Bilan de discussion
p. 335-342
Texte intégral
1C’est l’une des fonctions naturelles du débat que de bousculer les catégories et découpages préalablement proposés. Celui-ci n’ayant pas failli à la règle, nous résumerons de conserve les échanges consécutifs aux rapports consacrés aux élus et aux lieux en nous autorisant de certains relais ultérieurs pour parfois traiter plus loin de tel aspect de la discussion.
Élus et lieux
2S’agit-il des lieux ou peut-être mieux des territoires et les découpages internes au Parti socialiste ont retenu l’attention. Au cours de l’histoire du parti, ces derniers se sont presque toujours calqués sur les découpages administratifs. Ils ont cependant parfois dû s’en émanciper, quand les forces se faisaient trop maigres, après la scission ou d’autres fois tenté d’y parvenir (les amicales socialistes et groupes socialistes d’entreprises). Comment le parti pense-t-il son rapport à ces cadres administratifs qui lui préexistent ? Quelle en est la pesanteur ? Pourquoi tant de difficultés quand il tente de les faire éclater ? Difficultés attestées par l’échec des sections d’entreprises constituées après le congrès d’Épinay ou dans cette même phase de son histoire, par celui de la fédération bretonne, quand la région Ouest constituait pourtant une de ses places fortes où tout semblait possible. Un élément d’explication fut avancé dans une autre étape du débat s’agissant des groupes socialistes d’entreprise. Ceux-ci furent d’autant moins encouragés par la direction du parti qu’ils étaient des « repaires chevénementistes » (Sawicki) qu’elle ne souhaite guère pérenniser. Une remarque qui incite à envisager la question des relations entre les découpages organisationnels et les cadres administratifs en termes plus complexes qu’il n’y paraissait d’abord : les redécoupages internes occasionnellement tentés au sein du parti ne seraient-ils pas le fait de courants tentant d’asseoir de la sorte un nouveau rapport de forces, leur échec étant alors moins la résultante de pesanteurs administratives que celle de contre-feux efficacement nourris par la direction ?
3Ce thème excepté, la question du territoire s’est intriquée totalement avec celle des élus, nous incitant à partir ici de ceux-ci pour mieux la retrouver ensuite.
4Les communications privilégient cette catégorie particulière d’élus que sont les députés ou sénateurs-maires de grandes villes plus que d’autres. Plusieurs intervenants soulignent l’intérêt qu’il y aurait à mieux connaître les catégories ignorées des travaux proposés, parce que les sources sont moins immédiates ou que leur nombre rebute : ainsi les conseillers généraux, les maires ruraux ou de petites villes, les conseillers municipaux. On pourrait utilement adjoindre à ces derniers les candidats en position non éligible. Ces dizaines de milliers d’hommes et de femmes constituent le vivier du militantisme, un militantisme rétribué par une parcelle de notabilité, toute symbolique. On tient cependant à cette distinction. Les conflits advenus quand il s’agit de déterminer l’ordre d’inscription sur les listes de candidature aux diverses élections, aux positions non éligibles y compris, le disent assez bien. Ils signifient que cette rétribution toute symbolique confère un statut, mobilisable à d’autres fins et dans d’autres circonstances, au regard du parti comme en dehors de ses rangs.
5De nombreuses interventions reviennent sur la question du cumul des mandats qui constitue la norme. Les trois communications qui traitaient centralement de cette question suggèrent à Donald Sassoon une périodisation qu’il met en débat. Sous la IIIe République, les élus socialistes semblent avoir acquis d’abord des mandats nationaux puis, dans un second temps, leurs mandats locaux (à la différence des tendances dominantes à l’œuvre dans les autres formations politiques). Le mouvement va du local au national dans celle des communications concernant la Ve République. Peut-on généraliser à partir de ces communications ? Dans l’affirmative, le parti dont les formes de socialisation politique étaient primitivement spécifiques se serait progressivement adapté aux formes dominantes de la vie politique. Divers intervenants invitent à la prudence. Selon Didier Bigorgne, dans les Ardennes de l’avant Première Guerre mondiale, par exemple, il était de tradition de conquérir un mandat local avant que de songer au mandat national. Une piste d’étude est du moins ouverte. Encore conviendrait-il à qui voudrait la prendre en charge de travailler sur les premières candidatures, même si elles ont été suivies d’échec, et pas seulement sur les mandats ajoute un intervenant.
