La ville est à vous, reprenez-la.
Imposons un contrôle populaire.
Premières lignes du tract d’appel à la manifestation
du 25 janvier 1975 lancé par le Comité Vercingétorix,
l’Association des droits du piéton, la Fédération des usagers
des transports, Archives de Paris, 101/77/6, 17.

1« Le Plan d’urbanisme directeur de Paris est antidémocratique, anticonstitutionnel et contraire au droit des gens »1.

2On ne saurait plus radicalement poser les enjeux des luttes associatives urbaines du Paris en transformation au cours des années soixante. Dans ce courrier daté de 1961 et adressé au président du Conseil général de Paris, le président de la 20^e section de Paris de la Ligue des droits de l’homme et du citoyen en appelait pour ces concitoyens « à la liberté au même titre que pour les peuples colonisés ». Par ailleurs, y étaient dénoncés « les procédés totalitaires et déloyaux » de « l’Administration » (sic).

3S’il fallait chercher des preuves tangibles de l’importance prise à Paris en matière d’urbanisme et de cadre de vie par les associations de citadins, il serait légitime de porter le regard sur ces années, et, plus précisément, sur le bilan de quelques opérations exemplaires. Point commun de différents combats, l’automobile a été stigmatisée2, d’une façon inouïe jusqu’alors, pour les infrastructures nuisibles et encombrantes qu’elle menaçait de charrier avec elle. À cette époque en effet, le tissu urbain de la capitale s’est trouvé menacé par de nombreuses pénétrantes et rocades qu’il suffit d’énumérer pour comprendre l’enjeu que cette décennie a fait peser sur l’ensemble de la ville : axe Nord-Sud à l’Est de la capitale entre les portes d’Aubervilliers et d’Italie, « rocade Clairgeon » destinée à relier le secteur Maine-Montparnasse à la colline de Passy, voies express rives droite et gauche le long de la Seine, boulevard périphérique, radiale Denfert-Rochereau, radiale Vercingétorix, entre la Porte de Vanves et Montparnasse. Étudiées, décidées, parfois commencées, ces réalisations ont connu différents avatars et pour la plupart des coups d’arrêt. Une à une, les grandes ambitions dessinées au sein du District de la région parisienne ont disparu du fait des combats menés par les riverains, aux exceptions notables toutefois, bien sûr, du boulevard périphérique et de la voie express rive droite, infrastructures pour lesquelles, il est vrai, une certaine antériorité dans la chronologie a joué, ainsi qu’une situation différente du bâti préexistant – ou inexistant en l’occurrence. Il est à remarquer que, depuis cette période relativement récente au regard de son histoire séculaire3, l’automobile demeure un objet de contestation. Encore peut-on constater qu’il s’agit moins d’une critique radicale de son usage – car celle-ci, s’il arrive qu’elle soit formulée reste finalement marginale –, que des nuisances collatérales inévitables apportées par les nécessités de son déplacement et de son stationnement4. Simultanément, l’automobile avait en sa défaveur d’apparaître comme le cheval de Troie d’une rénovation urbaine perçue comme autoritaire, souvent à juste titre, et jugée coupable par certains analystes d’entraîner la « déportation »5 des populations. Révélateurs d’une crise urbaine plus large, le système automobile et sa critique ont été au centre de l’émergence d’une revendication nouvelle majeure dans une démocratie, celle du droit à l’information quant aux projets d’une « Administration » – dont le « A » majuscule faisait tout craindre... – estimée aveugle et toute puissante.

4Notre démonstration comportera quatre temps. Nous reviendrons brièvement sur la « longue durée » de l’histoire parisienne de la défense associative du cadre de vie en tentant d’identifier un « moment 1901 ». Puis, après avoir recherché dans la crise urbaine de l’automobile des années soixante/soixante-dix les causes de l’efflorescence associative à cette période, nous analyserons dans un troisième temps les modalités concrètes d’un combat associatif victorieux et fondateur, celui de l’opposition à la réalisation du tronçon central de la voie express rive gauche au pied de Notre-Dame. Enfin, fort des enseignements de cette lutte, qui fut au premier plan un enjeu dans la campagne présidentielle de 1974, nous tenterons de tirer des conclusions sur la nouvelle donne sociale qui en est résultée dans les rapports entre pouvoirs publics et citoyens6.

