Le général Nollet au ministère de la Guerre (15 juin 1924-10 avril 1925)
p. 235-244
Texte intégral
1Le désaccord entre le Cartel des Gauches et le Bloc national, on l’a parfois oublié, porte aussi sur les questions militaires. Attachés à un service militaire de douze mois et à une utilisation importante des réserves, les chefs cartellistes sont hostiles aux lois de réorganisation présentées par André Maginot à partir de 19231. Après la victoire du Cartel, le général Nollet, nouveau ministre de la Guerre, est donc chargé d’engager une profonde réforme. Après des débats difficiles sur l’amnistie, sa participation à la conférence de Londres et le débat budgétaire, il dépose deux projets de loi en pleine crise financière. Vigoureusement combattus par la presse favorable au Bloc national, ils ne seront jamais examinés par le Parlement du fait de la chute du gouvernement.
2Lorsqu’il forme son gouvernement le 15 juin 1924, Édouard Herriot confie le portefeuille de la Guerre au général Charles-Marie-Édouard Nollet, membre du Conseil supérieur de la Guerre et jusqu’alors président de la commission inter-alliée de contrôle en Allemagne où il a apprécié le rôle des syndicats lors du coup d’État de von Kapp et a été impressionné par la nouvelle organisation de l’armée allemande2. Né à Marseille le 28 janvier 1865, polytechnicien spécialiste de l’artillerie3, il est l’ami du général Guillaumat4. Membre du Grand Orient, hostile au Bloc national, il est en relation avec les milieux politiques de gauche. Il a connu Vincent Auriol à Londres5 et semble avoir été lié à Albert Thomas. On peut se demander, comme de nombreux contemporains, pourquoi Édouard Herriot l’a choisi pour succéder à André Maginot (d’autant que le nom du maréchal Pétain avait souvent été cité)6. L’Ère nouvelle souligne le « loyalisme républicain très éprouvé » du nouveau ministre7 mais L’Humanité est très réservée : « Veut-on utiliser son uniforme pour en imposer aux culottes de peau du Conseil supérieur de la guerre ou ne pense-t-on pas plutôt qu’il fera avaler à la chambre des gauches le maintien du service des dix-huit mois qu’on avait décrié devant les électeurs ?8 » Louis Marcellin qui souligne l’appartenance du général Nollet au Grand Orient est très critique. « C’est un homme sûr qui a été donné à Édouard Herriot en toute confiance... Il sera le paravent derrière lequel les ennemis de l’armée et de la France pourront tout à leur aise accomplir leur sinistre besogne de désagrégation9. » Charles Maurras, en revanche, considère que la nomination du général Nollet peut aussi être une façon élégante de supprimer le contrôle inter-allié et adopte une position prudente (sans allusion, au départ, à l’appartenance du général à la franc-maçonnerie) : « A-t-il pris des engagements au sujet de la réduction du service militaire ? Couvrira-t-il de son autorité et de son prestige qui sont réels des mesures funestes pour l’ensemble de l’armée ? Attendons les événements10. »
3Le général Nollet choisit le général de division Vidalon, commandant la 37e division d’infanterie à l’armée du Rhin comme chef de cabinet11 tandis que les cartellistes réclament une épuration des cadres dès les premiers jours du ministère : « Tout est mis en œuvre pour que les grandes directions de l’armée conservent à leur tête les chefs d’un nationalisme éprouvé par M. Maginot », lit-on le 18 juin 1924 dans L’Ère nouvelle qui réclame trois jours plus tard l’épuration à l’encontre des « généraux assassins » (ceux qui ont fait fusiller des soldats pendant la guerre) toujours en poste au ministère et considère que l’amnistie n’est qu’une contrepartie par rapport à l’absence de poursuites contre ces généraux12. La tâche du général Nollet s’annonce donc difficile, d’autant que la présidence de la commission de l’armée de la Chambre revient, contre toute attente, à André Maginot13. Une élection qui confirme la fragilité du Cartel.