6Divers intervenants soulignent l’intérêt d’études permettant de cerner les relations qui ce nouent entre ces élus et leurs électeurs. Le courrier des parlementaires, souvent disponible, est une source qui permet d’analyser les attentes des électeurs à l’égard d’élus qui tendent à devenir des assistantes sociales (Denis Lefebvre). La demande à finalité personnelle est précoce. Elle apparaît par exemple dans la correspondance de Marcel Sembat. Mais sans doute la nature de la demande évolue-t-elle chronologiquement. La nature des réponses apportées (ou non) permet pour elle de mettre à jour des réseaux d’influence, la propension plus ou moins forte des élus à satisfaire la demande, leurs possibles réticences devant des pratiques susceptibles d’effets pervers, les modalités techniques de leur intervention. Certains font établir des lettres types, d’autres personnalisent leurs démarches. Ce courrier dont plusieurs intervenants confirment l’existence et l’intérêt dit assez bien que la détention de mandats nationaux constitue un atout de première importance, perçu comme tel par les électeurs des élus locaux. Être député ou sénateur, c’est pouvoir obtenir des subventions et recommander efficacement qui le requiert.
7Les relations du local au national et les investissements prioritaires sur l’un ou l’autre de ces terrains ne fonctionnent cependant pas chez tous sur le même mode. Certains privilégient les fonctions nationales et se dotent d’un cabinet pour satisfaire les impératifs de leurs mandats locaux, ainsi Vincent Auriol. D’autres consacrent leur temps et leur énergie au terrain local en n’usant de la scène nationale qu’aux fins de mieux consolider leur assise, en se distinguant par leur absentéisme remarqué dans les travées des assemblées dont ils sont membres. Ce sont là des lectures trop instrumentales, suggère un intervenant qui tient à relativiser la portée des exemples en débat. Les élus vont certes à Paris pour obtenir des subventions. Mais reste posée la question de savoir pourquoi certains investissent dans les commissions parlementaires ou les organismes dirigeants du parti quand d’autres se limitent au local en assimilant le parti à une implantation territoriale.
8L’interdépendance entre le local et le national est du moins, pour tous, évidentes. Reste à savoir comment se construit la relation et quels en sont les facteurs premiers. Comment se construit la légitimité politique ? Les ressources nationales dont jouit tel parlementaire incitent à faire de lui un élu local qui escompte des retombées pour la ville ou le département concerné mais on peut tout au contraire miser sur la puissance des réseaux construits par tel élu local pour gagner au parti de nouveaux soutiens qui s’exprimeront nationalement. Cette alternative peut générer des conflits quand il s’agit d’arrêter certaines candidatures. Plus généralement, quelles sont les incidences locales des poussées ou revers nationaux, les effets nationaux des bonnes ou mauvaises gestions déployées au plan local ?
9L’élu est un gestionnaire. Mais qu’est ce qu’un gestionnaire socialiste, interrogent d’aucuns ou plutôt en quoi ce gestionnaire – il l’est nécessairement – est-il aussi socialiste ? Il existe, rappellent certains intervenants, un corps de doctrine du socialisme municipal qui se retrouve dans les ouvrages de Paul Brousse, de Henri Sellier, d’Albert Thomas et de Compère-Morel, dans l’entre-deux-guerres toujours présents dans les bibliothèques des élus et qui sont lus. Mais dès avant 1914, le centre de gravité du municipalisme s’est déplacé des socialistes vers le Musée social avec une certaine technicisation. L’Internationale enregistre d’ailleurs cette évolution et définit alors l’élu par ses compétences dans un domaine donné (non par la légitimité que lui confèrent les voix rassemblées sur son nom). Dès 1920, l’amicale des élus de la Seine constitue un lieu de partage et d’uniformisation des expériences et la société d’étude et de documentation municipale s’essaie à rassembler des documents, tandis que certains modèles étrangers (Belgique, Autriche) s’imposent avec force. Mais sans qu’on puisse pour autant parler d’une « ligne » socialiste en la matière. Le scientisme de l’élu qui caractérise un Henri Sellier n’est aucunement relayé par tous, le pragmatisme demeure ici la règle et les fiefs qui se constituent témoignent du rôle original d’un certain nombre d’individus. La fédération des élus n’a pas de pouvoir politique et parfois pas de positions communes sur certains problèmes qui devraient les concerner, ainsi les régions.
