1Les notices des parlementaires de la Seine permettent-elles d’approfondir la connaissance des liens entre les attitudes religieuses et les options politiques des élus, suggèrent-elles une spécificité face au reste du pays et à telle région au tempérament politique affirmé ? Il est difficile d’apporter des réponses assurées à des interrogations, certes fondamentales, mais qui supposeraient des informations sur lesquelles la documentation est le plus souvent très insuffisante, voire inexistante. Il demeure cependant possible de formuler quelques réflexions, fut-ce à titre de jalons.

2On peut estimer1 que la grande majorité des parlementaires est d’origine catholique, et a été baptisée, et qu’elle ne se distingue pas de la population française à cet égard. Lors du recensement de 1872, qui pour la dernière fois comporte une question sur les appartenances confessionnelles, 98 % des Français se disent catholiques. Certes à partir de la fin des années soixante et des lendemains de la Commune le taux de baptême dans la Seine décroche, se séparant de la moyenne nationale2, mais cette donnée ne concerne que les élus originaires du département, et ceux d’entre eux qui accèdent à la carrière politique à partir du début du siècle. Il est probable qu’un certain nombre d’élus d’extrême gauche, d’origine ouvrière notamment, relèvent de cette catégorie et n’ont pas été baptisés. En tout état de cause, le fait d’être baptisé doit être bien compris. Il signifie l’appartenance à une famille de tradition catholique, attachée à un rite socio-religieux, il permet de supposer une certaine formation religieuse, celle que donnaient le catéchisme et l’école primaire avant les lois laïques, mais ne dit pas davantage sur l’attitude religieuse d’une personnalité.

3Cet autre rite de passage qu’est l’enterrement religieux doit être examiné avec une égale prudence. Notre documentation conduit sans doute à sous-estimer quelque peu le phénomène qui ne porterait que sur 64 parlementaires, soit 14,67 %. Encore faut-il observer que les parlementaires de gauche n’étaient pas portés à envisager des obsèques religieuses, et que la convenance sociale allait plutôt vers des obsèques civiles dans les premières années de la République3. On ne saurait non plus attacher une signification excessive aux obsèques religieuses de parlementaires libres penseurs ou francs-maçons4. Elles peuvent être le fruit d’une évolution personnelle à la fin de l’existence, mais peuvent aussi répondre avant tout aux vœux de la famille.

4Une minorité de quinze parlementaires est d’origine protestante, terme qui incite à quelque prudence si on ne veut pas dispenser indûment l’appellation de protestant5. Certaines personnalités se rattachent par leurs engagements à l’Église réformée ou luthérienne. On peut évoquer le banquier André, membre du Consistoire réformé de Paris, homme d’œuvres, Edmond de Pressensé, pasteur de l’Église évangélique libre, député puis sénateur inamovible, Léon Say qui préside le Conseil central des Eglises réformées en 1894. Georges Berger, né en 1834, député du IX^e arrondissement, quartiers Saint-Georges, Rochechouart, de 1889 jusqu’en 1906, ce républicain modéré, adversaire de l’antisémitisme6, est proche du centre droit. Il appartient à la Ligue de la liberté de l’enseignement avec Denys Cochin et Anatole Leroy-Beaulieu. En 1905 il vote contre la loi de séparation. Ces hommes incarnent les grands notables de la haute société parisienne protestante, intimement unie à l’histoire du centre gauche et de la République des républicains. D’autres parlementaires protestants se situent dans la mouvance du protestantisme libéral : Frédéric Passy, venu du catholicisme, est un homme de centre gauche, Ferdinand Buisson radical-socialiste. En revanche, on doit se borner à ranger sous l’appellation d’origine protestante Scheurer-Kestner, Francis de Pressensé ou Théodore Steeg.

5 L’après 1914 voit deux élus protestants siéger à droite. Le pasteur réformé, puis luthérien7, Édouard Soulier, lié au Sillon, homme d’œuvres, dirige huit ans l’Union chrétienne de jeunes gens. Il est élu en 1919 député du Bloc national, dont il attend une rénovation de la vie politique, et se situe par la suite à la Fédération républicaine. Autre élu protestant orienté à droite, Charles Péchin, proche des Jeunesses patriotes, élu en 1928. Ces deux cas confirment qu’après 1918 la quasi-unanimité à gauche des engagements politiques protestants n’est plus présente.