4Le débat sur l’épineuse question de l’amnistie s’ouvre le 9 juillet 1924 dans un climat d’autant plus passionnel que la presse de gauche a fait connaître ses exigences. L’Ère nouvelle a ainsi publié le 20 juin 1924 « un ordre du jour maçonnique » réclamant l’amnistie totale « telle qu’elle a été promise par tous les candidats de gauche » tandis que Le Quotidien a critiqué violemment le maintien des plus graves peines prononcées par les conseils de guerre, « tribunaux dominés par un fétichisme qui les rend tour à tour ineptes et atroces »14. D’entrée de jeu, les députés socialistes et communistes relancent le débat sur les soldats fusillés pendant la guerre. Le ton est donné par l’intervention d’Ernest Lafont15 qui espère que le général Nollet « ne mettra pas à son cabinet, comme son prédécesseur, des hommes qui ont fait fusiller des soldats ». Le ministre est vite pris entre deux feux. D’un côté, André Maginot met son successeur au défi de prendre des décisions contraires à celles qu’il a prises. De l’autre, le communiste André Berthon accuse le colonel Bernard et le général Boyer « d’être des assassins » pour avoir fait fusiller les lieutenants Harduin et Milan16. Plusieurs députés pressent alors le général Nollet de défendre l’armée. Le ministre n’ayant pas connaissance du dossier se borne à regretter la violence des accusations d’André Berthon « sur des faits au sujet desquels il n’y a eu ni condamnation ni jugement ». Mais la polémique reprend de plus belle. D’une « voix saccadée, nette et précise »17, le général Nollet demande alors « que soient laissés en repos ces hommes, vivants ou morts, et qu’on ne continue pas ainsi à les traduire devant un tribunal qui dans l’espèce n’en est pas un »18. Il est clair que le Parti communiste s’appuie sur la douloureuse question des soldats fusillés pour réclamer l’amnistie totale tandis que le groupe socialiste limite l’amnistie intégrale aux faits de guerre. L’ensemble du projet de loi est finalement adopté par 325 voix contre 185. Il prévoit notamment l’amnistie des condamnés de la Haute Cour et des insoumis malgré l’avis défavorable du général Nollet19. Mais le Sénat, dans sa séance du 30 juillet 1924, diffère l’examen du projet et propose la prorogation, jusqu’au 1er janvier, du droit de grâce amnistiante qu’avait utilisé le gouvernement Poincaré20. Cette rude épreuve n’est cependant pas terminée pour le ministre qui n’a pu limiter l’amnistie comme il le souhaitait et a entendu, le plus souvent sans broncher, bien des critiques acerbes contre des officiers supérieurs (ce que la presse de droite ne manque pas de lui reprocher). Le Sénat réduit sensiblement la portée du texte voté par les députés et la loi n’est finalement adoptée le 31 décembre 1924 qu’après une troisième lecture devant la Chambre qui accepte le texte du Sénat par 340 voix contre 136.
5La question des rapports franco-allemands n’est pas non plus exempte de difficultés. Le 28 juin 1924, quelques jours après les entretiens Édouard Herriot/Mac Donald aux Chequers, le gouvernement doit poser la question de confiance pour faire adopter les crédits nécessaires à la poursuite de l’occupation de la Ruhr21 tandis que le dernier rapport du général Nollet relatif aux armements allemands (dont le contenu n’a pas été immédiatement révélé) suscite des commentaires alarmistes22. Relatant les entretiens des Chequers dans Jadis, Édouard Herriot y fait explicitement référence : « Des renseignements que nous donne le général Nollet, un vrai démocrate et un pacifiste sincère, il ressort que l’Allemagne prépare une armée d’un type nouveau. L’opinion du général Nollet est qu’avec les 100 000 hommes que lui laisse le traité de Versailles, l’Allemagne va refaire ce que la Prusse a réussi après Napoléon23. » Malgré son désir de renouer au plus vite des relations cordiales avec la Grande-Bretagne, Édouard Herriot n’ignore donc rien de la situation allemande lorsque s’ouvre la conférence de Londres le 16 juillet 192424. L’évacuation militaire de la Ruhr domine très vite la négociation comme il le reconnaît dans Jadis. Le 24 juillet 1924, Mac Donald lui adresse une lettre privée dans laquelle il présente l’évacuation de la Ruhr comme « une conséquence diplomatique du plan Dawes » et affirme que son gouvernement ne pourra pas donner sa signature à l’accord de Londres si la Ruhr n’est pas évacuée militairement25. Édouard Herriot convoque alors le général Desticker, chef d’état-major du maréchal Foch, qui lui affirme, le 25 juillet, que « la sécurité de la France, c’est l’occupation de la région rhénane et non l’occupation de la Ruhr »26. La presse d’opposition parle bientôt d’une divergence de vues entre le président du Conseil