1Face à l’aggravation de la situation internationale, quelles sont les réactions de la Belgique ? Comment voit-elle la responsabilité de chacun de ses voisins ? Dans quelle mesure espère-t-elle rester à l’écart des crises majeures ?

2De la première guerre balkanique, à l’automne 1912, à la crise de juillet 1914, l’opinion publique et les dirigeants du pays traversent des phases successives d’inquiétude et d’espoir liées, à la fois, aux événements en Europe et à l’évolution des relations entre la Belgique et la France ou l’Allemagne.

Une inquiétude en dents de scie

Les incidences des guerres balkaniques

3Alors que la Belgique vient tout juste de lancer son projet de loi militaire, à l’automne 1912, les autorités de Bruxelles s’inquiètent de la tension internationale liée à la première guerre balkanique1. Dès la fin novembre, deux notes de la direction politique attirent l’attention du ministère sur l’aggravation de la situation en Europe. Informés des mesures de mobilisation décidées en Russie, en Autriche-Hongrie et en Allemagne, les diplomates belges se demandent si la France et l’Angleterre en ont fait de même2. On signale aussi l’attitude des dirigeants autrichiens dont on pense qu’ils souhaitent la guerre et celle de « personnalités modérées » comme par exemple Poincaré qui est d’avis que la guerre pourrait éclater d’un jour à l’autre3.

4La situation étant « sérieuse », la direction politique estime que le gouvernement belge doit « aviser dès maintenant » des mesures à prendre pour mettre le pays à l’abri d’une surprise ou d’une invasion brusquée4. Gaiffier propose de s’en tenir pour le moment à des mesures discrètes, de ne pas rappeler des classes prématurément afin de ne pas susciter des questions gênantes de la part des puissances voisines mais d’informer l’armée pour qu’elle mette les forts de Liège et de Namur en état de défense et qu’elle prenne les mesures permettant, par la suite, de hâter la mobilisation éventuelle5.

5Dans les semaines suivantes, la situation internationale continue à être considérée comme préoccupante6, surtout après la réception, à la mi-janvier, d’un long rapport du consul de Belgique à Tourcoing qui signale l’arrivée à Lille de quantités considérables d’approvisionnements ainsi que la concentration de régiments dans la région de Maubeuge7. Thaune insiste aussi sur l’émergence d’un état d’esprit plus belliciste en France. Il constate que l’armée est devenue populaire, que les antimilitaristes n’ont plus guère droit de parole même dans les milieux ouvriers et que leurs théories inspirent de la répugnance. Selon lui, le sentiment de peur face à l’Allemagne, qui dominait au moment d’Agadir, a laissé la place à une grande confiance en soi motivée surtout par la supériorité supposée de l’artillerie française ; il conclut que si la France ne souhaite pas la guerre, elle ne la redoute plus et semble s’y être résignée8.

6La Rue de la Loi continue à réfléchir aux préparatifs de guerre. Elle propose de préparer dès le temps de paix les mesures permettant de rompre, en cas de guerre, les lignes de chemins de fer qui traversent le pays9 ; cette suggestion n’est pas retenue10. Mais le ministre des Affaires étrangères veille surtout à la mise au point de la conduite diplomatique à adopter en cas de conflit.

7Classé en décembre 1912, les archives du ministère contiennent un « projet de traité à proposer au garant dont nous invoquerions l’assistance si la neutralité était violée et si le besoin de secours se faisait sentir »11. Ce projet est rédigé sur la base de l’hypothèse d’une violation du territoire par l’Allemagne et prévoit un accord entre la France et la Belgique12. Le projet de traité est très court mais il fixe avec précision les conditions d’une action militaire commune aux armées française et belge. Selon l’article 1, « les armées françaises coopèrent avec l’armée belge pour la défense de la neutralité... et en vue de maintenir, pendant et après la guerre actuelle, l’indépendance de la Belgique ». L’article 2 limite la participation de l’armée belge aux opérations militaires nécessaires pour repousser les armées allemandes en dehors du territoire belge13. Une fois cet objectif atteint, des forces françaises seront maintenues en Belgique pour parer à un retour offensif et à une nouvelle violation de la neutralité mais le territoire belge ne pourra pas servir de base pour des opérations contre l’Allemagne qui n’auraient pas pour but de faire respecter la neutralité belge (article 3). Enfin, l’article 4 indique que « les forteresses belges seront en tout état de cause et en tout temps exclusivement occupées par les troupes belges ».

8Le gouvernement belge décide aussi, en février 1913, d’envoyer aux représentants près des Puissances garantes la circulaire qui avait été rédigée en septembre 1911. C’est sur l’intervention répétée de ses collaborateurs, Edmond de Gaiffier et Albert de Bassompierre14, que le ministre Davignon propose au gouvernement l’expédition de ce document qui devra être communiqué aux Puissances garantes en cas de guerre15. Adressé à Paris le 4 février, à Vienne le 17, à Berlin le 22, à Saint-Pétersbourg le 25 et à Londres, le 7 mars 1913, cette circulaire était signée mais non datée. Il est prévu que la date à ajouter serait indiquée le moment venu par télégramme. A réception de ce télégramme – qui doit être envoyé le jour où la mobilisation sera décrétée en Belgique – les représentants devraient porter sur la circulaire la date de la veille du télégramme et en faire aussitôt communication au gouvernement auprès duquel ils sont accrédités16.

9Alors que la première guerre balkanique est près de se terminer, une note du ministère fait remarquer que le danger de guerre n’est pas écarté pour autant car il serait provoqué moins par les événements qui se déroulent dans le Sud-Est de l’Europe que par le réveil chauvin en France et par la lassitude des peuples désireux de ne pas « supporter plus longtemps l’effort pécunier exténuant qu’on leur impose »17. De son côté, Beyens considère que c’est d’Allemagne plutôt que de la Triple Entente que « dépendra, dans un avenir plus ou moins prochain, le repos ou la conflagration de l’Europe »18 car si l’Empereur reste pacifiste, la majorité de la nation l’est moins ; sous l’influence des militaires et des pangermanistes, elle pourrait pencher vers des solutions violentes d’autant plus que – toujours selon Beyens – même la classe intellectuelle allemande est tellement pénétrée de la grandeur et de la puissance du Reich qu’elle n’admettrait plus le règlement pacifique d’une question comme celle d’Agadir19.

10Estimant que les armées françaises et allemandes seront renforcées à leur maximum au printemps 1914, que les opinions publiques regardent la guerre comme inévitable et que les chauvins des deux côtés de la frontière y poussent de toutes leurs forces, la Rue de la Loi conseille de prendre les mesures pour faire face si la guerre devait éclater en 191420.

Les frictions germano-belges de l’automne 1913

11En fait c’est dès l’automne que l’atmosphère se détériore momentanément, surtout entre le Reich et la Belgique. En Allemagne, la presse relève de nombreux faits – mêmes insignifiants – qui semblent témoigner de la sympathie belge à la France et de l’hostilité à l’Allemagne21. De nombreux observateurs reprochent aux Belges d’avoir une attitude peu bienveillante, voire franchement germanophobe22. Deux « affaires » orchestrées par la presse sont révélatrices ; l’une concerne la trouée de Luxembourg et l’autre les manœuvres belges de 1913.

