1La droite et la gauche ne sont autres que des « formes », des ensembles vides auxquels la pratique politique et singulièrement électorale, concède la qualité de substantifs. Pour parler comme les linguistes ce sont des signifiants dont les signifiés – les contenus – s’énoncent dans leurs [dis] continuités. Celles-ci affectant l’axe différenciateur de la frontière, ou du clivage, qui oppose principalement les tenants de la culture moderniste, inspirée des Lumières ; et les tenants de la culture traditionaliste, inspirée de la théocratie. Les partisans du « compromis » – tels les Ralliés – ayant en Pays Nantais de sérieuses difficultés à se faire reconnaître, admettre dans un contexte de sociétés culturellement antagoniques1. Dans ce face à face agonistique – de la lutte – la rivalité, la concurrence ne sauraient suffire ; le conflit paraît irrémédiable. Le paradoxe étant qu’il est lui-même intégrateur et les professions de foi, euphémisant les expressions, révèlent la difficulté – ici pour les Intransigeants – de « jouer » durablement leur propre jeu, sans risquer le « hors-jeu ». Ce que nous pouvons brièvement concrétiser, en cheminant d’une interrogation actuelle à celle de la problématisation qui sous-tend notre démarche.

Anachronisme et prédisposition

2En cette fin de millénaire où nous écrivons sur les professions de foi des XIX^e et XX^e siècles, il faudrait être sourd aux sonorités des « actualités » pour ne pas opérer certains rapprochements entre celles-ci et celles-là. La tentation est alors grande de superposer, spécialement, les thèmes actuels du Front National et ceux, récurrents, de la droite ligérienne nationaliste en zones rurales. Dans celles-ci, lors des élections législatives des années 1990, la droite est toujours dominante mais sa position, par rapport à celui de sa devancière, est l’objet d’un double déplacement au regard2 :

3• de la thématique des professions de foi : durant les IV^e et V^e Républiques, la droite ligérienne peut être jugée pugnacement « conservatrice », mais faiblement nationaliste et moins encore xénophobe que ne le fut son homologue de la III^e République ;

4• de l’audience électorale : durant les IV^e et V^e Républiques, les scores réalisés par la droite actuelle sont nettement plus proches de ceux obtenus par sa devancière pro-monarchiste de la III^e République que des scores actuels du Front National, lequel s’implante malaisément dans le département, en dépit d’efforts redoublés. Plus généralement, l’Ouest français de tradition chrétienne se montre beaucoup plus réticent à l’égard de cette offre électorale extrémiste que ne l’est son homologue de l’Est français.

5L’objectif n’est pas ici de rechercher les causes d’une évolution a priori surprenante, l’une des hypothèses étant que l’implication dans l’expérience vichyste a fait l’effet d’une dure « leçon » non oubliée, à l’endroit des « réprouvés »3. Pour autant, ne rapprochons pas, de manière brute et frustre, les discours d’hier et d’aujourd’hui. Assimiler l’antisémitisme de la première moitié du XX^e siècle à celui de la seconde moitié serait faire comme si rien d’extraordinaire, d’impensable ne s’était entre temps déroulé4. Il est par contre proprement indéniable que les discours des élus portés à notre connaissance révèlent – pour le moins – un état de l’opinion idéologiquement prédisposée à accepter le régime qu’incarnera le maréchal Pétain, héroïsé par la « grande guerre ». De même est-il vraisemblable que Vichy et son souvenir puissent être perçus comme une « nouvelle affaire Dreyfus »5.

Ordre et liberté

6Les continuités idéologiques de la droite ligérienne ne sauraient faire occulter des variations, voire réorientations, bifurcations ou autres formes de discontinuités6. Cela étant précisé, s’il ne fallait mettre en exergue7 qu’un terme des discours soumis à notre sagacité, sans doute devrions-nous opter – paradoxalement, au regard de la société d’ordre(s) prônée – pour la forme lexicale « liberté »8. Elle clive la droite et la gauche ligérienne ; soit respectivement et principalement : pour la droite, l’appel à la liberté religieuse, et pour la gauche républicaine, l’affirmation réitérée du respect de la liberté de conscience9. C’est dire que chez les élus de l’une et l’autre tendance, la référence religieuse s’impose et intègre10, surtout durant la première période et pour la partie rurale, traditionnelle du département. L’effacement de l’enjeu religieux formalisé par la loi de Séparation sera accentué par le fait que la partie urbaine et industrielle se donne, entre les deux guerres, une représentation socialement révolutionnaire (SFIO). Elle ne se veut pas moins laïque que ne le sont les républicains les plus idéologiques mais tend à placer au premier plan la maîtrise du libéralisme économique. Ce qui pourra expliquer certaines convergences anti-capitalistes.