et son ministre de la Guerre qui demande, si l’on en croit L’Eclair, que l’Allemagne « laisse opérer de bonne foi et intégralement » le contrôle militaire auquel elle a consenti dans sa lettre du 9 juillet à la conférence des ambassadeurs27. L’évacuation de la Ruhr et le rappel des cheminots français ne peut intervenir, d’après le général, que dès qu’on aura établi que l’Allemagne a désarmé. Les représentants allemands à Londres28 veulent l’évacuation sans condition mais le général Nollet « ne veut pas céder d’un pouce », écrit encore L’Éclair tandis que L’Action française parle d’une scène particulièrement violente au sujet de l’évacuation de la Ruhr et indique qu’Édouard Herriot a réussi à empêcher le général Nollet de démissionner29. L’Éclair indique par ailleurs que le ministre de la Guerre, en désaccord avec Édouard Herriot, veut déclarer aux Britanniques que s’ils évacuent Cologne en janvier, nos troupes prendront leur place30. Le démenti officiel au sujet des divergences au sein du cabinet laisse planer un doute tandis que Le Quotidien parle de manœuvre grossière à propos des articles de la presse de droite. La délégation française rentre en France et fait le point au conseil des ministres le samedi 9 août 1924 très tard dans la soirée31. Le conseil décide de limiter l’occupation de la Ruhr au délai maximum d’un an. La négociation reprend ensuite à Londres. Le matin du 15 août Édouard Herriot a « une scène très vive »32 avec Mac Donald à qui il refuse l’évacuation progressive de la Ruhr. Finalement le délai d’un an est retenu par la conférence mais sans condition. Très au fait de la réalité du potentiel militaire allemand, le général Nollet s’est incliné devant la volonté d’Édouard Herriot de se concilier le gouvernement britannique. Comme l’écrit Jean-Noël Jeanneney, c’est la « glissade des renoncements »33. Édouard Herriot a renoncé à la commercialisation des réparations et à toute liaison avec les dettes interalliées. Il n’a pas obtenu la moindre garantie supplémentaire des Anglo-Saxons alors que l’occupation de la Rhénanie n’est plus liée à la stricte application du traité de Versailles. Le président du Conseil se justifie dans Jadis estimant notamment que « si la France, refusant l’accord de Londres avait décidé de maintenir son occupation militaire, on peut penser qu’elle serait allée au devant des incidents les plus graves »34. Les accords de Londres très critiqués par l’opposition35 sont ratifiés non sans difficultés par le Sénat après un long réquisitoire de Raymond Poincaré le 26 août 1924.
6La pression des adversaires du Cartel ne se relâche pas lors du débat budgétaire. Pour la première fois depuis le début de la Troisième République, la loi de finances va être adoptée sans le concours de la minorité. Intervenant brièvement à la Chambre, le 9 décembre 1924, pour présenter son budget, le général Nollet limite volontairement son propos aux questions strictement militaires avec le souci d’éviter la polémique. Le budget est en hausse par rapport à 1924 (essentiellement du fait de l’augmentation du prix des denrées) alors que le Cartel avait annoncé une réduction des crédits militaires de l’ordre de 700 à 800 millions de francs. C’est un budget de transition qui ne fait état « ni des projets de réformes à venir, ni des plans de défense du territoire et du plan d’armement qui en sont les corollaires »36. Les débats portent principalement sur la convocation des réservistes et les effectifs des officiers. Considérant que la classe 1920 était suffisamment instruite, et pour ne pas gêner les agriculteurs au début de l’automne, le général Nollet a annulé en juillet 1924 la première convocation des réservistes depuis la fin de la guerre. Mais il a demandé à ses services d’établir un plan d’entraînement pour 1925 afin que les réservistes ne puissent légitimement se plaindre d’avoir été inutilement distraits de leur activité ordinaire. Très attaché au rôle des réserves, il a prévu un crédit de quarante millions de francs destiné à leur convocation en 1925 mais la commission des finances l’a supprimé à la veille du débat. Comme André Maginot, président de la commission de l’armée, s’étonne de voir ceux qui réclament si énergiquement une organisation plus complète de la nation armée s’opposer avec force à la convocation des réservistes en 1925, son successeur précise que la commission des finances s’est engagée à rapporter favorablement la demande de crédits pour cette convocation dès qu’aura été déposé le projet de loi portant réorganisation de l’armée37. Ce report de la convocation des réservistes relance à droite les critiques à l’égard du ministre qu’Emile Buré qualifie de « général introuvable »38.