12Fin août 1913 éclate une polémique comme la presse française et la presse francophile de Belgique savent les développer. Elle dénonce la « trouée du Luxembourg » par laquelle peut s’engouffrer une armée allemande prenant l’offensive contre la France. Cette campagne est lancée par un article paru dans le Matin de Paris sous la signature du sénateur Bérenger qui jette un cri d’alarme23. Ayant pu constater de visu les préparatifs allemands dans la région de Trêves, il redoute une invasion foudroyante par le Grand-Duché de Luxembourg en direction de la Haute Meuse. Il adjure le gouvernement français de prendre des mesures défensives et semble obtenir quelques résultats. Un mois plus tard, le Journal Officiel publie un décret modifiant la disposition des troupes de couverture24. Entre temps, de nombreux journaux français, belges et allemands sont entrés dans la polémique qui soulève aussi la question du passage des troupes allemandes par le Luxembourg belge.

13Le problème n’est pas nouveau dans l’été 1913. Depuis des années, l’éventualité d’une traversée des Ardennes par une armée d’invasion a été envisagée. Si elle paraît peu plausible à certains, en raison de la difficulté du terrain, elle est considérée comme probable par d’autres qui soulignent les avantages d’un passage excentrique25. En effet, en raison de l’éloignement, l’armée belge n’aurait sans doute pas la possibilité d’arriver à temps pour empêcher la violation, à moins de concentrer les troupes près de la Meuse. Le débat porte aussi, en Belgique, sur l’intérêt d’une intervention militaire dans cette région périphérique.

14Depuis la réforme militaire de 1913, le problème se présente sous un jour nouveau. Interpellé par Lorand et Ozeray à la Chambre, le chef du gouvernement de Broqueville déclare, le 22 mai 1913, que désormais, grâce à la nouvelle loi et à l’augmentation des effectifs, le Luxembourg pourra être mieux défendu car il sera possible de déconcentrer l’armée. La Meuse ne serait donc plus la « frontière militaire du Royaume » comme on a parfois pu le dire26.

15Lorsque le Temps du 21 août propage l’idée que le Luxembourg belge est mal protégé, Bruxelles s’élève contre cette assertion injuste, véritable accusation de ne pas remplir les devoirs de la neutralité. Le baron Guillaume est chargé d’expliquer au Quai d’Orsay qu’avec la nouvelle loi militaire (lorsqu’elle aura produit ses pleins effets) le territoire tout entier sera protégé efficacement contre toute agression, d’où qu’elle vienne27. Un peu plus tard, Gaiffier redit au chargé d’affaires français que la Belgique a pris des mesures très sérieuses pour assurer la défense du Luxembourg, qu’on y porterait deux divisions en cas de guerre, si bien qu’un « envahisseur verrait sa marche trop ralentie pour avoir intérêt à emprunter » le territoire belge28.

16Mais Roland de Marès entre dans la bataille avec un article dans l’Indépendance belge dès le 24 août et un autre le 4 septembre29 pour déclarer que la Belgique est incapable de se défendre au Luxembourg. Puis le général (français) Maîtrot affirme dans le Correspondant30 qu’à son avis le gouvernement belge ne défendra pas la rive droite de la Meuse. Le presse catholique dément ces allégations et le Journal de Bruxelles met en garde contre les thèses tendancieuses jetant la suspicion sur un voisin31.

17Ceci n’empêche pas la presse allemande de montrer son mécontentement. Tout en admettant que le gouvernement belge a fait une mise au point digne de reconnaissance, la Kölnische Zeitung dénonce les menées de journaux belges – excités par la presse française – pour exploiter un débat sur « une question de pure théorie militaire » en vue de fortifier la méfiance de l’opinion publique belge à l’égard de l’Allemagne32. D’autres organes emboîtent le pas, notamment le Berliner Tageblatt33.

18Si la campagne de presse sur la trouée du Luxembourg s’arrête après quelques semaines, le sujet n’est pas épuisé. Au printemps 1914, une brochure du commandant Bremer souligne à nouveau la difficulté pour la Belgique de défendre l’extrême Sud-Est du pays car, si l’armée de campagne débouche sur la rive droite de la Meuse le 8^e jour, elle risque d’arriver trop tard34. En commentant cette publication, l’attaché militaire français souligne qu’une action au Sud de la Meuse est de plus en plus souvent envisagée par les milieux militaires mais qu’elle ne serait acceptée par le gouvernement que « si l’on a tous les apaisements pour la Belgique moyenne »35. La possibilité d’une telle action est en tout cas étudiée à l’Etat-major qui prévoit d’organiser les grandes manœuvres de 1914 dans les Ardennes36.

19En attendant, dans la foulée de la polémique sur la trouée de Luxembourg, ce sont les grandes manœuvres de l’armée belge en 1913 qui suscitent, à nouveau, l’indignation de la presse allemande. Ces manœuvres prennent une importance inhabituelle ; elles rassemblent 25 000 hommes sur le terrain, entre Sambre et Meuse, et certains exercices sont suivis par le Roi37. De nombreux commentaires de la presse parisienne repris par une partie de la presse belge, soulignent l’intérêt de ces manœuvres qui se déroulent entre Namur et la frontière française, dans une région susceptible de devenir effectivement le théâtre d’opération en cas de guerre38. Le thème de ces manœuvres doit permettre d’apprécier la capacité de résistance d’une armée belge confrontée à un envahisseur franchissant la Meuse. La presse française, qui publie des articles élogieux sur ces manœuvres, ne manque pas d’identifier l’armée rouge d’invasion venant de l’Est, à l’armée allemande en soulignant, qu’elle n’est pas parvenue, malgré sa supériorité numérique, à forcer la position fortifiée de Namur39. Les « interprétations tendancieuses du thème servant de base aux manœuvres », relayées par la presse belge, produisent une « impression fâcheuse » dans les milieux militaires du Reich40. Plusieurs organes, la Kölnische Zeitung (3 septembre), la Neue Preussische Zeitung (4 septembre) s’en prennent à ces commentaires accusés de vouloir exciter l’opinion publique contre l’Allemagne41.

20A l’occasion des campagnes de presse de l’automne 1913, Winterfeldt, alors attaché militaire d’Allemagne à Paris, dit à son collègue belge que « l’Allemagne ne demande qu’une seule chose, c’est que la Belgique affirme sa neutralité à l’égard de tous ses voisins »42. Selon lui, la Belgique a tort de laisser accréditer l’idée que l’Allemagne ne respecterait pas la neutralité de son territoire, ce qui est pure calomnie car le gouvernement allemand n’a pas de projet agressif contre la France. S’il a augmenté ses effectifs, c’est uniquement dans la perspective d’une guerre à mener sur deux fronts et s’il renforce la couverture dans la région de Trêves, c’est pour parer au « danger que présenteraient les grandes facilités d’accès qu’auraient les forces françaises à traverser le Luxembourg pour se porter rapidement sur Trêves »43.