7Le sociologue « libéral conservateur »11, F. Le Play, « fondateur d’un catholicisme social intransigeant qui n’était pas le sien »12, pourrait puissamment aider à théoriser la philosophie [contre] attractive. Non seulement les députés ligériens nobiliaires s’appuient, comme notre auteur, sur la religion et font strictement appel à la liberté des pères de famille13, mais aussi se réclament d’une société de « patronage ». Celle-ci rappelant les relations tutélaires nobiliaires sous réserve qu’elles prouvent leur utilité en [ré] instaurant une société de « services » où l’attachement, le dévouement, le respect s’imposent comme des vertus cardinales. Et où le droit, étatique plus particulièrement, est récusé au nom d’une économie de pouvoir autonome et d’une prétention à la « totalité » par un échange social généralisé14.

8Lequel échange inclut un rapport clientélaire15 :

9• « de type romain » ou « féodal » avec don de sa personne aux « inférieurs » ; les électeurs faisant ici contre-don de leurs suffrages et reconnaissant, dans le « supérieur » : l’élu, son patronage ;

10• de type « représentatif », ce qui en fait un mécanisme essentiel du fonctionnement politique des régimes parlementaires. Ce rapport est instrumentalisé par la « représentation », laquelle assure la défense des intérêts, notamment lorsque la bipolarisation, la réglementation sont incertaines ou difficiles à contrecarrer. La droite nobiliaire incarne assurément le premier type et les républicains le second, forme modernisée du féodal.

11La gauche républicaine laïque ne remet d’ailleurs pas systématiquement en cause les héritages du patrimoine culturel comme le démontrera son attachement à la petite propriété, voire au solidarisme16, au protectionnisme et parfois à la relance du système corporatif17. Mais pour reconstruire la solidarité organique18, il convient, pense-t-on, de détacher les populations du paternalisme ancestral et singulièrement ecclésiastique. Ainsi prend sens l’appel de la gauche au respect de la liberté de conscience19 impliquant non seulement la possibilité de se rendre autonome vis-à-vis de toute religion, mais aussi de pratiquer un culte autre que celui instauré par la religion d’État, le catholicisme. Et, en l’occurrence, le protestantisme ; les députés ligériens n’ayant pas attendu la vulgarisation des écrits du sociologue M. Weber20 pour découvrir le corrosif libéralisme de la religion réformée par valorisation, précisément, de la liberté de conscience.

12Cette conscience étant au fondement de l’individualisme en tant qu’il s’agit d’une propriété qu’à l’esprit humain de porter des jugements sur la réalité sans que pour autant il soit le jouet des aspirations personnelles. Mais bien plutôt, comme le théorisera Durkheim, en tant qu’il s’agit d’intérioriser, d’exprimer « des règles d’action qui se reconnaissent à certains caractères distinctifs et qui gouvernent effectivement la conduite »21. Non engagé dans un parti, mais très proche des radicaux, Durkheim joindra le geste à la parole en prenant position pour Dreyfus et pour la séparation des Églises et de l’État22.

Evénement et périodisation

13Durant la première période, l’Affaire Dreyfus clive parfaitement les députés ligériens classés à gauche et à droite en faisant se ranger les ralliés du côté de la droite classique. Et la loi de Séparation quasi-parfaitement, à l’exception du député nantais M. Sibille, de conviction protestante, habituellement identifié et identifiable à la gauche modérée, mais très proche par ailleurs des ralliés en 1906, singulièrement du député nazairien A. Ménard. L’électorat de la Basse-Loire reste empreint de la culture catholique.

14Durant la seconde période, s’impose en fait la limitation de la liberté économique par la question sociale et internationale, plus focalisée que fondée par le traumatisme de la première guerre mondiale. Én zones rurales, hormis une implantation ponctuelle du républicain de gauche E. Bréant à Châteaubriant, et de son successeur le roturier Bardoul, c’est la perpétuation d’un pouvoir nobiliaire nationalement isolé. En zones urbaines, le républicanisme tend à être laminé pour laisser place, en secteur industriel surtout, aux socialistes SFIO. Toutefois, avec Merlant, conservateur laïc, mais non laïciste, le républicanisme s’est à Nantes ponctuellement imposé, précurseur de la droite des IV^e, voire V^e Républiques.

