aux hiérarchies consacrées et aux élites traditionnelles. La composition de la liste des officiers généraux envoyés au Palais-Bourbon ou au Palais du Luxembourg par l’Ouest breton est hautement révélatrice d’une logique de recrutement de type notabilitaire. Quatre des sept élus nationaux évoqués ci-dessus appartiennent à la noblesse, à la petite et à la moyenne noblesse d’ailleurs plutôt qu’à la grande. Deux d’entre eux portent des noms traditionnellement bien connus au sein des réseaux de la vieille droite royaliste : le général Audren de Kerdrel et l’amiral de La Jaille.

20La chronologie confirme la pertinence de ce schéma d’opposition entre l’Est de la frontière ouverte et l’Ouest des anciennes fidélités sociales et politiques. Dans le secteur couvrant les « Marches de l’Est », la guerre de 1914-1918 donne le signal d’un resserrement des liens entre les personnalités issues de la haute société militaire et l’ensemble des acteurs présents sur la scène électorale. Dans l’Ouest breton, la même guerre de 1914-1918 ébranle les positions tenues par les couches supérieures du monde des notables et referme un long chapitre de connivence avec les célébrités militaires. Homme public au parcours très atypique, l’amiral Guépratte est, de facto, le dernier officier général envoyé au Parlement par le pays breton. Son départ, survenu dès 1924, sonne le glas d’une époque.

Les limites d’une influence

21Il est beaucoup plus difficile de se forger une idée, ne serait-ce que superficielle, de la place tenue par les amiraux et les généraux égarés dans les enceintes parlementaires à l’intérieur des circuits de l’influence et du pouvoir. Le cadre d’une communication telle que celle-ci interdit notamment de procéder à un examen sérieux de la question, importante entre toutes, des choix effectués en matière de politique militaire et la façon dont cette catégorie de parlementaires a pesé sur le processus de décision couvrant le domaine correspondant. On se bornera donc à proposer une esquisse de réponse en prenant appui sur deux séries d’indicateurs : l’occupation des postes de responsabilité au niveau gouvernemental, les formes de présence à la tête d’associations servant habituellement d’instruments d’intervention du milieu des officiers supérieurs et généraux au sein du système politique considéré dans son ensemble.

22a) Pour ce qui concerne le premier point, la réponse à la question posée est négative. La liste des vingt-quatre sénateurs et députés objets de la présente étude comprend trois ministres en charge des bureaux du ministère de la Guerre. En y regardant de près, on voit bien cependant que la faiblesse de l’influence est encore plus nette que ne le suggère ce chiffre brut, fort modeste ou modeste. Titulaire du portefeuille de la guerre à plusieurs reprises, le général Billot a bénéficié du privilège de cumuler en différents moments de sa carrière grade, mandat et fonction : le grade de général, le mandat parlementaire (celui de sénateur à titre inamovible en l’occurrence), la fonction ministérielle. Les deux autres n’ont pas eu cette chance. Le général Mercier est entré au Sénat après avoir quitté le ministère de la guerre. Député en cours de mandat, Adolphe Messimy n’était pas encore général lors de son passage rue Saint-Dominique.

23En d’autres termes, le milieu de l’année 1898, avec la démission du cabinet Méline et le départ du général Billot du ministère de la guerre, a mis un point final, au moins pour ce qui concerne la Troisième République, à un long chapitre de l’histoire des relations entre la société politique et la société militaire. Après cette année 1898, les électeurs et les grands électeurs ont continué d’accorder leur confiance, plus chichement il est vrai, aux généraux ou aux amiraux. Après 1898, les personnalités chargées de constituer des gouvernements ont continué de faire appel, moins souvent que par le passé il est vrai, à des généraux ou à des amiraux pour diriger la « Guerre » ou la « Marine ». Mais les deux filières sont devenues exclusives : aucun officier général présent au Parlement n’a occupé de fonction ministérielle durant la période 1898-1940.