21Dans ce climat de l’automne 1913, où l’obsession d’une invasion allemande semble reprendre vigueur, émerge un mouvement d’opinion hostile à la neutralité imposée, d’inspiration plus nettement antiallemand que le courant apparu en 1911. L’abbé de Lannoy en est l’un des porte-paroles les plus en vue. Dans son cours inaugural à la faculté de philosophie de l’institut Saint-Louis de Bruxelles, il explique que les traités ne sont pas éternels, que la situation internationale n’est plus la même qu’en 1831 et que la Belgique peut se dégager de la neutralité qui lui a été imposée44. Cette évolution lui paraît souhaitable pour que la Belgique puisse de doter d’un plan de défense fondé sur l’hypothèse que le seul danger qui menace le pays vient de l’Est. Ces thèses semblent rencontrer un certain écho, notamment dans quelques cercles intellectuels de Bruxelles, comme par exemple, la Fédération des avocats45.

22C’est dans ce contexte un peu troublé par les polémiques qu’Albert 1er se rend en Allemagne début novembre pour inspecter le régiment de dragons dont il était colonel.

23Dans une note pour le Roi rédigée à cette occasion, E. de Gaiffïer souligne que les relations entre les deux pays, en apparence cordiales et confiantes, ne sont perturbées par aucun incident majeur. Mais elles ne sont « pas exemptes d’une certaine gêne et d’une certaine raideur parce que sur elles pèse le soupçon que si la guerre venait à éclater, l’Allemagne violerait la neutralité belge »46. L’analyse de Gaiffïer est proche de celle faite par Arendt début 1912 ; la presse française, suivie par une partie de la presse belge, est rendue responsable de ce malaise car elle exploite tous les incidents qui permettent de présenter le péril allemand. Or depuis 1911, se sont multipliées des occasions qui ont facilité cette propagande et contribué à détériorer les rapports avec l’Allemagne47. Mais Gaiffier montre que l’Allemagne porte aussi une part de responsabilité dans cette évolution : non seulement les généraux Schlieffen et von Bernhardi ont répandu l’idée d’un passage de l’armée allemande par la Belgique, mais la presse, surtout rhénane, exaspérée par la francophilie de certains organes belges, cherche à démontrer que le gouvernement de Bruxelles, tout comme l’opinion publique, se laissent entraîner dans l’orbite française.

Un avertissement de Guillaume II à Albert I^er

24Annoncé tardivement – au point que la Kölnische Volkszeitung souligne qu’on en a laissé le projet secret pour ne pas offusquer les amis français48 – le voyage conduit le Roi à Hambourg où il rencontre Albert Ballin et visite l’un des derniers transatlantiques lancé par la Hamburg Amerika Linie, à Lunebourg, où il inspecte le régiment de dragons le 5 novembre, puis à Potsdam, où il est l’hôte de l’Empereur49. Au cours de la journée du 6, marquée par la visite de Sans-Souci, du vieux château et des serres du parc, Guillaume II annonce à Albert 1er qu’il considère la guerre comme inévitable et prochaine par la faute de la France, de son esprit revanchard de plus en plus agressif depuis le vote de la loi de 3 ans, de sa presse de plus en plus hostile à l’Allemagne et du gouvernement qui reste sourd aux propositions d’entente faites par Berlin50. Dans cette guerre, la supériorité écrasante de l’armée allemande ne peut que donner la victoire au Reich.

25Le soir du 6 novembre, un dîner en l’honneur du Roi rassemble au nouveau Palais, autour de la famille impériale, les principaux responsables politiques et militaires : le chancelier Bethmann-Hollweg, le sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Zimmermann, le chef de la marine, l’amiral von Tirpitz, le ministre de la guerre, von Falkenhayn, le chef d’Etat-major général von Moltke ainsi que le personnel de la légation de Belgique au grand complet51. Au cours de cette soirée, Moltke réitère, à deux reprises, l’avertissement déjà donné par l’Empereur. Il en parle au Roi à l’issue du dîner52 et, à table, il a une longue conversation avec son voisin, le chevalier de Mélotte.

26Selon l’expression de Beyens, Moltke, qui se montre d’ordinaire très réservé, « s’est déboutonné en causant avec un militaire »53. Il explique à Mélotte que la guerre avec la France est « inévitable et beaucoup plus rapprochée que vous ne croyez »54, car l’Allemagne en a assez des alertes continuelles qui nuisent à son développement. Selon Moltke, « il faut que la France cesse de nous nuire et de nous provoquer, sinon nous aurons une explication » et « le plus tôt sera le mieux ». Dans cette guerre, le Reich est sûr de vaincre ; il est « prêt », « archiprêt » et surtout sa force réside dans l’esprit qui anime le peuple ; il peut certes perdre des batailles, mais finalement il triomphera55. Si le chef d’Etat-major semble considérer que la Russie pourrait rester à l’écart56, il envisage, sans états d’âme, la guerre avec l’Angleterre : « notre flotte recevrait l’ordre de courir sus à la flotte britannique. Elle sera battue, c’est très possible, même très probable »57, mais l’Allemagne ne risquerait que la destruction de ses navires alors que l’Angleterre perdrait la maîtrise de la mer qui passerait pour toujours aux Etats-Unis.

27La détermination allemande provoque la « stupeur » du Roi58. Certes, ces informations ne tombent pas dans un climat complètement serein, mais l’image d’un Empereur foncièrement pacifique s’effondre. Il n’apparaît plus comme le rempart contre les visées belliqueuses du parti militaire et pangermaniste59. La volonté allemande d’exploiter un incident pour mener une guerre préventive paraît suffisamment menaçante pour que le Roi autorise Beyens à en informer l’ambassadeur de France, Jules Cambon60, mais en prenant d’infinies précautions pour que l’origine des renseignements ne puisse être divulguée61.

28Beyens estime, en effet, que la France doit être avertie des desseins belliqueux de l’Allemagne, dans l’espoir de pouvoir les contrecarrer. A son avis, le gouvernement de la République doit « tâcher de modérer le ton des journaux parisiens » pour éviter les polémiques fâcheuses qui provoquent l’irritation en Allemagne. Il faut aussi qu’il puisse prendre les « précautions que commande un tel changement dans les dispositions pacifiques prêtées jusqu’ici à Guillaume II »62.

29Mais, fin 1913, Beyens est pessimiste ; il pense que la paix ne peut se maintenir que si la France se résigne à accepter la suprématie allemande. Dans une lettre personnelle à Van der Elst, il donne des Allemands une image inquiétante : selon lui, le développement gigantesque du Reich les rend « exigeants et orgueilleux » ; ils se croient « le premier peuple de l’Europe, destiné à la dominer et à la conduire » ; ils veulent briser les résistances qui s’opposent à leur hégémonie63. Beyens en conclut qu’il y a là « une sorte de loi naturelle, de fatalité, contre laquelle nous, les petits pays, nous ne pouvons rien et que nous devons subir ». Quant à la France, peut-être, « se rendra-t-elle à l’évidence et adoptera-t-elle une plus sage politique »64 ?

