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Des communistes en France

 | 
Jacques Girault

La région parisienne, un enjeu politique ?

La région parisienne dans les débats de la direction du Parti communiste français de 1944 à 1947

Jean-Paul Scot

Texte intégral

  • 1 BP, 7 septembre 1944.
  • 2 BP, 14 septembre 1944.

1En croisant les informations fournies par les interventions au Comité central (CC) et les décisions du Bureau politique (BP) et du Secrétariat du PCF, il est possible de comprendre l’importance de la région parisienne dans les débats de la direction du Parti entre septembre 1944 et décembre 1947. Dès le BP du 7 septembre 1944, la situation dans les six régions parisiennes est examinée en présence de leurs responsables provisoires. Dès la Libération, la direction du PCF leur fixe en effet trois objectifs explicites : 1°) « la réorganisation en régions, sections et cellules de la région parisienne doit être intensifiée au maximum »1 ; 2°) le lancement en Région parisienne d’une grande « campagne pour la mise au travail de tous les ouvriers » ; et 3°) l’« institution de comités mixtes de production dans toutes les usines »2. La région parisienne où sont concentrés les militants les plus aguerris doit redevenir l’avant-garde du Parti comme elle le fut en 1936. L’organisation est présentée comme le moyen décisif de la réussite du projet stratégique du parti.

  • 3 André Marty suivra Paris-Ville, Étienne Fajon Paris-Ouest, Georges Marrane en attendant le retour d (...)

2Mais bien vite, dans le contexte d’affrontements entre le PCF et le général de Gaulle, apparaissent des difficultés d’organisation. Aussi, le BP du 23 octobre 1944 décide-t-il, pour « stimuler le travail dans la région parisienne », de faire parrainer les six régions par des membres du CC, ceux-ci ne devant pas se substituer aux directions régionales mais les aider à se développer3. Une telle impulsion peut-elle apporter une réponse politique aux problèmes de la réorganisation du PCF ? La région parisienne peut-elle vraiment jouer son rôle d’avant-garde ? Elle est bien au cœur d’un triple enjeu : un enjeu extérieur dans le rapport des forces avec les nouvelles autorités de l’État, un enjeu interne au sein de la direction du PCF et aussi un enjeu social dans les relations entre le parti et les « masses populaires ».

3Cette étude est centrée sur trois problèmes capitaux qui se posent en même temps mais qui sont traités successivement par la direction du PCF, celui de la réorganisation du parti, celui de la mobilisation des militants sur les nouveaux objectifs stratégiques de la bataille de la production et de la démocratie nouvelle et enfin celui des rapports entre Parti communiste et classe ouvrière dans les mouvements revendicatifs.

Les difficultés de réorganisation du PCF en région parisienne

  • 4 BP, 6 décembre 1944.

4Dès la Libération, presque toutes les réunions du Secrétariat et du Bureau politique évoquent les difficultés d’organisation et même de recrutement à Paris, au point que le BP du 6 décembre 1944 décide que, tous les vendredis, la direction centrale d’organisation, sous la direction de Léon Mauvais, examinera la vie des régions parisiennes et de quelques-unes de leurs sections les plus importantes. Après l’afflux d’adhésions spontanées au lendemain de la Libération, « certaines sections progressent, d’autres restent stagnantes »4.

« Une progression qui n’est pas ce que nous voudrions » (Paul Esnault, CC d’Ivry, 22 janvier 1945)

  • 5 Le « Grand Paris » regroupe les anciennes régions parisiennes de Paris-Ville, Paris-Nord, Paris-Est (...)
  • 6 CC, 18 mai 1945.

5Au 31 décembre 1944, le Grand Paris5 ne compte que 78 684 communistes, soit 31,8 % de moins qu’au 30 septembre 1937. Paris-Ville annonce 27 048 adhérents contre 34 530 en 1937, soit 21,7 % de moins ; les cinq autres régions de la banlieue enregistrent seulement 51 636 adhérents, soit 36 % de moins (cf. tableau). Les campagnes de reprises des cartes de la promotion Thorez portent partiellement leurs fruits. Au 31 mars 1945, le Grand Paris peut afficher 92 538 adhérents, mais les effectifs de 1937 ne sont pas atteints ni à Paris, ni en banlieue. La progression des adhésions est certes constante mais elle ralentit au lendemain de la victoire. « Nous n’avons pas encore rattrapé tout ce que nous avions avant guerre » constate Raymond Bossus (Paris-Ville)6.

  • 7 CC, 21-23 janvier 1945, intervention n° 5.
  • 8 Ibid., intervention n° 6.
  • 9 Ibid., intervention n° 17.

6La première analyse publique de cette progression inférieure aux espérances exprimées par les objectifs fixés et les commandes de cartes est faite par Paul Esnault (Paris-Sud) au CC d’Ivry le 22 janvier 1945. Les progrès sont plus nets dans les communes rurales et peu ouvrières. « Maintenant, nous sommes en retard, avant tout en retard dans les entreprises »7. L’ancien dirigeant de la grève de 1936 chez Renault constate que moins d’un ouvrier sur dix y a sa carte du Parti contre un sur quatre en 1936 ; il est vrai que les adhésions au PCF et à la CGT s’étaient alors déroulées dans la liesse de l’occupation de l’usine et... dans le local du comité de grève ! Bossus (Paris-Ville) invoque d’autres raisons : peu d’adhérents nouveaux, une absence de cadres compétents, beaucoup d’adhérents de cellules locales venus d’entreprises parce que les cellules d’usines n’ont pas d’activité politique, une « situation dramatique chez nos jeunesses (à peine 2 700 adhérents à Paris) »8. Escande (Paris-Nord) précise qu’il n’y avait que 550 communistes organisés dans sa région à la fin de la clandestinité et souligne le manque de cadres. Remarquons cependant que les 8 412 adhérents de la fin 1944 sont presque aussi nombreux que les 10 095 communistes restés fidèles au parti au 1er septembre 19399. 1936 n’est peut-être pas une référence bien choisie pour juger des adhésions de 1945 tant les situations sont différentes, mais le PCF espère recruter plus après la Libération qu’au temps du Front populaire, en région parisienne comme dans le reste de la France.

  • 10 CC, 18 mai 1945, intervention n° 2.
  • 11 Ibid., intervention d’André Marty.

7La faiblesse organisationnelle principale réside dans les cellules d’entreprises en dépit des efforts faits pour rattraper le « retard ». Certes, elles sont multipliées sur le papier : 380 à Paris au 31 janvier, 679 au 15 mai 194510 ; mais leurs effectifs restent faibles : 700 adhérents pour une cinquantaine de cellules parmi les 4 000 ouvriers de Gnôme-et-Rhône ; grosses difficultés chez Citroën quai de Javel, 140 adhérents pour dix cellules ; 846 communistes dans le métro pour 37 000 employés ; une seule cellule au Bazar de l’Hôtel de Ville et à la Samaritaine. Esnault y voit une conséquence de la mobilisation des cadres du Parti dans les comités, puis dans la campagne pour les élections municipales. André Marty fulmine : « Je connais des entreprises où il y a 1 500 ouvriers et 5 communistes » alors qu’inversement il y a beaucoup trop d’ouvriers dans les cellules locales11.

  • 12 CC, 21-23 janvier 1945, intervention n° 6.

8Pour apprécier les difficultés relatives de recrutement du PCF après la libération de Paris, il faut comprendre que 1944 n’a pas été la répétition de 1936. Les dirigeants communistes sont déçus car ils espéraient un raz de marée d’adhésions plus fort encore qu’en 1936. Ils n’ont pas compris qu’en dépit de l’appel de la CGT à la grève générale insurrectionnelle et de leur appel à l’action armée, l’insurrection nationale n’a pas été menée à partir des usines, mais à partir des localités sous la direction des Comités de libération et des section Francs Tireurs Partisans-Forces Françaises de l’Intérieur (FTP-FFI). De plus, ils analysent rarement, et mal, les facteurs objectifs qui peuvent expliquer ce manque à gagner. La classe ouvrière parisienne, déjà fortement réduite par la guerre et la récession de 1944 (21 % de la production industrielle de 1938 à l’automne 1944), traverse une crise exceptionnelle de chômage entre l’été 1944 et le printemps 1945 (300 000 chômeurs selon une estimation du BP du 23 novembre 1945). Citons quelques exemples exposés au CC d’Ivry en janvier 1945 : les 450 machines-outils des usines Voisin sont inactives ; Gnôme-et-Rhône, qui employait 9 000 ouvriers sous l’Occupation, n’en occupe plus que 4 000 à réparer des avions américains ; Caudron et Rateau ne participent pas à l’effort de guerre en dépit des demandes des ouvriers. La population parisienne souffre également d’une crise très sévère et durable du ravitaillement et de chauffage (250 g de pain par jour encore au printemps 1945). Des trains de charbon sont pillés comme à Aulnay et Stains en janvier 1945. « Les gens ont faim, ils ont froid. Les gosses meurent de froid » (R. Bossus)12.

