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    Plan détaillé Texte intégral Les militaires au ministère de la Guerre 1870-1940Les militaires au ministère de la Marine 1871-1940Répartition professionnelle des pères de ministres période 1871-1914Études militaires des officiers membres de l’Éxécutif 1871-1940 Notes de bas de page Auteur

    Militaires en République, 1870-1962

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Prosopographie des militaires ministres sous la Troisième République1

    Jean Estebe

    p. 199-210

    Texte intégral Les militaires au ministère de la Guerre 1870-1940Les militaires au ministère de la Marine 1871-1940Carrière militaireRépartition professionnelle des pères de ministres période 1871-1914Études militaires des officiers membres de l’Éxécutif 1871-1940Carrière politique Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Sous la Troisième République, le choix d’officiers généraux2 au ministère de la Guerre ou de la Marine est une habitude qui fait presque figure d’institution au début du régime mais qui s’atténue avec le temps. On observe, en effet, un monopole des militaires sur ces portefeuilles de 1871 aux années 1980, puis une alternance assez régulière entre civils et militaires, enfin une prédominance nette des parlementaires, la présence d’officiers au gouvernement devenant relativement exceptionnelle3.

    2Si l’on considère la période 1871-1940 dans son ensemble, la place des officiers à l’exécutif paraît néanmoins considérable. En effet dans le classement professionnel des gouvernants, les militaires arrivent en seconde position derrière les avocats avec un effectif de cinquante-six ministres : trente-six officiers de l’armée de Terre et vingt marins. Le profil collectif de ces officiers de gouvernement présente une série imposante de traits récurrents ; toutefois – comme il est de règle dans toute fresque prosopographique – il serait vain de chercher, parmi ces personnages, le cas moyen idéal représentatif de l’ensemble, chaque individu se révélant aberrant par certains côtés de sa personnalité et de sa vie. C’est néanmoins un faisceau homogène et cohérent que forment les militaires ministres, qui, sans s’opposer terme à terme au groupe de leurs collègues civils, s’individualise nettement.

    3Au premier coup d’œil le caractère le plus original de nos personnages par rapport aux autres gouvernants c’est l’âge où ils entrent à l’exécutif. C’est, en effet, à la soixantaine4 qu’ils participent pour la première fois à une combinaison ministérielle, soit en moyenne douze ans après leurs collègues civils. Rien de surprenant à cela puisque ces officiers ont dû suivre deux carrières : un long cursus militaire qui les a menés au grade de général ou d’amiral suivi d’une carrière politique ou politico-militaire plus brève. Les autres membres des équipes ministérielles sont presque tous des parlementaires, champions des compétitions électorales, entrés très jeunes dans le métier : bref, des professionnels de la politique. En revanche les militaires font figure d’amateurs, le succès politique couronnant leurs performances dans un autre domaine. Les deux phases qui se succèdent dans l’ascension de nos héros permettent de classer les éléments de leur portrait collectif.

    Les militaires au ministère de la Guerre 1870-1940

    41) Monopole des militaires (1870-1888)

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    52) Alternance civils-militaires (1888-1911)

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    63) Prédominance des ministres civils (1911-1940)

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    7(1) sous-secrétaire d’État

    8(2) ministre de la Guerre et président du Conseil

    9(3) ministre de l’Air

    Les militaires au ministère de la Marine 1871-1940

    101) Monopole des militaires 1871-1883

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    112) Alternance entre civils et militaires (1883-1898)

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    123) Prédominance des civils 1898-1940

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    Carrière militaire

    13A côté de nombreuses sources5 on découvre le brillant cursus des futurs gouvernants dans leurs dossiers militaires (conservés au centre de Vincennes) comprenant leurs notes d’école et les appréciations annuelles de leurs supérieurs : documents passionnants bourrés d’informations variées, parfois indiscrètes. Dans ces dossiers, le signalement social des officiers est jugé essentiel car les critères sociaux jouent un rôle explicite dans l’avancement. La parentèle éclatante d’un jeune aristocrate est à même de justifier de rapides et flatteuses promotions, mais toute famille illustre ou simplement honorable mérite d’être signalée. Les lignages militaires sont appréciés : il est admis que les officiers qui en sont membres bénificient d’un tour de faveur, le sang et l’atavisme donnant des droits à des candidats qui ont le goût des armes et l’esprit militaire. C’est dire que les futurs ministres sont issus en grande majorité de familles honorables et aisées dont une moitié environ provient de milieux proches de l’armée. Dans la période 1871-1914, les parvenus nés dans des familles petits-bourgeois ou populaires sont deux fois moins fréquents chez les ministres militaires que chez les civils. Inversement la moitié des officiers de gouvernement vient des couches supérieures de la société, alors que c’est le fait de moins du tiers des civils.