La longue durée de la défense citoyenne de la « beauté de Paris »

5La partie jouée par les associations pour la défense du cadre de vie parisien mérite d’être déchiffrée et resituée entre un certain idéal associatif décelé aux États-Unis par Alexis de Tocqueville7 et la forme régressive, importée aussi d’Outre-Atlantique, que peut incarner le NIMBY (Not In My Back Yard). Du fait de la « multiplication, de la diversification et de la libéralisation » des groupements associatifs constatées par Maurice Agulhon8, la lisibilité des luttes n’apparaît pas de prime abord.

6Un rapide regard porté sur la généalogie des associations qui se sont multipliées il y a de cela une trentaine d’années, atteste la permanence parisienne de préoccupations que l’on peut, non sans anachronisme, qualifier « d’environnementales ». En réalité, la fin du xix^e siècle et le début du xx^e siècle avaient déjà vu se dessiner une forte spécificité de la capitale en matière de défense de la « beauté » de la ville, pour reprendre l’expression-phare d’alors. Ayant étudié de très près cette question, Anthony Sutcliffe perçut dans cette période, de 1895 à 1914, le premier mouvement de « préservation consciente »9 que Paris engendra. La liste est longue des associations de citoyens qui, pour beaucoup, ne relevaient pas encore de la loi de 1901. À côté de sociétés locales ou d’arrondissement comme le Vieux Montmartre, ancêtre du genre, fondée en 1886, la Société historique d’Auteuil et de Passy (1892), la Montagne Sainte-Geneviève (1895), la société des Amis du Louvre et la société des V^e et VI^e arrondissements (1898), la société historique et archéologique des VIII^e et XVII^e arrondissements (1899), la société historique des VI^e et XV^e arrondissements (1903), le Comité des Tuileries (1911), le Centre de Paris, I^er et II^e arrondissements (1912), des sociétés aux buts « élargis » naquirent aussi comme la Société des amis des bâtiments parisiens, la Cité (1901), le Touring Club de France et son comité des sites (1904), les Amis de Paris (1911). Mère de toutes, la désormais plus que centenaire Commission du Vieux Paris (1898) avait obtenu un emplacement dans le pavillon de la ville lors de l’exposition universelle de 1900.

7L’œuvre accomplie par ces associations est loin d’être insignifiante10. Outre la responsabilité plus ou moins directe qu’elles portent dans l’adoption de la première loi sur la protection des sites de 1913, elles ont indiscutablement participé à figer l’image d’un certain Paris, qui toujours devait demeurer tel. Un élu comme Émile Massard (XVII^e arrondissement) avait même fait du thème de « la menace sur la Beauté de Paris » et de « l’enlaidissement systématique de la Ville lumière » son cheval de bataille11. Ses inquiétudes portaient notamment sur les abords des places de l’Étoile et de la Concorde. Appuyé par la Commission du Vieux Paris, la Société des monuments de Paris et la société pour la protection des paysages, et constatant « l’intérêt du gros public » (sic), l’édile devait lancer une importante campagne de presse12 en faveur du maintien d’une harmonie jugée définitive. Signalons au passage, que le destin de cet élu est particulièrement intéressant à examiner lorsque l’année suivante il s’affirma – le premier à l’Hôtel de Ville –, comme l’un des plus ardents défenseurs de l’automobile allant même jusqu’à proposer un code de la rue « soumis à des personnes compétentes, susceptibles de nous donner un avis éclairé »13.

8La porte pouvait sembler étroite aux modernistes d’alors au vu des crispations nombreuses et diverses qui pouvaient se faire jour. Parmi eux, Eugène Hénard, souvent présenté comme l’un des premiers urbanistes français, s’opposa à des intérêts contradictoires lorsqu’il désira conserver en l’état sur le Champ de Mars, le « chef-d’œuvre de la Galerie des machines » contre les « spéculateurs alléchés » par l’emplacement. L’idée d’un « port d’attache pour dirigeables » avait en effet germé dans la tête de certains, plus modernes et radicaux encore, parmi lesquels Adolphe Chérioux, élu du XV^e arrondissement et entrepreneur de travaux publics – le terme de « promoteur » n’avait pas encore cours... Et Eugène Hénard de déplorer pour la première fois, avant tant d’autres, le prosaïsme de son adversaire :

« Je ne puis m’empêcher de constater que la notion de la beauté esthétique d’une ville varie du tout au tout suivant la profession ou le genre d’occupation de ses habitants ».