  • 13 Ibid., intervention n° 17.
  • 14 CC, 18 mai 1945. intervention n° 2.
  • 15 CC, 18 mai 1945, Paul Esnault, intervention n° 12.

9Aucune analyse des mutations de la classe ouvrière pendant l’Occupation n’est faite sinon en termes moraux. Escande évoque en janvier 1945 le poids de cinq ans de guerre et l’influence dissolvante de Laval et Doriot sur la région Paris-Nord, mais passe sous silence la défection de maires communistes en 193913. Bossus souligne la démoralisation de la classe ouvrière, la « corruption extrêmement développée », le marché noir, la « perruque », le système D, y compris la « corruption dans le parti ». « Dans le domaine de la corruption, je crois que l’on peut dire que le chômage joue un grand rôle […] Depuis longtemps, nous restons muets sur la question du chômage »14. Esnault fait au CC du 18 mai un constat plus autocritique : « Nous avons délaissé pas mal de questions, les questions revendicatives par exemple. […] Nous avons fait peu de travail dans les entreprises »15.

10Mais ce sont bien des raisons politiques qui expliquent pour l’essentiel les difficultés du PCF dans la région parisienne comme le constate Maurice Thorez dès son retour en France, le 27 novembre 1944.

« Naturellement s’est développé cet esprit de suffisance, cet esprit de prise immédiate du pouvoir » (Raymond Bossus, CC, 18 mai 1945).

11Des illusions révolutionnaires s’étaient spontanément développées dans le Parti favorisées par la levée des FTP-FFI, l’activité des milices patriotiques, la réoccupation des mairies et l’impulsion des États généraux de la Renaissance française réunis en région parisienne et dans quarante départements du Sud et tenus à Paris du 15 au 17 décembre 1944. Aussi, le BP du 6 décembre 1944 entend-il :

« éclairer les problèmes posés devant le parti présentement : GAGNER LA GUERRE, ÉCRASER LE FASCISME, ÉLIMINER LA RÉACTION SOUS TOUTES SES FORMES [en capitales dans le texte original], et non réaliser la révolution prolétarienne. Pour cela, rassembler et organiser les masses ».

  • 16 BP, 6 décembre 1944.
  • 17 CC, 18 mai 1945, intervention n° 2.

12Mais lors du premier grand meeting organisé au Vel’d’Hiv pour saluer le retour en France du secrétaire général du Parti, de nombreux cris « Thorez au pouvoir » se sont fait entendre ; le secrétaire général du parti ne les apprécie pas : « les problèmes qui sont clairs pour les vieux membres du parti ne le sont pas toujours pour les nouveaux adhérents »16. L’incompréhension persiste et Bossus reconnaît que les mots d’ordre « Maurice au pouvoir » ont pu être lancés par des « provocateurs » mais atteste surtout que les cellules n’ont pas « reçu les informations suffisantes […] Cela prouve que certains camarades du parti croient que c’est arrivé »17.

  • 18 BP, 11 janvier 1945.
  • 19 CC, 18 mai 1945, intervention n° 2.

13Premier problème à régler : « éviter les dualités de pouvoir entre l’appareil d’État administratif et les organisations de Résistance (CNR, CDL, CLL) en leur faisant jouer leur rôle d’organisation et de rassemblement des masses, […] mettre tout en œuvre pour l’application du programme du CNR »18. Alors que le BP entendait encore le 23 novembre « élargir les CDL en y incorporant les élus restés honnêtes […] pour maintenir la légalité nouvelle et s’opposer aux tendances vers un gouvernement personnel », dès le secrétariat du 4 décembre, Maurice Thorez fait clarifier les rapports entre Comités de libération et futurs conseils municipaux et généraux. « Les comités de libération doivent uniquement être des organes politiques de mobilisation des masses et non des organes administratifs ». Le 18 décembre, après la tenue des assemblées des CDL, le secrétariat du PCF fait le constat de l’impasse de la voie des comités : « ne pas surestimer notre influence en tablant seulement sur les CDL et CLL qui sont des organisations de sommet ». Au CC de janvier 1945, Escande (Paris-Nord) signale des conflits ayant opposé le préfet de Seine-et-Oise et divers CLL. Bossus (Paris-Ville) reconnaît que les populations adressent leurs revendications à ces comités sans pouvoirs réels et incapables de les satisfaire au lieu de mettre en cause les administrations préfectorales et conclut : « Tout ne va pas pour le mieux. [Il faut] en finir avec cette dualité de pouvoir »19.

  • 20 CC, 21 -23 janvier 1945, intervention n° 4.
  • 21 Ibid., intervention n° 5.
  • 22 Ibid., intervention n° 6.

14En finir aussi avec les anciennes milices patriotiques rebaptisées Gardes Civiques et Républicaines (GCR). Maurice Thorez interpelle sur ce point les responsables des régions parisiennes au CC d’Ivry en janvier 1945. Breut (Paris-Ouest) répond qu’elles ont « accompli un travail considérable en leur temps ; aujourd’hui, […] toutes les armes doivent aller au front »20. Esnault (Paris-Sud) les condamne sans appel et avoue qu’il a ressenti un « véritable soulagement » à l’annonce de leur dissolution : « Nous éprouvions des difficultés dans les régions. Nous sentions s’affirmer par le truchement des GCR la dualité des pouvoirs ». Il fait allusion à de nombreux accrochages avec les commissaires de police. « Si nous les gardons, elles seront vite un nid de provocateurs »21. Bossus (Paris-Ville), après avoir salué leur « rôle glorieux », les charge : « depuis pas mal de temps, nous avons assisté dans la région parisienne à une maladie, à une gangrène s’emparant des Milices patriotiques. Des gangsters s’infiltraient dans les rangs des MP, se servaient du prétexte de la lutte contre le marché noir pour organiser quelques opérations au profit des miliciens eux-mêmes ». Il accuse même les trotskistes d’avoir tenté de les pénétrer22.

  • 23 Le secrétariat du 4 décembre 1944 lance une « grande campagne politique contre les projets gouverne (...)

15II faut aussi passer de la logique des États Généraux de la Résistance française à la préparation politique des élections municipales et législatives23. Alors que le BP du 23 novembre avait conçu le projet de faire rédiger des cahiers de doléances par toutes les catégories de la population laborieuse pour mettre au point des « propositions à inclure dans le programme du CNR », Maurice Thorez, dès le secrétariat du 4 décembre, impose que l’on s’en tienne au texte du CNR et que l’on consolide d’abord les positions de la classe ouvrière, les rapports parti/syndicats, que l’on rassemble les femmes et les jeunes, les classes moyennes, et que politiquement les communistes travaillent avec ceux qui sont les plus proches d’eux, les socialistes, les radicaux, et plus que jamais les catholiques, en poussant à fond pour l’unité de la Résistance. La formation d’un Comité d’Entente avec le Parti socialiste est ainsi adoptée dès le 4 décembre 1944.

  • 24 Scot (J-P), « Stratégie et pratiques du PCF 1944-1947 », in Le PCF, étapes et problèmes 1920-1972, (...)
  • 25 CC, 21-23 janvier 1945, interventions n° 5, 6 et 17.

16Si le PCF procède, au CC d’Ivry en janvier 1945, à ce que j’ai appelé une « rectification stratégique », et non à un « tournant stratégique »24, c’est que la voie de la « démocratie agissante » dont la légitimité devait être fondée sur les organes nés de la Résistance rencontre très vite des difficultés, en particulier en région parisienne, en dépit de la concentration des cadres communistes responsables, car les organisations de la Résistance ne deviennent pas des organisations de masse. Esnault avoue que le Front national est faible dans sa région et ne groupe que très peu de non-communistes. Bossus reconnaît que la ligne des États généraux était mal comprise : « il a fallu beaucoup discuter […] sur l’orientation à donner […] pour obtenir dans le parti de Paris-Ville […] un démarrage réel. » Escande (Paris-Nord) qualifie d’« anomalie sérieuse » le faible nombre d’adhérents du Front national, à peine 5 500 dans sa région, bien moins que le parti25.