    Répartition professionnelle des pères de ministres période 1871-19146

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    14Premier signe de ce statut social : l’aisance financière. Les parents de nos personnages peuvent presque tous payer les frais de scolarité dans une des grandes écoles militaires : environ 4000 francs-or7 somme hors de portée de la plupart des familles françaises (quatre ans de traitement d’un instituteur vers 1900). Il y a très peu de boursiers dans notre groupe. En outre, le futur ministre lorsqu’il débute comme sous-lieutenant reçoit généralement de ses parents une rente de l’ordre de 1 000 à 2 000 francs par an (valeur médiane) qui vient s’ajouter à la solde : situation exceptionnelle dans l’armée, la grande majorité des officiers n’ayant aucune fortune personnelle. Le futur ministre, sans faire toujours figure de nabab, ne connaîtra pas la gêne quasi-universelle chez ses camarades.

    15Ces officiers se marient tard, entre trente sept et trente huit ans en moyenne : comportement habituel dans l’armée, les déplacements de la vie militaire ne favorisant pas les unions. Ayant eu le temps de collectionner les succès dans leur profession, ils peuvent prétendre à un mariage avantageux8. Nos héros savent, en effet, dénicher le sujet intéressant qui leur apporte une dot médiane de 100 000 francs (5 000 francs de revenu). En cumulant la solde, ses ressources propres et surtout celles de son épouse, notre personnage pourra bénéficier de 10 000 francs par an vers la quarantaine et de 30 à 40 000 francs vingt ans plus tard, lorsqu’il entre au gouvernement. Mais réduire le mariage à son côté financier serait erroné : la femme de l’officier d’avenir doit aussi exercer une fonction mondaine, ce que son origine et son éducation lui permettront de réaliser avec brio. Ainsi, Mac-Mahon, déjà général, se voit-il tancer par le ministre de la Guerre en 1851, pour le petit nombre de ses réceptions et leur manque d’éclat. Aussi le futur président se hâte-t-il de se marier : la jeune épousée, fille du duc de Castries, se révélera une excellente spécialiste des relations publiques, pleine de charme et de distinction9.

    16Le statut social de l’officier se manifeste aussi par le réseau de relations dont il dispose. Les nouveaux gouvernants bénéficient en effet d’appuis nombreux dont leur dossier garde la trace sous forme de lettres de recommandations provenant de parents, de chefs militaires ou d’hommes politiques. Ce favoritisme est plus marqué dans la Marine que dans l’armée de Terre. Il s’atténue avec le temps : c’est d’abord le signe d’un déclin de ce qu’on pourrait appeler le « cynisme social » ; protections et népotisme s’affichent dans les dossiers militaires les plus anciens alors qu’une discrétion plus grande se développe à la fin de la période.

    17C’est aussi le résultat d’une démocratisation du recrutement, parallèle à celle qu’on observe chez les ministres civils mais un peu moins marquée chez les militaires. Les généraux ministres issus des couches supérieures de la société prédominent en effet dans les cabinets d’avant 1877, ils deviennent moins nombreux avec l’arrivée au pouvoir des républicains en 1877, ce sont alors les familles de la bourgeoisie diplômée (professions libérales, ingénieurs, professeurs) qui sont les plus représentées.

    18Outre ces critères sociaux, un certain nombre de qualités militaires concourent à un bel avancement. Il faut impérativement avoir participé à un grand nombre de campagnes (Algérie10, colonies, guerres de Crimée et d’Italie, guerre de 1870, combats contre la Commune, etc.) et s’y être montré valeureux. Le courage au feu est souvent signalé. Ainsi le futur général de Cissey est-il félicité dans un ordre du jour du général Bugeaud en date du 13 mai 1841 pour avoir « tué de sa main plusieurs Arabes » et avoir eu « son cheval tué à bout portant » ce qui ne l’a pas empêché « d’en prendre un autre et de continuer la poursuite »11. On attache du prix aux qualités de cavalier ; il faut aussi être robuste, mince, d’un physique élégant. Plusieurs futurs ministres sont d’ailleurs décrits comme de « jolis officiers », expression quasi-officielle consacrée par l’usage du temps.