7La question du nombre d’officiers montre également que le ministre doit compter avec les attentes de la majorité cartelliste. Conscient de la nécessité de diminuer le nombre d’officiers en fonction des besoins réels de l’armée d’après guerre, il affirme tout aussitôt qu’il n’est pas question de « sacrifier les intérêts légitimes d’hommes qui se sont dévoués pour le salut commun »39 et annonce le prochain dépôt d’un projet de loi. Confronté à la suppression d’un crédit de vingt millions de francs qui tend à mettre à pied cinq mille officiers, il ne pose pas la question de confiance mais déclare inopérant le vote de la Chambre dans un communiqué du 14 décembre 192440. Les réactions sont alors très vives à droite. « On lui supprime les périodes de réserve. Il ne bronche pas. On veut lui supprimer la gendarmerie mobile, il n’a pas l’air de comprendre […]. C’est cette excellente pâte d’homme qui était chargé de contrôler le désarmement de l’Allemagne. Ah, comme elle a dû être bien contrôlée et bien désarmée ! » écrit Gustave Hervé dans La Victoire41. De son côté, L’Avenir critique le manque de combativité du général : « La Chambre a entendu contre les conseils de guerre et contre les officiers qui les composent des paroles d’une violence incroyable qui seront interprétées comme autant d’insultes inadmissibles. Le président de la Chambre se fût honoré en les relevant, le général Nollet n’eût fait que son devoir strict en protestant […]. L’excuse de l’inexpérience parlementaire ne saurait suffire »42. La question du nombre des officiers revient à l’ordre du jour le 27 février 1925 lors de la reprise du débat budgétaire. Le nouveau projet de loi de finances prévoit en effet la suppression de mille postes (effectif fixé à 32 000) par reclassement et mise à la retraite. La loi de finances n’est finalement votée que le 1er mars 1925 à la Chambre après un interminable débat.
8Parallèlement à la préparation du budget, le général Nollet fait étudier la réorganisation militaire qui lui tient à cœur en y intégrant la réduction de la durée du service militaire43 très attendue par les électeurs du Cartel. Le ministre précise ses intentions le 9 décembre 1924, à l’occasion du débat budgétaire. Il indique que la nouvelle organisation comprendra deux parties : « l’une constante, accrochée au territoire, ayant la mission de mobiliser les forces du pays et, ultérieurement, d’en exploiter toutes les ressources, l’autre, au contraire, variable, ayant à assurer l’instruction de la nation, à fournir les contingents destinés éventuellement aux opérations extérieures et dont le développement pourra s’adapter aux circonstances de la politique du moment ». Considérant que l’expérience de la guerre a prouvé qu’il ne fallait pas dix-huit mois pour faire un soldat du rang et que la crise de main d’œuvre agricole et industrielle commande de ne pas maintenir la masse des jeunes Français sous les drapeaux au-delà du délai strictement indispensable, il se prononce pour la réduction de la durée du service militaire44.