30Beyens pense aussi que le double avertissement de Berlin à Albert I^er est destiné à « impressionner le jeune souverain de la faible Belgique », à l’amener à renoncer à la neutralité et à « prendre parti pour l’Allemagne » comme si la peur du Reich était pour les neutres, le « commencement de la sagesse »65. Il considère que cette mise en garde ne doit pas être négligée. Comme le Roi souhaite informer personnellement le chef du gouvernement des conversations de Potsdam, il envoie un rapport très conventionnel pour rendre compte de la visite du Roi. Il y souligne « l’extrême cordialité » que l’Empereur et l’impératrice ont témoigné au Roi et le « plaisir très réel » qu’ils ont eu à l’accueillir dans l’intimité après la visite officielle de 191066. Mais Beyens profite de la première occasion qui se présente – la transmission à Bruxelles du rapport dans lequel Mélotte rend compte de sa conversation avec Moltke – pour faire comprendre à la Rue de la Loi que l’état d’esprit évolue en Allemagne, que le haut-commandement, non seulement juge la lutte avec la France inévitable et prochaine mais qu’il désire cette guerre, et que l’Empereur, qui n’est entouré que de généraux, doit être converti, malgré son esprit pacifique, à la nécessité de ce conflit67.

31A Bruxelles, on tient effectivement compte des avertissements donnés par Berlin. En décembre 1913, le général de Ryckel, un proche du Roi et de Jungbluth, est nommé sous-chef d’Etat-major68 et chargé d’élaborer un plan de défense de la Belgique en partant de l’hypothèse d’une invasion par l’Est69.

32Par contre, Beyens ne fait pas grand cas des remarques de Moltke au sujet de la guerre avec l’Angleterre. Selon le ministre de Belgique « il n’est nullement certain que l’Angleterre prenne fait et cause pour la France » en cas de guerre avec l’Allemagne70. La coopération entre les pays de l’Entente cordiale qui paraissait probable en 1911 le serait « beaucoup moins aujourd’hui » car les relations anglo-allemandes se sont améliorées. Cependant, Beyens ne pense pas que Londres serait retenu par la peur de voir la maîtrise des mers et la suprématie commerciale tomber en mains américaines, « le commerce maritime allemand lui inspire des craintes et une jalousie beaucoup plus sérieuse et la tentation serait forte... de l’anéantir dans une guerre navale »71.

Optimisme relatif au printemps 1914

33Alors que plusieurs éléments d’inquiétude subsistent début janvier 1914 – développement de l’affaire de Saverne72, nervosité dans les milieux financiers et industriels belges73 – diverses informations qui parviennent à Bruxelles au cours des semaines suivantes contribuent à créer un certain climat d’optimisme.

34Certes, les bellicistes allemands sont jugés plus dangereux qu’autrefois, notamment le parti conservateur menacé dans son pouvoir et qui songe à une guerre victorieuse pour affaiblir le socialisme74. Même le xx^e siècle estime qu’il « règne en ce moment un esprit inquiétant » outre-Rhin75. Beyens ne manque pas de rappeler qu’il y a en Allemagne un « parti puissant qui désire la guerre » avec la France76. Mais, selon le ministre de Belgique, la haute finance et la haute industrie de Berlin désirent profondément la paix et le chancelier Bethmann-Hollweg est un « pacifiste sincère et convaincu » qui fera tous les efforts pour résister aux tendances belliqueuses de l’entourage de l’Empereur, du chef d’Etat-major et du parti conservateur77.

35Il existe aussi en France des tendances cocardières autour de Poincaré, Delcassé, Barthou et Millerand78 mais les Belges notent avec satisfaction que le ministère Doumergue – en place depuis décembre 1913, avec Caillaux aux Finances – penche pour une bonne entente avec l’Allemagne79. Ils sont plutôt élogieux pour Joseph Caillaux qui n’a pas voté la loi des 3 ans et qu’ils considèrent comme le véritable président du Conseil80. Au yeux de Beyens, le maintien au pouvoir des radicaux constitue « le meilleur espoir » de voir persister la tranquillité européenne81. Dans « l’intérêt de la paix », il souhaite donc le succès de ce parti aux élections législatives françaises du printemps 191482. Quant à la loi des 3 ans, qui laisse planer un danger, elle représente un « effort trop grand » pour la France qui ne pourra pas le soutenir83 ; elle n’est appliquée qu’avec de « grandes difficultés »84 si bien que le manque d’approvisionnement et de munitions ne permettrait pas à la France d’entrer en campagne85.

36La situation internationale semble aussi s’éclaircir. Si les deux guerres balkaniques86 n’ont pas entraîné les puissances dans un conflit généralisé, n’est-ce pas de bonne augure pour l’avenir87 ? Sans doute, les relations diplomatiques entre la France et l’Allemagne restent-elles très froides, mais Caillaux a « beaucoup d’amis en Allemagne » et sa politique y inspire confiance88 si bien que les rapports entre Paris et Berlin semblent « plus corrects » qu’ils ne l’ont été depuis quelques années89. De plus, un rapprochement semble s’esquisser entre Berlin et Londres90 où les milieux d’affaires se montrent optimistes. Alors que les banques viennent de baisser leurs taux d’intérêt, les emprunts se placent facilement et la Bourse de Londres – où les valeurs sont à la hausse – se porte bien91.

37En févier 1914, une circulaire réalisant la synthèse de ces observations fait, pour les représentants de la Belgique dans les postes européens, une analyse nuancée mais plutôt optimiste de la situation internationale92.

38Presque en même temps, des informations fournies par l’attaché militaire à Paris viennent relancer, à Bruxelles, l’espoir de pouvoir rester à l’écart de la future guerre. Le major Collon fait savoir que le plan stratégique français ne comporte plus, en cas de guerre avec l’Allemagne, la violation du territoire belge. Selon lui, cette modification radicale a été introduite dans le plan français début 1913, à la suite de la réorganisation de l’armée belge93.

39Il estime en effet que, jusqu’en 1912, l’Etat-major français prévoyait une attaque de l’armée allemande, forte de 6 à 8 corps d’armée, à travers la Belgique en utilisant les deux rives de la Meuse. Le succès de cette opération supposait l’impuissance de l’armée belge appuyée sur Liège et Namur dont Berlin et Paris connaissaient les faiblesses. Mais, à la suite de la mise en état des forts après 1911 et du renforcement de l’armée belge, « le plan de l’Allemagne et celui de la France qui en était le corollaire (auraient) été abandonnés ». Selon les renseignements fournis, « pénétrer en Belgique par la province de Liège et le Luxembourg est une tâche que les Allemands considèrent comme impraticable si, à leur six ou même huit corps d’armée, la Belgique peut opposer 175 000 hommes fortement appuyés sur Liège et Namur ». Et de conclure que si l’armée allemande était attaquée de flanc, elle ne tarderait pas à être forcée à la retraite, ou, du moins, elle serait trop affaiblie pour affronter le choc des Français94.

40A Bruxelles, où l’on reste prudent, on souligne que « si ces renseignements répondaient à la réalité... nous aurions quelque chance, lors de la prochaine guerre, de rester à peu près en dehors des événements »95. Si les troupes allemandes ne faisaient qu’écorner le Luxembourg, l’armée belge ne pourrait arriver en temps utile pour empêcher la violation d’autant plus qu’il serait absurde de découvrir le pays en risquant de couper l’armée de sa base d’opération. Il vaudrait mieux, pour la Belgique, abandonner une petite fraction du territoire qui cesserait d’être neutre plutôt que d’entrer dans la guerre en étant considérée comme ennemie par l’Allemagne et comme alliée par la France. Cette note, qui s’appuie explicitement sur les recommandations d’Arendt, estime en effet qu’il faut résister aux tentatives françaises pour « nous imposer l’alliance », que c’est l’intérêt national et non l’un des belligérants qui doit dicter la conduite à tenir et que c’est en restant dans une position d’expectative que « nous aurions une grande chance de voir la neutralité persister dans le reste du pays »96.

