Version classiqueVersion mobile

Militaires en République, 1870-1962

 | 
Olivier Forcade
, 
Éric Duhamel
, 
Philippe Vial

1. Les responsabilités ministérielles : études biographiques croisées

Un ministre paradoxal, le général Kœnig (19 juin/14 août 1954 – 23 février/6 octobre 1955)

Philippe Vial

Texte intégral

1Singulier destin ministériel que celui du général Kœnig ! Condamné à l’inaction depuis la fin de son proconsulat en Allemagne, il se lance au printemps 1951 dans l’arène parlementaire où il devient l’une des figures de la résistance gaulliste au régime des partis. Croisé de la lutte anticédiste, il entre une première fois au gouvernement, officiellement pour trouver une solution de compromis sur ce dossier. L’échec de cette tentative entraîne sa démission, que le rejet final du traité ne suffit pas à faire rapporter, et qui fait de ce tour de piste l’un des records du genre en matière de brièveté.

  • 1 Déclaration du 10 octobre 1952, citée par Jacques Chapsal, La vie politique en France depuis 1940, (...)

2Si cette première expérience ministérielle pouvait se prévaloir des raisons supérieures de la lutte contre le traité honni de C.E.D. – illustration gaulliste du classique « la fin justifie les moyens »–, son engagement dans le gouvernement Edgar Faure, en février 1955, n’a plus pareille excuse, et fait de Kœnig l’une des figures de proue de la compromission de certains compagnons avec le régime. Ainsi, celui qui s’était résolu à entrer en politique pour servir le Général finira-t-il, lui aussi, par aller à la « soupe », selon la formule célèbre du reclus de Colombey1.

  • 2 Son nom apparaît ainsi dans la liste d’adhérents, publiée le 15 mars 1957, par l’Union pour le Salu (...)
  • 3 Pour une analyse complète de sa « brouille » avec de Gaulle, cf. ibid., p. 255-264.
  • 4 Jean Lacouture, De Gaulle, t. Il, « Le Politique », Paris, Seuil, 1985, p. 538.

3Sans doute faut-il voir dans cette accumulation de paradoxes l’une des raisons du caractère saccadé de sa carrière ministérielle. On pourrait en ajouter un dernier : démissionné à l’occasion de la crise marocaine de l’été 1955, sa fidélité impériale lui vaudra également de ne pas compter parmi les élus de l’après-1958. Trop « Algérie française » aux yeux du Général2, qui lui reproche par ailleurs son engagement en faveur d’Israël ou sa présence dans de trop nombreux conseils d’administration3, il paiera aussi, comme Chaban ou d’autres, pour ses compromissions ministérielles4...

  • 5 On relèvera que les mois suivants allaient être marqués par d’incessants chassés-croisés ministérie (...)

4Ministre paradoxal, le général Kœnig l’est également dans sa pratique du pouvoir. Ses deux passages rue Saint-Dominique n’offrent en effet que peu de points communs. Privé d’une partie essentielle de ses prérogatives par un Mendès France qui se réserve les affaires d’Indochine, Kœnig est moins ministre que médiateur lors des quelques semaines de sa première expérience. La recherche d’un impossible compromis à propos de la C.E.D. l’accapare, tout comme Bourgès-Maunoury, avec lequel il incarne un moderne avatar des anciens missi dominici5.

5Au contraire, son action au sein du gouvernement Edgar Faure ne saurait se réduire à un seul dossier, même si la crise marocaine en est traditionnellement retenue comme le trait saillant. Les problèmes sont autrement plus nombreux, qu’il s’agisse de la réforme de la Défense nationale ou du développement du programme nucléaire. Débarrassé des trois secrétaires d’État qui flanquaient jusqu’alors le ministre et freinaient son action au moins autant qu’ils l’aidaient, Kœnig pourrait enfin espérer exercer cette influence directe après laquelle il court depuis son retour d’Allemagne... Mais trop souvent se profile l’ombre de Gaston Palewski, simple ministre délégué à la présidence du Conseil, dont le détail des attributions révèle des fonctions de ministre de la Défense bis.

  • 6 Cf. supra la communication de Bernard Chantebout.
  • 7 Jean Planchais, Une histoire politique de l’armée, t. II, « 1940-1967 : De de Gaulle à de Gaulle », (...)

6Ainsi, jamais le général Kœnig n’aura réussi à exister comme seul et unique titulaire du poste. Mais le pouvait-il, en une époque où l’organisation de la Défense nationale n’en finit pas de se chercher au travers de multiples réformes6 ? « Qui commande l’armée française ? », interrogeait un parlementaire en 19507. Certainement pas le ministre, pourrait-on dire sans tomber dans l’exagération, et l’action du général Kœnig en porte trace.

  • 8 Cette étude a bénéficié de la relecture de plusieurs spécialistes tels Éric Duhamel ou Hervé Lemoin (...)

7Ministre en titre, il n’aura en fait exercé à chaque fois qu’une partie de ses pouvoirs. Toujours flanqué d’une sorte d’alter ego, il aura dû également composer avec des secrétaires d’État… Deux fois ministres certes, mais pour quel rôle8 ?

A la conquête du pouvoir : député, ministre et gaulliste sous la Quatrième

De la députation au ministère

  • 9 Jean Chariot, Le gaullisme d’opposition, 1946-1958, Paris, Fayard, 1983, p. 236-237, et Serge Berst (...)
  • 10 Raymond Triboulet, Un gaulliste de la Quatrième, Paris, Plon, 1985, p. 181.
  • 11 « Au bout de deux ou trois séances, il a pris tout le monde en main, y compris les communistes les (...)
  • 12 Dès le débat parlementaire de février 1952, il est l’un des principaux orateurs désigné par le grou (...)
  • 13 Michel Debré, Trois Républiques pour une France, Mémoires, t. II : « 1946-1958 : Agir », Paris, Alb (...)
  • 14 Louis Terrenoire, De Gaulle, 1947-1954 : pourquoi l’échec ? Du R.P.F. à la traversée du désert, Par (...)

8Élu député du Bas-Rhin à l’occasion des législatives de juin 1951, qui font du R.P.F. le parti le mieux représenté de l’hémicycle9, Kœnig s’est rapidement imposé comme l’un des leaders du groupe gaulliste et l’une des figures de l’Assemblée nationale. « Avec son étonnante faculté d’adaptation », note Raymond Triboulet, « il a parcouru les couloirs de l’Assemblée dès le lendemain de l’élection et gagné toutes les sympathies. Comme son élection est contestée et, suivant les errements de l’époque, est soumise à la validation par l’Assemblée elle-même, il obtient un vote favorable sans difficulté, alors que dans un cas analogue l’élu R.P.F. est invalidé »10. Même si l’amitié dicte ces lignes, il est évident que le général n’a pas mal vécu sa transplantation parlementaire et s’est rapidement intégré dans son nouveau milieu. Très vite porté à la présidence de la commission de la Défense11, il y devient l’un des héros de la lutte anticédiste12, un succès qui lui vaut d’être pressenti comme candidat de recours lors du marathon présidentiel de décembre 195313. Il est vrai qu’en outre le nouveau député « brûle d’envie de poser sa candidature »14.

  • 15 Ibid., p. 262.

9L’opération est suffisamment sérieuse pour qu’il éprouve le besoin de se couvrir, et envoie Michel Debré, à la tête d’une délégation de parlementaires gaullistes, consulter l’oracle de Colombey. Loin d’exclure l’hypothèse, le Général donne son assentiment à l’opération si, comme on commence à le pressentir, un consensus se dégageait autour d’une nouvelle candidature d’Auriol. « Alors, dit-il, Kœnig se présentera au nom de tous ceux qui ne veulent pas que le régime se perpétue. Il ne sera pas élu, mais sa candidature aura un sens »15.

  • 16 « Cette réponse, simple et nette, provoque un immense soulagement chez mes amis, préoccupés au fond (...)
  • 17 « Les R.P.F. font leur campagne sans vergogne », rapporte Pinay à Auriol, en décembre. « Kœnig est (...)

10Cette implication inachevée – le général renonçant finalement à se lancer – dans l’un des épisodes les plus représentatifs des dérives politiciennes de la Quatrième, témoigne de sa situation paradoxale à l’égard du régime. En dépit de son hostilité foncière, Kœnig ne dédaignerait pas de le servir, à l’instar de nombreux élus gaullistes... Et même si son entrisme ne suscite pas leur adhésion unanime16, il réussit quand même à impliquer tous les ténors du parti dans cette opération. Évoqué dès la fin 195217, son engagement ministériel sera donc tout sauf une surprise.

  • 18 Berstein, op. cit., p. 23.
  • 19 Chariot, op. cit., p. 299.
  • 20 Ils prennent à partir de ce moment-là le nom d’U.R.A.S., Union Républicaine d’Action Sociale. Rappe (...)

11Il sera loin d’être une première. Depuis qu’en mars de cette année-là, quelques-uns ont voté l’investiture de Pinay, certains R.P.F. sont entrés dans une logique de participation, à moyen terme18. Après les dissidents, en janvier 1953, lors de la formation du cabinet René Mayer, plusieurs de ses représentants officiels franchissent le rubicon ministériel en rejoignant l’équipe Laniel, en juin. « Ironique coïncidence », relève Jean Charlot, « au moment où les hiérarques du régime – Bidault, Herriot, Auriol – le critiquent tous dans des termes gaulliens et l’appellent à se réformer, au moment où Pierre Mendès France joue les Cassandre et prend à son tour figure de recours possible, bref au moment où tout semble donner à l’impitoyable critique du régime à laquelle se tient de Gaulle depuis 1946, les ex-députés R.P.F. choisissent de voler au secours de la Quatrième République »19. L’itinéraire de Kœnig s’inscrit donc dans une évolution d’ensemble, qui a conduit le Général à retirer sa caution aux groupes parlementaires dès mai 195320

12Mais l’épisode présidentiel est également révélateur de ses rapports ambigus avec de Gaulle, qui n’exclut pas de le jeter dans la mêlée politicienne quand la lutte contre le régime l’exige. De cette manière, le Général prépare lui-même la voie à son premier engagement ministériel, puisque la dialectique de la fin et des moyens se révèlera parfaitement opératoire au moment de la formation du gouvernement Mendès. Virtuellement envoyé en mission de sacrifice en décembre 1953, Kœnig saura se souvenir de la leçon, six mois plus tard, lorsqu’il s’agira d’enterrer définitivement le traité honni de C.E.D., fusse au prix d’une participation gouvernementale.

  • 21 Terrenoire, op. cit., p. 281. Jacques Soustelle semblait régler, à cette occasion, quelques vieux c (...)
  • 22 En fait, le chef du R.P.F. n’a pas donné de directives précises, probablement prisonnier de la néce (...)
  • 23 Cf. infra n. 68.
  • 24 Terrenoire, op. cit., p. 282-283.

13En juin 1954, le député du Bas-Rhin attend toujours d’accéder à des responsabilités ministérielles dignes de ses compétences. Or les circonstances dramatiques de ce printemps s’y prêtent... Mais, ce désir, habilement entretenu par Jacques Soustelle21, doit encore obtenir le blanc-seing de Colombey. Comme en décembre 1953, Kœnig prend donc contact avec de Gaulle, les 18 et 19 juin. De ces deux conversations téléphoniques, au cours desquelles le chef du R.P.F. le laisse libre de sa décision, le postulant conclura, sans doute hâtivement, qu’il a reçu le feu vert espéré22. La brutale déclaration du Général, le 22 juin, contre le « système » et tous ceux qui le servent23, sera un camouflet profondément ressenti par le nouveau ministre de la Défense, pris ainsi en défaut de pureté gaulliste. Les deux hommes en concevront l’un et l’autre beaucoup d’amertume24.

Un gaulliste de toujours

  • 25 Jean Planchais, « L’homme de Bir Hakeim », Le Monde, 4 novembre 1970. Pour un résumé commode de l’a (...)
  • 26 Au sens ancien du terme, c’est-à-dire limitée à la seule armée de Terre.
  • 27 André Martel (dir.), Histoire militaire de la France, t. IV, « De 1940 à nos jours », Paris, PUF, 1 (...)

14Sa carrière parlementaire est en effet l’aboutissement d’un engagement de toujours au sein du gaullisme. Compagnon de la première heure, « devenu avec Leclerc l’un des symboles militaires de la France libre après Bir Hakeim »25, Kœnig doit tout au Général qui, à partir du printemps 1943, ne lui confie plus que des charges éminemment politiques. Ainsi, au moment de la fusion des Forces Françaises Libres (F.F.L.) avec l’armée Giraud, il est nommé adjoint au chef d’état-major général de l’Armée26, le général Leyer, « avec mission de “représenter, après le fusionnement, les intérêts des forces ex-F.F.L.” »27. Et, souligne André Martel, « le vainqueur de Bir Hakeim a fort à faire pour apaiser les rancœurs et les craintes... »

  • 28 Planchais, op. cit.
  • 29 « Commandant en chef des F.F.I., il prenait tous les contacts possibles avec les résistants libérés (...)
  • 30 Il faut néanmoins souligner que, pressenti fin 1950, puis à deux reprises en 1954, pour prendre le (...)

15Son habileté dans cette opération lui vaudra de collectionner les postes de confiance, « où son nom comme son prestige peuvent en imposer »28 : à Londres, en tant que commandant supérieur des forces françaises en Angleterre, délégué militaire du Comité français de Libération nationale, commandant supérieur des Forces françaises de l’intérieur29 ; à Paris, comme gouverneur militaire ; en Allemagne, en tant que général d’armée, commandant en chef des forces françaises d’occupation. Bref, tout se passe comme si l’épopée de Bir Hakeim lui interdisait paradoxalement de renouer avec les grandes aventures militaires30

  • 31 Comme le note Planchais, Une histoire politique de l’armée, op. cit., p. 138, « la plupart n’ont pa (...)
  • 32 Lacouture, op. cit., p. 268 et 298 ; Elgey, Histoire de la Quatrième République, 1re partie, op. ci (...)
  • 33 « Le lendemain, seuls des civils, du moins par l’habit, assisteront au discours où de Gaulle annonc (...)

16A la Libération, il est avec Leclerc ou d’Argenlieu l’un des chefs de file des gaullistes au sein de la haute armée, que le départ du Général, en janvier 1946, place à la croisée de deux fidélités31… Kœnig pour sa part ne manifeste aucun état d’âme, ainsi que le prouve sa présence récurrente lorsque le Général, redevenu simple particulier, va porter la bonne parole en province à l’occasion de commémorations diverses. Avec les autres féaux, il est à Bayeux en juin 1946, à Strasbourg, en avril 194732. Une présence qui lui vaut d’être à proximité le lendemain, lorsque de Gaulle annonce la création du R.P.F.33. Que ce soit par ses fonctions ou à titre personnel, Kœnig est ainsi associé à la genèse du mouvement gaulliste.

  • 34 « Ses déclarations sont nettes et claires et je peux dire loyales », note Auriol le 1er février 194 (...)
  • 35 « Il faut renouveler nos militaires, le cas Kœnig est décevant, et bien d’autres comme lui », const (...)

17Un positionnement qui va progressivement le mettre dans une situation délicate, car sa loyauté à l’égard du Général le rend de plus en plus suspect aux yeux des responsables gouvernementaux. L’évolution de ses rapports avec le Président de la République est à cet égard exemplaire : alors que les années 1947-1948 résonnent de ses louanges34, Auriol n’a plus de mots assez durs, à partir de 1950, pour condamner son activisme politique et celui des autres compagnons au sein de la haute armée35

  • 36 Planchais, op. cit., p. 171 ; Elgey, op. cit., p. 414 ; Lefort, op. cit., p. 72.
  • 37 « Kœnig vient de renvoyer Laffon de sa propre autorité (…). Cela est extrêmement dangereux, car Kœn (...)

18Il faut dire que sa situation de proconsul en Allemagne nourrissait depuis longtemps bien des spéculations... A l’occasion de l’affaire du « Plan bleu », son nom est prononcé car, il lui serait revenu, selon les projets des conspirateurs, « de fournir ces blindés d’Allemagne qui, tout au long de l’après-guerre, joueront, avec ceux de Rambouillet, le rôle de Godot dans la pièce de Samuel Beckett. On les attend toujours, ils n’arriveront jamais »36. Auriol, lui-même, dès novembre 1947, s’inquiète d’éventuelles tentations pronunciamentistes chez Kœnig37. Il faut dire qu’en ces années d’instabilité politique où la Guerre froide fait planer la menace d’une guerre civile, le très puissant commandant des Forces françaises en Allemagne fait figure d’arbitre majeur au cas où les événements s’emballeraient...

  • 38 Cf. l’annecdote rapportée par Terrenoire, à la date du 5 août 1954, à l’époque où Kœnig s’apprête à (...)
  • 39 Planchais, op. cit., p. 167.
  • 40 Cette période a été évoquée en détail par Henri Navarre (général), Le Temps des vérités, Paris, Plo (...)
  • 41 Triboulet, op. cit., p. 133-134, et Debré, op. cit., p. 67. Sur ses difficultés récurrentes avec l’ (...)

19Le général Kœnig justifiait-il pareille suspicion ? Lui-même s’en défendra vigoureusemet38... Et on peut effectivement en douter, d’autant que comme le relève Planchais « le commandant en chef en Allemagne, est prudent et peu porté aux excès de langage, malgré la rudesse toute militaire de ses propos. Il est au demeurant surveillé de près dans son proconsulat par une partie de son entourage »39. Il a de toute manière fort à faire avec les responsabilités qui sont les siennes outre-Rhin et qui lui donnent à nouveau l’occasion de faire montre de ses capacités politiques40. Ne sont-elles pas mises à rude épreuve par la rivalité ouverte qui l’oppose à Laffon, l’administrateur civil, et surtout par le manque de continuité dans les consignes gouvernementales, ce mal endémique de la Quatrième République41 ?

La carrière parlementaire, un recours

  • 42 Le qualificatif est de Kœnig lui-même. Navarre, op. cit., p. 198. Contrairement aux affirmations de (...)
  • 43 Cf. par exemple Auriol, op. cit., t. V : « 1951 », p. 26 et 195.

20Ce marquage gaulliste est directement à l’origine de son départ de l’armée au printemps 1951. Mal accepté par l’establishment militaire qui lui reproche – comme à bien d’autres Français libres – sa carrière « extravagante »42, Kœnig est en effet « placardisé » par les gouvernements de Troisième Force que l’approche des législatives et la menace du R.P.F. rendent nerveux43. Nommé Inspecteur général des Forces terrestres, aériennes et navales en Afrique du Nord en décembre 1949, un poste autrefois tenu par Leclerc, il reçoit peu après la vice-présidence du conseil supérieur de la Guerre.

  • 44 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1949, 21 mars 1950, Public Record Office (dé (...)
  • 45 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1950, mars 1951, P.R.O., F.O. 371/96 073.
  • 46 Lettre du général Kœnig au Secrétaire d’État aux Forces armées « Guerre », 24 février 1951, Service (...)
  • 47 Ibid., p. 230.

21Une accumulation de titres qui ne doit pas faire illusion. Comme le note suavement l’attaché militaire britannique à Paris en mars 1950, « la position du général Kœnig dans l’Armée n’est pas exactement celle à laquelle on s’attendrait pour quelqu’un qui vient juste après les généraux Juin et de Lattre »44. Appréciation confirmée l’année suivante, le rapport soulignant que le héros de Bir Hakeim cherche « avec ardeur quelque chose d’utile à faire alors qu’il lui reste encore huit ans à servir (...) apparemment condamné à une perpétuelle futilité aussi longtemps qu’un gouvernement de Troisième force restera au pouvoir »45. L’intéressé se définira d’ailleurs lui-même, début 1951, comme « privé de toute responsabilité » et simplement « habilité à donner des conseils »46... Il est vrai qu’en dépit de son prestige, la vice-présidence du conseil supérieur de la Guerre n’a plus rien de commun avec celle exercée par ses illustres devanciers, Joffre avant 1914, Pétain ou Weygand après 1919. Son rôle a en particulier été diminué du fait de l’existence du comité des chefs d’état-major, créé en 1944 sur le modèle anglo-saxon du Joint Chiefs of Staff47.