    19A côté de ces vertus strictement militaires : bravoure et capacités physiques, l’intelligence constitue-t-elle un critère de succès au sein de l’armée ? Non, si l’on en croit William Serman dans un intéressant article sur les généraux de 1870 qui, selon leurs supérieurs, ne se distinguaient guère par leur esprit délié12. Jugement qui ne s’applique pas du tout aux futurs ministres, constamment crédités de dons intellectuels remarquables. Pour la génération qui correspond aux chefs de l’armée de 1870, il est clair que nos personnages tranchent sur la médiocrité ambiante. C’est moins vrai pour les générations suivantes où nombre de cadres militaires s’efforcent de réhabiliter l’intelligence et les connaissances comme critères de promotion. Nos personnages ont prouvé leurs qualités en réussissant brillamment dans leurs études aux grandes écoles militaires. Deux d’entre eux seulement sortent du rang (de Galliffet et du Barail) alors que c’était le cas de la majorité des officiers au xixe siècle. Les autres sont issus des grands établissements militaires : Saint-Cyr, Polytechnique, Navale.

    Études militaires des officiers membres de l’Éxécutif 1871-194013

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    20Parmi les officiers de l’armée de Terre, on peut remarquer la proportion élevée de Polytechniciens et de brevetés d’état-major, très supérieure à celle que l’on trouve dans l’ensemble des officiers généraux. Les anciens de Saint-Cyr se sont signalés comme d’excellents élèves qui se situent le plus souvent parmi les tout premiers de leur promotion. L’appréciation par leurs supérieurs des dons intellectuels et des qualités de caractère de nos héros présente des différences très nettes selon qu’il s’agit de terriens ou de marins. Les officiers de l’armée de Terre sont estimés remarquables ou même hors de pair dès leur jeunesse et le restent jusqu’au troisième âge ; on déplore toutefois de temps à autre la présomption et le manque de soumission de ces brillants sujets. En revanche, les marins sont parfois jugés incapables et brouillons dans leur jeune âge et se révèlent vers la trentaine. Cette bizarrerie peut s’expliquer par des coutumes différentes dans les deux armées : les rapporteurs de l’armée de Terre peuvent consulter les rapports des années précédentes et ont tendance à les reproduire, au contraire les dossiers des officiers de Marine ne sont pas consultables. La Marine permet donc plus facilement l’éclosion de talents originaux dans l’âge mûr ! Notons enfin que les divers corps auxquels ont appartenu les futurs ministres membres de l’armée de Terre se répartissent de manière significative. Alors que l’infanterie et la cavalerie regroupent la grande majorité des officiers, les futurs gouvernants appartiennent en grande majorité aux corps à vocation intellectuelle : artillerie, génie, état-major14.

    21Il ne faudrait toutefois pas voir les ministres militaires comme de purs intellectuels ou comme des bureaucrates. Leur formation de type sportif, leur participation à des campagnes, la valeur qu’ils y ont démontrée ne doivent pas être oubliées. Nos personnages font partie du monde des officiers avec ses valeurs spécifiques. Ils se distinguent néanmoins de leurs camarades parmi lesquels ils représentent une élite à la fois sociale et intellectuelle.

    Carrière politique

    22Pourquoi la République à ses débuts confie-t-elle systématiquement les portefeuilles de la Guerre et de la Marine à des officiers généraux ? Question prioritaire pour comprendre comment se déroule la carrière politique de nos personnages.

    23Jules Simon répond en invoquant la compétence : « Il faut être marin pour être un bon ministre de la Marine, être militaire pour être un bon ministre de la Guerre15. » Mais alors pourquoi se soucier aussi peu de la spécialisation et des capacités pour les autres ministères dont les titulaires sont largement interchangeables ? C’est d’abord affaire de tradition, qui remonte au moins au début du siècle ; la République suivant ici l’exemple des régimes monarchiques. Mais il s’agit surtout pour les chefs politiques de ménager ce milieu clos et susceptible qu’est l’armée. Celle-ci apparaît comme un pouvoir autonome qui règle lui-même l’avancement de ses chefs par des commissions de classement sur lesquelles, jusqu’à Galliffet (1899), le pouvoir civil a peu de prise. Après 1877, il s’agit en outre de ne pas heurter les officiers plus souvent conservateurs et catholiques que républicains.

    24C’est pourquoi, comme l’a observé Raoul Girardet, le ministre militaire apparaît un peu comme l’ambassadeur de la République des officiers auprès du pouvoir civil. Il faut aussi se souvenir de l’atmosphère de ferveur qui entoure l’armée après la défaite de 1870-1871 ; les hommes de gauche se veulent aussi patriotes que leurs adversaires conservateurs et multiplient les signes de respect et d’affection envers « l’Arche Sainte »16. Révérence universelle dont témoigne la nomination de militaires aux ministères pour lesquels ils sont compétents.