15Par-delà leurs divergences, les droites rurales et urbaines préconisent la solution corporatiste pour résoudre les conflits de classe menaçant l’ordre social. Sur ce point, on peut retrouver, de fait, l’influence de Le Play. Le député nantais Jean Le Cour est d’autant plus emblématique de ce courant qu’il a déposé une proposition de loi sur le sujet en 1938 et s’est exprimé à diverses reprises sur la question. En bref, il s’agit pour lui et ses amis, conformément au souhait naguère exprimé par Le Play précité23, de ré-insufler « l’esprit de liberté » au « régime corporatif, conforme à la plus authentique tradition de notre pays »24. L’évitement du corporatisme fasciste étant recherché, d’un côté, par une représentation de « syndicats propres », et, de l’autre, par un rôle restreint de l’Etat qui se limiterait à harmoniser le jeu des divers corps de métiers « en vue du bien commun »25.

16Ce projet de réactivation des corporations ne diffère guère de celui présenté par le républicain radical E. Durkheim précité26 ; dans les deux cas, il s’agit de prévenir une révolution sociale. Mais chez Durkheim, ce moyen est mobilisé en vue d’une fin « progressiste »27, l’accomplissement de la révolution libérale de 1789 ; chez Le Cour, en vue de l’adaptation du système médiéval révéré, utopiquement idéalisé28.

Radicalisme et socialisme

17Le caractère « décalé » de la droite ligérienne – plus vendéenne qu’elle ne l’est bien souvent dans le département voisin de la Vendée – tend à occulter le caractère également « décalé » de la gauche en Loire-Inférieure.

18Parmi les républicains élus à la députation, il n’y a guère que Roch qui puisse s’inscrire dans la nébuleuse radicale sans pour autant s’auto-identifier ainsi. Son « nom de famille » est républicain, son « prénom »29 est par exemple Alliance des Comités Républicains, mais jamais à notre connaissance, radical, radical-socialiste et a fortiori socialiste. Lors de sa dernière élection, en 1910. il est simplement soutenu par le Comité radical-socialiste30. Et le soir de la proclamation des résultats de ce scrutin, il se retrouve avec les deux Briandistes modérés que sont Guist’hau et Sibille – au siège du journal républicain, Le Petit Phare de la Loire, pour recueillir les vivats de la foule31.

19Par-delà la question d’un indicible radicalisme dans la région nantaise, s’affirment avec Roch, les « signes distinctifs »32 du bon radical, attaché aux réalités locales, connaissant les allées du pouvoir, son administration. Autrement dit, ces moyens institutionnels propres à consolider le régime issu de 1789, promoteur du « progrès » contre les tenants de l’ Ancien Régime d’un côté, contre les « destructeurs » de la petite propriété, de l’ordre social, d’un autre côté, que sont les socialistes sans parler des anarchistes ou des communistes.

20En Loire-Inférieure, le républicanisme de gauche est un radicalisme euphémisé et prolongé avec Briand jusque dans les années 1920 ; corrélativement, le socialisme pourrait bien être un radicalisme-socialisme, relativement acceptable en Loire-Inférieure dans les années 1930, comparativement aux idéologies effectivement radicales. De ce point de vue, les professions de foi SFIO sont, certes, indéniablement anticapitalistes, mais les appels à la République sociale placent le régime, et non la Révolution sociale, au cœur de l’action engagée. Le premier des députés socialistes ligériens, F. Blancho, élu à Saint-Nazaire de 1928 à 1936, pose explicitement dans sa circulaire de 1928, l’équation selon laquelle « le socialisme est synonyme de République ». Au regard de la doctrine, Blancho ne fait pas gratuitement référence à Edouard Herriot, leader des radicaux-socialistes, car il est lui aussi assez sélectif dans ses appels aux nationalisations qui n’ont que bien peu à voir avec la collectivisation soviétique33,

21Alceste a « mis le doigt » sur des proximités a priori surprenantes des extrêmes qu’étaient : d’un côté, les socialistes ; de l’autre, les pro-monarchistes. Ces proximités ne doivent pas voiler les indéniables différenciations, mais il faut en retenir le constat – ou plus prudemment – l’hypothèse selon laquelle cette « parenté » pourrait être explicative de convergences politiques « par le social »34, observables entre catholiques et socialistes durant la seconde moitié du XX^e siècle.