10Le lien entre ce que sont les élus et ce qu’ils font est un lien fort mais paradoxal ajoute un intervenant. Dans le Parti communiste, l’ouvriérisme confère aux élus leurs lettres de noblesse. Le Parti socialiste ne peut jouer sur ce ressort sur le même mode. La norme existe, mais il n’y a personne pour la faire appliquer. Les fils d’employés ou d’ouvriers en ascension sociale sont pris entre deux chaises. Leur illégitimité ressentie les incite à surcompenser. Elle explique leur attachement à l’école et au savoir, attesté par leurs références appuyées à la culture scolaire. Elle les pousse également à offrir des garanties aux institutions, à la bourgeoisie. C’est le « syndrome Bérégovoy » (Sawicki), induisant un socialisme très concret, une « gestion de père de famille ».
11L’organisation socialiste conserve-t-elle une capacité d’intervention et un droit de regard sur les fiefs ainsi constitués et quel est le rôle des sections socialistes dans les municipalités qui le sont également ? A Montélimar, la section socialiste était principalement constituée de fonctionnaires municipaux pour éviter à Maurice Pic toute difficulté interne et lui permettre un contrôle aisé de l’électorat et de la section. Qu’en est-il ailleurs ? Cette question induit un débat sur le rôle des secrétaires généraux de mairie qui va diviser les intervenants. Tous constatent que l’administration communale, initialement faible, a dû s’étoffer et se professionaliser. Denis Lefebvre tient ces secrétaires généraux pour les chefs de l’administration et ne les crédite d’autant de pouvoir politique, en considérant que les fonctions politiques sont du seul ressort du cabinet du maire. La confusion entre instances municipales et instances partisanes n’est selon lui pas la règle. À Bondy, le maire interdisait ainsi au secrétaire général d’être membre du parti, dit-il, ou du moins, de l’être dans la commune. Plusieurs intervenants estiment au contraire que les interractions sont fortes et non univoques ; il y a une politisation des secrétaires généraux et une bureaucratisation des maires ; du reste, des secrétaires généraux sont devenus sénateurs et ont terminé leur carrière de la sorte. Tous s’accordent à reconnaître que ce personnel mériterait d’être étudié. Un intervenant lance une autre piste : l’union de la gauche a induit l’émergence d’un personnel municipal minoritaire dans les municipalités communistes. Son étude serait sans doute d’un grand intérêt.
12Une question demeurée latente a traversé tous ces débats. Les pratiques analysées et ce qu’elles nous disent du rapport du local ou national sont-elles ou non spécifiques au Parti socialiste ? Le débat a-t-il bien porté sur les élus socialistes et sur leur territoires ? N’a-t-il pas concerné plus généralement le système parlementaire à l’œuvre ? Si le deuxième terme de cette alternative se révélait le bon, il serait du moins signifiant du haut degré d’intégration du Parti socialiste dans le système politique dominant. Mais diverses interventions sont venues mettre en garde contre les tentations de prendre trop rapidement la partie pour le tout. Sans doute faudra-t-il reprendre le débat. Pour s’interroger sur les usages – socialistes –, s’il en est, de pratiques devenues dominantes.
Syndicats et associations
13Les contributions consacrées aux relations du Parti socialiste avec les syndicats et les associations avaient, au contraire, mis de prime abord l’accent sur les spécificités.
14Dans ses conclusions, Donald Sassoon a rappelé que les prises de positions des socialistes et les différences constatées d’un pays d’Europe à l’autre ne sauraient se comprendre sans référence au marché politique. Les réponses apportées par Jean-Pierre Besse à l’une des questions qui lui avait été posée lors de la première étape de la discussion en apportaient une parfaite illustration. Il s’agissait de comprendre pourquoi Vichy avait traité différemment les municipalités socialistes de Creil et Montataire, en induisant des effets durables sur la vie des deux municipalités et sections socialistes. Jean-Pierre Besse mettait en avant la configuration politique différente des deux communes en 1940. À Montataire, la droite est totalement absente et la SFIO affronte seulement une liste communiste. Où Vichy peut-il trouver des forces substitutives quand il n’y a personne en face ? L’appui sur les socialistes, avec, pour ce parti de durables conséquences locales, s’impose, ici, pour la seule solution possible. Rien de tel à Creil où le Parti socialiste comptait des ennemis à droite et où Vichy peut alors disposer d’un vivier de secours dans lequel il va puiser.