    25Les choses commencent à changer avec Boulanger : un général, ministre de la Guerre, s’est transformé en apprenti-César, heureusement sans génie politique. On pense donc à placer un homme politique civil rue Saint-Dominique afin de parer au péril de coup d’État. C’est chose faite pour la première fois en 1899 avec Freycinet qui, depuis son rôle aux côtés de Gambetta à Tours pendant la guerre franco-prussienne, a acquis une connaissance précise des choses militaires. Après 1888, le monopole des généraux à la Guerre se trouve rompu : une alternance entre officiers et parlementaires s’instaure.

    26Il est remarquable que l’affaire Dreyfus n’ait pas accentué le processus. Pourtant la gauche du parti républicain qui arrive au pouvoir en 1899 éprouve une méfiance accrue envers l’armée. Le monde militaire a affirmé avec tant d’énergie son autonomie dans l’ordre judiciaire qu’il a enflammé l’espoir de tout un parti hostile aux institutions. Les hommes de gauche estiment qu’une remise au pas s’impose : il paraît surtout nécessaire de réduire l’autonomie de l’armée en lui retirant le contrôle absolu sur l’avancement de ses grands chefs. Mais ce souci ne se traduit pas par la présence accrue des civils au ministère de la Guerre. Au contraire, Waldeck-Rousseau estime que la réponse jugée indispensable risque d’être mieux acceptée par l’armée si c’est un des siens qui l’impose. C’est Galliffet qui se chargea habilement de la mission, relayé ensuite par André qui s’efforça de républicaniser le corps des officiers, non sans maladresse.

    27La présence d’un général au ministère de la Guerre semble moins nécessaire à partir de 1911. Jusqu’à la guerre ce sont des hommes politiques civils qui se chargent de réaliser les grandes réformes aboutissant à l’unité du haut commandement face au danger allemand. Messimy, en particulier, se montre très efficace en réunissant sur un seul titulaire les fonctions de chef d’état-major général et de vice-président du Conseil supérieur de la Guerre (généralissime en cas de conflit). Sans doute, estime-t-on que ces importantes transformations seront mieux conçues par des hommes extérieurs au monde militaire qui ne seront pas entravés par ses habitudes et ses traditions. Peut-être aussi qu’à ce moment l’armée n’est plus considérée comme un danger potentiel pour la République parlementaire et n’a donc plus à être ménagée.

    28Avec la Grande Guerre on voit des généraux occuper à nouveau le poste, désormais crucial, de ministre de la Guerre : Gallieni (1915-1916), Roques (1916), Lyautey (1917). Après 1918, leur présence devient rare. Le prestige de Pétain est utilisé par Doumergue après le 6 février 1934. Les événements de 1940 entraînent à nouveau un afflux de militaires à l’exécutif : de Gaulle, Pétain, Weygand. Il est clair toutefois qu’une analyse prosopographique devient moins pertinente après 1911, étant donné le caractère exceptionnel des nominations de généraux au gouvernement. A la Marine on note une évolution semblable à celle de la Guerre mais plus précoce et qui semble avoir soulevé moins de problèmes17.

    29Les données politiques du problème étant ainsi brièvement rappelées on peut se demander quel type de général va être choisi pour siéger à l’exécutif.

    30– Plusieurs critères vont guider les présidents du Conseil pressentis :

    311) Il faut d’abord évidemment que le chef militaire pressenti soit connu dans le milieu parlementaire, plusieurs voies permettent à ces contacts de s’établir.

    32D’abord, dans les débuts du régime, on se tourne souvent vers un officier ayant siégé à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Les militaires avaient, en effet, connu de beaux succès lors des élections de février 1871. Par la suite, ils avaient souvent été élus sénateurs inamovibles par leurs collègues. Seize officiers ministres ont ainsi appartenu au monde parlementaire (neuf généraux et sept amiraux). Mais les lois sur l’inéligibilité des militaires en activité à la Chambre, dès la première législature, puis au Sénat (1884) firent disparaître peu à peu les possibilités d’un tel choix.

    33A côté des fonctions électives, toute une série de hautes positions mettent leurs titulaires en contact avec le monde politique. Et, d’abord les directions de services dans les ministères. Par exemple, Boulanger fut directeur de l’infanterie en 1882, Mercier des services administratifs de la Guerre en 1885 et 1888. Dans la Marine la direction du personnel semble un bon marchepied pour accéder à une direction supérieure. La fonction de chef d’état-major occupée par huit futurs gouvernants présente le même caractère.