9Refusant malgré tout d’en rester à ce point, sa conception du rapport de force à établir contre ces funestes desseins était tout aussi novatrice :

« Le mouvement d’opinion qui se dessine peut faciliter ces nouvelles négociations. Que les sociétés sportives, que les agriculteurs se coalisent et pétitionnent, que la Société pour la protection de nos paysages, que le Comité des espaces libres, que les Sociétés d’hygiène, que les Associations artistiques unissent leurs efforts et leurs influences ; enfin, que les comités électoraux, lors des prochaines élections municipales, imposent à leurs candidats, indépendamment de toute opinion politique, la mission de défendre et de conserver intact ce qui reste à Paris de parcs, de jardins, de places publiques, et il deviendra possible d’en appeler au nouveau Conseil municipal, de l’erreur commise par l’ancien et votée d’ailleurs à une voix de minorité »14.

10Cet appel précoce lancé au lobbying de l’opinion publique et, finalement, à l’action politique et au vote – même si Eugène Hénard semblait dans un premier temps refuser toute politisation du débat – ne devait prendre toute sa signification qu’avec l’avènement réel de la mobilisation du grand public, soit une cinquantaine d’années plus tard.

Le tournant des années soixante, l’irruption de l’opinion publique et la première crise urbaine de l’automobile

11Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, et une fois la majorité de la population bien installée dans l’abondance des « Trente glorieuses », que s’opéra un rejeu des débats sur le cadre de vie parisien. Laissant le temps aux citadins de s’interroger sur le confort en dehors de leur logis, les conditions de vie permirent aux préoccupations en matière de transport de s’épanouir naturellement. En effet, ce secteur, avec ses carences et ses restrictions, passait, auparavant, quoiqu’il en fût, au second plan de la vie quotidienne derrière les difficultés prioritaires du logement. Pourtant, prétendre à une stricte hiérarchisation des besoins telle qu’un Maurice Halbwachs avait pu la déceler au début du siècle ou même un contemporain comme Alfred Sauvy, serait exagéré tant les temporalités des deux domaines s’enchevêtrent. Toujours est-il qu’avec le nouvel âge de l’automobile, que l’on peut définir comme celui de sa démocratisation et de sa massification commencées en France à partir de 1952-1955, les besoins en matière d’infrastructures et, de façon concomitante, les nécessités de remise à niveau des réseaux de transport en commun figés depuis avant la Première Guerre mondiale se firent criants. La perception de « l’inconfort »– et non plus du « besoin vital »– associé aux modes de déplacement devint peu à peu un thème revendicatif autonome dans l’opinion. Sur fond de marasme urbain récurrent15, le point culminant de la crise des transports peut être identifié au tout début des années 1970. Il s’agit aussi de l’instant de son inscription dans le domaine politique puisque les forces de l’opposition au pouvoir en place produisirent un document de référence afin de poser les termes du débat, à savoir le Livre noir des transports parisiens16. Toutefois, la dénonciation du « mal des transports », du « monde de souffrance », et de « l’univers à la Kafka »17 que représentait alors les migrations quotidiennes, n’était pas l’apanage des seules forces contestataires ; la prise de conscience avait gagné les pouvoirs publics jusqu’au plus haut niveau puisque ce thème n’avait pas cessé d’être prioritaire au District de la région parisienne. Il avait été justement repris et mis au premier rang des questions à résoudre par le président de la République en personne, le jeudi 18 novembre 1971, jour du dixième anniversaire de cette institution18.

12Cette accession au stade politique des revendications en faveur de défense de la région parisienne et de l’amélioration des transports avait été préparée et mûrie par l’efflorescence antérieure d’associations locales de protection. Si l’ambition d’être exhaustif n’est pas raisonnable en si peu d’espace, signalons tout de même que ce furent près d’une centaine de groupements de citoyens19 qui virent alors le jour, qui pour défendre son square, qui pour empêcher la réalisation d’un axe aux caractéristiques autoroutières ici. Encore faut-il constater que, pratiquement toujours, l’attitude était défensive au sens où les espoirs mis dans la lutte contre l’administration – « qui fera toujours ce qu’elle veut de toute façon »20...– étaient somme toute limités. Le cas de l’ADRANS, (Association de défense des riverains de l’axe Nord-Sud dont la déclaration à la préfecture de Police était intervenue le 6 mai 1966) est à cette enseigne exemplaire. Son but, mis en avant dans les statuts, était :

« d’étudier les problèmes posés par l’aménagement de l’autoroute dite “axe Nord-Sud” et d’assurer la défense des intérêts des riverains ».