  • 48 Ibid., p. 235.
  • 49 Témoignage de Raymond Triboulet rapporté par Gabriel-Robinet, op. cit., p. 260.
  • 50 Ibid., p. 247 et 231. Une conviction certainement renforcée par ses fréquentes visites à Colombey… (...)
  • 51 « La décision fut prise (m’a rapporté le colonel Balarin qui avait accompagné de Gaulle et Kœnig à (...)
  • 52 Lettre du général Kœnig au général de Gaulle, 30 octobre 1958, S.H.A.T., 1 K 237/7.

22Mal aimé par ses pairs, tenu à l’écart de la réalité du pouvoir, cet homme d’action ne peut accepter plus longtemps une situation sans avenir apparent. Le combat politique est un recours naturel, quelles que soient ses réticences en la matière. « Kœnig n’avait aucun penchant pour la politique », admettra son biographe. « Il hésita longuement... »48. Une question de tempérament, mais aussi de génération : comme la plupart des officiers de son âge, le futur député a été formé dans le mépris de l’engagement partisan, et il n’est pas excessif de parler de « répugnance » en la matière49. Mais son chef de toujours lui demande de franchir le pas et Kœnig finit par se rendre à ses arguments, convaincu que « seul de Gaulle peut nous sortir de l’ornière »50. Comme en 1940, l’intervention de ce dernier se révèle décisive : l’adhésion à l’homme permet de valider l’intuition politique, les deux étant intimement liés51. Car – ainsi qu’il le lui rappelera plus tard – c’est cette combinaison qui lui a finalement fait rejoindre une carrière parlementaire, « dans laquelle je ne [suis] entré que sur vos instances, pour contribuer à votre retour à la tête de nos affaires »52.

  • 53 Le cas des législatives de juin 1951 est particulièrement intéressant de ce point de vue... Cf. Lef (...)
  • 54 Six officiers généraux sur douze et douze officiers sur trente-huit. Cf. infra Bernard Lachaise, «  (...)

23Il faut d’ailleurs souligner que son entreprise est loin d’être isolée : les généraux Billotte ou Monsabert ont eux aussi, à la même époque, pris le virage d’une carrière parlementaire devant l’absence de perspectives, réelles ou supposées, sur le plan militaire. Il y eut là un véritable phénomène de génération que bien d’autres cas peuvent illustrer, spécialement chez les gaullistes53. Ainsi que le relève Bernard Lachaise, après juin 1951, le groupe R.P.F. à l’Assemblée nationale rassemble la majorité des militaires devenus parlementaires54.

La carrière parlementaire, un échec ?

  • 55 Gabriel-Robinet, op. cit., p. 235, et André Zeller (général), Dialogues avec un général, Paris, Pre (...)
  • 56 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1951, mars 1952, P.R.O., F.O. 371/101 766.
  • 57 Gabriel-Robinet, op. cit., p. 236 et suiv. La suite de ses déclarations est peut-être encore plus e (...)
  • 58 « L’Alsace ne veut à aucun prix être considérée comme un glacis et c’est pourquoi, une fois élu, je (...)

24Ce choix d’un cursus politique lui fut reproché55, mais avait sa logique, y compris dans une perspective militaire. « Lui-même n’a aucun regret », note l’attaché militaire britannique, « et considère qu’il pourra servir plus efficacement les intérêts de l’Armée en tant que parlementaire qu’il n’aurait jamais pu le faire en restant officier d’active »56. A l’instar de la majorité de ses pairs devenus députés, il voit d’abord dans son entrée au Palais Bourbon une autre forme de contribution à la défense nationale. « J’ai quitté la « Grande Muette » pour dire la vérité au pays », déclare-t-il lors de sa campagne électorale. « Une France mal défendue appelle l’invasion. Il faut réarmer sans délai pour que celle-ci ne soit ni coréanisée ni soviétisée »57. Outre des raisons d’origine familiale, le choix de l’Alsace pour son implantation électorale est lui aussi lié à ces considérations militaires58.

  • 59 Claude d’Abzac-Épezy, op. cit.
  • 60 Ibid.

25Il est d’ailleurs rapidement porté à la présidence de la commission de la Défense où – comme on l’a vu – il devient l’une des figures de la lutte anticédiste. Au sein du R.P.F., il est membre dès le départ du comité d’études sur les questions de défense européenne, « véritable conseil de guerre contre le projet d’armée commune »59. Mais, son influence y semble réduite, les militaires qui apparaissent pourtant comme les chefs de file du combat au parlement étant marginalisés par la hiérarchie civile du R.P.F. « Faut-il y voir l’une des causes de leur entrée en dissidence les années suivantes ? » s’interroge Claude d’ Abzac qui, outre le cas de Billotte, cite celui de Kœnig60… Une interprétation que peut confirmer l’analyse de sa participation au conseil de direction : en dépit de ses titres, on ne lui reconnaît aucune autorité particulière sur les questions de défense, le général de Bénouville concentrant les responsabilités en la matière.

  • 61 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1952, mai 1953, P.R.O., F.O. 371/107 465.
  • 62 Terrenoire, op. cit., p. 283.

26Très vite les résultats de son virage parlementaire apparaissent donc limités. « Durant l’année écoulée, le général Kœnig est resté un acteur mineur de la scène politique », note l’attaché militaire britannique début 1952. « Bien qu’il soit président de la commission de Défense de l’Assemblée nationale et l’une des figures de proue du parti gaulliste, il n’a guère eu d’influence dans aucun milieu »61. Un bilan pour le moins décevant, qui ne s’améliorera guère les années suivantes. A preuve, la réflexion amère du général peu de temps après sa première investiture ministérielle : « De Gaulle m’a mis là-dedans : depuis trois ans, il n’a pas bougé, alors que devais-je faire ? Attendre encore, attendre toujours, démissionner de mon mandat de député ou tenter de faire quelque chose ? »62.

  • 63 Cf. supra, n. 12.
  • 64 Gabriel-Robinet, op. cit., p. 250.

27Il faut bien sûr relativiser ce cri du cœur, en particulier au vu de son action contre la C.E.D., qui s’intensifie à partir du démarrage de la « grande Querelle », fin 1952, et dont son premier engagement ministériel sera l’aboutissement63. Mais au fond, Kœnig est-il fait pour la carrière politique ? Vraisemblablement, non... Bien des années après, son ancien secrétaire d’État à la Marine durant l’été 1954, le M.R.P. André Monteil, se souviendra « d’un partenaire mal à l’aise dans les manœuvres des factions et les consignes partisanes. Vous n’aviez pas, ce que l’on appelle « le patriotisme de parti », satisfait, sans doute, pour votre compte, du patriotisme tout court »64. Un constat si évident qu’il ne peut être que repris par son biographe. « C’était un fonceur incapable de biaiser ou de ruser. Il l’a prouvé pendant le temps où il siégea à l’Assemblée nationale. Sur le plan humain, il n’y compta que des amis ; mais il ne parvint ni à imposer ses vues, ni à s’imposer lui-même ».

  • 65 « Las d’avoir, comme il l’a confié à l’un de ses amis auquel il demandait conseil pour « sauter le (...)

28Un bilan sans appel, qui incite à voir dans l’engagement ministériel de Kœnig une sorte de recours, à nouveau. Devant cette réalité parlementaire qui se dérobe sans cesse, comment ne pas espérer retrouver dans l’exercice des responsabilités ministérielles le contact avec le réel ? Rue Saint-Dominique, il serait enfin en situation de peser sur cette définition de l’outil militaire qui a largement motivé sa carrière parlementaire65...

Le gouvernement Mendès France, un ralliement de circonstance ?

  • 66 Cf. n. 121 et n. 225.

29Son ralliement à Mendès France ne relève donc pas du seul calcul politicien. D’autant que, devant l’accumulation de difficultés qui marque ce printemps 1954 et semble menacer la destinée nationale, sa stature, son aura, font de l’homme de Bir Hakeim un recours évident66… Lui-même a d’ailleurs cherché à « dépolitiser » au maximum sa démarche, en particulier vis-à-vis de Colombey. Consulté à deux reprises, l’oracle est resté suffisamment sibyllin – on l’a vu – pour que le postulant ait pu croire à un accord tacite, alors que l’excommunication devait suivre.

  • 67 Terrenoire, op. cit., p. 282.

30Quelle qu’ait été l’injustice du procédé, force est de constater qu’il renvoie à l’ambiguïté fondamentale de la démarche de Kœnig. Même si les arguments ne manquent pas pour justifier un comportement de salut public, l’entrée au gouvernement revient à porter secours au régime et à sa politique. D’où la réaction furieuse de De Gaulle : « Qu’un Kœnig, qu’un Fouchet deviennent ministres, cela m’est égal...! Mais ce que je n’admets pas, c’est qu’ils apportent leur caution à de nouvelles reculades »67.

  • 68 « Ni directement, ni par personne interposée, je ne prends aucune part à aucune de ces combinaisons (...)
  • 69 « Je lui fis observer que pour moi ce n’était pas un problème », rapporte Triboulet. « Le Général n (...)

31Et puis, contrairement à la plupart des « généraux-ministres » qui l’ont précédé, Kœnig n’est pas une personnalité indépendante, désignée pour ses compétences techniciennes. Député frustré, mais député quand même, il est une figure éminente de l’une des forces politiques essentielles de la Quatrième, qui se distingue depuis sa fondation par une critique radicale du régime. Son entrée au gouvernement marque son acceptation du « système » et de ses jeux politiciens, depuis toujours anathématisés par le Général. Par son prestige, le député du Bas-Rhin donne un lustre supplémentaire au ralliement d’une partie des députés gaullistes. Preuve s’il en est, la nécessité qu’éprouvera de Gaulle à réitérer sans tarder sa condamnation en des termes on ne peut plus clairs68. Quoi que puissent en penser certains de ses proches69, cette participation est donc tout, sauf neutre : le nouveau ministre n’en fait-il pas l’aveu implicite par le soin qu’il prend à se justifier ?

  • 70 Cf. le témoignage de Palewski qui évoquera, plus tard, un « Pierre Mendès France dont le style nous (...)
  • 71 Parmi ces députés gaullistes, signalons : Diomède Catroux, le général Corniglion-Molinier (qui sera (...)
  • 72 On relèvera l’ambiguïté révélatrice de la condamnation d’un Debré, op. cit., p. 264, pour qui les p (...)

32Son entrée dans l’équipe Mendès France relève d’ailleurs plus du ralliement de circonstance que de l’adhésion de fond. La critique sans concession du régime développée par le nouveau Président du Conseil, son style, ne pouvaient certes manquer de le séduire, à l’image de nombreux républicains sociaux70. Mais, lors de la première tentative d’investiture de Mendès, le 4 juin 1953, le député Kœnig s’était abstenu avec la grande majorité de ses collègues U.R.A.S., seul un petit groupe votant l’investiture71. Le rapprochement semble donc plus lié au contexte dramatique du moment, désastre en Indochine, crises tunisiennes et marocaines et surtout querelle de la C.E.D. En ce printemps 1954, la France paraît entraînée dans une décadence inéluctable, la comparaison avec l’empire romain finissant s’impose... Dans cette atmosphère de salut public, même les adversaires les plus acharnés du régime semblent fléchir et prêts à apporter leur soutien à l’entreprise mendésiste72.

  • 73 Triboulet, op. cit., p. 209, et Debré, op. cit., p. 216-217.
  • 74 Les deux missi dominici ne sont parvenus qu’à dresser la liste de leurs désaccords : « Le volumineu (...)
  • 75 Triboulet, ibid. et Massigli, op. cit., p. 441-442.
  • 76 Notons que les autres ministres républicains sociaux ne démissionnent pas, à l’instar de Christian (...)
  • 77 Triboulet, op. cit., p. 210.

33Sa mission au sein du gouvernement trouve largement son origine et sa fin – à tous les sens du terme – dans la tentative de compromis initialement lancée par le nouveau président du Conseil pour sortir la C.E.D. de l’impasse. Mission éminement politique et que le général conduira comme telle. En contact permanent avec les responsables des groupes parlementaires gaullistes, qu’il tient soigneusement informés de l’évolution de la négociation73, il démissionne le 14 août, après que l’opération de conciliation se soit révélée un échec74, et qu’un conseil des ministres orageux ait entériné, la veille, un projet de compromis qu’il ne peut avaliser75. Une démission hautement symbolique puisque Chaban et Lemaire l’imitent76, et qu’elle intervient à la veille de la conférence de la dernière chance, à Bruxelles. Les gaullistes entendent ainsi montrer leur volonté farouche de rester éloignés de toute tentative de replâtrage, et Kœnig est pleinement associé à cette manœuvre, mieux il en est l’initiateur77.

  • 78 Selon la formule de Terrenoire, op. cit., p. 285.
  • 79 Ibid., p. 283.
  • 80 Gabriel-Robinet, op. cit., p. 248.
  • 81 Ibid.

34Notons néanmoins que le général s’était assez vite senti « mal dans sa peau » de ministre de la Défense78. Mendès avait sérieusement rogné ses attributions et, lucide, Kœnig se rendait compte que « le jeu n’en valait pas la chandelle »79. Échaudé par le traitement de la crise tunisienne80, sa loyauté mise en cause par le Général en personne, le nouveau ministre guettait l’occasion favorable pour reprendre sa liberté. L’épineuse question de la C.E.D. semblait de ce point de vue parfaitement convenir. En torpillant le traité il aurait rempli sa mission, tout en retrouvant le giron de la pureté gaulliste81.

Au gouvernement Edgar Faure : emporté par la crise marocaine

  • 82 Charles-André Julien, Le Maroc face aux impérialismes, 1415-1956, Paris, Éditions Jeune Afrique, 19 (...)
  • 83 Ibid., p. 291.
  • 84 Assemblée nationale, Conseil de la République, Assemblée de l’Union française. Triboulet, op. cil, (...)

35La genèse de sa seconde participation ministérielle symbolise une nouvelle fois la difficulté de concilier fidélité au Général et engagement ministériel dans la Quatrième. D’abord, parce que Kœnig est aux avant-postes de l’offensive qui emporte Mendès France, début février 1955. Alors que Chaban souhaitait temporiser, c’est le général qui fait voter la majorité des députés gaullistes contre le président du conseil82. Il est par la suite étroitement associé aux consultations pour désigner le nouveau, et milite pour une solution Pinay83. Enfin, lorsque Edgar Faure est désigné, il est l’un de ceux qui négocient la participation des républicains sociaux. Une entreprise qui est en fait menée de manière institutionnelle par le bureau du groupe U.R.A.S., et fait « pour la première et unique fois » l’objet d’un vote positif de la part du Comité national des trois groupes gaullistes84.

  • 85 Elgey, Histoire de la Quatrième République, 2e partie, op. cit., p. 480.
  • 86 Envisagée dès 1951, au moment du départ de Juin (Gabriel-Robinet, op. cit., p. 231), sa candidature (...)
  • 87 Claude Paillat, Vingt ans qui déchirèrent la France, t. I, « Le Guépier, 1945-1954 », Paris, R. Laf (...)
  • 88 Le président du conseil n’hésitera pas à parler de son « auctoritas » (Edgar Faure, Mémoires, t. II (...)
  • 89 On retiendra la mise en cause particulièrement virulente de Julien, op. cit., p. 392 : « Le général (...)

36Lors du ministère Edgar Faure, son action, si elle ne saurait s’y réduire, est restée associée à la crise marocaine de l’été 1955. Fait paradoxal, alors qu’il passera à la postérité comme l’un des opposants les plus farouches au retour du Sultan, il avait été l’un de ceux qui avaient ouvertement protesté contre son éviction, en août 195385. Est-ce pour cette raison que son nom avait été avancé, quelques mois plus tard, pour prendre la succession de Guillaume86 ? En tout cas, le Maroc est loin d’être étranger à Kœnig qui y a servi pendant toutes les années trente. Mieux, son propre chef d’état-major, le très politique général Lecomte, est l’une des anciennes vedettes de la scène chérifienne, qu’il a dû quitter précipitamment en 1948 à la suite de « l’affaire des tracts »87. Fidèle du maréchal Juin, qui l’a accueilli à son état-major particulier dans les années qui suivirent, il fait figure d’expert et va tenir une place essentielle dans toute cette affaire88. Nombre d’observateurs verront d’ailleurs sa main derrière chacune des initiatives du ministre89

  • 90 Faure, op. cit., p. 267-268.
  • 91 Ibid., p. 289.
  • 92 Ibid., p. 368 ; Paillat, t. II, op. cit., p. 227 ; Julien, op. cit., p. 426 et 436.

37Il ne saurait être question, dans le cadre de cette étude, de proposer un récit complet d’une affaire dont la complexité reste encore aujourd’hui source d’interrogations... On se contentera d’essayer de mettre en lumière les caractéristiques principales du rôle de Kœnig, un rôle qui s’il deviendra ouvertement politicien, est d’abord institutionnel. Le général est en effet membre de droit du comité de coordination des affaires d’Afrique du Nord créé par Edgar Faure au printemps90. A ce titre il donne son accord, le 16 juin, à la désignation comme résident de Grandval – un autre gaulliste – qui marque à bien des égards le début des opérations91. Mais, très vite, il est évident que le ministre ne se contente pas d’exercer passivement cette responsabilité. Ainsi, avec la nomination du général Leblanc à la tête de la direction de l’Intérieur, il flanque Grandval de l’un de ses hommes liges92.

  • 93 Faure, op. cit., p. 389, et Paillat, op. cit., p. 221.
  • 94 Paillat, op. cit., p. 222 ; L’année politique 1955, Paris, PUF, 1956, p. 66 et p. 259-260.
  • 95 Faure, op. cit., p. 392-399 ; Paillat, op. cit., p. 224, et L’année politique 1955, op. cit., p. 25 (...)
  • 96 Faure, op. cit., p. 439, et Paillat, op. cit., p. 243.
  • 97 En particulier lors du conseil des ministres qui se tient les 12 et 13 septembre. Cf. Faure, op. ci (...)
  • 98 L’année politique 1955, op. cit., p. 268 et p. 272 ; Julien, op. cit., p. 443.
  • 99 Julien, op. cit., p. 449 ; Paillat, op. cit., p. 254. En témoigne le voyage au Maroc, courant septe (...)
  • 100 Les souvenirs d’Edgar Faure, op. cit., p. 517-521 et de Raymond Triboulet, op. cit., p. 248-251, so (...)

38Les choses sérieuses commencent début août, et dès le départ Kœnig est en première ligne puisqu’il fait partie des personnalités auxquelles le Glaoui communique un double de la lettre qu’il envoie à Edgar Faure93. Le 6, c’est Kœnig qui – avec Pinay – mène la charge contre le plan Grandval, et en empêche l’adoption par le conseil des ministres94. Membre du comité des Cinq constitué à ce moment-là, au sein du gouvernement, pour gérer au plus près le dossier, il participe quelques jours plus tard à la tentative de conciliation informelle qui se déroule sur la Côte d’Azur95. Une certaine harmonie règne encore avec le président du Conseil, du moins si l’on suit le récit que celui-ci en donne... C’est au cours de la conférence d’Aix-les-Bains, du 22 au 26 août, que les choses se gâtent définitivement, Kœnig s’y révèlant comme l’un de ses opposants les plus résolus96. A partir de cette époque, leurs relations s’enveniment et tournent à l’affrontement permanent97, car le général se refuse en fait à entériner les accords conclus fin août98. Mieux, il est désormais accusé d’utiliser ses pouvoirs pour freiner l’application des consignes gouvernementales99... Face à un Edgar Faure déterminé à aboutir, la rupture est devenu inévitable et, début octobre, il s’en suit une curieuse course de vitesse entre les ministres gaullistes et le Président pour savoir si ces derniers démissionnent ou sont démissionnés100 !