    34D’autres attributions font connaître leur titulaire et l’habituent aux fonctions dirigeantes : missions diplomatiques, gouvernement des colonies (souvent confié à des amiraux). La notoriété de nos personnages dans le monde politique peut aussi remonter aux régimes monarchiques qui ont précédé la République. Plusieurs de nos ministres militaires ont occupé en effet des charges dans l’entourage d’un souverain ou d’un prince : ordonnance, aide de camp, commandant du yacht royal, etc.

    35Parmi les facteurs qui font désigner un militaire comme ministre de la Guerre, Berteaux indique « ses liens d’amitié avec le chef du gouvernement ». Ainsi le général de Cissey, qui ne passait pas pour une lumière, a été l’un des favoris de Thiers. Billot, en relations avec Freycinet, fit la connaissance de plusieurs hommes politiques républicains en fréquentant le salon de Juliette Adam. Armand Fallières protégea le général Brun, comme lui originaire du Lot-et-Garonne18. Plus tard et dans une toute autre situation on connaît les liens qui existèrent entre Paul Reynaud et de Gaulle.

    362) Le chef de gouvernement désigné se préoccupe ensuite des opinions du futur ministre qui bien sûr, ne doivent pas être incompatibles avec celles de la majorité parlementaire. Problème facile à résoudre au temps des conservateurs, la majorité de droite de l’Assemblée nationale et le milieu des grands chefs militaires étant animés de convictions assez semblables. Mais, après 1877, et l’échec de la droite, la chose est beaucoup plus délicate. L’homme politique en quête d’une équipe ministérielle doit trouver un général républicain, rara avis !

    37Au début de Père républicaine, on tourne habilement la question : le président du Conseil désigné s’en tire souvent en désignant un officier ayant appartenu aux unités improvisées par Gambetta pour résister aux Prussiens, considérés ipso facto comme républicains. En effet, après la capitulation l’armée se trouve divisée en deux clans antagonistes : d’un côté, les officiers qui ont été faits prisonniers et qui n’ont pas profité de l’avancement rapide du temps de guerre ; de l’autre, ceux qui ont participé aux efforts de la Défense nationale et dirigé les unités improvisées de Gambetta et de Freycinet. Manquant de chefs, la Délégation de Tours a nommé de nombreux officiers à des postes élevés dans les nouvelles armées sans respecter les normes de l’avancement. Ceux qui reviennent de captivité éprouvent de l’amertume devant ces promotions. L’Assemblée nationale conservatrice épouse leurs rancunes : la commission de révision des grades, présidée par le général Changarnier replace à leur niveau antérieur nombre de récents promus. C’est au tour de ces derniers d’enrager. C’est ainsi que Boulanger, nommé colonel pendant le siège de Paris, est rétrogradé ; il exprime sa rage dans une lettre du 27 décembre 1871 : « A l’abattement a succédé une sorte de rage froide contre ceux qui m’ont fait tant de mal... je veux pouvoir me venger, et, le jour arrivé, je serai impitoyable…19 »

    38D’autres vexations attendent plusieurs officiers qui, ayant été faits prisonniers par les Allemands, se sont évadés pour rejoindre les forces françaises. Après l’armistice, ils sont systématiquement soumis par le ministère à une enquête qui doit établir s’ils n’étaient pas prisonniers sur parole et s’ils n’ont pas violé leur serment. En effet, la loi du 19 mai 1834 interdit de s’évader aux officiers bénéficiant des avantages des prisonniers sur parole. Billot, Zurlinden, Thibaudin subissent ainsi diverses vexations. Il est clair que ces tracasseries donnent aux cadres des armées de Gambetta une antipathie certaine pour la majorité conservatrice de l’Assemblée nationale. Le jeu naturel de la gauche consiste à utiliser cet état d’esprit pour la cause de Marianne.

    39Ainsi, apparaît un contraste entre le choix des ministres avant 1877 et pendant la période républicaine opportuniste. Sous le règne de la droite, aucun officier des armées de Gambetta ne fait partie des gouvernements20. Au contraire, pendant les deux premières décennies de l’ère républicaine, la grande majorité des généraux ministres y a participé. Enfin, après 1900, les souvenirs de la guerre s’estompent et certains grands chefs étaient trop jeunes pour y avoir participé.