13Le fait, soit la construction de l’axe, sans être encore accompli, était en tout cas admis comme très probable et le nom de l’association prenait en compte son existence. L’axe Nord-Sud existerait un jour... il convenait donc aux yeux des militants de s’en accommoder le moins mal possible.

14De timides signes d’un changement d’état d’esprit, de reconnaissance et de prise en compte indiscutable de l’existence des citadins apparurent toutefois au cours de cette période. S’il était admis que « le public est un grand “enfant” », des procédures de consultation furent toutefois engagées sous forme de sondages d’opinion. À une enquête de 1956, « Sur les transports et la circulation », première du genre, succéda, début 1958, une enquête sur les Halles centrales puis en 1963, à la demande du District, une autre consacrée à « La région de Paris. Perspectives de développement et d’aménagement ». Un pas essentiel avait été franchi, celui de la

« reconnaissance du fait que les craintes pouvaient être en un sens légitimes. (...) Ne peut-on y voir enfin l’indice que les responsables ont renoncé à s’enfermer dans la tour d’ivoire de la “technicité”, et qu’ils reconnaissent désormais l’importance de ce que pensent et sentent les hommes pour lesquels ils travaillent ? »21

15Ainsi le temps de l’ignorance des citadins était-il révolu. Celui de l’affrontement devait bientôt – dans la lignée des mouvements de 68 – céder le pas à celui de la consultation puis à celui de la concertation.

Un combat exemplaire et fondateur : le tronçon central de la voie express rive gauche

16Sans doute aucun autre combat n’a-t-il provoqué un tel investissement émotionnel22 et suscité un aussi grand retentissement, comme l’indiquent les origines diverses et internationales des signataires des nombreuses pétitions qui rythmèrent le temps de l’action. Le suivi, presque au jour le jour et au plus près de cette lutte, est possible grâce aux archives. Il permet de mettre en valeur des logiques diverses, parfois concordantes – mais pas nécessairement –, entre les diverses associations de défense. La force emblématique du site dota le combat d’une portée symbolique exceptionnelle, ce que les plus hauts responsables politiques perçurent clairement puisque, à tour de rôle, trois présidents de la République – dont deux en puissance pendant la campagne électorale de 1974 – prirent position sur le dossier23. Pour les deux qui se sont opposés à la réalisation de la section comprise entre le pont Sully et le pont Saint-Michel de la voie express24, soit Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, on peut affirmer qu’ils étaient bien conscients que, par-delà ce tronçon d’autoroute urbaine, se profilait l’enjeu nouveau, plus large et universel, de la protection de l’environnement25. Georges Pompidou, pour sa part, eut en la circonstance un rôle-moteur dans ce projet qui, à tout instant, porta la marque de l’Élysée tant qu’il en fut le résident. À l’origine se trouvait la parole présidentielle qui, le 22 décembre 1967, dans un discours solennel, avait appelé à la réalisation sur la rive opposée du « complément naturel » de l’ouvrage inauguré sur la rive droite. Le Monde n’avait pas manqué de relever cette pierre d’attente ni d’enfoncer le coin de la critique dans le flanc d’un Georges Pompidou pourtant moins caricatural que certains le prétendirent alors26.

17La valeur du site menacé, central et représentatif du cœur de la ville et de l’âme de la cité, permit la convergence des oppositions. La mobilisation du réseau associatif qui se fit autour de ce point d’ignition usa successivement de tous les ressorts du combat militant. En effet, toute la palette de la protestation publique fut employée : tracts, brochures, audiences publiques, contre-projet, contre-exposition, occupation du terrain solide et... liquide par le biais de sit in et de manifestations sur la voie publique et de défilé en bateaux-mouches, jets d’œufs pourris sur les maquettes officielles, etc. La contestation prit parfois aussi des aspects plus officiels lorsque le responsable de « l’Association pour la défense et l’embellissement du site de Notre-Dame » fondée en 1970 utilisa l’entregent que sa position au Conseil d’État lui procurait pour démontrer la respectabilité et la surface sociale des contradicteurs du projet présidentiel. La mobilisation des élus, eux aussi en panne d’information, donna un grand retentissement et une légitimité certaine aux combats de simples citoyens. Au demeurant, c’est grâce à l’extension progressive du domaine de la lutte que le combat de voisinage27 se transforma en combat de société, sans que pour autant le rôle de l’automobile en ville ne fût jamais radicalement et sérieusement remis en cause y compris d’ailleurs par l’association « Les Droits du piéton pour une Cité humaine »28. Jusqu’à la fin d’ailleurs, plutôt qu’un abandon pur et simple du projet, étaient plutôt exigés ici ou là des aménagements, des amendements au projet. Cette histoire écrite à chaud par des acteurs29 et pensée avec méthode par des scientifiques30 n’est pas aussi manichéenne que l’on pourrait le croire et l’ajustement des revendications répondait à l’ajustement des projets de l’Administration qui en quelque sorte conservait toujours la main.