41L’attaché militaire à Berlin envoie des informations moins catégoriques mais qui comportent également des raisons d’optimisme97. Le 20 avril 1914, il rend compte d’une brochure, « La guerre contre l’Allemagne » très commentée dans les milieux allemands et publiée par un « écrivain militaire très compétent » qui signe L.H.T.98. Selon cet auteur, le projet allemand de 1894 – concentration de l’aile droite allemande dans la région de Trèves-Malmédy-Aix-La-Chapelle pour la faire marcher à travers le Luxembourg belge contre l’aile gauche française – serait abandonné. Mélotte estime d’ailleurs qu’une telle manœuvre devait fatalement conduire la droite allemande à un désastre. D’après les deux autres hypothèses étudiées par L.H.T., la neutralité belge serait respectée ou, du moins, (dans l’hypothèse n° 3) la province du Luxembourg serait à peine écornée. Dans ce cas, l’armée belge serait placée sur le flanc des belligérants et l’offensive allemande pourrait espérer un résultat d’autant plus rapide que cette armée resterait sur la défensive. Mais, selon l’attaché militaire belge, il conviendrait d’envisager une quatrième hypothèse. Ayant remarqué que les officiers allemands restaient souvent sceptiques quant à la détermination de la Belgique à maintenir sa neutralité99, il se demande si l’Etat-major allemand ne voudrait pas mettre l’armée belge hors d’état de nuire avant de se tourner contre les forces françaises. Il ferait alors passer non pas la droite, mais le gros de l’armée allemande, par la Belgique, de part et d’autre de la Meuse.

42Comme Greindl en d’autre temps, Mélotte estime que les responsables allemands ne mettront personne au courant des secrets militaires ; mais, il pense que, soit l’Allemagne aura confiance dans la Belgique neutre et ne violera pas son territoire, soit « elle n’osera s’en remettre aux Belges du soin de couvrir sa droite » et elle cherchera « à nous mettre hors de cause, avant de venir aux opérations décisives »100. Quant à l’indépendance de la Belgique à l’issue de cette guerre, Mélotte dit qu’il ne peut que livrer son « sentiment » selon lequel « nous nous en tirerons à meilleur compte si l’Allemagne triomphe que si elle est rejetée au-delà du Rhin »101.

43Deux mois plus tard, Mélotte revient sur la question après avoir étudié de près l’emplacement des troupes allemandes en temps de paix. Il explique qu’on ne peut tirer de conclusions définitives ni de l’implantation des camps – installés sur les terrains disponibles dans les régions qu’on veut développer – ni de la construction de voies ferrées, intensivement développées dans tout le pays. Il considère que « rien, dans la façon de faire de l’Allemagne, dans son organisation militaire, dans la répartition de ses troupes sur le territoire » ne donne le droit de la suspecter102. A son avis, « si la guerre éclatait demain103, l’Allemagne dirigerait son effort sur la droite ou le centre français », mais il reste prudent en ajoutant que, du moins, la répartition des forces « semble indiquer qu’à Berlin on considère cette manœuvre comme étant la plus appropriée aux circonstances du temps présent »104.

44En dernière analyse, il en revient toujours au problème politique : selon lui, « si l’Allemagne est convaincue de notre bon vouloir et nous juge assez forts pour remplir les devoirs que la neutralité nous impose, elle ne violera pas nos frontières » ; mais si elle devait douter des intentions des Belges, elle n’hésiterait pas à commencer par « nous mettre hors de cause »105.

45Commentant ce rapport de Mélotte, le ministère des Affaires étrangères conclut, dans une note du 26 juin 1914, qu’il n’est pas question d’une attaque brusquée de la Belgique par l’Allemagne ou, qu’en tout cas, elle n’est pas préparée dès le temps de paix et que, dans ces conditions, rien ne s’oppose à un voyage qu’Albert 1er a prévu d’effectuer à Coblence106.

46Les renseignements parvenus à Bruxelles au sujet du voyage du Roi d’Angleterre à Paris, fin avril, semblent également rassurants. Beyens se demande alors si la Belgique doit « redouter l’entrée de soldats anglais, pour nous aider à défendre notre neutralité, en commençant par la compromettre »107. Mais Paris fait savoir que la visite de Georges V n’a pas été l’occasion de signer un traité que les Français auraient souhaité mais que Poincaré et Doumergue n’ont pas demandé, sachant que le gouvernement britannique ne l’accepterait pas108. De Londres, Lalaing confirme que l’Angleterre n’est pas disposée à se lier plus étroitement et l’on en conclut à Bruxelles que l’Entente cordiale n’est plus ce qu’elle était en 1905 et 1911 ; qu’elle a perdu de sa signification ; que la France ne pourrait pas compter sur l’appui de l’Angleterre « dans le cas où le nationalisme chauvin (conduirait) le gouvernement français à entreprendre une guerre de revanche »109. Ce n’est qu’en cas d’agression injustifiée de la part de l’Allemagne qu’il paraît probable que Londres accorderait son soutien à Paris.

47Cette interprétation est confirmée le 12 juin par une déclaration de Sir Edward Grey, titulaire du Foreign Office. Interpellé aux Communes au sujet d’une hypothétique entente navale anglo-russe, il reprend à son compte une prise de position du premier ministre Asquith : « si une guerre éclatait entre les Puissances européennes, il n’existe pas d’arrangements non publiés de nature à empêcher le gouvernement ou le Parlement de décider en toute liberté si la Grande Bretagne prendrait ou ne prendrait pas part aux hostilités »110. Et d’ajouter que si un accord contraire à ce principe venait à être négocié il devrait être soumis au Parlement111.

48Ainsi, au début de l’été 1914, plusieurs indices laissent espérer une prolongation d’une certaine détente internationale. Comme d’autres pays, la Belgique ne sort de sa quiétude relative qu’à la fin du mois de juillet, quelques jours seulement avant l’ultimatum qui va la précipiter dans la guerre.

La Belgique dans la crise de juillet 1914

49Si l’attentat de Sarajevo est condamné par la majorité de l’opinion publique et avec beaucoup de vigueur dans les milieux catholiques, l’émotion qu’il suscite retombe assez vite112. Les responsables ne manifestent aucune inquiétude particulière ; le Roi ne juge pas nécessaire d’interrompre son voyage en Suisse, et, à son retour, il s’installe à Ostende113. Certes, le chef du gouvernement se préoccupe de la mise en application de la loi militaire de 1913 mais il accepte aussi d’accorder un congé supplémentaire aux soldats de la classe 1913 qui doivent être libérés à partir du 15 juillet114. Quant à l’ultimatum adressé par l’Autriche à la Serbie, le 23 juillet, il commence par diviser les Belges : tandis que la presse catholique justifie la dureté des exigences autrichiennes, quelques organes libéraux, notamment l’Indépendance belge et le Soir les critiquent avec sévérité115. Selon Génie, cet ultimatum provoque la « stupéfaction » dans les milieux militaires belges mais pas une condamnation générale dans les milieux officieux116. Mais comme dans d’autres pays, la réponse de Belgrade du 25 juillet qui rejette le dernier point de l’ultimatum, puis la déclaration de guerre à la Serbie, le 28 juillet, font monter la tension et conduisent le gouvernement à adopter des mesures de précaution.