  • 101 « Les directives venues de Colombey sont souvent contradictoires, sur la décolonisation en particul (...)
  • 102 La formule est de Raymond Triboulet in Le Monde, 4 septembre 1970.

39Que retenir de cette mêlée confuse qui clôt le second exercice ministériel du héros de Bir Hakeim ? Son engagement au service de la cause arafiste l’amena rapidement à se comporter comme un véritable chef de faction au sein du gouvernement, où il fut moins un représentant du gaullisme que l’un des porte-parole du parti impérial101. Par son opposition acharnée, il a considérablement gêné l’action gouvernementale, retardant de plusieurs semaines l’inévitable retour du Sultan. Néanmoins, la défaite est au rendez-vous puisqu’il démissionne alors que la restauration est en marche... Un résultat peu glorieux qui conduira l’un de ses proches à le juger « meilleur tacticien militaire que tacticien politique »102.

  • 103 Cité par Edgar Faure, op. cit., p. 540.
  • 104 Les pages consacrées par Charles-André Julien, op. cit., p. 423-454, à cette ultime crise de l’été  (...)
  • 105 Brigadier Jackson, Annual Report on The French Army for 1955, mars 1956, P.R.O., F.O. 371/124 465.

40En fait, ce feuilleton – qui n’est pas sans annoncer certains des épisodes les plus célèbres du drame algérien – nous plonge au cœur de la complexité des rapports entre l’armée et le régime. Car derrière le ministre de la Défense, omniprésentes, se profilent les ombre de militaires de haut rang. Début octobre, Louis Vallon n’hésitera pas à dénoncer à la tribune de l’Assemblée nationale l’action de la « junte militaire occulte »103. Premiers visés, Boyer de Latour et Kœnig. Mais, dans les couloirs, le nom du ministre est associé à d’autres, spécialement ceux de Lecomte et Juin104… Ainsi, pour l’attaché militaire britannique à Paris, c’est ce triumvirat de circonstance qui a joué un rôle moteur dans la crise, « réussissant à convaincre les responsables militaires et civils de ne pas appliquer les instructions gouvernementales »105.

Avec l’armée, des rapports ambigus

  • 106 Cf. notre communication supra.
  • 107 « Dans un article publié dans Le Monde, le 19 janvier 1951, un général anonyme énumère “l’armée Jui (...)
  • 108 Le futur vaincu de Diên Biên Phu était alors en charge du 3e bureau du général Catroux, commandant (...)

41Kœnig n’est donc pas l’une de ces personnalités indépendantes qui font le bonheur des ministères techniciens. C’est d’abord un gaulliste auquel son engagement interdit désormais d’exercer de vraies responsabilités, et qui trouve un recours dans une carrière politique assumée. D’autant qu’à la différence de Juin, il ne peut se présenter en porte-parole de l’armée106. Contrairement à lui, il n’a pas réussi à dépasser le rôle de chef de l’une de ces « écuries » autour desquelles s’organisent les fidélités et les carrières107. Son ascension hors normes y est pour beaucoup. « Nul ne pouvait prévoir l’extraordinaire destinée qui serait la sienne », se souviendra le général Navarre, dont Kœnig fut l’adjoint au Maroc, de 1931 à 1934108. « Capitaine de Légion, troupier avant tout, n’ayant jamais voulu se donner la peine de préparer l’École de Guerre où il aurait certainement parfaitement réussi, il ne s’était laissé affecter à l’état-major qu’à son corps défendant. Il y tenait remarquablement sa place, mais ne se privait pas de dire qu’il n’y ferait pas de vieux os et que son ambition était de terminer sa carrière comme colonel d’un régiment de Légion ».

  • 109 Mais non le plus ancien, ainsi que l’affirme Gabriel-Robinet, op. cit., p. 231, Juin et de Lattre l (...)
  • 110 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1950, op. cit. Ce statut ambigu est confirmé (...)

42En dépit de son accession au sommet de la hiérarchie – il est en 1949 le plus jeune général d’armée109 –, Kœnig est loin de faire l’unanimité... « Bien que son proconsulat en Allemagne soit considéré comme un succès, la majorité des officiers généraux désapprouve sa rapide promotion et considère qu’il est inapte à exercer de hautes responsabilités », note l’attaché militaire britannique à Paris, début 1951. « Ceux qui restent, et un grand nombre d’officiers supérieurs, le considèrent avec affection et estiment au contraire qu’il réussirait sans problème. Tout en admettant son manque d’expérience en la matière, ils soutiennent qu’il connait ses limites et ne craint donc jamais de chercher ailleurs les meilleurs conseils, s’entourant d’une équipe de premier ordre ; il sait rester disponible, et ne craint pas les hommes politiques. Ils aimeraient le voir chef d’état-major dans la mesure où ils estiment qu’une charge de cette importance lui donnerait confiance en lui »110.

  • 111 Bien qu’entré en « corniche » en 1916, Kœnig n’ajamais intégré Saint-Cyr. Craignant en effet que «  (...)
  • 112 A rapprocher de l’analyse qu’il faisait du jugement de De Lattre à son égard : « Pour lui », disait (...)
  • 113 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1949, op. cit.
  • 114 Gabriel-Robinet, op. cit., p. 21.
  • 115 Ibid., et p. 224.

43Si le volontarisme du futur ministre, son allant, peuvent séduire certains, particulièrement les plus jeunes, la majorité des officiers de sa génération ne lui pardonne pas d’avoir contourné les étapes du cursus honorum111. « Lors d’une occasion passée, il s’est lui-même défini comme « un général par accident »112, note l’attaché militaire britannique à Paris, début 1950, avant d’expliquer : « Il ne s’est pas élevé dans la hiérarchie en franchissant les étapes traditionnelles que représentent l’École de Guerre, la participation à divers état-majors et enfin le commandement à différents niveaux... »113. Une situation qui place Kœnig dans une situation psychologiquement inconfortable. « Il s’en fera toujours gloire », note son biographe, « mais il en aura aussi le complexe »114. A preuve, sa réflexion habituelle à propos du maréchal Joukov, son homologue soviétique en Allemagne, « pauvre type sorti du rang, comme moi »115...

  • 116 Preuve s’il était besoin de la représentativité de cet épisode, cette allusion transparente de son (...)
  • 117 Lettre du général Kœnig au secrétaire d’État aux Forces armées « Guerre », 24 février 1951, op. cit
  • 118 Lettre du général Blanc au secrétaire d’État aux Forces armées « Guerre », 2 mars 1951, S.H.A.A., E (...)

44Particulièrement significatif est à cet égard le très violent affrontement qui l’oppose, peu de temps avant son départ, et par ministre interposé, au chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Blanc116. Inquiet devant le retard enregistré par les programmes de réarmement lancés à l’automne 1950, Kœnig dresse un constat impitoyable des carences en la matière, en particulier en ce qui concerne les responsabilités de l’état-major117. Adressé le 24 février au secrétaire d’État à la Guerre, le socialiste Max Lejeune, ce courrier entraîne dès le 2 mars une réponse furieuse de Blanc118 qui n’hésite pas à mettre ouvertement en cause les aptitudes de Kœnig, en soulignant dès le départ combien on ne s’improvise pas général. Il y faut de longues années de formation, notamment par le biais de postes dans les grands états-majors « au contact des difficultés quotidiennes et des servitudes de tout ordre qui grêvent l’action ministérielle et l’action du haut-commandement ». Or, constate-t-il ingénuement, il y a « une insuffisance actuelle de la formation de beaucoup d’officiers généraux », liée au fait que la guerre a bouleversé les règles de promotion et donc de formation. Et l’attaque de se faire plus précise : les généraux actuels n’étaient que lieutenants-colonels, commandants ou même capitaines en 1940, et ont été promus alors qu’ils n’avaient à gérer que « de faibles noyaux, insérés dans un ensemble plus vaste interallié, dans lequel les problèmes logistiques (qui sont les véritables problèmes de la stratégie) étaient réglés par d’autres autorités que le haut commandement français ».

  • 119 On notera que son destin ministériel donnera l’occasion à Kœnig de laver l’affront, puisqu’il obtie (...)

45Analyse de bon sens, mais qui prend un relief particulier quand on la rapproche de la fulgurante ascension de Kœnig entre 1940 et 1942 et de sa situation à Bir Hakeim… La démonstration prend une saveur particulière lorsque Blanc, évoquant la demande faite par Kœnig d’une centralisation accrue du commandement, ironise sur ce chef militaire qui serait à la fois ministre de la Défense et secrétaire d’État aux trois armées « pour aboutir sûrement » ministre des Finances et de l’Économie nationale, et « dégagé entièrement du contrôle parlementaire comme de celui de la Cour des Comptes » ! Singulière prescience, et description involontaire des mécomptes du futur ministre, qui n’arrivera jamais à réunir l’ensemble des pouvoirs qu’il estime nécessaires à l’accomplissement de sa tâche119

  • 120 Cf. Philippe Vial, « Le militaire et le politique : le maréchal Juin et le général Ély face à la C. (...)
  • 121 Triboulet, op. cit., p. 208. Comme le rappellera Ély, qui finalement se dévoua, les noms de Juin et (...)
  • 122 Non sans que sa lucidité habituelle n’ait percé les ambiguïtés du personnage : « Sorti du rang, por (...)
  • 123 Ce que confirme Edgar Faure lorsqu’il écrit : « Le général Kœnig, s’il était appelé à me décevoir, (...)

46Néanmoins, sa qualité d’officier général et sa stature personnelle ont certainement joué dans la décision de lui confier à deux reprises le portefeuille de la Défense. Mendès a pu y voir un signal intéressant à donner à des officiers qu’il savait majoritairement rétifs au projet d’armée européenne, surtout après les années passées sous la férule du très cédiste René Pleven120. En outre, comme le souligne Triboulet, sa nomination ne pouvait être que bienvenue « dans le trouble profond que subissait l’armée après la défaite d’Indochine »121. Quant à Edgar Faure, son manque d’intérêt pour les questions militaires n’a pu que l’inciter à se reposer sur un spécialiste offrant a priori toutes les garanties122. Mais, même dans ce cas, le général Kœnig reste d’abord appelé en sa qualité de poids lourd du mouvement gaulliste123.

L’épreuve du pouvoir : un ministre contesté

  • 124 On notera néanmoins qu’elles ont toutes deux en commun de n’apparaître pratiquement pas dans les ar (...)

47Il faut là encore soigneusement distinguer ses deux expériences, même si chacune d’elles se termine par une démission qui a largement contribué à figer l’image ministérielle de Kœnig124.

La C.E.D. : l’impossible compromis

48Lors du gouvernement Mendès France, Kœnig est par excellence l’homme du dossier C.E.D., à la fois parce qu’il est chargé, avec Bourgès-Maunoury, de trouver une solution de compromis, mais aussi parce que – comme on le verra – le décret du 9 juillet l’a privé d’une part essentielle de ses attributions. Il l’est donc à la fois par raison et par défaut.

  • 125 « Il apparaît vite que toute conciliation est impossible », note Michel Debré, op. cit., p. 217, ta (...)
  • 126 Hervé Alphand, L’étonnement d’être. Journal (1939-1973), Paris, Fayard, 1977, p. 255-256. L’ambassa (...)
  • 127 Elgey, op. cit., p. 205. Évoquant bien des années après les textes de compromis finalement retenus (...)

49Pourtant, très vite l’échec est prévisible125, et Kœnig en porte une large responsabilité, du moins si l’on en croit Alphand qui, peu de temps après, stigmatisera « son attitude, dès le départ entièrement négative et hostile ». Et d’illustrer son propos de l’annecdote suivante : « A Bourgès-Maunoury qui lui disait : « Mon général, je crois que vous n’avez pas compris telle disposition du traité », il répond : « Je n’ai pas besoin de comprendre, je suis contre ». Admirable phrase de sectaire », commente l’ambassadeur qui, bien évidemment ne pouvait porter Kœnig dans son cœur126… Mais est-il si éloigné de la vérité ? La présence du général dans cette opération avait-elle d’autre but, aux yeux des gaullistes, que de tuer dans l’œuf toute entreprise de sauvetage du traité ? Un compromis ne pouvait, par définition, que se faire autour de lui. Or, pour ces croisés de l’anticédisme que sont Kœnig et ses amis, c’est le traité en lui-même qui est pervers ! Le général le reconnaîtra d’ailleurs lui-même puisque, le 30 juillet, il écrira au président du conseil que « ce procédé ne saurait convaincre, ni rallier les opposants nationaux au traité »127.

50Dans ces conditions, la passe d’arme rapportée par Alphand prend tout son sens, et le général est moins sectaire que fidèle à sa logique. Mais, on est alors fondé à souligner le caractère illusoire de cette entreprise de conciliation. Compte tenu du caractère intrinsèquement abominable du traité aux yeux des gaullistes, les bases d’un compromis raisonnable ne pouvaient exister. La brièveté de la première expérience ministérielle de Kœnig était donc très largement prévisible, dans la mesure où le président du Conseil avait depuis le début affiché son souci de proposer un vrai compromis, et ne pouvait, en particulier à l’égard des partenaires occidentaux de la France, se payer le luxe d’aller directement à l’affrontement.

  • 128 Il faut néanmoins souligner, avec Pierre Rouanet, op. cit., p. 252-253, que « tous les « républicai (...)
  • 129 Lefort, op. cit., p. 266-268.
  • 130 « Fidèle à lui-même, Kœnig n’avait pas fait une fausse sortie », relève Terrenoire, op. cit., p. 29 (...)
  • 131 C’est en tout cas ce que laisse pressentir le courrier que lui envoie le président du conseil le 4  (...)

51L’échec de cette opération de conciliation entraîne son départ et celui de plusieurs poids lourds gaullistes, qui entendent ainsi protester contre le choix du compromis opéré par Mendès128… Mais, contrairement à celle de Chaban, sa démission n’est pas rapportée à la suite du rejet du traité par l’Assemblée129. Il semble que le général, mal à l’aise dans sa peau de ministre au regard de sa fidélité à l’homme de Colombey, ait choisi de renoncer, pour un temps, et de lui-même, à son retour au gouvernement130. On ne peut cependant exclure que sa volonté personnelle n’ait été fortement secondée par la nécessité pour Mendès d’apaiser les cédistes, en ne reconduisant pas à ce poste un opposant aussi notoire au traité131.

Ministre sans l’être

  • 132 « Durant son bref passage rue Saint-Dominique, il ne semble pas avoir fait grand chose, à l’excepti (...)
  • 133 Terrenoire, op. cit., p. 283.
  • 134 Ibid.
  • 135 « Cette liste a permis d’extraire d’Allemagne beaucoup d’officiers qui y vivaient confortablement d (...)
  • 136 Ibid.

52Son passage au gouvernement durant l’été 1954 est donc resté, à juste titre, étroitement associé aux ultimes manœuvres qui ont entouré la liquidation de la C.E.D. Les Britanniques ne s’y sont pas trompés qui estiment son bilan ministériel proche du néant, mis à part les questions d’avancement132. Kœnig, tout en jugeant lui-même avec sévérité son action du fait des garde-fous qui l’entouraient, portera un jugement fort différent sur sa politique du personnel. Il s’agissait, selon ses termes, de faire le « nettoyage dans le ministère laissé par Pleven »133. « De ce point de vue », note Terrenoire, « il considère sa tâche comme utile »134. Les Britanniques, eux-mêmes, lui accorderont le bénéfice de cette volonté de rénovation135, mais ironiseront sur « son désir de continuer la malencontreuse tradition qui consiste à aider de vieux amis ». Non sans difficultés puisque, relève l’attaché militaire, « certaines de ses nomminations ont depuis été annulées »136

  • 137 Elgey, op. cit., p. 122. Cf. aussi Christian Fouchet, Mémoires d’hier et de demain, t. I, « Au serv (...)
  • 138 Cette initiative spectaculaire doit en effet être accompagnée d’un renforcement important du dispos (...)
  • 139 Ibid., p. 195-198. Buron, op. cit., p. 121, va jusqu’à estimer que sa démission ne fut rattrappée « (...)
  • 140 Elgey, op. cit., p. 154-155. On relèvera que Christian Fouchet donne une version diamétralement opp (...)
  • 141 Cf. les récits qu’en font Buron, op. cit., p. 127-128 et Rouanet, op. cit., p. 192-198. Mendès pous (...)

53Le mauvais esprit des Britanniques n’est pas seul en cause. Le général a été très clairement tenu à l’écart des autres grands dossiers du moment. Évoquant la préparation de l’opération de Carthage, Georgette Elgey souligne combien « Mendès France ne dit pas un mot aux ministres, même les plus directement concernés », et cite les cas de Kœnig et de Mitterrand137. Il est certes associé aux préparatifs techniques138, mais ce n’est qu’à la veille du voyage qu’il en découvre la portée, lors d’un conseil des ministres où les seules résistances sont le fait des républicains sociaux, soutenus par le président Coty. Il est vrai que le texte proposé par Mendès France différait sensiblement de celui préparé par le ministre des Affaires marocaines et tunisiennes, le gaulliste Christian Fouchet. Kœnig, à la pointe du mouvement, parle déjà de démissionner et demande au moins un délai de dix jours « pour préparer ses amis »139. Peine perdue ! Mendès refuse de transiger, et emporte l’adhésion du conseil unanime140. Au total, le bilan de l’affaire est éloquent : laissé dans l’ignorance sur le fond jusqu’au dernier moment, le général a vu ses ultimes tentatives pour peser sur le dossier balayées par le volontarisme et l’habileté tactique du président du conseil141.

  • 142 On sait que Mendès avait annoncé qu’en cas d’échec de la Conférence de Genève, il n’hésiterait pas (...)
  • 143 « Installant Kœnig comme ministre de la Défense nationale, le nouveau Président lui prescrit de fai (...)
  • 144 Ce n’est que le 20 janvier 1955 que Mendès cèdera officiellement le poste à Edgar Faure.
  • 145 Chantebout, op. cit., p. 123-124. Cf. aussi Igor Busschaert, « Les questions militaires et stratégi (...)
  • 146 Chantebout, ibid.

54Une marginalisation qui est loin d’être unique, comme le prouve le dossier indochinois. Paradoxe de l’histoire, les prises de position du général sur ce dossier n’avaient certainement pas été étrangères à sa désignation rue Saint-Dominique142. Or, dès le départ, il est institutionnellement mis sur la touche, cantonné à de simples besognes techniciennes143. Car si l’on souligne souvent que Mendès s’était réservé le Quai d’Orsay afin d’avoir la haute main sur la négociation menée à Genève144, on oublie de dire que cette opération de centralisation avait aussi très largement concerné le ministère de la Défense... En effet, aux termes du décret du 9 juillet, les attributions de Kœnig « ne concernent que la gestion des forces armées. Malgré son titre officiel », souligne Bernard Chantebout, « l’ancien commandant en chef des forces d’occupation en Allemagne n’est donc que le ministre des Forces armées ; le vrai ministre de la Défense (…), c’est le président du conseil »145. Une situation qui va perdurer jusqu’à la fin, puisque le 27 juillet, le décret qui délègue enfin les pouvoirs de ce dernier au ministre, réserve à Mendès – bien que « provisoirement » – la connaissance des affaires d’Indochine, « les seules qui présentent un intérêt immédiat en ce domaine », note Chantebout146.

