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Des communistes en France

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Jacques Girault

Représentation et élaboration de la ligne politique

Voilà les cités laborieuses à la porte du bonheur. Le Parti communiste français et les films municipaux d’octobre 1947

Tangui Perron

Texte intégral

  • 1 Pour une chronologie détaillée et l’analyse de cette période voir le livre de Mencherini (R.), Guer (...)

1Dans l’histoire du PCF, l’automne 1947 apparaît comme une étape à la fois charnière et capitale. Il est maintenant connu que « le parti de Maurice Thorez » opéra lors de cette période un changement stratégique important, alors que durant l’été 1947 il entendait encore rester un « parti de gouvernement », comme l’affirma Thorez lui-même au congrès de Strasbourg après l’éviction des ministres communistes1. Pour un parti faisant enfin – on l’y aida – le « deuil » de sa participation gouvernementale, les élections municipales d’octobre 1947 revêtaient une fonction primordiale, et ce d’autant plus que les municipalités représentaient pour ce parti la base de son « hégémonie » dans la population ouvrière, la preuve de son efficacité, la promesse d’une utopie dont le « communisme municipal » dessinait déjà les contours. Trois films au moins furent réalisés pour la campagne municipale du PCF (À la conquête du bonheur, Voilà Marseille et Vitry, cité laborieuse) et chacun d’entre eux détaille, de manière apologétique, ce communisme des mairies, comme il brosse l’histoire du PCF au regard de ses dernières années.

  • 2 Compiègne, lieu du souvenir (1946) montre ainsi Laurent Casanova présider une manifestation du souv (...)
  • 3 Servir (1946), film consacré à l’UJRF, en est un bel exemple.

2Le nombre, les moyens et la qualité techniques de ces « films municipaux » (et la rapidité avec laquelle ils furent réalisés) indiquent déjà l’enjeu pour le PCF de ce combat électoral, sa capacité d’action et l’intérêt qu’il manifeste pour ce moyen de propagande. Il est vrai que le Parti communiste avait déjà derrière lui une longue liste de films et une certaine tradition de production cinématographique. Après les balbutiements des années 1920 et du début des années 1930 et les créations du Front populaire (relativement importantes à partir du deuxième semestre 1937), le PCF, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, se lança en effet dans une production cinématographique soutenue, tout en souhaitant occuper une place centrale au cœur même du cinéma français. De 1945 à 1947, il produisit ainsi approximativement, une quarantaine de titres. Certains de ces films sont directement liés aux activités du parti (10e et 11e congrès, fêtes et cross de l’Humanité) ou aux activités des organisations de masses que le PCF anime (UFF, ARAC, UJRF). D’autres titres, « historiques » et plus ambitieux, présentent l’histoire de la France ou/et celle du Parti communiste (Nous continuons la France, Les lendemains qui chantent) tandis que plusieurs films s’apparentent aux propagandes municipales ou ministérielles (en tout cas leur production est directement dépendante de ces centres de pouvoirs). Le PCF, par ces œuvres, entend ainsi écrire très tôt son histoire, montrer sa puissance et construire les mémoires et lieux de mémoire2, comme il désire stimuler les énergies pour gagner la bataille de la production3.

  • 4 Cette simple bande, au ton fort proche de celui des actualités filmées, montre la capacité d’une vi (...)
  • 5 « Film réalisé par une équipe de techniciens communistes ».

3Sous tous ces aspects, la banlieue rouge est particulièrement présente, Aubervilliers surtout et Saint-Denis plus encore. Le service cinématographique de l’Air – dont Charles Tillon dirige le ministère jusqu’en novembre 1945 – produit ainsi Les fusillés d’Aubervilliers (Charles Tillon est maire de cette commune), comme il produit Femmes Françaises, court-métrage vantant la mobilisation de la main-d’œuvre féminine dans le cadre des efforts de guerre. Ce service dut soutenir aussi Inauguration de l’Exposition Renaissance Française à Saint-Denis, inauguration également présidée par Tillon, ancien dirigeant des Francs-Tireurs Partisans... « La ville des rois capétiens » est encore à l’honneur en 1946 avec Vivent les rosières de Saint-Denis4 et Saint-Denis honore ses héros et martyrs. Aucun de ces films, toutefois, ne veut être un bilan exhaustif des politiques municipales. Ivry ou 20 ans de gestion municipale communiste (1945), au titre explicite et au générique plus imprécis5, défendit cette ambition, au point d’apparaître comme un modèle pour les films de 1947.