« Produire d’abord, revendiquer ensuite » (Bureau politique, 6 décembre 1944).

  • 26 BP, 6 décembre 1944. En capitales dans le texte.
  • 27 Ibid.
  • 28 CC, 21-23 janvier 1945, intervention n° 4.

17Autre difficulté qui vient se surajouter, l’attitude du PCF face aux revendications : « Pas de revendications sans reprise économique » proclamait le BP du 30 novembre 1944. Avant même le CC d’Ivry, Maurice Thorez met au centre de la « politique constructive » du parti les problèmes de l’effort de guerre « en ne posant les revendications que comme des conséquences : PRODUIRE D’ABORD, REVENDIQUER ENSUITE »26. Même si une brochure du syndicat CGT des Métaux est mise au pilon pour avoir repris en titre ce slogan, la direction toute entière du PCF assume cette politique de sacrifices pour l’effort de guerre et la remise en état la plus rapide des moyens de communication et de l’appareil productif. L’objectif est de produire sans attendre la reconstruction : « remettre en route Citroën et Renault et non attendre de construire des industries nouvelles »27. Breut traduit ce mot d’ordre par la formule : « Faire de notre région de Paris-Ouest l’arsenal de la nouvelle armée française »28.

  • 29 Ibid., intervention n° 5.
  • 30 CC. 18 mai 1945.

18Mais les débuts de la bataille de la production furent difficiles même dans les usines travaillant pour la guerre. Esnault présente l’activité du comité mixte de production de Caudron en soulignant ses difficultés : « ce sont les ouvriers qui, multipliant les initiatives, ont trouvé le charbon, l’essence, l’huile »29. Les comités mixtes de production marchent mal. André Marty en conclut : « dans les grandes entreprises de la région parisienne, cela ne marche pas. Il faut mettre les ouvriers à la direction. Les techniciens sortent des formules mais n’ont pas autant que les ouvriers le sens des réalités immédiates »30. Exemple d’ouvriérisme caractérisé mais aveu d’impuissance ! Le mot d’ordre « Produire » n’a pas été toujours bien compris.

  • 31 CC, 21-23 janvier 1945, intervention n° 6.

19Mais dès le 18 septembre 1944, Jacques Duclos a trouvé un bouc émissaire aux difficultés rencontrées dans les usines. Il s’inquiète de la « présente activité trotskiste » qu’il propose de qualifier d’« hitléro-trotskiste ». Bossus reconnaît que les « trotskistes se glissent toujours dans les coins les plus sensibles où le mécontentement peut exister » et donne des exemples de « sabotage » patronal et de « provocations trotskistes » comme à la Précision Mécanique31. En fait, le « mécontentement est certain dans les usines » reconnaît Latarget (Paris-Nord) en évoquant une grève de quelques heures chez Matra à La Courneuve que l’intervention des communistes « sentant le sabotage » a fait cesser. Ce mécontentement perdure devant les difficultés de ravitaillement, de chauffage et le chômage persistant. Une délégation du XIIIe arrondissement de Paris et de l’usine Panhard fait devant le CC le 4 septembre 1945 un rapport très révélateur du comportement des communistes dans les entreprises :

  • 32 CC, 4 septembre 1945, documents annexes.

« Notre mot d’ordre “Produire” n’a pas toujours été compris, même par les membres du parti, et dans certaines entreprises le mauvais fonctionnement des comités mixtes à la production et l’insuffisance de la lutte pour les revendications immédiates nous ont fait parfois prendre figure de réformistes vis-à-vis de la démagogie hitléro-trotskiste exploitant le mécontentement et l’impatience des ouvriers. Nous avons empêché par la force les trotskistes de tenir deux réunions politiques que nous avons transformé en réunions du parti. Nous avons détruit tout leur matériel à différentes reprises, mais ils influencent un certain nombre d’ouvriers et de petits bourgeois égarés »32.

20D’où le constat unanime des responsables des régions parisiennes au lendemain du 8 mai 1945 bien traduit par Raymond Bossus :

  • 33 CC. 18 mai 1945, intervention n° 2.

« La guerre est finie. Il y a le besoin de revendications très normal, il y a l’esprit de lutte de la classe ouvrière, […] la volonté active des masses d’obtenir leurs revendications et de passer à l’action pour l’application du programme du CNR […] Maintenant les gens sont dégagés de cette nécessité de travailler pour la guerre, […] les patrons, les deux cent familles sont toujours là »33.

21D’où la nécessité de mettre en œuvre au plus vite le programme du CNR et d’y préparer le Parti.

« Réorganiser rapidement la région parisienne » (BP, 8 février 1945)

  • 34 BP, 6 décembre 1944.
  • 35 BP, 11 janvier 1945.

22La direction du PCF explique une partie de ses difficultés par des problèmes d’organisation. Dès la Libération, elle veut promouvoir les cadres qui se sont montrés efficaces pendant la lutte clandestine et écarter ceux qui ne furent pas actifs dans la période illégale. Mais elle doit vite reconnaître que les premiers s’avèrent parfois incapables de s’adapter aux nouvelles conditions de travail dans la légalité et que les autres n’ont pas toujours démérité34. Il est aussi urgent de « revenir à la légalité du parti », c’est-à-dire de rendre une pleine responsabilité aux secrétaires régionaux et de sections, de supprimer les intercadres aux méthodes de commandement héritées de la clandestinité, de réduire la tendance à l’indépendance des responsables aux cadres afin d’éviter un « esprit d’irresponsabilité dangereux ». Il s’agit aussi de réduire le rôle d’André Marty qui supervise de façon autoritaire, par convocations de militants ou par coups de téléphone intempestifs, toute la commission des cadres. Et pas seulement la région Paris-Ville qu’il a en parrainage35.

Une première réorganisation limitée en 1945

23Les conférences régionales précédant le Xe Congrès de juin 1945 doivent servir de test pour « lutter sur les deux fronts, contre le sectarisme et contre les tendances opportunistes » avec le retour progressif à la lutte politique démocratique.

  • 36 CC, 18 mai 1945, intervention n° 2.
  • 37 Ibid., interventions n° 8, 12 et 14.

24Cela est d’autant plus urgent que le PCF a enregistré, lors des élections municipales, les premiers signes publics de difficultés dans les milieux populaires. Le PCF est certes le premier parti à Paris avec 34,4 % des voix et vingt-sept conseillers municipaux au lieu de huit. Mais Bossus recommande de « ne pas être ébloui » par ce succès. Si le Parti progresse spectaculairement dans nombre d’arrondissements, il recule sensiblement dans trois arrondissements populaires, les XIe, XIIIe et XIXe, « là où nous avions des mairies [... J Nous n’avons pas toujours su faire le travail de défense populaire des revendications »36. À Paris-Nord, le PCF est majoritaire dans vingt-sept municipalités sur trente-sept, contre dix en 1935, mais Latarget et Thorez y dénoncent le « sectarisme » qui a fait échouer des listes d’union à Asnières et Suresnes alors que l’on enregistre un ralliement de vieux socialistes au PCF à Pantin, à Puteaux, à Clichy. « Beaucoup de camarades pensaient que l’union était une manœuvre » avoue Latarget. Esnault estime qu’en Seine-Sud, vingt-deux sections socialistes sont « avec nous » et dix « contre nous » et conclut qu’« on n’est pas assez offensif dans le travail unitaire », en particulier à Fresnes et Clamart. En Seine-et-Oise, le PCF dirige quatre-vingt-neuf municipalités contre trente en 1935 : « Nous avons gagné presque toutes les localités importantes du département » se flatte Ballanger, mais il se félicite que « les socialistes aient mordu la poussière […] L’unité sera plus facile maintenant qu’ils ont pris un bon coup sur le nez »37. Un exemple de sectarisme en pleine séance du Comité central !