9Le projet de réorganisation militaire fait l’objet d’un certain nombre d’articles au début de l’année 1925. L’Écho de Paris fait nettement campagne contre le projet avant même son dépôt. Il critique son élaboration « dans le silence du cabinet par quelques initiés triés sur le volet », sans la collaboration de l’état-major45. André Pironneau, réfutant les déclarations du général Nollet souligne notamment que le maréchal Pétain, en mission en A.O.F. pendant deux mois, n’a pu donner son avis que sur des grands principes. « Jamais depuis 1873, écrit-il, l’état-major n’a été ainsi tenu à l’écart46. » Quant au contenu du projet, il est vivement critiqué en deux articles non signés. L’Écho de Paris du 18 mars 1925 estime que tout le projet repose sur la réduction du service actif « quitte à bâtir n’importe quoi ensuite sur les effectifs de misère qui en sont la conséquence ». Il critique la création de centres mobilisateurs47 qui « oublie que la cohésion est une des qualités militaires les plus essentielles » et estime qu’il est « imprudent, pour ne pas dire dangereux de s’attaquer aux grandes lignes du mécanisme d’une mobilisation qui a eu la sanction de l’expérience de 1914 pour se lancer à corps perdu dans un inconnu redoutable […]. L’armée du temps de paix composée de centres d’instruction où les recrues seront dégrossies avant d’être expédiées sur le Rhin ou ailleurs n’aura plus à s’inquiéter de la mobilisation. Ses unités s’évanouiront en quelque sorte à ce moment pour livrer leurs cadres et leurs hommes à des organismes mi-civils mi-militaires d’où sortira par la vertu de la levée en masse une force puissante, armée de pied en cape »48. Un article signé XXX dans la Revue hebdomadaire s’inquiète également des conditions de préparation du projet49. Mais l’auteur est favorable à la préparation militaire obligatoire, au service à court terme, à la reconstitution d’un solide noyau de professionnels, à la création de milices, à l’emploi de la main-d’œuvre civile, au développement de la gendarmerie. Il craint cependant que le ministre de la Guerre, cède « aux instances réitérées de la majorité au pouvoir » et qu’il fasse « dépendre l’armée permanente et les contingents des milices d’autorités différentes. Cela reviendrait, écrit-il, à créer au sein du pays deux forces distinctes aujourd’hui, antagonistes demain, de là d’inévitables conflits […]. Dans cet ordre d’idées, les milices bien que formées de citoyens jouissant intégralement de leurs droits civiques, devraient échapper à l’emprise des factions politiques sous peine de devenir une cause perpétuelle de troubles ». Tout en se référant à l’exemple de la Suisse, de la Belgique et des États baltes et se déclarant persuadé que « la pondération française ne supporterait pas longtemps les chemises noires, cabotines, héroïques ou brutales d’un Mussolini », l’auteur réclame pour les milices « une organisation ne laissant rien à l’imprévu, une mobilisation préparée dans tous ses détails, une discipline intelligente mais exacte et ferme ». L’auteur redoute par ailleurs que la loi soit un jour appliquée « sans ménagements, sans recours à des mesures transitoires ». Il se demande enfin si « dans l’état de nos finances, le moment est opportun pour imposer, d’un seul coup, la charge énorme d’une refonte aussi complète, effectuée sans transition »50.
10Le Conseil supérieur de la Guerre se réunit le 30 mars et les 1er et 3 avril 1925 pour examiner le plan Nollet qui souligne « le rôle considérable désormais dévolu aux réserves », vise à assurer la fusion de l’armée active et de l’armée nationale, sépare pratiquement l’instruction et la mobilisation et permet la réduction des effectifs actifs conformément aux engagements pris par le gouvernement. En l’absence d’Édouard Herriot, le général Nollet évoque le malaise dans l’armée (sureffectifs dans le corps des officiers et insuffisance des soldes, déficit en militaires de carrière et employés civils). Sachant combien l’opinion publique est attachée à la réduction du service, il considère qu’il faut « absolument prendre la tête de ce courant pour ne pas être entraîné par lui »51. Il insiste sur la nécessaire progressivité d’une telle réduction pour que le pays ne soit « ni découvert, ni démuni » pendant la période de transformation et souligne qu’on doit pouvoir revenir à un service plus long en cas de menace extérieure grave. Il souligne enfin « l’élasticité du projet » permettant l’adaptation aux variations d’effectifs. Le C.S.G. se montre favorable à « la création de centres de mobilisation dotés d’un personnel permanent et chargés d’effectuer la mobilisation des unités à former lors de l’entrée en campagne ». Il se montre favorable à la « constitution de centres d’instruction ou corps de troupe composés d’unités d’instruction, de recrues et d’unités de manœuvre dont les hommes auront parcouru le premier cycle d’instruction ». Le Conseil est par ailleurs favorable à la division du territoire en seize régions52 plus conforme aux ensembles économiques existants afin de faciliter, en temps de guerre, la direction de l’exploitation des ressources. La proposition visant à « constituer le corps d’occupation des territoires rhénans avec des unités de marche composées de militaires de carrière et d’appelés ayant 6 mois d’instruction » est retirée de même que la question sur la mobilisation intégrale immédiate en cas de guerre en Europe.