6Les très rares parlementaires d’origine israélite sont agnostiques8 et ne sont mentionnés que pour mémoire. Ils n’entrent pas plus dans le champ de notre analyse que les nombreux parlementaires, agnostiques ou détachés d’origine catholique, présents dans les diverses composantes du « parti républicain » et dans la gauche socialiste et communiste9. L’origine confessionnelle est étrangère à leurs orientations politiques et à leurs prises de position, sauf à considérer que l’anticléricalisme, voire l’irréligion militante d’un certain nombre de parlementaires d’origine catholique traduit une volonté de rupture. Vérifier cette hypothèse supposerait une documentation bien souvent inexistante et une série de monographies10. Du moins peut-on faire état d’un indicateur utile, qui délimite la minorité la plus détachée de toute appartenance confessionnelle, les obsèques civiles. Elles sont au nombre de 90. On est fondé à estimer que la plupart figurent dans nos sources, compte tenu de la portée symbolique de ce choix à l’époque. Il reste fort possible que ce chiffre puisse être relevé à la hausse. Que 20,6 % des parlementaires de la Seine aient eu des obsèques civiles marque de façon décisive la force de la gauche laïque, républicaine qu’elle soit modérée, radicale, socialiste, communiste. Le chiffre est comparable à celui des enterrements civils à Paris11, et supérieur à celui des enterrements civils en province. Sans doute pourrait-on distinguer deux périodes : celle des premières décennies du régime où l’enterrement civil est le fait de libres penseurs militants, et celle où il traduit beaucoup plus un profond détachement vis-à-vis de la religion qu’un souci de s’affirmer face à la religion dominante.

7L’étude des liens entre appartenance confessionnelle et options politiques conduit à rechercher les catholiques s’affirmant comme tel. On ne compte donc pas dans cette catégorie les personnalités d’origine catholique, détachées de toute pratique, même occasionnelle, et qui ne font aucune référence à leur appartenance religieuse. Or tel est le cas de la grande majorité des élus de la Seine, de l’immense majorité certes des parlementaires de gauche, mais aussi d’un certain nombre de parlementaires de droite, dans le monde nationaliste ou modéré. On peut observer que la montée de la droite parisienne à partir du début du siècle ne contribue pas sensiblement à renforcer le nombre des élus catholiques, parce que au sein de cette droite sont présents des nationalistes, pour certains venus de l’extrême gauche anticléricale12, pour d’autres étrangers au monde catholique qu’ils cherchent avant tout à utiliser13.

8Les élus qui se réclament, même avec une certaine discrétion, du catholicisme, qui interviennent pour la défense religieuse face aux politiques anticléricales, peuvent être légitimement qualifiés de catholiques. Ils ne sont pas pour autant des catholiques militants, ni les membres d’une organisation ou d’un « parti catholique ». Ils appartiennent aux diverses droites, ou au centre. Leur attitude sur la question religieuse suffit aux yeux de leurs adversaires à les classer à droite, tant il est vrai que ce sujet constitue sous la Troisième République un principe fondamental de classement entre la gauche et la droite. C’est du reste à un parlementaire de tradition catholique, Charles Benoist, élu du VI^e arrondissement en 1902, que Poincaré lança la célèbre formule : « Entre vous et moi il y a toute l’étendue de la question religieuse »14.