4Ce film de seize minutes, au cadrage et au montage fort efficaces, expose en effet, de manière limpide, les réalisations d’une mairie communiste depuis 1925, et dirigée par un même homme, Georges Marrane. Après un rappel des morts pendant la Seconde Guerre mondiale (plaques commémoratives et carré des fusillés), Ivry ou 20 ans de gestion communiste détaille le bilan de l’action municipale : politique en faveur de l’enfance, de la famille, de l’hygiène, de la santé, du sport, de l’enseignement, du logement social, du transport et de l’aménagement urbain. Une longue séquence présente ainsi différents HBM, « le groupe Marat » en particulier. La seconde partie du film est exclusivement consacrée aux enfants (patronage laïque en forêt de Sénart et surtout la colonie de vacances des Mathes, en Charente-Maritime). Le film se clôt par la fête de cette colonie, le 15 août, en présence du député de la circonscription d’Ivry, Maurice Thorez.

5 Ivry ou 20 ans de gestion municipale communiste, réalisé dans le contexte de la reconstruction et de la bataille de la production, expose ainsi avec fierté un condensé de la culture municipale communiste, présentée comme efficace et rationnelle, solidaire et exemplaire. Si tous les âges, « du berceau à la tombe », sont l’objet de la sollicitude de la municipalité, la jeunesse paraît particulièrement choyée, tout comme la politique du logement est privilégiée dans la France de l’après-guerre et du baby-boom, ces thèmes correspondant aux besoins et aux attentes de la population. Cette construction volontariste d’un « avenir radieux » repose néanmoins sur le rappel des sacrifices de la Seconde Guerre mondiale dont le PCF organise la mémoire. Le « parti de Maurice Thorez » apparaît ainsi comme le « grand organisateur » du temps et de l’espace social de la commune, alors que l’État est rarement mentionné ; la population est montrée comme participant activement à l’entreprise municipale. Le temps et l’espace communiste débordent même des cadres de la commune : les colonies de vacances sont présentées comme le prolongement territoriale de la « banlieue rouge », ancrant ainsi le communisme dans des terres moins labourées par le militantisme, et la fête du 15 août, d’origine religieuse faut-il le rappeler, se mue en fête de la colonie et de la ville, puis, en définitive, du Parti communiste.

  • 6 Les politiques municipales des villes communistes ont cependant été évoquées dans certains films an (...)
  • 7 Perron (T.), « Le cinéma-Potemkine ou les tribulations des films rouges aux pays du capitalisme », (...)
  • 8 Entretien avec Nicolas Peskine, 10 juin 2000.

6Que le premier film du PCF aujourd’hui disponible sur la politique municipale d’une ville ait été réalisé à Ivry-sur-Seine ne paraît pas relever du hasard6. Non seulement la cité d’Ivry se situe dans la circonscription de Maurice Thorez – elle se devait donc d’être une « ville modèle » – mais celle-ci était dirigée par le parangon des élus municipaux communistes, Georges Marrane, qui de surcroît, semble toujours avoir été intéressé par la diffusion et la création de « films ouvriers ». En 1928, parce qu’il est un des dirigeants de la Banque Ouvrière et Paysanne, Georges Marrane participe ainsi à la fondation des Amis de Spartacus, le premier ciné-club « de masse », implanté en banlieue ouvrière et voué à la diffusion des films soviétiques7. En 1937, il confie à Boris Peskine l’argent nécessaire pour la réalisation de Sur les routes d’acier, le film de la fédération CGT des cheminots8.

  • 9 Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, notice biographique rédigée par Nathalie V(...)
  • 10 Archives du PCF, Bureau politique, 19 juin 1947.