    40Mais, comme on peut le constater, il n’est pas vraiment question ici d’opinions politiques. En cherchant bien, on peut néanmoins trouver quelques officiers possédant un pedigree acceptable pour la gauche. Campenon, Billot, Thibaudin se sont épisodiquement déclarés républicains après 1848. André affichait des convictions de gauche qui lui firent subir quelques vexations de la part de ses camarades. Il est difficile de trouver mieux que ce quatuor21 relativement exemplaire. Aussi se contente-t-on souvent de républicains plus pâles ou plus tardifs, convertis à la République de Thiers, comme Jauréguiberry qui passa du centre-droit au centre-gauche après son élection à l’Assemblée nationale.

    41Au xxe siècle, alors que le danger de restauration ou de coup d’État s’est éloigné, le problème ne se pose plus vraiment. On se préoccupe moins, alors, des idées du général-ministre et davantage de ses capacités. La plupart des officiers qui participent aux gouvernements se montrent loyalistes envers le régime mais ne se signalent par aucune opinion politique bien affirmée. Plusieurs généraux de gouvernement comme Goiran, dernier ministre officier avant 1914, manifestent un désintérêt total pour les questions politiques.

    42Pourtant de temps à autre, on redécouvrira un militaire animé de convictions démocratiques sérieuses pour occuper une place à l’exécutif. C’est l’un des arguments mis en avant pour promouvoir Pétain : authentique général républicain celui-là !

    43La haute hiérarchie militaire et la classe politique supérieure parcourent donc des chemins qui se croisent à l’occasion car les deux mondes ne sont pas étanches l’un à l’autre. D’ailleurs, le milieu des ministres issus de l’armée ne s’oppose pas absolument à celui de l’ensemble des gouvernants. Une formation intellectuelle de niveau supérieur les rapproche et l’évolution de leur recrutement évolue, des deux côtés, dans le sens d’une démocratisation. Toutefois, ces convergences ne vont pas sans ambiguïté. Modelé par une formation spécifique, l’officier qui entre au gouvernement vers soixante ans connaît de sérieuses difficultés à acquérir de nouvelles habitudes. C’est donc une combinaison d’attraction et de répulsion que les généraux ministres éprouvent pour la politique. Attraction pour le pouvoir et pour les réformes utiles que ces éléments les plus doués de la République des officiers s’estiment capables de réaliser. Répulsion pour les mœurs politiques et les pratiques du Parlement. Du Barail dans ses mémoires (1894) résume avec pessimisme la situation de l’officier membre du gouvernement, estimant le choix d’un bon ministre de la Guerre impossible en régime parlementaire22. Un avocat qui se croit capable de parler de tous les sujets sans en connaître aucun se révélera catastrophique par son ignorance des problèmes de l’armée, mais inversement un militaire compétent ne sera à son aise ni dans les couloirs du Palais Bourbon, ni à la tribune. Du Barail avoue même que la perspective de devoir parler devant une assemblée suscitait chez lui une véritable angoisse. Pessimisme excessif à coup sûr, démenti par son propre exemple, du Barail ne réussit-il pas, après la défaite de 1871 à mettre sur pied une intelligente réforme de l’armée en lui donnant dès le temps de paix son organigramme de guerre et en créant un état-major centralisé ? Il est vrai que certains des généraux qui lui succédèrent laissèrent un souvenir moins positif... Mais notre but n’est ni de dresser un impossible palmarès ni de raconter l’histoire des militaires au gouvernement ce qui nous entraînerait loin du sujet.

    Notes de bas de page

    1 Voir parmi d’autres titres William Serman, Les officiers français dans la nation 1848- 1914, Paris, Aubier, 1982 et Histoire militaire de la France, sous la direction d’André Corvisier, Paris, PUF, 1992, t. II dirigé par J. Delmas. La plupart des données de cet article sont tirées de Jean Estèbe, Les Ministres de la République 1871-1914, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1982, ou plutôt de l’exemplaire dactylographié de cette thèse (déposée à la B.N.), plus détaillé, ouvrage complété par une étude plus rapide sur la période 1914-1940. La plupart des exemples choisis concernent la période antérieure à 1911 où les militaires siègent souvent au gouvernement.

    2 Nous comprendrons dans notre groupe des officiers qui participent à l’exécutif à un autre titre Mac-Mahon, Président de la République (1873), Letellier-Valazé, sous-secrétaire d’État à la Guerre, Ç1874-1875), Chabaud-Latour, ministre de l’Intérieur (1874-1875), de Gaulle, secrétaire d’État à la Guerre (1940).