  • 9 Galliffet fut un dîneur acharné et organisé. Il avait d’abord été un des familiers des dîners donné (...)
  • 10 Le meilleur exemple étant ici celui du Parti de la Démocratie nouvelle de Lysis. Signalons aussi la (...)
  • 11 Quatre généraux siègent en effet à un conseil central de la Ligue de la République de Painlevé à la (...)
  • 12 Il y a bien sûr des exceptions. L’une des plus remarquables est celle du général Sarrail, choisi po (...)

24b) Il est moins commode de porter une appréciation générale sur le rôle des parlementaires étudiés ici dans le monde des groupements constitués et des réseaux organisés. La difficulté prend sa source dans deux ensembles de raisons. En premier lieu, on ne voit pas toujours clairement quelle a pu être, au sein d’une association donnée, l’activité concrète de telle ou telle personnalité appelée à siéger dans les instances dirigeantes de l’association en la double qualité, éminemment gratifiante, d’ancien chef militaire et d’élu du peuple souverain. En second lieu, la sociabilité politique militaire revêt un caractère multiforme et souvent insaisissable. A partir du tournant du siècle, en effet, cette sociabilité tend à s’organiser autour de quatre pôles principaux : 1) les déjeuners et dîners périodiques, mis à la mode dans le milieu des officiers généraux par l’infatigable général-marquis de Galliffet9 ; 2) les groupements civiques et patriotiques, type Ligue française, en incluant dans la catégorie les associations, ligues et « réunions » destinées à promouvoir l’idée coloniale et à réaffirmer la vocation maritime de la France (la Ligue maritime française, par exemple) ; 3) les ligues politiques « nationales », depuis la vieille Ligue des Patriotes jusqu’aux mouvements nés au lendemain du Six Février 1934, en passant par la fameuse Ligue d’Action française et quelques-uns des groupements dits « rénovateurs » apparus au cours des années 1918-192010 ; 4) les partis politiques proprement dits et les associations de propagande agissant à l’ombre de ces partis ou en concertation plus ou moins étroite avec ceux-ci (à l’instar, pour ce qui concerne la période de l’entre-deux-guerres, de la très dynamique Ligue de la République, fondée en 1921 par l’ancien président du Conseil, et ancien ministre de la guerre, Paul Painlevé, l’exemple ayant été choisi – une fois n’est pas coutume – au sein de la famille laïque et républicaine)11 . Les événements de 1914-1918 ont apporté une touche de complexité supplémentaire dans ce paysage déjà bien rempli. D’un côté en effet, ce conflit d’une longueur exceptionnelle a fait surgir une myriade d’associations d’anciens combattants, c’est-à-dire un vaste dispositif organisationnel dont les officiers généraux naguère présents sur le théâtre des opérations ne pouvaient pas se désintéresser, même si les plus puissantes de ces organisations – l’Union nationale des combattants (U.N.C.) et l’Union fédérale des anciens combattants (U.F.A.C.) – manifestaient une certaine répugnance à ouvrir les portes de leurs instances de direction aux militaires de très haut rang12. D’un autre côté, l’expérience humaine de la grande guerre a réveillé chez les officiers de tout grade une vocation pédagogique peut-être aussi vieille que le système de conscription lui-même, poussant quelques officiers généraux à participer, de façon parfois très directe, à l’encadrement des mouvements de jeunesse, alors en plein essor. Il est vrai qu’on s’éloigne ici, en principe tout au moins, de la sphère politique stricto sensu.

  • 13 Encore faut-il rappeler que ces prouesses sont, pour l’essentiel, postérieures au printemps 1924. E (...)