25Maintenant que l’hypothèque des nouveaux pouvoirs et des élections municipales est levée, le PCF peut songer à se réorganiser en région parisienne comme à l’échelle nationale. Pour cela, les six régions sont transformées en cinq fédérations : Seine-et-Oise et Seine-et-Marne, plus les trois fédérations de la Seine, Seine-Saint-Denis, Seine-Sceaux et Paris-Ville. La tendance est à la décentralisation du Parti, surtout en banlieue. Le nombre de sections du Grand Paris est passé de 146 à 199 et le nombre total de cellules de 4 196 à 5 108. Cette progression est faible cependant par rapport au doublement national des sections et cellules.

26Les anciens cadres issus de la Libération sont relevés de leurs fonctions : Breut est muté en Seine-et-Oise, Esnault est renvoyé au travail syndical remplacé par Picard qui aurait fait ses preuves dans la lutte clandestine, Escande a été vite remplacé par Latarget qui a pourtant été critiqué pour opportunisme par Maurice Thorez. Ballanger est nommé secrétaire fédéral de la Seine-et-Oise. Bossus, seul, est maintenu à la direction de Paris-Ville grâce à de meilleurs résultats et à la protection d’André Marty. D’ailleurs, il termine son intervention au Xe Congrès par ces mots : « Avec André Marty comme conseiller politique, la région de Paris conservera la place qu’elle occupe dans le parti, la première ». Ces désignations portent incontestablement la marque de l’ancien dirigeant du Komintern.

27Mais cette réorganisation est vite jugée insuffisante. Après la Libération, l’activité du Parti a pris surtout la forme de meetings, de réunions publiques, de manifestations, de ventes de masse de l’Humanité alors que les cellules ont du mal à s’organiser de façon autonome et que les militants agissent plus qu’ils ne discutent. Les campagnes électorales de 1945 prolongent ce type de mobilisation de masse, d’assemblées de sections, de réunions publiques, sans qu’un véritable travail de réflexion et d’explication se développe dans le Parti. En dépit des assemblées de militants fortement suivies, toutes les ambiguïtés ne sont pas levées dans la compréhension de la politique du Parti. D’où l’idée précoce d’une nouvelle réorganisation de la région parisienne.

« Il serait préférable de constituer une seule fédération dans la Seine » (secrétariat du 5 novembre 1945).

28Au lendemain de son Xe Congrès placé sous le triple mot d’ordre « Au service de la France, Renaissance, Unité, Démocratie », la direction du PCF s’engage dans la bataille de la production avec le discours de Thorez aux mineurs de Waziers (22 juillet), dans la bataille de l’unité avec le projet de Jacques Duclos de création du Parti ouvrier français (POF) par fusion des partis socialiste et communiste, et dans la bataille de la Constituante avec un projet d’assemblée nationale souveraine présenté par André Marty. Mais la création du POF est rejetée par la SFIO et de Gaulle entend limiter les pouvoirs de la future Assemblée constituante. Quasiment seul le PCF s’oppose à ce projet et anime une vive campagne pour le « non » à la deuxième question posée au referendum du 21 octobre 1945. Le « non » obtient 33,5 % des voix. Le même jour, aux élections à la Constituante, le PCF devient le premier parti de France avec 26,2 % des suffrages contre 15,4 % en 1936. A-t-il pour autant comblé ses lacunes en région parisienne ?

  • 38 BP, 22 octobre 1945.
  • 39 CC, 3-4 novembre 1945.

29Le BP du 22 octobre 1945 s’inquiète : avec 815 000 voix, « ce n’est pas le succès attendu par notre parti » avoue Raymond Guyot. Les pourcentages de 1936 ne sont pas atteints partout. La direction cherche à comprendre comment « dans la Seine, une campagne de calomnies peut déplacer quelques dizaines de milliers de voix. Nous n’avons pas répondu assez vite et avec assez de force aux calomnies anticommunistes et antisoviétiques »38. La politique du PCF en 1939-1940, le pacte germano-soviétique, l’attitude de Thorez pendant la guerre ont servi d’arguments politiques à nombre d’hommes de droite, de socialistes et aux trotskistes du PCI. Picard affirme que « les camarades socialistes n’ont pas été les derniers ni les moins actifs dans la campagne anticommuniste »39.

30Le constat est fait également des faiblesses de mobilisation du Parti : retard dans la propagande, campagne pas assez revendicative et trop centrée sur le referendum. Picard souligne deux grosses erreurs, soit de croire que l’« on devrait forcément et tout de suite recommencer juin 1936 », soit de s’en remettre aux députés et ministres communistes :

  • 40 Ibid..

« Je ne pense pas que l’on puisse dire que tous les ouvriers voient le contenu de classe de notre politique quand nous exigeons l’application du programme du CNR […] Attention à ne pas apparaître comme coresponsables de la situation pénible que connaissent les populations »40.

  • 41 BP, 22 octobre 1945.

31Le constat est surtout fait des incompréhensions de certains adhérents face à la bataille de la production. Picard propose de « s’efforcer de mieux connaître les aspirations des ouvriers. Allez aux entreprises ! tel est le mot d’ordre que nous devrions lancer dans la région parisienne ». D’où la nécessité de réexaminer la situation des fédérations parisiennes et de « revenir aux méthodes démocratiques pour liquider les traditions de commandement »41.

  • 42 BP, 10 février 1946.
  • 43 BP, 4 mars 1946.

32Dès le secrétariat du 5 novembre 1945, germe l’idée de créer une seule fédération de la Seine intégrant Paris-Ville, Seine-Saint-Denis et Seine-Sceaux. Le projet en est adopté au BP du 6 décembre 1945 : la fédération unique doit voir le jour le 1er mars 1946. Le BP du 7 janvier 1946 décide de proposer comme premier secrétaire Raymond Guyot, responsable des Jeunesses communistes. La nouvelle fédération créée le 2 mars se fixe les objectifs de 150 000 adhérents et d’un million de suffrages communistes. Au plan organisationnel, il s’agit de « faire monter des jeunes, rééduquer les vieux », de stopper une décentralisation excessive et de réduire le nombre des sections en banlieue « afin de permettre à la direction d’avoir toutes ses sections en mains »42. Enfin, il s’agit de laisser au bureau fédéral toute l’initiative de direction de la fédération : « Éviter les interventions directes et les coups de téléphone du BP »43.

  • 44 Buton (P.), dans Les lendemains qui déchantent, PFNSP, 1993, a publié des extraits d’une longue let (...)

33André Marty se plaindra amèrement de cette mesure qui visait à réduire son influence alors que Paris-Ville, la fédération qu’il supervisait, faisait un travail bien meilleur, à ses yeux, que celles suivies par Jacques Duclos et Maurice Thorez44. Guyot estime que le BP veut faire « un effort maximum dans le département de la Seine » et se félicite dès le CC des 20- 21 avril d’y découvrir « une meilleure mobilisation des membres du parti, davantage d’enthousiasme et d’ardeur ». Grâce aux 6 900 nouvelles adhésions pendant les campagnes électorales de mai et juin 1946, la nouvelle fédération de la Seine dépasse enfin les 100 000 adhérents, le tirage de l’Humanité se stabilise à plus de 450 000 exemplaires au cours des six premiers de 1946.

  • 45 CC, 20-21 avril 1946, intervention n° 27.

34« Notre parti, plus qu’il y a six mois, apparaît comme un parti de gouvernement » en conclut Guyot45. Tel est en effet le nouvel enjeu.

Les batailles d’un parti de gouvernement en région parisienne

  • 46 CC, 3-4 septembre 1945.
  • 47 CC, 20-21 avril 1946, intervention n° 27.

35Bossus avait lancé la bataille de la production à l’automne 1945 en proposant de constituer des « équipes de choc pour faire la démonstration qu’il est possible d’améliorer le travail »46. L’usine Ratier réussit ainsi à dépasser les cadences de production de 1939. Mais cet exemple de volontarisme stakhanoviste reste bien isolé. Aussi Guyot s’empresse-t-il de rectifier l’application du « mot d’ordre de production pas juste dans la Seine », le problème n° 1 étant celui du mauvais approvisionnement en matières premières (charbon, acier, pétrole). Il s’agit de reprendre la lutte contre les « manœuvres de certains patrons de la région parisienne » qui, tel Citroën, refusent d’appliquer les décrets du ministre communiste du Travail, Ambroise Croizat, sur les primes et les heures supplémentaires et qui menacent les ouvriers de licenciement47.