Les mesures de précaution

50La gravité de l’ultimatum adressé par Vienne à Belgrade ne manque pas d’être perçue par la diplomatie belge. Certes, la première réaction de Beyens, qui en souligne pourtant la dureté, consiste à en minimiser les risques ; selon lui « on ne voit pas bien la France radicale, la France du procès Caillaux et des révélations inquiétantes de M. Humbert sur l’état de l’armée, se laisser entraîner dans une guerre européenne où se jouerait son existence pour sauver la Serbie d’une humiliation sans précédent »117. Mais deux jours plus tard, après la réponse de la Serbie et dans un rapport qu’il fait parvenir à Bruxelles par un courrier spécial pour pouvoir livrer ses appréciations sans autocensure, il est beaucoup plus alarmiste118. Il estime que l’ultimatum à la Serbie est « un coup préparé entre Vienne et Berlin, ou plutôt imaginé ici et exécuté à Vienne »119. De cette connivence vient le danger car elle prouve que le but poursuivi n’est pas seulement l’anéantissement de la Serbie et des aspirations yougoslaves mais surtout la guerre contre la France et la Russie. Beyens rappelle que le parti militaire et pangermaniste en Allemagne souhaite une guerre préventive et que ces circonstances doivent lui sembler favorables car la loi militaire de 1913 a permis le renforcement du Reich tandis que la Russie est loin d’avoir achevé sa réorganisation et que les insuffisances de la préparation militaire de la France sont bien connues120. Selon Beyens, même en supposant que Vienne et Berlin ne veulent pas délibérément déclencher une guerre générale, ils en ont pris le risque car l’intervention de la Russie paraît inévitable, le gouvernement tsariste ne pourra pas résister aux pressions du parti militaire et panslaviste et la France « victime de son alliance, suivra le destin de son alliée sur les champs de bataille, malgré la répugnance du parti radical français à engager une lutte à laquelle l’armée est insuffisamment préparée »121.

51En conséquence, Beyens met son gouvernement en garde : il convient de se tenir prêt aux pires éventualités car « le conflit européen dont on parlait toujours, en se flattant de l’espoir qu’il n’éclaterait jamais, devient aujourd’hui une réalité menaçante »122. Il importe pourtant de ne pas prendre prématurément des mesures qui risqueraient de produire une impression fâcheuse en Allemagne123. Dans une dépêche du 29 juillet, Beyens conseille de ne rien précipiter et de ne pas encore décider le rappel de trois classes de l’armée belge124.

52En fait, au moment où Beyens déconseille cette mesure, elle est prise par le gouvernement de Bruxelles où l’inquiétude se manifeste depuis le 27. Dès cette date, un Conseil des ministres présidé par le Roi décide de supprimer les congés des militaires125. Il semble aussi que l’ordre ait été donné au général Léman, gouverneur de Liège, de mobiliser la place, au moindre indice126. Le même jour, le ministère des Affaires étrangères adresse un télégramme aux diplomates en poste à Paris, Londres, Berlin, Vienne et Saint-Pétersbourg pour leur demander de relire les instructions données en février 1913, au sujet de la communication à faire aux Puissances garantes en cas de conflit, et de s’apprêter à les exécuter dès que l’ordre télégraphique en sera donné127.

53Deux jours plus tard, le 29 juillet, le gouvernement, sous la pression des militaires128, décide de mettre l’armée sur le pied de paix renforcée. Cette mesure comporte le rappel immédiat des classes 1910, 1911 et 1912 afin de porter les effectifs à 100 000 hommes. Elle implique aussi la réquisition de tous les charrois nécessaires à l’armée ainsi que la mise en état des places fortes. Ces mesures préliminaires ne sont pas encore la mobilisation comme le souligne la circulaire adressée aux principaux postes diplomatiques en Europe et l’ordre de faire la communication aux Puissances n’est pas encore donné129. Mais elles doivent faciliter la mobilisation définitive et l’attaché militaire français s’en félicite car dès qu’elles seront réalisées « la violation de ce pays comportera... en plus des dangers moraux permanents, des difficultés matérielles sérieuses »130. Génie constate aussi avec satisfaction que le rappel des trois classes, qui devait se réaliser dans les 24 heures, se fait sans difficulté, la plupart des miliciens ayant rejoint leur corps, le 30 juillet à midi131.

54Le 31 juillet, un Conseil des ministres qui se tient dans l’après-midi sous la présidence du Roi donne, à 19 heures, l’ordre de mobilisation ; le samedi 1^er août doit être le premier jour de la mobilisation belge qui se fait avec un peu d’avance sur celle de ses voisins. La rapidité de cette décision est justifiée officiellement par la situation transitoire dans laquelle se trouve l’armée belge qui impose « des mesures urgentes et complètes »132. C’est donc le 1^er août que la Rue de la Loi envoie l’ordre télégraphique annoncé aux diplomates en poste auprès des garants ; tous datent du 31 la communication à faire aux cinq Puissances133. Il s’agit pour le gouvernement de Bruxelles de rappeler son intention de défendre la neutralité et de préciser que les mesures militaires ne sont en aucun cas des mesures de défiance mais des précautions rendues nécessaires par la situation internationale.

L’espoir de sauvegarder la neutralité

55Le 31 juillet – la veille de la remise de la note belge aux garants – commencent aussi, autour de Bruxelles, de grandes manœuvres diplomatiques dont l’enjeu est la préservation de la neutralité belge. Parmi les Puissances, c’est Londres qui prend l’initiative comme en 1870 : le ministre d’Angleterre, Sir Francis Villiers, vient informer Davignon que Sir Edward Grey a demandé aux gouvernements français et allemand si chacun d’eux était prêt à respecter la neutralité de la Belgique à condition qu’aucune autre puissance ne la viole134. Il cherche aussi à connaître l’attitude que le gouvernement belge compte prendre à l’égard des belligérants en cas de guerre. La réaction du ministre des Affaires étrangères apparaît comme la stricte répétition de la réponse donnée depuis des années chaque fois qu’un représentant d’une puissance s’inquiétait du respect de la neutralité belge. Il s’empresse de déclarer que son gouvernement ne négligerait aucun effort pour maintenir la neutralité et qu’il était convaincu que les autres Puissances, « vu les excellents rapports d’amitié et de confiance » qui étaient entretenus avec elles, observeraient et maintiendraient cette neutralité135. Davignon ajoute que « nos forces militaires, considérablement développées à la suite de notre réorganisation récente, sont à même de nous permettre de nous défendre énergiquement en cas de violation de notre territoire »136.

56Le même jour, des contacts ont lieu entre la Rue de la Loi et les ministres de France et d’Allemagne. Klobukowski, qui vient montrer le télégramme de l’Agence Havas annonçant l’adoption de l’état de guerre en Allemagne (Kriegs-gefahrzustand) fait spontanément des déclarations rassurantes. Selon lui, aucune incursion de troupes françaises n’aura lieu en Belgique, car la France ne veut pas avoir la responsabilité « de poser vis-à-vis de la Belgique le premier acte d’hostilité »137. A quoi Davignon répond que les Belges ont « toujours eu la plus grande confiance en (leurs) deux excellents voisins et garants » et qu’ils ont tout lieu de croire que l’attitude du gouvernement allemand serait identique à celle de Paris138.