7Marrane a longtemps incarné l’élu ouvrier par excellence à la tête d’une « cité communiste idéale ». En 1947, au congrès de Strasbourg, le maire d’Ivry, alors président de l’Union des villes de France et président de la commission centrale de contrôle financier du PCF, présente un rapport sur les questions municipales intitulé « Des réalisateurs au service du peuple »9. Lors de ce même congrès, il fut chargé de proposer l’intitulé des listes pour les élections municipales : « Liste d’Union Républicaine et Résistante de défense des intérêts de... » (le nom de la localité étant à ajouter)10.

8Quand la ville de Vitry – dont Maurice Thorez est également député – voulut présenter un film de propagande municipale pour les élections d’octobre, elle disposait déjà d’un fort modèle. Vitry, cité laborieuse (quatorze minutes) également « réalisé par une équipe de techniciens communistes » – sans doute la même – s’ouvre de manière identique avec le rappel des sacrifices consentis par les Vitriotes et leurs élus durant la guerre, décrit les nombreuses réalisations municipales, suivies de plans d’enfants courant vers la mer. Le film s’achève par un appel à voter pour la municipalité dirigée par Lucien Français : « Tous vous voterez pour la liste d’Union Républicaine et Résistante de défense des intérêts communaux ».

  • 11 La stérilisation et la préparation de biberons permettent ainsi aux femmes, précise le commentaire, (...)

9Tous les films municipaux de 1947 semblent en fait avoir été construits selon le schéma d’Ivry ou 20 ans de gestion municipale communiste. À la veille des élections municipales, de Calais à Marseille et de la Bretagne aux Alpes-Maritimes, des plus petits villages aux grandes villes, À la conquête du bonheur (quarante-trois minutes) s’attache ainsi à montrer – après une évocation de la Seconde Guerre mondiale – l’efficacité des municipalités communistes, collectivités au service de toutes les catégories du peuple français. Les mairies communistes, dans leur ensemble, sont en effet décrites comme prenant à bras-le-corps les problèmes posés par l’après-guerre, à l’instar d’Ivry ou de Vitry : le logement, le transport, le ravitaillement, les loisirs, la formation, l’éducation, la santé, l’hygiène publique. Le volontarisme des « équipes de choc » et le dévouement des militants communistes pallient la pénurie et les blocages de l’État et de certaines administrations. Dispensaires, crèches, colonies de vacances, plages artificielles, patronages laïques, écoles d’apprentissage, stades, foyers pour personnes âgées, cantines, restaurants coopératifs, marché et service des eaux en régie municipale, services de bus et de tramways, abribus, lavoirs, réfection des voiries, assainissement des canaux.... tout cela représente autant de conquêtes à mettre à l’actif des municipalités et des militants communistes. Certes, le monde urbain, et particulièrement la banlieue parisienne, sont favorisés, mais une séquence consacrée à la création d’un réservoir d’eau et une autre à la gestion municipale d’un moulin à olives permettent également de s’adresser au monde rural. Toutes les tranches d’âge sont également l’objet de l’attention des municipalités communistes. Elles sont toutes montrées comme solidaires, mais le commentaire en voix off précise ce que l’image montre : en définitive les jeunes sont le plus favorisés. Le travail, excepté pour les plus jeunes, est à chaque fois exalté, tout comme la collectivité11.

  • 12 Parmi eux, figure le cinéaste Marc Maurette (Témoignage Marc Maurette).

10 À la conquête du bonheur répond ainsi à un pari ambitieux : montrer de manière apologétique « le communisme municipal » tout en présentant un large panel, sur l’ensemble du territoire français, des municipalités dirigées par des maires communistes. Même si plusieurs images d’archives sont présentées, la plupart des plans de Calais, Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône), Gap, Saint-Martin-du-Var, Noisy-le-Sec, Romainville, Villejuif, Oradour, Vénissieux, Bezons, Toulon, Denain et Limoges, sont inédits, ce qui dût nécessiter la mobilisation d’une solide équipe d’opérateurs12. C’est dire déjà les moyens techniques et financiers que le PCF mit au service de ce film, et à fortiori, de la campagne électorale.