11Le 8 avril 1925, le général Nollet dépose un projet de loi sur l’organisation générale et un projet de loi sur le recrutement de l’armée sur le bureau de la Chambre. Partant du principe selon lequel « les masses de réserves formeront l’essentiel de l’armée de bataille », il prévoit, en cas de conflit, de répartir l’armée active, « véritable conservatoire des arts et traditions militaires », entre les différentes formations de guerre de manière « à en augmenter la valeur moyenne initiale »53. Le projet prévoit également l’incorporation à vingt-un ans (avec une attention particulière portée au dossier médical des recrues), un développement de la préparation militaire, la réduction à un an de la durée du service militaire mais le passage de huit à douze semaines des périodes d’instruction des réservistes54. Désireux de réduire « la vie de caserne », le ministre insiste par ailleurs sur la nécessité de doter l’armée de stands de tirs et de champs de manœuvre.
12Le projet ne va pas venir en discussion au Parlement. Le gouvernement d’Édouard Herriot, confronté à de graves difficultés financières, est en effet renversé au Sénat le 10 avril 1925. Le 17 avril 1925, Paul Painlevé qui accepte de former le nouveau gouvernement prend lui-même le portefeuille de la Guerre55 et ne reprend pas les projets de son prédécesseur. Il ne reste plus au général Nollet qu’à justifier son action dans un long article de La Revue de Paris du mois de juillet 1925. Estimant que c’est un devoir pour un chef d’avoir des idées et qu’il ne doit pas « les taire par égard pour les intérêts qu’elles peuvent compromettre, pour les préjugés qu’elles peuvent heurter, ou par crainte d’une lutte où son crédit personnel peut avoir à souffrir », il conclut par cette courte phrase : « J’ai voulu faire le mien56. »
13En choisissant le général Nollet, Édouard Herriot, dont le souci d’assurer la sécurité de la France n’est pas contestable, a sans doute voulu éviter de céder trop facilement à la demande de l’électorat du Cartel attaché à la réduction à douze mois du service militaire dans les plus brefs délais. Homme de gauche influencé par les idées développées par Jean Jaurès dans L’armée nouvelle, se situant au Parlement plus en technicien qu’en politique57, le général Nollet a cherché à établir un système de défense intermédiaire entre le système des milices suisses et celui de l’armée allemande issue du traité de Versailles. Attentif à l’évolution de l’aviation et des chars de combat « appelés à jouer un rôle de plus en plus important sur les champs de bataille »58, il n’a, en revanche, guère évoqué les premières propositions du maréchal Pétain relatives aux fortifications de l’Est. Accaparé par le difficile débat sur la loi d’amnistie, la conférence de Londres et la préparation du budget de 1925, il a déposé son projet au moment où les turbulences ont précipité la chute du gouvernement. La réorientation de la politique étrangère n’a donc pas été suivie, faute de temps, d’une réorganisation militaire. Une nouvelle organisation, incluant le service de douze mois, ne sera votée qu’en 1927.
Notes de bas de page
1 Comportant notamment le service de dix-huit mois.
2 « J’avais au cours de ces cinq années passées en Allemagne vu se révéler une grande nation... Je fus tenté par l’idée d’appliquer à la réorganisation de l’armée française, dont la nécessité s’imposait impérieusement, les résultats de l’expérience que je venais d’acquérir », écrit-il en 1932. Une expérience de désarmement. Cinq ans de contrôle militaire en Allemagne, Paris, Gallimard, 1932, p. 154.
3 Il sort de l’école polytechnique en 1884 avec le grade de sous-lieutenant. Chef d’escadron spécialiste de l’artillerie, il devient professeur adjoint au cours d’histoire militaire, de stratégie et de tactique générale à l’école supérieure de la Guerre en avril 1903. Colonel, il devient commandant militaire du palais du Sénat en janvier 1914. Officier de la Légion d’Honneur, il commande l’artillerie du 2e groupe de divisions de réserve au début de la guerre et, par intérim, l’artillerie du 13e C.A. Il devient général de brigade en décembre 1914, de division à titre temporaire et commandant du XIIe corps le 12 mai 1916, général de division à titre définitif le 18 mai 1917, commandant le 1er corps d’armée le 11 février 1919. Il est désigné comme président de la commission militaire interalliée de contrôle en Allemagne le 14 septembre 1919 et membre du C.S.G. le 11 octobre 1921. Il est élevé au grade de grand officier de la Légion d’Honneur le 8 juillet 1921.