9Il faut le redire, tous les parlementaires rangés d’ordinaire à droite ne sont pas des défenseurs de l’Église, ni ne se réclament de celle-ci. Cette réalité majeure de la politique parisienne qu’est le nationalisme est souvent étrangère à l’Église et a des rapports difficiles avec la droite catholique. Cela est vrai du premier nationalisme, venu de l’extrême gauche dans les années du boulangisme, mais aussi, à un moindre degré du nationalisme antidreyfusard, ou des années trente. D’autre part un certain nombre de parlementaires de la droite modérée, tout en prenant position contre la politique anticléricale, sont d’une grande discrétion sur la question religieuse. L’exemple de Charles Benoist est éclairant. De tradition catholique, le collaborateur de la Revue des Deux Mondes, est élu en 1902 du VI^e arrondissement. Il a le soutien « des ouvriers, de petits employés groupés, pour une œuvre sociale, autour d’un vicaire de Saint-Germain-des-Prés »15. Il dénonce avec vigueur le combisme mais ne peut être rangé véritablement dans la droite catholique. Il s’attache, explique-t-il dans ses mémoires, à siéger au centre et va de l’Action libérale populaire à la Fédération républicaine.

10Tout se passe du reste comme si, désireux de ne pas passer pour cléricaux, maints élus évitaient l’Action libérale, ou le Parti démocrate populaire, pour préférer les diverses formations du centre droit. Ainsi, à la différence de la droite du Nord ou du Rhône, ne découvre-t-on pas dans la Seine un fort groupe d’une droite conservatrice catholique. En 1910 le groupe parlementaire de l’Action libérale populaire ne compte que deux élus parisiens : Jean Lerolle et Joseph Ménard, cinq élus nationalistes appartiennent au groupe des indépendants : Barrés, Georges Berry, Maurice Binder, Millevoye, Pugliesi-Conti, Denys Cochin appartient au groupe des Droites, où se retrouvent les derniers royalistes. Paul Beauregard, l’amiral Bienaimé, Charles Benoist, Spronck appartiennent au groupe républicain progressiste.

11Les parlementaires qui ont une appartenance catholique affirmée dans les années de leur carrière politique sont au total peu nombreux. Un dénombrement ne peut guère en isoler plus d’une vingtaine. Même si on tient compte du silence des sources pour un certain nombre de personnalités16, il s’agit bien d’un ensemble modeste. Le décrire d’un même mouvement ne peut apporter que des remarques limitées, à cause des données statistiques sur de petits nombres, à cause de l’extrême hétérogénéité d’un ensemble qui va de représentants à l’Assemblée nationale comme Léon Lefébure, né en 1838, ou le marquis de Plœuc né en 1815, aux jeunes élus de l’Entre-deux-guerres comme Charles Vallin, député en 1938. On peut constater toutefois que ces élus, sauf, bien entendu, lorsqu’il s’agit des élections au scrutin de liste de 1871, 1885, 1919, 1924, représentent des arrondissements d’ordinaire accoutumés à un vote conservateur17, VI^e, VII^e, VIII^e, et XVII^e arrondissements.

12Les sénateurs sont quasi absents. S’il est en effet possible à un conservateur catholique de gagner une circonscription de tradition conservatrice, où le suffrage universel lui est acquis, en revanche le mode de scrutin du Sénat ne lui est pas favorable. Il allie en effet le scrutin de liste majoritaire et le suffrage indirect, qui donne aux communes de la Seine un poids très supérieur à celui de Paris. Le succès de la liste du Bloc national républicain aux sénatoriales de 1920 paraît constituer une exception. En fait la liste est dominée par le centre gauche laïc18, à l’exception de Louis Dausset, ancien de Stanislas, venu de la Ligue de la Patrie française, et d’Ernest Billiet qui appartint aux groupes démocrates chrétiens lyonnais à ses débuts dans les années d’après « Rerum novarum », avant d’être secrétaire général de l’Union des intérêts économiques. Tous deux appartiennent à l’Union républicaine, à la droite du Sénat et ne mettent guère en avant leur appartenance confessionnelle.

13Les parlementaires catholiques sont issus de la grande et de la moyenne bourgeoisie, il suffit de songer à Denys Cochin, à Louis Duval-Amould, à Marc Sangnier, à Paul et Jean Lerolle, pour mesurer la place de la grande bourgeoisie parisienne. Les études au collège Stanislas19, mais aussi dans les lycées du quartier latin, l’appartenance à la conférence Olivaint20, à l’Association catholique de la Jeunesse française, les alliances familiales21 tissent des liens entre les uns et les autres.