15Ce poids souligné de l’autre dans la détermination de certains choix politiques est fortement revenu dans les interventions consacrées au relation du parti avec les syndicats et associations. Des communications consacrées aux socialistes d’avant 1914 auraient sans doute mis en lumière les liens étroits unissant le Parti socialiste à certaines associations dont la franc-maçonnerie ou la Ligue des droits de l’homme et les relations avec les syndicats plus complexes qu’on ne dit d’ordinaire, au plan local en particulier. Mais toutes les communications et réflexions proposées ce jour portaient sur l’après scission. Impossible désormais de comprendre le discours et les pratiques socialistes vis-à-vis des syndicats et associations sans référence à ces contre-modèles que sont, durablement le PCF et, plus tardivement, pour les militants venus de la CFDT, le MRP.
16Au plan local, les liens que le Parti socialiste entretient avec ces diverses organisations sont forts. Mais au plan national, le parti se réclame du discours sur l’indépendance syndicale, s’attache à se démarquer du schéma de la courroie de transmission et semble cacher qu’il est en relation avec des associations, clubs et autres mouvements. Les dirigeants socialistes sont souvent impliqués dans le mouvement associatif, à de hauts niveaux de responsabilité y compris (ainsi Deixonne et le planning familial) mais ils ne le mettent pas en avant. On le fait, mais on ne le dit pas
17Il existe toutefois d’incontestables liens institutionnels quand même ils se sont construits différemment qu’ils ne l’ont fait s’agissant du PCF. Les communistes impliqués dans le mouvement associatif ne s’y trompent pas au demeurant. Ils craignent l’action des socialistes ou socialisants dans le mouvement associatif (N. Ksiss) et plus spécifiquement leurs rapports supposés étroits avec les pouvoir publics.
18S’agit-il des syndicats et Gilles Morin propose une périodisation : dans l’entre-deux-guerres, les interactions sont fortes. Tout change après 1945 et plus encore après 1947, des responsables CGT se présentent parfois sous l’étiquette socialiste. Ils ne peuvent plus assumer cette étiquette au-delà et les anciens responsables cégétistes devenus parlementaires (tel Albert Gazier) rompent avec leur milieu. Ils utilisent les ressources du syndicat mais n’apportent plus, en retour, au syndicalisme. Le système d’alliance, précaire et conflictuel avec la CGT-FO. résulte en outre d’une sélection négative. Interdiction étant formulée d’adhérer à la CGT, à la CFTC et aux syndicats indépendants, la CGT-FO demeure seule en lice. S’agit-il des tentatives socialistes pour s’organiser dans les entreprises et une périodisation paraît nécessaire. Les amicales d’entreprises et leurs avatars de la Libération n’ont jamais eu d’autonomie, rappelle Frank Georgi. Elles ont toujours été sous l’étroit contrôle du parti. Ces institutions défensives étaient censées défendre l’autonomie du syndicat tout en intervenant dans ses affaires. D’où leurs difficultés et leur fragilité, déjà mentionnée. Il en va différemment après 1969 et 1971 : les GSE se veulent le moyen d’une réimplantation ouvrière du parti. Leur échec tient entre autre à ce qu’elles sont simultanément instrumentalisées dans une perspective de concurrence interne au parti, on l’a vu.
19La diversité syndicale a plutôt profité au parti socialiste, avance, pour lui, Frédéric Sawicki. En fonction de variations régionales, le parti s’appuie de manière privilégiée sur la CGT-FO, la CFDT, la FEN ou même, parfois, la CGT. Cette diversité de points d’appui lui permet de puiser dans des fonds très différents.