  • 147 Ibid.
  • 148 Notons toutefois que le projet de loi relatif à l’envoi du contingent en Indochine retenu par Pierr (...)
  • 149 « 1. Budget ; 2. C.E.D. ; 3. Officiers généraux ; 4. Tunisie ». Note manuscrite, sans date, mais in (...)
  • 150 Busschaert, op. cit., p. 155. Cf. aussi Jean Delmas (général) et Bernard Masson, « Le gouvernement (...)
  • 151 Busschaert, op. cit., p. 155.

55S’il y a là « un très remarquable effort pour rendre au Chef du Gouvernement le rôle que lui avait confié la constitution »147, dans l’immédiat le général Kœnig se voit exclu de la gestion des affaires indochinoises, et fait figure de ministre au rabais148. De manière significative, celles-ci ne figurent pas dans l’énumération des dossiers qu’il considère à l’époque comme prioritaires149... Son malheur est d’être tombé sur un homme qui, sans avoir sur les problèmes de défense l’expertise qu’on lui reconnaît pour les questions économiques et financières150, n’en a pas moins des idées très précises en la matière, qu’il entend mettre en œuvre avec la même détermination que dans les autres domaines. Le choix de ne pas déléguer immédiatement à son ministre l’ensemble de ses prérogatives militaires est certes dicté par le souci de l’efficacité, mais correspond également à une volonté très forte de réforme en la matière. Kœnig n’a pas été seulement victime des circonstances, mais des exigences du Président151.

56Ironie de l’histoire, il en subira d’ailleurs le contrecoup institutionnel lors de son second passage rue Saint-Dominique, puisqu’il sera à nouveau privé d’une bonne partie de ses prérogatives, en vertu de la réforme opérée par Mendès en janvier 1955. Ironie multiple, car après avoir été victime de cette organisation, Kœnig n’arrivera pas à imposer ses propres réformes, ultime pied de nez du destin à celui qui n’avait pas peu contribué à la chute du gouvernement Mendès…

  • 152 « Le premier passage du général Kœnig rue Saint-Dominique fut, de notoriété publique, un échec comp (...)
  • 153 Ibid.

57On touche là l’un des traits essentiels de ses deux expériences ministérielles. Jamais, en effet, Kœnig n’arrivera à exister comme ministre à part entière, situation qui dut être particulièrement frustrante pour un homme qui avait une revanche à prendre sur l’establishment militaire, et dont le caractèrère entier s’accomodait mal de demi-mesures. Elle permet de nuancer le jugement extrêmement sévère porté par les Britanniques sur ce premier passage au gouvernement152, même si ceux-ci, en évoquant son manque d’expérience en la matière donnent certainement l’une des clefs de son échec153

Le gouvernement Edgar Faure : à nouveau la marginalisation

  • 154 Contrairement à ce qu’en retient son biographe ! Gabriel-Robinet, op. cit., p. 249.
  • 155 Cf. le tableau qu’en fait le général Zeller, op. cit., p. 20-21.
  • 156 Seul demeure – en la personne de Jean Crouzier – un secrétaire d’État à l’Armement, les armées ne c (...)
  • 157 Faure, op. cit., t. IL, p. 82-83.
  • 158 Cf. les propos tenus le 30 juin à l’ambassadeur britannique et à son attaché militaire par le secré (...)

58Son deuxième passage rue Saint-Dominique offre un bilan à la fois plus complet et plus contrasté. Si l’histoire a surtout retenu son rôle dans la crise marocaine, il n’est pourtant pas l’homme de ce seul dossier154. Le retrait d’Indochine et le développement rapide de la rébellion algérienne, l’indispensable réorganisation de la Défense nationale, le développement du programme nucléaire, autant de problèmes qui vont également accaparer le nouveau locataire de l’hôtel de Brienne155. Mais celui-ci ne sera pas le seul à les traiter, alors même que – contrairement à l’été précédent – il n’est plus flanqué d’un secrétaire d’État pour chaque armée156. Kœnig va en effet devoir composer avec le très actif ministre délégué à la présidence du Conseil, Gaston Palewski, qu’une réelle complicité lie à Edgar Faure157. L’examen attentif de ses responsabilités révèle qu’une véritable dyarchie s’est établie au sommet de la Défense nationale, source inévitable de bien des tensions158

  • 159 Delmas et Masson, op. cit., p. 304.
  • 160 La réforme du 20 janvier prévoyait un ministre de la Défense nationale distinct de celui des Forces (...)
  • 161 Palewski, op. cit., p. 262. Les mémoires de l’ancien ministre sont singulièrement décevantes quant (...)
  • 162 Chantebout, op. cit., p. 124. Gaston Palewski reçoit en effet la responsabilité de la coordination (...)

59Contrairement à ce qui a parfois été dit159, le successeur de Mendès a maintenu la nouvelle organisation de la Défense nationale que ce dernier venait d’instaurer. Certes, il n’y a plus officiellement qu’un seul ministre160, mais celui-ci ne reçoit de délégation du président du conseil que pour la direction des Forces armées. La coordination de la mise en œuvre de la Défense nationale entre dans les attributions de Gaston Palewski, ministre d’État et, ainsi qu’il se plaira à le souligner, « second dans la hiérarchie gouvernementale »161. En dépit de son titre, Kœnig n’est donc, cette fois encore, qu’un demi-ministre, qui voit lui échapper certains des domaines les plus intéressants comme la recherche scientifique162.

Simple associé aux questions nucléaires

  • 163 Estimant insuffisants les moyens consacrés à cette entreprise, il avait demandé que le budget de la (...)
  • 164 Mongin, op. cit., p. 295.

60Or, en ce qui concerne les problèmes nucléaires, le général était depuis longtemps un avocat fervent du développement d’un effort français en la matière, comme l’avait prouvé son intervention lors du débat sur le budget de la Défense, en mars 1954163. Lors de sa première expérience ministérielle, il n’eut guère le temps de faire prévaloir ses vues en la matière, si ce n’est en confirmant, le 19 juillet, la décision prise par son prédécesseur de convoquer, pour la première fois, une réunion du conseil supérieur des Forces armées consacrée à l’arme atomique164. Choisi par un homme qui allait lancer la France dans l’aventure de la bombe, nommé à un poste-clef en la matière, Kœnig n’eut pourtant pas la satisfaction d’être associé aux décisions de la fin 1954, ultime rançon payée au combat contre la C.E. D…

  • 165 Commissariat à l’Énergie Atomique.
  • 166 Ibid., p. 377, 390 et 399.
  • 167 On notera d’ailleurs que son compagnon-ministre évoque à peine son rôle... Palewski, op. cit., p. 2 (...)
  • 168 Mongin, op. cit., p. 393.

61Après une expèrience aussi frustrante, son deuxième passage rue Saint-Dominique ne pouvait qu’être plus productif. Son nom fut étroitement associé à la signature, le 20 mai 1955, d’un protocole secret qui permettait d’assurer le transfert de crédits substantiels du budget des armées (section commune) au C.E.A.165, et conférait ainsi la maîtrise du projet à cet organisme166. Une décision capitale pour le programme nucléaire français, mais qui révélait également les limites de l’action du général en la matière167. Ce document était en effet cosigné par Gaston Palewski, officiellement en charge de l’énergie atomique et dans les faits véritable chef d’orchestre de l’effort national. Comme le souligne Dominique Mongin, ce sont ces deux hommes, et non le seul ministre de la Défense, qui ont joué au gouvernement un rôle déterminant dans la décision du 20 mai 1955168. En outre, cette politique ambitieuse n’a pu être menée qu’avec la complicité active d’Edgar Faure...

  • 169 Planchais, op. cit., p. 288.
  • 170 Mongin, op. cit., p. 430.

62Faut-il aller jusqu’à reprendre le sévère jugement de Jean Planchais selon lequel « l’avenir de l’armée française ne se joue pas dans le bureau – rarement occupé – du général Kœnig, mais bien plutôt dans celui du ministre-délégué »169 ? Sans doute ce point de vue est-il excessif, comme l’atteste, par exemple, sa décision, le 13 juillet 1955, de lancer les études préliminaires d’un missile sol-sol stratégique170... Profondément convaincu de la nécessité pour la France de se doter d’une arme nucléaire nationale, Kœnig n’a pas eu besoin d’être poussé sur ce chemin. Il n’empêche que la nature même des responsabilités confiées à Gaston Palewski en faisait un ministre bis de la Défense, un ministre cantonné aux tâches nobles, dégagé des lourdeurs de la gestion quotidienne, et donc mieux à même de faire sentir son influence sur ces grands dossiers qui lui étaient réservés.

Privé de réforme

  • 171 Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.
  • 172 Les deux protagonistes n’ont malheureusement laissé aucun témoignage direct sur ce dossier, que l’o (...)
  • 173 Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.

63Le problème essentiel de la réforme de la Défense en apporte confirmation. Ainsi que le souligne l’ambassadeur britannique dans la longue dépêche qu’il envoie à Londres en juillet 1955, le gouvernement Edgar Faure avait hérité d’une nouvelle organisation qui venait à peine d’être décidée, mais restait fort critiquée171. Il était donc logique de poursuivre la réflexion entamée par le précédent gouvernement, et tel fut le sens de la mission confiée concurremment à Gaston Palewski et au général Kœnig172. Malheureusement, comme le rapporte malicieusement Gladwyn Jebb, « le tandem Kœnig-Palewski » ne tarda pas à « pédaler dans des directions opposés, avec des résultats fâcheux »173.

  • 174 Cf. Chantebout, op. cit., n. 44, p. 125. On relèvera que par ailleurs la commission de la Défense d (...)
  • 175 Planchais, op. cit., p. 287.
  • 176 Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.

64On n’entrera pas ici dans le détail de chacun des deux projets qui furent bientôt avancés174. On relèvera simplement qu’ils étaient « parfaitement inconciliables »175, et que celui du ministre délégué eut bientôt la faveur des parlementaires, alors que le locataire de la rue Saint-Dominique recevait le soutien du chef du gouvernement pour le sien. En dépit de ce renfort, les propositions du ministre furent balayées sans coup férir par la commission de la Défense nationale dont, circonstance agravante, il était l’ancien président... « Non seulement [ce projet] n’a virtuellement plus aucune chance d’être accepté », rapporte l’ambassadeur britannique, « mais il n’a trouvé aucun soutien parmi les commentateurs informés, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du Parlement. La commission de la Défense nationale l’a rejeté sans vote, ce qui a complètement ridiculisé le général Kœnig »176.

Ministre de la Défense ou de la Guerre ?

  • 177 Cf. n. 156.
  • 178 Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.

65Un désaveu qui permet de mesurer l’humiliation du ministre en titre de la Défense, et offre une démonstration cinglante du rapport de force entre les deux hommes. Circonstance aggravante, Kœnig était également contesté à l’intérieur de sa propre maison... Les aviateurs et les marins n’avaient en effet que fort peu goûté la disparition de leurs ministres respectifs, à l’occasion de la réforme Mendès France, début 1955177. Traditionnels porte-paroles d’armées minoritaires, dans un pays dominé par la toute-puissance des « terriens », les secrétaires d’État à la Marine et à F Air garantissaient à leur département un droit d’appel au plus haut niveau. Ces derniers avaient donc encore moins apprécié de repasser quelques semaines plus tard sous la férule de Kœnig, un « soldat qui est du côté de la seule armée de Terre et ne connaît qu’elle »178.

  • 179 L’Air, n° 699, mai 1955, p. 9. Cité par Façon, op. cit., p. 53. Cf. également l’analyse de l’attach (...)
  • 180 Captain Lambert, Annual Report on The French Navy for 1955, 21 décembre 1955, P.R.O., F.O. 371/124  (...)

66Si nous manquons d’exemples pour évoquer des bloquages précis, l’irritation des « bleu marine » ne fait aucun doute. « Jamais depuis que son existence a été officiellement reconnue, l’aviation ne s’était trouvée dans une pareille situation sur le plan gouvernemental », gronde l’éditorialiste du magazine L’Air, porte-parole officieux des aviateurs. « On parle de réorganisation visant l’ensemble de la Défense nationale, cela se traduit en fait par l’anéantissement de toute représentation responsable de l’aviation militaire »179. Quelques mois plus tard, tirant le bilan de l’année écoulée, l’attaché naval de Sa Gracieuse Majesté soulignera à son tour combien « la Marine a l’impression d’avoir perdu son droit d’être équitablement représentée au Parlement vis-à-vis des autres armées. Elle attend avec impatience qu’on lui redonne son ministre »180.

  • 181 Air Commodore Lockett, op. cit.
  • 182 Zeller, op. cit., p. 34.

67Avant que l’avènement du gouvernement Guy Mollet ne vienne exaucer ce désir, le remplacement de Kœnig par Billotte marquera une évolution notable, preuve que la personnalité de l’homme de Bir Hakeim tenait une part significative dans ce blocage. Le nouveau ministre « semble beaucoup plus ouvert à la dimension aérienne qu’aucun de ces prédécesseurs », notera ainsi l’attaché de l’Air britannique181... Kœnig fait évidemment partie du lot, et cette appréciation trouve une confirmation indirecte dans le satisfecit appuyé que lui décernera l’ancien chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Zeller, qu’il avait fait nommer en juin 1955. « Dans cette période acrobatique, où était en jeu le sort des pays d’Afrique du Nord, le général Kœnig s’était bien acquitté d’une tâche ingrate. Contrairement à d’autres « généraux-ministres », qui parsèment l’histoire de nos républiques, il avait été un bon ministre pour l’Armée. Il la connaissait, l’appuyait dans les milieux politiques de sa souveraine autorité, évitait pour elle les contrecoups des incertitudes gouvernementales. Loin de toute démagogie, il recherchait avant tout l’intérêt du pays »182.

  • 183 La charge de ministre de la Défense apparait seulement en 1932 dans le cabinet Tardieu (20 février- (...)

68Bel hommage, mais qui n’est pas sans poser question... Au lieu de parler de l’armée dans son ensemble, Zeller n’emploie-t-il pas le terme dans son sens ancien, réduit à ce que l’on appelera l’armée de Terre à partir des années soixante ? L’évocation des autres « généraux-ministres » confirme cette interprétation. La fonction de ministre de la Défense ne s’est institutionnalisée que dans la seconde moitié des années trente, et Weygand, Darlan puis de Gaulle ont été les seuls officiers généraux à l’exercer avant Kœnig183… Même en faisant la part de la gratitude, il est évident que l’opinion de Zeller trahit un état global qui oblige à poser une question simple : en dépit de son titre, le député du Bas-Rhin a-t-il réussi à être plus qu’un ministre de la Guerre ?

  • 184 Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.
  • 185 Brigadier Jackson, op. cit.

69L’interrogation ne manque pas de piquant si l’on veut bien se souvenir que c’est d’abord pour arriver à peser sur la définition de l’ensemble de la politique de défense que le général s’est lancé dans une carrière parlementaire, puis ministérielle... En dépit de la durée de sa deuxième expérience rue Saint-Dominique, Kœnig n’est pas parvenu à s’imposer comme le patron de l’ensemble des forces armées. Une expérience d’autant plus amère que l’armée de Terre, dans son ensemble, ne lui est pas acquise, quelle que soit l’opinion de son chef d’état-major. « Même [elle] n’est pas satisfaite de l’organisation actuelle, bien que ce soit l’un des siens qui soit à la tête des trois départements », note l’ambassadeur britannique à Paris184. Peu apprécié des « bleu marine » en raison de son passé « kaki », Kœnig n’est pourtant pas reconnu par les siens comme un véritable porte-parole. D’autant qu’au final, « cette seconde et trop longue période comme ministre de la Défense (...) n’a en rien accru l’efficacité de l’armée de Terre mais, au contraire, a été profondément dommageable à son prestige »185.

L’échec par l’Empire : la contrainte budgétaire

  • 186 Si l’armée de l’Air a, elle aussi, été immédiatement prise en tenailles entre ses obligations europ (...)
  • 187 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, 1955, op. cit. A titre d’exemple, on relèvera que dans le cas de la (...)

70Un constat sévère qui s’explique par le fait que cette dernière a été la principale victime de l’évolution conjoncturelle186. Le répit attendu avec la fin du conflit indochinois ne s’est pas produit, et les conséquences ont été multiples. D’abord sur le plan budgétaire, dans la mesure où les dividendes de la paix ont été différés. « Les Français n’ont pu réduire leur engagement militaire en Extrême-Orient aussi rapidement qu’ils l’avaient initialement espéré », relève l’ambassadeur britannique, en particulier du fait de l’effondrement de l’aide américaine187. Au bout du compte, la charge financière a été été nettement plus élevée qu’escompté, tandis que la dégradation régulière de la situation en Afrique du Nord se traduisait par des dépenses supplémentaires...

  • 188 Elles remonteront à 28,6 % des dépenses et 7,4 % du P.N.B. en 1956… Ministère des Armées, Le coût d (...)
  • 189 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, 1955, op. cit.
  • 190 D’autant que le général a été victime du calendrier, et a de ce fait engagé la négociation budgétai (...)

71Loin de s’alléger le fardeau colonial a donc continué à peser de tout son poids. Or le budget n’a pas suivi... De 30 % des dépenses publiques, les crédits militaires ont régressé à 26 %, ne représentant plus que 6,3 % du P.N.B. en 1955, contre 7,5 % l’année précédente188. Pour être relatif, le descrescendo n’en est pas moins net et Kœnig, impuissant, a subi cette évolution. « Le général considérait qu’un budget de 1 125 milliards de francs serait un strict minimum pour engager l’édification d’une défense efficace », rapporte Gladwyn Jebb. « Mais tout ce qu’il a pu arracher à son collègue des Finances, M. Pflimlin, fut une somme de 945 milliards pour 1955, et de 948 pour l’année suivante »189. Maintien d’un niveau de dépenses élevé, régression des ressources : il n’en faut pas plus pour faire le malheur d’un ministre et transformer la préparation du budget – pourtant l’une de ses tâches essentielles – en mission impossible190. « Il n’est donc pas étonnant que le général Kœnig ait du être si ouvertement méprisant avec son budget lorsqu’il l’a présenté », observera l’ambassadeur britannique, « ni qu’aucun député n’ait accepté de le défendre ». On imagine le supplice du général « gnaka », pour reprendre le surnom dont l’avaient affublé Jules Moch et ses collaborateurs, lui, l’apôtre du volontarisme à tout crin, obligé non seulement d’entériner un budget insuffisant mais de s’en faire l’avocat !

L’échec par l’Empire : la modernisation entravée

  • 191 Pierre Montagnon, La guerre d’Algérie, Paris, Pygmalion/Gérard Watelet, 1984, p. 132. Cf. aussi Jea (...)
  • 192 Henri Le Mire, Histoire militaire de la guerre d’Algérie, Paris, Albin Michel, 1982, p. 23. La situ (...)

72D’autant que le développement des troubles outre-Méditerranée n’a pas eu de répercussions que sur le seul plan budgétaire. Les attentats de la Toussaint 1954 ont pris l’armée au dépourvu. « Le corps de bataille professionnel se regroupe en Indochine et entame à peine son grand mouvement de retour qui prendra plus d’un an. Le contingent monte la garde au Rhin ou s’instruit dans les garnisons métropolitaines. En Algérie, comme en mai 1945, il ne subsiste que des dépôts ou des centres d’instruction »191. Avec seulement 57 000 hommes, dont à peine 3 500 sur le terrain, le commandant de la Xe région militaire, n’a eu de cesse d’obtenir des renforts. En février 1955, quand Kœnig revient rue Saint-Dominique, les sous-effectifs sont encore la règle : 80 000 hommes, dont seuls un peu plus de 30 000 participent aux opérations192.