    3 Voir tableaux ci-après.

    4 Ils sont généraux vers cinquante ans, ministres dix ans plus tard.

    5 Dossiers identiques aux archives de la Marine ; renseignements importants dans les déclarations de succession (enregistrement déposé aux archives de Paris) ; archives de l’École Polytechnique ; archives privées Chabaud-Latour (au château de Thauvenay par Sancerre) ; diverses archives départementales.

    6 Les cinq catégories professionnelles désignées ici correspondent aux métiers suivants : – travailleurs manuels et petits salariés : ouvriers, employés, petits agents publics, cultivateurs et artisans ;
    – petite bourgeoisie propriétaire : commerçants détaillants et petits officiers ministériels ; – bourgeoisie diplômée et de fonction : fonctionnaires moyens, professeurs, ingénieurs, membres des professions libérales, officiers (sauf généraux) ; – cadres de l’État : magistrats, hauts fonctionnaires, officiers généraux, parlementaires ;
    – propriétaires des moyens de production et d’échanges : industriels, négociants, propriétaires fonciers, rentiers.

    7 Les valeurs postérieures à 1914 ont été converties en francs 1914 en utilisant l’indice des prix. Sources : dossiers militaires et déclarations de successions.

    8 Leurs femmes ont en moyenne seize à dix-huit ans de moins qu’eux.

    9 Jacques Sylvestre de Sacy, Le Maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta (1808-1893), Éditions internationales, Paris, 1960 et Waddington (Mary), My first years as French woman 1876-1879, London, 1914.

    10 La majorité de nos personnages a combattu en Algérie.

    11 Dossier militaire, Vincennes.

    12 William Serman, « Les généraux français en 1870 », Revue de la Défense nationale, p. 1 319-1 330, août-septembre 1970.

    13 L’École d’état-major se transforme en école supérieure de guerre en 1880. Elle s’ouvre aux premiers de Saint-Cyr, aux anciens de Polytechnique et à un certain nombre de sous-lieutenants ayant deux ans d’activité. Il y a de vingt-deux à vingt-cinq admis chaque année, soixante-dix après 1880. Elle se modifie encore au xxe siècle.

    14 Victor Denain, ministre de l’Air dans les cabinets Flandin (1934), Doumergue (1934), Bouisson (1935) appartenait à l’armée de l’Air.

    15 Cité par Roland d’Ornano, Gouvernement et Haut-Commandement en Régime parlementaire français, 1814-1914, thèse de droit, dact. ; J.O. du 10 novembre 1875, Assemblée nationale, p. 9 166.

    16 Raoul Girardet, La Société militaire dans la France contemporaine (1815-1939), Paris, Plon, 1952, p. 161 et 180.

    17 Le premier ministre de la Marine non militaire est de Mahy en 1883. A partir de 1898, les parlementaires occupent presque seuls le ministère de la Marine, à l’exception de Boué de Lapeyrère (1909-1911), Lacaze (1915-1917) et Darlan (1940).

    18 Si l’on en croit Joffre, Brun se montra des plus médiocres rue Saint-Dominique.

    19 Adrien Dansette, Le Boulangisme, Paris, Fayard, 1946, p. 23.

    20 A l’exception de l’amiral Fourichon ex-ministre de Tours, reconduit par Thiers.

    21 Général André, Cinq ans de ministère, Paris, 1907, chap. I.

    22 Général du Barail, Mes souvenirs, Paris, 1894, p. 385 et 389.

    Auteur

    • Jean Estebe

      (✝), Professeur à l’université de Toulouse-II-Le Mirail, a publié Les Ministres de la République (1871-1914), Paris, F.N.S.P., 1982.

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    1 Voir parmi d’autres titres William Serman, Les officiers français dans la nation 1848- 1914, Paris, Aubier, 1982 et Histoire militaire de la France, sous la direction d’André Corvisier, Paris, PUF, 1992, t. II dirigé par J. Delmas. La plupart des données de cet article sont tirées de Jean Estèbe, Les Ministres de la République 1871-1914, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1982, ou plutôt de l’exemplaire dactylographié de cette thèse (déposée à la B.N.), plus détaillé, ouvrage complété par une étude plus rapide sur la période 1914-1940. La plupart des exemples choisis concernent la période antérieure à 1911 où les militaires siègent souvent au gouvernement.

    2 Nous comprendrons dans notre groupe des officiers qui participent à l’exécutif à un autre titre Mac-Mahon, Président de la République (1873), Letellier-Valazé, sous-secrétaire d’État à la Guerre, Ç1874-1875), Chabaud-Latour, ministre de l’Intérieur (1874-1875), de Gaulle, secrétaire d’État à la Guerre (1940).