  • 48 Ibid.

36La nouvelle direction fédérale combat deux thèses « absolument fausses » : 1°) la complaisance et l’attentisme à l’égard du gouvernement tripartite formé le 24 janvier 1946 sous prétexte de « ne pas déranger l’œuvre de nos ministres, ne pas déranger le gouvernement dans lequel nous participons », et 2°) « la perméabilité à l’influence des démagogues, […] à la pression de l’ennemi », essentiellement les trotskistes. Elle entend mettre plus l’accent sur les revendications, sur le ravitaillement car « jusqu’à présent, il a été trop peu fait ». Elle entend prendre en compte les difficultés de certaines catégories longtemps méconnues comme les fonctionnaires : « l’état d’esprit des fonctionnaires a radicalement changé depuis trois mois » à cause du projet de statut et des trois semaines de congés payés accordés par Maurice Thorez, ministre d’État à la Fonction publique48.

37Il n’empêche que l’échec du premier projet constitutionnel, le 5 mai 1946, laisse des traces durables. La bataille constitutionnelle est perdue. Aux nouvelles élections du 2 juin 1946, le PCF gagne certes 200 000 voix en France, mais il en perd 15 000 en banlieue (40,23 %) et plus encore dans tous les secteurs de Paris (27,91 %). L’objectif du million de suffrages n’est pas atteint, loin s’en faut.

  • 49 CC, 15-16 juin 1946, intervention n° 29.

38Guyot explique ce recul par l’insuffisante attention apportée aux questions revendicatives, par un désintérêt des communistes pour le travail syndical ainsi que par un comportement bureaucratique des municipalités. « Les décisions prises par la CGT n’ont pas rencontré jusqu’à maintenant dans nos organisations l’écho que nous pouvions attendre »49. Il est vrai que l’adhésion massive (souvent plus de 90 %) des ouvriers à la CGT (mais chez Citroën, elle atteint à peine 50 %), donne l’illusion que la masse des ouvriers fait confiance aux communistes. Mais en fait, l’inflation des prix qui s’accélère au second trimestre 1946 lamine le pouvoir d’achat des travailleurs, en particulier des ouvriers non qualifiés les plus mal payés et les plus mal défendus. Les difficultés des villes de banlieue ont trop fréquemment été imputées aux municipalités communistes :

  • 50 Ibid.

39« Trop souvent nos maires, nos adjoints, se considèrent comme des fonctionnaires de la préfecture et non comme des militants communistes, comme des combattants, qui gèrent les affaires de la commune en s’appuyant sur les populations laborieuses »50.

40Il n’empêche qu’aux élections législatives du 10 novembre 1946, la fédération de la Seine connaît un léger sursaut. Avec 839 000 suffrages, le PCF obtient son meilleur score. Et cela en dépit de « grandes désillusions […] en ce qui concerne le gouvernement dans les masses laborieuses de notre département » (Bossus). La forte baisse du Parti socialiste ne profite pas au Parti communiste. Le PCF, redevenu le premier parti de France, n’a pas fait le plein dans la classe ouvrière et encore moins dans les classes moyennes. L’échec de la candidature de Maurice Thorez à la formation d’un gouvernement d’union démocratique en novembre 1946 ne semble pas avoir laissé beaucoup de regrets aux militants. La formation d’un gouvernement socialiste homogène de transition et la mise à l’écart temporaire des ministres communistes semblent avoir été un soulagement pour les adhérents.

41Fin 1946, le Grand Paris compte 147 000 adhérents (30 000 de plus qu’en 1936), soit 18 % des forces du PCF. Les progrès en banlieue ont enfin compensé la stagnation parisienne. Ce succès est imputé au mérite des ministres communistes Ambroise Croizat, Charles Tillon, Marcel Paul et Maurice Thorez principalement, ainsi qu’aux trente-deux députés communistes de la région (sur 168) et à l’activité des municipalités. Le PCF a reconstitué ses forces en région parisienne en s’appuyant essentiellement sur ses élus et ses dirigeants politiques et syndicaux, et non sur ses cellules locales et d’entreprises. Ce bilan est fragile car le BP constate bien vite une stagnation de la reprise des cartes au début de 1947 en région parisienne, comme dans toute la France d’ailleurs.

Le PCF et les grèves en région parisienne en 1947

42Pourtant, dès janvier 1947, Guyot croit pouvoir affirmer :

  • 51 CC, 18 janvier 1947, intervention n° 16.

« Nous avons encore renforcé, au cours de la dernière période, nos liens avec la population laborieuse […] Nous sommes au début d’un mouvement des masses contre la réaction dirigé par le Parti communiste […]. Nous avons créé les conditions pour déclencher un grand mouvement de masse dans l’ensemble du pays. »51.

  • 52 Sur le mouvement syndical, les problèmes revendicatifs et les grèves de 1947, voir Lacroix-Riz (A.) (...)

43Désormais, la question cruciale est pour les dirigeants parisiens celle des salaires et des prix et donc de la défense des revendications des « masses populaires ». Se multiplient fin 1946-début 1947 les délégations d’usines à l’Assemblée nationale pour exiger le minimum vital, les conventions collectives, la diminution des prix et la formation d’un gouvernement de concentration démocratique. Une nouvelle façon d’articuler lutte sociale et lutte politique se dessine par le jeu des deux points forts du PCF, les syndicats et les députés. Les syndicalistes s’expriment d’ailleurs plus que jamais à la direction du parti. Est-ce que les grèves spectaculaires de 194752 marquent les retrouvailles du PCF et de la classe ouvrière parisienne ? Ou révèlent-elles de nouvelles faiblesses du parti dans ses liens avec les masses ?

La grève Renault ou l’autocritique bienvenue

  • 53 CC, 3 mai 1947, intervention n° 5.

44Le 25 mai 1947, les 6e et 18e départements de Renault – Billancourt se mettent en grève à l’appel de non-communistes et contre la section CGT. Le 29, la CGT reprend en mains la situation en généralisant la grève dans l’usine. Le PCF s’oppose au blocage des salaires exigé par le gouvernement présidé par le socialiste Ramadier qui, le 4 mai, signe les décrets révoquant les ministres communistes. Bossus semble traduire un sentiment très largement partagé en déclarant, devant le CC du 3 mai, que « la résolution [de soutien du PCF aux grévistes] a entraîné une espèce de OUF ! de soulagement dans le Parti et la classe ouvrière […] Le Premier Mai a été la première manifestation de force et d’enthousiasme depuis la Libération dans la région parisienne »53.

45La direction du PCF refuse sur le moment de changer de politique nationale et ne cesse de se présenter comme un parti de gouvernement. Dans les conférences de sections et à la conférence fédérale de la Seine, la discussion a souvent porté sur les questions : « où allons-nous ? où en sommes-nous ? » Le moment serait-il venu de faire passer le Parti dans l’opposition radicale et de déclencher un mouvement de masse dans le pays ? Après trois mois de luttes et d’actions revendicatives, après les grèves des cheminots, des employés de banques, le PCF se livre au CC du 12-13 septembre 1947 à une première analyse critique de ses pratiques syndicales et politiques dans les entreprises. Carn, responsable syndical des Métaux parisiens, analyse ainsi les « erreurs » commises au début de la grève Renault :

  • 54 CC, 12-13 septembre 1947, intervention n° 8.

« Les adversaires avaient senti avec beaucoup d’intelligence l’intensité du mécontentement dans l’usine et avaient su mettre en évidence une revendication susceptible d’entraîner […], et nous restions, nous, sur les anciens rails disant aux travailleurs “Il faut être sages, le moment n’est pas à la grève”. Et dans un tract édité par notre section syndicale, nous en portons la responsabilité, nous posions la question : “la grève est-elle revendicative ?” et nous répondions : “non”. Nous disions : “la grève est politique”. Il est clair qu’un tel langage ne pouvait pas être compris de la masses des travailleurs »54.