  • 13 Réalisation de Georges Baze, scénario de F. Micozzi, partition musicale de E. Amengaud, images de C (...)
  • 14 Une excellente étude de Voilà Marseille a été effectuée par Mencherini (R.), « Une ville, un film, (...)

11Déjà citée en exemple dans À la conquête du bonheur, Marseille eut droit à un traitement particulier et bénéficia d’un film de propagande spécifique au métrage plus long et au générique plus précis que ceux des films de la banlieue sud de Paris13. Voilà Marseille (vingt-sept minutes) présente des éléments, si ce n’est une structure, déjà connus : l’évocation des combats et des sacrifices de la Résistance précède une description détaillée des réalisations municipales, et une large place est accordée à l’enfance au sein de cet épisode14. Mais, en plus, Voilà Marseille s’ouvre par un parcours touristique, économique et historique de la ville, proche de la carte postale. L’évocation de la Résistance est illustrée par des scènes reconstituées, et, surtout, à la classique intervention du maire, s’ajoute la présentation d’une part importante des membres du conseil municipal, montrés en pleine action, sur le terrain. Une large place est également accordée aux équipes de choc participant volontairement et bénévolement à la reconstruction de la ville, alors que sont également employés des prisonniers allemands. Voilà Marseille s’achève d’ailleurs par les vues d’un défilé de ces équipes de choc, pelles ou banderoles sur l’épaule.

12Le soin et l’attention apportés à cette réalisation ne semblent pas relever du hasard. Maintenir la deuxième ville de France sous son influence était certes important pour le PCF, mais les « équipes de choc » étaient également devenues un élément déterminant de la propagande communiste. Le 14 octobre encore, à propos des élections municipales, Georges Cogniot demande ainsi :

  • 15 Archives du PCF, Comité central, 14 octobre 1947.

« signaler l’effort admirable des équipes de choc de Marseille qui sous l’impulsion des communistes ont groupé les éléments les plus divers de la population (socialistes, catholiques, etc.) pour la réalisation de travaux d’utilité publique »15.

  • 16 Charles Nédélec et François Billoux s’implantèrent dans la région marseillaise au début des années  (...)

13 Voilà Marseille n’est d’ailleurs pas le fruit d’une initiative locale. C’est en effet essentiellement une équipe de cinéastes parisiens, de Ciné-France (la maison de production du PCF après-guerre) qui réalisa les plans soignés de la cité phocéenne. Le choix fut ainsi fait de ne pas solliciter Paul Carpita dont le groupe Ciné-Pax, jugé trop amateur, avait pourtant réalisé des films sur les équipes de choc reconstruisant Marseille. Ce choix semble en fait à la fois professionnel et politique, le PCF ne confiant jamais la totalité des affaires politiques marseillaises à des Marseillais16.

  • 17 Voir Mencherini (R.), op. cit., p. 10.

14 Voilà Marseille, Vitry, cité laborieuse et À la conquête du bonheur présentent des thématiques et des buts communs, ainsi qu’une matrice identique. Est-ce à dire que les films de 1947 sont totalement semblables à celui de 1945 ? En fait, la différence ne réside pas uniquement, loin de là, dans une « spécificité marseillaise »– les équipes de choc – mise en avant par la propagande communiste. Si l’ouverture d’Ivry ou 20 ans de gestion municipale communiste est brève et, surtout, si cette évocation de la Seconde Guerre mondiale ne se fait que par des plans de plaques funéraires – certes signées par le PCF – Voilà Marseille, Vitry, cité laborieuse et À la conquête du bonheur écrivent un discours historique insistant sur le rôle primordial du PCF (ou de l’Armée rouge) durant la guerre. Voilà Marseille comme Vitry, cité laborieuse présentent ainsi « l’Appel du 10 juillet » comme l’acte fondateur de la Résistance17 et À la conquête du bonheur s’ouvre par le document soviétique mettant en scène la prise du Reichstag aussitôt orné d’un drapeau rouge. Les rôles de de Gaulle et de l’armée américaine ne sont nulle part mentionnés.