    3 Voir tableaux ci-après.

    4 Ils sont généraux vers cinquante ans, ministres dix ans plus tard.

    5 Dossiers identiques aux archives de la Marine ; renseignements importants dans les déclarations de succession (enregistrement déposé aux archives de Paris) ; archives de l’École Polytechnique ; archives privées Chabaud-Latour (au château de Thauvenay par Sancerre) ; diverses archives départementales.

    6 Les cinq catégories professionnelles désignées ici correspondent aux métiers suivants : – travailleurs manuels et petits salariés : ouvriers, employés, petits agents publics, cultivateurs et artisans ;
    – petite bourgeoisie propriétaire : commerçants détaillants et petits officiers ministériels ; – bourgeoisie diplômée et de fonction : fonctionnaires moyens, professeurs, ingénieurs, membres des professions libérales, officiers (sauf généraux) ; – cadres de l’État : magistrats, hauts fonctionnaires, officiers généraux, parlementaires ;
    – propriétaires des moyens de production et d’échanges : industriels, négociants, propriétaires fonciers, rentiers.

    7 Les valeurs postérieures à 1914 ont été converties en francs 1914 en utilisant l’indice des prix. Sources : dossiers militaires et déclarations de successions.

    8 Leurs femmes ont en moyenne seize à dix-huit ans de moins qu’eux.

    9 Jacques Sylvestre de Sacy, Le Maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta (1808-1893), Éditions internationales, Paris, 1960 et Waddington (Mary), My first years as French woman 1876-1879, London, 1914.

    10 La majorité de nos personnages a combattu en Algérie.

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    12 William Serman, « Les généraux français en 1870 », Revue de la Défense nationale, p. 1 319-1 330, août-septembre 1970.

    13 L’École d’état-major se transforme en école supérieure de guerre en 1880. Elle s’ouvre aux premiers de Saint-Cyr, aux anciens de Polytechnique et à un certain nombre de sous-lieutenants ayant deux ans d’activité. Il y a de vingt-deux à vingt-cinq admis chaque année, soixante-dix après 1880. Elle se modifie encore au xxe siècle.

    14 Victor Denain, ministre de l’Air dans les cabinets Flandin (1934), Doumergue (1934), Bouisson (1935) appartenait à l’armée de l’Air.

    15 Cité par Roland d’Ornano, Gouvernement et Haut-Commandement en Régime parlementaire français, 1814-1914, thèse de droit, dact. ; J.O. du 10 novembre 1875, Assemblée nationale, p. 9 166.

    16 Raoul Girardet, La Société militaire dans la France contemporaine (1815-1939), Paris, Plon, 1952, p. 161 et 180.

    17 Le premier ministre de la Marine non militaire est de Mahy en 1883. A partir de 1898, les parlementaires occupent presque seuls le ministère de la Marine, à l’exception de Boué de Lapeyrère (1909-1911), Lacaze (1915-1917) et Darlan (1940).

    18 Si l’on en croit Joffre, Brun se montra des plus médiocres rue Saint-Dominique.

    19 Adrien Dansette, Le Boulangisme, Paris, Fayard, 1946, p. 23.

    20 A l’exception de l’amiral Fourichon ex-ministre de Tours, reconduit par Thiers.

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    22 Général du Barail, Mes souvenirs, Paris, 1894, p. 385 et 389.

    Militaires en République, 1870-1962

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    Estebe, J. (1999). Prosopographie des militaires ministres sous la Troisième République. In O. Forcade, Éric Duhamel, & P. Vial (éds.), Militaires en République, 1870-1962. Paris: Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.61777
    Estebe, Jean. « Prosopographie des militaires ministres sous la Troisième République ». In Militaires en République, 1870-1962, édité par Olivier Forcade, Éric Duhamel, et Philippe Vial. Paris: Éditions de la Sorbonne, 1999. doi:10.4000/books.psorbonne.61777.
    Estebe, Jean. « Prosopographie des militaires ministres sous la Troisième République ». Militaires en République, 1870-1962, édité par Olivier Forcade et al., Éditions de la Sorbonne, 1999, https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.61777.

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    Forcade, O., Duhamel, Éric, & Vial, P. (éds.). (1999). Militaires en République, 1870-1962. Paris: Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.61562
    Forcade, Olivier, Éric Duhamel, et Philippe Vial, éd. Militaires en République, 1870-1962. Paris: Éditions de la Sorbonne, 1999. doi:10.4000/books.psorbonne.61562.
    Forcade, Olivier, et al., éditeurs. Militaires en République, 1870-1962. Éditions de la Sorbonne, 1999, https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.61562.
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