46Alfred Costes, secrétaire de la Fédération des Métaux, explique le lancement de la grève par des anarchistes de la Confédération nationale du travail (CNT) et des trotskistes du Parti communiste internationaliste (PCI) qui ont agi « là où nous avions le moins de force du point de vue parti et syndicat », dans des ateliers d’ouvriers spécialisés conduisant des machines poussant la cadence au maximum pour fabriquer et rectifier des engrenages. Ces OS réclamaient trois francs de plus par jour pour ce travail qualifié et un reclassement comme ouvriers professionnels. Revendication soutenue depuis longtemps par la section syndicale mais refusée par la direction craignant la contagion. Costes met en cause la passivité du secrétaire de la section Renault, qui aurait voulu sauver « à tout prix » la Régie nationale, alors que les salaires y étaient inférieurs à ceux des autres entreprises automobiles. Il tente de minimiser les difficultés de la grève, en comparant la faiblesse des manifestations gauchistes, n’ayant pas réussi à entraîner d’autres ateliers et la force du meeting de la CGT (25 000 participants ?), animé par Eugène Hénaff, qui rétablit la situation en expliquant l’origine politique du refus gouvernemental d’augmenter les salaires chez Renault et en y opposant l’attitude positive des ministres communistes. Costes se flatte de la violence physique perpétrée par des militants contre les « hitléro-trotskistes ». Ces deux explications mettent en évidence les deux principales faiblesses qui se manifestent parmi les dirigeants syndicaux communistes : la subordination des revendications à l’effort de production sous prétexte de sauvegarder une entreprise nationalisée et la croyance que le syndicalisme d’action directe peut suppléer à toute action politique.

47C’est à une toute autre autocritique que Benoît Frachon, secrétaire général de la CGT, appelle les dirigeants des Métaux parisiens :

  • 55 Ibid., intervention de Benoît Frachon.

« Pourquoi la manœuvre a réussi chez Renault ? Pas seulement parce qu’il y a eu provocation, [mais] parce que les ouvriers étaient mécontents et qu’il y avait un bouillon de culture favorable […], parce que nous sommes 2 035 (communistes pour 27 000 ouvriers chez Renault alors qu’il y avait près de 7 000 adhérents en 1936) et un parti qui mène une vie végétative. Des camarades qui sont désespérés, qui ne voient pas la possibilité de développer l’organisation du parti »55.

48Autre exemple de faiblesse du Parti dans les entreprises : 235 communistes chez Citroën pour 8 à 10 000 ouvriers. C’est le résultat, dit Frachon, de l’absence de prise en compte des mutations du monde du travail, de l’absence d’analyse de la situation des OS et des OP, mais aussi des mensuels, des employés qui forment jusqu’à 30 % et plus du personnel de certaines entreprises, des cadres pour lesquels on n’organise pas de réunions spéciales. De plus les militants communistes n’ont pas prêté une attention suffisante à l’expression des mécontentements des travailleurs.

  • 56 Ibid.

49Élargissant les leçons de la grève Renault, Frachon ne met pas en cause seulement la suffisance des dirigeants anciens ouvriers professionnels, il critique aussi les pratiques communistes dans l’entreprise. S’il y a des mécontents de l’activité de la section syndicale, c’est qu’on ne leur a pas permis de formuler leur mécontentement. « On ne fait plus d’assemblées syndicales. On ne fait plus de vote pour élire les directions. Nous n’appliquons plus la démocratie. Nous avons des militants. En général, ils ont la confiance des ouvriers et ils croient que çà suffit »56. Le mouvement syndical, en dépit de l’extrême élargissement du recrutement, a conservé les pires méthodes de commandement, de délégation de pouvoir et d’autoritarisme des minorités agissantes anarcho-syndicalistes des années 1920. La démocratie syndicale fonctionne bien mal.

50Et même quand des sections syndicales connaissent une activité publique et des assemblées, les communistes se comportent plus en militants du PCF qu’en syndicalistes attentifs aux revendications. Prenant l’exemple de La Lorraine à La Courneuve, (2 800 ouvriers et 1 800 votants CGT), Frachon s’étonne : « on fait le tour du monde en tournant autour de l’usine ; une fois qu’on a fait le tour du monde on n’a plus le temps de se promener dans l’usine ». Les journaux syndicaux d’entreprise sont de véritables journaux politiques, et les trop rares journaux des cellules communistes n’ont pas la qualité des journaux d’avant-guerre. Force est de constater que le syndicat CGT fait souvent office de cellule communiste d’entreprise. Les raisons à cela ?

  • 57 Ibid.

« Nous n’avons pas assez observé le détachement des ouvriers [communistes] à l’usine. Il y a eu une série d’élections. Il a fallu assurer le travail du parti pour les élections. Peut-être n’aurions-nous rien perdu en assurant le travail dans les entreprises ? […] Notre parti est en train de déserter les usines »57.

51Ainsi, en région parisienne, l’anarcho-syndicalisme latent de nombre de dirigeants syndicaux venus au PCF au cours de la période « classe contre classe » semble s’être combiné avec l’électoralisme spontané de nombre d’adhérents plus jeunes venus à la politique avec le Front populaire sinon après la Libération.

Les grèves de novembre-décembre : « des satisfactions, mais pas une victoire » (Maurice Thorez, CC, 23 décembre 1947).

52Les leçons de cette autocritique ont-elles été mises en œuvre au cours des grèves qui partirent de Marseille le 12 novembre et qui ne cessèrent que le 9 décembre 1947, après avoir mis en action plus de 2,5 millions de travailleurs ? En région parisienne, elles durent trois semaines et touchent 600 000 grévistes environ. Le CC du 22-23 décembre 1947, introduit par un long rapport de Benoît Frachon, permet au PCF de faire le point sur ce grand mouvement gréviste qui semble réconcilier les communistes avec la classe ouvrière et les militants avec eux-mêmes.

  • 58 CC, 22-23 décembre 1947, intervention n° 9.
  • 59 Ibid., intervention n° 11.

53Carn affirme que c’est « avec enthousiasme et célérité » que « l’ensemble des métallurgistes parisiens [200 000 au plus en fait] est entré dès le début dans la lutte »58. Les ouvriers de Renault, Simca, Ford et de l’aéronautique, ont été aux premiers rangs de la lutte, occupant les usines. Mais l’action fut impossible chez Citroën où les ouvriers venaient de mener une grève victorieuse de cinquante-sept jours. Avant le 18 décembre, le Bâtiment entre aussi dans le mouvement. Les gares parisiennes sont bloquées quand la Fédération des cheminots, qui a conduit une dure et longue grève en juin, appelle à l’action l’ensemble de la corporation. La grève n’est que partielle aux PTT, à l’EDF, dans le métro, la chimie. Les fonctionnaires font grève deux jours seulement. Les militants communistes insistent beaucoup sur la sympathie suscitée chez les jeunes, les vieux retraités, les commerçants. Mais les mensuels, les employés, les techniciens et ingénieurs restent à l’écart du mouvement qui n’eut pas l’ampleur, ni l’unité et l’enthousiasme de celui de 1936. Est-ce pour autant qu’il faut conclure avec Croizat que « la classe ouvrière de notre pays vient de reprendre contact avec la lutte des classes » ?59. Quelles en sont les causes pour le PCF ? Frachon analyse :

  • 60 Ibid., rapport introductif.

« la colère accumulée pendant trois ans […] Au lendemain de la Libération, la classe ouvrière espérait des changements profonds dans la vie politique et économique […] Confiante, la classe ouvrière avait entrepris avec ardeur la reconstruction […] à l’appel de la CGT, puis du PCF. […] Son effort de production servit à augmenter les profits capitalistes […] Ainsi, depuis juin 1946, tandis que la production doublait, le salaire réel des ouvriers diminuait de 42 %. […] La politique des gouvernements a été de plus en plus réactionnaire. Des menaces pèsent sur les réformes obtenues depuis la Libération, et notamment sur les assurances sociales et les nationalisations. […] Nous n’avons plus à faire face à un gouvernement indépendant [mais qui se détermine] en raison des directives et des intérêts des impérialistes américains »60.

  • 61 Ibid., intervention n° 16.

54Pas d’allusion directe au Plan Marshall dans l’analyse de Frachon. Mais d’autres ne s’en privent pas, qui voient dans le mouvement une riposte directe au plan, tel Arrachard qui se félicite : « Je crois que la grève a stoppé pour un temps la pénétration de l’impérialisme américain en France. La grève a mangé six mois de crédits du Plan Marshall qui sont ainsi annulés »61.

55Grève donc de mécontentement ou grève politique ? La direction d’un mouvement de cette ampleur fut assurée, non par le bureau confédéral de la CGT, mais par un Comité national de grève présidé par Arrachard, le dirigeant de la fédération du Bâtiment. Cela fait aussitôt qualifier le mouvement de grève communiste, de grève générale politique. Frachon s’en explique :

  • 62 Ibid., rapport introductif.