15Ces omissions ne sont guère surprenantes pour des films de propagande produits par le PCF ; ce qui est plus intéressant est la structuration et l’insistance dans les films de 1947 du discours sur la dernière guerre, par rapport au film de 1945. En fait, le PCF avec ses listes « d’Union Républicaine et Résistante », entend incarner tout l’héritage de la Résistance, dans une période de compétition électorale et de conflictualité sociale, alors que le tout récent Rassemblement du Peuple français (RPF) créé par de Gaulle, mène une intense activité politique.

16 Voilà Marseille, Vitry, cité laborieuse et À la conquête du bonheur paraissent ainsi, sous un certain angle, les films d’un entre-deux ; héritiers de 1945, ils prennent en compte, de manière sous-jacente, certains enjeux de 1947. Néanmoins, ce qui frappe surtout est que ces œuvres sont avant tout marquées par la période de la reconstruction et de la bataille de la production. Films-bilans, ils exposent avec fierté de multiples réalisations, laissent de côté la plupart des revendications sociales et politiques, négligent de désigner des « ennemis » clairement perceptibles et montrent les capacités gestionnaires du PCF. Ces films municipaux, certainement réalisés durant l’été et au tout début de l’automne, ne sont déjà plus d’actualité pour les élections du 19 et 20 octobre, même si le PCF semble avoir voulu attendre la fin des élections pour adopter définitivement sa nouvelle ligne politique.

  • 18 Pour comprendre l’évolution des rapports de force entre les différents courants politiques marseill (...)

17En effet le contexte était tout autre. Début septembre, après celle de juin, une nouvelle vague de grèves traverse la France ; fin septembre a lieu la décisive « rencontre de Skarba-Poreba » constituant le Kominform, enfin, en novembre et décembre éclatent les grèves dites « insurrectionnelles ». Les événements sociaux et politiques, la nouvelle donne internationale, les remontrances acerbes du Parti communiste d’Union soviétique au PCF et au Parti communiste italien, ont amené le « parti de Maurice Thorez » à opter pour une stratégie de durcissement, de dénonciation ouverte des socialistes et des intérêts américains. La période du « retroussons nos manches » est belle et bien close et les films municipaux sont caduques. Certes, Vitry, cité laborieuse et Ivry ou 20 ans de gestion municipale communiste, pouvaient encore témoigner, en ses terres d’hégémonie, de l’efficience du Parti communiste, mais le bonheur n’était plus à portée d’élections et de la reconstruction ; Marseille, grâce à l’abstention de la SFIO, avait été perdue au profit du RPF18.

  • 19 Robert Mencherini compare ainsi le destin de Voilà Marseille à celui du Rendez-vous des quais (1953 (...)
  • 20 Cristofol (J.), « Histoire d’un film », Batailles pour Marseille, 1997, p. 331-339. Dans ce livre d (...)

18En fait, ces films, comme tous les films de propagande, ne pouvaient vivre que le temps d’une bataille et ils ne pouvaient survivre à un changement de ligne politique. Voilà, semble-t-il, l’essentiel des faits expliquant la fin rapide de ces œuvres dans les circuits communistes, sans qu’il y ait pour autant besoin, selon nous, d’instituer des parallèles séduisants19 ou de surévaluer et d’impliquer des luttes d’influence par ailleurs bien réelles20.

19Cependant, après ces batailles perdues, l’année cinématographique n’en était pas pour autant finie pour le PCF. Analysant les résultats électoraux des élections municipales, marquées par une forte poussée du RPF et un relatif tassement du PCF, le Bureau politique du Parti communiste décida ainsi de :

  • 21 Archives du PCF, Bureau politique, 22 octobre 1947.

« Rechercher dès maintenant de nouvelles formes d’organisations pour le rassemblement des masses : comités de base, comités multiples groupant les intéressés autour d’idées qui les touchent de près : cinéma, industrie, automobile, aviation, etc. »21.

  • 22 Hubert-lacombe (P.), Le cinéma français dans la Guerre froide, 1946-1956, 1996, 203 p. Voir égaleme (...)
  • 23 Barrot (O.), L’Écran Français, histoire d’un journal et d’une époque, 1943-1945, 1979, 382 p.
  • 24 Archives du PCF, Comité central, 4 novembre 1947. La section cinéma rattachée au CC fut ainsi prése (...)