25Quelques-uns des parlementaires mentionnés plus haut paraissent assez représentatifs de cette sociabilité foisonnante. Les deux exemples les plus caractéristiques, de ce point de vue, sont sans doute ceux des deux champions de la droite catholique : l’amiral de Cuverville et, au lendemain de la guerre, le général de Castelnau. L’amiral de Cuverville s’occupe de la Ligue maritime française (il en sera longtemps le président d’honneur, ce qui n’est guère surprenant pour un amiral représentant le département du Finistère), de l’Association antimaçonnique de France (il préside l’organisation, retrouvant dans les séances du comité de direction de très nombreux officiers, supérieurs ou généraux) et de l’Action libérale populaire (il exerce plusieurs années durant les fonctions de vice-président de l’A.L.P., le parti qui, selon toute vraisemblance, a compté le plus de militaires dans ses diverses instances, locales, départementales et nationales). Le général de Castelnau, qui n’est pourtant plus tout à fait un jeune homme, déploie une activité impressionnante. Élu député de l’Aveyron en novembre 1919, le général participe à de nombreuses entreprises, acceptant sans rechigner de présider organisations et manifestations : la vieille et somnolente Ligue de la Patrie française, les États-généraux de la famille, réunis en 1923, la Ligue des Patriotes (où il assure la relève de Maurice Barrès), la Fédération nationale catholique (F.N.C.)13, etc. Détail moins connu : le général de Castelnau est un des promoteurs de l’Action nationale républicaine, un groupement de propagande fondé en 1922 dans le but évident de contrer l’offensive de la Ligue de la République de Paul Painlevé. Créée à l’initiative de François Arago, président du groupe de l’Entente républicaine démocratique de la Chambre des députés, groupe auquel s’est affilié Castelnau au commencement de la législature 1919-1924, cette Action nationale républicaine semble avoir joué un rôle important dans la délicate opération d’amalgame des troupes de la Fédération républicaine et des anciens réseaux de la quasi défunte Action libérale populaire.

26On aurait tort cependant d’extrapoler à partir du cas de ces deux figures de proue. L’impression qui se dégage d’un examen prosopographique général, nécessairement incomplet il est vrai, conduit en effet à dresser un bilan beaucoup plus modeste.

  • 14 Le général de Maud’huy transmettra le flambeau à un des proches, le général Arthur Guyot de Salins. (...)
  • 15 L’amiral Bienaimé a appartenu un temps à l’état-major de la Ligue de Déroulède. On le trouve égalem (...)

27Plusieurs des officiers généraux appelés à siéger au parlement ont également exercé des fonctions de responsabilité à la tête d’organisations appartenant à l’une ou l’autre des catégories évoquées plus haut. Le général Pédoya fut longtemps l’un des vice-présidents du Cercle républicain, un aimable lieu de rencontres entre radicaux et « républicains de gauche » (modérés proches de l’Alliance républicaine démocratique), créé en 1907 dans la mouvance de l’influent Comité républicain du commerce et de l’industrie (Comité Mascuraud). Le général Bourgeois a beaucoup fréquenté les dîners mensuels de la « Réunion des études algériennes », liée de façon tout à fait officielle depuis les années vingt à la Ligue française du général Aubier et de l’amiral Lacaze. Le général Langlois a été le président-fondateur, au début de l’année 1912, d’une « Ligue d’éducation nationale », dont on sait à vrai dire bien peu de chose. Élu député de la Moselle en novembre 1919, le général de Maud’huy a consacré une part des derniers mois qui lui restaient à vivre à la direction de l’Association des Scouts de France (Fédération nationale catholique), constituée en juillet 192014. On retrouve enfin le nom de l’amiral Bienaimé, député de Paris, membre de la Ligue des Patriotes, dans quelques-unes des entreprises visant à organiser le courant républicain nationaliste autour des années 1906-1910. Il ne semble pas que ces projets, mis en œuvre de manière assez brouillonne, aient beaucoup fait pour asseoir la réputation politique de l’amiral dans les milieux de la droite parisienne15.