  • 193 La formule est de Montagnon, op. cit., p. 135.
  • 194 Ibid., p. 135, et Planchais, op. cit., p. 237-238.
  • 195 Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie, Paris, Seuil, 2e éd. 1991, p. 69-70
  • 196 Pour le détail des mesures, cf. L’année politique 1955, op. cit., p. 233, et Alistair Home, Histoir (...)
  • 197 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, 1955, op. cit.

73Certes, jusqu’aux événements d’août, « la guerre se cherche »193, et le premier semestre est relativement calme sur le plan militaire194. Mais, en mars, « la brusque recrudescence du terrorisme dans les Aurès, son extension à la Kabylie et au Nord-Constantinois », amènent le gouvernement à instaurer l’état d’urgence dans ces régions le mois suivant195. Compte tenu de la dégradation du climat, l’envoi de nouveaux renforts est décidé lors d’un conseil interministériel, le 16 mai : 10 bataillons, qui vont porter le total des troupes à 100 000 hommes196. Décision lourde de conséquences car, estimera l’ambassadeur britannique, « l’envoi immédiat, morceau par morceau, des unités qui étaient immédiatement disponibles, a torpillé le début de réorganisation de l’armée de Terre »197.

  • 198 Cette évolution a été entérinée par l’Alliance avec l’adoption, en décembre 1954, du document M.C. (...)
  • 199 Di vison d’Infanterie Mécanisée.
  • 200 L’année politique 1955, op. cit., p. 233, et Horne, op. cit., p. 117.

74Depuis l’apparition de la doctrine « New Look », fin 1953, tous les plans de défense de l’O.T.A.N. ont en effet été révisés pour intégrer l’emploi immédiat d’armes nucléaires tactiques198. L’armée de Terre a sans tarder engagé un profond effort de rénovation pour s’y préparer, d’autant que la fin du conflit indochinois implique le redéploiement de ses forces et paraît annoncer une période inédite de répit. Pour la première fois depuis l’automne 1942, les opérations de guerre semblent s’éloigner... Équipées de blindés légers adaptés (E.B.R., A.M.X. 13) des unités pilotes, comme la brigade Javelot, sont mises sur pied, qui permettent de tester de nouvelles combinaisons tactiques... C’est cet effort spécifique qui est touché de plein fouet, dès le printemps 1955, à l’instar de la 2e D.I.M.199 du général Beaufre, récemment réorganisée et qui, début juin, fait mouvement de Nancy vers la Kabylie200.

  • 201 Planchais, op. cit., p. 238. Cf. aussi Home, ibid., et Montagnon, op. cit., p. 153.

75Pour quel résultat ? Ses régiments ultra-modernes « destinés à combattre dans la plaine allemande, s’empêtrent dans le djebel avec leurs blindés et leurs canons », note Planchais. « Beaucoup de carburant – et d’accidents – pour presque rien »201. C’est à une reconversion totale qu’ils sont appelés pour remplir la mission qui a justifié leur envoi... Mais cette évolution ne manque pas d’avoir de lourdes conséquences sur la contribution de la France à l’Alliance atlantique. En Algérie, remarque Gladwyn Jebb, « ces unités ont à affronter des tâches très différentes de celles pour lesquelles elles se préparaient au sein de l’O.T.A.N. Des unités qui commençaient à être munies des armements les plus récents sont maintenant surtout préoccupées de leur dotation en mules et autres équipements nécessaires à la lutte anti-guérilla. En conséquence, leur entraînement pour se battre sur le théâtre européen va probablement régresser de manière importante ».

  • 202 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, J955, op. cit.
  • 203 Façon, op. cit., p. 56.
  • 204 Montagnon, op. cit., p. 165. Début 1956, 186 000 hommes seront stationnés en Algérie (ibid.), soit (...)
  • 205 L’année politique 1955, op. cit., p. 233 et p. 275.
  • 206 Division Blindée ; Division Mécanique Rapide. Montagnon, op. cit., p. 174.
  • 207 « La décision d’affecter des moyens importants à l’Algérie, au risque d’en priver l’O.T.A.N., se co (...)

76« Il n’est pas exagéré de dire », conclut l’ambassadeur britannique, début septembre 1955, « qu’avec ces changements la France ne contribue désormais pratiquement plus à la défense de l’Europe de l’Ouest »202. Un jugement qui peut à l’époque encore passer pour excessif, mais auquel la suite des événements va très vite apporter confirmation. Le 19 août, le comité des chefs d’état-major demande l’établissement d’un plan de développement des forces armées pour les années 1957-1958 qui donne la priorité à l’Afrique du Nord203. Les massacres perpétrés les jours suivants dans le Constantinois donnent une actualité immédiate à ces souhaits : 57 000 réservistes sont rappelés et de nouveaux renforts envoyés sur le champ204. A la fin de l’année, la 4e D.I.M. a elle aussi franchi la Méditerranée, et ce sont deux divisions de type O.T.A.N. qui sont désormais stationnées en Algérie, non sans que les alliés n’aient déjà manifesté leur mauvaise humeur205. Avant même que le printemps 1956 ne consomme cette évolution avec le départ de la 5e D.B. et de la 7e D.M.R.206, traditionnellement retenu comme le début du mouvement, celui-ci est lancé207. La défense de ce qui reste de l’Empire entraîne de facto la marginalisation de la France dans l’organisation militaire intégrée. Fâcheuse coïncidence, dans la foulée des accords de Londres et de Paris qui ont enfin réglé la lancinante question du réarmement allemand, la Bundeswehr monte progressivement en puissance...

  • 208 Cf. la lettre que le maréchal Juin adresse à ce sujet au président du conseil, au lendemain du cons (...)

77Un chassé croisé lourd de conséquences, car les dirigeants français auront beau plaider l’unicité du combat mené de part et d’autre de la Méditerranée208, jamais les alliés n’accepteront de reconnaître officiellement que la lutte contre le F.L.N. participe de l’endiguement des menées soviétiques. Le déchirement qui est celui de l’armée française depuis la fin des années quarante entre ses missions européennes et coloniales se perpétue. Symboliquement, il appartient à l’ancien commandant en chef en Allemagne, l’homme de la garde au Rhin après 1945, mais aussi le « vieux Marocain », celui qui est entré dans l’histoire à Bir Hakeim, qui est aux commandes à ce moment précis... Devenu parlementaire parce qu’il estimait la métropole à la merci d’une nouvelle invasion, il lance l’interruption du processus de modernisation de l’armée de Terre, paradoxe supplémentaire dans une carrière qui n’en manquait déjà point !

  • 209 Brigadier Jackson, op. cit.
  • 210 Fin 1955, l’attaché militaire britannique stigmatisera « l’incapacité des chefs de l’armée de Terre (...)

78Cette situation des plus inconfortables peut expliquer – au moins partiellement – les incohérences de son action en faveur de l’Algérie. « Les renforts nécessaires ont été décidés à l’économie », estimera fin 1955 l’attaché militaire britannique, « en piochant successivement un peu dans chaque division, mais toujours trop tard ». Et de préciser : « Le général Kœnig, en tant que ministre de la Défense, a été largement responsable de cet état de fait »209. Nous manquons d’éléments pour dire quelle fut son appréciation personnelle de la situation en Algérie. Sans écarter une éventuelle sous-estimation210, ne peut-on envisager le fait qu’il essaya de temporiser, étalant les ponctions pour préserver les réorganisations en cours ? Une solution qui se révéla inadéquate, mais visait certainement à préserver ce qui pouvait l’être de la modernisation. Kœnig apparait ainsi autant victime des conditions existantes que de ses propres limites.

Victime du système

  • 211 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, 1955, op. cit.

79Un constat qui fournit l’une des clefs essentielles pour comprendre l’échec de cette seconde expérience ministérielle. La conjoncture a emprisonné Kœnig dans les rêts de ses contraintes. Lui, qui rêvait d’imprimer sa marque sur l’armée française, revient rue Saint-Dominique au plus mauvais moment. Particulièrement sur le plan institutionnel, on l’a vu. Ironie de l’histoire, il bénéficiait pourtant d’une donne intéressante. N’héritait-il pas d’un ministère en pleine modernisation ? Mais la réforme de janvier 1955 était trop récente pour avoir eu le temps d’être appliquée. Ses principes mêmes n’étaient pas acquis, ainsi qu’en témoigna la mission de réflexion qu’il dut mener, concurremment avec Gaston Palewski. Notons enfin que l’action d’Emmanuel Temple, son successeur après août 1954, personnalité « totalement inconsistante », selon le qualificatif aimable de Gladwyn Jebb211, n’avait guère préparé le terrain à une application résolue des réformes...

  • 212 Ibid.

80La réorganisation de la Défense nationale restait un vaste chantier, dont l’achèvement aurait supposé une volonté politique que le régime était structurellement incapable de produire. Moins encore quand un Edgar Faure siégeait à Matignon... Quelles qu’en aient été les raisons profondes, la nommination de cette sorte de ministre bis que fut Palewski fut, dès le départ, un mauvais coup porté au titulaire de la Défense. Institutionnalisant la pratique du diviser pour régner, elle affaiblissait sa position au plus mauvais moment : les armées n’accepteraient pas avant longtemps de ne plus être des départements ministériels... De ce fait, il manqua définitivement à Kœnig « l’autorité politique nécessaire pour appuyer l’émergence d’une doctrine cohérente » en matière d’organisation de la Défense212.

  • 213 Le général Bigeard fut secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense de janvier 1975 à août 19 (...)

81A bien des égards, le général apparait ainsi comme le symbole de la modernisation inachevée de son ministère. Il n’est pas jusqu’à son origine militaire qui ne le traduise. Par un curieux mélange des genres, il lui revient en effet d’incarner le retour à la tradition des « généraux-ministres », au moment où l’on cherche à rompre avec le vieux système d’un ministère par armée ! D’où cette difficulté quasi-existentielle à être plus qu’un simple ministre de la Guerre... De manière significative, Kœnig sera d’ailleurs le dernier représentant de ces « généraux-ministres », en compagnie de Billotte, son successeur immédiat, mais dont le passage rue Saint-Dominique sera nettement plus bref. Avec le recul, les années 1954-1955 apparaissent de ce point de vue comme une vraie rupture. Seul, par la suite, le général Bigeard reprendra la tradition, dans un contexte institutionnel totalement différent et comme simple secrétaire d’État213.

Inadapté à la situation

  • 214 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, 1955, op. cit.
  • 215 « Kœnig avait le don d’aller à l’essentiel et de simplifier les affaires les plus compliquées ». Na (...)
  • 216 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, 1955, op. cit.

82L’homme de Bir Hakeim bénéficie donc de larges circonstances atténuantes. Il n’était pas pour autant l’homme de la situation. Habitué par sa carrière militaire à une pratique centralisée du pouvoir, il n’était guère fait pour un système comme la Quatrième, marqué par l’éclatement des responsabilités. D’une certaine manière, il a une république d’avance... Ajoutons-y un manque de goût avéré pour les manœuvres politiciennes, qui sont pourtant à l’époque une condition sine qua non de survie, particulièrement dans ce capharnaüm que sont alors les départements militaires. Par ailleurs, il n’est pas « l’organisateur de premier ordre » que les circonstances exigent214. Car quels que soient les mérites de son pragmatisme215, le général « gnaka » a manifestement du mal à appréhender un dossier aussi retors. Évoquant les raisons de son échec en la matière, l’ambassadeur britannique n’avancera-t-il pas, entre autres, qu’il n’est « pas bien outillé mentalement pour y aider »216 ?

  • 217 « Il marquait peu d’enthousiasme pour l’étude livresque ou le si souvent fastidieux dépouillement d (...)
  • 218 Planchais, « L’homme de Bir Hakeim », op. cit.
  • 219 La formule est d’Edgar Faure, op. cit., t. II, p. 295. Cf. également n. 89, ainsi que l’analyse cin (...)

83D’autant que comme le reconnaîtra Navarre lui-même, fort de son expérience de chef de cabinet, Kœnig n’est pas un homme de dossiers217. Ce qui l’amène à se reposer sur ses proches, pour le meilleur et pour le pire... « Il apporta dans les postes qu’il occupa des habitudes militaires », note Planchais, « laissant volontiers à son entourage – considéré comme un état-major – des responsabilités de décisison, qu’il s’agisse de la C.E.D., du Maroc ou de la réorganisation de la Défense nationale. Elles le placèrent souvent dans des positions discutées »218. Un point commun avec Juin, parfois accusé, lui aussi, d’avoir été manipulé, au minimum influencé, par ses proches. Preuve s’il en est, leur proximité partagé avec l’une des plus fameuses éminences grises de l’armée, Lecomte, le « général aux yeux de chat »219.

  • 220 Cf. par exemple La Gorce, op. cit., p. 517, qui souligne lui aussi le rôle tenu en cette affaire pa (...)
  • 221 Cf. supra la communication d’Antonio Varsori.
  • 222 Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.

84Nommé ministre à une époque où la fonction se cherche encore, Kœnig a également été victime de ses limites personnelles. Et il n’aura jamais réussi à occuper vraiment le poste, même lors de ce second passage rue Saint-Dominique où il eut le temps pour lui. Ainsi s’explique le fait que l’histoire n’ait guère retenu que le versant marocain de son action220… Sans doute faut-il y voir la conjonction entre l’éclat médiatique de cette démission et le peu de succès qu’il rencontra dans la gestion des grands dossiers de son ministère. Ainsi s’explique également la sévérité des appréciations portées sur son action par les Britanniques en poste à Paris. Observateurs redoutables de la scène politico-militaire française, dont les informations sont rarement démenties par l’ouverture des archives, les officiers et diplomates de Sa Gracieuse Majesté ne l’ont guère épargné au fil de leurs rapports221. En témoigne la boutade de Gladwyn Jebb à propos de l’échec de ses propositions de réorganisation de la Défense : « Si cela donne un prétexte à M. Faure pour transférer le général Kœnig – dont l’action comme ministre de la Défense a été un échec complet – vers un autre ministère où il pourra faire moins de dégats, cela ne peut être que bénéfique ». Malheureusement, constate l’ambassadeur, « il n’y a jusqu’à présent aucun signe d’une pareille évolution »222...

  • 223 Chef de la délégation militaire française à l’O.N.U. depuis 1946, il quitte l’armée à sa demande, d (...)
  • 224 Brigadier Jackson, op. cit.

85Pareille sévérité finit, à la longue, par poser question. N’y aurait-il pas quelque acharnement à l’encontre du député du Bas-Rhin ? Vraisemblablement non, comme le prouve leur bilan des premiers mois de Billotte – alors que le système demeurait inchangé, Palewski ayant néanmoins disparu. Peu suspects de complaisance à l’égard d’un homme dont ils avaient jugé lucidement le départ de l’armée en 1950223, les Britanniques portent un regard plein d’espoir sur ses premières semaines comme ministre. « Durant la brêve période qui a suivi sa nommination, les changements ont été plus que perceptibles », constate l’attaché militaire. « Les forces armées françaises ont besoin de fermes décisions en ce moment, et il est manifeste qu’elles sont ravies de commencer à en bénéficier après les palinodies militaires et politiques du général Kœnig224. » Confirmé par d’autres observateurs, ce diagnostique livre sans doute une clef essentielle. Volontariste-né, habitué par son métier à commander, ce gaulliste de toujours eut pourtant du mal à exercer un vrai leadership en tant que ministre, ultime paradoxe d’une carrière qui décidément n’en manqua point.

86La durée si différente de ces deux passages rue Saint-Dominique, les conditions si particulières du premier, interdisent une comparaison terme à terme. Au total, c’est un bilan plus politique que militaire qui peut les réunir... Dans les deux cas, l’engagement de Kœnig fut en effet marqué du sceau de la fidélité à l’homme du 18 juin, même si le fait de servir le régime était, aux yeux de ce dernier, une marque d’infamie. Au sein de chaque gouvernement, le député du Bas-Rhin fut ainsi, à chaque fois, l’un des représentants éminents de la mouvance gaulliste.

  • 225 Ély, op. cit., p. 173.

87Néanmoins, la genèse de sa première participation intègre d’autres éléments. On l’a vu, en juin 1954 sa stature personnelle et historique le désignait d’évidence comme un recours possible. « Le général Kœnig avait été l’un des hommes de 1940 et de la Libération auprès du général de Gaulle », rappellera le général Ély, à l’époque nouveau haut-commissaire et commandant en chef en Indochine. « Comment ne me serait-il pas apparu comme garantissant une certaine continuité de la politique pardessus le changement d’hommes ? »225 . En fait, le politique et le technicien ne faisaient qu’un, attachés à la personne même du fondateur du R.P.F. Kœnig était tout à la fois général (grâce à de Gaulle et à la France libre), gaulliste (de tous les combats depuis 1940) et ministre général gaulliste. Sa démission du cabinet Mendès France au nom de la croisade anticédiste – et sa non-réintégration – attestent à bien des égards cette fidélité personnelle au reclus de Colombey.

  • 226 Notons que le désengagement du Général n’avait fait que s’accentuer depuis sa mise en sommeil du R. (...)
  • 227 Jacques Foccart, Foccart parle. Entretiens avec Philippe Gaillard, t. I, Paris, Fayard/Jeune Afriqu (...)

88L’influence de ce dernier est moins nette lors de son deuxième séjour à l’hôtel de Brienne, comme si le député du Bas-Rhin assumait complètement, cette fois, son ascension ministérielle226. Cette nouvelle expérience est pourtant, elle aussi, toute entière marquée par la défense du rang. Mais la préservation de ce qui reste de l’Empire, singulièrement en Afrique du Nord, a succédé au combat anticédiste. Latente l’été précédent, avec la Tunisie, cette thématique s’épanouit en 1955 à l’occasion des événements d’Algérie et de la crise marocaine. Pourtant, à son insu sans doute, le ministre était déjà en décalage avec son maître à penser. A en croire Jacques Foccart, le choc de Diên Biên Phu avait été un révélateur pour le chef vieillissant du R.P.F. Sa conception en matière d’Union française avait alors connu un important changement, car « il [n’était] plus possible d’analyser comme avant ce qui [pouvait] être maintenu »227. Ainsi, cette fidélité impériale à l’ancienne mode, dont Kœnig était l’un des ardents défenseurs, portait-elle en germe le divorce d’avec son Général...

  • 228 Après le retrait de la caution du Général au printemps 1953, les députés R.P.F. s’étaient contentés (...)

89En fait, ce deuxième ministère obéit davantage que le précédent à des impératifs politiques, liés au jeu des partis. Compte tenu du retrait de la vie politique de de Gaulle, le Centre National des Républicains Sociaux se comporta de plus en plus à l’image des autres formations, tout en se prétendant l’héritier du Général et d’une « certaine idée de la France »228. Le cas de Kœnig illustre certes parfaitement la « compromission » des parlementaires R.P.F. ou U.R.A.S. avec le « mauvais système ». Mais, il est également le symbole de l’écartèlement de ces gaullistes historiques entre leur attachement personnel au président du R.P.F., qui laisse en 1955 ses anciennes troupes sans consignes précises, et une volonté de servir en conservant à la France son empire et en la dotant d’une armée moderne – une France qui à leurs yeux se meurt.

  • 229 Preuve de ce désintérêt, l’absence de tout travail de fond depuis la biographie de sympathie que lu (...)
  • 230 Cf. infra Bernard Lachaise, op. cit.
  • 231 Planchais, « L’homme de Bir Hakeim », op. cit.