14Au sein de ce petit groupe, deux, et peut-être trois générations peuvent être distinguées. Les parlementaires nés avant 1855, Léon Lefébure, né en 1838, Paul Lerolle, né en 1846, Denys Cochin, né en 1851, Jules Auffray, né en 1852. Ces hommes ont connu leurs premières expériences politiques sous le Second Empire et dans les années de l’Ordre moral. Léon Lefébure, industriel alsacien, a été élu en 1869 dans le Haut-Rhin, il est élu aux élections partielles de juillet 1871 dans la Seine. Paul Lerolle est membre des comités catholiques fondés après 1871 qui sont à l’origine des congrès catholiques, tentative de regroupement des catholiques à l’exemple du Katholikentag allemand ou de l’Opera dei Congressi en Italie. Denys Cochin est le fils d’une personnalité éminente du monde catholique libéral et de l’école du Correspondant, Augustin Cochin, nommé par Thiers préfet de Seine-et-Oise en juin 1871 et qui disparut en 1872. Tout jeune, il a connu le monde politique dans l’entourage de Broglie puis comme candidat malheureux à Corbeil en 1877, avant d’être membre du conseil municipal de Paris en 1881 et député en 1893. Ces hommes, Lefébure, Denys Cochin, Paul Lerolle, appartiennent au monde des philanthropes et des hommes d’œuvre, ils sont en revanche réservés vis-à-vis du catholicisme social et de la démocratie chrétienne. Enfin ils ne marquent guère de sympathie pour le régime républicain. Il en est de même de Jules Auffray22, ancien élève des Jésuites, membre de la conférence Olivaint où il se lia avec Henri de Gaulle, collaborateur des journaux catholiques le Monde et l’Univers, secrétaire de l’Union des droites auprès du baron de Mackau, artisan du ralliement des royalistes aux boulangistes, nationaliste antidreyfusard qui parvient à se faire élire en 1902 dans le V^e arrondissement, avant d’être battu à la consultation suivante.

15Si on se tourne vers les parlementaires catholiques23 nés dans les années 1870 et qui obtiennent un mandat parlementaire dans les années du début du siècle ou au lendemain de la première guerre mondiale, un profil différent apparaît. Le passage par telle ou telle composante du mouvement catholique24 est habituel, qu’il s’agisse de la conférence Olivaint, de la réunion Montalembert, rattachée à cette organisation fédérale qu’est l’Association catholique de la Jeunesse française, l’ACJF, de l’ACJF elle-même, des groupes démocrates chrétiens25, du Sillon. La même personnalité peut du reste avoir participé à ces divers groupes. Leur rôle dans la formation des futurs élus est considérable. Toutes ces organisations, par-delà leurs divergences, qui opposent notamment l’ACJF au Sillon, celui-ci aux groupes démocrates chrétiens, ont en commun l’acceptation des institutions républicaines et l’adhésion aux orientations du « Ralliement », le souci de donner une formation civique, une certaine ouverture sociale. Sans exagérer les choses, parce que le milieu social originel n’est pas fondamentalement différent, on peut dire qu’on passe des notables conservateurs, défenseurs de l’Église à des militants qui font leur un projet social et politique inspiré par le christianisme26.

16Dans ce sous-ensemble, de rares isolés accèdent à la députation avant 1914. Ils bénéficient de l’apport du nationalisme antidreyfusard. C’est le cas de Joseph Ménard, élu en 1910 dans le XVII^e arrondissement, ancien de la conférence Olivaint, collaborateur de la Croix, puis de la Libre Parole. Lorsqu’il disparaît en 1911, Joseph Denais, né en 1877, ancien de l’ACJF et de la Ligue de la Patrie française lui succède, commençant une longue carrière politique qui ne se termine qu’aux élections de 1956. Jean Lerolle succède, lui, à son père en 1912 dans la première circonscription du VII^e arrondissement. Comme Joseph Denais, cet avocat, ancien de la Conférence du stage, a eu des responsabilités à l’ACJF, dont il est président de 1904 à 1909. Comme Joseph Denais, il adhère à l’Action libérale populaire, le parti rallié de Jacques Piou. En revanche, il n’a pas été lié au monde des Ligues antidreyfusardes. Les questions sociales le préoccupent, comme le montrent ses collaborations à la revue le Mouvement social, aux Semaines sociales. Il appartient au groupe du Parti démocrate populaire lorsqu’il revient à la Chambre, après une interruption de 1919 à 1928.