28Les précisions que l’on vient d’apporter sont riches d’enseignements sur la mentalité des chefs militaires, sur leur univers de préoccupations et sur la manière dont ils pouvaient concevoir leur intervention au sein de la société civile. Elles pourraient être utilement complétées en ce qui concerne le général Mercier, par exemple, ou encore en ce qui concerne le général Hirschauer. Il reste que ce tour d’horizon ne permet pas de considérer le groupe des vingt-quatre parlementaires étudiés ici comme un échantillon vraiment représentatif de l’ensemble des officiers généraux engagés, à un titre ou à un autre, dans la vie publique. Il convient de s’interroger, en particulier, sur le nombre assez élevé de députés ou de sénateurs quasiment absents des réseaux associatifs les plus actifs, à l’échelon national tout au moins. Tel est le cas de la plupart des élus monarchistes des vingt premières années du siècle, et la chose n’a rien de bien surprenant. Tel est le cas aussi – ce qui laisse davantage perplexe – de quelques-uns des députés et des sénateurs entrés en politique au lendemain de la guerre de 1914-1918, c’est-à-dire dans un environnement psychologique et culturel fortement marqué par les impératifs de la « mobilisation ». En d’autres termes, les prouesses du général de Castelnau ne doivent pas être l’arbre dissimulant la forêt. Du point de vue qui a été adopté ici, une seule personnalité est capable de soutenir la comparaison avec le général de Castelnau, étant entendu que la palme revient sans conteste au président de la Fédération nationale catholique. Il s’agit du général Hirschauer, sénateur constamment réélu de la Moselle, siégeant à l’Institut colonial de France (organisation tournée – contrairement à ce que suggère l’appellation – vers les tâches de propagande), à la Ligue des Patriotes et surtout à la Fédération républicaine, le parti de Louis Marin, dans laquelle il assumait les fonctions de vice-président depuis 1925.

Le vide de la Tribune

29En dépit de quelques phases de rémission – les élections législatives de 1951 et de 1962 en particulier – l’effacement parlementaire des généraux et des amiraux a été confirmé par les Républiques héritières, la Quatrième et la Cinquième Républiques. De ce point de vue, le déclin enregistré au cours de la période 1899-1940 s’inscrit bien dans un processus historique de longue durée.

30L’originalité des dernières années ne tient pas principalement à l’accélération d’un mouvement amorcé dès la fin du xixe. Elle réside plutôt, à notre sens tout au moins, dans le fait que le phénomène a coïncidé, de manière potentiellement dangereuse, avec l’affirmation de tendances obéissant à une logique opposée, c’est-à-dire à une logique de l’engagement et de la mobilisation politiques. Tandis que les officiers généraux disparaissaient quasiment des enceintes parlementaires, d’autres officiers généraux, en effet, multipliaient les prises de position, rejoignaient les associations en tout genre, acceptaient de donner leur nom pour conférer du lustre aux comités directeurs ou aux comités de patronage des groupements impliqués dans les chaudes polémiques du moment. Avec les secousses des années 1934-1936, la vague revêt une ampleur exceptionnelle. L’exemple, comme on sait, vient de haut. Le général Weygand siège au comité de direction d’un très offensif Rassemblement national pour la reconstruction de la France, constitué en 1936. Le maréchal Franchet d’Esperey est choisi – ce qui peut paraître surprenant pour un Maréchal de France – pour occuper les fonctions de président d’honneur de la fort remuante Fédération nationale des contribuables de Jacques Lemaigre-DubreuiL