90L’action ministérielle du général Kœnig, prisonnière des contradictions du gaullisme et sujette à des circonstances qui lui étaient peu favorables, ne fut donc pas pour demeurer en bonne place dans les livres d’histoire229. D’autant que le député du Bas-Rhin « ne fait pas non plus l’unanimité dans les rangs du R.P.F. dès 1951, et encore moins dans la mémoire gaulliste de nos jours »230... Comme l’avait fort bien résumé Jean Planchais au lendemain de sa mort, « la gloire mondiale vint au général d’un choix et d’une réponse »231. Le choix de suivre de Gaulle dès le 19 juin 1940, la réponse par les armes à l’ultimatum de Rommel, deux ans plus tard. Dès le lendemain de Bir Hakeim, l’image devait se figer. Même s’il faut le regretter, force est de constater que la suite compta peu...

Notes

1 Déclaration du 10 octobre 1952, citée par Jacques Chapsal, La vie politique en France depuis 1940, Paris, PUF, 2e éd., 1969, p. 216.

2 Son nom apparaît ainsi dans la liste d’adhérents, publiée le 15 mars 1957, par l’Union pour le Salut et le Renouveau de l’Algérie française (U.S.R.A.F.), mouvement qu’a fondé Jacques Soustelle dès son retour en métropole. Cf. Jean-Claude Demory, Georges Bidault, Paris, Julliard, 1995, p. 389 et 401, mais aussi Pierre Messmer, Après tant de batailles. Mémoires, Paris, Albin Michel, 1994, p. 136. Voir également le témoignage de Jacques Isorni rapporté par Louis Gabriel-Robinet, Kœnig, un chevalier, Paris, France-Empire, 1973, p. 180, qui constitue à ce jour la seule biographie consacrée à l’homme de Bir Hakeim.

3 Pour une analyse complète de sa « brouille » avec de Gaulle, cf. ibid., p. 255-264.

4 Jean Lacouture, De Gaulle, t. Il, « Le Politique », Paris, Seuil, 1985, p. 538.

5 On relèvera que les mois suivants allaient être marqués par d’incessants chassés-croisés ministériels entre les deux hommes. En février 1955, Kœnig remplacera Bourgès puisque ce dernier avait quitté en janvier le ministère de l’Industrie et du Commerce pour les Forces armées, Jacques Chevallier ayant reçu la Défense nationale (cf. infra, n. 160). Pourtant, ils allaient devoir collaborer à nouveau étroitement à partir de cette date, dans la mesure où Bourgès était titulaire de l’Intérieur dans le cabinet Edgar Faure. Ils étaient donc les deux principaux responsables du rétablissement de l’ordre en Algérie... Ultime retournement, Bourgès succédera à Kœnig rue Saint-Dominique – après l’intermède Billotte – en tant que ministre de la Défense de l’équipe Guy Mollet. Cf. Bernard Chantebout, L’organisation générale de la Défense nationale en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Paris, Librairie générale de Droit et de Jurisprudence, 1967, p. 456-457.

6 Cf. supra la communication de Bernard Chantebout.

7 Jean Planchais, Une histoire politique de l’armée, t. II, « 1940-1967 : De de Gaulle à de Gaulle », Paris, Seuil, 1967, p. 238.

8 Cette étude a bénéficié de la relecture de plusieurs spécialistes tels Éric Duhamel ou Hervé Lemoine. Qu’ils en soient ici tous chaleureusement remerciés, particulièrement Frédéric Turpin dont les informations comme les analyses se sont révélées précieuses...

9 Jean Chariot, Le gaullisme d’opposition, 1946-1958, Paris, Fayard, 1983, p. 236-237, et Serge Berstein, « Le général de Gaulle, le R.P.F. et la C.E.D. », Espoir, 87 (1992), p. 22.

10 Raymond Triboulet, Un gaulliste de la Quatrième, Paris, Plon, 1985, p. 181.

11 « Au bout de deux ou trois séances, il a pris tout le monde en main, y compris les communistes les plus acerbes comme Villon ou Malleret-Joinville, qui lui manifestent une déférence presque militaire », note drôlement Triboulet, ibid.

12 Dès le débat parlementaire de février 1952, il est l’un des principaux orateurs désigné par le groupe gaulliste (Triboulet, op. cit., p. 190). Surtout, élu rapporteur du projet par la commission début février 1953, il fait adopter un rapport extrêmement sévère à l’égard du traité puisqu’il en déconseille la ratification (ibid., p. 211). Ce texte, distribué aux députés en août 1954, jouera un rôle non négligeable dans la cristallisation de l’opposition à la C.E.D. (cf. René Massigli, Une comédie des erreurs, 1943-1956. Souvenirs et réflexions sur une étape de la construction européenne, Paris, Plon, 1978, p. 439-440). Ainsi, Kœnig est devenu par ses fonctions l’un des hommes-clefs de l’offensive contre la C.E.D., aux côtés de Michel Debré ou de Jules Moch. L’examen de ses archives prouve en effet qu’il est l’objet de sollicitations très variées de la part de l’ensemble des opposants au traité, qu’il s’agisse d’officiers ou d’associations patronales (Service historique de l’armée de Terre (S.H.A.T.), papiers Kœnig, 1 K 237/6). Enfin, le général est l’un des rares parlementaires à monter à la tribune pour excuser l’esclandre anti-cédiste du maréchal Juin, fin mars 1954 (Planchais, op. cit., p. 251).

13 Michel Debré, Trois Républiques pour une France, Mémoires, t. II : « 1946-1958 : Agir », Paris, Albin Michel, 1988, p. 260-263. Cf. aussi Bernard Lefort, Mes carnets secrets de la Quatrième. L’aller et retour du Général, 22 août 1944-1er juin 1958, Paris, Seuil, 1996, p. 219.

14 Louis Terrenoire, De Gaulle, 1947-1954 : pourquoi l’échec ? Du R.P.F. à la traversée du désert, Paris, Plon, 1981, p. 249.

15 Ibid., p. 262.

16 « Cette réponse, simple et nette, provoque un immense soulagement chez mes amis, préoccupés au fond d’eux-mêmes de la démarche qui leur a été demandée », note Debré, en conclusion du récit de sa visite à Colombey. Ibid.

17 « Les R.P.F. font leur campagne sans vergogne », rapporte Pinay à Auriol, en décembre. « Kœnig est plein de prétention. Il veut les Affaires étrangères. » Vincent Auriol, Journal du Septennat (1947-1954), Paris, A. Colin, t. VI, « 1952 », édité par D. Boché, 1978, p. 794.

18 Berstein, op. cit., p. 23.

19 Chariot, op. cit., p. 299.

20 Ils prennent à partir de ce moment-là le nom d’U.R.A.S., Union Républicaine d’Action Sociale. Rappelons que dès juillet 1952, l’exclusion des dissidents, qui avaient voté l’investiture du gouvernement Pinay, a provoqué la formation du Groupe d’Action Républicaine et Sociale ou A.R.S. Chapsal, op. cit., p. 215-217.

21 Terrenoire, op. cit., p. 281. Jacques Soustelle semblait régler, à cette occasion, quelques vieux comptes... Dans la course aux faveurs du Général, être le premier homme de confiance nécessitait parfois quelques sacrifices de compagnons.

22 En fait, le chef du R.P.F. n’a pas donné de directives précises, probablement prisonnier de la nécessité d’agir, même au sein du système, afin de résoudre au mieux les questions indochinoises et européennes...

23 Cf. infra n. 68.

24 Terrenoire, op. cit., p. 282-283.

25 Jean Planchais, « L’homme de Bir Hakeim », Le Monde, 4 novembre 1970. Pour un résumé commode de l’affaire de Bir Hakeim, cf. Claude Quétel (éd.), Kœnig, l’homme de Bir Hakeim, Caen, Mémorial pour la paix, 1992, p. 6-11.

26 Au sens ancien du terme, c’est-à-dire limitée à la seule armée de Terre.

27 André Martel (dir.), Histoire militaire de la France, t. IV, « De 1940 à nos jours », Paris, PUF, 1994, p. 120. « Il faudra bien un jour mettre en valeur ce qu’il a fait à Alger, comme chef d’état-major général adjoint en 1943 », note très justement Raymond Triboulet, qui souligne son action décisive « pour éviter la guerre des chefs, des cadres subalternes, et même des hommes entre les forces de la France libre et celles de l’Afrique du Nord ». In Quétel (éd.), op. cit., p. 13. Cf. aussi Gabriel-Robinet, op. cit., p. 126-127.

28 Planchais, op. cit.

29 « Commandant en chef des F.F.I., il prenait tous les contacts possibles avec les résistants libérés : son rôle fut décisif pour fusionner armée et résistance ». Triboulet, op. cit., p. 117-118. Cf. aussi Messmer, op. cit., p. 136.

30 Il faut néanmoins souligner que, pressenti fin 1950, puis à deux reprises en 1954, pour prendre le commandement en Indochine, il a toujours refusé, arguant de l’insuffisance des moyens mis à sa disposition. Cf. Georgette Elgey, Histoire de la Quatrième République, 1re partie : « La République des Illusions (1945-1951) », Paris, Fayard, 2e édition, 1993, p. 614 ; Triboulet, op. cit., p. 204-205 ; Elgey, Histoire de la Quatrième République, 2e partie : « La République des Contradictions (1951-1954) », Paris, Fayard, 2e édition, 1993, p. 627 ; Terrenoire, op. cit., p. 272. Voir, également n. 121.

31 Comme le note Planchais, Une histoire politique de l’armée, op. cit., p. 138, « la plupart n’ont pas manqué de faire connaître aussitôt à l’ancien président du gouvernement provisoire que leur fidélité lui demeure acquise ».

32 Lacouture, op. cit., p. 268 et 298 ; Elgey, Histoire de la Quatrième République, 1re partie, op. cit., p. 193.

33 « Le lendemain, seuls des civils, du moins par l’habit, assisteront au discours où de Gaulle annonce la création du R.P. F… ». Planchais, op. cit., p. 166-167.

34 « Ses déclarations sont nettes et claires et je peux dire loyales », note Auriol le 1er février 1947, après l’avoir félicité de la sagesse avec laquelle il exerce sa mission. Auriol, op. cit., t. I : « 1947 », édité par Pierre Nora, 1970, p. 26-28. Et le 12 avril 1948, il le décrit comme « un homme sage, de bon sens, pondéré, voyant bien les choses ». Auriol, op. cit., t. II : « 1948 », édité par Edmond Mouret et Jean-Pierre Azéma, 1974, p. 172.

35 « Il faut renouveler nos militaires, le cas Kœnig est décevant, et bien d’autres comme lui », constate Auriol à la mi-janvier 1951. « Il faut en parler à Jules Moch ; il faut lessiver, les répartir et les noyer dans la masse car ils sont dangereux ». Auriol, op. cit., t. V : « 1951 », édité par Laurent Theis, 1975, p. 28. Notons que Jules Moch ne partageait pas cet avis sur Kœnig qu’il conserva « en haute estime quoiqu’il le surnomme, comme ses collaborateurs, depuis son passage à la Défense nationale, le général « Gnaka », en raison de sa propension à régler les problèmes par la formule : « Il n’y a qu’à… ». Eric Mechoulan, Jules Moch et le socialisme (1893-1985), thèse de doctorat sous la direction du professeur Jean-Marie Mayeur, Université de Paris-IV-Sorbonne, 1996, p. 454.

36 Planchais, op. cit., p. 171 ; Elgey, op. cit., p. 414 ; Lefort, op. cit., p. 72.

37 « Kœnig vient de renvoyer Laffon de sa propre autorité (…). Cela est extrêmement dangereux, car Kœnig pourrait voir là une occasion possible d’un mouvement armé. Il est gaulliste à fond ». Auriol, op. cit., t. I : « 1947 », p. 541-542.

38 Cf. l’annecdote rapportée par Terrenoire, à la date du 5 août 1954, à l’époque où Kœnig s’apprête à démissionner de son poste de ministre de la Défense pour la première fois : « Songeant aux pensées secrètes de quelques-uns de nos compagnons, je le taquine en regrettant qu’il ne puisse demeurer en place, le temps nécessaire pour installer autour de Paris des bataillons de parachutistes. Sa protestation véhémente me confirme qu’il n’a nullement ce genre de vocation ». Terrenoire, op. cit., p. 285.

39 Planchais, op. cit., p. 167.

40 Cette période a été évoquée en détail par Henri Navarre (général), Le Temps des vérités, Paris, Plon, 1979, p. 195-213, qui fut son directeur de cabinet de juillet 1945 à mai 1948.

41 Triboulet, op. cit., p. 133-134, et Debré, op. cit., p. 67. Sur ses difficultés récurrentes avec l’administrateur civil, on se reportera à Bénédicte Grange, Émile Laffon et la zone d’occupation française en Allemagne (1945-1947), mémoire de maîtrise sous la direction des professeurs René Girault et Gérard Bossuat, Université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, 1993, 174 p.

42 Le qualificatif est de Kœnig lui-même. Navarre, op. cit., p. 198. Contrairement aux affirmations de Paul-Marie de La Gorce (La République et son armée, Paris, Fayard, 1963, p. 429-430), selon qui « bientôt, l’armée dans son ensemble, même dans ses éléments les moins gaullistes, ne chercha plus à remettre en cause l’autorité conférée à des officiers F.F.L. comme Leclerc, Larminat, Kœnig ou, dans l’aviation, le général Valin », la carrière de ces derniers fut sujette à de nombreuses embûches après la guerre, dont témoignèrent leurs séjours prolongés dans des « placards », mêmes dorés...

43 Cf. par exemple Auriol, op. cit., t. V : « 1951 », p. 26 et 195.

44 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1949, 21 mars 1950, Public Record Office (désormais P.R.O.), Foreign Office (désormais F.O.) 371/89 246.

45 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1950, mars 1951, P.R.O., F.O. 371/96 073.

46 Lettre du général Kœnig au Secrétaire d’État aux Forces armées « Guerre », 24 février 1951, Service historique de l’armée de l’Air (désormais S.H.A.A.), papiers Léchères, E 1564. Cf. aussi la réflexion désabusée qu’aurait faite le général à l’un de ses proches collaborateurs : « On n’a rien à faire qu’à rédiger d’interminables et fastidieux rapports qui ne seront jamais lus ! ». Gabriel-Robinet, op. cit., p. 229-230.

47 Ibid., p. 230.

48 Ibid., p. 235.

49 Témoignage de Raymond Triboulet rapporté par Gabriel-Robinet, op. cit., p. 260.

50 Ibid., p. 247 et 231. Une conviction certainement renforcée par ses fréquentes visites à Colombey… Ibid., p. 232.

51 « La décision fut prise (m’a rapporté le colonel Balarin qui avait accompagné de Gaulle et Kœnig à Versailles) à la suite d’un long entretien dont le seul témoin fut, dans la cour d’honneur du château, la statue de Louis XIV ! Les deux hommes en firent longuement le tour et lorsque le dialogue se fût achevé, le colonel Balarin demanda : Alors ? – Ce sera “oui”. Le général de Gaulle a insisté. Je l’ai suivi en 1940. Je le suivrai encore ». Ibid., p. 235. Cf. aussi le témoignage supra de Raymond Triboulet, ibid., p. 260.

52 Lettre du général Kœnig au général de Gaulle, 30 octobre 1958, S.H.A.T., 1 K 237/7.

53 Le cas des législatives de juin 1951 est particulièrement intéressant de ce point de vue... Cf. Lefort, op. cit., p. 149, et surtout infra la communication d’Éric Duhamel, « De l’épée à la toge. Les officiers au Palais Bourbon de 1945 à 1962 ».

54 Six officiers généraux sur douze et douze officiers sur trente-huit. Cf. infra Bernard Lachaise, « Les militaires et le gaullisme au temps du Rassemblement du Peuple Français ».

55 Gabriel-Robinet, op. cit., p. 235, et André Zeller (général), Dialogues avec un général, Paris, Presses de la Cité, 1974, p. 24.

56 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1951, mars 1952, P.R.O., F.O. 371/101 766.

57 Gabriel-Robinet, op. cit., p. 236 et suiv. La suite de ses déclarations est peut-être encore plus explicite : « Ce qui m’a décidé, je le répète, c’est le souvenir de tous ceux que j’ai vus, il y a douze ans, défendre le sol de la patrie avec des armes lamentablement insuffisantes. On a reproché par la suite, avec raison, à bien des chefs d’être restés en place avant 1939 et d’avoir ainsi couvert de leur autorité l’état d’impréparation qui devait nous conduire au désastre. Si, par malheur, survenait le pire, je ne voudrais pas que l’on pût m’adresser un jour, semblable reproche ». Ibid., p. 237. Une analyse à l’unisson de celles développées à l’époque par le « secrétariat permanent de la Défense nationale » du R.P.F. Cf. Claude d’Abzac-Épezy, « Le R.P.F. et les questions de défense », in De Gaulle et le Rassemblement du Peuple Français (1947-1955), actes du colloque organisé par la Fondation Charles de Gaulle et l’Université Michel-de-Montaigne-Bordeaux-III, 13-15 novembre 1997, à paraître chez Armand Colin en 1998.

58 « L’Alsace ne veut à aucun prix être considérée comme un glacis et c’est pourquoi, une fois élu, je ferai tout ce qui se trouve en mon pouvoir pour que la défense du pays soit reportée le plus loin possible vers l’est, le plus loin possible du Rhin français ». Gabriel-Robinet, op. cit., p. 237.

59 Claude d’Abzac-Épezy, op. cit.

60 Ibid.

61 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1952, mai 1953, P.R.O., F.O. 371/107 465.

62 Terrenoire, op. cit., p. 283.

63 Cf. supra, n. 12.

64 Gabriel-Robinet, op. cit., p. 250.

65 « Las d’avoir, comme il l’a confié à l’un de ses amis auquel il demandait conseil pour « sauter le pas », constamment « prêché dans le désert », il estima que s’il devenait ministre de la Défense nationale et des forces armées, il pourrait se faire écouter, et surtout agir ». Gabriel-Robinet, op. cit., p. 248.

66 Cf. n. 121 et n. 225.

67 Terrenoire, op. cit., p. 282.

68 « Ni directement, ni par personne interposée, je ne prends aucune part à aucune de ces combinaisons du système sans tête, sans âme, sans grandeur (...) qui (...) gaspille les chances de la France et les hommes qui pourraient la servir ». Déclaration du 22 juin 1954, Charlot, op. cit., p. 310.

69 « Je lui fis observer que pour moi ce n’était pas un problème », rapporte Triboulet. « Le Général nous avait désavoués depuis un an. Nous étions devenus totalement responsables de l’opposition parlementaire gaulliste, encore fallait-il exercer ces responsabilités en toute clarté ». Triboulet, op. cit., p. 208.

70 Cf. le témoignage de Palewski qui évoquera, plus tard, un « Pierre Mendès France dont le style nous plaisait et qui nous semblait, à juste titre, doué de cette qualité essentielle de l’homme d’Etat qui consistait à aller droit aux difficultés au lieu d’essayer de les contourner ou de les ignorer ». Gaston Palewski, Mémoires d’action (1924-1974), éditées par Éric Roussel, Paris, Plon, 1988, p. 261.

71 Parmi ces députés gaullistes, signalons : Diomède Catroux, le général Corniglion-Molinier (qui sera ministre d’État dans le gouvernement Laniel…), Christian Fouchet, Léon Noël, Gaston Palewski. Journal Officiel de la République française (désormais J.O.R.F.), Assemblée nationale, 4 juin 1953. Cf. Frédéric Turpin, Le gaullisme et l’Indochine, 1940- 1956, thèse de doctorat en cours sous la direction du professeur Georges-Henri Soutou, Université de Paris-IV-Sorbonne.