57De fait, le matin même, Van der Elst a eu une longue conversation avec Below-Saleske. Après avoir exposé la portée des mesures militaires belges – dictées non par la défiance à l’égard des voisins mais par la volonté d’accomplir les obligations internationales liées à la neutralité – le secrétaire général rappelle, au cours de cet entretien, toutes les assurances qui ont été données par le Reich durant les dernières années : par l’Empereur au cours de son voyage à Bruxelles en 1910 ; par Bethmann-Hollweg en 1911 et par Jagow dans sa déclaration au Reichstag en 1913. Selon le compte rendu de Van der Elst, Below aurait répondu « qu’il était certain que les sentiments exprimés à cette époque n’avaient pas changé »139.

58A la suite des démarches britanniques, Paris et Berlin sont invités à réagir le 1^er août. Klobukowski fait savoir par une communication verbale « qu’en cas de conflit international, le gouvernement de la République ainsi qu’il l’a toujours déclaré respectera la neutralité belge »140. Mais il ajoute que dans l’hypothèse où la neutralité ne serait pas respectée par une autre puissance, son gouvernement pourrait être amené à modifier son attitude pour assurer sa propre défense. Il ne fait donc rien de plus que rappeler la position définie par Poincaré dès 1912.

59A Berlin, Jagow estime qu’il ne peut pas répondre à la question du gouvernement britannique. Mais Beyens veut interpréter ce silence par la volonté de ne pas divulguer les plans d’opération et de ne pas livrer une information qui serait communiquée aux Français141. Lorsque le ministre de Belgique à Berlin va remettre à Zimmermann la communication de son gouvernement sur le respect de la neutralité, le sous-secrétaire d’Etat en prend acte sans plus de commentaire142. A Bruxelles, Van der Elst, qui revoit Below le 1er août et suggère qu’une déclaration du gouvernement impérial serait importante du point de vue de l’opinion publique, n’obtient pas plus de garanties143. Que Davignon fasse dire au ministre d’Allemagne, un peu plus tard dans la journée, que le représentant de la France a fait une déclaration officielle de respecter la neutralité, ne change rien à l’attitude de Berlin144.

60Enfin, une lettre adressée par le Roi à Guillaume II, le 1^er août, reste elle aussi sans réponse jusqu’au 3 août. Albert 1^er écrit à l’Empereur, son « cher cousin », en allemand, pour le prier, « à cette heure si grave », de bien vouloir renouveler l’expression de ses bonnes dispositions envers la Belgique. Le Roi rappelle que son pays, qui a toujours observé consciencieusement ses obligations internationales, peut comprendre que le Reich hésite pour des raisons politiques à faire publiquement une déclaration sur ses intentions mais il veut croire que l’attitude de sympathie et d’amitié dont l’Empire a donné de nombreuses preuves dans le passé n’a pas été modifiée145.

61Apparemment, les autorités belges ne s’émeuvent pas outre mesure du silence de Berlin. A Sir Francis Villiers qui vient lui faire part, dans la matinée du 2 août, de l’absence de réponse allemande, Davignon explique qu’une déclaration pouvait « paraître surabondante en présence des traités existants »146. De plus, Jagow n’avait-il pas affirmé devant le Reichstag, le 29 avril 1913, que l’Allemagne avait l’intention de respecter ces traités147 ?

62Français et Anglais s’interrogent sur la signification de l’attitude de Bruxelles qui prétend être en état de se protéger par ses propres forces, qui paraît n’avoir aucune inquiétude du côté de l’Allemagne et qui n’envisage pas de faire appel aux Puissances garantes148. A Bruxelles, Klobukowski et Villiers se demandent si les Belges n’ont pas obtenu des apaisements secrets, donnés peut-être par l’Empereur ou le Kronprinz au Roi149. A Londres, Edward Grey et Paul Cambon ne sont pas loin de penser « qu’il y avait peut-être quelqu’arrangement secret entre l’Allemagne et la Belgique »150.

63Les Français se montrent d’autant plus préoccupés qu’ils continuent de déceler dans les milieux gouvernementaux des dispositions plus favorables à l’Allemagne qu’à la France. L’attaché militaire considère, certes, que « l’opinion générale nous est favorable »151 mais la presse catholique poursuit ses campagnes hostiles. Klobukowski s’en prend au xx^e siècle et au Patriote pour qui le danger vient de France152. Il souligne aussi que les responsables de l’armée, le chef d’Etat-major, Selliers de Moranville, et d’autres, comme le général Witte, ne se privent pas de dénigrer l’armée française qu’ils ont en médiocre estime. Il déplore par ailleurs que le discours du sénateur Humbert qui « est dans toutes les mains » fournisse à point nommé des arguments aux détracteurs de la France153. Cependant, lorsque le 1^er août la déclaration du gouvernement français est placardée à Bruxelles, Klobukowski se réjouit de voir qu’elle produit « une vive et excellente impression »154.

64L’attitude apparemment sereine du gouvernement belge qui laisse perplexes et inquiets les diplomates français et britanniques ne résulterait-elle pas plutôt d’une extrême prudence ? Lorsque le ministre des Affaires étrangères feint de croire que les traités et la déclaration Jagow suffisent à rassurer le gouvernement belge, il n’est pas très convaincant155. N’est-ce pas plutôt pour éviter de froisser ou de mécontenter le gouvernement de Berlin et se garder de tomber sous la coupe franco-britannique que le gouvernement de Bruxelles a maintenu le cap d’une stricte neutralité affirmant que la Belgique faisait confiance à tous ses garants et qu’elle défendrait, si besoin, son territoire par ses propres moyens contre toute violation d’où qu’elle vienne ? Ce souci de préserver une impartialité absolue à l’égard des Puissances se traduit aussi dans l’attitude du ministre de la Justice, Henri Carton de Wiart qui convoque, le 1^er août, les directeurs de journaux pour leur recommander la prudence et fait saisir Le Petit Bleu du 2 août qui a titré « Halte à la Barbarie. Vive la France »156.

De l’ultimatum allemand à l’appel aux garants

65La phase des grandes manœuvres diplomatiques marquée par l’incertitude et l’expectative prend brusquement fin avec l’ultimatum allemand du 2 août.

66Alors que la mobilisation se poursuit et que la panique financière déclenchée dans les derniers jours de juillet commence à se calmer157, le dimanche 2 août est riche en nouvelles alarmantes ; l’information sur l’occupation du Grand-Duché par l’armée allemande, qui a circulé la veille, est confirmée ; de Cologne, le consul général annonce la concentration de nombreux trains vers Aix-La-Chapelle158. Cependant, la presse se veut rassurante, notamment le xx^e siècle 159 ; et le Soir, qui paraît vers 15 heures, publie une interview du ministre d’Allemagne à Bruxelles dans laquelle Below affirme qu’une déclaration sur la neutralité est inutile et que les troupes allemandes ne traverseront pas le territoire de la Belgique160.