4 Correspondance, S.H.A.T. 1 K 480.
5 Lettre de Vincent Auriol du 11 juillet 1925 : « j’ai lu votre opuscule : “ce que j’ai voulu faire” avec la plus grande attention et je suis heureux d’avoir retrouvé le républicain sincère et l’ami que j’avais eu le plaisir de connaître de plus près à Londres », S.H.A.T. 1 K 480.
6 É. Buré se demande si Albert Thomas n’a pas recommandé le général Nollet à Édouard Herriot. L’Éclair, 16 juin 1924.
7 L’Ère nouvelle, 15 juin 1924.
8 L’Humanité, 15 juin 1924.
9 Voyage autour de la Chambre du Cartel, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1925, p. 101.
10 L’Action française, 18 juin 1924.
11 Le colonel d’artillerie Alvin est nommé chef-adjoint du cabinet militaire, le lieutenant-colonel d’infanterie breveté Billiotet et le lieutenant d’artillerie coloniale Ducia sous-chefs de ce cabinet. Le député Paul Bénazet est nommé commissaire général à la Guerre chargé de l’éducation physique.
12 Le 2 juillet 1924, le journal réclame la réintégration du général Sarrail, « seul officier ayant commandé devant l’ennemi à qui on a appliqué la limite d’âge » (Il va remplacer le général Weygand, nommé par André Maginot, en Syrie). L’Éclair du 9 janvier 1925 accusera, sans beaucoup de preuves, le général Nollet d’avoir procédé à une épuration rappelant le ministère du général André. La liste des « limogés » fournie par le journal est assez courte : les généraux Weygand, Degoutte et de Boissoudy.
13 Il obtient vingt-trois voix contre seize au socialiste Joseph Paul-Boncour, défenseur du service de douze mois. La présidence de la commission reviendra, début février 1925, au radical-socialiste Jean Ossola.
14 Le Quotidien, 30 juin 1924.
15 Député de la Loire, non inscrit.
16 J.O.R.F., Chambre des députés, 9 juillet 1924, p. 2 536.
17 L’Ère nouvelle, 11 juillet 1924.
18 J.O.R.F., Chambre des députés, 9 juillet 1924, p. 2 537.
19 Il est, sur ce point, soutenu par L’Ère nouvelle : « le pardon s’impose sauf en ce qui concerne l’espionnage, la désertion, l’insoumission », 11 juillet 1924.
20 Comme certains députés mettent en doute cette pratique, André Maginot précise que plus de 30 000 condamnés militaires étaient susceptibles de bénéficier de la grâce amnistiante et qu’il en restait à peine 1 700 lorsqu’il a quitté le ministère de la Guerre – J.O.R.F., Chambre des députés, p. 2 897.
21 Les crédits sont adoptés par 350 voix contre 26. Un certain nombre de socialistes s’abstiennent derrière Léon Blum alors que l’opposition de droite vote la confiance.
22 Pour La Victoire du 24 juin 1924, ce rapport montre que « dans un délai de quelques mois, le général von Seekt est en mesure de soutenir par les armes la dénonciation du traité de Versailles ». L’Éclair du 27 décembre 1924 qui publie le texte du rapport Nollet est poursuivi pour espionnage.
23 Jadis, Paris, Flammarion, 1952, t. 2, D’une guerre à l’autre (1914-1936), p. 142-143.
24 La délégation conduite par E. Herriot est composée d’É. Clémentel, ministre des Finances, du général Nollet et de M. De Peretti della Rocca, directeur des affaires politiques au Quai d’Orsay.
25 « Pour Mac Donald, cette occupation était contraire à ce traité de Versailles qu’on demandait à l’Allemagne de reconnaître et d’appliquer. Il n’admettrait à aucun degré qu’elle fût transformée en une opération de sécurité ou, comme il m’écrivait, d’extra-sécurité, indique Édouard Herriot. Selon lui, le maintien de cette occupation exigerait une nouvelle conférence de la paix », Jadis, op. cit., p. 156.