« La situation intérieure du bureau fédéral ne le permit pas. Sur treize secrétaires, cinq socialistes ou scissionnistes étaient pour la liquidation de la grève […]. Il est apparu plus sage d’assurer la direction du mouvement par un Comité de grève composé des représentants des fédérations intéressées […]. Tel qu’il était constitué, il n’en restait pas moins un organisme régulier dans le cadre des statuts de la CGT »62.

  • 63 Ibid., intervention n° 11.

56Mais ce comité initial formé de dirigeants des Métaux et du Bâtiment a demandé aux autres fédérations de rejoindre le mouvement, développant l’idée d’un appel à la grève générale. « Il aurait fallu le limiter aux Fédérations totalement en grève » concède Frachon. Thorez insiste deux fois : « On a fait un comité de grève avant d’avoir des grévistes ». D’où les difficultés à l’EDF, aux PTT et surtout dans le métro où la grève a été décidée par 3 000 agents sur 37 300, 500 seulement tentant d’occuper les dépôts. Croizat stigmatise « l’erreur que nous avons commise au départ, n’avoir pas eu entre les militants un débat de fond sur les perspectives du mouvement, pour fixer ses buts, son contenu, la tactique d’ensemble »63.

57Aussi le mouvement en région parisienne révèle-t-il vite sa dualité profonde. Croizat résume ses analyses :

« Nous étions amenés à constater qu’il y avait deux courants distincts dans notre mouvement. Certains croyaient que c’était arrivé, que c’était la prise du pouvoir. Et d’autres avaient cette opinion que la grève avait pour objectif la satisfaction des revendications. J’ai l’impression que dans certains milieux on croyait que nous allions vers l’insurrection et la prise du pouvoir ».

58Croizat, Hénaff et d’autres dirigeants ont voulu appeler à la reprise du travail après que satisfaction complète des revendications eut été obtenue dans une quarantaine d’entreprises de la région parisienne pensant favoriser les autres usines en lutte. Ils se heurtent à Costes, Carn et Arrachard partisans de l’épreuve de force avec le gouvernement.

59Carn reconnaît qu’il a eu « tendance à dépasser les objectifs. […] Nous avons trop eu la tentation de faire de nos usines des forteresses. Nous menions la “drôle de guerre” […]. Il y a eu un certain manque de sang froid de notre part au moment de la tentative d’appliquer les “lois scélérates” (le 29 novembre) ». L’Union des Métaux se transforme en bastion retranché, des directions syndicales passent à la clandestinité, des cellules cachent du matériel. Frachon reconnaît : « Nous avons eu une formidable poussée vers la clandestinité ». Arrachard avoue : « des erreurs, il y en eut de caractère gauchiste et je me suis laissé aller personnellement à croire venir facilement à bout du gouvernement ». Pour sa défense, il évoque l’« allure insurrectionnelle » prise par le mouvement dans quelques centres. « Pendant quelques jours, nous nous sommes posé la question de savoir si le mouvement n’allait pas nous déborder ».

60Cet aventurisme syndical critiqué par Frachon n’est pas pour autant condamné par les politiques sinon par Maurice Thorez. Guyot estime que les grèves ont spectaculairement illustré le mot d’ordre « Il faut que çà change ! » lancé par Thorez au grand meeting tenu au Vel’d’Hiv début octobre, et ont radicalisé positivement les masses populaires :

  • 64 Ibid., intervention n° 25.

« Pendant toute cette période, l’idée d’en finir avec ce gouvernement et sa politique et de créer les conditions pour un gouvernement du peuple au service du peuple où la classe ouvrière et son parti joueraient le rôle déterminant, cette idée a incontestablement fait des progrès considérables auprès de milliers d’hommes et de femmes que nous n’avions pas réussi à convaincre par des semaines et des mois de propagande »64.

  • 65 Voir Martelli (R.), « Le PCF et la “guerre froide” 1947-1953 », op. cit.

61Mettant en application strictement les formules du rapport Jdanov et du Kominform65, il pense que le Parti a jusqu’alors sous-estimé ses forces et surestimé celles de l’adversaire. Maurice Thorez appuie et légitime cette analyse. Or, Frachon sous-entend le contraire quand il estime que la première erreur capitale du mouvement gréviste a été de « ne pas apprécier à sa juste valeur la résistance du gouvernement ». La direction du Parti est donc divisée dans l’appréciation du mouvement et cette ambivalence empêche toute véritable critique des erreurs commises.

  • 66 CC, décembre 1947, intervention n° 25.
  • 67 Ibid., intervention n° 16.

62Ainsi Guyot indique que Carn et Costes ont sous-estimé les possibilités de rassembler les masses populaires autour de la classe ouvrière, alors que les Comités de défense de l’aéronautique français et du cinéma français montrent la voie au rassemblement contre l’impérialisme américain. « Nous sommes dans une période d’essor du mouvement et populaire qui se développe sur un fond de lutte acharnée de notre peuple pour la reconquête de l’indépendance nationale »66. Un tel maximalisme politique permet à l’anarcho-syndicalisme de refleurir dans le Parti. Arrachard en est le parfait exemple : « La grève a été un grand succès pour notre parti, […] a aidé à démasquer le caractère mensonger de la “Troisième force”, […] a aggravé la crise du régime capitaliste en France et a permis de constater l’affaiblissement de l’appareil d’État. » Arrachard, loin de faire son autocritique, se félicite d’avoir pleinement mis en application les mots d’ordre du Kominform : « Nous avons aidé puissamment à faire disparaître les notions périmées de droite, centre et gauche, […] à en finir avec cette différenciation entre le syndicaliste et le militant du parti »67. Il se dit prêt à recommencer pour faire mieux.

63Frachon et Thorez, en dépit de leurs divergences, tombent cependant d’accord sur un point capital qui révèle dans toute son ampleur les faiblesses du parti pendant cette période de luttes inédites :

  • 68 Ibid., rapport introductif.

« La direction du parti a-t-elle assuré la direction de la grève ? Assurément non […] Je prends pour moi la principale responsabilité de ce manquement aux principes élémentaires de direction collective du travail au cours d’événements de cette importance. […] Le secrétariat du parti, la direction ne s’est pas réunie »68.

  • 69 BP, 3 décembre 1947.

64Tel est le constat cinglant de Frachon. Thorez était à Moscou quand les grèves se déclenchèrent, il n’est pas rentré d’urgence. Duclos siégeait en permanence à l’Assemblée, Marty est resté silencieux tout en agissant dans l’ombre, Frachon tentait de diriger la grève depuis son bureau. Au plus, des membres du BP ont-ils eu des conversations ou des contacts. La seule réunion du secrétariat du 3 décembre appelle à renforcer le mouvement de grève qui s’étend « particulièrement en province » et à « porter les efforts essentiels sur les secteurs de la région parisienne où une certaine faiblesse est apparue »69. Thorez peut accuser :

  • 70 CC, 22-23 décembre 1947, discours de clôture.

« Il n’y a pas eu de réunions effectives des organismes de direction du parti, […] ils n’ont pas pris de décisions quand il convenait qu’ils en prennent. […] On a laissé les camarades des syndicats se débrouiller tous seuls »70.

65La direction du PCF n’a donc pas assumé son rôle politique dirigeant pendant les grèves de novembre-décembre 1947, pas même en région parisienne. Ce n’est pas la moindre des révélations que l’on découvre à la lecture systématique des archives du PCF.

Conclusion

  • 71 Ibid..