18Jusqu’à un certain point seulement, puisque ce qui ressort avec certitude, c’est que le front désuni des pouvoirs publics – de l’Administration au niveau politique, c’est-à-dire d’un côté de l’État, et, de l’autre, des élus, et plus encore de l’Administration en son sein même – a laissé ouvert par endroit, à partir de 197131, des brèches dans lesquelles se sont engouffrées les associations – une soixantaine en tout, réunies dans la Plateforme parisienne des associations. Sur cette dernière désunion32, paradoxalement surprenante, le rôle joué par l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) (association loi de 1901 fondée en 1967) contre les services préfectoraux et plus particulièrement contre la Direction générale de l’aménagement urbain mériterait d’amples commentaires33. L’absence d’univocité et de monolithisme de la part des fonctionnaires en charge du dossier handicapa la ligne politique de la préfecture et le projet ne survécut pas à la disparition de son premier défenseur. Georges Pompidou décédé, son successeur s’empressa de suspendre la participation financière de l’État au dossier et finalement d’enterrer l’affaire, alors même que certains travaux avaient commencé34. Certes, la victoire des associations était-elle indiscutable et leur démonstration de force spectaculaire ; une lecture distanciée du résultat identifie cependant un schéma décisionnel connu qui reproduisait une trame hiérarchique classique : l’État avait changé d’avis, la municipalité devait s’y plier. Ceci explique le dépit exprimé par quelques élus, à nouveau court-circuités dans leur décision, démentis et pris entre deux feux. Même si, pour cette fois, l’impulsion était venue de la « base », donnant l’illusion d’une démocratie relativement directe35 et d’un pouvoir de la rue, la validation ultime et décisive était bien, à nouveau, venue de tout en haut.

Conclusions parisiennes sur la nouvelle donne entre « administration » et administrés

19L’affaire de la voie express rive gauche et son dénouement marquèrent le début officiel d’un nouvel urbanisme à Paris et surtout un changement dans la manière de présenter et de conduire les dossiers. L’obscurité, le secret, voire la clandestinité36 qui entouraient le travail des services administratifs et techniques avaient fait l’objet de reproches unanimes37 et cette affaire, telle une goutte d’eau, fit déborder un vase déjà bien plein. Les velléités affichées par les pouvoirs publics en matière de communication eurent à se concrétiser et à dépasser le stade incantatoire : la volonté de communiquer affichée devait déboucher sur une forme de participation à l’aménagement urbain sous peine de mobilisation sociale d’un autre genre.

20Aussi, les efforts d’information du public et des élus consentis à Paris par l’ouverture au public du salon d’accueil et d’exposition de l’Hôtel de Ville, par la publication d’un état détaillé des travaux à exécuter sur la voie publique par la Direction générale de l’aménagement urbain ou encore, par l’implantation sur les chantiers de panneaux explicatifs38, constituaient-ils les prémisses d’un processus de reconnaissance des citadins-citoyens. Le 16 janvier 1975, la création de la Commission mixte État-Ville « L’automobile et la Cité » fut enfin une étape importante dans la reconnaissance de la représentativité des associations, permettant l’audition de certaines d’entre elles39. Cette importance, encore relative mais inouïe, accordée à un « pouvoir périphérique », pour reprendre l’expression de Pierre Grémion40, ne clôturait évidemment pas la lutte pour la reconnaissance des intérêts associatifs sans doute illégitimement ignorés jusqu’alors. On ne peut cependant pas nier le fait qu’en la matière, les rapports de force ont été depuis profondément transformés, voire inversés, pas nécessairement pour le meilleur d’ailleurs, quand on observe l’immobilisme dans lequel se trouve désormais parfois l’État.