20Municipalités et ministères n’étaient plus le but suprême d’un PCF préférant désormais d’autres formes de mobilisations sociales et politiques ; et le cinéma, en tant qu’industrie nationale, se trouva au cœur de cette nouvelle bataille idéologique. La lutte pour la révision des accords Blum-Byrnes et la défense du cinéma français – qui permettait de s’en prendre à l’hégémonie américaine – connurent ainsi une nouvelle vigueur22. Le PCF renforça d’ailleurs sa capacité d’action pour ce combat. En novembre, L’Écran Français, le journal de cinéma issu de la Résistance mais entrant dès lors dans une période de « glaciation »23, reçut une forte subvention approuvée par le Comité central. La section cinéma, rattachée au Comité central, se constitua définitivement en tentant de trouver un savant équilibre entre cinéastes, propagandistes, hommes d’appareil (éminents) et syndicalistes24.

21Le PCF n’en abandonna pas pour autant la diffusion de films et spécialement de films soviétiques, ce qui avait été son premier rapport au cinéma. Peu de temps avant les élections municipales, au chapitre du « travail idéologique », Étienne Fajon entendait déjà « profiter du 30e anniversaire de la Révolution russe pour commémorer le travail de formation des adhérents par le moyen des conférences et par le film » et Marcel Laffite souhaitait :

« L’organisation par les municipalités de séances cinématographiques gratuites pour les enfants des écoles et des patronages, par exemple avec la projection du film soviétique Enfance héroïque ».

22Le dirigeant communiste entendait également « utiliser au maximum les films soviétiques disponibles à l’occasion de réunions privées ».

23En fait, durant la Guerre froide, le PCF allait renouer avec la pratique des projections et des tournages semi-clandestins. Certes, lors de cette période, il semble avoir produit moins de films que durant les années 1945-1947 (il lui manquait, entre autres, l’aide des ministères), mais la « production de guerre froide » paraît presque un « genre » en soi, à l’instar des « films municipaux ». Le ton lyrique, euphorique, des films de la bataille de la production fut en effet remplacé par un ton catastrophiste et tragique ; l’apologie du travail, par l’exaltation de la grève. Des films de luttes, sombres, se substituèrent ainsi aux films de lumière, promesses d’un avenir à portée de mains.

  • 25 Décret de décembre 1948 signé par sept ministres : Coste-Floret, Y. Delbos, R. Lacoste, F. Mitterra (...)

24Certains courts métrages du PCF retrouvèrent donc une fonction d’agit’prop’; la censure sortit alors ses longs ciseaux. À la terrible grève des mineurs de 1948 correspondit le cinglant La grande lutte des mineurs (collectif, douze minutes) et le gouvernement promulgua alors un décret instaurant un visa préalable pour les « films non-commerciaux » (en fait les films militants du PCF)25. La censure s’affinait et frappait fort à la fois, le PCF, lui, s’enfermait et s’enferrait dans la salle noire de la colère rouge. Reste donc, en ce qui concerne les films municipaux de 1947, de fort beaux témoignages d’auto-présentation du communisme municipal, ainsi que les preuves d’une propagande à la fois moderne et anachronique aux yeux d’une nouvelle conjoncture.

Notes

1 Pour une chronologie détaillée et l’analyse de cette période voir le livre de Mencherini (R.), Guerre froide, grèves rouges, Parti communiste, stalinisme et luttes sociales en France, Les grèves insurrectionnelles de 1947-1948, Paris, Syllepse, 1998, 307 p.

2 Compiègne, lieu du souvenir (1946) montre ainsi Laurent Casanova présider une manifestation du souvenir.

3 Servir (1946), film consacré à l’UJRF, en est un bel exemple.

4 Cette simple bande, au ton fort proche de celui des actualités filmées, montre la capacité d’une ville communiste à intégrer des cérémonies qui lui étaient à priori exogènes.

5 « Film réalisé par une équipe de techniciens communistes ».