20Le débat sur les associations fait apparaître une instrumentalisation dont le Parti socialiste n’a nullement le monopole. Au plan local, le Parti socialiste prend appui sur un tissu associatif qui préexiste ou qu’il suscite en s’inspirant du modèle communiste. Ce militantisme associatif permet au parti socialiste de se doter d’un vivier de sympathisants dans lequel il peut puiser quand il s’agit de constituer des listes de candidatures, municipales en particulier. Il est essentiel qu’il y ait beaucoup de non socialistes pour faire figure de société civile dans la liste municipale et un tel vivier ne s’improvise pas. Contraignant ceux qui en sont dépourvus à faire appel à des socialistes venus d’ailleurs et dont on tait l’appartenance pour faire fonction. Les sympathisants peuvent également se voir mobilisés lors de crises internes ; ainsi en 1991 quand on vit surgir des « cartes de sympathisants » et quand ils se virent reconnaître un droit de vote. La « doctrine de la démocratie locale » formulée et mis en œuvre par Michel Charzat dans sa mairie du XXe arrondissement de Paris illustre assez bien ce rapport souhaité aux associations : des liens doivent exister mais ne pas être trop visibles. Cet exemple suscite certaines objections de la part de Nicolas Ksiss. Il met en garde contre une vision par trop instrumentalisée des associations et en particulier des associations de quartier. Dans le XXe arrondissement, le conseil de quartier rassemble des associations plus qu’il ne les fabrique et celles-ci, très actives et souvent plus anciennes que l’arrivée de Charzat à la mairie, sont très jalouses de leur indépendance. Une controverse qui ouvre de nouvelles pistes de recherches.
21Mais le Parti socialiste doit à l’existence des courants qui le composent d’user également de ces associations (et, parfois des syndicats) à des fins spécifiques. Associations et syndicats peuvent constituer des bases de repli ou de reconquête pour certains de ces courants. Dans le Nord par exemple, le rôle du SNI dans le CERES local a été décisif. Il a permis de créer de nouvelles sections du parti sur une ligne de gauche contre le vieux fonds socialiste. Inversement, en 1958, la constitution du PSA s’accompagne d’une crise des relations que le parti entretient avec la Ligue des droits de l’homme et le syndicalisme enseignant.
Discours
22Les rapports consacrés au « discours » ont suscité les interventions de Yves Billard, Frédéric Sawicki, Gilles Morin, Jacques Girault, Pascal Guillot, Donald Sassoon, Pierre Serne et Frédéric Cépède.
23L’auteur de ce compte rendu qui se trouvait présider la séance s’était demandée si « discours » était bien l’intitulé qui convenait pour présenter des communications mettant surtout l’accent sur des pratiques à l’œuvre et relativisant le dire au profit du faire. La discussion qui s’engage sur les programmes et leur utilité valide à tout le moins cette interrogation liminaire. Donald Sassoon dit bien comprendre quelles sont les fonctions du programme national du parti : il est, dit-il, un moment symbole de l’unité du parti. Ce qui est important, c’est la période qui permet d’aboutir à un tel programme. Et ce qui vaut pour le programme socialiste vaudrait bien sûr pour le programme commun de gouvernement. Ce(s) programme(s) permet (tent) en outre d’intégrer des éléments épars dans un ensemble globalisant. Mais quel est, poursuit-il, la fonction des programmes locaux, soigneusement conformes au programme national mais qu’on prend cependant la peine d’élaborer, de reproduire, de diffuser ? Ces programmes que personne ne lit auraient-ils avant tout des vertus anthropologiques ? Pierre Serne répond à la question posée en rappelant qu’il existe, en démocratie, un postulat de départ : on ne peut pas se présenter à des élections sans programme ; l’histoire de cette certitude étant, dit-il, à écrire. Rédiger au moins une page de programme est dès lors un acte nécessaire. Diverses interventions disent à leur tour que le programme est peut-être d’abord et avant tout une forme de l’identité partisane et un objet symbolique ; parfois destiné à satisfaire de toutes autres fonctions que ce pour lesquelles il se donne. Le programme de la fédération des travailleurs socialistes de France est un moyen de signifier l’unité entre les allemanistes et broussistes quand leurs contradictions sont indépassables, soit une manière d’image. Gilles Morin qui invite à périodiser dit pareillement du programme qu’il répond à des fins demeurées tacites : jusqu’en 1936, quand