72 On relèvera l’ambiguïté révélatrice de la condamnation d’un Debré, op. cit., p. 264, pour qui les projets de Mendès « paraissent réaliser, sans le principal, une part de nos rêves rénovateurs ». Cf. aussi Lefort, op. cit., p. 247. En fait, la division des gaullistes quant à l’expérience Mendès France constitue une occasion de plus de souligner le manque de cohésion des républicains sociaux. Ils s’étaient d’ailleurs déjà divisés sous le gouvernement Laniel en « participationnistes » et « anti-participationnistes » à l’occasion des votes de confiance sur l’Indochine (J.O.R.F., 13 mai, 9 et 12 juin 1954). Cf. Turpin, op. cit.

73 Triboulet, op. cit., p. 209, et Debré, op. cit., p. 216-217.

74 Les deux missi dominici ne sont parvenus qu’à dresser la liste de leurs désaccords : « Le volumineux document préparé par eux se bornait à faire le catalogue, article par article, des arguments pour et contre ». L’année politique 1954, Paris, PUF, 1955, p. 66 et p. 416.

75 Triboulet, ibid. et Massigli, op. cit., p. 441-442.

76 Notons que les autres ministres républicains sociaux ne démissionnent pas, à l’instar de Christian Fouchet, ministre chargé des Affaires marocaines et tunisiennes.

77 Triboulet, op. cit., p. 210.

78 Selon la formule de Terrenoire, op. cit., p. 285.

79 Ibid., p. 283.

80 Gabriel-Robinet, op. cit., p. 248.

81 Ibid.

82 Charles-André Julien, Le Maroc face aux impérialismes, 1415-1956, Paris, Éditions Jeune Afrique, 1978, p. 389. Lefort, op. cit., p. 288-289.

83 Ibid., p. 291.

84 Assemblée nationale, Conseil de la République, Assemblée de l’Union française. Triboulet, op. cil, p. 218.

85 Elgey, Histoire de la Quatrième République, 2e partie, op. cit., p. 480.

86 Envisagée dès 1951, au moment du départ de Juin (Gabriel-Robinet, op. cit., p. 231), sa candidature fut à nouveau avancée début 1954 (Ibid., et surtout Auriol, op. cit., t. VII : « 1953-1954 », édité par Jacques Ozouf, 1971, p. 579, ou Claude Paillat, Vingt ans qui déchirèrent la France, t. II, « La Liquidation, 1954-1962 », Paris, R. Laffont, 1972, p. 101).
Désireux de retrouver de vraies responsabilités, Kœnig n’avait pas caché son intérêt pour la Résidence, mais s’il faut en croire son biographe, à « chaque fois les intrigues de ses pairs firent échouer ces projets » (Gabriel-Robinet, ibid.). Julien, op. cit., p. 359, évoque, lui, « la hargne de ses amis politiques » qui, en 1954, « exaspéra Laniel, d’abord favorable ».

87 Claude Paillat, Vingt ans qui déchirèrent la France, t. I, « Le Guépier, 1945-1954 », Paris, R. Laffont, 1970, p. 367-368.

88 Le président du conseil n’hésitera pas à parler de son « auctoritas » (Edgar Faure, Mémoires, t. II, « Si tel doit être mon destin ce soir... », Paris, Plon, 1984, p. 180-181, mais aussi p. 260 et 295-296).

89 On retiendra la mise en cause particulièrement virulente de Julien, op. cit., p. 392 : « Le général Pierre Kœnig, dont le génie propre s’élevait avec peine au-dessus des traditions coloniales les plus éculées, mais qui était assidûment ravitaillé en formules et en intrigues par le plus intime et le plus astucieux de ses collaborateurs, le général Lecomte, virtuose de l’opposition ». Un jugement que Julien étaye du témoignage de Grandval évoquant « l’ascendant » que Lecomte exerce sur le ministre, « dont il est à la fois le bras et le cerveau ». Une analyse partagée par Planchais et La Gorce (cf. n. 219 et 220). Voir aussi Julien, op. cit., p. 424, 426, 438 et 446, ou Faure, op. cit., p. 488 et 508 pour des exemples précis.

90 Faure, op. cit., p. 267-268.

91 Ibid., p. 289.

92 Ibid., p. 368 ; Paillat, t. II, op. cit., p. 227 ; Julien, op. cit., p. 426 et 436.

93 Faure, op. cit., p. 389, et Paillat, op. cit., p. 221.

94 Paillat, op. cit., p. 222 ; L’année politique 1955, Paris, PUF, 1956, p. 66 et p. 259-260.

95 Faure, op. cit., p. 392-399 ; Paillat, op. cit., p. 224, et L’année politique 1955, op. cit., p. 259.

96 Faure, op. cit., p. 439, et Paillat, op. cit., p. 243.

97 En particulier lors du conseil des ministres qui se tient les 12 et 13 septembre. Cf. Faure, op. cit., p. 459-460.

98 L’année politique 1955, op. cit., p. 268 et p. 272 ; Julien, op. cit., p. 443.

99 Julien, op. cit., p. 449 ; Paillat, op. cit., p. 254. En témoigne le voyage au Maroc, courant septembre, du député Pierre Montel, opposant déclaré à la politique du gouvernement. Porteur d’un ordre de mission signé Kœnig, il gagne Rabat sans avoir été mandaté par la commission de la Défense nationale, qu’il préside. Venu officiellement inspecter le dispositif des troupes, « il multiplie les visites auprès de tous ceux qui entendent s’opposer aux décisions prises par Paris ». Il faudra l’intervention directe de la présidence du Conseil pour qu’il interrompe sa « mission » et regagne la métropole... L’année politique 1955, op. cit., p. 70. Cf. aussi Julien, op. cit., p. 444.

100 Les souvenirs d’Edgar Faure, op. cit., p. 517-521 et de Raymond Triboulet, op. cit., p. 248-251, sont quelque peu contradictoires... De tout manière, le divorce était d’autant plus inéluctable que le général était désormais moins ministre que porte-parole de certains cercles militaires. Ainsi que le constatera dans ses mémoires son successeur, avec les affaires d’Indochine et d’Afrique du Nord, « les cadres supérieurs de l’armée s’agitent, et (...) leur ministre, navré, partage leurs inquiétudes ». Un état de fait qui, comme le lui confiera Edgar Faure, va conduire celui-ci à se séparer de Kœnig, « trop troublé par ses constatations sur l’état d’esprit des militaires pour prendre avec la détermination voulue les mesures qui s’imposent au gouvernement ». Pierre Billotte, Le passé au futur, Paris, Stock, 1979, p. 138.

101 « Les directives venues de Colombey sont souvent contradictoires, sur la décolonisation en particulier, quand Grandval est soutenu tandis qu’on encourage Kœnig ». Jean-Pierre Rioux, La France de la Quatrième République, t. II, « L’expansion et l’impuissance (1952- 1958) », Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 1983, p. 89.

102 La formule est de Raymond Triboulet in Le Monde, 4 septembre 1970.

103 Cité par Edgar Faure, op. cit., p. 540.

104 Les pages consacrées par Charles-André Julien, op. cit., p. 423-454, à cette ultime crise de l’été 1955 sont riches en exemples précis...

105 Brigadier Jackson, Annual Report on The French Army for 1955, mars 1956, P.R.O., F.O. 371/124 465.

106 Cf. notre communication supra.

107 « Dans un article publié dans Le Monde, le 19 janvier 1951, un général anonyme énumère “l’armée Juin”, “l’armée de Lattre”, “l’armée Giraud”, “les F.F.L.”, “les F.F.I.”, “l’O.R.A.”, “l’armée Kœnig”, “l’armée Leclerc”… ». Planchais, op. cit., p. 238-239.

108 Le futur vaincu de Diên Biên Phu était alors en charge du 3e bureau du général Catroux, commandant de la Région de Marrakech. Par un extraordinaire chassé-croisé de l’histoire, les trois hommes se retouveront une vingtaine d’années plus tard, lorsque Catroux recevra début 1955 la présidence de la commission d’enquête sur Diên Biên Phu, dont les membres seront nommés alors que Kœnig venait de retrouver le ministère de la Défense !! Navarre, op. cit., p. 25-26 et p. 406. Sur les relations Kœnig/Navarre après le Maroc, cf. également les n. 40 et 149.

109 Mais non le plus ancien, ainsi que l’affirme Gabriel-Robinet, op. cit., p. 231, Juin et de Lattre l’ayant précédé...

110 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1950, op. cit. Ce statut ambigu est confirmé lorsque Macnab souligne, dans le même rapport, que « comparé à l’Entre-Deux-Guerres, il y n’y a que trois officiers qui soient vraiment connus et respectés, les généraux Juin, de Lattre et Kœnig ; le prestige des trois est élevé, mais seul le professionnalisme des deux premiers est comparable à celui des grands chefs militaires du passé ».

111 Bien qu’entré en « corniche » en 1916, Kœnig n’ajamais intégré Saint-Cyr. Craignant en effet que « la guerre finisse sans lui », il rejoint l’École d’aspirants d’Issoudun et monte au front dès avril 1917. S’il est dès le départ officier, il n’est pas entré dans ce corps par la grande porte, à la différence d’un autre capitaine de 1940, le futur général Leclerc. Après avoir servi en Allemagne avec les chasseurs alpins, au début des années vingt, il se retrouve au Maroc en 1931, affecté dans une unité de la Légion. Il y passera l’ensemble de la décennie, et y deviendra un représentant typique de l’armée d’Afrique.
Officier de carrière, ayant servi dans des unités réputées, sur des théâtres d’opération intéressants, Kœnig n’en restait pas moins fort éloigné des sommets de la hiérarchie : sous-lieutenant en 1919, il était seulement capitaine vingt ans plus tard. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, il paraissait donc totalement exclu qu’il devienne un jour général... Cf. Quétel (éd.), op. cit., p. 4, et surtout Gabriel-Robinet, op. cit.

112 A rapprocher de l’analyse qu’il faisait du jugement de De Lattre à son égard : « Pour lui », disait Kœnig en riant, « je suis une sorte de général F.F.I. ». Navarre, op. cit., p. 198.

113 Brigadier Macnab, Annual Report on The French Army for 1949, op. cit.

114 Gabriel-Robinet, op. cit., p. 21.

115 Ibid., et p. 224.

116 Preuve s’il était besoin de la représentativité de cet épisode, cette allusion transparente de son biographe : « Dans ses fonctions de vice-président du conseil supérieur de la Guerre, Kœnig se heurta à la malveillance de certains généraux qui avaient repris leur morgue de militaires chargés de diplômes, brevetés sur toutes les coutures face à lui, praticien exceptionnel mais sorti du rang ». Gabriel-Robinet, op. cit., p. 231.

117 Lettre du général Kœnig au secrétaire d’État aux Forces armées « Guerre », 24 février 1951, op. cit.

118 Lettre du général Blanc au secrétaire d’État aux Forces armées « Guerre », 2 mars 1951, S.H.A.A., E 1564.

119 On notera que son destin ministériel donnera l’occasion à Kœnig de laver l’affront, puisqu’il obtiendra le remplacement de Blanc par Zeller en juin 1955, à la suite d’une nouvelle dispute où les Britanniques estimeront qu’il était entièrement dans son tort. Brigadier Jackson, op. cit.

120 Cf. Philippe Vial, « Le militaire et le politique : le maréchal Juin et le général Ély face à la C.E.D. » in L’échec de la C.E.D., leçons pour demain ?, Michel Dumoulin (dir.), Berne, Peter Lang, à paraître en 1999. Cette étude a également été publiée dans le Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, 1-2 (1996), p. 51-76.

121 Triboulet, op. cit., p. 208. Comme le rappellera Ély, qui finalement se dévoua, les noms de Juin et Kœnig furent les seuls évoqués initialement lorsqu’il fallut envoyer en Indochine un chef militaire au charisme incontesté. Cf. Paul Ély (général), Mémoires, t. I : « L’Indochine dans la tourmente », Paris, Plon, 1964, p. 150.

122 Non sans que sa lucidité habituelle n’ait percé les ambiguïtés du personnage : « Sorti du rang, porté au sommet de la hiérarchie militaire, puis au gouvernement grâce sans doute, à ses qualités mais aussi à la faveur des circonstances, mon ministre entretenait un complexe vis-à-vis des chefs historiques de l’armée ». Faure, op. cit., p. 457. Son peu de goût pour les affaires militaires – attesté par Zeller, op. cit., p. 16 – ressort clairement de la lecture de ses mémoires.

123 Ce que confirme Edgar Faure lorsqu’il écrit : « Le général Kœnig, s’il était appelé à me décevoir, apportait au gouvernement le prestige d’un nom symboliquement associé à l’époppée de la France libre ». Faure, op. cit., p. 106.

124 On notera néanmoins qu’elles ont toutes deux en commun de n’apparaître pratiquement pas dans les archives conservées au S.H.A.T. L’analyse de ses papiers privés (fond 1 K 237) s’est révélée à cet égard particulièrement décevante : sa participation à l’équipe Mendès France est représentée par quelques documents dans le carton n° 7, mais rien au sujet de l’époque Edgar Faure. Quant aux archives du cabinet du ministre (sous-série 1 R), elles ne semblent contenir aucun dépôt spécifique relatif à l’activité personnelle du général et de son entourage. Cf. Jean Nicot et Thierry Sarmant, Inventaire de la série R. Cabinet du ministre de la Défense et organismes rattachés (1945-1969), Vincennes, S.H.A.T., 1997, p. 1-174.

125 « Il apparaît vite que toute conciliation est impossible », note Michel Debré, op. cit., p. 217, tandis que selon Robert Buron, c’est « dès la fin juillet (que) la confrontation tourna au drame lors des conseils des ministres successifs » (Robert Buron, Les dernières années de la Quatrième République. Carnets politiques, Paris, Plon, 1968, p. 121).
Pour le détail de l’entreprise, cf. également Terrenoire, op. cit., p. 285 ; Lefort. op. cit., p. 256-258 ; Pierre Rouanet, Mendès France au pouvoir, 1954-1955, Paris, Robert Laffont, 1965, p. 245-246 ; Georgette Elgey, Histoire de la Quatrième République, 3e partie : « La République des Tourmentes (1954-1959) », t. I, Paris, Fayard, 1992, p. 205. On consultera également avec profit Pierre Mendès-France, Œuvres complètes, t. III, Paris, Gallimard, 1986, p. 79, 102, 198, 227 et 260.

126 Hervé Alphand, L’étonnement d’être. Journal (1939-1973), Paris, Fayard, 1977, p. 255-256. L’ambassadeur, après avoir été – aux côtés de Jean Monnet – l’un des instigateurs du plan Pleven d’armée européenne, avait reçu la présidence de la conférence qui, à partir de février 1951, négocia à Paris l’élaboration du traité de C.E.D. signé en mai 1952. Cf. Philippe Vial, « Jean Monnet, un père pour la C.E.D.? », in Europe brisée, Europe retrouvée : nouvelles réflexions sur l’unité de l’Europe au xxe siècle, sous la direction de René Girault et Gérard Bossuat, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, p. 197-262.

127 Elgey, op. cit., p. 205. Évoquant bien des années après les textes de compromis finalement retenus par Mendès, Michel Debré les exécutera en deux phrases : « L’inspiration des protocoles était bonne. Elle ne pouvait suffire à enlever la nocivité du traité » (Debré, op. cit., p. 220).

128 Il faut néanmoins souligner, avec Pierre Rouanet, op. cit., p. 252-253, que « tous les « républicains sociaux » du gouvernement ne se dirigent pas vers la sortie derrière leur chef de file. Deux secrétaires d’État restent à leur poste : Henri Ulver, au Budget, et Diomède Catroux, à l’armée de l’Air, sans parler de Christian Fouchet aux Affaires marocaines et tunisiennes ». La démission collective n’a donc concerné que... trois gaullistes sur six !

129 Lefort, op. cit., p. 266-268.

130 « Fidèle à lui-même, Kœnig n’avait pas fait une fausse sortie », relève Terrenoire, op. cit., p. 292.

131 C’est en tout cas ce que laisse pressentir le courrier que lui envoie le président du conseil le 4 septembre... Mendès France, op. cit., p. 301-302.

132 « Durant son bref passage rue Saint-Dominique, il ne semble pas avoir fait grand chose, à l’exception de l’une des plus longues liste de nomminations et de promotions que l’on ait observées ces dernières années ». Brigadier Jackson, op. cit. Dans la même tonalité, on relèvera les propos de l’ambassadeur en personne... Sir Gladwyn Jebb to the right honourable Anthony Eden, January 31, 1955, P.R.O., F.O. 371/118 136.

133 Terrenoire, op. cit., p. 283.

134 Ibid.

135 « Cette liste a permis d’extraire d’Allemagne beaucoup d’officiers qui y vivaient confortablement depuis de nombreuses années. Le général Kœnig avait toujours affirmé qu’il ferait cela pour que se diffuse partout, en France et en Afrique du Nord, l’expérience pratique acquise outre-Rhin par ces officiers ». Brigadier Jackson, op. cit. Cf. également Sir Gladwyn Jebb to the Right Honourable Harold Macmillan, September 5, 1955, F.O. 371/118 135.

136 Ibid.

137 Elgey, op. cit., p. 122. Cf. aussi Christian Fouchet, Mémoires d’hier et de demain, t. I, « Au service du général de Gaulle », Paris, Plon, 1971, p. 118.

138 Cette initiative spectaculaire doit en effet être accompagnée d’un renforcement important du dispositif militaire. Rouanet, op. cit., p. 193-194.

139 Ibid., p. 195-198. Buron, op. cit., p. 121, va jusqu’à estimer que sa démission ne fut rattrappée « que de justesse ».

140 Elgey, op. cit., p. 154-155. On relèvera que Christian Fouchet donne une version diamétralement opposée de l’épisode. Selon lui, les ministres gaullistes se seraient retirés en compagnie de Mendès France et, le menaçant de leur démission collective, auraient obtenu le remplacement du texte du président du conseil par le leur... Fouchet, op. cit., p. 118-119.

141 Cf. les récits qu’en font Buron, op. cit., p. 127-128 et Rouanet, op. cit., p. 192-198. Mendès poussa loin le souci du détail : inquiet des réactions de son ministre de la Défense, le chef de l’exécutif demanda à Edgar Faure de le « prendre en charge aussitôt après leur conversation ». Une mission accomplie sans défaillir : « J’emmenai le vainqueur de Bir Hakeim dîner au ministère des Finances et je parvins à le détendre ». Faure, Mémoires, t. I, « Avoir toujours raison... c’est un grand tort », Paris, Plon, 1982, p. 596.

142 On sait que Mendès avait annoncé qu’en cas d’échec de la Conférence de Genève, il n’hésiterait pas à demander l’envoi du contingent. Une mesure préconisée publiquement par Kœnig dès juin 1951, au cours d’une interview retentissante à la National Zeitung (Gabriel-Robinet, op. cit., p. 237-238). A l’unisson des gaullistes et de leur chef, il réclamait donc depuis longtemps un véritable coup de rein militaire en Indochine afin d’en terminer avec cette guerre (voir en particulier Carrefour, 19 mai 1954). Cf. Rouanet, op. cit., p. 88, et surtout Turpin, op. cit.