6 Les politiques municipales des villes communistes ont cependant été évoquées dans certains films antérieurs à Ivry ou 20 ans de gestion municipale communiste. Ainsi la ville de Bagnolet filme ses colonies de vacances dès 1932 (Colonies de vacances) et Vaillant-Couturier cite en exemple le bilan des municipalités communistes dans le film qui lui rend hommage, La vie d’un homme (1937). D’autres part, À la conquête du bonheur montre également les extraits d’un « film municipal » consacré à la ville de Gennevilliers ainsi qu’à son maire, Jean Grandel, fusillé par les soldats allemands. (Grandel bénéficia des conseils de Marrane dans sa tâche de premier édile).

7 Perron (T.), « Le cinéma-Potemkine ou les tribulations des films rouges aux pays du capitalisme », Octobre 1917, 1999.

8 Entretien avec Nicolas Peskine, 10 juin 2000.

9 Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, notice biographique rédigée par Nathalie Viet-Depaule.

10 Archives du PCF, Bureau politique, 19 juin 1947.

11 La stérilisation et la préparation de biberons permettent ainsi aux femmes, précise le commentaire, de pouvoir continuer à travailler.

12 Parmi eux, figure le cinéaste Marc Maurette (Témoignage Marc Maurette).

13 Réalisation de Georges Baze, scénario de F. Micozzi, partition musicale de E. Amengaud, images de Clément Maure et « des reporters du SCA et des Actualités ».

14 Une excellente étude de Voilà Marseille a été effectuée par Mencherini (R.), « Une ville, un film, dans les années de la Libération », publication du colloque « La Libération de Paris, une révolution ? », novembre 1994, 17 p.

15 Archives du PCF, Comité central, 14 octobre 1947.

16 Charles Nédélec et François Billoux s’implantèrent dans la région marseillaise au début des années 1930, mandatés par le PCF.

17 Voir Mencherini (R.), op. cit., p. 10.

18 Pour comprendre l’évolution des rapports de force entre les différents courants politiques marseillais avant les élections de 1947, voir l’étude de Oppetit (C.) et Mencherini (R.), « Les Bouches-du-Rhône », in Les pouvoirs en France à la Libération, Buton (P.), Guillon (J.-M.), dir., 1994, p 518-527.

19 Robert Mencherini compare ainsi le destin de Voilà Marseille à celui du Rendez-vous des quais (1953-1955) de Paul Carpita. Cependant, le fait que le premier film ait été majoritairement conçu et réalisé par le « centre » parisien le différencie nettement selon nous du projet marseillais, essentiellement porté par un homme, Paul Carpita, majoritairement soutenu par les réseaux militants locaux.

20 Cristofol (J.), « Histoire d’un film », Batailles pour Marseille, 1997, p. 331-339. Dans ce livre de mémoire, la veuve de l’ancien maire de Marseille impute à François Billoux la disparition rapide de Voilà Marseille après les élections d’octobre.

21 Archives du PCF, Bureau politique, 22 octobre 1947.

22 Hubert-lacombe (P.), Le cinéma français dans la Guerre froide, 1946-1956, 1996, 203 p. Voir également Perron (T.), « Travelling sur les rail d’une histoire à trous », Cinéma et mouvement social, Nous avons tant à voir ensemble, p 40-75, 2000.

23 Barrot (O.), L’Écran Français, histoire d’un journal et d’une époque, 1943-1945, 1979, 382 p.

24 Archives du PCF, Comité central, 4 novembre 1947. La section cinéma rattachée au CC fut ainsi présentée : « Daquin, Jaeger, Moussinac, Blech, G. Sadoul, Schapira, Pozner, Paula, Wiener, Mme Mercanton, un opérateur, Pluchard, Bruneau, Fernand Grenier, un représentant de la section de propagande, un représentant de la section d’éducation, Chézeau, Jean Jérome, Dorval ». La première réunion de cette section cinéma est annoncée pour le 7 janvier 1948, sous la présidence de Jacques Duclos.

25 Décret de décembre 1948 signé par sept ministres : Coste-Floret, Y. Delbos, R. Lacoste, F. Mitterrand, P. Ramadier. R. Schuman, P. Schneiter.

Auteur

Doctorant, EHESS

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