les socialistes se refusent à la participation, le programme est un moyen de s’affirmer et de se démarquer. Il en va différemment par la suite. Quand on dit « programme d’abord », c’est qu’on a décidé de ne pas s’entendre. Ces lectures des programmes ou plutôt de leurs fonctions suscitent les réserves de nouveaux intervenants qui se demandent si l’on n’est pas en train de tordre par trop le bâton dans l’autre sens. Certains croient à ce qu’ils écrivent et les querelles de motion comme les interminables débats sur les amendements sont là pour signifier l’importance que les militants et dirigeants accordent aux mots. Ces programmes sont, au demeurant, révélateurs du langage socialiste, de leurs références identitaires obligées (ainsi la question scolaire). L’investissement dans les discours, congrès et écrits est d’une façon générale sensiblement plus fort dans les partis ouvriers qu’il ne l’est chez d’autres ; ne convient-il pas de prendre un tel investissement au sérieux et de s’interroger sur les vertus spécifiques du cérémonial et des mots ? Un cérémonial qui ne remplit ses fonctions qu’à la condition de ne pas tout dévoiler, le fiasco de Rennes en est la preuve a contrario,
24Le temps qui passait interdit de revenir sur la question de propagande autant qu’il aurait fallu. De nombreuses remarques avaient été formulées chemin faisant sur la formation des militants que le rapport de Frédéric Cépède invitait à prolonger. Le Parti socialiste paraît avoir eu quelque mal à mettre en place des écoles de formation. Il a passé contrat avec l’OURS pour la formation de ses militants en déléguant ainsi à d’autres quelques-unes de ses prérogatives et témoigne de difficultés permanentes avant d’adopter ce que la société a déjà par ailleurs mis en place (stages, universités d’été...). Mais la vie municipale et la pratique associative ne constituent-elles par le terrain privilégié de la formation militante ? Avec quels effets ? Ne conviendrait-il pas, ce fut une autre question, de revenir sur le rôle et l’efficacité des délégués à la propagande ? Ils n’allaient pas partout. Comment s’opéraient les choix ? Retenons pour conclure un problème posé par Frédéric Cépède qui revenait ainsi sur les relations, parfois difficiles à cerner, du dire et du faire : le parti (distingué de ses investissements municipaux, parlementaires, associatifs, etc.) est-il simplement un producteur de discours ? Fait-il ce qu’il fait parce qu’il faut le faire ? Faut-il croire ce qu’il dit ou voir ce qu’il fait ?
25Cette question décisive pour toute histoire des partis politiques en induit peut-être une autre. Chacun des exemples avancés la journée durant a suscité des contre-exemples, en nourrissant de la sorte le débat lancé par le rapport ayant trait au bon usage des monographies. C’est toute la question de la possible et nécessaire (re)construction du national à partir de tant d’exemples locaux qui se trouve ainsi posée. Comme l’est celle du parti à partir des pratiques qu’il mène sur les terrains institutionnels et associatifs. La métaphore du « haut » et du « bas » décrit le phénomène sans apporter à sa compréhension. Jean-Clément Martin a mis en évidence dans un tout autre cadre « les forces et les effets de lieu qui transforment et adaptent les courants de pensée à chaque situation particulière », en répondant d’une « double scène » par quoi se construit le national. Cette notion n’aurait-elle pas quelque pertinence pour les propos échangés la journée durant ? Ne faudrait-il pas se pencher plus avant qu’on ne l’a fait, ce jour, sur la question des identités, multiples et concurrentes, dont se réclament les acteurs de cette histoire, identités construites dans des rapports complémentaires mais susceptibles d’être conflictuels aux terrains local, national et international (un grand absent de la journée) ?
26Certaines interventions ont suggéré là des pistes. Maurice Pic dont les débats ont montré qu’il privilégie le local à l’excès s’attache du moins à mobiliser toute la symbolique nationale rattachée au parti quand il doit se mettre en scène dans son matériel de propagande local. Et Fabienne Greffet de suggérer une périodisation s’agissant des élus municipaux : la compétence serait mise en avant dans les conjonctures défavorables au Parti socialiste mais les thèmes de politique nationale et la symbolique afférente resurgiraient en force dans des phases redevenues porteuses.
27C’est assez dire qu’il reste du grain à moudre.
Auteur
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