17Les élections de 1919 confirment l’évolution qui s’amorçait dans l’immédiat avant-guerre en ce qu’elles marquent la montée à Paris d’une droite catholique républicaine, qui est une des composantes du Bloc national. C’est dans la Seine que ce rassemblement né à l’initiative de l’Alliance démocratique trouve sa pleine expression. Il fait place sur sa liste à des personnalités catholiques qui acceptent la définition de la laïcité mise au point après l’intervention de Maurice Barrès et acceptée par le cardinal Amette. Il est significatif non seulement de la fidélité de Denys Cochin à l’idée monarchique, mais d’un changement de génération que le député conservateur libéral du VII^e arrondissement, qui n’avait jamais adhéré à l’Action libérale, refuse d’accepter le programme du Bloc national et ne se représente pas aux élections. L’Action libérale disparaît pour se fondre dans la Fédération républicaine, mais elle a bien constitué le vivier d’une part du personnel du Bloc national.

18Le succès de Louis Duval-Arnould représente bien l’aboutissement tardif des efforts de l’Action libérale. Né en 1863, élève du collège Stanislas, il a connu les tout débuts du Sillon et a appartenu à l’ACJF. Lié à l’École de Le Play, il collabore à la Réforme sociale et présida la Société d’économie sociale. Ancien secrétaire de la Conférence du stage des avocats, il est avocat et professeur d’économie politique à l’institut catholique de Paris. Ancien élève de l’École libre des Sciences politiques, collaborateur de Paul Lerolle, il est conseiller municipal du quartier Saint-Germain-des-Prés en 1900 lors des élections qui voient la poussée nationaliste et conservatrice à Paris, et est vice-président du Conseil municipal en 1901. Il est une des personnalités de l’Action libérale, en 1919 il appartient au groupe de l’Entente, puis de l’Union républicaine démocratique. Il incarne une droite catholique, sociale, nationale comme l’attestent ses liens avec l’Union nationale des combattants, les Jeunesses patriotes, les Croix de Feu.

19À la différence d’un Jean Lerolle, il ne va pas de l’Action libérale vers le Parti démocrate populaire et son itinéraire évoque plutôt celui de Joseph Denais ou celui de ce contemporain de Joseph Denais qu’est Louis Rollin. Issu de la bourgeoisie corrézienne, membre de la Conférence du stage, président de la réunion Montalembert, membre des instances dirigeantes de l’ACJF, il est secrétaire politique de Jules Auffray, conseiller municipal du quartier Saint-Victor en 1910. Il échoue à la députation en 1914, mais est élu en 1919, réélu en 1924 et, au scrutin d’arrondissement, devient député de la deuxième circonscription du Ve arrondissement (Saint-Victor et Val-de-Grâce) aux élections de 1928, 1932, 1936. Sa trajectoire politique se situe entre la démocratie chrétienne et la droite modérée. Après un bref passage à la Ligue de la Patrie française, on le retrouve à l’Action libérale, mais aussi aux amis du Petit démocrate auquel il est lié par ses attaches dans le Limousin. En 1919, il appartient à la Fédération des républicains démocrates de la région parisienne. Il siège à l’Entente, puis aux Républicains de gauche et au Centre républicain fondé par Tardieu en 1932.

20Sont également élues en 1919 deux personnalités qui appartiennent incontestablement à la démocratie d’inspiration chrétienne, Georges Thibout et Marc Sangnier. Le premier est aujourd’hui largement oublié et n’a pas le rayonnement posthume du second. Docteur en droit et en médecine, il n’a pas exercé d’activité professionnelle. Membre de la conférence Saint-Vincent de Paul, c’est un homme d’œuvres. En 1905, il devient conseiller municipal et maire d’Épinay-sur-Seine. Après un passage à l’Action libérale, il fonde avec son beau-frère Alfred Bour en 1912 le Petit Démocrate de Saint-Denis, organe de la Fédération des républicains démocrates de la banlieue Nord et Nord-Est, qui réunit des membres des groupes démocrates chrétiens, en dehors de l’Action libérale et de la Jeune République. Il joue un rôle important dans la présence des républicains démocrates dans la coalition du Bloc national27. Élu en 1919 dans la quatrième circonscription de la Seine, il n’est pas réélu par la suite. Il est le premier président du Parti démocrate populaire fondé en novembre 1924.