26 Jadis, op. cit., p. 157.
27 L’Éclair, 9 août 1924.
28 La délégation allemande est arrivée à Londres le 5 août à l’invitation de Mac Donald « pour discuter avec la Conférence des meilleures méthodes de mettre à exécution le rapport Dawes du 9 avril 1924 intégralement accepté par les gouvernements alliés », Jadis, op. cit., p. 159.
29 L’Action française, 12 août 1924.
30 L’Éclair, 10 août 1924.
31 Le maréchal Foch, invité, sort à 23 h 30 d’après les journaux.
32 Jadis, op. cit., p. 160.
33 Leçon d’histoire pour une gauche au pouvoir. La faillite du Cartel (1924-1926). Paris, Seuil, 1977, p. 54.
34 Jadis, op. cit., p. 162. Il souligne au passage que le gouvernement britannique « savait que les électeurs français venaient de se prononcer contre l’occupation de la Ruhr ».
35 Le général Nollet, répondant à la Chambre à une interpellation de P. Escudier (U.R.D.), affirme, le 23 août 1924, sa totale solidarité avec É. Herriot lors de la ratification des accords de Londres.
36 J.O.R.F., Chambre des députés, 9 décembre 1924, p. 4 290.
37 La Chambre refuse par ailleurs de rétablir un crédit de 30 millions de francs pour la création de camps d’instruction. J.O.R.F., Chambre des députés, 11 décembre 1924, p. 4 362.
38 L’Éclair, 15 décembre 1925.
39 J.O.R.F., Chambre des députés, 9 décembre 1924, p. 4 290.
40 En faisant référence à la loi de 1854.
41 15 décembre 1924.
42 L’Avenir, 15 décembre 1924.
43 L’Ère nouvelle du 21 septembre 1924 réclame le service de six mois et en attend une reprise de la natalité.
44 J.O.R.F., 9 décembre 1924, p. 4 289-4 290.
45 L’Éclair du 8 avril parle d’un groupe de travail dirigé par le colonel Waldner et le commandant Doumenc.
46 L’Écho de Paris, 4 et 9 mars 1925.
47 Idée chère à Joseph Paul-Boncour qui en a été le champion à la Chambre en mars 1924.
48 L’Écho de Paris, 4 mars 1925.
49 « Un petit groupe d’officiers pris dans l’entourage personnel du ministre, sans collaboration permanente des techniciens qualifiés a mis debout en quelques semaines un plan forcément hâtif […]. Le projet ainsi élaboré, transmis pour la forme à l’état-major, peut-être au Conseil supérieur de la Guerre, devra, en moins d’un mois être parvenu à nos législateurs » – La Revue hebdomadaire, février 1925.
50 La Revue hebdomadaire, février 1925, p. 468 à 473.
51 Cette mention se trouve dans le brouillon de procès-verbal mais pas dans le P. V. définitif. S.H.A.T. 1 N 27.
52 L’Algérie formant une 17e région.
53 La Revue de Paris, juillet 1925, p. 747.
54 La convocation doit se faire non plus par classes mais par unités.
55 L’Éclair du 18 avril affirme que le général Nollet n’a pas été consulté pendant la constitution du ministère.
56 La Revue de Paris, juillet 1925, p. 763.
57 Son article dans La Revue de Paris en témoigne : « Je répondis à M. Édouard Herriot que, pour des raisons militaires et en dehors de toute idée politique, je croyais à la nécessité d’une réorganisation de l’armée » (p. 739). Soulignons par ailleurs la brièveté des interventions devant les assemblées d’un ministre qui déclare notamment : « Je n’ai pas l’habitude des méthodes parlementaires. Je voudrais, Monsieur Le Mire, savoir si vous me posez une question ou si vous m’interrogez sur ma conduite future ». J.O.R.F., Chambre des députés, 12 décembre 1924, p. 4 420.
58 La Revue de Paris, juillet 1925, p. 756.
Auteur
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Marc Sorlot
Docteur en histoire, a publié André Maginot, l’homme politique et sa légende (Metz, éd. Serpenoise, 1995, 312 p.), ainsi que plusieurs articles sur la Grande Guerre. En préparation, une biographie de Léon Bourgeois.
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