67A 19 heures, Below-Saleske transmet au ministère des Affaires étrangères, un document écrit à la main161 qui lui a été envoyé de Berlin par courrier spécial, le 29 juillet, avec ordre de ne l’ouvrir qu’après communication télégraphique162.

68Dans ce texte, le gouvernement allemand affirme que des forces françaises s’apprêtent à marcher sur la Meuse par Givet et Namur en direction du territoire allemand. Craignant que la Belgique ne soit pas en mesure de les repousser, le Reich se voit contraint de demander le passage pour son armée afin de prévenir l’attaque de l’ennemi. Le gouvernement allemand souhaite que cette décision ne soit pas considérée comme un acte d’hostilité. Si la Belgique accepte d’adopter une attitude de neutralité amicale, il s’engage à rétablir l’intégrité territoriale du Royaume, au moment de la paix ; il propose également d’indemniser tous les dommages qui pourraient être causés dans le pays. Mais si la Belgique se comporte de façon hostile à l’égard des troupes allemandes, en créant des difficultés à leur marche en avant, l’Allemagne sera obligée de considérer la Belgique en ennemie163.

69Le texte de cet ultimatum rédigé par Moltke dès le 26 juillet a été modifié au dernier moment, le 2 août. Le secrétaire d’Etat, Jagow, fait supprimer un passage proposant des compensations territoriales au détriment de la France, et Moltke lui-même fait ramener le délai accordé pour la réponse de 24 à 12 heures164. Le gouvernement belge a donc la nuit du 2 au 3 août pour décider de la réponse.

70Au Conseil des ministres qui se réunit à 21 heures au Palais royal sous la présidence d’Albert I^er, puis au Conseil de la Couronne, auquel participent aussi les ministres d’Etat et qui doit prendre la décision, l’unanimité n’a pas été immédiate. Greindl et Wœste, qui redoutent les visées françaises, envisagent de discuter avec l’Allemagne165. Mais la majorité des ministres préconisent la résistance, sans compter le Roi qui n’a pas songé un moment à accepter les conditions allemandes166 et c’est finalement à l’unanimité qu’est décidé le rejet de l’ultimatum. La rédaction de la réponse est confiée à un comité comprenant le ministre de la Justice, H. Carton de Wiart, un ancien ministre de la Justice, Van den Heuvel, et le leader du parti libéral, Paul Hymans. Ce petit groupe élabore la réponse au ministère des Affaires étrangères, en présence de Davignon et des fonctionnaires du département167. Approuvée par un autre Conseil de la Couronne vers 3 heures du matin, la réponse est portée rue Belliard, un peu avant 7 heures, le 3 août, par Edmond de Gaiffier.

71La note belge exprime « le profond et douloureux étonnement » provoqué par l’ultimatum ; elle rappelle que la Belgique a toujours respecté les devoirs de la neutralité et que « l’atteinte à son indépendance dont la menace le gouvernement allemand constituerait une flagrante violation du droit des gens » qu’aucun intérêt stratégique ne peut justifier. Estimant qu’il ne peut accepter les propositions allemandes sans sacrifier l’honneur de la nation et trahir ses devoirs vis-à-vis de l’Europe, le gouvernement belge déclare qu’il est fermement décidé à repousser par tous les moyens en son pouvoir toute atteinte à son droit168.

72Mais des deux côtés on ne veut pas encore croire à une rupture inéluctable. Bruxelles ne se considère pas en état de guerre avec l’Allemagne et décide de surseoir à l’appel aux garants en se réservant la possibilité de fixer sa conduite en fonction de l’évolution des événements169. En Allemagne, après le rejet de l’ultimatum, Moltke ne veut pas déclarer la guerre à la Belgique et espère encore arriver à un arrangement170. Le 4 août à 9 heures, Beyens, qui n’a été informé de l’ultimatum que la veille au soir par un télégramme de Bruxelles171, est reçu par Jagow au moment même où les troupes allemandes franchissent la frontière en direction de Liège. Le secrétaire d’Etat semble vouloir faire une ultime tentative pour convaincre son interlocuteur : « Si l’armée belge ne fait pas sauter les ponts, nous laisse occuper Liège et se retire sous Anvers, nous promettons non seulement de respecter l’indépendance belge, la vie et les propriétés des habitants mais encore de vous indemniser »172. Selon Jagow, l’Allemagne ne peut pas faire autrement ; c’est pour elle « une question de vie ou de mort » ; elle doit écraser d’abord la France avant de se tourner contre la Russie. Mais, dit-il, c’est « la mort dans l’âme » que l’Empereur et son gouvernement ont dû se résoudre à cette détermination173.

73Les Anglais mettent également tout en œuvre pour préserver la neutralité belge. Le 3 août au soir, ils décident d’envoyer, le 4 au matin, des instructions à leur ambassadeur à Berlin pour inviter le Reich à retirer son ultimatum en faisant savoir que s’il refuse, c’est la guerre174. Mais le lendemain matin, les troupes allemandes étant entrées en Belgique, Londres adresse un ultimatum qui laisse au Reich un délai de 10 heures pour évacuer le sol belge et respecter la neutralité175.

74C’est après l’insuccès de cette ultime tentative que la Belgique adresse un appel aux autres garants.

75L’aide de la France avait été proposée à Bruxelles, très rapidement, le 3 août, dans la matinée. Klobukowski, qui est informé dès 8 heures de l’ultimatum allemand et de la réponse belge par Edmond de Gaiffier176, va voir le ministre à 10 heures pour offrir l’appui éventuel de la France. Comme le gouvernement belge ne souhaite pas, alors, faire appel aux garants, Klobukowski croit pouvoir l’assurer que si aucun appel n’était formulé, le gouvernement français attendrait pour intervenir que la Belgique ait fait un acte de résistance effective, à moins que sa propre sécurité n’exige des mesures exceptionnelles177.

76En attendant de prendre une décision, le gouvernement belge réfléchit aux conditions d’une coopération éventuelle avec les garants. Il semble prêt, un moment, à utiliser le projet de traité élaboré fin 1912 dans lequel Van der Elst propose d’insérer une phrase pour préciser que les troupes françaises ne pourraient se maintenir en Belgique qu’aussi longtemps que le gouvernement belge l’estimera nécessaire178.

77Le Conseil des ministres reprend la discussion du problème le 4 août après l’entrée des troupes allemandes mais attend le soir et l’échéance de l’ultimatum anglais à l’Allemagne, pour demander l’aide aux gouvernements français, anglais et russe179. Il n’est plus alors question de signer une convention mais l’appel fait aux garants précise qu’« il y aurait une action concertée et commune ayant pour but de résister aux mesures de forces employées par l’Allemagne... et de garantir le maintien de l’indépendance et de l’intégrité de la Belgique dans l’avenir »180. Enfin, l’appel comporte une mention des places fortes que la Belgique a l’intention de défendre elle-même181. Dès avant cet appel, Broqueville, en tant que ministre de la guerre, avait télégraphié aux responsables de l’armée de ne pas considérer le franchissement de la frontière par des militaires français ou anglais comme un acte d’hostilité182.

78La Belgique ne réussit donc ni à rester à l’écart de la guerre, ni à préserver sa neutralité. Ayant choisi de rejeter l’ultimatum, elle est contrainte à la résistance et se trouve dans le conflit aux côtés des Français et des Anglais.