31Cette poussée de fièvre politique semble avoir surtout bénéficié aux organisations appartenant à la droite contestataire, plus ou moins extrême et plus ou moins affichée. Mais on aurait tort de réduire le phénomène à une seule de ses variantes. Parallèlement, de nombreux officiers généraux participent, en effet, à l’animation de groupements, d’inspiration modérée, décidés à agir dans le cadre des règles du jeu électoral et parlementaire. Le général Niessel rejoint la Fédération républicaine de Louis Marin. L’amiral Amet seconde Henri de Kérillis dans l’entreprise du Centre de propagande des républicains nationaux. D’autres cherchent à retrouver l’esprit d’union qui avait naguère présidé à la constitution de la Ligue française du général Pau. De ce point de vue, le cas le plus intéressant est sans doute celui de l’Union pour la Nation, créée en 1933 à l’initiative de l’ancien ministre radical Henry Franklin-Bouillon, l’homme de l’« unionisme » et la vigilance à l’égard du péril allemand. Deux anciens chefs militaires apportent leur concours aux campagnes menées, de 1933 à 1936, par Franklin-Bouillon : le général Mordacq, ancien collaborateur de Georges Clemenceau, et l’amiral Lacaze, ancien ministre de la Marine, président de la Ligue française, président-fondateur, en 1934, d’un Comité d’entente des grandes associations pour l’Union nationale, membres l’un et l’autre du comité directeur de l’Union pour la Nation.

32Dans cette partition complexe, l’infime poignée d’élus nationaux n’a plus les moyens de faire entendre une voix originale et de remplir, même de façon modeste, une tâche de régulation. L’Historien des institutions représentatives sait qu’il doit écarter toute vision mécaniste du lien de représentation et éviter de considérer les parlementaires issus d’un segment donné de la société comme les intermédiaires naturels entre leur milieu d’origine et l’univers du politique. Il reste qu’un seuil a sans doute été franchi au cours des années trente. En d’autres termes, les circonstances ont voulu que l’heure des grandes tentations politiques ait été aussi l’heure du vide quasi complet de la Tribune.

Notes

1 Voir à ce sujet la notice consacrée au général Billot par Gilbert Beaubatie dans l’ouvrage dirigé par Jean-Marie Mayeur et Alain Corbin sur Les Immortels du Sénat (1875-1918), Paris, Publications de la Sorbonne, 1995, 512 p., p. 231-233.

2 Critère contestable, sans aucun doute, en particulier pour la période de l’entre-deux-guerres. Il a ainsi conduit à ranger l’amiral Guépratte, inscrit au groupe de la gauche républicaine démocratique, le groupe de Léon Bérard et de Pierre-Étienne Flandin, parmi les républicains modérés. On peut légitimement s’interroger sur l’importance accordée au choix d’une telle étiquette dans l’esprit même de l’intéressé.

3 Sur la carrière politique assez terne du général Victor de Saint-Just, on peut consulter le petit essai biographique rédigé en 1937 par le publiciste catholique Georges Mazé-Sencier. Elu député en 1924, le général de Saint-Just siégea au sein des groupes proches de la Fédération républicaine (U.R.D. en 1924 et en 1928, F.R. en 1932).

4 Ce qui veut dire que les choses ont été différentes pour les officiers de rang inférieur. L’exemple le plus célèbre est celui du commandant Driant, gendre de Boulanger.

5 Le général André, qui avait quitté le ministère de la guerre en 1905, briguait un siège de sénateur.

6 Cf., Paul Reynaud, Mémoires, t. I, Paris, 1960, 507 p., p. 141. Amusants portraits du général de Castelnau, de l’amiral Guépratte et du général de Maud’huy.

7 Rappelons toutefois que le général Billot a représenté le département de la Corrèze à l’Assemblée nationale de 1871-1875.

8 On pense aussi aux deux cas du général Corniglion-Molinier et du général Aubert. Ancien ministre de la guerre, le général Goiran fut un temps maire de Nice. Mais il n’a jamais été parlementaire.

9 Galliffet fut un dîneur acharné et organisé. Il avait d’abord été un des familiers des dîners donnés par Juliette Adam. On le retrouve ensuite dans deux de ces plus célèbres agapes périodiques : le dîner Bixio et le dîner des « Amis » du Journal des débats. Après la mort du général, ce dîner fut rebaptisé « dîner Galliffet ». Parmi les autres cas intéressants, signalons ceux de Messimy – un des principaux organisateur des « dîners Viel » de la période 1904- 1913, à une époque où Messimy n’était pas encore général – et du général de Maud’huy, qui fréquenta un temps le déjeuner hebdomadaire des XX (déjeuner Le Bon), très apprécié des hautes personnalités militaires.