143 « Installant Kœnig comme ministre de la Défense nationale, le nouveau Président lui prescrit de faire préparer un projet de loi suspendant l’interdiction faite au gouvernement d’envoyer les soldats du contingent en Indochine, si par malheur cela devenait indispensable. Il demande en outre à Kœnig d’ordonner que toutes mesures et tous déplacements nécessaires soient d’ores et déjà opérés afin que la loi puisse entrer en pratique le jour même de son adoption ». Rouanet, op. cit., p. 83. En fait Mendès France ne faisait que confirmer les mesures prises par son prédécesseur au cours du conseil des ministres du 28 mai, à savoir la mise sur pied de trois divisions de marche (Turpin, op. cit.). Le cessez-le-feu mit un terme à cette préparation. Ely, op. cit., p. 176-177, et Antoine Daveau, « Le poids de la guerre d’Indochine » in Revue d’histoire diplomatique, 4 (1993), p. 333-357.

144 Ce n’est que le 20 janvier 1955 que Mendès cèdera officiellement le poste à Edgar Faure.

145 Chantebout, op. cit., p. 123-124. Cf. aussi Igor Busschaert, « Les questions militaires et stratégiques dans la pensée et dans l’action de Pierre Mendès France », in La politique extérieure de Pierre Mendès France, sous la direction de René Girault et Gérard Bossuat, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1992, p. 155.

146 Chantebout, ibid.

147 Ibid.

148 Notons toutefois que le projet de loi relatif à l’envoi du contingent en Indochine retenu par Pierre Mendès France n’était autre que la formule avancée par Kœnig. Institut Pierre Mendès France, fonds Indochine, carton n° 4, note manuscrite. Turpin, op. cit.

149 « 1. Budget ; 2. C.E.D. ; 3. Officiers généraux ; 4. Tunisie ». Note manuscrite, sans date, mais indéniablement de l’été 1954. S.H.A.T., 1 K 237/7. On relèvera que l’une de ses contributions indirectes au dossier indochinois sera de gérer le cas de Navarre, son ancien directeur de cabinet en Allemagne, pour examiner le problème de son avenir après Diên Biên Phu, ultime étape d’une amitié qui avait débuté au Maroc dans les années trente, quand les deux hommes n’étaient que capitaines et Kœnig l’adjoint de Navarre... Cf. n. 108 et Navarre, op. cit., p. 398-401 et 406.

150 Busschaert, op. cit., p. 155. Cf. aussi Jean Delmas (général) et Bernard Masson, « Le gouvernement Mendès France et la Défense nationale », Pierre Mendès France et le mendésisme. L’expérience gouvernementale (1954-1955) et sa postérité, sous la direction de François Bédarida et Jean-Pierre Rioux, Paris, Fayard, 1985, p. 297-299.

151 Busschaert, op. cit., p. 155.

152 « Le premier passage du général Kœnig rue Saint-Dominique fut, de notoriété publique, un échec complet en ce qui concerne l’intérêt des services, de quelque point que l’on se place ». Brigadier Jackson, op. cit.

153 Ibid.

154 Contrairement à ce qu’en retient son biographe ! Gabriel-Robinet, op. cit., p. 249.

155 Cf. le tableau qu’en fait le général Zeller, op. cit., p. 20-21.

156 Seul demeure – en la personne de Jean Crouzier – un secrétaire d’État à l’Armement, les armées ne conservant que des délégués ministériels, Robert Cousin pour la Marine et Roger Gromand pour l’armée de l’Air. Benoît Yvert (dir.), Dictionnaire des ministres de 1789 à 1989, Paris, Perrin, 1990, p. 346 et p. 779 ; Patrick Façon, « Le général Bailly, chef d’état-major général de l’armée de l’Air ou l’impossible équilibre », Revue historique des Armées (désormais R.H.A.) 3 (1993), p. 53 ; Marine nationale, Annuaire de la Marine (active) 1962, Paris, Imprimerie nationale, p. 23.
Supprimés une première fois par le général de Gaulle en novembre 1945, les ministres d’armée avaient été ressucités par Ramadier en janvier 1947. Après une nouvelle et brève disparition en octobre, ils furent rétablis sous forme de secrétaires d’État le mois suivant. Il fallut attendre le remplacement d’Emmanuel Temple à la fin janvier 1955 pour assister à nouveau à leur suppression temporaire. Elle devait durer un an, jusqu’à leur ultime restauration par le gouvernement Guy Mollet, en janvier 1956. Chantebout, op. cit., p. 450-457, et Yvert (dir.), op. cit., p. 742-753, en particulier pour les gouvernements Pierre Mendès France et Edgar Faure.

157 Faure, op. cit., t. IL, p. 82-83.

158 Cf. les propos tenus le 30 juin à l’ambassadeur britannique et à son attaché militaire par le secrétaire général de la Défense nationale, Geoffroy de Courcel. Sir Gladwyn Jebb to the Right Honourable Harold Macmillan, July 6, 1955, P.R.O., F.O. 371/118 135.

159 Delmas et Masson, op. cit., p. 304.

160 La réforme du 20 janvier prévoyait un ministre de la Défense nationale distinct de celui des Forces armées ; Jacques Chevallier et Pierre Bourgès-Maunoury avaient brièvement occupé ces deux postes jusqu’au 23 février 1955. Cf. Chantebout, op. cit., p. 124, ainsi que Delmas et Masson, op. cit., p. 304-308.

161 Palewski, op. cit., p. 262. Les mémoires de l’ancien ministre sont singulièrement décevantes quant à sa participation au gouvernement Edgar Faure. Faut-il y voir une conséquence de leur caractère inachevé, la maladie ayant interrompu leur rédaction ?

162 Chantebout, op. cit., p. 124. Gaston Palewski reçoit en effet la responsabilité de la coordination de la Défense nationale, de la recherche scientifique et des affaires sahariennes. Certains ont voulu voir dans ce partage une question de « dosage politique », Palewski devant être ministre pour que son parti soit convenablement représenté au sein du cabinet. Mais Bernard Chantebout récuse cette interprétation de manière assez convaincante...

163 Estimant insuffisants les moyens consacrés à cette entreprise, il avait demandé que le budget de la Défense bénéficie d’une rallonge de 105 à 120 milliards de francs (par rapport à une enveloppe initiale d’environ 1 100 milliards). Cf. Dominique Mongin. La genèse de l’armement nucléaire français, 1945-1958, thèse de doctorat sous la direction du professeur Maurice Vaïsse, Université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, 1991, p. 323.

164 Mongin, op. cit., p. 295.

165 Commissariat à l’Énergie Atomique.

166 Ibid., p. 377, 390 et 399.

167 On notera d’ailleurs que son compagnon-ministre évoque à peine son rôle... Palewski, op. cit., p. 263-264 et surtout p. 280.

168 Mongin, op. cit., p. 393.

169 Planchais, op. cit., p. 288.

170 Mongin, op. cit., p. 430.

171 Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.

172 Les deux protagonistes n’ont malheureusement laissé aucun témoignage direct sur ce dossier, que l’on examine les papiers Kœnig ou les mémoires de Palewski. Les archives de ce dernier, déposées aux Archives nationales, ne sont pas consultables pour l’instant.

173 Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.

174 Cf. Chantebout, op. cit., n. 44, p. 125. On relèvera que par ailleurs la commission de la Défense de l’Assemblée nationale avait élaboré son propre projet ! Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.

175 Planchais, op. cit., p. 287.

176 Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.

177 Cf. n. 156.

178 Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.

179 L’Air, n° 699, mai 1955, p. 9. Cité par Façon, op. cit., p. 53. Cf. également l’analyse de l’attaché de l’Air britannique à Paris, fin 1955 : « La principale faiblesse de l’actuelle organisation de la Défense aux yeux des aviateurs est d’être toujours assujettie à la domination de l’armée de Terre. (...) Tous les postes d’importance sont attribués à ses représentants ». Air Commodore Lockett, Annual Report on The French Air Force for 1955, 31 décembre 1955, P.R.O., F.O. 371/124 468.

180 Captain Lambert, Annual Report on The French Navy for 1955, 21 décembre 1955, P.R.O., F.O. 371/124 467.

181 Air Commodore Lockett, op. cit.

182 Zeller, op. cit., p. 34.

183 La charge de ministre de la Défense apparait seulement en 1932 dans le cabinet Tardieu (20 février-3 juin), qui confie ce poste à Flandin. Elle se systématise dans la seconde moitié de la décennie, son titulaire étant d’ordinaire également ministre de la Guerre, voire président du conseil. Durant cette période de transition, les départements de la Marine et de l’Air conservent des responsables ministériels de plein droit. L’expérience Weygand (16 juin- 6 septembre 1940) constitue de ce point de vue une rupture, puisqu’il est non seulement le premier militaire à recevoir le titre, mais qu’il a désormais sous ses ordres, pour chaque armée, un secrétaire d’État subordonné. Un schéma repris par Darlan (11 août 1941-17 avril 1942), et amélioré par de Gaulle (21 novembre 1945-26 janvier 1946) qui – contrairement à ce qui avait prévalu en 1943-1945 – n’a plus qu’un ministre unique dit « des Armées » pour l’épauler. On remarquera que des trois, Weygand fut le seul à ne pas cumuler cette fonction avec celle de chef de gouvernement. Yvert (dir.), op. cit., p. 346, p. 653-658 et p. 743. Cf. également n. 156.

184 Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.

185 Brigadier Jackson, op. cit.

186 Si l’armée de l’Air a, elle aussi, été immédiatement prise en tenailles entre ses obligations européennes et les nouvelle exigences de la situation en Algérie (cf. par exemple, Façon, op. cit., p. 53-57), la Marine n’a été touchée qu’à partir de la fin 1955 et surtout de manière indirecte, par le biais de restrictions budgétaires. A partir de 1956, elles frapperont de plus en plus durement le budget des constructions et fabrications neuves... Philippe Quérel, Vers une marine atomique. La marine française (1945-1958), Bruxelles/Paris, Bruylant/L.G.D.J., 1997, p. 326-334.

187 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, 1955, op. cit. A titre d’exemple, on relèvera que dans le cas de la Marine, les aides en matériel qui avaient atteint un montant de 16 milliards de francs en 1954, après avoir été d’environ 10 milliards par an en 1951-1953, tombent à 100 millions en 1955 ! De manière moins spectaculaire, les aides financières diminuent néanmoins de presque 50 % (elles passent de 7,5 milliards en 1954 à 4 l’année suivante). Cf. Philippe Vial, « De la nécessité de l’aide, des inconvénients de la dépendance : le réarmement de la Marine sous la Quatrième République », in La Quatrième République face aux problèmes d’armement, sous la direction de Maurice Vaïsse, Paris, A.D.D.I.M., à paraître en 1998.

188 Elles remonteront à 28,6 % des dépenses et 7,4 % du P.N.B. en 1956… Ministère des Armées, Le coût de l’armée et les moyens mis à sa disposition (1954-1958), décembre 1958, p. 6-8. Le cas de l’armée de l’Air illustre parfaitement cette inflexion commune à l’ensemble des forces armées. Cf. Façon, op. cit., p. 55.

189 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, 1955, op. cit.

190 D’autant que le général a été victime du calendrier, et a de ce fait engagé la négociation budgétaire dans de mauvaises conditions. « Le débat public sur la structure de l’organisation de la Défense nationale a eu comme conséquence, ainsi que l’on pouvait s’y attendre, de rendre les parlementaires réticents à adopter le budget militaire pour l’année en cours », relève Gladwyn Jebb, et c’est seulement en juillet, que le ministre a fini par présenter son budget. « Il a donc été décidé que celui-ci couvrirait à la fois 1955 et 1956, et comprendrait des dépenses d’équipement qui iraient jusqu’en 1957, voire 1958 ». C’est l’une des rares avancées d’un budget, constate l’ambassadeur britannique, dont même Kœnig reconnait qu’il n’y a « pas grand chose de bon à en dire ». Ibid.

191 Pierre Montagnon, La guerre d’Algérie, Paris, Pygmalion/Gérard Watelet, 1984, p. 132. Cf. aussi Jean Planchais, L’empire embrasé (1946-1962), Paris, Denoël, coll. « L’aventure coloniale de la France », p. 232-233.

192 Henri Le Mire, Histoire militaire de la guerre d’Algérie, Paris, Albin Michel, 1982, p. 23. La situation, à bien des égards similaire, de l’armée de l’Air, a été évoquée par Philippe Vial, « Les archives Algérie de l’armée de l’Air », R.H.A., 2 (1992), p. 67-68.

193 La formule est de Montagnon, op. cit., p. 135.

194 Ibid., p. 135, et Planchais, op. cit., p. 237-238.

195 Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie, Paris, Seuil, 2e éd. 1991, p. 69-70.

196 Pour le détail des mesures, cf. L’année politique 1955, op. cit., p. 233, et Alistair Home, Histoire de la guerre d’Algérie, Paris, Albin Michel, 1977, p. 117.

197 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, 1955, op. cit.

198 Cette évolution a été entérinée par l’Alliance avec l’adoption, en décembre 1954, du document M.C. 48. Cf. Marc Trachtenberg, « La formation du système de défense occidentale : les États-Unis, la France et M.C. 48 », in Maurice Vaïsse, Pierre Mélandri et Frédéric Bozo (dir.), La France et l’O.T.A.N., 1949-1996, Bruxelles, Éditions Complexe, p. 115-127.

199 Di vison d’Infanterie Mécanisée.

200 L’année politique 1955, op. cit., p. 233, et Horne, op. cit., p. 117.

201 Planchais, op. cit., p. 238. Cf. aussi Home, ibid., et Montagnon, op. cit., p. 153.

202 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, J955, op. cit.

203 Façon, op. cit., p. 56.

204 Montagnon, op. cit., p. 165. Début 1956, 186 000 hommes seront stationnés en Algérie (ibid.), soit environ 100 000 de plus par rapport aux effectifs que trouva Kœnig à son retour rue Saint-Dominique. L’armée de l’Air est, elle aussi, touchée par cette poussée des effectifs. Cf. Vial, op. cit, p. 67.

205 L’année politique 1955, op. cit., p. 233 et p. 275.

206 Division Blindée ; Division Mécanique Rapide. Montagnon, op. cit., p. 174.

207 « La décision d’affecter des moyens importants à l’Algérie, au risque d’en priver l’O.T.A.N., se consomme dans les premiers mois de 1955 », note Façon au sujet de l’armée de l’Air. Cf. Patrick Façon, « L’Algérie et la politique générale de l’armée de l’Air (1954- 1958) », R.H.A., 2, 1992, p. 80.

208 Cf. la lettre que le maréchal Juin adresse à ce sujet au président du conseil, au lendemain du conseil interministériel du 16 mai, et qui en constitue l’une des premières formulations connues. Texte intégral in Philippe Vial et Nicolas Vaicbourdt, « De soldat à soldat : Juin, Weygand, Eisenhower et les leçons de Suez (novembre-décembre 1956) », in La France et l’opération de Suez de 1956, sous la direction de Maurice Vaïsse, Paris, A.D.D.I.M., 1997, p. 304.

209 Brigadier Jackson, op. cit.

210 Fin 1955, l’attaché militaire britannique stigmatisera « l’incapacité des chefs de l’armée de Terre à apprécier correctement la gravité de la situation en Afrique du Nord et ses dangers, avec pour résultat évident que les mesures appropriées n’ont pas été prises ». Ibid.

211 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, 1955, op. cit.

212 Ibid.

213 Le général Bigeard fut secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense de janvier 1975 à août 1976 (Yvert [dir.], op. cit., p. 890).

214 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, 1955, op. cit.

215 « Kœnig avait le don d’aller à l’essentiel et de simplifier les affaires les plus compliquées ». Navarre, op. cit., p. 206.

216 Sir Gladwyn Jebb…, September 5, 1955, op. cit.

217 « Il marquait peu d’enthousiasme pour l’étude livresque ou le si souvent fastidieux dépouillement de ces fameux dossiers ». Témoignage rapporté par Gabriel-Robinet, op. cit., p. 198.

218 Planchais, « L’homme de Bir Hakeim », op. cit.

219 La formule est d’Edgar Faure, op. cit., t. II, p. 295. Cf. également n. 89, ainsi que l’analyse cinglante de Planchais, Une histoire politique de l’armée, op. cit., p. 285 : « Le colonel Lecomte, promu général, est devenu le chef de l’état-major particulier du général Kœnig, ministre de la Défense nationale. Ce n’est pas seulement un excellent poste d’observation : le ministre ne travaillant guère qu’à mi-temps, c’est un poste d’autorité ».

220 Cf. par exemple La Gorce, op. cit., p. 517, qui souligne lui aussi le rôle tenu en cette affaire par son chef d’état-major, le général Lecomte.

221 Cf. supra la communication d’Antonio Varsori.

222 Sir Gladwyn Jebb…, July 6, 1955, op. cit.

223 Chef de la délégation militaire française à l’O.N.U. depuis 1946, il quitte l’armée à sa demande, début 1950, pour dénoncer l’état d’impréparation de la défense nationale face à un risque d’invasion soviétique, et s’engage en politique dans les rangs du R.P.F. Les Britanniques en poste à Paris, sans nier la sincérité de sa démarche, y verront tout autant le moyen d’entamer une deuxième carrière pour obtenir les satisfactions de pouvoir que l’armée lui avait jusque-là refusées. Cf. Sir Oliver Harvey to the Right Honourable Ernest Bevin, March, 16, 1950, P.R.O., F.O. 371/89 245.

224 Brigadier Jackson, op. cit.

225 Ély, op. cit., p. 173.

226 Notons que le désengagement du Général n’avait fait que s’accentuer depuis sa mise en sommeil du R.P.F., en mai 1953. Sa conférence de presse du 2 juillet 1955, dans laquelle il annonce qu’il se désintéresse de la politique, sauf événements exceptionnels, marque à bien des égards un aboutissement. Chapsal, op. cit., p. 217.

227 Jacques Foccart, Foccart parle. Entretiens avec Philippe Gaillard, t. I, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1995, p. 114. Voir également, Turpin, op. cit.

228 Après le retrait de la caution du Général au printemps 1953, les députés R.P.F. s’étaient contentés de changer l’appelation de leur groupe parlementaire, devenu l’U.R.A.S. (cf. n. 20). Ce n’est qu’en 1955 qu’ils s’organisèrent en un véritable parti politique, le Centre National des Républicains Sociaux.

229 Preuve de ce désintérêt, l’absence de tout travail de fond depuis la biographie de sympathie que lui a consacrée, il y a déjà vingt-cinq ans, son successeur à l’Institut (Louis Gabriel-Robinet, op. cit.). Un colloque a pourtant été organisé l’occasion du cinquantième anniversaire de la bataille de Bir Hakeim (« Le général Kœnig, maréchal de France », Paris, Palais du Luxembourg, 9-10 juin 1992), à l’instigation du Comité d’Entente des Combattants 1939-1945 et de la Délégation à la mémoire et à l’information historique (Secrétariat d’État aux anciens combattants). De manière significative, les actes n’en ont malheureusement jamais été publiés...

230 Cf. infra Bernard Lachaise, op. cit.

231 Planchais, « L’homme de Bir Hakeim », op. cit.

Auteur

Agrégé de l’Université, dirige la Section Études historiques du Service historique de la Marine, à Vincennes. Maître de conférence à l’Institut d’Études Politiques de Paris, il est également chercheur associé à l’Institut Pierre Renouvin (université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne). Il y achève une thèse en histoire des relations internationales, sous la direction de René Girault, sur Les chefs militaires et la politique extérieure de la France à l’époque de la Guerre froide (1947-1954). Spécialiste des problèmes politico-militaires après 1945, il a déjà publié de nombreux articles que ce soit sur l’ Alliance atlantique, la C.E.D., les aides américaines, la crise de Suez ou la guerre d’Algérie. Il participe depuis 1992 au programme international de recherche « Les identités européennes au xxe siècle », dirigé par René Girault, Gérard Bossuat et Robert Frank.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search