22Cela dit, avec la victoire de Lénine sur les Tsars en 191735 plus qu’avec la « grande guerre », l’affrontement entre libéraux et collectivistes tend à supplanter l’affrontement entre religieux et laïcs, opération sérieusement perceptible dès le début du XX^e siècle sous le vocable générique de « question sociale »36. L’histoire politique empreinte de ces combats de géants, opposant les tenants du communisme et du fascisme, tranchera dans un premier temps en faveur du corporatisme puis, dans un second temps, en faveur de nationalisations sélectives, anti-collaborationnistes37. Ce, plus sous l’autorité du général de Gaulle que de la SFIO, nationalement débordée par le parti communiste. Le thème de l’égalité tend alors à prendre le pas sur celui de la liberté mais on ne saurait jurer que ce renversement fut définitivement institué. D’autant moins qu’en 1936 bien peu d’élus peuvent supposer que brandir l’étendard de la liberté devra bientôt se muer en une impérative exigence de Libération38. Il faut tout le pessimisme anti-moderniste des élus de droite pour paradoxalement subodorer une seconde guerre mondiale dont les populations ligériennes, entre autres, auront intensément à souffrir39.

Univers nobiliaire et « désutopisation »

23A ce pessimisme anti-moderniste s’articule l’utopie restitutionniste au cœur de notre précédent travail. Alceste reconstitue plus que nous ne l’aurions supposé, ce « monde » des élus nobiliaires faisant appel à un passé, reconstitué en un âge d’or magnifié – le Moyen-Age chrétien –, contre un présent rejeté – la République laïque – en vue d’un avenir autre – une monarchie de droit divin –40. Soit plus spécifiquement les appels respectifs et repérables bien qu’euphémisés, naturalisés :

24• à la force « originaire » nobiliaire : le statut d’élu prédomine ; ce n’est plus en principe la naissance qui fait le représentant mais – en droit – le suffrage populaire institutionnellement organisé. La production même des circulaires électorales révèle cette autonomisation des activités politiques démocratiquement organisées ;

25• au thème de la « restauration » monarchique qui s’efface en seconde période. La liste de droite, en 1885, s’adressant aux urbains et aux ruraux, se dit clairement monarchiste, alors qu’en 1919 et 1924, toujours dans des scrutins de listes, mais ne s’adressant plus qu’aux circonscriptions rurales, a priori davantage réceptives à ses idées, elle n’aborde plus cette question aussi clairement ; elle s’abstient d’exhiber son drapeau monarchiste. On peut émettre l’hypothèse avec Siegfried, que la droite, de conviction monarchiste persistante, pense que la majorité de son électorat ne partage plus que modérément cette conviction. C’est d’autant plus vraisemblable que la condamnation officielle de l’Action française par la hiérarchie catholique de Rome n’est pas encore intervenue41 ;

26• à la puissance « dynamogène » de la religion42, excentrée en seconde période. Les identifications au catholicisme, les appels à Dieu en fin de circulaire sont trop présents pour que l’on suppose aisément un retrait du religieux mais ces récurrents appels sont, semble-t-il incantatoires. Ils trahissent un recours désespéré au providentialisme extra-mondain qu’on ne saurait assimiler à sa forme intra-mondaine : l’Etat-Providence.

27Cette désutopisation était perceptible, mais deux faits externes aux Professions de foi rendaient compte de notre « difficulté psychologique »43 à saisir aisément cet enseignement « dispensé » par Alceste :

28– d’une part, notre familiarité à cette culture ligérienne qui, dans les années 1950 s’affirmait très religieuse, mais plus vue du côté de l’Action Catholique que du côté politique, même si le MRP pouvait faire illusion.

29– d’autre part, notre connaissance des matériaux autres que les professions de foi qui, en particulier la presse, montrent la noblesse politisée, intensément impliquée, aux côtés du clergé, dans l’œuvre de restitution du monde traditionnel où l’extra-mondain prédomine sur l’intra-mondain. L’activisme catholique des débuts de la décennie 1950, que nous aurons à explorer plus précisément, a aussi un effet déformant. Méthodologiquement, il appellera un retour sur les statistiques des années 1930, ici délaissées au profit de celles des années 1950 plus aisément et systématiquement comparables44. Pour autant, il ne semble pas que le procédé mis en œuvre soit invalidé. Si l’on prend comme indicateur fort le taux d’enfants fréquentant l’enseignement privé confessionnel, on observe qu’en 1940 la corrélation est confirmée avec ce même indicateur pour l’année 1954. Et cette relation est la plus robuste de toutes celles qu’il nous est possible de mobiliser sur le long terme.