66En décembre 1947, les effectifs communistes de la région parisienne dépassent les 150 750 adhérents. La consolidation y paraît acquise alors que la décrue est amorcée dans le reste de la France. Mais, derrière les problèmes d’organisation en apparence résolus en région parisienne, subsistent de réelles difficultés : insuffisance de l’implantation dans les entreprises, autonomie des pratiques syndicales, bureaucratisme municipal, et surtout incertitudes stratégiques et manque de réelles perspectives politiques. Les jugements portés sur les grèves de novembre-décembre 1947 peuvent permettre de préciser, de façon quasi emblématique, les bilans divergents que portent les dirigeants communistes sur les trois années antérieures. Les militants encore marqués par l’anarcho-syndicalisme estiment que la reprise des luttes sociales est un grand succès pour le PCF sinon pour l’ensemble du mouvement ouvrier. D’autres syndicalistes, plus réalistes et redoutant l’ampleur de la scission de Force ouvrière et des autonomes risquant d’affaiblir la CGT, pensent que furent trop négligées les revendications pour des acquis sociaux alors que les forces de réaction et de l’impérialisme américain étaient sous-estimées. Maurice Thorez, quant à lui, estime que « les ouvriers ont arraché des satisfactions mais n’ont pas obtenu une victoire »71. Rassuré par le rétablissement du Parti, il voit dans les grèves de 1947 « une confirmation brillante des thèses développées dans le rapport du camarade Jdanov », et ne peut s’empêcher d’annoncer une « aggravation de la lutte des classes et des rapports de forces internationaux ». Certes, il fait une autocritique implicite :

  • 72 Ibid..

« Il faut convenir que les objectifs et les perspectives n’ont pas été clairement déterminés, c’est pourquoi les camarades n’ont pas su exactement où ils allaient et que nous avons commis des erreurs »72.

67Mais il s’empresse de substituer à la lutte pour la « démocratie nouvelle » le nouvel objectif de la lutte « pour la paix » et « contre le danger principal […] l’impérialisme américain et ses différents agents ». La région parisienne est prête à jouer son rôle de bastion défensif du PCF alors qu’elle n’a pas pu être son avant-garde entre 1944 et 1947.

  • 73 D’après les documents des Xe et XIe Congrès, corrigés à la lecture des interventions au Comité cent (...)

Évolution des effectifs et de l’organisation du PCF dans la région parisienne de 1937 à 194773

A

B

C

France
Adhérents
Sections cellules locales cel. d’entreprises

338 127
976
8 951
4 041

544 921
2 751
20 660
6 145

819 155
3 472
27 920
8 363

GRAND PARIS
Adhérents
Sections cellules locales cel. d’entreprises

115 367
146
2 390
1 806

92 538
199
3 157
1 951

147 448
241
3 477
2 838

PARIS-VILLE
Adhérents
Sections cellules locales cel. d’entreprises

34 530
20
525
890

29 368
20
811
679

SEINE-ST-DENIS
Adhérents
Sections cellules locales cel. d’entreprises

* 1er sept 1939
10 095
20
224
187

22 604
34
565
601

SEINE-SCEAUX
Adhérents
Sections cellules locales cel. d’entreprises

* 1er sept 1939
11 972

13 290
39
491
199

SEINE
Adhérents
Sections cellules locales cel. d’entreprises

90 000 (?)
71
1 541
1 514

65 262
93
1 867
1 703

108 092
110
1 971
504

SEINE-ET-OISE
Adhérents
Sections cellules locales cel. d’entreprises

25 000 (?)
56
654
167

22 000 (?)
86
1 029
226

31 324
98
1 094
302

SEINE-ET-MARNE
Adhérents
Sections cellules locales cel. d’entreprises

1 250 (?)
19
189
22

5 276
26
270
22

8 032
33
412
32

Notes

1 BP, 7 septembre 1944.

2 BP, 14 septembre 1944.

3 André Marty suivra Paris-Ville, Étienne Fajon Paris-Ouest, Georges Marrane en attendant le retour de Maurice Thorez Paris-Sud, Jacques Duclos Paris-Est, Fernand Grenier Paris-Nord et Marcel Dufriche la Seine-et-Marne.

4 BP, 6 décembre 1944.

5 Le « Grand Paris » regroupe les anciennes régions parisiennes de Paris-Ville, Paris-Nord, Paris-Est, Paris-Ouest, Paris-Sud et Seine-et-Marne. Elles sont réorganisées lors des conférences régionales préparant le Xe Congrès.

6 CC, 18 mai 1945.

7 CC, 21-23 janvier 1945, intervention n° 5.

8 Ibid., intervention n° 6.

9 Ibid., intervention n° 17.

10 CC, 18 mai 1945, intervention n° 2.

11 Ibid., intervention d’André Marty.

12 CC, 21-23 janvier 1945, intervention n° 6.

13 Ibid., intervention n° 17.

14 CC, 18 mai 1945. intervention n° 2.

15 CC, 18 mai 1945, Paul Esnault, intervention n° 12.

16 BP, 6 décembre 1944.

17 CC, 18 mai 1945, intervention n° 2.

18 BP, 11 janvier 1945.

19 CC, 18 mai 1945, intervention n° 2.

20 CC, 21 -23 janvier 1945, intervention n° 4.

21 Ibid., intervention n° 5.

22 Ibid., intervention n° 6.

23 Le secrétariat du 4 décembre 1944 lance une « grande campagne politique contre les projets gouvernementaux tendant à restreindre encore les droits des municipalités ». Dans l’attente des nouvelles élections, il affirme que les conseils municipaux et d’arrondissements « administreront indépendamment des Comités de libération dans les territoires de leur ressort ».

24 Scot (J-P), « Stratégie et pratiques du PCF 1944-1947 », in Le PCF, étapes et problèmes 1920-1972, Paris, Messidor-Éditions sociales, 1981, 644p.

25 CC, 21-23 janvier 1945, interventions n° 5, 6 et 17.

26 BP, 6 décembre 1944. En capitales dans le texte.

27 Ibid.

28 CC, 21-23 janvier 1945, intervention n° 4.

29 Ibid., intervention n° 5.

30 CC. 18 mai 1945.

31 CC, 21-23 janvier 1945, intervention n° 6.

32 CC, 4 septembre 1945, documents annexes.

33 CC. 18 mai 1945, intervention n° 2.

34 BP, 6 décembre 1944.

35 BP, 11 janvier 1945.

36 CC, 18 mai 1945, intervention n° 2.

37 Ibid., interventions n° 8, 12 et 14.

38 BP, 22 octobre 1945.

39 CC, 3-4 novembre 1945.

40 Ibid..

41 BP, 22 octobre 1945.

42 BP, 10 février 1946.

43 BP, 4 mars 1946.

44 Buton (P.), dans Les lendemains qui déchantent, PFNSP, 1993, a publié des extraits d’une longue lettre d’André Marty, écrite et adressée en secret à Stepanov chargé de suivre les questions françaises auprès du PCUS. Cette lettre, comme d’autres, révèle la dépendance de l’ancien kominternien à l’égard des anciennes méthodes de direction de la Troisième Internationale, plus que l’alignement du PCF sur le PCUS.

45 CC, 20-21 avril 1946, intervention n° 27.

46 CC, 3-4 septembre 1945.

47 CC, 20-21 avril 1946, intervention n° 27.

48 Ibid.

49 CC, 15-16 juin 1946, intervention n° 29.

50 Ibid.

51 CC, 18 janvier 1947, intervention n° 16.

52 Sur le mouvement syndical, les problèmes revendicatifs et les grèves de 1947, voir Lacroix-Riz (A.), La CGT de la Libération à la scission de 1944-1947, Paris, Éditions sociales, 1983.

53 CC, 3 mai 1947, intervention n° 5.

54 CC, 12-13 septembre 1947, intervention n° 8.

55 Ibid., intervention de Benoît Frachon.

56 Ibid.

57 Ibid.

58 CC, 22-23 décembre 1947, intervention n° 9.

59 Ibid., intervention n° 11.

60 Ibid., rapport introductif.

61 Ibid., intervention n° 16.

62 Ibid., rapport introductif.

63 Ibid., intervention n° 11.

64 Ibid., intervention n° 25.

65 Voir Martelli (R.), « Le PCF et la “guerre froide” 1947-1953 », op. cit.

66 CC, décembre 1947, intervention n° 25.

67 Ibid., intervention n° 16.

68 Ibid., rapport introductif.

69 BP, 3 décembre 1947.

70 CC, 22-23 décembre 1947, discours de clôture.

71 Ibid..

72 Ibid..

73 D’après les documents des Xe et XIe Congrès, corrigés à la lecture des interventions au Comité central. Ces données corroborent celles fournies par Philippe Buton.
A : IXe Congrès d’Arles, décembre 1937. Situation au 10 septembre 1937
B : Xe Congrès de Paris, juin 1945. Situation au 31 mars 1945
C : XIe Congrès de Strasbourg, juin 1947. Situation au 31 décembre 1946.

Auteur

Professeur

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