10 Le meilleur exemple étant ici celui du Parti de la Démocratie nouvelle de Lysis. Signalons aussi la présence de l’amiral Lacaze dans les réseaux de la Fédération des républicains rénovateurs (organisation de Probus, alias Corréard, ancien haut fonctionnaire de la rue de Rivoli).

11 Quatre généraux siègent en effet à un conseil central de la Ligue de la République de Painlevé à la veille des élections de 1924 : Ferry, Gérard, Sarrail et Verraux, collaborateur du quotidien radicalisant L’Œuvre. Aucun d’entre eux n’a fait de carrière parlementaire.

12 Il y a bien sûr des exceptions. L’une des plus remarquables est celle du général Sarrail, choisi pour exercer les fonctions de président d’honneur de la Fédération nationale des combattants républicains, proche du courant radical.

13 Encore faut-il rappeler que ces prouesses sont, pour l’essentiel, postérieures au printemps 1924. En d’autres termes, le président de la Ligue des Patriotes et de la Fédération nationale catholique n’est plus membre du Parlement. Sur la Ligue des Patriotes de l’entre-deux-guerres, on se reportera à la thèse inédite de Bertrand Joly : Paul Déroulède (1846-1914), thèse pour le doctorat d’histoire, Université de Paris-IV-Sorbonne, 1996, 4 volumes, 1 931 p., chap. 43.

14 Le général de Maud’huy transmettra le flambeau à un des proches, le général Arthur Guyot de Salins. Il faudra bien un jour écrire l’histoire, très complexe et très révélatrice, des relations entretenues par les officiers généraux avec les organisations de jeunesse. Le phénomène a pris une ampleur surprenante au cours des années trente. Parmi les exemples les plus caractéristiques, signalons celui du général de Pouydraguin, successeur de Castelnau à la tête de la vieille Ligue des patriotes, président de l’Union pour la France, un mouvement de jeunesse proche de la Fédération française des étudiants catholiques (F.F.E.C.), et du général Weygand, qui participa, en février 1936, à la constitution d’une Ligue de l’éducation française. On sait avec quelle attention le général de Castelnau et le maréchal Lyautey suivaient ce qui se passait au sein des groupements d’étudiants catholiques.

15 L’amiral Bienaimé a appartenu un temps à l’état-major de la Ligue de Déroulède. On le trouve également à l’origine d’un « comité d’initiative pour la défense des droits du Père de famille », créé en juillet 1908. Il est intéressant d’opérer le rapprochement avec le général de Castelnau et le rôle tenu par celui-ci dans l’organisation des « Etats généraux de la famille », tenus en mai 1923.

Auteur

Est professeur à l’université de Paris-X-Nanterre et directeur du Centre d’histoire de la France contemporaine. Il est également chercheur-associé à l’Institut d’histoire du temps présent (I.H.T.P.-C.N.R.S.). Sa thèse de doctorat d’État porte sur L’Entrée au Palais-Bourbon : les filières privilégiées d’accès à la fonction parlementaire (1919-1939), 1989. Spécialiste de l’histoire des assemblées parlementaires, du personnel politique, des systèmes d’encadrement et des systèmes électoraux, il a écrit de nombreux articles sur ces divers sujets et contribué à la rédaction de deux ouvrages collectifs publiés récemment : Les immortels du Sénat (sous la direction de Jean-Marie Mayeur et Alain Corbin), Publications de la Sorbonne, Paris, 1995, et I sistemi elettorali in Europa (sous la direction de Maria-Serena Piretti), Laterza, Roma-Bari, 1997. Il a dirigé la publication de deux ouvrages de synthèse concernant la République des avocats : Avocats et barreaux en France (1910-1930), Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1994, et Barreau, politique et culture à La Belle Époque, Limoges, P.U.L.I.M., 1997.

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