Monarchie et République...

30En prenant logiquement en compte les professions de foi républicaines et socialistes, Alceste relativise en seconde période les circulaires traditionnelles « rétrogressives ». Mais en première période, cette identique procédure mise en œuvre n’effaçait pas le restitutionnisme de la droite monarchique.

31Cela étant, les deux termes du sous-titre de cet ouvrage : Monarchie et République, correspondent bien à la « cohabitation » des deux systèmes. D’un côté, les républicains modérés, que l’on situe à gauche au motif qu’ils sont confrontés à des adversaires nobiliaires soupçonnés de défendre les principes hérités de l’Ancien Régime. Quant aux socialistes ils s’identifient d’emblée à la République. D’un autre côté, la droite nobiliaire résistant désespérément à l’idée d’admettre, comme A. de Falloux en 1848, qu’il convient de tenir pour irrévocablement acquis l’avènement de la démocratie. « Quand bien même, déclarait-il, on retournerait vers la monarchie, le monarque ne serait jamais que le Président de la République »45. Chiche ! Qu’il soit autoritaire, tel Clemenceau, rétorquerait nos députés.

32Alceste montre assez bien cette résistance désespérée des monarchistes par l’inversion observée des termes du couple politico-religieux. En seconde période, le religieux voit son statut se restreindre en passant du substantif au qualificatif « catholique » accolé à l’Union Nationale. Cette catholicisation du politique trahit le retrait, le « déclassement » de la tradition comme ethos structurant les enjeux du débat politique. De ce point de vue, il est acceptable de dater le clivage droite/gauche de la Séparation des Eglises et de l’Etat conjoncturellement induite par l’Affaire Dreyfus46. La matrice culturelle moderne est plus à l’œuvre qu’on ne le suppose habituellement dans cette région « vendéenne », au début du XX^e siècle. Ce, y compris par la dépersonnalisation des circulaires47.

33A quiconque ne serait pas profondément convaincu par la thèse de la désutopisation48 insufflée par l’autonomisation du combat électoral, nous pouvons rappeler un autre constat d’Alceste. Soit l’émergence de thèmes relativement communs à la droite et à la gauche ; spécialement l’économique, le fiscal, au plan doctrinal ; et le fonctionnel, voire le relationnel, au plan stratégique annonçant le processus – contraignant et contemporain – de la communication stéréotypée entre élus et électeurs49. Elle le fut durant la période ici étudiée, mais fort heureusement pour cette étude, sans que le « tempérament » des mandatés – pour important qu’il soit du point de vue des mandants – ne banalise systématiquement les écrits, les professions de foi. Ce que la réserve d’A. Siegfried pouvait laisser craindre, eu égard au poids des opinions, qu’il perçoit léger par rapport à celui, imposant, des personnalités50. D’autant plus sans doute que le rapport des électeurs ligériens à la lecture reste incertain51.

34A la « société de discours », des porte-parole, principalement incarnée par la gauche-urbaine-laïque, la force nobiliaire-rurale-religieuse pose, et bon gré mal gré oppose, une société « de principes »52. Celle-ci prend sens en-deçà des mesures techniques à adopter dans le champ politique pour réaffirmer ses hiérarchies unifiées et non différenciées53. Ou encore, ses valeurs par son ethos du principium : commencement, origine, fondement ou encore, cause première. Vu sous cet angle, la désutopisation reste comme en suspens.

35En bref, on peut considérer notre corpus comme étant l’incarnation d’une dualité des rationalités mises en œuvre. « Instrumentale », techniciste du côté des républicains adhérant sans réserve au Régime ; « en valeur », morale, du côté des anti-républicains. C’est dire la difficulté des deux camps à combiner les éthiques de conviction et de responsabilité. Soit, les fondements relatifs à la validité de l’ordre légitime54, autrement dit, les « paradoxes éthiques » de la vocation du politique55, si problématique encore à l’aube du XXI^e siècle.

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