21Autre élu de 1919, Marc Sangnier. Le leader charismatique du Sillon, le fondateur de la Ligue de la Jeune République, avait cherché à faire « la trouée » entre la gauche anticléricale et la droite conservatrice. Candidat malheureux à plusieurs élections avant la guerre, il figure sur la liste du Bloc national de la Seine. Sa présence témoigne de ce que l’aile gauche de la démocratie d’inspiration chrétienne est pleinement associée au projet de rénovation de la vie politique du Bloc national. Les positions de Sangnier en matière de politique extérieure et de relations franco-allemandes expliquent en revanche qu’en 1924 il ne figure pas sur la liste qui se réclame du Bloc national, mais sur une liste de la Jeune République qui n’a pas d’élu. La brièveté de la carrière politique de Sangnier ne doit cependant pas conduire à oublier deux réalités : son élection marque l’émergence politique tardive de la génération catholique qui a eu vingt ans dans les années quatre-vingt-dix, la démocratie d’inspiration chrétienne est présente dans la tentative de renouvellement politique de l’immédiat après guerre.

22Charles de Lasteyrie né en 1877 fait partie de la même génération, sans avoir fréquenté les mêmes lieux de formation que les personnalités qui viennent d’être évoquées. Après avoir appartenu au cabinet de Denys Cochin de 1915 à 1917, cet inspecteur des finances issu d’une dynastie de notables centre droit de la Corrèze s’y fait élire en 1919. Victime du cartel, l’ancien ministre des finances de Poincaré trouve aux élections de 1928 dans le XVI^e arrondissement une circonscription favorable, qui le réélit en 1932 et 1936. Républicain modéré, il appartient à la Fédération républicaine. Son appartenance au catholicisme est incontestable, mais il est un catholique discret, qui ne s’est affirmé ni par sa place dans quelque mouvement ou organisation catholique, ni par des prises de position marquées pour la défense religieuse.

23Le docteur Cousin et Charles Vallin élus le premier en 1934 et 1936 dans la première circonscription du IX^e arrondissement, le second en 1938 dans la deuxième circonscription du IX^e arrondissement où il succède à Édouard Soulier, apparaissent incontestablement proches du monde catholique. Le succès du docteur Cousin, né en 1886, ophtalmologiste à l’Hôpital Bon-Secours, est comme l’aboutissement de sa présence à l’Action libérale et dans les organisations antimaçonniques. Malgré ses sympathies pour le PSF, il est membre de l’URD et représente bien une certaine droite nationale et catholique parisienne. Charles Vallin, ancien président de la conférence Olivaint, chargé de la propagande puis vice-président du PSF, est représentatif de l’écho des Croix-de-feu, notamment de leurs œuvres sociales, et du PSF, dans une partie du monde catholique. Il laisse pressentir surtout un glissement possible de l’électorat catholique parisien vers une droite autoritaire et sociale, différente du conservatisme libéral.

24Le bilan de ces quelques esquisses est à la fois décevant et suggestif. Décevant parce que l’investigation ne permet guère d’avancer d’analyses pertinentes au-delà de quelques personnalités, et parce que la Seine est un terroir bien plus favorable à la gauche laïque qu’à la droite catholique, au total modeste. En outre, au sein même de la droite, le nationalisme fort à Paris, mais non dans la banlieue, à partir du début du siècle, représente une droite sans liens étroits avec le monde catholique. Il en est de même d’une partie du monde modéré. Cependant les personnalités catholiques ou protestantes ont eu souvent une dimension nationale : Denys Cochin, Jean Lerolle, Marc Sangnier, Charles Vallin, Léon Say. Une fois de plus l’histoire parisienne est aussi une histoire nationale.